Invitation au voyage
p. 15-24
Texte intégral
1Dès après le bac, j’avais saisi toutes les occasions de satisfaire mon envie de voyages. Durant l’été 1947, j’étais parti en Angleterre avec trois amis de Rodez pour effectuer des travaux agricoles dans un comté de l’ouest : récolte de pommes de terre, aide aux moissonneurs, ramassage de pommes… Ce fut l’occasion, grâce à l’auto-stop qui connaissait alors un essor impressionnant, de découvrir Londres, puis l’ouest de l’Angleterre (Devon et Cornouailles) et le pays de Galles mais je ne fis aucun progrès en anglais !
Le Grang Nord en auto-stop…
2Deux ans plus tard, pour fêter mon succès en licence et mes vingt ans, je partis avec mon cousin Jean-Claude, la Norvège pour cible. Comme nous recherchions un parfum d’aventure, nous avions décidé de recourir à l’auto-stop intégral. Jean-Claude habitait Metz, le départ eut donc lieu en Lorraine. Aucune difficulté pour traverser Luxembourg, Belgique et Pays-Bas. Mais, en 1949, l’Allemagne vivait encore sous le statut d’occupation. Sans permis spécial on ne pouvait pénétrer en Allemagne de sorte que, pour gagner du temps, nous nous sommes résignés à prendre le train, de la dernière gare hollandaise à la première station danoise.
3Vingt heures après notre départ, nous faisions notre entrée à Aabenraa, première ville danoise pourvue d’une auberge de jeunesse très fréquentée où un Parisien solitaire se joignit à nous. La journée de détente à Aabenraa, la traversée du Danemark avec le franchissement des détroits, une étape divertissante à Odense et trois jours dévolus à la visite de Copenhague se déroulèrent sans aucun ennui.
4Mais, en Suède, l’aventure fit irruption. Dès le deuxième jour, alors que j’étais seul — pour augmenter nos chances d’être pris en stop, nous nous séparions —, je ne parvins pas à joindre l’auberge de jeunesse prévue. Or, c’était Jean-Claude qui détenait l’essentiel de notre très modeste fortune.
5Pas de Jean-Claude à Oslo où je parvins facilement deux jours plus tard. Je parcourus la capitale, montai à Holmenkollen, la station de ski d’Oslo : superbe vue sur la ville et le fjord d’Oslo. À l’auberge de jeunesse où l’on pouvait cuisiner un peu je me nourris de frites et de pâtes. Puis je décidai de partir pour Bergen où, avec Jean-Claude, nous avions prévu de nous rendre. Pour sortir de l’agglomération je pris un bus jusqu’à Drammen. Il restait environ 500 kilomètres pour atteindre Bergen : en alternant marche et auto-stop à travers des espaces quasi désertiques, je devais y parvenir.
6Ce fut facile jusqu’à Kongsberg : il s’agissait encore d’une région assez densément peuplée. Mais en 1949, la Norvège n’était pas encore le pays très riche qu’elle est devenue et la circulation automobile dans les vallées ou sur les plateaux éloignés des centres urbains importants était rare. Par la suite, je découvris les joies de la marche solitaire, les journées de trente kilomètres à pied avec le sac à dos qui se faisait lourd, et les routes qui me paraissaient infinies, d’une auberge de jeunesse à l’autre quand j’avais de la chance. J’eus tout loisir de repérer les formes de relief que j’avais étudiées en géographie générale : les fonds de vallées glaciaires en auges du Numedal, les pénéplaines rabotées par les glaciers et criblées de lacs du Hardangervidda, les fronts morainiques très fréquents sur ce haut plateau et, pour finir, très attendu, le Hardangerfjord, l’un des plus beaux fjords de la côte ouest, que je traversai en ferry. Un peu plus tôt, la longue vallée du Numedal m’avait révélé les beautés artistiques de la Norvège de jadis : cette vallée possède plusieurs des célèbres stavkirke et les églises en bois debout de Rollag, Nore, Uvdal, avec leur extraordinaire mât central autour duquel s’était organisée l’architecture de l’église, qui portait peut-être le clocher lui-même, et les très belles peintures murales en couleurs des xvie et xviie siècles.
7Il me fallut une douzaine de jours pour atteindre Bergen qui me plut tout de suite : je flânai à loisir au long du quai de Bryggen qui conserve quelques souvenirs des maisons de commerce de la Hanse, je humai les odeurs puissantes ou subtiles du marché au poisson, je me perdis dans le dédale des ruelles aux maisons de bois de la vieille ville. Bien entendu, je pris le funiculaire pour monter à Floyen d’où la vue sur la ville, le port et les bras de mer du voisinage est admirable. Mais je commençais à m’inquiéter sérieusement : je n’avais presque plus d’argent. À peine de quoi m’acquitter des frais de trois jours à l’auberge de jeunesse.
8Dès le lendemain de mon arrivée, je courus au Bureau de l’emploi où je découvris une file d’attente d’une vingtaine de garçons qui me ressemblaient beaucoup. Deux heures plus tard, compte tenu de mes incompétences totales en toutes techniques et d’un gabarit qui excluait les gros travaux de force, je fus tout heureux d’être engagé pour trois jours comme plongeur au restaurant de Floyen. Je partageais ce privilège avec un autre solitaire, un instituteur poitevin aussi fauché que moi, Julien. C’était au moins l’assurance d’une nourriture à bon compte.
9Il nous vint une idée. Pourquoi ne pas patrouiller au long des quais du port, monter à bord de quelques cargos, prendre langue avec un ou plusieurs membres de l’équipage pour obtenir un passage jusqu’à l’un des ports de la côte sud, moyennant quelques menus services d’entretien ou de nettoyage ? Nos papiers étaient en règle, nous étions jeunes, en bonne santé, prêts à travailler.
10Les premiers contacts furent décevants. Nous n’étions pas mal reçus mais, pour diverses raisons, ce n’était pas possible. Mais dès le deuxième jour, la chance nous sourit. Il s’agissait d’un tramp, un cargo vagabond, dont le cuisinier, gravement malade, était hospitalisé à Bergen pour un bon mois. Or, le navire devait aller chercher une cargaison de ferroalliage à Sauda, au fond du Boknafjord, pour aller la livrer dans un petit port de la côte sud situé entre Larvik et Oslo. L’équipage était fort d’une dizaine d’hommes. « Il paraît que vous, les Français, vous savez faire la cuisine », nous dit le maître d’équipage. « Êtes-vous d’accord pour nous préparer les repas ? » Il nous assura qu’il disposait de pommes de terre, légumes secs, pâtes, charcuterie, morue, fromages, condiments divers et de bière. De plus, les provisions seraient renouvelées à Sauda. Le voyage durerait une semaine. C’était inespéré ! Le départ devait avoir lieu le surlendemain. Juste le temps de compléter notre visite de Bergen.
11J’ai conservé un souvenir ébloui de ce court voyage en mer. Nous faisions de notre mieux pour satisfaire l’équipage en préparant de bonnes soupes bien épaisses, que nous enrichissions de croûtons passés dans l’huile, et des plats de résistance à base de pâtes avec jambon et saucisse sèche ou morue. Les matelots paraissaient satisfaits. Évidemment, le plancher était dur. Mais nous avions beaucoup de temps libre et grâce à une mer d’huile nous pouvions jouir de la mer, admirer la côte extraordinairement découpée, la presqu’île de Karmoy que nous avons doublée, et ses falaises, avant d’atteindre le port de Stavanger. Le clou du voyage fut la remontée du Boknafjord, le plus méridional des grands fjords de la côte ouest, jusqu’au petit port de Sauda tout au fond. Certes, le Bokhn n’est pas aussi beau que le Hardanger ou le Sogn mais il faisait un temps idéal, nous étions installés à la proue du navire, les jambes pendantes. Nous observions les maisons plantées dans les prairies, à quelques dizaines de mètres de nous, la verdure et les fleurs, les paysans au travail et même les filles qui nous envoyaient des baisers…
12À Sauda, la cargaison fut prestement chargée. Le fjord en sens inverse, la haute mer, tout droit jusqu’à Sandefjord près de Larvik. Puis nous avons gagné Larvik où nos dernières couronnes payèrent la courte traversée jusqu’à Frederikshavn, au nord du Danemark. À l’auberge de jeunesse du lieu, j’appris que Jean-Claude m’avait devancé de deux jours à peine. Après une traversée ultrarapide du Jutland, à la bonne fortune du stop, je retrouvai mon cousin à Aabenraa, un mois après l’avoir perdu !
13Nous en avions des choses à nous raconter ! Toute une nuit. Avant de repasser la frontière, nous fîmes le plein de provisions de bouche. Nous nous lavions à grande eau à une fontaine, au bord de la route, lorsque surgit le camion du retour : un stop incroyable, qui nous mena d’une seule traite jusqu’à Aix-la-Chapelle ! Le retour à Metz fut chose faite en quarante-huit heures.
… et l’Espagne en correo
14L’aventure scandinave avait encore stimulé mon appétit de voyages. Pour la Noël 1950, j’investis mon premier salaire de prof dans une rapide excursion en Algérie où l’oncle Aimé était proviseur du lycée de Blida. J’ai découvert la Mitidja, et surtout Alger, la Ville blanche et son humanité mais je n’ai rien perçu des tensions entre les deux sociétés qui annonçaient le drame à venir. Ignorance, surdité, aveuglement d’un jeune homme heureux.
15Lors de l’été 1951, ce fut différent. J’avais décidé d’entreprendre un long voyage en Espagne, un tour approximatif de la Péninsule en correo, c’est-à-dire en chemin de fer omnibus et en troisième classe, afin de découvrir le peuple espagnol dans l’appareil du quotidien, aux frontières incertaines de la pauvreté et de la misère. Seule concession à l’esprit et aux joies des vacances : un détour final par Ibiza et Majorque.
16Halte rapide à Saint-Sébastien, histoire de voir la Concha et d’admirer la baie, de faire connaissance avec les tapas. La prise de contact avec la Castille eut lieu à Burgos. En pleine nuit. Je parlais alors un castillan d’urgence. Assez pour être compris du sereno, personnage que je découvris avec ahurissement et qui, après avoir jaugé mes disponibilités financières et mes modestes aspirations, m’entraîna dans une rue voisine, ouvrit une porte, me fit grimper deux étages, m’introduisit dans un appartement, puis dans une chambre, me montra un lit, m’asséna un barato, barato sans réplique assorti d’un mañana ya veras et me demanda deux pesetas avant de disparaître. Telle fut mon initiation à une institution séculaire qui administrait la nuit dans les villes de Castille et inspira tant de chansons.
17Le sereno avait raison. Tout se déroula selon ses prévisions. Je décidai de rester un jour et une nuit de plus à Burgos. La ville, dont les monuments et les maisons avaient peu souffert de la guerre, était belle mais pauvre. Beaucoup de mendiants, dont des enfants et, au premier abord, peu d’activité. Beaucoup de soutanes et de soldats. Les villes où je m’arrêtai les jours suivants avaient de la gueule, de belles pierres à montrer, les prix des fondas étaient tout à fait abordables aux visiteurs, touristes ou non, de ma condition, mais l’activité des deux cités paraissait fort réduite, surtout celle d’Avila. Je compris que la Vieille Castille, que je découvrais, ne m’apprenait à peu près rien de la guerre. Il s’agissait d’une région ralliée d’emblée au soulèvement des généraux, en majorité hostile au Front populaire, qui avait échappé dans l’ensemble aux destructions et aux pires horreurs de la guerre, mais qui participait de la pauvreté générale du pays et de l’atonie économique. Les églises étaient très fréquentées à toutes les heures du jour par des gens de tous âges. Une piété évidente mais qui, au moins à Avila, ciudad de santos y de cantos (ville de saints et de pierres), paraissait naturelle. Il est vrai que Salamanque était différente. Quoique ce fût le temps des vacances, la jeunesse était très présente et, sur l’admirable Plaza Mayor aux pierres dorées, des bandes très fournies de garçons et de filles qui faisaient continûment le tour de la place se croisaient à intervalles réguliers. C’était un jeu permanent de regards, de sourires et de piropos qui déclenchaient des fous rires, des exclamations ravies ou furieuses. L’Espagne était prête à revivre.
18Comme le confirma la suite du voyage, le correo était à lui seul une expérience. Elle attestait d’abord que le pays demeurait sous surveillance car les contrôles d’identité étaient fréquents et les fonctionnaires de la sécurité examinaient avec soin vos papiers, cherchant à s’enquérir des motifs de votre voyage. Ils étaient à l’évidence satisfaits lorsqu’on avait un prétexte artistique : la cathédrale de Burgos, les remparts d’Avila, la Plaza Mayor de Salamanque ! Mais la lenteur du correo favorisait aussi les conversations. Fussent-elles banales, elles apprenaient beaucoup sur la difficulté de vivre même si, « grâce à l’Argentine », on ne manquait plus de pain. Mais tout était cher, même les sardines, le maquereau ou la morue, le riz ou les garbanzos. Et malgré les difficultés, il s’agissait d’un peuple gai, généreux, prêt à partager ses maigres ressources. Quand on évoquait la France, ils vous faisaient croire qu’il s’agissait bien d’un pays de cocagne.
19Après une excursion de trois jours à Lisbonne, je découvris Madrid. Et dès lors, que ce soit dans la capitale ou, un peu plus tard en Andalousie (Séville, Cordoue, Grenade, Malaga), je pris la mesure de l’héritage évident de la guerre pourtant terminée depuis plus de vingt ans. Quartiers de ruines, pauvreté aux frontières de la misère, nuées de gamins à l’affût de quelques pièces, surtout en Andalousie où ils s’offrent pour vous conduire à la meilleure pension de la ville (je me souviens encore, plus de soixante ans plus tard, de ma sortie de la gare de Séville !), chauffeurs de taxi disposés à vous faire connaître une niña d’enchantement, chômeurs résignés, queues aux boutiques de loterie ou devant les bureaux du 1 X 2, qui accueillaient les parieurs du football. À Madrid où les serenos paraissaient être les gardiens de la nuit, l’activité était réelle tout de même, la capitale retrouvait un avenir. Je me nourrissais de tapas, hommage à l’imagination d’inventeurs capables de rendre les pommes de terre sauvages (patatas bravas) et de multiplier les saveurs des crevettes et des calmars. J’allai au stade, que ce soit à Chamartin ou au stade faubourien de Vallecas, mais aussi aux arènes de Las Ventas. Et je trouvai tout de même le temps de consacrer une demi-journée au Prado. Je tombai en arrêt devant une grande toile dûe à un peintre dont j’ignorais tout, Giacomo Del Maino. Sa Reprise de Bahia m’éblouit. Je m’attardai ensuite devant les tableaux de Jérôme Bosch dont j’appris plus tard qu’ils avaient fasciné Philippe II. Or, depuis ma lecture toute récente de la Méditerranée de Braudel, je m’intéressais beaucoup à Philippe II. Le char à foin et Les péchés capitaux m’impressionnèrent prodigieusement et la composition étrange des Péchés capitaux avec la présentation radiale de la succession des péchés et les quatre médaillons qui figuraient le parcours des hommes de la mort à l’éternité me parut géniale. Pourtant, quoique je fusse trop jeune pour saisir la signification profonde ces toiles, je ressentis un certain malaise en les contemplant. Par chance, Les caprices de Goya que je découvris ensuite me valurent quelques moments de récréation fort agréables. Et je consacrai ma dernière heure de musée à Velázquez. Ma première rencontre avec Les Ménines me persuada (après réflexion) que j’avais tout à apprendre du langage des grands peintres : je ne comprenais ni l’extraordinaire science de la composition, ni la signification du miroir dans lequel apparaissait le couple royal, ni le sens du geste du peintre qui avait interrompu son travail. Il est vrai que ma visite au Prado était ma première expérience sérieuse avec la peinture des grands maîtres. Elle eut pour moi une réelle importance. En observant l’évolution de la manière du maître du temps des Borrachos à celui des Lances, je compris au moins que la fréquentation des grands musées était indispensable à la réflexion historique. Ce n’était pas un résultat négligeable et ce fut une grande leçon.
20En Andalousie, je retrouvai Paul Bernard, un Perpignanais, ancien camarade de fac, connu à Toulouse où il préparait les certificats de géographie et que j’avais fait profiter des leçons de Marres à propos des coupes géologiques. Nous avons visité ensemble Cordoue, puis Grenade et fait la longue ascension du Picacho de Veleta (le deuxième sommet de la Sierra Nevada, qui culmine à 3 396 mètres) à partir de Maitena. Une façon d’échapper à la pression humaine des villes, de bavarder avec des bergers, de contempler de très haut la vega verdoyante de Grenade, de respirer l’air pur des sommets et d’entretenir notre condition physique.
21Depuis Grenade, nous sommes allés à Malaga pour nous offrir quelques jours de vacances. La ville, qui n’avait pas pansé toutes les plaies de 1936, vivait sa grande fête annuelle. Nous avons largement profité des plages peuplées de baigneuses très agréables à voir, et assisté à une grande corrida de huit taureaux qui se présentait comme une confrontation hispano-mexicaine (Antonio Velázquez et Luis Procuna contre Luis Miguel Dominguín et Miguel Baez Litri) mais qui tourna au duel entre les deux Espagnols. Luis Miguel, statue d’orgueil et de paraître, le port altier, offrait des envols de cape et de couleurs, de longues séquences de passes très étudiées, tandis que le Litri, fragile silhouette immobile, appelait de loin une force noire lancée au galop qu’il écartait d’un simple mouvement de poignet pour la reprendre à nouveau jusqu’à ce qu’elle frôle son corps ; à l’évidence, il jouait une tragédie. Il me parut à la réflexion que ces deux interprétations très contrastées du toreo étaient à leur manière deux commentaires silencieux et sans doute inconscients de l’histoire d’Espagne. Une apologie des gloires du passé et des périodes de splendeur, un rappel des misères et des drames qui avaient marqué le pays, dont la mémoire ne pouvait s’effacer. Nous avons prolongé nos vacances en prenant un bus jusqu’à Algésiras pour passer le détroit et visiter Tanger. La ville libre avait mis à profit son statut pour mettre en vente quantité de marchandises américaines, encore invisibles en France. C’était un autre univers, grouillant de vie, une tentation permanente qui promettait l’abondance à venir à des Européens à peine convalescents.
22Après Valence, où j’ai découvert les poteries à reflets persans élaborées par les artisans du faubourg de Manises qui conservaient jalousement leurs secrets de fabrication et où nous avons évidemment goûté la paella locale, j’échangeai un abrazo avec Paul et pris le bateau pour Ibiza où je retrouvai deux collègues, profs du lycée d’Agen, avec qui je devais faire le tour de l’île qui n’était pas encore le séjour préféré des consommateurs de je ne sais plus quelle drogue, source d’extases inconnues. C’était alors une île fort belle, ourlée de criques charmantes, dont les églises fortifiées et les maisons blanches démontraient un goût très sûr et un savoir-faire étonnant. D’Ibiza je gagnai Majorque, l’île aimée de mon père. Un tel voyage ne pouvait se concevoir sans ce finale : en feuilletant les annuaires téléphoniques du petit hôtel où je descendis je compris que le nom de Bennassar était à Majorque ce que Bonnet ou Martin étaient à la France. À Palma, à Soller et surtout dans l’est de l’île, à Manacor ou à Pollença, mon nom se multipliait au long des colonnes des annuaires. Je visitai Palma bien sûr, une fort belle ville dont l’élégante cathédrale, la Lonja gothique (ou Bourse des marchands), la flamboyante Santa Eulalia, les bains arabes sont les principaux ornements, avec une bonne dizaine de maisons improbables et l’original château de Bellver. Je me promis de revenir lorsque je disposerais de loisirs d’importance afin de parcourir l’île à pied, seule manière, m’avait assuré mon père, d’en apprécier les beautés et d’en découvrir les secrets. J’eus le temps cependant de réaliser un raid sur la côte sauvage, la Costa Brava du nord de l’île dont les cultures en terrasses descendaient jusqu’à la mer.
23J’étais conscient d’avoir à peine effleuré les Espagnes. Je n’avais encore rien vu du Nord-Ouest : ni Pays basque, ni Asturies, ni Galice, rien de l’Estrémadure, de l’Aragon ni de la Catalogne. Tout cela constituait un trop gros morceau qu’il ne pouvait être question de consommer en quatre ou cinq jours. Il me faudrait du temps.
24Je n’avais découvert qu’un pays blessé, certes vigoureux, en espoir d’avenir malgré les rancunes et un legs prolongé d’injustices. Ce n’était plus le pays que m’avait fait découvrir quelques mois auparavant le livre extraordinaire de Fernand Braudel.
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Pérégrinations ibériques
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