Introduction générale
p. 1-30
Texte intégral
Puis c’est le tonnerre d’une batterie montée, et la foule émerveillée, transportée, les yeux béants, ne songe plus qu’à admirer. Pauvres foules noires, presque aussi enfantines que vos sœurs d’Europe1.
1Ces « pauvres foules noires » de Dakar, venues admirer le déploiement de force et de faste de la République à l’occasion d’une visite officielle, le géographe Jacques Weulersse les croise en 1928, au début de son périple africain. Trois ans plus tard, il livre dans Noirs et Blancs ses impressions contrastées sur ce long voyage, faites d’admiration face à l’œuvre accomplie, notamment scolaire, mais aussi d’effarement face à la condition des travailleurs noirs des mines ou des chemins de fer. Au moment même où paraît ce témoignage à la fois lucide et marqué par son temps, les « sœurs d’Europe », foules blanches, se pressent à l’Exposition de Paris pour s’émerveiller de l’œuvre coloniale et se repaître de la « mission civilisatrice » de la France et d’autres nations impériales, toutes sûres de leur destin outre-mer. Le Portugal et l’Italie, forts de leurs colonies africaines, nord-africaines et asiatiques, ne manquent pas à l’appel et déploient des efforts considérables pour faire parler de leurs possessions et justifier leur présence sur les rives du lac Daumesnil. Le Portugal vient alors de (re)fonder son Empire par la promulgation de l’Acte colonial de 1930, dans le contexte de mise en place du régime nationaliste de Salazar. Quant à l’Italie fasciste, ce n’est que le 9 mai 1936, juste après la conquête de l’Éthiopie, qu’elle fonde juridiquement un Empire éphémère, qui vole en éclats en 1941. Naturellement, ces deux proclamations officielles doivent être prises pour ce qu’elles sont : un geste d’appropriation, l’annonce adressée au reste du monde de la « reprise en main » d’espaces lointains, enfin l’inscription dans le droit de pratiques de domination en réalité à la fois plus anciennes et plus précaires que ne le suggère la doctrine officielle.
2Depuis le dernier tiers du xixe siècle, les voix portugaises et italiennes se mêlent en effet au concert européen qui célèbre le bien-fondé de l’expansion du Vieux Continent en Afrique, en Asie et en Océanie. Puissances impériales « secondaires », ces deux États ont également en commun d’avoir été dirigés, d’une guerre à l’autre, par deux dictateurs. Ce sont donc deux dominations que les pages qui suivent se proposent d’analyser de manière croisée. La première est la domination politique de deux régimes non démocratiques, antiparlementaires, corporatifs et répressifs sur des sociétés civiles privées des instruments les plus élémentaires de résistance (presse pluraliste, syndicats, associations, partis politiques). La seconde domination est celle de deux métropoles sur leurs colonies, l’une, le Portugal, ancienne mais obsédée par le spectre de la décadence, l’autre, l’Italie, récente et soucieuse de légitimité. Parmi les discours mobilisés en vue de lutter contre ce sentiment partagé de précarité ou d’illégitimité, les expositions coloniales figurent en bonne place : comment deux régimes, massivement engagés dans des projets totalitaires d’encadrement de leurs sociétés, se sont emparés d’une pratique européenne et occidentale déjà ancienne au lendemain de la première guerre mondiale2 ? Les expositions coloniales portugaises et italiennes, de plus en plus complexes et grandioses sur la durée de l’entre-deux-guerres, offrent ainsi une entrée pertinente pour comprendre et réévaluer l’importance de l’horizon colonial dans la vie politique et culturelle des deux pays.
3Cette réévaluation pourrait a priori sembler superflue pour le Portugal, tant l’importance de la colonisation dans les alternances de régimes et dans les crises politiques des xixe et xxe siècles fait l’objet d’un consensus parmi les historiens de la période contemporaine3. De fait, nos interrogations porteront moins sur le poids de la question coloniale au Portugal que sur les moyens matériels, humains et idéologiques mobilisés par l’État Nouveau de Salazar en vue de populariser des ambitions longtemps circonscrites aux milieux administratifs, militaires et économiques, opérant ainsi un véritable changement d’échelle, mais aussi de paradigme, de la propagande coloniale. Dans le cas italien, l’émergence d’un savoir précis sur le passé colonial s’est réalisée dans une relative indifférence, comme le déplorait l’historien Angelo Del Boca en 19974. Le constat des « retards » de l’histoire de la colonisation italienne était encore d’actualité en 2003, lorsque les éditeurs d’un numéro spécial de la revue Modern Italy déploraient que « l’expérience coloniale [soit] encore considérée par beaucoup comme un aspect secondaire du passé de l’Italie et [que] les études consacrées à l’Italie libérale et même au fascisme [aient] eu tendance à sous-estimer la signification de l’ambition coloniale d’État5 ». En retraçant l’histoire des expositions consacrées à la colonisation italienne entre 1918 et 1940, ce travail a pour ambition de contribuer à la connaissance de l’engagement italien outre-mer durant le Ventennio nero6. L’histoire de ces expositions portugaises et italiennes nous introduit donc au cœur de la propagande coloniale, de ses motifs, de ses thèmes et de ses méthodes, au moment où, précisément, ont été mis en place par les nouveaux régimes des organismes de propagande modernes et efficaces.
4Les expositions coloniales ne se résument cependant pas à la narration ou à la mise en scène d’une doctrine officielle en matière de colonisation. Exposés méthodiques des progrès des peuples colonisés, des bénéfices économiques et des bienfaits moraux de la colonisation, démonstrations univoques du maintien ou de l’expansion militaire en Afrique et ailleurs dans le monde, elles remplissent d’autres fonctions, qui n’ont parfois qu’un rapport très lointain avec les questions coloniales. Elles constituent notamment d’efficaces instruments de domination politique et de mise sous tutelle d’individus, de groupes et d’institutions potentiellement résistants ou autonomes, comme l’Église catholique ou l’armée. L’étude attentive des processus de décision, de désignation des agents et de mobilisation des ressources (financières, administratives, humaines) fait apparaître que chaque étape de cette production, comprise dans ses dimensions industrielle mais aussi culturelle, prend un sens précis dans l’instauration et la consolidation du pouvoir de Salazar et de Mussolini. La démarche choisie consiste donc à appréhender les expositions non seulement comme discours sur la colonisation, mais aussi comme pratiques de gouvernement et d’encadrement, tant à l’échelle des colonies qu’à celle des métropoles. À la lecture critique des textes et des images produits par, dans et autour des expositions coloniales doit donc impérativement s’ajouter la reconstitution précise des étapes de conception et de réalisation de ces entreprises qui voient se mêler des intérêts divers et parfois contradictoires.
I. - Les expositions, une histoire européenne
5L’historiographie des expositions universelles, internationales et coloniales d’Europe et d’Amérique du Nord est désormais considérable et ne cesse de se développer7. En présence d’un phénomène dominé par la Grande-Bretagne et la France, les historiens se sont principalement intéressés aux expositions de ces deux pays, en particulier sur la période comprise entre 1851 et 1914, considérant souvent les expositions de la période suivante comme une succession de vaines tentatives en vue de faire revivre les émotions de la Belle Époque8. Cette historiographie s’est d’abord élaborée dans les domaines de l’histoire de l’art, de l’architecture et des sciences9, complétée par de précieux outils, guides, inventaires ou encyclopédies10. En Grande-Bretagne, on doit à Paul Greenhalgh une des premières synthèses européennes sur le phénomène des expositions dans la durée, tandis que Pascal Ory ouvrait en France le chantier d’une approche par l’histoire culturelle11. Cet intérêt désormais trentenaire pour les expositions, dans leur acception la plus large (locales / nationales / internationales / universelles, coloniales / techniques / industrielles / artistiques), a ainsi permis de fédérer des approches historiques, mais aussi sociologiques, linguistiques, artistiques et scientifiques autour d’un objet dont la valeur heuristique n’est plus à démontrer, comme espace d’articulation entre nationalisme et internationalisme, comme laboratoire urbain et comme lieu d’élaboration d’une culture déjà fortement travaillée par les processus de la mondialisation.
6Pourtant, ce programme stimulant ne doit pas occulter quelques pièges méthodologiques, à commencer par celui qui consisterait à prendre pour argent comptant les expositions, en les abordant comme de simples miroirs grossissants des sociétés occidentales contemporaines, offrant de leurs valeurs et de leurs obsessions une approche non médiatisée, ou tout simplement non critique. Prise au pied de la lettre, détachée de son contexte urbain, culturel, politique ou social, chaque exposition, quel qu’ait été son impact mesurable et comptable, en millions de visiteurs ou en livres sterling, ne révélera jamais que les intentions de ses organisateurs. Cette observation revient à poser la délicate question du succès de chaque événement, de ses effets réels, à court et à long terme, sur son public. Dès 1984, Charles-Robert Ageron, dans la seule contribution des Lieux de mémoire consacrée à un événement de l’histoire coloniale de la France, tente ainsi un « bilan moral » de l’Exposition coloniale de 1931, refusant de se contenter du chiffre officiel, à la fois superlatif et abstrait, de 30 millions de visiteurs. Il lance un certain nombre de pistes méthodologiques pour avancer sur le sujet. Tout en admettant modestement qu’une partie du mystère demeure sur le caractère éphémère et difficilement reproductible de l’exposition, ainsi que sur son impact sur les sensibilités et les rêves d’ailleurs des Français, il conclut, sans appel, que, malgré le sentiment d’apothéose qui nous est parvenu, « l’Exposition de 1931 a échoué à constituer une mentalité coloniale12 ».
7L’historiographie britannique a été traversée par les mêmes interrogations, cristallisées en un débat qui a principalement opposé John MacKenzie et Bernard Porter. Le premier a fondé dans les années 1980 la collection « Studies in Imperialism » dans son université de Manchester, destinée à explorer systématiquement la portée des thèmes impériaux dans la culture métropolitaine britannique, dans une approche ouvertement inspirée des post-colonial studies et des travaux d’Edward Said13. Ses conclusions sur la très forte imprégnation de la « culture impériale » dans la société britannique demeurent toutefois contestées par Bernard Porter, qui défend une approche par l’histoire sociale et soutient que les classes populaires, ouvrières et urbaines britanniques ont en réalité été peu touchées par les dispositifs mis en place par les appareils de propagande14. Ainsi, de part et d’autre de la Manche, des garde-fous méthodologiques et scientifiques ont été posés, invitant les chercheurs à interroger les expositions européennes au-delà de leur dimension spectaculaire ou séduisante. Le monde académique s’accorde toutefois sur un point, l’impérieuse nécessité d’introduire une approche comparée du phénomène, à l’échelle européenne et transatlantique. Les pages qui suivent se proposent d’appliquer ce programme à deux puissances coloniales dont il conviendra de saisir la place, le statut et les caractéristiques.
8Comptant parmi les « rares institutions culturelles véritablement internationales15 », la pratique qui naît en 1851 à Londres pour se perpétuer jusqu’à nos jours a été dès l’origine le miroir flatteur présenté à des sociétés occidentales ravies d’être les témoins des grandes inventions scientifiques et les bénéficiaires d’une civilisation qui se voulait fondée sur le libre-échange, le productivisme et le progrès partagé par tous16. Bourgeoises par essence, populaires par nature, soucieuses de consensus social et d’intégration politique, les expositions ont dès lors fermé les yeux sur les conflits, les mauvais cycles économiques, les guerres et les rivalités impériales. Cet optimisme militant et parfois désespéré explique sans doute que l’âge d’or des expositions se situe entre 1880 et la Grande Guerre17. Témoins des principales dynamiques politiques et culturelles de leur temps, elles ne pouvaient rester muettes sur le vaste mouvement d’expansion politique de l’Europe vers les autres continents à partir du dernier quart du xixe siècle. La première exposition exclusivement coloniale ne date que de 1883 – elle s’est déroulée à Amsterdam –, mais les expositions universelles qui l’ont précédée ont toutes développé des sections coloniales de plus en plus complètes, particulièrement appréciées tant par les organisateurs que par les visiteurs.
9En Italie, les expositions coloniales ont longtemps été peu étudiées, sans doute parce qu’elles ont été tardives et rares – à l’image de l’entrée de l’Italie dans la compétition coloniale –, mais aussi par manque d’intérêt pour le phénomène, durablement occulté par la visibilité et la tradition des expositions nationales italiennes, immédiatement organisées après l’unité politique18. L’ouvrage dirigé par Nicola Labanca il y a plus de vingt ans a longtemps constitué la seule référence sur les expositions et les musées coloniaux : toujours précieux dans sa démarche d’inventaire, il n’en comporte pas moins quelques erreurs et inexactitudes19. Quant à la Fiera di Tripoli (1927-1939), elle a principalement été étudiée par des historiens de la ville20. Les nombreuses études consacrées aux expositions du régime fasciste se sont prioritairement centrées sur la Mostra della Rivoluzione fascista de 193221, la Mostra Augustea de 1937, le projet de l’EUR de 194222, ainsi que les mostre de Venise, de Milan et de Rome. Au Portugal, les expositions de l’État Nouveau ont fait l’objet d’une importante historiographie initiée par les historiens de l’art, dans le sillage du spécialiste du modernisme portugais José Augusto França23. C’est à l’historienne de l’architecture Margarida Acciaiuoli que l’on doit l’ouvrage le plus complet sur les expositions de l’État Nouveau24. Une autre historienne de l’architecture, Teresa Costa Pinto, a consacré pour sa part une monographie à l’Exposição histórica do mundo português de 1940 en orientant son questionnement sur les polémiques qui ont divisé les architectes dans les années 193025. En France, cette exposition a été étudiée par Yves Léonard, dans une approche d’histoire politique des représentations, principalement axée sur le rôle du récit historique et de la construction de la figure messianique de Salazar26. Dans ce corpus non négligeable, on ne peut que constater que l’étude des représentations de la colonisation portugaise demeure paradoxalement marginale27. Pourtant, les déboires coloniaux que rencontrent le Portugal et l’Italie depuis la fin du xixe siècle constituent un élément essentiel de l’histoire politique des deux pays entre les deux guerres mondiales.
II. - Rêves Africains et victoires mutilées (1885-1918)
10En abordant la « préhistoire » de cette étude, on observe les profondes différences entre les constructions nationales et impériales des deux pays28. Il ne s’agit évidemment pas ici de remonter aux origines de ces deux processus, mais d’aborder le sujet au moment où, précisément, des rapprochements sont possibles, dans le dernier tiers du xixe siècle. En Italie, vingt ans après la fondation de l’État-nation et face aux défis que constituent la Question romaine29, le clivage du Nord et du Sud, la mosaïque linguistique et les inégalités sociales, les ambitions coloniales auraient pu raisonnablement passer au second plan. Or, si elles ne furent pas centrales dans les premières décennies de l’État unitaire, elles ont reçu un certain nombre de témoignages de soutien dans les milieux militaires, intellectuels et économiques italiens dès la fin des années 1860. Jean-Louis Miège analyse les premières sociétés de géographie comme des groupes de pression bien organisés et décrit les initiatives individuelles ou collectives de ce colonialisme balbutiant30. Ainsi, « lorsque s’achève l’unification, l’Italie avait déjà posé les jalons d’une action coloniale, possédait les premiers éléments d’une idéologie impérialiste31 ». Cependant, lorsque commencent à se manifester les rivalités européennes sur le terrain africain, l’Italie arrive tout juste sur ce continent32. C’est dire l’étroite concomitance entre un processus de construction nationale inachevé et des aspirations coloniales débutantes et éclatées, mais activement défendues par certains groupes et associations. Dernière arrivée sur le continent africain, l’Italie peine à défendre sa « place au soleil33 » face à des nations mieux implantées et mieux organisées outre-mer, au premier rang desquelles la Grande-Bretagne et la France, principale rivale de l’Italie en Afrique du Nord. La Belgique, l’Allemagne et le Portugal n’entendent pas davantage partager le gâteau africain.
11La situation nationale et coloniale du Portugal est tout autre, même si la nation peine aussi à défendre ses intérêts en Afrique. « Nation la plus ancienne d’Europe » dans ses frontières terrestres34, pays pionnier fier de son épopée maritime initiée à Ceuta en 1415, le Portugal connaît alors de nombreuses déconvenues sur le terrain colonial. Le temps des Découvertes et des Empires asiatique et brésilien est révolu, et le sentiment qui domine la vie politique portugaise depuis la perte du Brésil en 1822 est celui de la décadence. Dans ce contexte, l’Afrique offre le nouvel horizon du colonialisme portugais, et ce cinquante ans avant la conférence de Berlin. L’historien Valentim Alexandre estime en effet que le rêve de faire de l’Afrique un « nouveau Brésil » anime les cercles intellectuels, administratifs et militaires portugais dès le milieu des années 1830, alors que sa réalisation est postérieure à la conférence de Berlin35. Cette manière de répondre aux pressions extérieures constitue aux yeux de l’historien une des caractéristiques d’un colonialisme qui n’a plus les moyens de ses initiatives et doit se contenter de défendre des « droits historiques » qu’il est le seul à encore trouver légitimes36. Jusqu’à la perte des territoires africains en 1975, par-delà les changements de régimes et les conjonctures politiques, le colonialisme portugais se veut d’abord défensif et attaché au statu quo africain37.
12Du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, la conférence de Berlin réunit quatorze États participants, dont le Portugal et l’Italie, afin, officiellement, de statuer sur la liberté de commerce et de transit sur le bassin du Congo38. Retenue un peu abusivement comme le « partage de l’Afrique », elle a bel et bien donné le départ officiel du scramble, en mettant en place les règles du jeu africain et en encourageant la multiplication pendant trente ans des traités bilatéraux de délimitation de frontières. Les années qui suivent la conférence voient les efforts portugais et italiens en vue de se maintenir ou de se hisser aux côtés des grandes puissances impériales contestés par la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et l’Allemagne. Ces difficultés se traduisent par deux épisodes d’humiliation, de frustration coloniale et nationale, deux moments critiques fondateurs de l’esprit de revanche du fascisme italien39 et du nationalisme salazariste. Il s’agit de la crise luso-britannique de l’Ultimatum des années 1890-1891 et de la défaite italienne face aux troupes éthiopiennes de Ménélik, à Adoua en mars 1896. Le Portugal et l’Italie se voient alors infliger de sérieux revers, diplomatique pour le premier, militaire pour la seconde. Au Portugal, la crise de l’Ultimatum se comprend dans le contexte post-berlinois. La conférence de Berlin ayant mis un coup d’arrêt aux ambitions portugaises dans le Congo, à l’exception de l’enclave de Cabinda, les Portugais portent dès lors tous leurs efforts sur un projet de jonction transversale des territoires d’Angola et du Mozambique, et élaborent en 1886 la « carte rose » qui représente le futur territoire portugais au cœur de l’Afrique australe ; ce mapa côr de rosa se heurte à l’ambition britannique de relier Le Caire au Cap. Le gouvernement britannique somme Lisbonne, le 11 janvier 1890, de retirer ses troupes du territoire qui correspond actuellement à la Zambie et au Zimbabwe, et menace de recourir à la force40. Cet ultimatum auquel Lisbonne n’a d’autre choix que de se soumettre par le traité du 11 juin 1891 est vécu par les Portugais comme le signe d’une profonde crise d’identité. Il fragilise davantage un régime monarchique ébranlé par la crise économique et l’abyssal déficit budgétaire du pays41. Ce traité ne met d’ailleurs pas un terme aux contentieux luso-britanniques en Afrique42. Au contraire, un profond sentiment de précarité persiste au Portugal, puisque dès 1898, un traité secret entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne organise le partage du Mozambique, de l’Angola et de la partie portugaise de l’île de Timor43. Les mêmes dispositions sont à nouveau évoquées en 1913, dans le cadre de la politique de rapprochement avec l’Allemagne menée par Londres, quelques mois avant que n’éclate la première guerre mondiale. L’alliance traditionnelle avec le Portugal et les intérêts lusitaniens en Afrique apparaissent alors comme une variable d’ajustement de la politique extérieure britannique44. Aussi, jusqu’à la première guerre mondiale, la diplomatie portugaise n’a de cesse de multiplier les efforts, les traités, les appels à l’arbitrage international et les conférences multilatérales afin de préserver sa souveraineté sur le continent africain. La portée psychologique et le traumatisme politique de l’Ultimatum ont été sans commune mesure avec ses effets réels, pourtant importants. En 1895, la victoire sur l’Empire de Gaza au Mozambique et sur son roi, le prestigieux Gungunhana45, rétablit une part du prestige national sans parvenir à faire oublier ce pénible épisode. L’avènement de la Première République, le 5 octobre 1910, a été en grande partie rendu possible par ces frustrations coloniales imputées à la faiblesse et à la décadence d’une monarchie moribonde. Seize ans plus tard, les difficultés du terrain africain auront à nouveau raison du régime républicain, au cœur de la crise financière de l’Angola et des menaces de tutelle de la SDN sur ce territoire46.
13En Italie aussi, le traumatisme de la défaite d’Adoua dépasse très largement les enjeux militaires, coloniaux ou africains et plonge les élites italiennes dans une profonde crise d’identité politique et nationale. Sonnant pour quarante ans le glas des ambitions éthiopiennes de l’Italie et celui, définitif, de la carrière politique de Francesco Crispi47, « Adoua est considérée comme une étape décisive de la formation du nationalisme italien à partir de l’assimilation entre impérialisme et nationalisme de frustration », affirme Gilles Pécout. « L’idée que l’Italie a une revanche à prendre dans cette région de l’Afrique, sans se soucier de l’avis des autres pays occidentaux qui l’ont “trahie”, retrouvera évidemment tout son sens dans la propagande fasciste au moment de la guerre d’Éthiopie », poursuit-il48. Considérée comme la première défaite militaire européenne contre des Africains, cette marque d’infamie aux yeux d’Occidentaux sûrs de leur supériorité a des conséquences politiques et psychologiques durables : Jean-Louis Miège note que « dans les replis de la conscience collective italienne le désastre d’Adoua ne va pas cesser de multiplier ses effets49 », et cite le nationaliste Enrico Corradini50 qui en 1923 écrit dans la préface de ses Discorsi politici (1902-1923) : « Je fus de ces Italiens qui se convertirent à la foi de la patrie… Et ma conversion fut la bataille d’Adoua51 ». Dès 1896, Adoua n’est plus seulement un événement militaire, mais accède immédiatement au statut de mythe, de repoussoir, de honte nationale que le fascisme n’aura de cesse de venger52. La conquête de la Libye quelques années plus tard, à l’occasion de la guerre italo-turque de 1911-1912, permet de laver une partie de l’affront et d’annoncer le retour de l’Italie sur la scène coloniale, comme en témoigne la création d’un ministère des Colonies en 1912, un an après son homologue portugais53.
14L’entrée des deux États dans le conflit aux côtés de l’Entente n’est pas étrangère aux frustrations et aux inquiétudes décrites ci-dessus. Pour le Portugal, Nuno Severiano Teixeira a démontré l’importance des enjeux africains dans la participation au conflit à partir de 1916, qui n’est par ailleurs pas exclusive d’autres nécessités de politique intérieure54. Quant au royaume d’Italie, c’est fort du pacte de Londres signé en avril 1915 et promettant d’importantes compensations africaines en cas de victoire, qu’il s’engage dans le conflit le 28 mai suivant. Les bénéfices tirés ne sont cependant pas estimés à la hauteur des sacrifices consentis, en particulier en Italie. De 1885 à 1918, l’histoire coloniale du Portugal et de l’Italie se conjugue donc sur le mode de la frustration, qu’elle soit politique ou militaire. Les deux puissances sortent du conflit du côté des vainqueurs, mais considérablement affaiblies dans leurs finances, leurs institutions et leurs sociétés. Le sentiment d’une rétribution inférieure aux efforts nourrira l’esprit de revanche italien, déjà puissant depuis Adoua, ainsi que la frilosité et la posture défensive du Portugal en Afrique. Ces sentiments vont structurer l’organisation de la propagande et des expositions coloniales durant l’entre-deux-guerres. Ils nourrissent également les deux régimes qui se mettent en place, le fascisme italien et le salazarisme portugais.
III. - Salazarisme et fascisme
15Toute étude de la vie politique et culturelle du Portugal et de l’Italie entre les deux guerres mondiales vient se heurter à un débat historiographique né bien avant la Révolution des œillets du 25 avril 1974, celui des liens génériques du salazarisme avec l’idéologie et le régime fascistes. À la question « Le salazarisme a-t-il été un régime fasciste ? », la réponse n’a jamais été univoque ou consensuelle. Les générations successives d’historiens et de spécialistes des sciences politiques y ont répondu en fonction de leurs préoccupations du moment, dès les années 1930. Dans un récent essai de synthèse sur l’image de Salazar et de son régime, Luís Reis Torgal rappelle que le dictateur lui-même entendait se démarquer d’un éventuel modèle fasciste et revendiquait périodiquement son originalité en critiquant le « césarisme païen » du régime, dans un mépris à peine voilé pour les gesticulations de Mussolini. La majorité de ses contemporains lui reconnaissaient d’ailleurs cette autonomie, au Portugal comme à l’étranger, à l’extrême droite comme au sein de la droite conservatrice, avant comme après la seconde guerre mondiale : avant parce que Salazar avait eu le mérite de rétablir la stabilité financière et l’ordre politique dans son pays, après pour répondre aux impératifs anticommunistes nés de la guerre froide. Pourtant, dès le milieu des années 1930, de rares voix s’élèvent déjà pour intégrer le régime de Salazar à la famille fasciste. Torgal cite ainsi l’exemple significatif et à ses yeux clairvoyant du philosophe espagnol Miguel de Unamuno qui qualifie en 1935 le régime de « fascisme professoral55 », fondé sur l’alliance des militaires, des hommes d’Église et des universitaires. Après la seconde guerre mondiale, à de rares exceptions près, cette dictature, sage et paternaliste, en un mot « civilisée », a bénéficié d’une image édulcorée et fort éloignée de celle des Faisceaux. À partir de 1961, l’impopularité croissante des guerres africaines ne suffit pas à inverser significativement cette tendance. La Révolution des œillets a transitoirement modifié la donne, comme l’illustre un colloque organisé à l’université de lettres de Lisbonne en 1980 et publié deux ans plus tard sous le titre-manifeste O fascismo em Portugal56. Les années 1974-1990 constituent ainsi la période « antifasciste » de l’historiographie de l’État Nouveau et voient également la rédaction du Livro negro sôbre o regime fascista (« Livre noir du régime fasciste ») par une commission rattachée à la présidence du Conseil des ministres de la Seconde République portugaise. Associer l’État Nouveau à une forme nationale, confessionnelle et conjoncturelle de fascisme ne fait alors pas l’objet d’un débat entre spécialistes et entre politiques. Les choses évoluent cependant dès les années qui précèdent la fin des régimes communistes en Europe orientale puis en Russie. Symboliquement, le colloque international organisé par la Fondation Calouste Gulbenkian en 1986 et publié un an plus tard paraît sous le titre moins engagé O Estado novo das origens ao fim da autarquia, 1926-1959, suivi dix ans plus tard du colloque organisé par l’Institut d’études politiques de Paris, intitulé « Le Portugal sous Salazar et l’État Nouveau57 ». Un consensus se dégage effectivement dans le tournant des années 1980-1990 au Portugal, en France, aux États-Unis et en Grande-Bretagne pour souligner le caractère irréductible du régime portugais par rapport à son « aîné » italien mort dans les décombres de la seconde guerre mondiale. La contribution au colloque de 1986 de l’historien américain spécialiste du franquisme Stanley Payne représente ce positionnement qui situe le salazarisme parmi les « régimes organicistes modérés ou corporatifs58 ». En France, les historiens de l’Institut d’études politiques de Paris défendent cette approche autour de Serge Berstein et Pierre Milza. Celle-ci est finalement résumée en 1996 par Yves Léonard dans son ouvrage Salazarisme et fascisme, quatre ans après la synthèse portugaise sur le sujet due à António Costa Pinto59.
16À cette analyse du salazarisme sur le terrain de sa nature politique s’opposent pourtant quelques historiens et politologues qui défendent l’intégration du régime du professeur d’économie au « genre » historiquement et politiquement défini du fascisme. En France, et bien que ne travaillant pas directement sur la question du fascisme, l’historien spécialiste de la politique salazariste au Mozambique Michel Cahen refuse d’« exonérer », pour reprendre sa propre formule60, le régime de l’État Nouveau de sa nature profondément fasciste. Il appuie son argumentation sur une analyse non pas des discours mais de la fonction exercée par l’État salazariste sur la société dans un projet qu’il qualifie d’à la fois totalitaire, maintenant les structures capitalistes de l’économie tout en s’engageant directement dans la vie économique de la nation. Sur la base de ces trois critères, Michel Cahen en déduit que le salazarisme appartient bel et bien au genre politique du fascisme61. Pour d’autres motifs, Torgal maintient également le salazarisme dans la famille des fascismes étatiques. En mai 2005, il présente l’essentiel de sa contre-argumentation dans un bref article en six points. Il s’oppose à la plupart des arguments d’Yves Léonard et António Costa Pinto et rappelle combien les Portugais, y compris leurs historiens, se plaisent à penser l’« exception » nationale, affirmant volontiers qu’il n’y aurait pas eu de fascisme au Portugal, pas plus qu’il n’y aurait eu à d’autres époques de système féodal, de Renaissance, d’absolutisme ou de mouvement des Lumières62. Michel Cahen dénonce aussi cette culture de l’exception, qui constitue à ses yeux un des fondements du colonialisme portugais, lequel s’est toujours pensé comme différent, non hégémonique, non dominateur, empathique et sympathique. Plus récemment, un ouvrage collectif dirigé par un sociologue et un historien, Nuno Domingos et Victor Pereira, pose les bases d’un programme de réévaluation des années de l’Estado novo portugais à la lumière d’une histoire sociale, « par le bas », encore largement à faire selon les deux auteurs. Celle-ci permettrait de repenser le salazarisme à travers ses pratiques et non plus son idéologie ou ses intentions, et de s’affranchir de la dialectique « fasciste »/ « non fasciste », rappelant que « les typologies doivent être un moyen et non pas, comme souvent, une fin de la recherche63 ».
17Les termes du débat résumé ci-dessus ne disqualifient en aucun cas l’approche comparative. Au contraire, ils invitent les chercheurs à s’en emparer par divers biais. Ainsi s’organisent depuis 2004 des cycles de colloques dans le cadre d’un projet qui relie les universités de Coimbra, São Paulo, Bologne et Vigo consacrés aux États autoritaires, aux totalitarismes et aux fascismes à travers des thématiques telles que les projets corporatistes, la question de l’intolérance et de la répression, ou bien encore la propagande et les représentations64. En France, un colloque organisé en 2000 à l’Institut d’études politiques de Paris était d’ailleurs intitulé « L’Homme nouveau dans l’Europe fasciste (1922-1945) » et comprenait trois interventions consacrées au Portugal, dues à António Costa Pinto, Yves Léonard et Fernando Rosas65.
18Ici la démarche consistera à circonscrire la question des deux régimes à la sphère de la propagande coloniale, sur la base de quelques hypothèses. La première de ces hypothèses est celle de l’instrumentalisation de la thématique coloniale à des fins de politique intérieure, comme le contrôle, la censure, la mise au pas ou la recherche de compromis avec certains groupes et catégories, notamment l’Église catholique, mais aussi l’armée, les intellectuels ou les artistes. La seconde hypothèse réside dans la conformité des discours aux standards coloniaux élaborés à Londres, Paris ou Bruxelles, fortement intériorisés au lendemain du traité de Versailles par des colonialistes portugais et italiens engagés de longue date dans la promotion de la colonisation de l’Afrique66. Dans le cadre de ce modèle, les discours et les images diffusés par les expositions coloniales répondent d’abord aux canons qui circulent d’une capitale impériale à l’autre, fondés sur l’échelle des civilisations et le sentiment de supériorité occidentale. Dans un second temps seulement, ils s’habillent aux couleurs nationales et revendiquent un être-colonial particulier. Une question demeure cependant : s’agit-il d’un être-colonial défini par une identité portugaise / italienne ou salazariste / fasciste ? À n’en pas douter, identité impériale, identité nationale et identité politique s’articulent dans les expositions coloniales afin de bâtir un consensus qui concerne tout autant les ambitions outre-mer que les projets de société des deux régimes.
IV. - Défis post-coloniaux et questions anthropologiques
19L’étude des représentations de la colonisation par deux pays étrangers dans le contexte académique français s’avère à la fois stimulante et complexe. Initiée en 2004, cette réflexion s’est trouvée dès le début de l’année 2005 confrontée aux débats qui ont dépassé le cadre universitaire pour interroger le rapport de la société française à ses héritages coloniaux. De l’article controversé de la loi du 23 février 2005 sur le « rôle positif » de la colonisation française, vigoureusement dénoncé par Claude Liauzu et Gérard Noiriel67 puis finalement retiré, à l’engagement en ordre dispersé des historiens et des chercheurs en sciences sociales contre l’intrusion du politique dans la recherche et l’enseignement du fait colonial, de l’émergence de collectifs défendant des mémoires concurrentes au procès intenté à l’historien de la traite Olivier Pétré-Grenouilleau, on assiste depuis à une profusion d’articles et de prises de positions tant politiques que scientifiques sur la place du passé colonial dans la vie politique et sociale de l’Hexagone68. Parallèlement, l’actualité éditoriale se fait l’écho depuis le début des années 1990 de la « redécouverte » d’un « imaginaire colonial » oublié, à travers la publication de recueils d’images consacrés à la photographie, la carte postale, la publicité, le cinéma, la chanson et le spectacle vivant. Les travaux menés par les chercheurs de l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (ACHAC), fondée en 1989, ont ainsi permis l’accès aux productions visuelles de la période coloniale de la France, à travers diverses publications, actes de colloques, ouvrages collectifs et ouvrages de vulgarisation69. Ce travail d’édition s’est accompagné d’une démarche qui a fait l’objet d’un accueil très critique dans l’université française, en raison d’une rigueur scientifique souvent sacrifiée au profit d’objectifs commerciaux. La publication en 2002 d’un ouvrage sur le phénomène des exhibitions humaines à l’époque contemporaine s’est notamment vu reprocher de créer des amalgames et de pratiquer l’anachronisme afin de dénoncer des pratiques incontestablement indignes, mais diverses, du cirque aux jardins zoologiques et d’acclimatation, en passant par les expositions, mais aussi les scènes de cabarets et de music-hall, faisant du concept de « zoo humain » une « auberge espagnole » dénuée de valeur heuristique70. Il n’est pas rare, d’ailleurs, que les contributions contredisent les fondements méthodologiques et les conclusions historiques des éditeurs de l’ouvrage71. Comme le souligne l’anthropologue Claude Blanckaert, et malgré ses lacunes méthodologiques, cette publication a toutefois l’intérêt de rendre accessibles, parmi ses contributions, un certain nombre de réflexions issues du monde anglo-saxon et de mettre en lumière la dimension européenne et occidentale du phénomène. Parallèlement, la production scientifique s’est trouvée stimulée et valorisée par la mise aux concours de l’enseignement d’une question consacrée aux « sociétés coloniales à l’âge des Empires (1850-années 1950) », montrant l’intérêt que pouvait susciter ce champ, mais aussi et surtout la diversité des approches, des terrains, ainsi qu’une ouverture positive aux « autres Empires », dans une démarche de comparaison. La dimension sociale et culturelle du sujet n’a pas échappé aux historiens qui, tout en reconnaissant les apports des colonial studies et des analyses d’Edward Said sur la dimension culturelle de la domination post-coloniale, ont cherché à nuancer ses conclusions en multipliant les angles de vue et les études de cas pour sortir de la dialectique dominant / dominé et appréhender toute la complexité des « situations coloniales72 ».
20Pour revenir sur nos terrains, à la question de l’héritage et de la mémoire fasciste et salazariste dans l’Italie et le Portugal contemporains est donc venue s’ajouter celle de la gestion du passé colonial de deux puissances sans doute secondaires à l’échelle des Empires des xixe et xxe siècles, mais dont les modalités de domination sur les sociétés colonisées n’ont pas été moins brutales ou moins racistes que celles des Français et des Britanniques. Pourtant, le mythe de l’Italiano brava gente en Italie73 et la longévité de la pensée luso-tropicaliste du sociologue brésilien Gilberto Freyre74 au Portugal invitent le chercheur en sciences sociales à interroger la bonne conscience des Portugais et des Italiens lorsqu’ils évoquent leur présence passée en Afrique, en Asie ou en Océanie, en dépit d’une production académique désormais abondante et sans concession sur le sujet, particulièrement en Italie75. Au Portugal, l’ouvrage récemment coordonné par Miguel Bandeira Jerónimo fait le point sur l’état de la question coloniale et impériale dans le Portugal contemporain, illustrant d’une part les dynamiques en cours dans des institutions comme l’Instituto de Ciências sociais, et soulignant d’autre part les lacunes d’une historiographie trop longtemps soumise au pouvoir salazariste et toujours tentée par la nostalgie coloniale76. Face à des situations post-coloniales si hétérogènes par rapport à celle de la France, il nous a fallu interroger la construction de certains mythes, nés ou entretenus par les deux régimes, aux effets tenaces et durables sur les sociétés contemporaines.
21Cet ouvrage propose une approche politique des expositions coloniales comme résultant des jeux d’acteurs et de leurs rapports de force. Il se doit pourtant de réserver une place à part à l’anthropologie, à deux titres au moins. Tout d’abord, parce que les anthropologues ont joué un rôle important dans les renouvellements récents de l’histoire de la colonisation en France et ailleurs en Europe, opérant une analyse réflexive sur leur propre histoire, celle de leurs pratiques et celle de leur rapport aux cultures non européennes. Ce constat est d’autant plus manifeste lorsque l’on s’intéresse à l’histoire des expositions coloniales, des musées, des collections et des savoirs relatifs aux cultures extra-européennes. L’intérêt des anthropologues britanniques et américains pour ces questions est déjà relativement ancien77. En France, les remaniements institutionnels, les bouleversements muséaux et les transferts de collections liés à l’inauguration du musée du Quai Branly ont permis l’émergence d’un débat à partir de la fin des années 1990, portant sur la définition des « arts premiers » en Occident et sur la manière de gérer l’héritage colonial des collections africaines, asiatiques et océaniennes d’institutions comme le musée de l’Homme, le musée des Arts d’Afrique et d’Océanie ou bien encore le Muséum national d’histoire naturelle78. Ainsi l’anthropologue Benoît de l’Estoile s’interroge-t-il sur le sens à donner à la disparition d’un musée d’ethnographie comme le musée de l’Homme79 au profit d’une conception esthétique d’objets symboliquement déposés au pied de cet emblème de la modernité industrielle qu’est la tour Eiffel, elle-même conçue pour une Exposition universelle80. Le même type de réflexion commence à se développer en Italie, comme le signale un numéro spécial de la revue Africa e Mediterraneo consacré en 2008 à l’Afrique dans les musées81. Au Portugal, la réflexion sur ces questions est encore balbutiante : peu d’études d’anthropologues ont été consacrées à l’histoire des collections et des institutions ethnographiques portugaises. Seul le Museo etnográfico da Sociedade de geografia de Lisboa a fait l’objet d’une étude monographique en 200582. Plus originale, une étude sur la circulation et les enjeux en termes de pouvoirs des crânes océaniens dans l’Empire portugais a été publiée en 201083.
22L’importance de l’anthropologie tient également à son statut d’objet d’étude. La perspective choisie ne privilégie pas ici une histoire des théories, des écoles ou des pratiques de terrain des anthropologues portugais et italiens84, mais s’intéresse à l’engagement des hommes, des réseaux et des institutions de ce champ scientifique et académique dans le montage des expositions coloniales. La question revêt une importance considérable lorsque l’on aborde le thème du racisme et, d’une manière générale, celui de l’appréhension de l’altérité, qu’elle soit ethnique, raciale ou culturelle dans les expositions coloniales. L’enjeu devient central dans le cas italien, lorsqu’est mise en place une législation ségrégationniste dans les colonies africaines à partir de 1937, puis antisémite en métropole à partir de 193885. Il n’existe pas d’équivalent à ces lois dans le Portugal de Salazar, ce qui ne signifie en aucun cas que des conceptions et des pratiques racistes n’aient pas été au cœur de la justification déployée dans les expositions coloniales. Cela est d’autant plus juste que le Portugal et l’Italie voient dans les années 1930 le triomphe d’une anthropologie biologique sinon totalement dépassée, du moins marginalisée en France ou en Grande-Bretagne. C’est à ce titre qu’il s’agira de déterminer le rôle des anthropologues italiens et portugais, ainsi que celui de leurs conceptions raciales dans la construction et la vision de l’altérité colonisée au sein des expositions coloniales.
V. - De la propagande politique à la propagande coloniale
23La question de la propagande coloniale est au cœur de cette étude. Il convient de préciser dans quel sens le terme « propagande », polysémique et problématique, sera employé dans les pages qui suivent. Le terme « propaganda » est emprunté au premier organisme moderne de propagande de l’histoire occidentale, la Sacrée Congrégation pour la Propagation de la foi, ou Propaganda Fide, fondée par Grégoire XV en 1622 et chargée d’administrer et de stimuler les missions dans le monde, y compris les « nouveaux » mondes. C’est dire les visées partiellement coloniales ou impériales de cette institution et du nom qu’elle porte. Créé dans un but de prosélytisme religieux, l’organisme continue d’exercer ces fonctions au xxe siècle, même si le succès du vocable en a, entretemps, considérablement élargi le sens. À la fin du xviiie siècle, Condorcet en donne la définition désormais canonique d’« action organisée en vue de répandre une opinion ou une doctrine (surtout politique)86 ». Au xixe siècle, le terme connaît une diffusion considérable au sein des groupes et des associations soucieux de propager leurs idées et leurs conceptions : de la « propagande médicale » des comités de lutte contre l’alcoolisme et la tuberculose à la « propagande de l’instruction » des ligues d’enseignement, le mot recouvre dès lors toutes les formes de vulgarisation par le biais de textes illustrés, de conférences et d’actions dans la sphère publique. Fabrice d’Almeida rappelle ainsi qu’à la veille de la première guerre mondiale, le terme bénéficie d’une « aura » positive, celle d’une « technique utile » employée par l’ensemble des partis politiques, syndicats et associations87. Le conflit est l’occasion de multiplier, parmi les belligérants, la création de « services de propagande » dans la diplomatie ou dans les armées. Les excès de la période (censure, « bourrage de crâne », fausses nouvelles et rumeurs) n’entament pas le caractère positif du terme après la guerre, notamment dans le contexte des régimes totalitaires de l’entre-deux-guerres, comme l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste mais aussi le Portugal salazariste. Très fortement et très négativement connoté aujourd’hui, le terme n’a pas, entre les deux conflits, ce caractère de manipulation des esprits. Il est d’ailleurs totalement assumé par les deux régimes, puisque le régime fasciste crée en 1934 un sous-secrétariat d’État à la Presse et à la Propagande, dont les prérogatives connaissent une inflation croissante jusqu’à devenir l’année suivante un ministère. Deux ans plus tard, il adopte le nom de ministère de la Culture populaire, plus connu sous l’abréviation Minculpop. Au Portugal, le Secretariado da propaganda nacional, une des institutions les plus représentatives du régime salazariste, est créé dès 1933 et dirigé par une figure essentielle du régime, le journaliste philofasciste António Ferro88. Ces organes chargés de ce que l’on appellerait sans doute aujourd’hui la « communication politique » des deux gouvernements ont régi et organisé l’ensemble de la vie et de la production culturelles italiennes et portugaises pendant toutes les années qu’a duré chacun des régimes, permettant l’émergence de professionnels de ce qui apparaît de moins en moins comme un savoir-faire, et de plus en plus comme une science89.
24La thématique coloniale a toutefois été l’objet d’un traitement spécifique de la part des deux régimes, qui se sont largement appuyés pour valoriser leur action outre-mer sur des institutions antérieures à leur avènement, comme les sociétés de géographie, les instituts coloniaux ou même les universités, en tant que lieux de production des savoirs relatifs à la colonisation. N’oublions pas non plus l’intérêt qu’avaient certains groupes professionnels à faire la promotion de la colonisation, comme les associations patronales et commerciales ou les chambres de commerce. Enfin, la propagande coloniale a toujours pu compter sur l’aide de deux institutions fondamentales dans l’histoire de l’Italie et du Portugal, l’Église catholique et l’armée. Ainsi, il faut comprendre la formule « propagande coloniale » dans l’Italie de Mussolini et le Portugal de Salazar comme recouvrant l’ensemble des initiatives, publiques ou privées, destinées à valoriser l’action de la métropole dans ses territoires d’outre-mer. Parmi ces initiatives, les expositions coloniales figurent en très bonne place, sans exclure naturellement d’autres champs privilégiés comme l’enseignement, le cinéma, la chanson, la littérature, notamment enfantine ou bien encore la publicité. Toutes ces initiatives sont à la fois le fait d’organismes étroitement attachés à la nature des deux régimes, comme le Minculpop et le SPN, mais aussi d’institutions qui se maintiennent et s’adaptent aux nouvelles circonstances politiques.
VI. - Expositions, foires, mostre : quel objet ?
25L’objet central de ce travail s’est révélé complexe à définir. Il n’existe en effet pas de critère déterminant qu’une exposition est coloniale ou ne l’est pas. La définition du corpus a donc fait l’objet d’un premier travail minutieux, qui n’est pas allé sans certains choix et arbitrages. Il a d’abord fallu apprendre à lire les intitulés officiels avec suspicion : souvent trompeurs, péchant par défaut ou par excès, ils ne correspondent pas toujours aux contenus effectivement exposés. La définition du contingent d’expositions s’est fondée par conséquent sur une approche essentiellement empirique et fortement soumise à la disponibilité ou à la loquacité des sources90. Les choix se sont également portés sur les expositions les moins connues et les moins étudiées par l’historiographie, en particulier en Italie. Si la présence de termes tels que « colonial[e] », « impérial[e] » ou « outre-mer » offre la garantie d’un contenu consacré à des territoires extra-européens soumis à une tutelle politique du Vieux Continent, il ne faut pas négliger certaines expositions générales, universelles et internationales à l’occasion desquelles le Portugal et l’Italie ont pu présenter de riches sections coloniales. Il a donc été nécessaire de définir le corpus avec une certaine souplesse et d’en accepter les contours flous. Le constat s’est rapidement imposé que la formule « exposition coloniale » ne recouvrait aucun phénomène univoque ou homogène, mais plutôt des pratiques polysémiques, variant en fonction de l’identité et des objectifs des instigateurs et des organisateurs, de la localisation, de l’axe thématique privilégié et des objectifs, affichés ou officieux. L’ensemble retenu atteint finalement un total de cinquante-quatre événements attestés et inventoriés (tableaux 1, 2 et 3, p. 28). Expositions et sections coloniales organisées dans les grandes villes des métropoles, foires industrielles et commerciales réalisées outre-mer et participations aux expositions internationales constituent ainsi les trois types principaux d’événements mobilisant la thématique coloniale.
26D’importance, de durée et d’impact variables, elles ont en commun d’avoir délivré un discours sur le passé, le présent et le futur de la présence portugaise ou italienne outre-mer, en Afrique principalement, mais aussi en Asie et en Océanie. Certains choix ont été faits, comme celui d’exclure les participations aux expositions universelles et internationales de Bruxelles en 1935, Paris en 1937, New York et San Francisco en 1939, qui nous ont semblé redondantes dans leurs formes et leurs discours par rapport aux réalisations nationales de la même période. Enfin, certaines expositions sont mentionnées pour mémoire et dans le souci d’approcher l’exhaustivité, mais n’ont malheureusement pas pu faire l’objet d’une analyse approfondie, pour des raisons avant tout documentaires. C’est le cas des nombreuses petites expositions réalisées par des institutions privées, comme l’Istituto coloniale italiano. Les archives du ministère de l’Afrique italienne mentionnent en effet les participations de cet institut à des expositions locales dont nous n’avons trouvé nulle autre trace. Ancône, Bari, Bologne, Caltanissetta, Caserte, Florence, Gênes, Naples, Padoue et Rome ont ainsi accueilli sur toute la durée de l’entre-deux-guerres des micro-événements en lien avec l’action coloniale de l’Italie, sous la forme d’expositions philatéliques, d’expositions « du travail italien en Afrique », d’expositions d’artisanat, d’expositions minérales ou bien d’expositions sur l’élevage ovin outre-mer91. Cet ensemble hétéroclite révèle une incontestable tentative d’imprégnation impériale de la société italienne et la présence de groupes localement très mobilisés en faveur de la propagande coloniale, mais, en l’absence de sources complémentaires, il nous est impossible d’en mesurer l’efficacité réelle. Le cas portugais apparaît plus simple en raison de la centralisation historique du pays autour de Lisbonne, secondairement Porto et Coimbra.
27Les expositions les mieux renseignées se concentrent toutes dans la période postérieure à 1931, ce qui n’est pas l’effet du hasard mais plutôt de l’influence exercée par l’Exposition coloniale internationale de Paris sur les autorités portugaises et italiennes, qui rentrent émerveillées de la capitale française et prêtes à mettre en application les méthodes et les fastes déployés sur les berges du lac Daumesnil. Cet impact se conjugue à l’emprise croissante des deux dictatures sur les sociétés métropolitaines, par le biais de dispositifs de propagande, d’encadrement, de censure et de répression de plus en plus efficaces. La focale s’est progressivement resserrée sur six expositions. Du côté italien, il s’agit des deux expositions internationales d’art colonial de Rome (Mostra internazionale d’arte coloniale, 1931) et de Naples (1934), ainsi que de la Mostra triennale delle terre italiane d’oltremare (1940). Pour le Portugal, il s’agit de l’Exposição colonial portugues (1934), de l’Exposição histórica da ocupação (1937) ainsi que de l’Exposição histórica do mundo português (1940), l’une et l’autre organisées à Lisbonne. Le statut de cette dernière est d’ailleurs très ambivalent. Contrairement à toutes les autres, il ne s’agit pas d’une exposition coloniale dans son intitulé officiel : historique et nationale avant tout, elle se veut l’exposé et la synthèse d’une identité portugaise qui ne se résume pas à la présence lusitanienne outre-mer. La formule « monde portugais », déjà utilisée par une revue de propagande coloniale92, recouvre néanmoins toutes les modalités de la présence portugaise dans le monde, y compris coloniale. La réalisation d’une section d’ethnographie coloniale, la présence de plusieurs dizaines de ressortissants des colonies convoqués pour les besoins de la présence « indigène », la mobilisation massive de la thématique des Découvertes et de l’expansion, enfin la place qu’elle occupe, aujourd’hui encore, dans la mémoire portugaise de l’État Nouveau, sans parler des traces laissées dans le tissu urbain lisboète, nous imposaient de l’inclure dans notre contingent, bien qu’une bibliographie déjà importante lui ait été consacrée.
28On trouvera également dans cet ouvrage l’analyse des foires qui se sont déroulées outre-mer. Explicitement commerciales et industrielles dans leur intitulé, leur analyse révèle cependant qu’elles ont été organisées ou récupérées à des fins tout aussi politiques, dans le cadre d’un dispositif complexe de propagande, à la fois destinée aux acteurs économiques coloniaux, mais aussi aux touristes internationaux et à certaines catégories des populations colonisées. Dès lors, il nous a semblé légitime de les intégrer à cette réflexion sur les modes de représentation de la colonisation, y compris dans les colonies, en gardant à l’esprit ce qui distingue ces foires des expositions organisées en métropole : le primat des questions économiques, la fragilité des équilibres sociaux, l’éloignement géographique et culturel, etc.
29Une dernière observation concerne l’emploi et la traduction du terme italien « mostra ». La langue de Dante possède en effet deux termes pour désigner le phénomène qui nous intéresse, mostra et esposizione. Les deux vocables sont équivalents dans leurs usages, même s’il semble que les Italiens préfèrent recourir au premier pour les expositions métropolitaines et davantage au second pour désigner les expositions internationales et universelles. Ainsi le projet d’exposition universelle qui devait voir le jour à Rome en 1942 s’appelait-il bien Esposizione universale di Roma et a même donné son nom à un quartier du Sud de la capitale. Nous avons fait le choix de traduire les deux termes par « exposition ». La langue française réserve en effet le terme « mostra » à la désignation de la Mostra de Venise, le festival d’art contemporain et de cinéma. Les sources manuscrites, celles des ministères notamment, emploient pour leur part indifféremment les deux termes. Car c’est bien des sources qu’il faut partir pour embrasser l’objet « exposition » dans sa complexité. Les différences de pratiques entre le Portugal et l’Italie se sont avérées parfois difficiles à surmonter, mais finalement enrichissantes pour notre propos.
VII. - Le labyrinthe des sources
30Les sources disponibles se sont révélées disparates et parfois de nature différente d’un pays à l’autre93. Les difficultés matérielles liées au choix de travailler sur deux pays étrangers ont rendu impossible la consultation des archives d’institutions qu’il aurait fallu assiéger avec constance et détermination. Au Portugal, c’est le cas par exemple de la SGL, peu encline à ouvrir ses archives administratives. Cette lacune nous prive de l’étude des nombreuses petites expositions organisées au siège de l’institution entre 1925 et 1939, si ce n’est par le biais de leurs catalogues conservés de manière aléatoire à la Bibliothèque nationale. En Italie, ce sont les archives de la MTTIO qui nous sont demeurées fermées. Cette déconvenue a toutefois été compensée par de riches trouvailles dans les archives napolitaines, comme celles de la Società africana d’Italia, déposées à l’Istituto universitario orientale, ainsi que quelques cartons conservés aux archives provinciales de Campanie, respectivement consacrées à la MIAC de 1934 et à la MTTIO de 1940.
31Les archives d’outre-mer portugaises et italiennes ont été prioritairement consultées. Au Portugal, les documents relatifs à la préparation de l’ECP de Porto, déposés aux archives historiques d’outre-mer de Lisbonne (Arquivo histórico-ultramarino), constitués d’une soixantaine de cartons, dans un état de dégradation avancée, forment le corpus le plus important de ce travail, et décrivent le quotidien de cette exposition importante, premier événement culturel et politique de l’État Nouveau portugais94. La consultation, plus ponctuelle, de dossiers relatifs à d’autres expositions a été également utile. C’est le cas en particulier de la correspondance du Cabinet du ministre des Colonies Vieira Machado pour les années 1939-1940, consacrée à la préparation de l’EHMP de Lisbonne95. À Rome, la consultation du fonds de l’ancien ministère de l’Afrique italienne déposé aux archives diplomatiques et des cartons intitulés « Azione culturale » a été particulièrement intéressante pour tout ce qui concerne la préparation de la MTTIO, compensant ainsi en partie les insuffisances documentaires napolitaines96. Les archives nationales ont également été consultées. Au Portugal, c’est le cas du richissime fonds Oliveira Salazar, qui conserve la correspondance officielle et privée du dictateur. Dans le fonds officiel, il a été possible de consulter de nombreux documents illustrant l’implication, distante, discrète mais souvent déterminante, du chef du gouvernement dans de nombreuses expositions, métropolitaines et internationales. Le même constat a pu être fait en consultant, à Rome, les archives du secrétariat du Duce.
32L’analyse de la source imprimée produite sous des régimes de dictature s’avère compliquée : très marquée idéologiquement, soumise à la censure, consensuelle et sans nuances, son univocité apparente oblige le chercheur à rechercher ses failles dans les sources d’archives susceptibles de laisser apparaître les aspérités de la propagande coloniale. Les imprimés n’en constituent pas moins un corpus essentiel de ce travail. La bureaucratie portugaise a ainsi produit de nombreux et précieux rapports officiels97, ce qui n’est pas le cas des administrations italiennes. Du moins, ces rapports n’ont-ils pas été conservés avec le même soin. Les rapports portugais, qu’il faut manier avec la prudence qui s’impose dans la mesure où chaque rapporteur cherche à y valoriser son action (et y flatter ses supérieurs), n’en constituent pas moins une archive précieuse pour la reconstitution des modalités de fabrication et la description des difficultés, qu’elles soient matérielles, politiques ou personnelles, qu’ont rencontrées ces personnages centraux du dispositif que sont les commissaires d’exposition. L’essentiel de nos sources imprimées est toutefois composé des catalogues, des guides et d’un ensemble de publications qui ont systématiquement accompagné la tenue des expositions, y compris les plus modestes. Ces documents, divers par leurs formes, leurs tailles, leur caractère plus ou moins précis ou érudit, s’adressaient en effet à de très nombreuses catégories sociales et culturelles métropolitaines, illustrant par là le caractère transversal et consensuel que les organisateurs d’expositions ont voulu donner à la plupart des expositions coloniales. Cette littérature, souvent très prescriptive et normative, au ton généralement emphatique et univoque, constitue la base des descriptions et des analyses qui portent sur les représentations des hommes et des territoires colonisés par le Portugal et l’Italie entre les deux guerres mondiales.
33Toujours dans le domaine des sources, reste à bien comprendre et circonscrire le statut de l’image. Depuis le début des années 1990, de nombreuses publications, scientifiques ou adressées à un public amateur, redécouvrent l’image produite en contexte colonial ou représentant un aspect de la domination européenne sur les autres continents aux xixe et xxe siècles. Cartes postales, photographies, affiches publicitaires, bandes dessinées, littérature enfantine, presse, cinéma et chansons, tous ces supports de la culture de masse nés et développés avec les progrès techniques et les avancées de la scolarisation ont fait l’objet d’anthologies présentées de manière plus ou moins critique par leurs éditeurs98. Cette profusion d’images peut sembler positive, dans la mesure où elle met l’accent sur l’imprégnation coloniale des sociétés métropolitaines, même si les éléments manquent souvent pour en mesurer les effets réels. Elle rappelle aussi le racisme propre aux sociétés impériales, convaincues de la légitimité de leurs ambitions outre-mer. Cette actualité éditoriale ne doit cependant pas faire écran entre « culture de la nostalgie99 » et posture morale. Elle impose au chercheur de s’interroger rigoureusement sur les conditions de production, de diffusion et de réception de ces images et de ces produits de la culture de masse, en les confrontant aux réalités des sociétés coloniales et métropolitaines, en prenant en compte les rapports de force politiques et sociaux, « ici » et « là-bas ». Elle invite également à se demander si ces agrégats d’images suffisent à produire un imaginaire cohérent et univoque au sein des sociétés occidentales, ou si la pluralité de leurs fonctions – commerciale, politique, artistique, érotique – ne constitue pas au contraire, par un effet de brouillage, un obstacle à la formation de cette « conscience coloniale » invoquée par les colonialistes européens depuis le dernier tiers du xixe siècle100. Elle interroge aussi les formes culturelles de la domination coloniale. La somme récemment coordonnée par l’historienne de l’art Filipa Lowndes Vicente sur la place de la photographie dans l’histoire impériale portugaise se situe clairement dans ces interrogations et élargit le champ des études visuelles de la colonisation portugaise, sur les traces de travaux pionniers comme ceux d’Elizabeth Edwards pour l’Empire britannique, au croisement de l’histoire visuelle, de l’histoire des savoirs anthropologiques et de l’histoire des collections et musées101.
34Les expositions sont par essence un objet visuel et rentrent donc dans ce corpus d’images qui vient d’être décrit. Elles ont engendré des milliers d’images, reproduites ensuite dans les catalogues et les articles de presse, offrant ainsi au lecteur, au visiteur, puis au chercheur, la possibilité de circuler entre les descriptions écrites et leur témoignage iconographique. Les photographies qui illustrent catalogues, guides et articles de presse doivent immortaliser une expérience par nature éphémère, bien difficile à reconstituer d’un point de vue sensible. Herman Lebovics insiste sur les obstacles inhérents à l’essence volatile de l’exposition : « Au contraire d’un critique littéraire qui a la possibilité de relire un livre ou d’un critique de cinéma qui peut revoir un film, l’ambiance même de l’exposition nous est à jamais inaccessible102 ». Un travail visuel de reconstitution peut néanmoins être tenté à l’aide des photographies, complétées par la littérature descriptive des expositions, afin d’identifier les partis pris esthétiques des commissaires et de leurs équipes. Le corpus photographique réuni pour cette étude est inégal et ne témoigne que partiellement de l’expérience effective du visiteur. Inégal dans le temps, dans la mesure où les expositions des années 1930 sont mieux illustrées que celles de la décennie précédente. Inégal dans l’espace, car les photographies portent principalement sur les expositions portugaises, à l’exception très précieuse de la MTTIO de Naples, abondamment représentée dans la presse coloniale et illustrée. Ce corpus se révèle inégal aussi dans la qualité des clichés : d’une manière générale, les expositions et les foires organisées outre-mer sont mal servies par leur maigre iconographie. Les clichés sont flous, mal cadrés et les objets reproduits mal mis en valeur. L’exception à cette règle est la Fiera di Tripoli, dont les témoignages photographiques, pour l’essentiel postérieurs à 1936, sont très soignés. Enfin, ce corpus est inégal dans les thèmes et les contenus : de nombreuses photographies permettent de reconstituer les vues extérieures, les perspectives d’ensemble, les façades des pavillons ou les « villages » artificiels, alors que celles qui s’intéressent aux contenus des pavillons, aux vitrines d’objets ou aux élaborations graphiques qui couvrent les murs des salles sont plus rares. L’impression produite porte ainsi davantage sur les expositions comme prouesses techniques et lieux d’agrément que comme espaces d’information et de divulgation d’un savoir sur l’histoire, la géographie et l’économie coloniales. Or les catalogues contredisent largement cette impression laissée par les images et insistent autant sur les qualités pédagogiques des dispositifs que sur leurs performances esthétiques. Quelques exceptions nous permettent cependant d’entrer dans les salles des pavillons : c’est le cas de l’ECP de 1934, dont la couverture photographique a été assurée par l’entreprise de Domingos Alvão sur la base d’un contrat d’exclusivité103. Les photographies du catalogue en deux volumes de l’EHO de Lisbonne de 1937 reproduisent aussi le contenu de la plupart des salles. S’y ajoutent quelques photographies d’intérieurs réalisées à la MTTIO de Naples, qui illustrent quant à elles une grande maîtrise des procédés visuels utilisés en Italie en vue de subjuguer le visiteur. Notre difficulté à manier la source photographique vient du fait que la quasi-totalité des clichés ne nous donnent aucune indication sur les conditions de la prise de vue : l’auteur, la date et les conditions techniques de réalisation nous ont toujours été inaccessibles. Il n’était toutefois pas envisageable de nous passer totalement de cette ressource inestimable et indispensable à la simple reconstitution de ces mises en scène du fait colonial que constituent les expositions étudiées.
35La définition du point de départ chronologique se doit de répondre aux exigences de l’exercice comparatif tout en respectant les rythmes propres à la vie politique et coloniale de chaque pays. Le choix de la date précoce de 1918, antérieure à la mise en place des deux dictatures, présente l’avantage de ne pas focaliser l’attention sur la question de l’identité des régimes, et ce faisant d’interroger les ruptures et les continuités avec les régimes antérieurs et d’identifier les invariants, que ce soit dans les motifs utilisés par la propagande, dans les évolutions institutionnelles ou dans les formes et les supports de propagande coloniale. Quant au terme chronologique, l’année 1940 présente une rupture particulièrement claire et pertinente pour l’historien des deux pays. L’année 1940 est tout d’abord l’année de confrontation effective des deux nations à la situation de guerre européenne puis mondiale. L’Italie quitte en effet son statut de « non-belligérant » le 10 juin 1940 pour participer au conflit aux côtés de son allié nazi. La défaite qui s’ensuit signe l’arrêt de mort du régime fasciste et entraîne dans le même mouvement la fin de la présence italienne outre-mer. Le cas du Portugal, qui choisit la neutralité tout au long du conflit, est différent. Le choc de la défaite française de mai-juin 1940 oblige Salazar, de plus en plus inquiet de la menace espagnole, à opter pour une neutralité « variable », opportuniste, qui permet au dictateur de continuer à faire des affaires avec l’Allemagne jusqu’en 1944, tout en offrant, à partir de 1942, de nouveaux gages stratégiques aux alliés, afin de négocier un après-guerre dont les enjeux ne sont autres que la survie du régime et la pérennité de l’Empire104. Par-delà ces éléments généraux de contexte, l’année 1940 est aussi l’année où ont lieu parallèlement les deux expositions coloniales les plus grandioses de l’entre-deux-guerres. Cette concomitance ne relève pas de la simple coïncidence. Elle apparaît davantage comme le résultat de processus politiques et culturels certes distincts, mais soumis à des influences et à des évolutions singulièrement parallèles.
36Ces vingt et une années offrent ainsi un panorama suffisamment vaste pour poser les termes de la comparaison, même si le rythme s’accélère considérablement au tournant des années 1930. Cette accélération ne peut être comprise qu’au regard des années qui la précèdent, années de transition entre des conceptions et des pratiques héritées de l’avant-guerre et l’apparition d’acteurs et d’institutions nouveaux ou rénovés dans le paysage de la culture et de la propagande coloniales. Le premier chapitre traitera ainsi de la décennie qui suit la première guerre mondiale et qui voit la mise en place, selon des modalités différentes mais aboutissant à des résultats quasi similaires, d’appareils de propagande coloniale renforcés et modernisés. Le deuxième chapitre étudie les participations portugaises et italiennes aux expositions internationales entre 1929 et 1934. Ces participations, modestes ou grandioses, ont constitué pour les deux pays autant d’expériences fondatrices pour les expositions de la décennie suivante. C’est à une autre catégorie d’exposition qu’est consacré le chapitre iii : les foires d’outre-mer. D’envergure inégale, ces événements peu connus ouvrent toutefois l’espace à une riche réflexion sur les sociétés coloniales, la vie économique outre-mer et l’imposition de l’ordre impérial dans les territoires africains et asiatiques. Les chapitres v à viii analysent les grandes expositions organisées dans les métropoles entre 1931 et 1940 : l’ECP de Porto de 1934 (chapitre v), la séquence des deux expositions internationales d’art colonial de Rome et Naples, respectivement réalisées en 1931 et 1934 (chapitre vi), la MTTIO de 1940 (chapitre vii) et l’EHMP de 1940 également (chapitre viii). Abandonnant la perspective monographique, le huitième et dernier chapitre aura un statut à part dans la table des matières. Il propose en effet une réflexion synthétique sur un aspect particulier des expositions : la présence de ressortissants des territoires colonisés sur les sites des grandes expositions. Cette présence, on entend l’analyser ici à partir des sources, officielles et officieuses, et en tirer un maximum d’informations factuelles, sur les conditions matérielles de cette étrange migration, mais aussi et surtout donner du sens à une pratique déjà ancienne et commune dans l’Europe de l’entre-deux-guerres. Zoos humains, sans doute, les expositions coloniales ont aussi été, bien malgré elles, les espaces d’une rencontre coloniale dont il s’agit de retrouver les traces et de montrer les contradictions et les défaillances.
Notes de bas de page
1 Weulersse, Noirs et Blancs, p. 7.
2 Ici, l’emploi du terme « totalitaire » ne renvoie qu’en partie aux travaux d’H. Arendt sur le sujet, d’autant que la philosophe a elle-même exclu le fascisme italien de sa définition du totalitarisme, et n’évoque pas davantage le cas portugais. Il sera par conséquent employé avec parcimonie, sans faire toutefois l’objet d’un rejet absolu : les ambitions des deux régimes, à défaut de leurs réalisations, comportent en effet une incontestable dimension totalitaire dans les modalités d’encadrement, de contrôle et de répression des citoyens ; Matard-Bonucci, 2008a, p. 6.
3 L’histoire de l’expansion portugaise depuis le xve siècle a fait l’objet de deux grandes collections depuis 1986 : Marques, Serrão, 1986-2001 ; Bethencourt, Chaudhuri, 1998.
4 Del Boca, 1999.
5 « [t]he colonial experience is still regarded by many as an incidental aspect of Italy’s past while studies of both Liberal Italy and even Fascism have tended to underplay the significance of the state’s colonial ambition » (Andall, Burdett, Duncan, 2003, p. 5).
6 Cette expression répandue désigne les « vingt années noires » du pouvoir fasciste en Italie, de la Marche sur Rome à la république de Salò.
7 Alexander Geppert retrace la genèse des exhibition studies dans l’introduction de son ouvrage Fleeting Cities. Dans un tableau statistique éloquent, il souligne l’explosion de la production académique sur le sujet à partir du milieu des années 1980 ; Geppert, 2010, pp. 9-12.
8 Hoffenberg, 2001.
9 Rydell, 1985 ; Leprun, 1986 ; Van Wesemael, 2001 ; Morton, 2000.
10 Findling, 1990.
11 Greenhalgh, 1988 ; Ory, 1982. C’est néanmoins à Madeleine Rébérioux et à Charles-Robert Ageron que l’on doit les premières publications académiques en langue française consacrées aux expositions parisiennes, universelles de 1889 et 1900 pour la première, coloniale de 1931 pour le second ; Rébérioux, 1983 ; Ageron, 1984.
12 Ibid., p. 515.
13 Said, 1980 ; id., 2000.
14 MacKenzie, 1987 ; id., 2010 ; Porter, 2004, p. IX ; Markovits, 2010.
15 « una delle poche istituzioni culturali autenticamente internazionali » (Geppert, 2004, p. 7).
16 Selon la terminologie du Bureau international des expositions, les dernières expositions universelles se sont déroulées à : Montréal (1967), Osaka (1970), Séville (1992), Hanovre (2000), Shanghai (2010) et Milan (2015). L’Exposition de Lisbonne en 1998 n’est pas considérée comme universelle. La mise en place d’une typologie précise date des années 1930, pour lutter contre la multiplication incontrôlée de ces événements ; sur la création du Bureau international des expositions, voir Isaac, Les expositions internationales ; Rasmussen, Schroeder-Gudehus, 1992.
17 Avec plus de 50 millions de visiteurs, l’Exposition universelle de Paris de 1900 est emblématique de cet âge d’or ; Findling, 1990, p. 159.
18 De nombreuses commémorations de la jeune monarchie ont ainsi pris la forme d’expositions, comme celles de Florence (1861), Milan (1881, 1906), Turin (1884, 1928). Cette solide tradition s’est par ailleurs confirmée avec la tenue de l’Exposition universelle de Milan en 2015.
19 Labanca, 1992.
20 McLaren, 2002 ; Henneberg, 1996 ; Dumasy, 2006.
21 Carli, 2003 ; Malvano-Bechelloni, 1991.
22 Calvesi, Guidoni, Lux, 1987.
23 França, 1980.
24 Acciaiuoli, 1998.
25 Pinto, 1999.
26 Léonard, 1999 ; id., 1993.
27 Deux ouvrages sont toutefois venus combler une partie de ces lacunes depuis la fin des années 1990 : Thomaz, 1997 ; Matos, 2006.
28 Les frontières continentales du Portugal contemporain remontent au xiie siècle, tandis que l’Italie est longtemps demeurée une « construction géographique » qui ne prend officiellement la forme d’un État-nation que dans la seconde moitié du xixe siècle ; l’histoire de l’expansion coloniale du Portugal remonte à la prise de Ceuta par les Portugais en 1415, tandis que l’histoire coloniale de l’Italie remonte, pour la période contemporaine, à l’acquisition progressive du port d’Assab entre 1869 et 1882.
29 L’expression résume les difficiles relations entre le royaume d’Italie et le pouvoir pontifical à partir de la prise de Rome et de sa proclamation comme capitale du royaume en 1870. Le statut juridique et politique du pape, retiré dans la cité du Vatican, ne trouve de solution qu’à l’occasion des accords du Latran de 1929. De cette Question romaine découle directement la question de la participation des catholiques italiens à la vie politique et civile du royaume et d’une manière générale de la place du catholicisme dans la vie nationale italienne.
30 Il s’agit principalement de la Società geografica italiana, fondée à Florence en 1867, transférée à Rome en 1870 ; la Società d’esplorazioni commerciali in Africa, fondée à Milan en 1879 ; et la Società africana d’Italia, fondée à Naples en 1880 ; Miège, 1968, pp. 29-30.
31 Ibid., p. 23.
32 Ibid., pp. 38-39.
33 La thématique du posto al solo est un motif classique des revendications italiennes. À partir de 1910 s’y ajoute celui de la « nation prolétaire », développé par le nationaliste Enrico Corradini ; Labanca, 2001.
34 Cette thématique constitue un des axes des grandes commémorations de l’année 1940 sous le régime de Salazar, puisque deux dates sont célébrées cette année : 1139 et la naissance de la nation portugaise, 1640 et la « restauration » de la souveraineté portugaise après soixante ans d’union à la couronne espagnole ; Bourdon, 1994.
35 Alexandre, 1993b, p. 55.
36 Vargaftig, 2013b.
37 Alexandre, 2005.
38 Brunschwig, 1971 ; Gémeaux, Lorin, 2013.
39 Labanca, 1997.
40 Enders, 1994, pp. 77-81 ; Vargaftig, 2013b, pp. 175-177.
41 Sur les effets de la crise de l’Ultimatum en métropole, Marques, 1998, pp. 54-57.
42 Ibid., p. 225.
43 Pour mémoire, la partie occidentale de l’île était alors sous tutelle néerlandaise. Elle appartient actuellement à l’Indonésie.
44 Alexandre, 2005, p. 71.
45 Capturé à l’occasion de sa défaite, il est transporté à Lisbonne et exhibé dans les rues de la capitale. Exilé aux Açores, il y meurt en 1906.
46 Alexandre, 1993a, pp. 1117-1118.
47 Del Boca, 1997a.
48 Pécout, 1997, p. 298.
49 Miège, 1968, p. 62.
50 Enrico Corradini (1865-1931) est une des figures du nationalisme italien antérieur au fascisme, notamment comme fondateur de l’Associazione nazionalista italiana à l’occasion du congrès de Florence de 1910. Membre du PNF dès 1923, sénateur puis ministre, il reçoit jusqu’à sa mort les hommages et les honneurs du nouveau pouvoir.
51 Ibid.
52 Labanca, 1997, p. 135.
53 Pécout, 1997, p. 299.
54 Teixeira, 1999.
55 « fajismo de cátedra » ; M. Unamuno, « Comentario. Nueva vuelta a Portugal », Ahora, 3 juillet 1935, cité dans Paulo, Torgal, 2008, p. 19.
56 O fascismo em Portugal.
57 Colloque organisé par le Centre d’histoire de l’Europe du vingtième siècle, 24-25 mars 1997, IEP de Paris ; Le salazarisme.
58 « regimes organicistas moderados ou corporatistas » (Payne, 1987, p. 25).
59 Léonard, 1996 ; Pinto, 1992.
60 Le terme est employé dans le manuscrit de son mémoire de HDR. Celui-ci n’ayant pas été publié, nous remercions M. Cahen pour son autorisation à le citer ; Cahen, 2010.
61 Id., 2000.
62 Torgal, 2005.
63 Domingos, Pereira, 2010, p. 12.
64 Pasetti, 2006 ; Paulo, Torgal, 2008 ; Carneiro, Croci, 2010.
65 Matard-Bonucci, Milza, 2004.
66 On pense, parmi les lieux de confrontation, d’échange et de production d’un savoir et d’une rhétorique européens de la colonisation à l’Institut colonial international, qui siège depuis sa fondation en 1894 à Bruxelles. Le réseau des sociétés de géographie constitue un autre espace transeuropéen du colonialisme au tournant des xixe et xxe siècles ; Lejeune, 2002.
67 Liauzu, 2005a ; Liauzu, Manceron, 2006.
68 Bertrand, 2006 ; Coquery-Vidrovitch, 2009 ; sur les conditions de production de l’historiographie française de la colonisation, voir Dulucq et al., 2006.
69 L’activité éditoriale du collectif étant particulièrement intense, nous ne citons ici que les ouvrages les plus marquants. Pour une bibliographie exhaustive, nous renvoyons à la page du site Internet de l’ACHAC.
70 Bancel et al., 2002 ; le succès de cette publication a permis une réédition en format de poche dès 2004, toujours à La découverte, ainsi qu’une traduction en italien en 2003, suivie en 2008 d’une traduction en anglais ; voir la critique de l’ouvrage par Blanckaert, 2002 et les commentaires de Liauzu, 2005b, p. 105 ; Abbattista, 2013, pp. 27-29.
71 Blanckaert, 2002, pp. 228-229.
72 Ce fut l’objet d’un colloque, organisé en 2009 et intitulé « Cultures d’Empires ? Circulations, échanges et affrontements culturels en situations coloniales et impériales », dont une partie des contributions a été publiée en 2015 ; Bertrand, Blais, Sibeud, 2015 ; Balandier, 1951.
73 Del Boca, 2005.
74 Castelo, 1999 ; Léonard, 1997.
75 En Italie, les travaux de Giorgio Rochat et Angelo Del Boca ont ouvert la voie à une production scientifique consacrée à la violence coloniale italienne, notamment fasciste ; Rochat, 1991 ; Del Boca, 1996a et 1997b.
76 Jerónimo, 2012.
77 Coombes, 1994 ; Corbey, 1993.
78 Prélever, exhiber, 1999 ; Taffin, 2000.
79 Le musée de l’Homme a finalement été à nouveau inauguré en octobre 2015, bien qu’une partie de ses collections, notamment photographiques, ne lui aient pas, à ce jour, encore été restituées.
80 Estoile, 2007.
81 Parodi da Passano, Federici, 2008.
82 Pereira, 2005.
83 Roque, 2010.
84 Cabral, 1991.
85 Matard-Bonucci, 2008b ; sur le racisme au Portugal, Brito, Lopes, Vala, 1999.
86 Cité par Almeida, 2002, p. 138.
87 Ibid., p. 142.
88 Ó, 1999.
89 Almeida, 2002, p. 144.
90 Voir ci-dessous pp. 22-26.
91 ASMAE-MAI, Africa III, dossier n° 39, « Azione culturale » : rapport d’A. Vitale intitulé « L’azione culturale esplicata mediante mostre, exposizioni, musei », daté du 15 juin 1960.
92 Neto, 2008.
93 Voir l’inventaire des sources.
94 AHU, Casa forte, dossiers nos 929-1001.
95 AHU, Sala 6, NO 538.
96 ASMAE-MAI, Africa III, dossiers n° 39-47 et 156.
97 Cortesão, Relatório do comissário ; Galvão, As feiras de amostras coloniais ; id., Primeira Exposição colonial portuguesa.
98 Voir, par exemple, les ouvrages publiés par l’ACHAC consacrés aux marqueurs de la présence des diverses communautés qui composent l’Empire français dans Paris, ou bien encore aux traces de la colonisation dans des espaces urbains tels que Marseille, Bordeaux ou Lyon ; Blanchard, Deroo, Manceron, 2001 ; Blanchard, Böetsch, 2005.
99 Triaud, 2006, p. 239.
100 Estoile, 2001.
101 Edwards, 2001 ; Vicente, 2012, pp. 424-429 ; id., 2014, pp. 11-30.
102 Lebovics, 1989-1990, p. 19.
103 Domingos Alvão (1872-1946) est déjà en 1934 un photographe reconnu de la vie politique et culturelle portugaise, et son studio prospère à Porto. Proche du pouvoir, il est décoré chevalier de l’Ordre militaire du Christ par le président Carmona le 5 octobre 1935 pour l’ensemble de son œuvre photographique. L’enthousiasme d’Henrique Galvão et d’Armindo Monteiro pour ses clichés de l’ECP ne l’a probablement pas desservi ; Serén, 2001, p. 33.
104 Telo, 1987.
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