Valeur des choses et inscription de l’expertise dans les enquêtes de réparation de Louis IX (1247-1270)
p. 185-202
Texte intégral
1La question des rapports entretenus entre l’enquête et l’expertise est revenue à de nombreuses reprises dans le cadre du programme Expertise et valeur des choses. Certaines enquêtes requièrent en effet l’intervention d’experts et, plus généralement, l’expertise et l’enquête procèdent d’une même volonté de lever les incertitudes pesant sur un objet, en recueillant pour l’une des avis informés et pour l’autre, la parole jurée de témoins. Toutes les enquêtes ne visent cependant pas à établir la valeur des choses, ce qui rend l’exemple des enquêtes de réparation de Louis IX particulièrement fécond.
2En 1247, avant son premier départ à la croisade, et jusqu’à sa mort, en 1270, Louis IX ordonna de vastes enquêtes destinées à réparer les exactions commises par son administration, celle de ses prédécesseurs et celle de ses agents1. Étendues à l’ensemble du royaume de France, ces investigations devaient permettre de restituer un ensemble de sommes injustement perçues par les officiers (amendes contestables, dettes ou services non honorés, frais liés à des emprisonnements arbitraires, extorsions, etc.). Elles devaient aussi indemniser ceux dont les biens mobiliers ou immobiliers auraient été saisis ou détruits injustement par le roi dans des phases de conquête militaire, comme en Normandie2, lors de guerres, comme en Artois3, ou de lutte contre le faidiment ou l’hérésie, comme en Languedoc4. Une partie d’entre elles, enfin, étaient dirigées vers la restitution des intérêts usuraires prélevés par les créanciers juifs5.
3 La volonté de promouvoir la justice royale dans des terres parfois récemment conquises, et plus immédiatement, celle de pacifier le royaume de France avant le départ du roi à la croisade sont évidentes. L’extension de l’enquête aux fautes commises par le roi et par ses prédécesseurs eux-mêmes – directement ou indirectement par le biais de leurs officiers – signale également une forte visée pénitentielle. Ordonnées au nom du salut du roi, ces enquêtes sont en effet clairement présentées par Louis IX comme un moyen de racheter son âme, comme l’indiquent les directives qu’il remet à ses enquêteurs : saluti anime nostre providere volentes6. Mesures de gouvernement, ces investigations relèvent aussi de l’économie du salut et de la « comptabilité de l’au-delà7 » : elles puisent leur origine dans la théorie ecclésiale de restitution des biens mal acquis8. À compter du xiiie siècle en effet, la restitution des male ablata devient un préalable obligatoire à toute absolution. Exigée lors de la confession, la réparation s’inscrit dès lors dans les sermons, dans la pratique testamentaire des usuriers, des Grands et des croisés et – à partir de Louis IX – dans de vastes tournées d’enquêtes générales9. La chrétienté tout entière est animée par la « passion de restituer », pour reprendre l’expression de G. Todeschini10.
4Les enquêtes de réparation répondent ainsi à une double logique de transaction politique et pénitentielle : elles inscrivent le roi et ses sujets dans la perspective du salut, mais d’un salut qui repose sur des mécanismes d’échanges et de transactions dans lesquels le chiffre tient une place inédite. Pour fonctionner, ces conversions à vaste échelle nécessitent une activité d’évaluation et d’expertise à laquelle nous consacrerons les développements qui suivent. Nous en décrirons ainsi les acteurs et les mécanismes avant d’en aborder l’inscription.
Expertise et valeur des choses dans les enquêtes de réparation de Louis IX
Les enquêteurs-réparateurs, « figures d’experts » ?
5La forte charge théologique des enquêtes de réparation se retrouve dans le personnel commis par le roi de France à ces missions. Les enquêteurs-réparateurs sont tous des ecclésiastiques, qui partagent le fait d’être des spécialistes du salut, mais dont les compétences dépassent la seule sphère religieuse pour épouser celle de leur mission d’expertise économique et juridique.
6La prosopographie de la cinquantaine d’individus dont les noms nous sont parvenus montre que les émissaires royaux sont choisis à part presque égale entre des séculiers et des frères mendiants11. Les premiers sont choisis pour leur formation juridique et leur connaissance parfois intime des intérêts royaux, à l’instar de Gui Foucois, qui fut, bien avant de devenir pape, l’un des agents les plus actifs de la royauté capétienne12. Il revient principalement aux séculiers de déterminer si les revendications des déposants sont fondées en droit, en suivant les règles du procès civil. En leur sein, on notera que l’on trouve deux des exécuteurs testamentaires de Louis IX, qui poursuivent après la mort du roi leur mission de réparation des exactions royales dans le cadre de démarches plus restreintes et liées à son testament de février 1270 (n. st.)13.
7Les frères mendiants leur sont sans doute associés pour leur image de probité et pour leur aptitude à attirer les foules par leur maîtrise de la prédication. Employés par Louis IX, les frères deviennent les « propagandistes de l’idée royale14 », chargés de promouvoir la bonne justice du roi de France. Leur activité de confesseurs les prédestine par ailleurs à maîtriser les conversions subtiles qu’exige la restitution des male ablata15. De plus, les recherches les plus récentes attestent que l’Église – Franciscains en tête – a défini les bases d’une économie chrétienne, en prise directe avec les réalités économiques de son temps16. G. Todeschini démontre ainsi que les réflexions menées par les Franciscains durant la seconde moitié du xiiie siècle sont en lien direct avec leur choix de vivre selon une pauvreté radicale17. L’interdiction de posséder quoi que ce soit pousse les frères à trouver des intermédiaires économiques dans le monde civil, mais surtout, à dissocier de la propriété la possession temporaire et l’usage des biens économiques, à mesurer la valeur des choses et partant, à comprendre les mécanismes de fixation des prix et les rouages du système économique tout entier. À compter du milieu du xiiie siècle, une image nouvelle de l’ordre se propage : « Le pauvre volontaire (est) dorénavant décrit comme un expert de la valeur des choses18 ». Or, on touche ici à l’essence même des enquêtes ordonnées par Louis IX, qui sont une opération d’évaluation de pertes matérielles, de conversion monétaire et de remise en circulation dans la société chrétienne de biens mal acquis. Il n’est donc pas étonnant de constater l’association des franciscains aux enquêtes, convoqués par le roi pour leur connaissance profonde de la vie économique de leur temps et pour leur expertise de la valeur des choses, de la même manière que le monarque utilise les dominicains, spécialistes de la prédication19.
8S’ils possèdent de solides compétences techniques pour procéder aux restitutions et aux indemnisations, les enquêteurs sont-ils pour autant des experts ? Leur revient-il, notamment, d’estimer la valeur des pertes subies par les sujets ? Pour répondre à ces questions, il convient d’identifier les mécanismes d’évaluation et d’expertise qui sous-tendent leurs restitutions.
Les enquêtes de réparation, l’expertise vernaculaire et le recours à de véritables « experts »
9Comme des exécuteurs testamentaires chargés de solder les dettes et de réparer les exactions d’un défunt, les enquêteurs du roi ont l’immense responsabilité de racheter l’âme du roi en rendant aux déposants sommes, revenus et terres confisqués injustement20. Comme des confesseurs imposant la restitution des biens mal acquis au pénitent, ils doivent fixer le juste prix permettant l’absolution des fautes. Les émissaires royaux doivent aussi tenir compte des intérêts du roi : si leurs décisions doivent être prises inspecta anime regis21, leurs sentences n’ont de cesse de répéter que les restitutions ont été faites salvo tamen jure proprietatis domino regi22. Les quelques sources permettant d’approcher concrètement le mécanisme des restitutions royales semblent suggérer qu’il se situe à mi-chemin entre le pragmatisme de l’exécution testamentaire, qui assigne une « cagnotte » aux restitutions23, et les subtiles réflexions casuistiques des théoriciens de la restitution des male ablata, voulant que selon la nature du bien mal acquis, on applique une justice géométrique ou distributive, dépendant de critères spatio-temporels et individuels24.
La restitution des usures juives
10La restitution des usures juives trouve une double justification, en lien direct avec la théorie de restitution des male ablata. Les différentes saisies générales des biens des créanciers juifs ont rendu le roi coupable d’un recel d’autant plus peccamineux qu’ils proviennent d’une activité usuraire condamnée par l’Église et par le roi de France en personne25. Dans le cas des usuriers juifs, la responsabilité directe du roi est d’autant plus engagée que la dépendance juridique dans laquelle les « juifs du roi » étaient maintenus les plaçait dans une situation voisine de celle du servage26. Ob conscientiae scrupulum evitandum27, le roi décide donc de restituer à ces sujets les intérêts prélèvés par les usuriers juifs en convertissant ainsi in usos pios28 les sommes tirées des spoliations des juifs.
11Dans le cas de la restitution des usures juives le mode opératoire, fixé par le roi en personne, nous est parvenu au travers du formulaire de 1268-1269, assignant aux enquêteurs un cadre d’intervention précis29. Les demandes de réparation n’excédant pas la somme de cent sous seront traitées directement par les enquêteurs, le roi se réservant, comme souvent, le soin de trancher les affaires importantes. « Selon les situations personnelles, on ne pouvait demander davantage que dix, cinquante ou tout au plus cent sous30 ». Les restitutions sont en quelque sorte tarifées, comme dans le système décrit par Beaumanoir pour les exécutions testamentaires :
Une fois établi le total du passif, on le compare au montant de l’actif. En cas d’insuffisance de cet actif, on fait subir aux divers créanciers une réduction proportionnelle, puis on remet à chacun ce à quoi il a droit, en respectant les ordres du testateur s’il a désigné les biens qui devaient de préférence être affectés à cet usage31.
12Ici, les restitutions sont soumises à une péréquation tenant doublement compte de l’actif des biens saisis aux juifs et du passif des usures dénoncées par le déposant. Cependant, les captiones « ne constituai[ent] pas un fonds commun indifférencié32 » comme l’atteste, dans le formulaire, la clause restrictive selon laquelle on ne peut pas restituer « des usures extorquées par un juif à l’aide de biens saisis sur un autre juif33 ». Les intérêts perçus par un juif et restitués par le roi ne pouvant excéder le montant total des biens saisis à l’usurier, des péréquations étaient parfois nécessaires entre les déposants. La « comptabilité de l’au-delà » était donc à l’origine, ici-bas, de véritables opérations comptables, dont les enquêteurs avaient la charge. Ils laissèrent pourtant l’estimation proprement dite des dommages subis par les requérants à d’autres, aux déposants dans le cas des usures juives et dans les affaires incriminant les officiers, et à de véritables experts dans les affaires accusant le roi.
La restitution des biens mal acquis par les officiers : le primat de l’expertise vernaculaire
13En l’absence de formulaire, le mécanisme des restitutions imposées à l’administration royale ne peut malheureusement être abordé que de manière indirecte, à partir des quelques sources faisant état des sentences des enquêteurs, notamment.
14Dans les affaires incriminant les officiers, la tâche des enquêteurs est simplifiée ; il leur suffit de trancher le litige et d’ordonner aux agents royaux de rendre au déposant le produit de leur saisie, dès lors que celui-ci n’a pas été reversé au roi de France, inter expleta regis34. La fixation des montants à restituer ne revient pas aux émissaires royaux mais résulte de l’affrontement des parties, qu’ils doivent trancher. Certes, quand l’argent saisi provient d’une amende, les enquêteurs vérifient que le montant perçu est conforme à la législation coutumière et royale : s’ils donnent par exemple raison au prévôt d’Amiens, Bernard l’Escalier, d’avoir imposé une amende à deux plaignants, ils l’enjoignent de rendre le trop-perçu par rapport à l’amende coutumière35. Dans les autres cas, leur expertise personnelle apparaît comme particulièrement limitée et se réduit à une activité de médiation entre les parties. Quand il s’agit d’objets saisis, matelas, couvertures, habits, setiers d’avoine, etc., c’est au requérant de fixer la valeur des choses. L’expertise est « vernaculaire », pour reprendre l’expression forgée par D. Smail à partir des archives judiciaires de Lucques ou de Marseille36.
15Selon cet auteur, l’acuité de ces estimations ne doit pas être dénigrée : le plaignant a tout intérêt à donner au juge une valeur cohérente pour gagner son affaire. Cette capacité des hommes médiévaux à estimer la valeur des choses s’entend aisément dans une société où le crédit est endémique et occasionne la mise en gage fréquente d’objets variés, qui constituent une monnaie pratique extrêmement répandue. Pour fixer un juste prix, le requérant peut tantôt s’appuyer sur sa fréquentation des nombreux marchés d’occasion dans le cas d’objets saisis, tantôt sur le prix du marché alimentaire pour des saisies céréalières. Les variations du marché rendent néanmoins cette opération délicate, ce qui pousse les déposants à fournir le plus souvent des prix approximatifs, souvent arrondis. C’est bien ce que l’on semble observer dans les dépositions glanées lors des enquêtes de réparation : rares sont les montants précis.
16Il est également exceptionnel que les enquêteurs revoient à la hausse le montant fixé par le déposant, comme l’attestent les décisions consignées dans un sentencier picard de 1268-1269 : cela n’arrive qu’une fois37. Dans la grande majorité des cas, ils s’en tiennent à la somme réclamée par le déposant. Dans quelques affaires toutefois, la somme restituée est le fruit d’un compromis entre le plaignant, qui donne une estimation chiffrée du dommage subi, et l’officier, qui en dénonce le montant grâce à ses témoins : on en trouve trois exemples38. Le vocabulaire qui décrit l’action des enquêteurs est dans ces cas celui de la composition39. Le juste prix est alors un prix juste, équitable pour chacun. En somme et pour reprendre l’adage maoïste, « le peuple est son propre expert ».
L’intervention de véritables experts dans les restitutions royales
17Dans les affaires concernant le roi en propre, la démarche des enquêteurs est moins aisée. C’est à eux que revient la charge d’assurer la défense du roi et de fixer un prix de compromis qui ne lèse ni le déposant, ni le roi, tout en permettant le rachat de son âme. Les montants demandés par les parties étaient plus volontiers revus à la baisse lors des restitutions royales40. Les enquêteurs ont donc généralement contesté les sommes exigées par les déposants, en proposant, face à l’expertise vernaculaire, une contre-expertise. Afin d’indexer correctement le prix du salut du roi sur la valeur des choses – tout en respectant les intérêts royaux – ils semblent souvent s’être entourés d’experts au sens strict41.
18Un seul document permet véritablement de les voir intervenir et de montrer la complexité de l’opération de restitution des male ablata, « dynamique et non statique »42. Cette charte du 20 septembre 1255, qui reproduit cent huit demandes individuelles d’indemnisation, frappe tout d’abord par son grand format et par son organisation sous forme de liste, en deux colonnes43. Scellée du sceau des quatre enquêteurs royaux, elle est soigneusement organisée par ces derniers en fonction des thèmes, des localités, mais aussi des solutions qu’ils ont retenues dans chaque cas de figure.
19Face aux hommes de Sommières, dont les maisons furent occupées et partiellement détruites par les curiales domini regis, et qui – pour certains – ont déjà reçu des compensations, voici comment ils procèdent : sous serment, les déposants fixent la valeur de leur maison, celle des restitutions qui seraient intervenues, ainsi que celle des matériaux de construction qu’ils ont employés à la réfection de leur habitation. Ces informations sont vérifiées par des viros providos et fideles, sur la foi desquels les enquêteurs procèdent à des restitutions variant d’un individu à l’autre44. Ils en donnent la liste. Ils introduisent enfin une clause restrictive d’ordre personnel : la réparation dépendant au premier chef des déclarations sous serment des déposants, si la sénilité venait à en troubler la valeur, il faudrait alors rechercher la vérité par le serment de deux ou trois de leurs proches45.
20Ce mode opératoire scrupuleux change sensiblement quand on en vient à statuer sur l’abattage massif d’arbres pour la construction du port d’Aigues-Mortes. Les émissaires isolent tout d’abord les prétentions des habitants de Sommières et de Sauve, dont la satisfaction exige un traitement spécifique. Face à la liste des arbres que chacun d’entre eux réclame, on est surpris de ne trouver aucune évaluation monétaire : les enquêteurs confessent qu’ils ont reçu les serments des déposants, procédé à l’enquête per testes aliquos, mais qu’ils n’ont pu en établir la valeur, quoniam ad plenum de valore arborum incisarum nobis constare non potuit46. Leur indécision vient d’une difficulté technique, celle de déterminer la valeur des arbres coupés, qui dépend de leur nombre et de leur espèce – systématiquement précisés par les enquêteurs – mais également et peut-être surtout, de leur âge et de leur qualité que les enquêteurs ne sont pas parvenus à faire établir. Les émissaires royaux préfèrent donc allouer une somme globale de deux cents livres à répartir entre les déposants. Cette mission est confiée au doyen de Saint-Gilles et aux prêtres de Sommières et de Brouzet qui connaissent bien leurs ouailles. Une lettre du sénéchal Guillaume d’Auton, datée du 1er avril 1256, atteste la réception et la transmission à ces personnages de neuf sacs scellés contenant les 200 livres promises47. Les plaignants de Psalmody reçoivent un traitement différent. Ils réclament 390 livres pour une pinède de 5 000 arbres, pour laquelle ils ont déjà reçu du roi 110 livres de compensation. Les enquêteurs sont en mesure ici de convoquer de véritables experts, les bûcherons et les deux maîtres employés alors sur le chantier royal48. Ils décident d’allouer 104 livres et 5 sous à diviser entre les déposants en fonction de la taille de la parcelle possédée dans la pinède. L’infériorité de la somme obtenue sur la somme réclamée montre que les intérêts du roi ont été clairement ménagés ici. À Saint-Saturnin et à Saint-Paulet, enfin, c’est sur la foi d’une enquête menée par Eudes de Villard du temps où il était sénéchal de Beaucaire49, que les enquêteurs dédommagent ceux dont les arbres ont été coupés, secundum quod nobis aequum et justum visum fuit50. Le prieur de Bagnols et Raimond Félice, notaire du roi, qui connaissent les faits et surtout le « mérite des personnes51 » sont chargés d’acquitter aux requérants les sommes qu’ils ont obtenues des enquêteurs.
21Si ce document dévoile de manière exceptionnelle la minutie avec laquelle les enquêteurs ont fait expertiser la valeur des biens réclamés par les requérants, ainsi que le sérieux de leurs évaluations, il laisse supposer en revanche que les enquêteurs n’ont pas jugé bon de faire mettre par écrit les avis informés qu’ils avaient requis de l’extérieur. Certes, à Saint-Saturnin et à Saint-Paulet, ils fondent leur décision sur une preuve écrite, mais ils reprennent une enquête antérieure : l’expertise des bucherons royaux, quant à elle, semble être restée orale à moins que son inscription ne nous soit pas parvenue. Quelle inscription reçut l’expertise ? Quelles phases de l’enquête de réparation furent-elles mises par écrit et quelles sont celles qui ont été conservées ?
Inscrire l’expertise ? le recours à l’écrit dans les enquêtes de réparation
22Il est possible de démontrer, à partir de la documentation restante, que la procédure suivie par les enquêteurs suivait les règles du procès civil. Celui-ci s’ouvre par la remise d’une plainte écrite contre un officier – la petitio –, se poursuit par la confrontation des deux parties – la litis contestatio – et, si aucun accord n’est trouvé, par le déclenchement d’une enquête proprement dite, c’est-à-dire par l’interrogatoire des témoins fournis par les deux parties en présence. Ces derniers sont interrogés selon des questionnaires qu’elles composent : articles quand il s’agit des témoins à charge, interrogatoria ou contre-interrogatoire quand il s’agit des témoins à décharge. Les enquêteurs rendent ensuite leur sentence qu’ils chargent les officiers royaux de faire exécuter.
23Théoriquement, le droit civil de l’époque exigeait que l’ensemble de ces étapes soient mises par écrit : de véritables dossiers documentaires durent donc être constitués pour chaque cas exposé devant les enquêteurs royaux. Si l’on considère qu’environ dix mille plaintes et réponses sont parvenues jusqu’à nous – soit autant de litiges à trancher – la documentation engendrée par les enquêtes de réparation de Louis IX devait être considérable. Il ne nous en reste malheureusement aujourd’hui que des fragments : de la procédure dans son ensemble, on conserve avant tout la trace de l’audition des requérants (plusieurs milliers de plaintes sont conservées) mais rarement celle de leur examen. Le résultat même des investigations menées par les enquêteurs nous échappe dans la majorité des cas : seuls quelques recueils de sentences ont été conservés (fig. 1).
L’inscription de l’expertise vernaculaire : la rédaction des petitiones
24La première mission qui incombe aux enquêteurs est précisément de recueillir, selon les instructions royales, les réclamations des requérants par écrit52 : il s’agit des petitiones, qui contiennent l’estimation chiffrée des pertes subies par les déposants. Selon les traditions notariales de chaque espace considéré, mais sans doute aussi selon la plus ou moins grande litteracy des différentes populations rencontrées, leur inscription diffère.
25En Languedoc, tout commence par la rédaction de cédules individuelles, remises par les déposants eux-mêmes ou rédigées par les notaires publics qu’ils emploient (fig. 2). Ces petites pièces de parchemin ou de papier sont ensuite généralement rassemblées dans des formes synthétiques par ceux auxquels la réception des plaintes a été sous-traitée, sur des rouleaux – comme à Alais – ou dans des registres – comme à Béziers, à Nîmes et à Beaucaire53. Ces registres deviennent alors pour les enquêteurs le support de leur mission d’expertise juridique : ils y insèrent, au gré de leurs assises et de manière souvent aléatoire, les témoignages afférents aux plaintes, voire quelques sentences.
26En Touraine, l’enregistrement des plaintes est beaucoup plus standardisé. Les dépositions sont directement enregistrées et synthétisées par les scribes sur des rouleaux, recopiés dans un registre dont les enquêteurs se servent lors de l’instruction des plaintes54. Dans les marges du codex ainsi constitué, les enquêteurs retranscrivent des éléments de procédure face aux cas qu’ils ont jugé bon de trancher : citation à comparaître de l’officier, mode de preuve envisagé, éléments de défense des parties, sentences… Ces notes marginales sont la seule trace que nous conservons ici du travail d’expertise juridique des dépositions et des preuves soumises aux enquêteurs royaux (fig. 3).
27En Picardie, les enquêteurs recourent généralement à des cahiers libres de parchemin pour consigner la plainte des déposants55. Ces cahiers sont généralement constitués par les scribes royaux au fur et à mesure de la progression des enquêteurs, qui s’en servent pour convoquer les officiers incriminés, ainsi que leurs marges l’indiquent (fig. 4).
28Les enquêteurs font retranscrire sur d’autres cahiers de parchemin les témoignages apportés pour ou contre l’officier incriminé : les dicta des témoins sont changés en scripta, les dépositions devenant attestationes‚ preuve écrite56. Nous ne conservons malheureusement qu’une source de ce type : les témoignages à charge et à décharge contre Gautier, châtelain de Laon57.
L’expertise juridique des affaires soumises aux enquêteurs
29Comme les enquêteurs laissent aux déposants le soin d’évaluer le montant des réparations, les grandes lignes de l’interrogatoire des témoins sont largement abandonnées aux parties par la production de listes de questions soumises à leurs témoins (articuli) et à ceux de leur adversaire (interrogatoria). Ces propositions n’ont rien de facultatif et encadrent strictement le travail d’expertise juridique des enquêteurs.
30Sur les milliers de cas soulevés devant les enquêteurs, on ne conserve aujourd’hui qu’une seule liste d’interrogatoria – couchée sur une pièce de papier qui fut probablement glissée dans le registre parvenu jusqu’à nous – et sur laquelle il convient de s’arrêter un instant pour comprendre comment l’examen des témoins était conduit58. Le contre-interrogatoire y est construit, comme à l’accoutumée, en deux temps principaux. Le premier entend apporter des précisions sur le mode de connaissance de la vérité (« Queratis a testibus quos Riquelmus intendit producere contra Petrum Siffredum […] qualiter sciunt veritatem ») et des précisions sur les faits (« et ubi‚ et quando‚ et coram quibus‚ et cui‚ et a quo‚ et quibus verbis fuerunt illa facta vel dicta »). Elles correspondent, pour ces dernières, aux trois questions rituelles de loco, de tempore, de praesentibus. On les retrouve d’ailleurs fidèlement énoncées dans l’enquête contre Gautier, châtelain de Laon59. Le deuxième temps est consacré aux questions ad testes redarguendos‚ par lesquelles l’examinateur demande à l’intervenant d’avouer les éventuelles carences qui pourraient lui porter préjudice en tant que témoin. Ici, les enquêteurs sont enjoints de prêter attention aux motivations des témoins60, aux relations amicales ou au contraire conflictuelles qu’ils entretiennent avec le défendeur61, et plus généralement à leur honorabilité : ont-ils déjà été excommuniés ? Ont-il été condamnés ou parjures ? Sont-ils riches ou pauvres62 ? Cette liste de questions se clôt enfin par le célèbre principe énoncé par l’empereur Hadrien, voulant que les juges peuvent mieux savoir que le législateur la foi qu’il faut ajouter aux témoins : « Tu magis scire potes quanta fides sit adhibenda testibus ». La généralité des questions est caractéristique des interrogatoria, même s’ils peuvent intégrer des questions plus spécifiques, se rapportant aux articles du producteur, ce qui est le cas ici63.
31Les traces documentaires des articles remis par les parties à leurs propres témoins sont plus ténues encore et, qui plus est, indirectes. Un témoignage ouvert par le terme requisitus signale en théorie une question provenant des articles, quand la formule interrogatus est réservée aux interrogatoria. Dans l’enquête contre le châtelain de Laon, le témoin est systématiquement présenté comme requisitus sur chaque point soumis à sa confirmation. Les recherches d’Y. Mausen incitent cependant à ne pas radicaliser cette opposition : l’utilisation de requisitus ou d’interrogatus provient le plus souvent d’habitudes de rédaction des notaires64. Ces adjectifs attestent néanmoins la production systématique de listes de prescriptions par les parties, tout comme la formule conclusive de aliis nichil scit, relevée à plusieurs reprises dans la source65.
32L’interrogatoire des témoins, et partant, l’expertise juridique de chaque cas, durent ainsi générer une masse documentaire assez considérable mais qui a largement disparu aujourd’hui, si tant est, bien sûr, qu’on est toujours eu recours à la preuve testimoniale.
La nécessité du recours à l’écrit ? Preuves testimoniales et preuves formalistes
33La mauvaise conservation des listes d’articles, et plus largement, des témoignages que les enquêteurs avaient la mission de vérifier provient tout d’abord du caractère aléatoire du versement des pièces de procédure aux archives royales. Le parcours archivistique de chacune d’entre elles démontre que ces documents se sont échoués tardivement, et par hasard, dans les dépôts d’archives centraux, et qu’ils n’étaient pas destinés à remonter vers le pouvoir royal66. La nature de la documentation explique également cet état de fait : nous conservons une masse hétéroclite de documents de travail, raturés, repris au gré de la procédure et rédigés lors de phases distinctes de celle-ci. Les sources conservées étaient destinées à faciliter le travail du juge, et non à conserver la mémoire des procédures comme pièces justificatives ou à informer le souverain sur l’état de son royaume et de son administration, d’où l’étiage documentaire que l’on observe aujourd’hui.
34Les trous observables dans la documentation tiennent également à la procédure elle-même : les enquêteurs avaient reçu du roi l’autorisation de recourir à une procédure simplifiée comme les adverbes simpliciter et de plano, utilisés dans une lettre de commission de 1247, le suggèrent67. Le système de preuves admet ainsi des allègements, comme l’acceptation du serment décisoire de la partie et des témoins, qui dispense les acteurs du procès de produire des témoins et épargne une procédure coûteuse en temps et en écrit68. La procédure mêle donc encore étroitement les preuves dites irrationnelles ou formalistes – comme le serment probatoire – et les preuves rationnelles, écrites. La recension de toutes les sentences rendues par les enquêteurs en Touraine, Poitou et Saintonge permet de donner une évaluation chiffrée de ce cas de figure, à condition de garder à l’esprit un certain nombre de précautions69. D’après le registre, cent cinquante-deux officiers ont été incriminés, mais nous ne conservons de traces de décisions d’enquêteurs que pour quinze d’entre eux. Sur un total de 1 963 dépositions, 336 ont ainsi reçu un traitement par les enquêteurs, soit 17 %. Or, parmi elles, on trouve 53 contentieux réglés par un serment déféré, soit environ 16 % des litiges tranchés. Le type de preuve mobilisée n’étant pas systématiquement précisé, on ne peut cependant prendre ce chiffre que comme un minimum.
35Le recours parfois limité à l’écrit des enquêteurs provient aussi du fait que dans un certain nombre de cas, les parties ne sont pas allées jusqu’à la litis contestatio : l’officier peut reconnaître directement les faits qui lui sont reprochés, ouvrant la voie à une compensation financière immédiate et probablement concertée. L’aveu rend inutile toute preuve supplémentaire de la part du demandeur, de même que le notoire de fait et la présomption légale70. En Touraine, on compte 83 reconnaissances de leur faute par des officiers, soit près de 25 % des affaires jugées71. Entre les cas réglés par le serment décisoire et ceux-ci, au moins 41 % des affaires ne nécessitèrent aucun recours à la preuve testimoniale, plus délicate à manier et dont la mise par écrit était systématique.
36Enfin, la procédure simplifiée ne semble pas laisser la place à une quelconque contestation de la décision des enquêteurs, ni même à un temps véritable de reproche des témoins. Ce temps de l’action, véritable procès dans le procès – puisqu’il s’agit pour les parties d’examiner la fiabilité des témoins produits par le camp adverse – n’apparaît pas ici. La procédure simplifiée, autorisant les enquêteurs à ne livrer qu’une « publication plus ou moins complète (des) témoignages72 », permit sans doute aux enquêteurs de limiter au maximum le temps des reproches, ou de le rejeter au moment de la production des témoins, limitant une nouvelle fois la production d’écrits. Comme les enquêteurs faisaient intervenir des experts au sens strict dans les affaires incriminant le roi, il semble que ses défenseurs pouvaient néanmoins s’entourer de précautions supplémentaires, en prenant certaines mesures dilatoires. Nous en conservons la trace écrite dans un codex contenant les exceptiones que Barthélémy de Pennautier, procureur du roi, fut chargé de collecter en sa faveur dans la sénéchaussée de Carcassonne, vers 1258. Le document est d’une grande richesse : il consigne la remise en cause par cinq témoins des plaintes portées contre le roi par cinq cents individus, au motif de leur hérésie ou de leur faidiment73. Choisis parmi la communauté et pour leur connaissance intime de celle-ci, ces cinq personnages doivent-ils être considérés comme des délateurs ou comme des probi homines, des experts ? Selon le point de vue épousé, la réponse varie.
37Sommaire, la procédure suivie par les enquêteurs-réparateurs n’est donc en aucun cas expéditive. Il semble toutefois que les aménagements de procédure et la réalité des investigations dispensèrent souvent les enquêteurs du lourd travail d’écriture qu’exigeait leur mission d’expertise.
38Pour conclure, les enquêtes de réparation entreprises par Louis IX à partir de 1247 nous sont bel et bien apparues comme de vastes procédures destinées à déterminer la valeur des choses, ici, les dommages subis de la part de son administration par les sujets du royaume de France. Évaluation et conversion monétaire sont les clés de voûte de ce gouvernement par la réparation, qui entend tout à la fois racheter le salut du roi et gagner un consentement minimal à sa domination. Si la mission des enquêteurs requiert une expertise juridique et économique de chaque plainte, son inscription n’est pas toujours observable de manière aisée. Dans les affaires incriminant les officiers ou les usuriers, qui relèvent en quelque sorte d’une expertise sans expert – l’expertise vernaculaire – les enquêteurs sont pris dans les rets de la procédure civile qui les oblige à mettre par écrit les différentes phases de la procédure, ou à en recevoir une trace écrite. Ils n’évaluent pas eux-mêmes la valeur des biens, laissée aux parties, et sont liés par leurs prescriptions écrites pour mener l’interrogatoire de leurs témoins. Néanmoins, les allègements de procédure permis par la procédure sommaire leur permettent parfois d’éviter un important travail d’écriture : ils rejettent par ce biais de nombreuses affaires ou en règlent d’autres par le biais de procédures laissant une large place à l’oralité, comme le serment probatoire, hérité du système de l’épreuve plus que de la preuve.
39Dans les affaires incriminant le roi, si le recours à des experts proprement dits est discernable, la documentation restante ne nous permet malheureusement pas de déterminer si une mise par écrit de leur avis intervenait. Paradoxalement, le résultat même des investigations ne semble pas avoir fait l’objet d’une conservation préférentielle.
40Mesures pénitentielles, les enquêtes de réparation étaient en effet une « pastorale politique74 », dont le but n’était pas de collecter, de communiquer et de conserver informations et avis informés, mais de réparer financièrement des exactions, pour sauver l’âme du roi et établir sa justice dans le royaume.
Notes de bas de page
1 L’étude qui suit se fonde sur les résultats de notre thèse de doctorat, consacrée à ces sources (Dejoux, 2014). Le corpus documentaire est celui que Leopold Delisle a délimité dans le t. XXIV du Recueil des historiens des Gaules et de la France (RHGF).
2 Querimoniae Normannorum, 1247, RHGF, XXIV, 1904, pp. 1-72 (Arch. Nat., J 781 n° 13 et 13 bis).
3 Querimoniae Atrebatensium‚ Morinensium et Tornacensium, 1247, RHGF, XXIV, pp. 252-259 (Arch. Nat., J 1028 n° 12a et b).
4 Exceptiones Carcassonensium querimoniis objectae, 1258, RHGF, XXIV, pp. 541-613 (BnF, Ms latin n° 11013) ; Sententiae a regiis nunciis in Carcassonensi senescallia, 1262, RHGF, XXIV, pp. 618- 695 (BnF, ms latin n° 5954 A et n° 6193).
5 De usuris Judaeorum‚ RHGF, XXIV, pp. 745-748 (BnF, N. acq. lat n° 471), Contra judeos‚ RHGF, XXIV, pp. 742-744 (n° 121 et suivants) et Jordan, 1979 (BnF, reg. lat. n° 15964 et n° 16471).
6 D’après une lettre de commission de 1268, RHGF, XXIV, pp. 7-8.
7 Sur l’économie du salut voir Le Goff, 1960 ; Id., 1981 ; Id., 1986 ; Id., 2010b ; sur la « comptabilité de l’au-delà », voir Chiffoleau, 1980.
8 Sur la théorie de la restitution des biens mal acquis, son développement et les pratiques qu’elle induit, voir Todeschini, 1994, pp. 133-185 ; Ceccarelli, 2005. L’École française de Rome a pour sa part lancé en 2008 une enquête sur les biens mal acquis, dirigée par J.-L. Gaulin et G. Todeschini. Elle s’est concrétisée en octobre 2011 par des journées d’étude consacrées plus particulièrement à la restitution des usures, dont on attend la parution.
9 Voir Dejoux, 2014, pp. 329-347.
10 Todeschini, 1994, p. 135.
11 Voir Dejoux, 2014, pp. 107-162.
12 Après avoir servi Alphonse de Poitiers comme clerc et jurisperitus, Gui Foucois est chargé à partir de 1254 de nombreuses missions par le roi de France (enquêtes, rédactions d’ordonnances, consultations…). Seule son élection sur le trône pontifical en février 1265 éloigne de la curia regis cet allié fidèle de la royauté capétienne. Sur Gui Foucois, voir Dossat, 1972 ; Bautier, 1983. Un cycle de journées d’études s’est tenu sur ce personnage à l’université de Lyon II en 2013 et en 2014.
13 Les restitutions opérées par les exécuteurs testamentaires de Louis IX sont attestées dans une pièce inédite, datée du 30 mars 1275 (Arch. Nat., J 160 n° 1, Senlis I). Le testament de Louis IX est édité dans les Layettes du Trésor des Chartes, t. IV, n° 5638, pp. 419-421.
14 L’expression est d’O. Guyotjeannin (Contamine, Guyotjeannin, Le Jan, 2002, p. 329).
15 Sur cette question voir par exemple, Ceccarelli, 2005, p. 19.
16 Voir par exemple, Denjean, 2010.
17 Todeschini, 2004.
18 Ibid., p. 116.
19 On note que les tournées employant des frères mendiants associent systématiquement un dominicain et un franciscain.
20 Sur la diffusion des clauses de réparation dans les testaments aristocratiques et princiers et sur les mécanismes de la restitution des biens mal acquis dans l’exécution testamentaire, voir Dejoux, 2014, pp. 329-347.
21 D’après une commission de 1268, RHGF, XXIV, pp. 7-8.
22 L’expression est récurrente dans les Sententiae languedociennes de 1262. Par exemple, RHGF, XXIV, n° 5, p. 625.
23 D’ordinaire, le testateur assigne une somme ou des biens spécifiques à la réparation de ses forfaits.
24 Selon Thomas d’Aquin, la restitution des biens mal acquis ne relève pas de la justice géométrique, mais de la justice distributive. Lorsque l’objet à restituer n’est pas réductible à quelque chose d’égal, il devient impossible de rendre strictement ce qui a été pris. Qu’il s’agisse d’une terre ou d’un capital, on doit notamment tenir compte du dommage engendré par l’immobilisation du bien ou de la somme pour la partie lésée, et mettre en œuvre une compensation monétaire idoine ; voir Todeschini, 1994, p. 150 et Ceccarelli, 2005, p. 13. Les théoriciens de la restitution des male ablata se posent ainsi la question de la valeur des choses, qui implique selon eux une activité d’expertise. Ils préconisent de confier celle-ci à des boni viri, de préférence choisis parmi les spécialistes du salut – les ecclésiastiques – et parmi eux les Mendiants, qui poussent le plus loin la réflexion dans ce domaine. Parmi les théoriciens mendiants de la restitution, on peut citer Thomas d’Aquin, Alexandre de Hales, Pierre Jean de Olivi, Alexandre d’Alexandrie et Guiral Ot.
25 Le 29 septembre 1235, Louis IX interdit le commerce de l’argent aux juifs normands ; voir Shatzmiller, 2000, pp. 91-92). Ces derniers sont enjoints de se nourrir du travail de leurs mains. Les difficultés d’application d’une telle ordonnance, mais également les bénéfices symboliques qu’il tire de cette posture politique tant auprès de l’Église que des masses populaires, poussent le souverain à réitérer cette interdiction en Languedoc en 1246 (HGL, VIII, col. 1192, §V, Doat 153, f° 248v°, n° 22) et à l’élargir à tout son royaume dans la grande ordonnance de 1254.
26 Langmuir, 1980.
27 Selon la formule consacrée par le roi en personne dans une lettre qu’il envoya aux évêques de France en 1259 (Arch. Nat., J 367 n° 1).
28 Ibid.
29 Dupuy 532, f° 88r°-90v°, édité et commenté dans Dejoux, 2012, pp. 393-397 et 742-744.
30 Shatzmiller, 2000, p. 87.
31 Auffroy, L’évolution du testament en France des origines au xiiie siècle, pp. 583-584.
32 Shatzmiller, 2000, p. 87.
33 Dupuy 532, f° 88r°-90v°.
34 Depuis l’ordonnance de 1190, les baillis ont l’obligation d’enregistrer les amendes judiciaires – forefacta ou expleta – reçues lors de leurs assises mensuelles. Lors de l’enquête, si l’officier parvient à démontrer qu’il a reversé la somme réclamée « parmi les exploits du roi », la dette contractée à l’égard du sujet est transférée au roi, comme l’indique le verbe convertere, utilisé par les enquêteurs picards en 1269 : « […] condempnavimus ad redendum […] X solidos de pecunia regis‚ si possit ostendere quod illi X [solidi] conversi fuerunt in explectis regis » (RHGF, XXIV, n° 72, p. 715).
35 RHGF, XXIV, n° 5, pp. 705-706.
36 Voir ici Smail, « Mesurer la valeur à Marseille et Lucques à la fin du Moyen Âge », pp. 295-314.
37 RHGF, XXIV, n° 8, p. 707.
38 RHGF, XXIV, n° 3, p. 705 ; n° 17, pp. 707-708 ; n° 26, p. 710. Le registre enregistre en tout quarante-sept cas de composition, mais comme nous considérons ici la fixation du prix de la restitution, nous n’avons retenu que les trois affaires dans lesquelles la somme réclamée et la somme rendue étaient exprimées en argent. De fait, le déposant déplore parfois une perte en nature, restituée en argent. Parfois, c’est l’inverse (RHGF, XXIV, n° 27, p. 710), ce qui rend difficile l’estimation chiffrée du préjudice. On trouve aussi d’autres décisions présentées comme des compositiones pour lesquelles on ne dispose pas du détail des transactions. Le registre consigne par exemple le compromis intervenu entre Gautier de la Vieille Ville et Robert de Toutencourt, mais sans en donner le contenu exact (RHGF, XXIV, n° 31, p. 710).
39 Dans le registre picard, les enquêteurs trient leurs sentences en trois catégories : les absoluciones, les condempnationes et les composiciones (RHGF, XXIV, pp. 704-728).
40 Voir Dejoux, 2014, pp. 308-328.
41 Selon la définition de l’expert donnée par Mausen, 2007.
42 Ceccarelli, 2005, p. 13.
43 Arch. Nat., J 473 n° 13. Son édition rend mal compte de cette présentation atypique (RHGF, XXIV, n° II, pp. 532-535).
44 « Nos vero‚ a singulis conquerentibus juramento recepto‚ tam super valore propriarum domorum quam super emenda quam habuerant et super valore materiae sive ruderum quae ad eos pervenerant‚ inquisivimus nichilominus de praedictis per viros providos et fideles » (RHGF, XXIV, p. 532).
45 « Si vero sunt aliqui de praeditis‚ quorum juramentis credi jussimus super habitis de materia vel emenda‚ qui propter imbecillitatem aetatis vel jurare vel veritatem scire nequiverint‚ inquiratur veritas per duos vel tres de propinquis juratos et eis statur » (RHGF, XXIV, p. 533).
46 RHGF, XXIV, p. 534.
47 RHGF, XXIV, n° IV, p. 536.
48 « Nos vero‚ super hoc veritate plenius inquisita per incisores arborum et per magistrum Florentium et magistrum Ricardum‚ qui dictis operibus et solucionibus operariorum tunc praeerant » (RHGF, XXIV, p. 534).
49 « Nos vero‚ inspecta inquisitione super hoc facta‚ de mandato Odardi de Villaribus‚ quondam senescalli Bellicadri et Nemausi » (RHGF, XXIV, p. 534).
50 Ibid.
51 « Qui factum novit et merita personnarum » (RHGF, XXIV, p. 535).
52 D’après la lettre de commission de janvier 1247 : « […] ad audiendum et redigendum in scriptis et ad inquirendum secundum formam sibi a nobis traditam de querimoniis‚ si quas habent aliqui contra nos‚ ex quacunque racionabili‚ vel racione nostri vel antecessorum nostrorum ; insuper et ad audiendum et scribendum et ad inquirendum simpliciter et de plano de injuriis et exactionibus‚ serviciis indebite receptis ceterisque gravaminibus‚ si qui facta sunt aliquibus sive illata per ballivos nostros‚ prepositos‚ forestarios‚ servientes vel familias eorumdem » (RHGF, XXIV, pp. 7-8).
53 Dejoux, 2010, pp. 148-151.
54 Arch. Nat., JJ 274. Un rouleau imparfaitement recopié par le scribe a été cousu dans le registre, nous donnant la preuve de ces deux étapes successives d’écriture.
55 Arch. Nat., J 770 n° 1 ; J 812 n° 3 ; J 812 n° 4 ; J 1032 n° 9bis.
56 Mausen, 2006, p. 350.
57 Inquisitio de Gontero‚ Laudunensi castellano, RHGF, XXIV, pp. 260-268 (Arch. Nat., J 812 n° 4).
58 RHGF, XXIV, p. 520 (Arch. Nat., J 889 n° 12 T).
59 Prenons par exemple la déposition de Flamand, prêtre de Ployart : « Dominus Flammains‚ presbyter de Poiart‚ testis juratus in verbo veritatis‚ dixit quod praesens fuit ante posticum atrii‚ ubi vidit Colardum de Sanci cadere in lutum in strata publica. Requisitus utrum uxor dicti Robini le Vachier manum aposuerit‚ dicit quod non. Requisitus quomodo sciat‚ dicit per hoc quod dicta uxor erat tunc infra clausuram cimeterii‚ et hoc fuit factum in strata publica. Requisitus de astantibus‚ dicit quod Robinus li Flamains et Walterus dictus Betde‚ et plures alii de quorum nominibus non recolit. Requisitus de tempore, dicit quod non recolit, nec de die ; tamen dicit de hora quod fuit post prandium. De finatione vel de solutione pecuniae nichil scit » (RHGF, XXIV, n° 1, p. 260). On retrouve ici les questions portant sur le lieu où s’est déroulé le fait, le mode de connaissance, l’assistance et les interrogations portant sur le temps tendent à montrer qu’il fut demandé au témoin d’énoncer l’année, le mois, le jour et même l’heure du fait litigieux, même s’il n’est en mesure de répondre qu’à la dernière question.
60 « Item queratis a testibus si sunt ad testificandum instructi, amore, precio vel precibus inducti vel odio vel inimicicia partis contra quam producuntur » (RHGF, t. XXIV, n° 250, pp. 519-520).
61 « Item si sunt participes facti, socii, parentes, amici vel affines, domestici vel familiares ejus pro quo testificantur, vel inimici ejus contra quem » (ibid.).
62 « Item si sunt excommunicati‚ minarum condempnati ? Bonorum rectorum‚ furti actione‚ pro socio vel mandati contraria. – Item si perjuri‚ pauperes an locupletes‚ et de vita et honestate ipsorum » (ibid.).
63 « Requiratis‚ si a dicto condam G. Siffredo fuit aliquid ibi per violenciam factum vel aliquid alicui ablatum‚ et in qua seneschalia‚ et si auctoritate domini Peregrini‚ voluntate et mandato‚ qui tunc senecallus erat, rectus et fidelis domini regis, dictus dominus Guillelmus Siffredus tenebat praedicta, et pro ipso faciebat quicquid ibi faciebat‚ et ab ipso domino senescalcho tunc temporis dictos redditus percipiebat » (ibid.).
64 Mausen, 2006, pp. 332-350.
65 RHGF, t. XXIV, n° 5, p. 262, n° 15, p. 263.
66 Dejoux 2014, pp. 29-64.
67 D’après la lettre de commission de janvier 1247, RHGF, XXIV, pp. 7-8.
68 Le cas se signale alors par la formule defert juramentum…
69 Querimoniae Turonum‚ Pictavorum et Santonum, RHGF, XXIV, pp. 94-252 (Arch. Nat., JJ 274).
70 Mausen, 2006, p. 10.
71 Nous rappelons que l’ensemble considéré est celui des 336 dépositions pour lesquelles nous avons une preuve de jugement.
72 Tanon, Histoire des tribunaux de l’inquisition en France, p. 327.
73 Delisle édita cette liste de 940 dénonciations sous le titre d’Exceptiones Carcassonensium querimoniis objectae (RHGF, XXIV, pp. 541-613).
74 Pour reprendre l’expression d’O. Mattéoni sur les enquêtes menées par les ducs de Bourbon (Mattéoni, 2008, p. 391).
Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 8589/LAMOP
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