Le monachisme militaire, un laboratoire de la sociogenèse des élites laïques dans l’Occident médiéval ?
p. 39-64
Texte intégral
1Quel fut le rôle du monachisme militaire dans la sociogenèse et dans les recompositions permanentes des élites médiévales1 ? Dans quelle mesure cette forme révolutionnaire de vie religieuse régulière fut, elle-même, élitiste ? Avant de tenter de faire un point sur ces questions, il faut rappeler le caractère assez insaisissable du concept d’élite(s) et, plus généralement, la complexité de la stratification sociale au Moyen Âge. En fonction de leur positionnement, notamment par rapport à la sociologie marxiste, les différentes traditions historiographiques tendent à privilégier plutôt l’économie, le politique ou bien des systèmes de valeurs — le « status » wéberien — pour expliquer la constitution des élites2. On sait comment la taxinomie de ces élites a également alimenté des débats sans fin, nés de découpages de la société médiévale souvent anachroniques, voire idéologiques : quel sens donner à « noblesse » et à « bourgeoisie » et a-t-il même existé un « patriciat » ? Ce n’est pas le lieu d’entrer dans ces discussions, mais en rappeler l’existence permet de mesurer combien il est difficile de mener une sociologie précise des élites au sein des ordres militaires en l’absence de grilles de lecture communes sur la définition et les composantes des différents groupes dominants. Plutôt que « bourgeoisie », j’utiliserai donc le terme à peu près consensuel de « patriciat » pour désigner un groupe constitué de fait ou de droit à partir de la fusion des élites économiques et politiques et affirmant sa domination sur la communauté urbaine. J’entends également le terme « noblesse » comme une classe héréditaire qui puise ses racines dans le passé et qui tend à se définir juridiquement à partir du XIIIe siècle seulement. On préférera donc la notion d’« aristocratie militaire » pour désigner plus généralement le groupe qui fonde l’essentiel de sa domination sociale sur le métier des armes.
2Afin de discerner des évolutions et d’espérer percevoir des nuances spatiales, il faut bien sûr raisonner sur tout le Moyen Âge des ordres militaires, en survolant l’ensemble des territoires où ils se développèrent. Mais, afin de resserrer un propos déjà extrêmement large, j’exclus un certain nombre de catégories sociales comme la très haute noblesse (princière et royale), ainsi que les élites ecclésiastiques, car les relations avec les évêques, les oligarchies capitulaires ou d’autres dignités du clergé relèvent d’enjeux différents. J’écarte également les représentants de minorités chrétiennes (Grecs et autres chrétiens orientaux, Mozarabes) et les élites non chrétiennes. Les relations avec les petits potentats musulmans en Terre sainte, avec les représentants des communautés hébraïques ou avec les noblesses païennes des marges germano-slaves sortent également du cadre de ce rapport. Enfin, j’oublie les femmes et notamment le problème du recrutement des sœurs et consœurs. En effet, la prise en compte des relations des milices au « deuxième sexe » aurait conduit à élargir la réflexion à des logiques socio-familiales différentes et à d’autres clés de lecture, marquées notamment par l’histoire du genre.
3Mes propres centres d’intérêt et les recherches de ces deux dernières décennies ont fourni matière à un exposé qui ne peut naturellement être exhaustif et qui ne cherchera pas forcément à mettre en exergue les spécificités des diverses traditions historiographiques. Il a semblé plus pertinent de montrer comment les ordres militaires ont soutenu la constitution de groupes dominants, en leur sein, mais également dans leur proche entourage laïque. On abordera donc, dans un premier temps, l’intégration des élites laïques par le biais du recrutement des milices. On envisagera ensuite les relations entre ces dernières et les élites externes : protecteurs et bienfaiteurs, pour la majorité sortis de l’aristocratie militaire, puis élites politiques et économiques, souvent issues de l’essor urbain. Dans tous ces cas, la domination sociale n’est, en général, pas redevable aux liens noués avec les milices et l’on raisonnera donc plutôt en termes de relations horizontales égalitaires, susceptibles de profiter aux deux acteurs. On évoquera pour finir les individus ou groupes entrés au service des ordres, comme clients ou intermédiaires. Que les rapports noués soient égalitaires ou non, ces laïcs tirent profit des prestations qu’ils octroient à la communauté régulière qui agit, dans ce cas, comme levier d’ascension sociale.
L’ATTRACTION DES ÉLITES AU SEIN DES ORDRES MILITAIRES
4Il s’agit d’envisager les processus de constitution d’élites internes. Les modalités de recrutement ont-elles permis l’émergence d’un groupe dominant à l’intérieur des ordres militaires ou étaient-elles, dès l’origine, élitistes ?
LA SOCIOLOGIE DU RECRUTEMENT
L’ouverture à des élites élargies
5L’étude du recrutement, comme des carrières et de la mobilité sociale et spatiale, figure depuis longtemps au centre des préoccupations des historiens et passe nécessairement par l’outil prosopographique3. Toutefois, avant le XIVe siècle, la conservation très inégale des sources limite souvent l’approche sociologique au monde des dignitaires, ainsi que l’illustre la thèse de Jochen Burgtorf sur la composition des couvents centraux du Temple et de l’Hôpital4. L’approche élargie à l’ensemble des frères n’autorise souvent qu’un profil général, malgré la pertinence du recours aux critères anthroponymiques5. C’est donc surtout dans les deux derniers siècles du Moyen Âge, lorsque les ordres éprouvent le besoin de mieux connaître leurs personnels et de multiplier les contrôles de toutes sortes — visites et enquêtes, preuves de noblesse, procédures disciplinaires… — que les sources permettent vraiment d’élaborer des statistiques et de déterminer des types de carrières. Ainsi, les procédures accumulées contre l’ordre du Temple de 1307 à 1312 permettent de cerner, bien mieux que pour n’importe quel autre religieux, l’âge moyen du recrutement, la parenté, la carrière, et même la « mentalité » du Templier des années 1260-13106. Pour les XIVe et XVe siècles, les visites internes et les enquêtes imposées par la papauté autorisent également une analyse sociologique assez précise pour l’ensemble des ordres.
6Même si les limites documentaires empêchent souvent de préciser les contours de la middle class de l’aristocratie militaire au cours des deux premiers siècles d’existence des ordres, l’emprise de cette dernière se trouve bien confirmée par l’ensemble des études7. La petite aristocratie rurale et la chevalerie urbaine alimentent largement le recrutement des milices en Castille8. Si l’on relève quelques représentants de la vieille noblesse, les chevaliers et, à moindre mesure, la nouvelle élite des probi homini fournissent également l’essentiel du recrutement aristocratique aux Templiers et Hospitaliers de Provence9. Les Teutoniques rentrent dans ce schéma puisque, sur cent cinq frères recensés en Thuringe au XIIIe siècle, soixante-quatorze sont de rang ministérial et une dizaine sont assimilables au patriciat. Seule une minorité relève ici de la haute noblesse : onze sont issus de vieilles familles (Edelfreie) et un seul est de rang comtal10. Les données fournies pour la fin du Moyen Âge confirment cette tendance, notamment dans la péninsule Ibérique. La plupart des Calatravans de Castille, tout comme la moitié des Hospitaliers de la châtellenie d’Amposte, doivent être des caballeros non nobles11. Pour le Portugal, la prosopographie des dignitaires d’Avis et de Santiago entre 1330 et 1449 montre que les deux tiers des commandeurs sont issus de la fidalga ou des élites urbaines, autrement dit plutôt d’une petite noblesse régionale12. Et un autre type d’approche fondée sur les livres de lignages confirme la rareté des vocations de la haute noblesse portugaise13.
Essor du monachisme militaire et mutations sociales
7Au-delà de la constatation, la désaffection relative de la haute noblesse pour les ordres militaires est rarement expliquée. L’attraction de la petite et moyenne aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles suggère un parallélisme avec les autres représentants du nouveau monachisme. À l’instar des milices, les ordres nés de la réforme bénédictine ou de la tradition érémitique furent plus ouverts socialement que les monastères traditionnels. Ainsi, le succès de Cîteaux a été associé à la montée de la chevalerie, tandis que l’on a souvent remarqué que les protecteurs des moines blancs et ceux des moines soldats étaient les mêmes14. En diversifiant les genres de vie régulière, le monachisme du XIIe siècle a ouvert la profession religieuse à une plus grande partie de la population15. Il est incontestable que le monachisme militaire a profité de ce nouvel élan social, indépendamment de la portée de ses propres valeurs. Le facteur démographique doit également être pris en compte : la part modeste des nobiles, lords et autres ricos hombres recensée dans les milices n’est-elle pas tout simplement proportionnelle à leur part numérique dans le siècle, face à une chevalerie, ministérialité, gentry ou infanzonia jugées parfois pléthoriques ? Dans les zones de (re)conquête, comme celles de la péninsule Ibérique, la cristallisation d’une véritable noblesse — quels que soient les critères qui la fondent — n’intervient pas avant la fin du XIIIe siècle16. Il n’y a donc rien d’étonnant, dans ce cas, à voir les frères guerriers recruter dans la masse des cavaliers d’origine roturière. Ceci est d’autant plus vrai que le resserrement lignager coïncide avec l’essor du monachisme militaire qui peut, dès lors, absorber le trop-plein de cadets de cette petite aristocratie prolifique17. À partir du XIIIe siècle, spécialement dans la « vieille Europe » (Italie, France, Angleterre), les carrières offertes par les ordres militaires ont probablement gardé tout leur attrait auprès d’une aristocratie militaire appauvrie par les partages successoraux et confrontée tant au retour de l’État qu’à l’affirmation politique des villes18. En revanche, pour la noblesse baronniale, on peut penser que les hautes carrières offertes par l’Église et par l’administration princière étaient socialement plus prometteuses et physiquement moins risquées que la vocation régulière et guerrière proposée par la « nouvelle milice ».
8L’ouverture à la petite et moyenne aristocratie doit être reliée à un dernier phénomène, celui de la synchronie entre essor urbain et diffusion des ordres militaires. On sait combien la ville est le terrain d’élection de nouvelles couches entreprenantes, en même temps qu’elle constitue le creuset, économique et social, permettant la fusion des élites et l’émergence des oligarchies. La question du recrutement est donc bien une pièce majeure à verser au dossier de l’inurbamento des commanderies. On observe sur ce point une grande diversité de situations. La bourgeoisie parisienne étudiée par Boris Bove n’a, a priori, donné presque aucun des siens au Temple ou à l’Hôpital19. En Provence, les couches supérieures urbaines soutiennent les frères guerriers par des donations et des legs, intègrent éventuellement leurs confraternités, mais franchissent assez peu le pas de la profession complète20. L’Italie du Nord relève peut-être d’une situation intermédiaire, puisque le Temple semble recruter autant au sein de l’aristocratie castrale que des consorterie implantées à Verceil, Asti ou Parme, mais la disparité des sources compromet toute approche statistique21. En revanche, on sait depuis longtemps que, dès l’origine, les ordres militaires et notamment les Teutoniques mobilisèrent pas mal les patriciats des villes d’Empire22. De même, dans le cadre des sociétés ouvertes et mobiles de la péninsule Ibérique, il n’est guère étonnant de voir les milices puiser parmi les oligarchies urbaines souvent nées de la réussite de la « chevalerie vilaine ». Une part importante des lignages castillans qui ont investi l’ordre de Calatrava entre 1350 et 1450 appartient sans doute à l’oligarchie de Tolède, Cordoue, Séville ou Soria23. Dans le même temps, presque tous les maîtres et un bon tiers des commandeurs d’Avis et de Santiago proviennent de lignages issus des villes du Sud portugais24. Si le phénomène apparaît généralisé à l’échelle de la péninsule Ibérique, seule la multiplication des approches monographiques permettra d’en donner une juste mesure et de déceler une périodisation. Ainsi, à y regarder de plus près, le cas de Tolède montre que l’intégration des encomiendas de Santiago et de Calatrava à la ville fut progressive, puisqu’il faut attendre le XVe siècle pour voir les cadets des familles dominantes (Ayala, Silva) accaparer les établissements de la région25. Il ne faudrait donc pas se laisser abuser par quelques exemples de carrières illustres pour postuler un recrutement massif dans les groupes dominants des villes26 ; seules des études statistiques, comme Luís F. Oliveira l’a montré pour le Portugal, permettront de raisonner sur des bases fiables.
9Si l’on raisonne enfin en termes de mobilité spatiale, la plupart des études ont confirmé qu’en Occident, les frères des ordres internationaux étaient recrutés près de leur lieu d’origine et passaient, pour la majorité d’entre eux, une grande partie de leur carrière dans la même région27. Certes valable pour les frères de base, ce schéma ne doit pas faire oublier que la circulation des combattants est au cœur de la mission des milices. Il faut donc se demander dans quelle mesure la mobilité géographique n’a pas favorisé la mobilité verticale. En effet, dans les zones de front, comme dans certaines marges d’Occident, il s’est d’abord constitué une élite expatriée. Ainsi, dans la Sicile du XIIIe siècle, si les simples frères furent parfois recrutés sur place, les postes de commandement sont restés aux mains d’étrangers : Français et Provençaux chez les Templiers, essentiellement Rhénans et Hollandais chez les Teutoniques28. On relève la même situation dans la Hongrie angevine où les prieurs et commandeurs de l’Hôpital étaient encore Français, puis Italiens et Provençaux, avant que n’apparaissent quelques grandes familles locales à partir de milieu du XIVe siècle29. Aux XIIIe et XIVe siècles, en Livonie, les Teutoniques venaient de l’Empire et les postes de dignitaires étaient fermés aux autochtones. Après 1410, l’ouverture au recrutement local se limita ici aux fils de nobles germanophones30. Le critère ethnique ou culturel y devint donc discriminant : au XVe siècle, l’admission s’était restreinte à la nation allemande et, en Livonie comme en Sicile, la milice se trouvait probablement coupée des élites locales31. Enfin, il faut mettre à part le cas de la Terre sainte et de Chypre, sociétés de type colonial, où, étrangement, le Temple et l’Hôpital recrutaient assez peu au sein de l’aristocratie et de la bourgeoisie latines32. Joshua Prawer a expliqué cette situation par le fait que l’aristocratie latine considérait les ordres militaires internationaux comme des corps étrangers et était, dès lors, peu tentée de leur donner ses fils.
OUVERTURE OU ENDOGAMIE SOCIALE ?
Une fermeture limitée jusqu’au milieu du XIVe siècle
10Très souvent reprise, notamment dans la « littérature » espagnole, la thèse de l’aristocratisation des ordres militaires mérite d’être remise en perspective33. Rappelons qu’à l’origine, le monachisme militaire est théoriquement opposé aux valeurs portées par la noblesse : l’otium, le luxe, l’héroïsme sont très logiquement condamnés par les règles34. Confrontés à des difficultés de recrutement à leurs débuts, les ordres ne purent pas imposer de critères d’entrée trop sélectifs. La règle du Temple, par exemple, ne contient aucune référence particulière à la qualité sociale requise des frères. Mais, entre 1250 et 1325, les dispositions normatives en vinrent à exiger unanimement l’ascendance chevaleresque pour les frères chevaliers, avant d’y ajouter la légitimité de la naissance35. Toutefois, cette réglementation se limite aux seuls chevaliers, et l’origine aristocratique ne constitue en aucun cas un critère discriminant, ni pour la profession, ni même pour l’accès aux carrières de commandement36. L’insistance sur le statut chevaleresque suggère d’ailleurs que, plus que le statut social, c’est surtout la valeur militaire des candidats qui importait aux yeux des frères guerriers37.
11Aussi, à l’échelle de l’ensemble des effectifs, les non nobles restèrent sans doute majoritaires dans toutes les milices, notamment dans les zones éloignées des combats. Les appréciations sur le spectre social du recrutement au cours du premier siècle d’existence des ordres militaires restent toutefois assez empiriques. Faute de sources, bien des études se sont contentées de signaler l’emprise aristocratique, sans aller plus avant. Une documentation plus favorable permet parfois d’avancer quelques estimations, comme en Provence où, sur la durée de l’existence du Temple, environ un tiers des frères sont issus du groupe dominant38. Cette évaluation semble bien devoir être confirmée par les statistiques tirées du procès : au début du XIVe siècle, les milites ne représentent pas plus de 10 à 20 % de la population des commanderies de France et de Provence — et ceci malgré les nuances prudentes récemment apportées à ces estimations par Alan Forey39. Et même sur les frontières, comme l’Aragon et Chypre, où la proportion des chevaliers templiers remonte respectivement au tiers et à la moitié, l’aristocratie guerrière n’est pas en position dominante. Si l’on se fie au cas du Temple, et même en supposant que tous les chevaliers fussent réellement de naissance aristocratique, on voit bien que ce milieu reste minoritaire au début du XIVe siècle40. Philippe Josserand partage la même conclusion pour la Castille, où la majorité des frères n’étaient probablement pas nobles, dans la mesure où la fermeture ne s’appliquait ni aux clercs ni aux sergents41.
Élitisme et aléas du recrutement
12Ce n’est donc pas la supériorité numérique, mais l’imprégnation des valeurs et des usages nobiliaires qui fonde la domination sociale au sein des milices. Sans doute sous-jacente dès les origines, malgré la coloration anti-aristocratique des règles, l’identification des milices à la noblesse triomphe en effet au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge, tandis que s’atténuent les caractères religieux du monachisme militaire. Il est inutile d’insister ici sur les différentes dimensions culturelles et idéologiques de l’aristocratisation et de la « sécularisation » des frères guerriers : ce processus a été maintes fois souligné42. Il s’accompagne d’un véritable accaparement de tous les rouages du pouvoir et de la richesse, et ceci à tous les niveaux du groupe dominant. En Provence, les rejetons de la petite aristocratie castrale investissent les commandements locaux offerts par le Temple, tandis que les familles patriciennes des cités rhénanes parviennent à occuper des positions dominantes dans la plupart des commanderies teutoniques de la région43. Dans les ordres de l’Hôpital, Santiago ou Calatrava implantés en Castille, le népotisme et le cumul des charges permettent de réserver les dignités provinciales et centrales à une oligarchie dès le milieu du XIVe siècle44. Aussi, les ordres militaires apparaissent comme le terrain d’élection de la compétition que se livrent les familles aristocratiques pour le monopole des richesses et des pouvoirs45. Cette évolution a été bien mise en valeur pour Calatrava par Enrique Rodríguez-Picavea Matilla : à partir du milieu du XIVe siècle, un nombre de lignages de plus en plus restreint confisque progressivement les plus hautes dignités et les patrimoines afférents. Certains lignages sont de haute noblesse (Girón, Guzmán…), mais la plupart sont d’origine moins relevée (Padilla, Carrillo…)46. Le cas castillan montre bien l’enjeu que représentait l’accès aux milices pour des familles dominantes placées dans une situation de concurrence dans le siècle.
13L’aristocratisation doit également être reliée à la restriction générale du recrutement qui commence à toucher certains ordres dès la fin du XIIIe siècle47. Les difficultés économiques, qui apparaissent dès avant 1300 mais se font surtout sensibles à partir de 1350, expliquent la limitation des effectifs. Dans les prieurés de France ou d’Allemagne, depuis le premier tiers du XIVe siècle, l’Hôpital s’efforce d’ajuster les effectifs de chaque commanderie à ses revenus48. En péninsule Ibérique, la fermeture coïncide également avec le ralentissement de la reconquête qui dissuade désormais les frères d’ouvrir leurs rangs aux non nobles. En un temps de diminution des ressources et de redistribution des théâtres d’opérations militaires, il semble en effet que les restrictions de la mobilisation ont affecté d’abord les non-combattants et, par une sélection accrue, ont favorisé les meilleurs. On peut, dès lors, expliquer par une sorte de « darwinisme social » l’élitisme croissant du monde des dignitaires et l’extension du phénomène à l’ensemble des frères49.
14À partir de la deuxième moitié du XIVe siècle, l’étiage démographique qui touche l’ensemble de l’Occident confirme le ralentissement sensible du recrutement global50. Mais il explique aussi le déclin numérique de l’aristocratie et la nette cléricalisation des milices, notamment dans les zones où une véritable tradition militaire s’est affaiblie. Prenons le cas de l’Hôpital. Dans le prieuré de Saint-Gilles, le nombre de recrues caractérisées par le service des armes a chuté de près de 42,5 % entre 1338 et 1373. En 1373, les chevaliers ne représentent plus que 18 % des effectifs dans le prieuré de Saint-Gilles et ils sont moins de 3 % dans le prieuré de France, tandis que la proportion des frères ordonnés est respectivement de 42,5 % et 69 %51. Dans les commanderies de l’arrière, l’ordre est, à l’évidence, devenu bien plus religieux que militaire ! Ce clergé modeste attaché à l’Hôpital ne vient certainement pas de la haute noblesse, mais il peut être alimenté par une aristocratie besogneuse ou par des citadins en quête de réussite52. On relève la même tendance chez les Teutoniques : après le choc de Tannenberg en 1410, l’ordre doit affronter un déclin dramatique de ses effectifs, tandis que le rapport entre chevaliers et clercs tend à s’inverser. Ainsi, dans les bailliages d’Allemagne, le déclin des chevaliers est compensé par une augmentation du nombre de prêtres53. Cette cléricalisation ne se vérifie pas à Rhodes, en Castille ou en Livonie : là où les frères sont susceptibles de se battre, la valeur militaire des recrues reste un critère fondamental54.
Fabrique des élites et « oligarchisation »
15Le tournant oligarchique intervient essentiellement au XVe siècle et donnera aux ordres militaires la physionomie qui les caractérisera sous l’Ancien Régime. Progressivement fermée aux roturiers, l’admission chez les Teutoniques exige ainsi une preuve de quatre ancêtres nobles à la fin du XVe siècle55. En 1468, l’abbé de Morimond réserve l’accès aux ordres de Montesa et de Calatrava aux seuls hidalgos susceptibles de prouver la « pureté de leur sang » (limpieza de sangre)56. Dès les années 1420-1430, les chapitres généraux de l’Hôpital avaient réservé le titre de chevalier aux « gentilshommes de nom et d’armes » et de naissance légitime et s’étaient occupés d’instaurer des procédures de preuve de noblesse57. Peut-être pour réagir au déclin des effectifs chevaleresques observé au XIVe siècle, les milices ont clairement souhaité dégager une élite en distinguant les membres à vocation militaire, effectivement issus de l’aristocratie guerrière, des autres frères, sergents et clercs. Ce besoin de distinction intervient au moment même où l’aristocratie militaire laïque s’érige en ordo et affirme plus que jamais des valeurs propres en opposition aux élites issues de la marchandise58. Comme l’a montré Pierre Bonneaud, les tensions qui traversent alors l’Hôpital en Catalogne opposent deux aristocraties : celle qui se réclame encore des valeurs militaires et celle qui a dû sa promotion aux affaires ou à l’administration59. Au moment où l’ordre intensifiait sa lutte contre les Turcs en Méditerranée, l’expression « gentilhomme de nom et d’armes » visait bien l’exclusion d’une oligarchie étrangère aux valeurs militaires. Des normes aussi drastiques furent toutefois difficiles à faire accepter. Les ciutadans honrats de Barcelone exercèrent des pressions pour continuer à introduire leurs fils dans l’Hôpital60. Il en allait de même dans les bailliages teutoniques : la régionalisation de l’ordre devait accroître les concurrences entre les puissants et, malgré l’exclusion théorique des patriciens, bâtards et autres demi-nobles, certains Geschlechter de la bourgeoisie urbaine purent continuer à s’introduire dans l’institution61. Il n’en demeure pas moins, qu’à l’aube des Temps modernes, l’ordre Teutonique apparaît, aux yeux des historiens, comme un « asile de la noblesse allemande »62.
16Tout au long du Moyen Âge, les ordres militaires ont donc très largement participé à la « fabrique » des élites. Aux XIIe et XIIIe siècles, notamment dans les zones de combat, ces institutions ont favorisé la fusion de la cavalerie de métier, entrée en masse dans leurs rangs, avec la noblesse de sang. Au milieu du XVe siècle encore, les ordres militaires restent, au Portugal, « un espace important d’osmose sociale », à en juger par la perméabilité de la distinction entre noblesse et familles urbaines63. Les frères guerriers ont, sans doute très tôt, adopté et diffusé les valeurs associées à la chevalerie. Il y aurait, à ce titre, une vaste enquête à mener sur la promotion, par les milices, des rites chevaleresques comme l’adoubement ou la bénédiction des armes et des étendards64. L’idée n’est certes pas neuve, puisque Georges Duby pensait déjà que l’armement des chevaliers et la diffusion du titre de miles dans les pays germaniques avaient pu être liés à l’implantation des ordres militaires65. En ville également, les milices ont très probablement contribué à intégrer des hommes nouveaux qui trouvèrent ainsi à partager des valeurs guerrières encore dominantes au Moyen Âge central66. Aussi, à la fin du Moyen Âge, bien que devenues des « corporations aristocratiques », les milices contribuaient encore au renouvellement des élites, comme l’atteste l’origine souvent obscure de bien des Hospitaliers présents à Rhodes67. Par ailleurs, la cléricalisation caractérisant certains ordres dans les espaces éloignés des frontières a probablement favorisé l’absorption de nouvelles élites étrangères à toute tradition militaire. Enfin, les ordres ont servi la quête de pouvoir et de renommée de couches qui relevaient déjà de l’establishment aristocratique. On sait bien comment les nobles lignages s’appuyèrent sur les positions acquises par les leurs au sein des ordres pour accroître leur influence dans la société. L’historiographie ibérique fournit à ce sujet des exemples à foison : dès les décennies centrales du XIVe siècle, on peut citer les Pimentel, qui tirèrent profit de leurs liens avec l’Hôpital pour se rapprocher du roi Denis Ier de Portugal, ou bien les Valbuena, petit lignage galicien qui acquit une position influente dans le prieuré castillan de l’Hôpital68. À partir de la fin du XIVe siècle, le jeu du népotisme, de la cooptation et même de la transmission héréditaire de certaines charges — pas avant 1450 toutefois — permirent à quelques lignages de coloniser encomiendas et autres offices, précipitant ainsi la tendance à la patrimonialisation des temporels religieux69.
LES FRÈRES GUERRIERS ET LEURS RÉSEAUX SOCIAUX
17On envisagera ici le rapport des ordres militaires aux élites extérieures, en distinguant les groupes dominants socialement constitués de ceux qui purent se former au contact des frères guerriers. Parmi les premiers groupes sociaux figurent les laïcs qui soutinrent le développement du monachisme militaire. Par simple souci de clarté, on différenciera ici plusieurs catégories, qui ne sont évidemment en rien étanches : les fondateurs qui jouèrent un rôle déterminant dans l’implantation d’un ordre dans un lieu donné, les simples donateurs, et les affiliés de toutes sortes.
LES LAÏCS BIENFAITEURS
Fondateurs, donateurs et affiliés
18La fondation d’une maison religieuse, qui supposait une influence locale et un certain niveau de richesse, était réservée aux membres de l’élite sociale. Dans le cas des ordres militaires, se sont illustrées toutes les catégories de l’aristocratie : monarques et princes, membres de la haute noblesse, mais également — ce qui constitue une rupture par rapport au monachisme traditionnel — parentés issues d’une aristocratie militaire de plus basse extraction. Un exemple entre cent : dans les années 1130, la commanderie du Temple de Richerenches a dû sa fondation à la détermination des Bourbouton, un lignage chevaleresque assez obscur du marquisat de Provence70. La fondation d’un établissement redevable seulement à l’action d’un grand laïc ou d’un unique réseau lignager demeura toutefois assez rare. En effet, une telle initiative relevait plutôt de la seule volonté des milices qui adoptèrent, dès l’origine, une organisation centralisée peu propice à la création de « commanderies familiales » assimilables aux Eigenklöster. De toute manière, la plupart des propriétaires voisins des maisons religieuses se contentèrent de donner seulement une fraction de leur patrimoine.
19Le don est, on le sait bien, une manifestation du statut aristocratique, un geste symbolique de pouvoir social. La constitution des patrimoines monastiques a donc, très logiquement, essentiellement reposé sur les « générosités nécessaires » du groupe dominant, toutes nuances confondues71. On retrouve cependant la nette prédilection de la petite et moyenne aristocratie, comme en Normandie où les donateurs furent surtout des « hobereaux au pouvoir relativement localisé72 ». Cette constatation doit, une fois encore, être replacée dans la perspective plus générale de l’évolution des échanges entre l’aristocratie et l’Église : les ordres militaires se diffusèrent au moment où les donations issues du groupe ascendant de l’aristocratie locale prenaient partout le pas sur les générosités de la haute noblesse73. Il faut néanmoins s’empresser de rappeler que l’aumône ne fut pas le privilège des puissants et que toutes les catégories de fidèles donnèrent aux frères, en fonction de leur statut et de leurs possibilités74. Il est impossible de revenir ici sur les motifs de ces libéralités, sauf pour rappeler le poids des structures lignagères et féodo-vassaliques et de la tradition de croisade : on donnait pour perpétuer un lien — à titre de bienfaiteur, confrère, frère, croisé… — qu’un parent ou un seigneur avait initié avec un ordre et l’idéal qu’il représentait75. On retrouve, en définitive, les motivations très diverses qui déterminaient également la profession dans un ordre militaire où la pression des structures lignagères jouait sans doute un rôle primordial76. Je ne peux insister sur ces aspects ici, mais renvoie par exemple aux travaux de John Walker et de Carlos Barquero Goñi qui, respectivement à l’échelle de l’Angleterre et de la Castille, montrent toute la variété des liens — donations, affiliations, élections de sépulture… — qui se nouaient entre les divers échelons de l’aristocratie et un ordre militaire77. Il faudrait enfin évoquer ces familles qui donnèrent à un ordre l’ensemble de leur descendance mâle et de leurs biens au point de s’autodétruire, comme les Bourbouton avec le Temple de Richerenches ou bien les comtes d’Arnstein, en Souabe, avec les Teutoniques78. Ces cas de « suicide dynastique », intrigants mais attestés pour l’ensemble du monachisme, montrent encore tout le pouvoir d’attraction des ordres militaires auprès de l’élite guerrière79.
20Je serai bref sur le cas plus spécifique des affiliés car Carlos de Ayala Martínez revient sur le dossier dans ces mêmes pages80. Globalement, il semble que la sociologie des confrères, donnés et autres Halbbrüder connaisse sensiblement la même évolution que celle des frères profès. On constate en effet la fermeture progressive d’une pratique qui fut, à l’origine, relativement « démocratique ». Pour les XIIe et XIIIe siècles, la plupart des travaux suggèrent une certaine diversité sociale, même si le recrutement des confrères reste confiné à une population relativement favorisée. Auprès des Templiers, on trouve par exemple certaines familles consulaires ou podestariales d’Italie septentrionale ou bien quelques bourgeois du Nord de la France81. En Provence, les confrères sont essentiellement issus des mêmes milieux que les frères : ce sont des membres du groupe chevaleresque et, à moindre mesure, des individus sortis des nouvelles élites de l’artisanat et du commerce82. Mais, à partir du dernier tiers du XIIIe siècle, les confrères finissent par céder la place aux donnés dont les liens avec les commanderies sont plus formalisés. Chez les Hospitaliers, les donnés tendent à être recrutés de plus en plus dans la noblesse : dès 1262, les statuts insistent sur la naissance, tandis que nobles et non nobles sont soigneusement distingués dans les enquêtes de 133883. L’enquête pontificale de 1373 donne, en revanche, un tout autre visage de l’Hôpital : les effectifs généraux des affiliés se sont effondrés et les donnés nobles ont quasiment disparu84. Il semble bien que, pour les hommes et les femmes d’un certain standing social, la vie religieuse dans le siècle proposée par l’ordre ait alors perdu tout attrait.
Échanges matériels et liens sociaux
21Les motivations pieuses qui amenaient bienfaiteurs laïcs et affiliés à s’associer aux commanderies furent toujours prolongées par des échanges matériels que nous limiterons essentiellement ici aux transferts fonciers. L’engouement des médiévistes pour l’anthropologie du don nous dispense d’insister sur le rôle central de la terre, à la fois dans la fabrication du lien social et dans la définition des hiérarchies85. La grande période des donations excède rarement le siècle qui suit la création d’un ordre religieux : passé l’attrait de la nouveauté et le dynamisme fondateur, toutes les institutions religieuses sont confrontées à un tarissement, plus ou moins sensible, de la générosité laïque. C’est bien évidemment le cas des ordres militaires qui connaissent une érosion progressive des donations au cours du XIIIe siècle86. Les difficultés économiques de l’aristocratie entraînent en effet une redéfinition des échanges avec les commanderies, illustrée par la généralisation du contre-don. Abondamment documentées dans le Midi français au XIIe siècle, les prestations en terres ou en chevaux dont bénéficiaient les milites voisins des commanderies ne peuvent être interprétées comme une crise des échanges entre frères guerriers et élites laïques87. Ces contre-dons rappellent plutôt les prestimonios de la péninsule Ibérique : ces rentes viagères que les milices concédaient à des personnages influents peuvent être, certes, analysées en termes économiques et féodo-vassaliques, mais elles s’inscrivaient surtout dans la constitution de réseaux d’amis puissants, souvent liés aux familles royales, dont les frères pouvaient attendre services et protection88.
22D’autre part, d’autres formes d’échanges, plus ou moins formalisées, se substituent progressivement aux donations « classiques ». À partir du XIIIe siècle, les frères guerriers profitent, eux aussi, des legs testamentaires, des fondations de messes anniversaires et de chapellenies ou bien d’autres œuvres pies — puisque, ne l’oublions pas, les ordres militaires sont aussi hospitaliers. Encore assises sur des rentes foncières, mais de plus en plus souvent sur des prestations monétaires, ces « générosités réciproques » sont désormais sous-tendues par une logique comptable et monétarisée du don. Il serait, dès lors, important de déterminer quelles élites s’adonnent à ces pratiques d’échange et témoignent ainsi d’une adhésion renouvelée au monachisme militaire. On manque encore d’études de cas, mais il semble bien que les milices furent plutôt perméables aux nouvelles formes de dévotion, dont on présume qu’elles furent d’abord popularisées par les couches dominantes et surtout urbaines. Il en va ainsi de la piété funéraire induite par les pratiques testamentaires et à laquelle se conformèrent sans réticences les Templiers et les Hospitaliers du Midi français89. Dans les villes rhénanes du XVe siècle, les Hospitaliers se prêtèrent encore pleinement aux attentes des élites financières ou artisanales en accueillant confréries et chapellenies privées. Karl Borchardt ou Klaus Militzer ont ainsi montré que les modèles de piété ne circulaient pas en sens unique : à la fin du Moyen Âge, c’est l’Hôpital, massivement cléricalisé, qui se conforme à la devotio moderna popularisée par le patriciat urbain90. Si les testateurs provençaux du XIIIe siècle relevaient surtout de l’aristocratie militaire traditionnelle, c’est bien un méliorat renouvelé qui figure dans la documentation hospitalière du Moyen Âge tardif.
Les nouvelles élites économiques
23Passons à une dimension plus « économique » des relations entre ordres militaires et dominants. Les achats de terres, qui complétèrent puis supplantèrent les donations, ont d’abord permis aux commanderies de prolonger des liens avec leurs partenaires traditionnels. En Provence comme en Roussillon, les vendeurs appartiennent aux lignages chevaleresques dont les membres donnent aussi des biens ou s’affilient au Temple91. Mais l’appauvrissement de la middle class aristocratique coïncide avec la montée de nouvelles couches urbaines : au cours du XIIIe siècle, ce sont désormais avec les artisans et les marchands que les Templiers font affaire à Avignon ou à Perpignan92. Il resterait encore à déterminer dans quelle mesure ces travailleurs, qui profitent de l’essor économique et se retrouvent comme tenanciers ou fournisseurs des commanderies, relèvent d’une élite… Le processus est plus clair en Prusse, où la politique économique volontariste des Teutoniques a favorisé l’émergence d’élites urbaines constituées, d’une part, par un groupe intermédiaire d’artisans structuré par les métiers et, d’autre part, par une oligarchie de grands marchands93.
24Dans le contexte économique plus instable de la fin du Moyen Âge, il faudrait scruter les relations qui se nouent avec certains groupes sociaux promis à un riche avenir. Je pense par exemple aux fermiers ou autres procuratores qui, à partir du XIVe et surtout du XVe siècle, arrentent ou gèrent les domaines des milices et parfois même l’intégralité des commanderies94. Qui sont-ils ? Les enquêtes et contrats d’arrentement concernant l’Hôpital en Provence laissent deviner leur appartenance à une certaine élite économique : laboureurs aisés des environs des commanderies ou petits nobles qui investissent dans la terre95. Se sont-ils vraiment enrichis ? Dans le Midi, la belle documentation hospitalière, croisée avec les registres notariés, permettrait sans doute d’étudier ces hommes qui, d’une certaine manière, tirèrent profit des difficultés de gestion de l’ordre96. Les relations se limitèrent-elles aux affaires ? Dans l’Angleterre du XVe siècle, beaucoup de fermiers étaient associés à des Hospitaliers par le sang, le mariage ou les services, et certains faisaient entrer leurs fils dans l’ordre97.
25Désormais complètement urbanisé, et à un niveau plus relevé de l’échelle sociale, figure le vaste monde du grand négoce. De l’espace hanséatique à l’« économie-monde » méditerranéenne, les intérêts des ordres militaires se sont partout conciliés avec ceux des milieux financiers et maritimes98. À Marseille, l’oligarchie des armateurs et négociants a largement profité des relations régulières que Templiers et Hospitaliers ont entretenues avec l’Orient latin jusqu’au milieu du XIVe siècle. Si, au XIIe siècle, l’Hôpital fut soutenu par de vieux lignages chevaleresques, comme les Anselme-Fer, les familles présentes aux côtés de l’ordre deux siècles plus tard affichent plutôt une réussite récente, à l’instar des Lengres99. À Barcelone, l’Hôpital se lia à quelques ciutadans honrats comme les Gualbes, qui prolongèrent leurs liens d’affaires en donnant au moins quatre frères à l’ordre dans les années 1380-1430100. Les réseaux tissés par les milices, et notamment par les Teutoniques et les Hospitaliers, trouvèrent des ramifications dans le monde de la finance internationale. Pour se limiter à ce seul exemple, Anthony Luttrell a montré comment les Hospitaliers se rendirent dépendants des compagnies toscanes au XIVe siècle, pour les avances et les transferts de fonds. Jusqu’au krach financier des années 1343-1346, tout un milieu d’agents et de facteurs gravitait autour du Collachium à Rhodes, au point que certains d’entre eux embrassèrent même la carrière hospitalière101. Partout, donc, les échanges économiques débouchèrent sur des liens spirituels. À l’aube des Temps modernes, les marchands londoniens qui vendaient de beaux vêtements aux Hospitaliers et leur avançaient le prix de leur passage à Rhodes continuaient encore à intégrer la confraternité et à demander des messes anniversaires102.
26L’establishment issu de l’essor économique fut aussi celui qui prit le pouvoir dans les villes, ce qui nous amène à évoquer un aspect plus politique des relations entre ordres militaires et dominants. À Rhodes et dans l’Ordensstaat prussien, les Hospitaliers et les Teutoniques durent souvent arbitrer les tensions sociales qui traversaient les villes dont ils étaient maîtres103. Tout autre fut le cas des centres urbains qui s’étaient constitués en municipalités autonomes et où la surveillance croissante exercée sur la vie civique, économique et religieuse ne devait pas manquer d’opposer les ordres militaires aux autorités civiles104. On sait bien comment l’exacerbation des concurrences économiques et juridictionnelles provoqua partout des tensions à partir du XIIIe siècle. Toutefois, ces conflits sont le plus souvent étudiés du point de vue des ordres militaires et non de celui des oligarchies urbaines qui leur sont opposées. Quelque peu réifiés, les pouvoirs urbains sont envisagés dans leur dimension institutionnelle — le concejo, l’échevinage, le consulat — plutôt que comme des associations d’individus mus par les mêmes intérêts économiques et politiques105. Les individus s’effacent derrière des groupes aux contours flous — « bourgeois », « citoyens » —, et on a donc du mal à rentrer dans les arcanes des réseaux de pouvoirs et à bien cerner les positionnements des différentes nébuleuses sociales vis-à-vis des frères guerriers106. C’est donc en multipliant les monographies et en croisant les sources que l’on pourra peut-être mieux appréhender les partenaires comme les adversaires des ordres militaires dans toute leur profondeur sociale, mais aussi dans leurs choix politiques107.
27La convergence d’intérêt des frères guerriers avec certaines oligarchies urbaines, ou certaines factions au sein de ces oligarchies, confirme en tout cas la profonde intégration du monachisme militaire au monde urbain. Mais les interrelations furent réciproques. Les frères se sont adaptés à des pratiques spirituelles, culturelles ou administratives plutôt urbaines, mais ils ont également contribué à l’auto-représentation — à la Selbstverständnis — des différentes strates supérieures. Aux XIIe et XIIIe siècles, l’entrée en confraternité ou bien l’association comme miles ad terminum offraient la possibilité aux milites d’exalter leur status chevaleresque108. À la fin du Moyen Âge, la participation aux Reisen de Prusse permettait de même aux patriciens des villes d’Empire de manifester leur intégration à l’ethos nobiliaire109.
LE VIVIER DES INTERMÉDIAIRES ET DES EMPLOYÉS
Gestionnaires et agents de la domination seigneuriale
28La faiblesse des effectifs résidant dans les commanderies dut, dès l’origine, poser des problèmes de gestion des temporels. Cela a incité les frères à développer des liens étroits avec les notables de leur voisinage. Il fallait recourir à des hommes respectés au sein de leur communauté et surtout bien introduits dans les arcanes de l’économie locale, à l’image des procureurs et syndics des Teutoniques de Sicile. À partir du XIVe siècle, pour pallier le déclin de ses effectifs, cet ordre favorisa en effet l’émergence d’un corps d’intermédiaires et de représentants locaux recrutés parmi les notables et les confrères110. Les milices se sont également appuyées sur des intermédiaires dans la constitution des temporels. On a ainsi souligné le rôle de ces procuratores d’origine chevaleresque qui ont soutenu l’expansion foncière du Temple dans les villes du Bas-Rhône au XIIIe siècle111. On retrouve leur équivalent dans l’Essex, où les Hospitaliers s’attachèrent des gestionnaires domaniaux laïques112. L’attachement de certaines élites locales au service des frères est encore plus net dans les pays de colonisation. En Prusse, les Teutoniques ont suscité l’émergence d’une nouvelle aristocratie germanique constituée de locatores et de vassaux auxquels étaient confiés domaines et fortifications113. La conquête ouvrit ainsi de nouveaux horizons à la petite aristocratie, souvent issue de la ministérialité, venue de Basse-Saxe, de la Misnie ou de l’Allemagne moyenne114. En Livonie, quelques grands propriétaires finirent par s’assimiler, par exemple en délaissant leurs anthroponymes germaniques pour prendre le nom de leurs domaines115. Les locatores trouvent leur équivalent chez les populatores de la péninsule Ibérique dont il est malaisé de cerner le relief social, mais qui devaient être assez puissants pour recruter les colons et se faire obéir, tout en restant contrôlables par les ordres militaires qui leur confiaient des terres à peupler116. Je n’évoque pas la question de l’assimilation culturelle et religieuse, puis de l’intégration aux ordres, des élites indigènes117 ; le phénomène n’en est pas moins essentiel pour réfléchir sur la promotion sociale liée aux ordres militaires.
29Pour médiatiser leur domination sur les populations de leurs seigneuries et accomplir des fonctions administratives, les ordres militaires se sont encore subordonnés des élites locales118. Certains intermédiaires issus des élites paysannes ne sont pas toujours faciles à distinguer de la petite aristocratie militaire à laquelle ils pouvaient accéder119. On aimerait ainsi pouvoir étudier les agents du pouvoir seigneurial qui représentaient les frères face aux communautés d’habitants, comme les bayles des sauvetés hospitalières du Sud-Ouest français ou bien les batlles catalans120. Ces agents détenaient des pouvoirs à même d’assurer leur domination sur les villageois : investis de l’autorité seigneuriale au nom du commandeur, ils avaient la capacité d’édicter des règlements municipaux, partageaient l’exercice de la justice et, bien sûr, avaient en main l’organisation agraire et les prélèvements seigneuriaux. Dans les grandes seigneuries catalanes, les batlles ont rendu leur fonction héréditaire et les seigneurs, parmi lesquels les Templiers et les Hospitaliers, se sont efforcés de limiter leur pouvoir au cours du XIIe siècle121. Ce type d’ascension engage à s’intéresser au statut privilégié de certains dépendants, puisque les avancées historiographiques récentes ont permis de sortir d’une vision univoque et misérabiliste de la servitude paysanne122. On sait bien, désormais, que certains hommes assujettis jouissaient d’un statut juridique privilégié et, souvent, d’un niveau de vie supérieur au reste de la communauté paysanne. Ce dut être le cas de la catégorie des « hommes propres du Temple » en Occitanie : ceux-ci bénéficiaient de la protection de l’ordre auquel ils étaient exclusivement attachés, n’étaient en général pas soumis aux mauvaises coutumes et pouvaient quitter leur tenure. Certains hommes amansats apparaissent comme des personnages éminents au sein de leur communauté et élisaient sépulture dans le cimetière du Temple123. Ils formaient donc, au sein de la société paysanne, une catégorie privilégiée fournissant aux Templiers agents seigneuriaux ou médiateurs auprès de leur communauté. Comme toute seigneurie, celle des ordres militaires contribuait donc à renforcer les hiérarchies au sein des sociétés rurales.
La nébuleuse des serviteurs
30Les seigneuries des ordres militaires employaient également une main-d’œuvre de travailleurs agricoles, artisans et domestiques en tous genres. Ce petit peuple ne relève certes pas de l’élite, mais il pouvait néanmoins se dégager en son sein des individus tirant profit de leur savoir-faire et de leurs liens privilégiés avec les frères. Ainsi, à la fin du XIIIe siècle, quelques serviteurs de l’ordre d’Avis, probablement d’assez humble origine, étaient gratifiés de prédicats honorifiques, comme « don » ou « mestre »124. Certaines fonctions semblent d’ailleurs s’être transformées en véritables offices dont l’attribution pouvait récompenser un lien particulier avec les frères et finit même par être réservée à quelques personnages en vue. Dans le prieuré d’Angleterre, à la fin du Moyen Âge, certains officiers externes de l’Hôpital — chapelains séculiers, baillis, garde forestiers… — étaient logés, vêtus et salariés, tandis que les offices domaniaux les plus prestigieux, comme l’intendance (stewartship of the court), étaient attribués à des notables locaux125. Par ailleurs, de nombreux serviteurs étaient personnellement liés aux dignitaires des ordres militaires126. Paula Pinto Costa a ainsi dressé des listes de ces bataillons de procureurs, écuyers, criados ou autres alcaides gravitant autour des prieurs et des commandeurs de l’Hôpital au Portugal. Mais, à aucun moment, elle n’étudie ces serviteurs comme un milieu social cohérent et ne s’interroge sur l’influence qu’ils obtenaient de leur proximité personnelle avec les dignitaires de l’ordre127. Ces familiers recevaient de leurs protecteurs cadeaux et rentes pris sur les patrimoines des milices. Sans doute ces personnages, qui tiraient partie de leur position privilégiée, constituaient-ils également un milieu homogène, soudé par une conscience de service commune. Toutefois, à ma connaissance, aucune approche n’a été tentée de ces clientèles liées aux ordres militaires, sans doute parce que, relevant de la sphère privée, de tels liens sont peu documentés avant la fin du Moyen Âge128.
31Dans un monde où le savoir intellectuel finit par devenir l’un des plus sûrs vecteurs de réussite, il reste à évoquer l’ascension, aux côtés des frères guerriers, de toutes sortes d’individus détenteurs de compétences techniques ou d’une culture pratique. On pense aux médecins desservant les hôpitaux des milices, même s’il est impossible d’en établir une prosopographie129. Je m’attarderai un peu plus sur le monde de l’écrit : juristes, notaires, traducteurs130. Les quartiers généraux et les commanderies employaient des escouades de spécialistes de l’écriture et du droit et, dans les zones de frontière comme Rhodes, les milices suscitèrent un véritable creuset ethnique et culturel131. Au sein des seigneuries purent également se constituer de véritables intelligentsia qui se concentraient plutôt dans les bourgs réunissant un certain nombre de fonctions urbaines. À Montfrin, dans le Bas-Rhône, l’ascension, au service du Temple, de familles notariales comme les Lobas et les Montauros, qui finirent par intégrer le consulat, est tout à fait représentative à cet égard132. L’administration de la seigneurie et, plus encore, celle de l’Ordensstaat requéraient un personnel compétent et dévoué dont les ordres militaires ont pu organiser la formation et le recrutement. Au XVe siècle, les Teutoniques subventionnaient des étudiants, qui, une fois formés au droit, trouvaient à s’employer comme conseillers, juges, procureurs ou évêques au service des principautés de Livonie et de Prusse ou des grands dignitaires de l’ordre133. On voit donc apparaître, associées aux ordres militaires, de véritables élites bureaucratiques dont il faudrait entreprendre la prosopographie. Le notariat constitue notamment un milieu omniprésent dans l’entourage des frères. Kristjan Toomaspoeg a ainsi reconstitué le milieu des notaires liés à la Magione teutonique de Palerme au cours des XIIIe et XIVe siècles : ceux-ci n’instrumentaient pas seulement pour les religieux, mais ils prenaient en location des biens du bailliage, développant parfois de véritables entreprises agricoles, et scellaient leurs liens avec l’ordre par la confraternité134. La diplomatique, qui commence à être appliquée aux chartes des ordres militaires, pourrait aider à cerner les contours sociaux de ces professionnels de l’écrit135. Sans doute l’identification des scribes et de leurs graphies, des lieux et dates de production, ainsi que l’analyse des formulaires permettraient-ils de pister quelques-uns de ces hommes et de cerner un peu mieux ces milieux attachés aux frères. Bref, il y aurait matière à réfléchir, dans une perspective comparatiste, à tout ce petit monde de serviteurs et à la mobilité sociale entretenue grâce à ces faisceaux de liens, personnels et institutionnels, avec les milices.
32Il semble que le monachisme militaire constitue un laboratoire pertinent pour observer les mutations sociales et les multiples tensions qui traversèrent la société médiévale. Aux XIIe et XIIIe siècles, la haute noblesse, présente au sommet de l’État et de la hiérarchie de l’Église séculière, semble hésiter à embrasser les carrières offertes par les ordres militaires. Ces derniers se sont, en revanche, largement ouverts aux cadets, voire aux bâtards, de la petite et moyenne aristocratie. Les travaux prosopographiques ont montré que les milices avaient offert de brillantes carrières à des individus qui n’appartenaient pas forcément au sommet de l’élite guerrière136. On ne peut donc s’étonner de la forte imprégnation chevaleresque qui caractérise les ordres militaires, au moment même où les milites et autres caballeros villanos s’affirment comme des professionnels de la guerre, avant de profiter, eux aussi, de l’essor économique. À l’image de la société du Moyen Âge central, et spécialement sur ses frontières, les ordres militaires sont alors des institutions ouvertes, susceptibles de promouvoir des hommes nouveaux. À partir de la deuxième moitié du XIVe siècle, les milices participent toujours au renouvellement des élites en intégrant massivement les méliorats, désormais essentiellement urbains, tout en affirmant avec force l’idéologie de l’aristocratie militaire. Parallèlement, ces institutions favorisent la constitution d’élites internes pleinement conscientes d’elles-mêmes et imprégnées des valeurs nobiliaires. Dès lors, l’oligarchisation observée au sein des milices reflète la fermeture qui caractérise les grandes élites de la fin du Moyen Âge, la noblesse de sang et le sommet du patriciat urbain. Or, c’est cette fermeture idéologique, affichée avec force mais pas toujours suivie dans les faits, qui permet aux membres des ordres militaires de maintenir une domination sociale qui, dès l’origine, s’était fondée sur l’absorption des hommes et des biens de l’aristocratie137. Il resterait à savoir si l’élitisme des ordres militaires à la fin du Moyen Âge est un phénomène commun au reste du clergé régulier et séculier. Il semble, par exemple, que, dans la France de la fin du Moyen Âge, le recrutement du haut clergé séculier était plus ouvert138. Sans doute l’Église séculière acceptait-elle plus facilement la fusion de la noblesse d’armes et des élites du négoce et du savoir que des ordres militaires moins réceptifs à la promotion intellectuelle. Mais il ne s’agit que d’une impression rapide et, pour évaluer réellement l’impact social du monachisme militaire, il faudrait inscrire le phénomène dans l’évolution sociologique de l’institution ecclésiale prise dans son ensemble. On a pu, par exemple, avancer que les ordres militaires avaient mieux résisté au déclin des vocations monastiques à partir de la fin du XIIIe siècle139. Seules des analyses comparatives précises du recrutement ecclésiastique à l’échelle d’une ville ou d’une région permettraient de vérifier ce présupposé.
33J’ai rappelé, si besoin était, l’intensité des liens tissés avec les différents groupes dominants : bienfaiteurs ou simples partenaires économiques, affiliés ou clients, serviteurs fidèles ou salariés temporaires, guerriers comme marchands, gens de savoir comme paysans. Il resterait encore à développer les études de cas sur les relations avec les élites extérieures en essayant de cerner au mieux la profondeur sociale de ces dernières. Dans bien des régions, les abondantes archives laissées par les commanderies jettent une lumière vive sur un paysage documentaire jusque-là souvent obscur : les chartes, cartulaires ou autres enquêtes permettent enfin, à partir des XIIe et XIIIe siècles, d’appréhender un peu mieux la stratification sociale dans toute sa complexité. Or, bien souvent, cette documentation a inspiré une histoire sociale dans laquelle les frères n’apparaissent qu’à l’arrière-plan ou bien, au contraire, une histoire « internaliste » des ordres militaires140. Il est temps de croiser les deux approches et d’intégrer encore mieux le monachisme militaire dans la société et l’ecclésiologie de son temps. La documentation permettrait, par exemple, de creuser les rapports avec les agents seigneuriaux ou la paysannerie enrichie, qui ressortent d’une certaine élite. Le développement des relations entre les commanderies et ces différents intermédiaires traduit ainsi une hiérarchisation et une complexité croissantes des stratifications sociales. L’étude des nébuleuses de serviteurs et de clients gravitant autour des commanderies montre de même l’intérêt qu’il y a à raisonner en termes de réseaux, plutôt que seulement de groupes sociaux. L’analyse des échanges et des obligations réciproques devrait aider à comprendre comment se structurent des groupes tirant partie de leur proximité avec les frères guerriers. Cela paraît essentiel pour appréhender la façon dont ces derniers s’insèrent dans une société, surtout lorsque celle-ci leur est en partie exogène, comme c’est le cas des sociétés de frontière141.
34Tout cela tient de l’analyse sociologique, mais il ne faudrait en aucun cas négliger les processus de dominations idéologiques ou culturels. Dans la mesure où la différenciation sociale est fondée sur des jugements de valeurs sociaux, sur un status accordé à un individu ou à un groupe par la société, on comprend tout l’intérêt de la notion de Selbstverständnis, des représentations que les milices se créent mais qu’elles renvoient aussi au reste de la société.
Notes de bas de page
1 Le terme de « sociogenèse » est employé par N. Elias, La dynamique, pour expliquer la naissance d’institutions — comme l’État, la monarchie, la fiscalité — vues comme le « produit de l’interdépendance sociale ». Il désigne ici la constitution d’un groupe d’individus en tant que catégorie sociale. La notion fournit par exemple à J. Morsel, « La noblesse », une clé d’analyse pour expliquer l’» invention » de la noblesse allemande.
2 Les élites englobent « tous ceux qui jouissent d’une position sociale élevée, qui passe non seulement par la détention d’une fortune, d’un pouvoir et d’un savoir, mais aussi par la reconnaissance d’autrui » (F. Menant et J.-P. Jessenne, « Introduction », p. 8). Ces élites sont en recomposition permanente car elles intègrent de nouveaux membres, mais également car la hiérarchie des valeurs qui fondent leur domination évolue dans le temps. À la différence d’une lecture en terme de « classes sociales », l’utilisation du mot « élites » permet donc de privilégier les hiérarchies que les sociétés se donnent et les marques fonctionnelles et culturelles de la supériorité. Les réflexions suivantes m’ont aidé à formaliser la notion pour le Moyen Âge : F. Menant et J.-P. Jessenne, « Introduction » ; J. Morsel, L’aristocratie ; M. Aurell, « Complexité sociale » ; P. Boucheron et D. Menjot, « Exercice du pouvoir » ; Les élites urbaines au Moyen Age (spécialement les contributions d’É. Crouzet-Pavan, pp. 9-28, et de Ph. Braunstein, pp. 29-38). Et, pour une réflexion plus générale sur les élites : R. Sablonier, « Les mobilités sociales » ; et J.-Ph. Luis, « Les trois temps ».
3 La question du recrutement a fait l’objet d’un article de synthèse d’A. Forey, « Recruitment ».
4 J. Burgtorf, The Central Convent.
5 Les limites de la prosopographie sont souvent soulignées, par exemple chez J.-P. Molénat, « Les Tolédans », p. 263 ; et K. Borchardt, « Die deutschen Johanniter », pp. 68-69. Pour un recours modèle à l’anthroponymie : Ph. Josserand, « La figure ».
6 Cette source exceptionnelle a été exploitée par de nombreux historiens, parmi lesquels on retiendra les travaux d’A. Barbero, « Motivazioni religiose » ; A. Forey, « Towards a Profile » ; et A. Demurger, « Le personnel ».
7 Un cas symptomatique parmi d’autres de la difficulté à appréhender « la nobleza media y basa » : C. Barquero Goñi, « Los Hospitalarios y la nobleza », pp. 37-39.
8 Ph. Josserand, Église et pouvoir, pp. 393-401.
9 D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 298-301.
10 D. Wojtecki, Studien zur Personengeschichte, pp. 78-90. Il en va de même à la même époque en Livonie où seulement 16 % des frères identifiés viennent de la haute noblesse et 12 % du patriciat urbain, K. Militzer, « The Recruitment », pp. 275-276. Au XIIIe siècle, les ministeriales forment l’essentiel du groupe chevaleresque au sein de l’ordre et investissent les fonctions de commandement local, au moment même où cette aristocratie de service s’émancipe et tend à fusionner avec la noblesse, K. Militzer, Die Geschichte, pp. 92-93.
11 E. Rodriguez-Picavea Matilla, « Caballería y nobleza » ; Id., « Caballeros calatravos » ; et P. Bonneaud, Els Hospitalers catalans, p. 88. C. Barquero Goñi, « Órdenes militares y nobleza », pp. 148-149, souligne encore la rareté de la grande noblesse dans l’ordre de l’Hôpital à l’échelle de la péninsule Ibérique — Portugal excepté — des XIIe et XIIIe siècles.
12 L. F. Oliveira, A Coroa, os Mestres e os Comendadores, pp. 173-193.
13 J. A. de Sotto-Mayor Pizarro, « A participação da nobreza », pp. 150-152.
14 A.-R. Carcenac, Les Templiers du Larzac, pp. 171-172 ; A. Demurger, « L’aristocrazia », pp. 63-66 ; et J. Schenk, Templar families, pp. 85-114.
15 G. Constable, « The Diversity ». Malgré son titre, l’article insiste sur les justifications théologiques de la diversité des coutumes monastiques, plus que sur l’ouverture sociale induite par ce foisonnement spirituel.
16 Par exemple, dans le Sud portugais : S. Boissellier, Naissance, pp. 384-389.
17 L’explication a été avancée, pour le Portugal, par J. Mattoso, Ricos-Homens, pp. 233-235.
18 E. Bellomo, The Templar Order, pp. 142.
19 B. Bove, Dominer la ville. Une seule exception est relevée, pp. 185 et 285, mais il est vrai que l’auteur n’a, sauf erreur, pas dépouillé les fonds des ordres militaires.
20 D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 300-301.
21 E. Bellomo, The Templar Order, pp. 129-147 et 159-160.
22 E. Maschke, « Deutschordenbrüder », a identifié plusieurs frères issus de Geschlechter urbains, dont l’origine, ministériale ou bourgeoise, est souvent difficile à cerner. L’article d’A. Czacharowski, « Forschungen über die sozialen », s’il constitue un utile état de la question sur la stratification sociale des villes de la Prusse teutonique, n’évoque pas, hélas, le rôle joué par l’ordre dans le processus de sociogenèse. Pour les baillies hospitalières du prieuré d’Alemania, K. Borchardt, « Die deutschen Johanniter », a montré l’importance du méliorat urbain au sein duquel il se refuse de distinguer noblesse et bourgeoisie.
23 E. Rodriguez-Picavea Matilla, « Caballería y nobleza », pp. 721-722 ; et Id., « Caballeros calatravos », p. 172. On assiste, en Catalogne également, à la montée des familles urbaines au sein de l’Hôpital au cours du XIVe siècle (voir P. Bonneaud, Els Hospitalers catalans, pp. 90-93).
24 L. F. Oliveira, A Coroa, os Mestres e os Comendadores, pp. 59-62 et 194.
25 J.-P. Molénat, « Les Tolédans ».
26 Voir les dignitaires provenant de lignages de Tolède, Baeza ou Burgos cités par Ph. Josserand, Église et pouvoir, pp. 396-401.
27 Par exemple : D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 291-294 ; J. Bronstein, The Hospitallers, p. 133.
28 C. Guzzo, Templari in Sicilia, pp. 60-65 ; K. Toomaspoeg, « Les premiers commandeurs », pp. 245-249.
29 À partir de 1380, la prépondérance des dignitaires étrangers a disparu et, passé le milieu du siècle suivant, les commanderies sont peuplées de petits nobles et même de non nobles locaux : voir Z. Hunyadi, « Hospitaller Officials » ; et Id., « The Social Composition », p. 326.
30 K. Militzer, « The Recruitment ».
31 J. A. Mol, « The “Hospice…” », pp. 124-125. Après 1410, l’ère de recrutement des frères envoyés en Sicile se restreint à la Rhénanie et à la Hesse (K. Toomaspoeg, Les Teutoniques en Sicile, p. 375).
32 Confirmée par J. Burgtorf, The Central Convent, pp. 380-382 et 706-707, l’absence de la « noblesse croisée » parmi les ordres militaires avait déjà surpris J. Prawer, The Latin Kingdom, pp. 278-279. Les Templiers présents en Chypre au début du XIVe siècle viennent tous d’Occident, ainsi que le rappelle P. Edbury, « The Military Orders in Cyprus », p. 105.
33 C. Barquero Goñi, « Órdenes militares y nobleza » ; E. Rodriguez-Picavea Matilla, « El proceso » ; et Id., Los monjes guerreros, pp. 442-450.
34 Cela a notamment été souligné pour les Templiers : J. Flori, L’essor, pp. 209-214 ; et S. Cerrini, « I templari : une vita de fratres ».
35 J. Burgtorf, The Central Convent, pp. 378-379 ; Ph. Josserand, Église et pouvoir, pp. 374-377 ; K. Militzer, « The Recruitment », p. 270.
36 Même si les chevaliers sont proportionnellement les plus nombreux aux postes de commandeurs, des frères non nobles peuvent encore accéder à ces dignités au début du XIVe siècle : voir Ph. Josserand, « La figure », p. 167 ; J. Burgtorf, The Central Convent, p. 382 ; A. Forey, « Templar Knights ».
37 Cela ressort bien des établissements de Santiago de 1249 prescrivant qu’un fidalgo, c’est-à-dire un aristocrate moyen, ne peut être recruté que s’il est déjà cavaleiro (S. Boissellier, Naissance, p. 388).
38 D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 294-298.
39 A. Forey, « Recruitment », pp. 144-145. Id., « Notes on Templar Personnel », pp. 151-156, a rappelé que les désastres militaires, particulièrement meurtriers pour la classe des chevaliers, peuvent fausser les estimations. Il ne voit, en tout cas, aucun signe probant de déclin du recrutement dans le groupe chevaleresque.
40 L’importance numérique des sergents et leur rôle dans les rouages administratifs du Temple plaideraient en faveur d’une ouverture accrue de l’ordre aux non nobles. Voir en dernier lieu : J. Schenk, « Aspects of Non-Noble ». Souvent mis en avant, le caractère aristocratique plus accusé de l’Hôpital est toutefois discuté par A. Forey, « Notes on Templar personnel », pp. 151-156. En effet, la disparité des sources rend difficile toute comparaison entre les proportions respectives des sergents et des chevaliers dans les deux ordres.
41 Ph. Josserand, Église et pouvoir, pp. 380-381.
42 Il s’agit encore d’un thème récurrent dans l’historiographie ibérique. Par exemple : Ph. Josse rand, Église et pouvoir, pp. 165-230 ; E. Rodriguez-Picavea Matilla, « Mentalidad ». Mais le phénomène touche également les Teutoniques, K. Militzer, Die Geschichte, pp. 179-183.
43 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 302 ; Kl. Van Eickels, « Secure Base », p. 169.
44 Ph. Josserand, « La figure », pp. 160-163 ; et Id., Église et pouvoir, pp. 391-393.
45 Ibid., pp. 407-409.
46 E. Rodriguez-Picavea Matilla, « Caballeros calatravos ».
47 La préoccupation apparaît dès 1292 à l’Hôpital et à partir de 1325 à Calatrava : J. Riley-Smith, The Knights, p. 231 ; et A. Forey, « Recruitment », p. 142.
48 A.-M. Legras, « Les effectifs », pp. 362-363 ; et K. Borchardt, « Die deutschen Johanniter », pp. 72-73.
49 Sur les acceptions, souvent opposées, de la notion : D. Guillo, « Darwinisme social », dans M. Borlandi (éd.), Dictionnaire de la pensée sociologique, pp. 153-155.
50 Pour le prieuré de France, A.-M. Legras, « Les effectifs », p. 362, rappelle ainsi les effets des épidémies de peste de 1348 et 1361.
51 N. Coulet, « Les effectifs », pp. 107-111 ; et A.-M. Legras, « Les effectifs », pp. 364-365. Si le déclin éventuel du prestige de l’ordre aux yeux de la classe combattante et le coût élevé de l’équipement militaire ont pu dissuader les chevaliers de professer, l’Hôpital semble au contraire avoir constitué un pôle d’attraction pour les jeunes clercs.
52 En l’absence d’études d’ensemble, ceci n’est qu’une hypothèse ; mais l’on peut remarquer qu’à partir du dernier tiers du XIIIe siècle, les chapelains et sergents du Temple proviennent du même milieu social majoritairement roturier, comme le montre J. Schenk, « Aspects of Non-Noble », p. 160. Dans l’Empire, lorsque l’accès au statut de chevalier se ferme aux fils d’artisans et de marchands, ceux-ci intègrent les ordres en qualité de sergents et surtout de clercs (voir K. Borchardt, « Urban Commanderies », p. 301).
53 K. Militzer, Die Geschichte, p. 182 ; J. A. Mol, « The “Hospice…” », p. 118 ; D. J. Weiss, « Spiritual Life », p. 168.
54 Sur 320 Calatravans identifiés entre 1350 et 1450 en Castille, on compte 258 caballeros et 56 clercs (E. Rodriguez-Picavea Matilla, « Caballeros calatravos », pp. 157-159).
55 K. Militzer, « Die Aufnahme von Ritterbrüdern » ; et J. A. Mol, « The “Hospice…” », pp. 122-123.
56 P. Bonneaud, « Noblesse », p. 653. La formule « de muy limpia sangre » apparaît en 1355 pour Santiago (Ph. Josserand, Église et pouvoir, p. 401).
57 P. Bonneaud, « Regulations ». G. O’Malley, The Knights Hospitaller, p. 32, souligne également le caractère de plus en plus rigoureux de l’entrée dans l’Hôpital au cours du XVe siècle (licences d’admission, preuves de noblesse, examen des cas par le chapitre provincial).
58 Sur la fermeture de la noblesse militaire : M. Aurell, La noblesse, pp. 94-104 ; et J. Morsel, L’aristocratie, pp. 252-258. Le phénomène suit des logiques et une chronologie propres dans chaque région d’Occident et il n’est, ainsi, pas sensible avant le début du XIVe siècle en péninsule Ibérique.
59 P. Bonneaud, Els Hospitalers catalans, pp. 167-170.
60 À l’aube des Temps modernes, les chevaliers anglais sont également issus des milieux des gentlemen et de la gentry, plutôt que de la nobility : G. O’Malley, The Knights Hospitaller, p. 40.
61 J. A. Mol, « The “Hospice…” », pp. 124-129.
62 U. Arnold, Deutscher Orden und Preußenland, p. 170, parle de « Spital des deutschen Adels » ; et K. Militzer, Die Geschichte, pp. 179-181, d’« Aufenthalt des deutschen Adels », de « Zuflucht für den deutschen Adels » ou encore d’« Adelskorporation ».
63 L. F. Oliveira, A Coroa, os Mestres e os Comendadores, p. 184 ; et Id., « Fidalgos, Cavaleiros et Vilões », p. 155.
64 À la fin du XIIIe siècle, beaucoup de frères du Temple étaient adoubés au moment de leur profession : A. Barbero, L’aristocrazia, p. 212 ; d’autres éléments sont dispersés dans G. Ligato, « Fra ordini cavallereschi e crociata », notamment pp. 686-687, sur la traditio vexilli à Santiago. Un rituel de bénédiction des armes apparaît lors de la réception des frères de Santiago en 1440 (voir A. Luttrell, « Hospitaller Life in Aragon, 1319-1370 », repris dans The Hospitallers of Rhodes and their Mediterranean World, n° XV, pp. 103-105).
65 L’idée est, plus exactement, empruntée à Arno Borst par G. Duby, Hommes et structures, t. I, pp. 22-23.
66 Il est très probable que bon nombre des sergents templiers aient été issus de ces nouvelles couches urbaines. Mais, s’il relève l’action de réseaux familiaux influents, J. Schenk, « Aspects of Non-Noble », ne s’attache pas du tout à l’origine sociale de ces frères en principe d’origine roturière.
67 Voyez par exemple les itinéraires exemplaires de quelques représentants de la « mà mitjana » catalane, dans P. Bonneaud, Le prieuré de Catalogne, pp. 132-133.
68 B. Vasconcelos e Sousa, « Memória familiar » ; Ph. Josserand, « Un maître politique » ; et Id., Église et pouvoir, pp. 411-419.
69 Comme cela a été fort bien démontré dans le cas de Calatrava par E. Rodriguez-Picavea Matilla, « El proceso », pp. 517-521 ; ou par L. F. Oliveira, A Coroa, os Mestres e os Comendadores, pp. 201-211, pour Avis et Santiago.
70 D. Carraz, « Mémoire lignagère ». Pour quelques autres cas de fondation de commanderies : J. Riley-Smith, « The Origins ».
71 L’expression « générosités nécessaires » est de G. Duby, Guerriers et paysans, p. 68 — et pp. 61-69, sur le don inspiré du système maussien.
72 M. Miguet, Templiers et Hospitaliers, p. 27.
73 Cette évolution concerne, bien sûr, le nouveau monachisme, mais également les anciennes communautés bénédictines, comme en Champagne où, à la fin du XIIe siècle, les milites sont devenus la catégorie de donateurs la plus nombreuse, alors que les grands seigneurs jouent désormais un rôle secondaire (voir R. Keyser, « La transformation », pp. 798-801).
74 Templiers et Hospitaliers du Midi héritèrent de modestes pièces de terre, de quelques sommes d’argent ou même de vêtements de la part d’individus qu’il est souvent difficile de situer socialement (voir D. Carraz, « Les ordres militaires et le fait urbain », p. 131).
75 Quelques exemples dans H. Nicholson, Templars, Hospitallers and Teutonic Knights, pp. 60-68 ; et sur le lien entre croisade et soutien aux commanderies : A. Demurger, « L’aristocrazia laica », pp. 59-60 ; J. Walker, « Alms », pp. 67-69 ; et E. Bellomo, The Templar Order, pp. 129-134.
76 Le népotisme, bien documenté à partir de la fin du XIIIe siècle, est souligné par de nombreux travaux, notamment A. Barbero, « Motivazioni », pp. 722-723 ; Ph. Josserand, Église et pouvoir, pp. 411-413 ; et J. Burgtorf, The Central Convent, p. 723. Les liens de parenté entre frères du Temple sont encore prégnants à l’échelon des sergents : J. Schenk, « Aspects of Non-Noble », pp. 157-158.
77 C. Barquero Goñi, « Los Hospitalarios y la nobleza » ; et J. Walker, « Alms », qui met particulièrement en évidence le rôle, dans le soutien au Temple, des liens familiaux et d’autres réseaux de fidélité.
78 D. Carraz, « Mémoire lignagère » ; et K. Toomaspoeg, « Arnstein », p. 120.
79 J. Morsel, L’aristocratie, p. 138, relativise toutefois l’expression de « suicide dynastique » employée par A. Murray, Reason and Society in the Middle Ages.
80 Pour une première approche du phénomène : D. Carraz, « Confraternité », pp. 252-256.
81 E. Bellomo, The Templar Order, pp. 125-126 ; et A. Demurger, « Les Templiers à Auxerre », p. 311 : exemple d’un orfèvre, bourgeois d’Auxerre, qui, après avoir rassemblé des terres à Serain, donna tous ses biens au Temple (1272), devint confrère et élut sépulture à la commanderie de Saulce.
82 D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 339-341.
83 J. Riley-Smith, The Knights, pp. 244-245 ; et C. de Miramon, Les « donnés » au Moyen Âge, pp. 329-332.
84 A.-M. Legras, « Les effectifs », p. 378 ; et N. Coulet, « Les effectifs », pp. 116-117.
85 Pour dépasser les débats théoriques, on se limitera à citer ici une analyse modèle des échanges qui purent se développer entre communautés monastiques et différents groupes sociaux laïques : A. Rodriguez et R. Pastor, « Générosités nécessaires ».
86 Quelques aperçus statistiques et chronologiques chez H. Nicholson, Templars, Hospitallers and Teutonic Knights, pp. 57-60.
87 D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 166-167.
88 C. Barquero Goñi, « Los Hospitalarios y la nobleza », pp. 27-28 et 35-37 ; S. Boissellier, Naissance, pp. 397-398 ; et Ph. Josserand, Église et pouvoir, pp. 421-423.
89 D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 347-355. Pour le XIIIe siècle, J. Oberste, « Donaten », a bien montré comment les Templiers et les Hospitaliers avaient noué, avec le méliorat toulousain, des liens privilégiés articulés autour de la confraternité et du testament.
90 K. Borchardt, « Hospitallers, Mysticism, and Reform » ; et K. Militzer, « The Hospitaller Fraternity ».
91 L. Verdon, La terre et les hommes, pp. 44-48.
92 D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 396-401 ; et L. Verdon, La terre et les hommes, pp. 112-116.
93 S. Gouguenheim, Les chevaliers teutoniques, pp. 390-396.
94 Éléments pour l’Hôpital et les Teutoniques dans Les Ordres militaires, la vie rurale et le peuplement, pp. 58-60, 156 et 250.
95 En 1373, la grange de Launac, au diocèse de Maguelonne, est arrentée à un marchand de grains de Montpellier (Archivio Segreto Vaticano, Coll. 137, fº 278), tandis que la tour de Codolet l’est par un certain Berengarius Sabaterii, habitant du lieu (ASV, Coll. 17, fº 147vº). À cette date, toutefois, la plupart des biens sont encore arrentés par des frères de l’ordre. En 1443, la commanderie d’Avignon est arrentée à deux petits seigneurs (Archives départementales du Vaucluse, 3E5/710, fos 531-532) et, en 1461, elle l’est à deux marchands (ADV, 3E12/1615).
96 Il y aurait, de même, une étude à conduire sur ces bourgeois qui ont profité de la confiscation des biens du Temple à partir de 1307. De quels milieux sortaient-ils et étaient-ils, déjà, des partenaires de l’ordre avant sa suppression ? Il y eut, en tout cas, de belles réussites grâce aux positions acquises sur le temporel templier, comme Guillaume Pisdoe et Rénier Bourdon, marchands nommés curateurs des biens du Temple à Paris, ou Antonio Pessagno, riche marchand génois qui tira profit du séquestre en Champagne et en Aquitaine : B. Bove, Dominer la ville, pp. 290, 306 et p. 315 ; et J.-M. Roger, « Antonio Pessagno », p. 98.
97 G. O’Malley, The Knights Hospitaller, p. 104.
98 Sur les intenses relations des Teutoniques avec les marchands hanséatiques et, de manière générale, sur la politique économique volontariste de l’ordre : J. Sarnowsky, Die Wirtschaftsführung ; et R. Czaja, « Preussische Hansestädte ».
99 D. Carraz, « Les Lengres », pp. 763-768.
100 P. Bonneaud, Le prieuré de Catalogne, pp. 364-366 ; et Id., Els Hospitalers catalans, pp. 90-91.
101 Comme Bartolomeo di Lapo Benini, un facteur des Bardi à Avignon, qui, malgré son entrée à l’Hôpital en 1339, poursuivit ses propres affaires avant de devenir prieur de Rome et Pise : A. Luttrell, The Town of Rhodes, p. 139 ; et Id., « The Hospitallers and their Florentine Bankers ».
102 G. O’Malley, The Knights Hospitaller, pp. 107-108.
103 Comme à Dantzig et à Culm, au XIVe siècle, où l’ordre prit le parti du patriciat contre les bourgeois et les compagnons des métiers (S. Gouguenheim, Les chevaliers teutoniques, p. 392).
104 Pour une première approche : J. Kreem et P. Monnet, « Pouvoir municipal », pp. 734-735. La surveillance des activités spirituelles des milices n’a pas encore attiré l’attention des historiens, alors que les municipalités ont, par exemple, statué sur les confrères : C. de Miramon, Les « donnés » au Moyen Âge, pp. 391-394 ; et Ph. Josserand, Église et pouvoir, p. 423.
105 Les recherches conduites sur Villa Real sont à cet égard symptomatiques : les relations trilatérales entre Calatrava, le concejo et la monarchie sont décortiquées dans leur dimension essentiellement événementielle, mais à aucun moment n’est posée la question de la composition du concejo, L. R. Villegas Díaz, « Algunos datos » ; et Id., « Calatrava y Ciudad Real ». J. A. C. F. de Oliveira, « A gestão de conflictos », analyse de même les différentes facettes de la confrontation, mais ne dit rien non plus de la composition des concelhos.
106 H. Nicholson, Templars, Hospitallers and Teutonic Knights, p. 76, évoque par exemple de façon elliptique les « citoyens » de Provins (c. 1270) ou les « bourgeois » des villes du Devon. Peu d’individus émergent, comme cette famille Ratier, à Millau au XIIIe siècle, éleveurs devenus financiers, qui ont accédé au rang consulaire et qui disputaient aux Templiers des terrains de pâture : A.-R. Carcenac, Les Templiers du Larzac, pp. 179-180.
107 À Plaisance, par exemple, les Templiers furent étroitement mêlés aux luttes de factions entre Scotti et Visconti qui déchirèrent la cité au début du XIVe siècle : E. Bellomo, The Templar Order, pp. 172-174.
108 D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 339-342 ; et G. Ligato, « Fra ordini cavallereschi e crociata ».
109 W. Paravicini, Die Preußenreisen, t. I, pp. 153-158, sur la participation de la « Stadtadel » aux voyages de Prusse.
110 K. Toomaspoeg, « Confratres, procuratores ».
111 D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 127 et 405-406.
112 Il s’agissait d’hommes sans héritiers qui accroissaient leur patrimoine personnel avant de le céder à l’ordre, lequel leur procurait en échange des avantages matériels (rentes, bienfonds) et/ou spirituels (confraternité) : voir M. Gervers, « Pro Defensione », pp. 11-14.
113 Ch. Higounet, Les Allemands, pp. 243-250 ; et S. Gouguenheim, Les chevaliers teutoniques, pp. 377-382.
114 Comme ce Dietrich de Dypenow qui, au milieu du XIIIe siècle, fut chassé d’Hildesheim et réussit en Prusse, où il reçut plusieurs villages des Teutoniques (S. Gouguenheim, Les chevaliers teutoniques, pp. 382-383).
115 Ch. Higounet, Les Allemands, p. 232.
116 Pour un exemple concernant Santiago dans l’Alentejo portugais en 1274 : S. Boissellier, Naissance, p. 115.
117 Pensons notamment à la Prusse teutonique, où l’aristocratie prutène fut assez rapidement christianisée et germanisée (S. Gouguenheim, Les chevaliers teutoniques, pp. 370-373).
118 Précisons toutefois combien cette notion d’élite locale peut être relative et fluctuante, dans l’espace et dans le temps. Par exemple, à la fin du XIIIe siècle, dans les villages de l’Alentejo relevant de la seigneurie d’Avis, un charpentier, un éleveur ou un « homme » du seigneur pouvaient figurer parmi les notables, alors qu’à Evora, ville-siège de l’ordre, il fallait être marchand ou juge pour jouir de la reconnaissance sociale (S. Boissellier, Naissance, p. 409).
119 Comme ce bayle seigneurial de la région d’Arles armé et reçu comme miles par les Templiers (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 180).
120 P. Ourliac, « Les sauvetés de Comminges », p. 71.
121 Les bayles durent ainsi rendre compte de leur gestion, prêter hommage et furent attachés à leur tenure : P. Benito i Monclús, « Agents du pouvoir ».
122 On a appris, notamment, à se méfier de ces donations d’hommes avec leurs biens, très courantes dans la documentation méridionale des ordres militaires, tandis que le sens de l’hommage servile a été complètement revu : M. Mousnier, « Jeux de mains ».
123 P. H. Freedman, « Military Orders and Peasant Servitude », pp. 102-105 ; L. Verdon, La terre et les hommes, pp. 172-173 ; M. Mousnier, « Jeux de mains », pp. 38-39 ; et D. Carraz, L’ordre du Temple, pp. 367-368.
124 S. Boissellier, Naissance, pp. 409-410.
125 G. O’Malley, The Knights Hospitaller, pp. 105-106.
126 On ne discutera pas de la nature de ces liens auxquels l’historiographie espagnole confère une dimension vassalique de façon un peu trop systématique, par exemple E. Rodriguez-Picavea Matilla, « Caballería y nobleza », pp. 522-523.
127 Pour certains prieurs, l’auteur a identifié plus d’une quarantaine de clients : P. M. de Carvalho Pinto Costa, A ordem militar do Hospital, pp. 241-318.
128 Ainsi que l’a noté Ph. Josserand, Église et pouvoir, p. 415, qui livre tout de même quelques exemples de criados pour le XIVe siècle. Il ne fait pas de doute que dans les grandes places économiques, des serviteurs de haute volée étaient recrutés dans les cercles les plus influents. Le cas de Dragonetto Clavelli, receveur et procureur du maître de l’Hôpital à Rhodes de 1382 à 1415, est à ce titre éclairant puisque la position acquise au service de l’Hôpital permit à ce financier de devenir un « quasi-seigneur » de l’île : J. Sarnowsky, « Dragonetto Clavelli », p. 308.
129 Seuls quelques noms de médecins nous sont parvenus : F.-O. Touati, « Médecine », pp. 598-599. Pour les XIVe et XVe siècles rhodiens, on a tout de même quelques exemples de ces spécialistes devenus hommes de confiance du grand-maître de l’Hôpital : A. Luttrell, « Fourteenth-Century Hospitaller Lawyers », pp. 451-452.
130 Comme le fameux « Templier de Tyr », scribe et traducteur au service du Temple d’Acre, qui entra ainsi dans l’intimité du grand-maître Guillaume de Beaujeu (L. Minervini, « Les Gestes des Chiprois », pp. 316-317).
131 Par exemple, A. Luttrell, The Town of Rhodes, pp. 148-151.
132 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 372.
133 J. Brundage, « The Lawyers », p. 354.
134 K. Toomaspoeg, Les Teutoniques en Sicile, pp. 140-155 et 258-259.
135 M. Gervers et N. Hamonic, « Scribes and Notaries » ; et S. Gomes, « Observações ».
136 J. Burgtorf, The Central Convent, pp. 378-382.
137 Sur les avantages retirés, par les ordres militaires, de leurs liens intrinsèques avec l’aristocratie, voir par exemple : Ph. Josserand, Église et pouvoir, pp. 419-426.
138 V. Tabbagh, Gens d’Église, p. 95.
139 A. Barbero, L’aristocrazia, p. 207.
140 Les thèses de A.-R. Carcenac, Les Templiers du Larzac, et de L. Verdon, La terre et les hommes, sont par exemple représentatives du premier cas de figure. La seconde situation a longtemps caractérisé l’historiographie des ordres militaires considérés « comme une sorte d’en-soi, étudiés pour eux-mêmes, pour ainsi dire en marge de leur environnement » (Ph. Josserand, « Les ordres militaires dans les royaumes », p. 40).
141 Pour l’analyse d’une société de frontière liée à un ordre militaire à l’époque moderne : A. Brogini, Malte.
Auteur
Université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand 2
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