Chapitre XI
Mauvais sang ne saurait mentir : la suspicion généralisée entre théorie et pratique
p. 271-295
Texte intégral
1L’élément qui fait franchir un pas décisif dans la précarisation de la situation des convertis est le facteur racial qui infuse peu à peu le discours des théologiens anticonversos. La suspicion ne pouvait manquer de naître sur la sincérité des convertis de force des années 1391 en raison même des circonstances dans lesquelles leur conversion s’était produite. La question de l’intention, fondamentale dans le christianisme comme dans le judaïsme pour déterminer la foi du fidèle, avait été méprisée lors des baptêmes forcés ; elle est tout autant négligée lorsqu’il s’agit de contester aux convertis leur légitimité chrétienne dans la deuxième moitié du xve siècle, alors que la plupart sont devenus sincèrement chrétiens. Alors même que sous d’autres cieux, la spiritualité chrétienne est revivifiée par la devotio moderna qui accorde toute sa place au sujet croyant, certaines conceptions ibériques de la foi ne s’intéressent pas à l’homme spirituel, mais à son héritage biologique. Dès lors, nous l’avons dit, c’est toute la tradition de l’Église qui est remise en question, et surtout son fondement principal : l’idée qu’à la fin des temps tous les hommes se convertiront à la vraie foi.
2Le symbole par excellence de cette évolution est la place prise par le sang dans le champ du religieux1. Alors que la polémique chrétienne avait fait de la supériorité de l’esprit chrétien le signe de la prééminence du christianisme sur le judaïsme, et alors que l’eau du baptême était considérée comme supérieure — et suffisante — au sang de la circoncision pour l’élection du fidèle, le sang des juifs leur interdit finalement toute réelle assomption au christianisme. De ce fait, la réflexion des clercs ibériques désormais axée sur le sang et la race produit une inversion des valeurs qui prévalaient jusque-là, où l’esprit était supérieur à la chair et où les chrétiens spirituels étaient supérieurs aux juifs charnels. Ce faisant, le déterminisme antispirituel mis en avant par certains penseurs chrétiens rejoint l’essentialisme promu par les halakhistes qui, lorsqu’ils se prononcent sur le statut des convertis, expliquent qu’un juif né juif reste juif, même s’il a subi la contrainte de la conversion.
3Il faut souligner également l’inversion des valeurs que traduit la conception majoritaire chez les auteurs de responsa de la seconde moitié du xve siècle, qui considèrent que même incirconcis, un converti reste juif dès lors que l’on peut citer le nom de son ancêtre matrilinéaire juive. Il y a donc renversement des hiérarchies entre sang et mémoire chez les autorités rabbiniques au moment où elles sont confrontées à des tensions insupportables et où la survie de la minorité juive est en jeu. Une fois encore ces conceptions corroborent la défiance des chrétiens anticonversos et consacrent la dénaturation des deux fois, l’une désormais axée sur le corps, et l’autre sur l’esprit.
4Le concept de « pureté du sang » consacré par la sentencia-estatuto proclamée à Tolède en 1449 dans des circonstances politiques extrêmement troublées repose sur l’idée que le vrai et bon chrétien est celui dont le sang est pur de toute trace d’infidélité considérée comme souillure. A contrario le sang des juifs infidèles détermine leur mauvaise foi irrémédiablement et au-delà du baptême. Celui-ci est donc inefficace et leur conversion est invalidée de fait, même si la doctrine qui prévaut en la matière ne change pas. Leur sang impur leur interdit d’être vraiment chrétiens2.
I. — Inefficacité du baptême et infériorisation des convertis
La sentencia-estatuto de 1449
5Il n’est pas lieu ici d’analyser en détail les traités de Limpieza de sangre, mais de voir en quoi le concept de pureté qu’ils véhiculent intervient comme élément d’exclusion hors du christianisme en général de ceux qui ne sont pas « purement » chrétiens au sens lignager du terme — rompant ce faisant avec une tradition multiséculaire —, et comme élément de prohibition de l’exercice de certaines fonctions en particulier3. Les traités de pureté du sang, dont la sentencia-estatuto promulguée par les rebelles à Tolède le 5 juin 1449 est la matrice, illustrent l’instrumentalisation du concept de la pureté au service d’intérêts socio-politico-économiques dans un contexte troublé. La conception chrétienne intégratrice de la pureté laisse place à une conception désormais exclusive et dépréciative de l’autre religieux condamné au rejet même s’il a quitté la religion de ses pères.
6Dans la sentencia-estatuto, la première allusion au poids de l’héritage biologique est celle qui oppose les chrétiens issus de lignage juif — les conversos — et les vieux chrétiens purs, les Christianos viejos lindos, expression qui revient trois fois dans le texte et qui désigne les chrétiens d’ascendance chrétienne4. Benzion Netanyahu explique que pour l’auteur du texte, la « pureté » des vieux chrétiens vient de leur origine « pure », de même que la corruption des nouveaux chrétiens émane de leurs origines impures parce que juives. Et c’est là que réside la véritable originalité du texte : l’invention d’une incrimination qui repose sur le lignage impur des convertis5. La suite des crimes exposés dans la sentencia est finalement assez classique. Les auteurs du texte mettent en cause la sincérité des conversos et considèrent d’emblée que tous judaïsent — les convertis reviennent au judaïsme comme les chiens à leur vomi6 —, ce qui contribue à invalider leur identité de chrétiens. Entre autres signes de leur judaïsation, les rites qu’ils continuent à célébrer en dépit de leur conversion et qui les ramènent vers la chair, au contraire des vieux chrétiens qui, eux, sont mus par l’esprit. La référence aux agneaux qu’ils sacrifient lors de la fête de Pâque, alors que les vrais chrétiens vénèrent l’hostie, illustre l’erreur persistante dans laquelle ils se trouvent, englués qu’ils sont dans la perpétuation des pratiques obsolètes de l’ancienne alliance, tel le sacrifice.
7La seconde référence à l’ascendance concerne Jésus, dont les juifs disent qu’il est du même lignage qu’eux. L’auteur du texte considère cette assertion comme blasphématoire et l’ajoute à la liste des crimes commis par les conversos. L’idée de l’héritage, pour ne pas dire de l’hérédité7, de l’infidélité au-delà de la conversion est étayée par la référence à la longue succession des crimes des juifs depuis leur responsabilité dans la Passion, en passant par l’époque de la conquête de l’Espagne par les musulmans. Les juifs sont en effet considérés comme ayant apporté leur concours aux envahisseurs, et leurs crimes se poursuivent jusqu’à l’époque contemporaine de la sentencia où, alliés aux convertis, ils s’attachent à ruiner la Castille. En raison de cette succession de crimes dont ils ne peuvent effacer la mémoire et estomper la macule sur leur hérédité, les convertis ne peuvent se voir confier de fonctions impliquant une autorité sur les chrétiens. Cette conception des choses n’est pas originale, elle s’apparente à celle qui portait jusque-là uniquement sur les juifs et qui trouvait son origine dans le droit romain, mais en 1449 les rebelles prétendent l’appliquer aux nouveaux chrétiens.
8Dans un premier temps les statuts ne sont pas appliqués ; le pape Nicolas V y est hostile et promulgue une bulle dans laquelle il interdit qu’on refuse l’accès des charges et des honneurs aux juifs convertis, qui dès lors qu’ils ont reçu le baptême sont devenus de vrais chrétiens, à condition qu’ils se comportent comme tels8. La doctrine traditionnelle est donc confirmée par le pape. Par ailleurs, dès le pontificat d’Eugène IV, son prédécesseur, des conversos de la Couronne d’Aragon en avaient appelé à l’autorité pontificale pour protester contre les velléités de certaines élites locales qui prétendaient restreindre le champ de leurs activités. Nous avons évoqué plus haut des cas où les autorités municipales profitaient ça et là des violences antijuives des années 1390-1410 pour limiter leurs marges de manœuvre ; il en va de même trente ou quarante ans plus tard avec les conversos, dont les historiens estiment qu’ils se sont rapidement « assimilés » et ont acquis des positions sociales qui leur valent la jalousie des vieux chrétiens9. Les arguments religieux servent donc une fois de plus des motifs économiques et sociaux.
9Par la suite, alors que la rébellion de Tolède est matée et que la sentencia est abolie, l’esprit qui la sous-tend survit et des attaques contre les conversos se produisent de nouveau à Tolède en 1467, puis à Cordoue en 1474, où elles se traduisent par des massacres. Paradoxalement, ce sont les descendants des convertis, les nouveaux chrétiens, qui poussent à l’institution de l’Inquisition en 1480, espérant ainsi faire cesser les fantasmes anticonversos et les recherches empiriques sur leur ascendance qui débouchent sur des violences. Çà et là, les autorités et groupes de pression locaux essaient de mettre en œuvre des règlements fondés sur les principes de la sentencia-estatuto, c’est-à-dire qui ont pour objectif d’exclure des charges publiques et autres responsabilités les descendants de convertis. Mais ce sont les institutions religieuses qui, les premières, inscrivent dans leurs statuts de telles dispositions. L’ordre des Hiéronymites est en effet le premier à adopter un statut de pureté du sang en 1486, suivi par d’autres10.
10Benzion Netanyahu estime que le « racisme » qu’il repère dans l’esprit du texte de la sentencia-estatuto a alors largement gagné ceux des vieux chrétiens qui s’expriment contre les descendants de convertis. Les préoccupations portant sur le lignage et l’ascendance se généralisent et fournissent des armes aux anticonversos, pour qui la mise au jour des origines des convertis devient une préoccupation obsessionnelle. Le légiste Ruy García de Villalpando l’exprime clairement dans des propos rapportés par Juan de Torquemada, qui les dénonce dans son Tractatus contra madianitas et ismaelitas :
Et pourtant selon les témoignages des divines Écritures, tous les conversos qui sont descendants de race juive, qui sont nés juifs ou sont fils ou petits-fils ou arrière-petits-fils ou arrière-arrière-petits-fils de juifs et qui ont été baptisés, dans la mesure où ils descendent en définitive d’une race aussi mauvaise et condamnée, sont suspects quant à la foi, parce que le péché de l’infidélité ne peut pas être purgé avant la quatrième génération11.
11Outre la mention explicite de la race juive dépréciée — et le sens même du terme raza a été longuement débattu12 —, on voit ici clairement l’idée que le baptême est inefficace, ou à tout le moins que les convertis du judaïsme constituent plus une sous-catégorie de chrétiens qu’ils ne sont des nouveaux chrétiens. Ils doivent attendre une période probatoire de quatre générations pour mériter d’être considérés comme de vrais chrétiens et pour que les traces d’infidélité qu’ils portent en eux du fait de leur ascendance soient effacées. Cette « période probatoire » est doublement intéressante dans la mesure où elle rappelle le laps de temps indiqué par Maïmonide dans son évocation du ger biblique13 dans le Mishne Tora. Le sage expliquait que pour accepter le mariage d’un ger issu d’Édom ou d’Égypte avec une fille d’Israël, il fallait attendre trois générations parce que ces peuples avaient été particulièrement cruels à l’égard d’Israël et qu’une prudente suspicion s’imposait à leur égard. C’est la même prudence qui prévaut ici, sauf que lorsqu’on observe les choses sous un angle historique, les quatre générations préconisées comme terme au bout duquel le danger n’existe plus correspondent précisément au moment où la suspicion est tellement forte qu’elle produit la nouvelle idéologie de la race qui annihile et remplace les doutes peut-être légitimes. Dans les faits, avec le temps, les convertis n’échappent pas à leurs racines et le droit à l’oubli leur est interdit.
Les thèses d’Alonso de Espina
12Le plus ardent propagandiste de cette idéologie est Alonso de Espina, qui compose en 1459 avec son Fortalitium Fidei un catalogue de toutes les atrocités commises par les juifs en Occident pour, selon Albert Sicroff, « faire des Nouveaux Chrétiens les héritiers de l’esprit du mal de leurs aïeux juifs14 ». Alonso de Espina recommande la plus stricte ségrégation entre juifs et chrétiens et se méfie particulièrement des contacts qui pourraient subsister entre juifs et convertis15. Ces derniers font l’objet des préventions les plus fortes et la démonstration d’Alonso de Espina pour convaincre son lecteur de la vanité de la conversion des juifs est méthodique. Elle s’effectue en trois temps, déclinés en huit points — dans la douzième considération du troisième livre. Le premier temps consiste à démontrer que les juifs ne veulent ou ne peuvent vraiment se convertir, le deuxième insiste sur les précautions qu’il convient de prendre si malgré tout certains allaient au bout de leur démarche, le troisième établit les types de châtiment pour sanctionner leur rechute. C’est sans doute l’exposé des facteurs empêchant les juifs d’opérer une véritable conversion qui révèle une essentialisation de ces infidèles, et qui, dans la mesure où ils sont tous négatifs, teinte le propos d’une nuance que l’on peut qualifier, déjà, de raciste.
13Parmi les facteurs qui empêchent la conversion des juifs, Alonso de Espina cite les lois exposées dans le Talmud, en particulier celles portant sur la pureté rituelle — tant alimentaire que corporelle —, les principes exposés dans l’Ancien Testament et l’« amour immodéré des juifs pour leurs femmes, leurs enfants et leurs parents16 ». Le théologien « parle d’expérience » car il affirme — il s’agit évidemment d’un exemplum — avoir longuement discuté avec un juif qui lui a déclaré être sincèrement convaincu de la vérité du christianisme et songer à se convertir. Or, bien que convaincu depuis longtemps, le juif attend, car il craint que son père meure de chagrin en apprenant la nouvelle de sa conversion. Ne pouvant être responsable de la mort de son père, il imagine un stratagème consistant à faire croire à son emprisonnement et à la seule issue possible pour sa libération : sa conversion au christianisme. Alonso de Espina explique alors pourquoi il désapprouve ce stratagème : il considère que c’est un procédé de mauvaise foi qui ne convient pas à la vraie foi que constitue le christianisme17.
14Un autre argument recourant à des considérations raciales est celui qui consiste à dire que les juifs ont une inclination naturelle pour toutes les opinions, habitudes et cérémonies du Talmud, auxquelles ils sont abreuvés toute leur vie et dont ils ne peuvent se défaire. Alonso de Espina compare l’attachement indéfectible des juifs au Talmud à la négritude des Éthiopiens, ou à la bigarrure de la peau du léopard. De même que les Éthiopiens ou les léopards ne peuvent changer de peau, car la nature les en a dotés, les juifs ne peuvent convertir leur nature du mal vers le bien, même s’ils le désirent. On comprend dès lors qu’aux yeux du théologien, l’hypothèse d’une conversion sincère du judaïsme au christianisme ne peut être envisagée18.
15Sur cette base, Alonso de Espina conclut que beaucoup de convertis font du mal à l’Église et que leur conversion ne repose par sur des principes honorables, mais qu’elle est mue par l’esprit du lucre19. Le polémiste avance avec cet argument ce qui est en train de devenir un lieu commun de l’antijudaïsme : l’avarice et la prédisposition à l’usure. Alonso de Espina recommande donc d’observer des règles très strictes pour la conversion des juifs20. En effet, comme la perfidie des juifs les ramène souvent à leur infidélité, Alonso de Espina, s’inspirant du Décret, recommande que leur détermination à devenir chrétiens soit éprouvée dans le catéchuménat pendant huit mois à l’issue desquels, si leur foi est pure, le baptême pourra leur être administré21. Mais même là, alors qu’en théorie toutes les précautions sont prises, rien n’assure que le converti se comportera conformément à sa nouvelle foi plutôt qu’à sa véritable nature. Alonso de Espina se trouve ici confronté au dilemme qui suscite les débats des clercs depuis les origines : les modalités de l’incitation à la conversion et le problème du baptême des enfants. Il rappelle les débats des théologiens et notamment la position de Thomas d’Aquin qui fait autorité, tout en livrant son opinion personnelle sur cette question délicate. Pour lui, le baptême est recevable sans l’accord des parents si les enfants sont à l’article de la mort. Il ajoute enfin pour finir, mais en contradiction totale avec ses thèses précédentes, qu’il vaut mieux pousser les juifs à se convertir que de les laisser mal agir impunément22.
16Enfin, le troisième temps du développement sur la conversion est consacré au châtiment du relaps. Alonso de Espina rappelle les dispositions prises dans le cadre des conciles de Tolède par les rois wisigothiques à l’encontre des juifs convertis de force, et les serments qu’ils avaient dû prêter. Déjà, les habitudes et cérémonies juives étaient vues comme des marqueurs, et leur perpétuation comme le signe de conversions inabouties. Le théologien est persuadé que si des enquêtes sérieuses étaient menées, elles mettraient en évidence le fait que de nombreux convertis sont en fait de mauvais chrétiens retombés dans les erreurs de la foi de leurs pères et qu’il faut les punir plus encore que les juifs restés de tous temps fidèles à leur foi23.
17Ainsi, la conversion des juifs, bien que présentée comme la seule solution possible pour le bien, est connotée de manière très négative. Alonso de Espina se trouve confronté à deux impératifs contradictoires : moralement il faut agir pour le bien et donc pousser à la conversion des juifs, mais concrètement rien de bon ne peut en sortir puisque les juifs sont par nature voués à faire le mal. Quoi qu’ils éprouvent, ils sont condamnés à être rattrapés par leur histoire, leur culture, leurs sentiments ou leur nature. Dans l’esprit du franciscain, les juifs convertis sont comparables à des êtres grimés ou déguisés qui prennent les atours de l’autre, le vrai fidèle, pour faire oublier qui ils sont, sans avoir changé le moins du monde. On retrouve là le mélange de ridicule et d’imposture, d’hybridité et d’inclassabilité, qui frappait à la lecture de la description de l’Alborayque. L’infidélité des juifs, qui fait d’eux des êtres impurs dans le corps de la chrétienté, n’est pas rédimable et elle les condamne, même convertis, à en porter le stigmate éternellement.
18Si Alonso de Espina écrit dix ans après l’adoption de la sentencia-estatuto pour souligner sa pertinence et la nécessité de la mettre en œuvre, plusieurs clercs marquent leur désapprobation à l’égard des thèses qu’elle défend, dès les événements de 144924.
II. — Défense et illustration de la conversion : Fernán Díaz, Alonso de Cartagena, Juan de Torquemada, Alonso de Oropesa
19Tel est le cas de Fernán Díaz, converti avec sa famille lors des violences de 1391 et éduqué par son père dans le christianisme. Il gagne assez vite le cercle des proches du roi de Castille Jean II et s’attache à défendre les convertis dès la promulgation de la sentencia-estatuto en 144925. Le principal axe de sa défense réside dans le fait qu’il est impossible de dénier aux conversos toute sincérité ou d’inférioriser la qualité de leur christianisme en vertu de leur origine juive, car la Vierge était juive et Jésus également. Jésus est devenu le premier chrétien et personne ne songerait à lui contester ce statut. De même, il est impossible de nier les mérites du judaïsme pour le christianisme dans la mesure où Jésus et ses disciples étaient issus de lignages juifs. De ce fait, détester la race juive n’a aucun sens et se révèle même contraire à l’esprit chrétien26.
20Le deuxième axe de la défense des convertis par Fernán Díaz repose sur des considérations pratiques et réside dans le nombre selon lui infime de convertis insincères encore présents en Espagne au milieu du xve siècle. Il estime le nombre des crypto-juifs à moins d’une dizaine. Il n’est sans doute pas totalement objectif puisque, lui-même converti, il œuvre pour la défense des conversos attaqués, néanmoins le faible nombre des crypto-juifs est corroboré par des indications fournies par d’autres sources, comme nous l’avons dit plus haut. Il n’est pas lieu ici d’entrer dans le détail des chiffres et des polémiques qui opposent parfois encore les historiens au sujet de la sincérité des convertis et de l’extension du phénomène du « marranisme »27, mais d’analyser l’argumentation qui soutient la légitimité des convertis à se revendiquer comme pleinement chrétiens. Or, Fernán Díaz rappelle le principe fondamental selon lequel, à partir du moment où les convertis sont sincères, il n’y a pas de raison de les traiter différemment des autres chrétiens.
21Le troisième axe de sa défense est porté par l’argument du temps écoulé. Comment peut-on justifier d’appeler « convertis » des hommes, certes issus de grands-parents juifs, mais qui sont nés chrétiens eux-mêmes puisque leurs ancêtres furent christianisés soixante ans auparavant, et surtout qui se considèrent comme tels et n’ont aucune connaissance du judaïsme28 ? Fernán Díaz revendique ici sans le dire une espèce de droit à l’oubli pour les descendants de convertis et répond point pour point aux arguments avancés par la sentencia pour déprécier la conversion des juifs. En prenant pour paradigme l’exemple du Christ et de ses disciples, il entend relégitimer la conversion de tous les juifs et redonner au baptême sa pleine efficacité, conformément à la doctrine de l’Église primitive. L’argument du temps écoulé et de ses effets sur la « nature » du converti ou de ses descendants rejoint le raisonnement produit par la majorité des sages juifs, qui considèrent qu’au-delà de deux générations, les descendants de convertis qui n’ont pas volontairement rejoint une terre où ils peuvent pratiquer ouvertement le judaïsme sont devenus vraiment chrétiens.
22Juan de Torquemada effectue une démarche comparable à la même époque lorsqu’il rappelle que l’« Église universelle tient et enseigne à propos de l’effet du baptême, que ceux qui sont vraiment baptisés ne doivent être suspectés de nul crime29 ». En effet, l’accusation formulée à l’encontre des nouveaux chrétiens est plurielle, avant tout morale lorsqu’elle souligne le danger de corruption que leur origine impure ferait courir à la chrétienté, mais aussi matérielle lorsqu’elle dénonce les complots financiers et politiques dont ils seraient les artisans cachés. Cette incrimination polymorphe a pour effet de toucher toutes les sensibilités, et c’est là que réside vraiment la portée de l’attaque contre les conversos et la nécessité que ressentent certains clercs, eux-mêmes convertis ou descendants de convertis, de les défendre. Juan de Torquemada insiste sur l’efficacité du baptême, qui crée vraiment un homme nouveau, un chrétien au sens plein du terme qu’il ne faut pas différencier des autres. Il emploie pour sa part l’expression « fidèles chrétiens descendants du peuple d’Israël30 ». Certes les origines ne sont pas oubliées, mais l’assomption au christianisme est totale. Pour lui c’est cette différenciation qui est criminelle et même impie en ce qu’elle constitue une tache — macula — sur l’intégrité de l’Église, elle-même issue de la judéité et de la gentilité, eu égard à la doctrine chrétienne du baptême31. Il y a donc dans la rhétorique de Juan de Torquemada retournement du discours sur l’impureté, les opposants aux nouveaux chrétiens étant eux-mêmes agents de corruption. Il rejoint là la position d’Alonso de Cartagena, qui considère les opposants aux nouveaux chrétiens comme des hérétiques et des schismatiques.
23Juan de Torquemada réaffirme vigoureusement la légitimité du baptême comme élément de purification, de rédemption et même de sanctification — trahissant peut-être là une conception héritée de la spiritualité juive dans laquelle il a baigné dans son enfance et qui conçoit le rite comme doublement efficace, purificatoire pour l’homme et sanctifiant pour Dieu32. Lui aussi reprend la question du baptême des enfants, non pour approuver son administration en dehors du consentement des parents, mais pour reconnaître aux convertis de la « première génération » une totale légitimité à se revendiquer comme chrétiens. Ce faisant, il rejette catégoriquement le topos de la littérature exégétique sur la transmission générationnelle des fautes, dont l’interprétation était jusqu’au milieu du xve siècle essentiellement morale, mais auquel la récente idéologie raciale ou lignagère accordait un supplément d’efficacité pratique33. Il fait du baptême un sacrement plus efficace que la circoncision, qui déjà, appliquée sur les enfants, suffisait à racheter les fautes des parents. De même que la circoncision d’Abraham rachète et annule son ancienne idolâtrie, le baptême des enfants juifs rachète leur ancienne judéité et celle de leurs pères : il y a avec cet argument une revendication du droit à l’oubli des origines et une contestation du poids du lignage et de la race sur la nature de l’individu. Ce sont bien deux conceptions totalement opposées qui s’affrontent à ce moment-là.
24Ce faisant, Juan de Torquemada réaffirme la doctrine chrétienne primitive du baptême comme outil d’effacement définitif de la faute. Or, nous avons souligné que c’est précisément ce caractère définitif qui distingue la conception chrétienne de la purification de la conception juive, ponctuelle et nécessairement récurrente. C’est aussi cela que signifie le dominicain lorsqu’il explique que les convertis baptisés ne doivent être suspectés de nul crime : ils ont été définitivement lavés de toute faute par l’eau du baptême, au même titre que n’importe quel chrétien. De ce fait, si le converti lui-même est rédimé, il est totalement inepte de considérer que ses descendants portent la suspicion jusqu’à la quatrième génération : la conception raciale des opposants aux nouveaux chrétiens est ainsi invalidée en vertu des Écritures, mais aussi en vertu de l’expérience du Christ lui-même. Elle est considérée comme « répugnante aux yeux de la Miséricorde divine »34. Les chrétiens issus de chrétiens comme issus de juifs ou de gentils sont frères, car tous issus des mêmes parents : Dieu le Père et la mère Église. Ainsi de même que le baptême est créateur de l’homme nouveau, la conversion est créatrice d’une nouvelle famille, la véritable Societas Christiana dont tous les membres sont égaux35. Il va de soi que dans cette conception, l’idéologie du lignage de sang disparaît complètement au profit de la filiation spirituelle et morale ; la famille n’est pas moins importante, mais répond à une conception ascendante ou transcendante, plutôt qu’à une lecture descendante. Dans le premier cas, parallèlement à la priorité donnée à l’âme et à l’intention, c’est une vision tendue vers l’espoir et le salut qui triomphe, alors que dans le second cas d’une conception centrée sur la chair et le sang, s’impose une vision tourmentée et dominée par la damnation.
25Parmi les défenseurs des nouveaux chrétiens, le plus percutant est sans doute Alonso de Cartagena, qui fut notamment évêque de Burgos, et dont nous avons cité à plusieurs reprises les conceptions en matière de dogme ou de sacrement. Il met d’autant plus d’ardeur à défendre la validité de la conversion et l’ineptie de la distinction entre vieux chrétiens et nouveaux chrétiens, qu’il est lui-même converti et qu’il a gravi les échelons de la hiérarchie ecclésiastique en ressentant dans sa chair sa nouvelle identité de chrétien. Lui vraiment, plus qu’Alonso de Espina, peut dire qu’il parle d’expérience.
26Un des premiers axes du discours de l’évêque de Burgos est dirigé vers la défense de la conversion, dont il trouve à la fois la préfiguration et la légitimité dans l’Ancien Testament. Il cite les exemples des femmes qui, au départ non israélites, furent pleinement intégrées au peuple hébreu et dont le mariage puis la descendance furent considérés comme totalement valides. Ainsi de Ruth la Moabite, que l’exégèse juive puis chrétienne replacent dans la généalogie du roi David et de Jésus, qui choisit d’intégrer le peuple hébreu et de se plier à ses lois, et qui finit par épouser Boaz, juge — c’est-à-dire roi — d’Israël36. L’exemple de Ruth et de sa postérité est paradigmatique de la pertinence de la conversion qui efface l’hypothèque que constituent les origines sur l’assomption à une nouvelle foi37. L’exemple de Ruth comme des autres convertis bibliques corrobore le fait qu’après la conversion, les anciens et les nouveaux fidèles ne constituent plus qu’un seul peuple, uni malgré la différence de la chair et du sang de ceux qui étaient auparavant des gentils.
27C’est précisément la pertinence du thème de l’impureté ou de l’indépassabilité des origines symbolisées par le sang qu’Alonso de Cartagena entreprend de démolir. Il rejette l’idée de la prépondérance du sang parmi les facteurs et les marques d’élévation des individus. Également auteur d’œuvres consacrées à la noblesse et à la chevalerie, il explique que certes, le facteur héréditaire joue un rôle important pour la transmission des vertus physiques, en particulier la force, mais qu’il n’est pas le seul élément opérant pour la transmission des vertus morales. Celles-ci se développent chez certains individus indépendamment du lignage38. Alonso de Cartagena rejette donc le déterminisme exclusif des origines pour faire valoir la vertu comme facteur d’élévation. Et c’est justement de cette vertu que peuvent se recommander les convertis et les descendants de convertis qui sont parvenus à s’élever. Alonso de Cartagena répond ici à l’accusation d’élévation indue formulée contre les nouveaux chrétiens par les vieux chrétiens jaloux qui accusent les convertis de comploter pour ruiner l’Espagne39. Il explique que leur promotion n’est pas le fruit d’un complot, mais bien de leurs mérites, même si les juifs distingués socialement sont surreprésentés par rapport aux nobles ou aux « rustiques » :
Il est logique de supposer que parmi certains d’entre eux la noblesse qu’ils possèdent depuis longtemps ait été cachée, enfermée dans leur poitrine et même noircie par l’obscurité de l’infidélité, jusqu’à ce qu’elle soit purifiée par l’acceptation de la foi comme l’herbe du diable, et devenue plus blanche que neige par l’aspersion de l’eau du baptême, comme une lampe qui a été enfermée et qui, une fois sortie du boisseau, est prête à lancer ses rayons et sa lumière40.
28Loin d’être condamnés par leur sang que certains disent impur, ils cachent au fond d’eux la noblesse qui leur permet de s’élever et qui est révélée par le baptême. Alonso de Cartagena reconnaît donc au sacrement sa pleine efficacité et son pouvoir purificateur, et il rejette l’idée que les juifs, en raison de leur infidélité ne peuvent s’amender41. Alors qu’Alonso de Espina considère l’infidélité comme rédhibitoire et irrémissible, le nouveau chrétien qu’est Alonso de Cartagena la tient tout au plus pour un voile, un obstacle temporaire, qui ne condamne pas à un opprobre définitif. Il ne nie pas l’infidélité ni ses effets en termes de souillure, mais il estime que l’homme qui adhère à une foi chrétienne sincère peut s’en purifier, conformément à la doctrine de la purification dans le judaïsme. De même que l’homme retombe chroniquement dans l’impureté, il en sort tout aussi régulièrement. Mais à la différence de la purification en vigueur dans le judaïsme, le baptême chrétien a cette vertu miraculeuse de purifier le fidèle une fois pour toutes. À propos de la nécessité d’accueillir tout un chacun dans la communauté chrétienne sans distinction, il évoque la parole de Pierre au centurion Cornélius (Actes des Apôtres X, 10-16) — « Vous savez combien il est abominable pour un juif de fréquenter un étranger ou d’entrer dans sa maison, mais Dieu m’a montré qu’aucun homme ne doit être considéré comme impur ou immonde » —, il commente :
Donc, nous ne nous occupons plus de la superficialité de la chair, mais nous examinons l’intimité du cœur et si ceux-ci ont été purifiés, les péchés disparaîtront. […] Et de cette manière, quiconque est lavé dans les eaux du baptême, qu’il soit gentil ou descendant de gentil recevra le salut de son âme, comme ce fut le cas avec l’eau du Jourdain que le Christ a sanctifiée en la touchant42.
29Le parallèle est donc fait entre l’eau du Jourdain, sanctifiée car touchée par le Christ et de ce fait purifiante pour les nouveaux fidèles qui venaient s’y tremper — dans un geste rituel assimilable à celui de l’immersion dans le mikve pour les juifs — comme si l’eau du fleuve gardait éternellement l’effet du toucher du Christ, et l’eau du baptême, qui malgré le temps passé n’est pas seulement un symbole du changement d’état de celui qui en est lustré, mais bien un agent purifiant aussi efficace que l’eau du fleuve à l’époque de Jésus.
30Et comme Juan de Torquemada, Alonso de Cartagena retourne l’argument de l’impureté attribuée aux convertis par le parti adverse, contre ceux qui créent la division à l’intérieur de l’Église dont ils souillent l’intégrité par leurs idées43. Il incrimine les accusations de judaïsation formulées sans preuve contre les conversos et les assimile lui aussi à des actes schismatiques et comparables à la judaïsation elle-même. Si celle-ci était vérifiée, il faudrait évidemment la réprimer avec la plus grande sévérité « parce que la pureté de la religion chrétienne et la nouveauté très pure de la loi évangélique ne tolèrent aucune rouille ni tartre, ni mauvaises coutumes de l’ancien judaïsme ou du paganisme, mais bien au contraire détestent toute judaïsation ou paganisation »44. Nous pouvons souligner les métaphores organiques employées par le dominicain pour désigner les effets de l’infidélité sur la foi chrétienne, qu’elle vient transformer et corrompre et non seulement salir. « En conséquence, il convient d’éliminer des terres chrétiennes l’erreur de ceux qui veulent introduire les différences d’origine charnelle, autant qu’il convient de purifier et rejeter au loin la saleté et l’immondice de ceux qui reviennent tomber dans la cécité du judaïsme ou d’un quelconque paganisme ou d’une secte sordide45 ». Alonso de Cartagena rejette donc avec force le rappel de l’infidélité des origines du converti contenu dans l’argument de la pureté du sang, qui corrompt selon lui la doctrine de l’Église au même titre que la rejudaïsation corrompt le christianisme.
31Pourtant, aussi déterminée et profonde qu’ait été sa réponse, l’idéologie de la pureté du sang ne cesse de se répandre dans la société castillane, de plus en plus suspicieuse à l’égard des convertis. Une dernière œuvre de défense est produite en 1465 par Alonso de Oropesa, lui aussi d’origine conversa et moine hiéronymite à Guadalupe. Il s’agit du Lumen ad revelationem gentium, dont le principal axe argumentatif consiste à défendre l’idée que l’Église, vieux et nouveaux chrétiens confondus, est unie et forme un ensemble harmonieux conformément aux principes évangéliques46. Si la défense des conversos et des nouveaux chrétiens occupe une part très importante de l’œuvre, celle-ci se distingue toutefois par un antijudaïsme virulent, comme si pour renforcer la légitimité des conversos à se revendiquer chrétiens, il fallait dénoncer la malignité des juifs de la façon la plus outrancière. Les topoï les plus grossiers sont convoqués pour mettre en garde les chrétiens contre la malignité des juifs dont la ségrégation est recommandée, et a fortiori pour protéger les convertis qui risqueraient d’être contaminés à nouveau47. Toutefois si les juifs constituent un danger pour l’intégrité et le salut de la chrétienté, les convertis doivent être traités à l’égal des vrais chrétiens48. Du point de vue du lecteur, autant la défense des convertis d’Alonso de Cartagena paraît convaincante et même brillante, autant l’argumentation d’Alonso de Oropesa qui dénonce la malignité de la race juive semble peu percutante. Sa véhémence antijuive, et pour tout dire antisémite, affaiblit sa défense du converti dont on voit mal comment il peut, même sous l’effet du baptême auquel le moine consacre d’ailleurs une analyse très inférieure à celle d’Alonso de Cartagena, se défaire aussi « facilement » de ses vices.
32Ce qui ressort par ailleurs à la lecture de la charge d’Alonso de Oropesa, c’est un véritable sentiment de danger, comme s’il représentait une chrétienté assiégée par une armée conquérante sur le point de mettre à bas l’édifice chrétien. La métaphore de la vipère, insaisissable et venimeuse, est utilisée pour désigner le danger incarné par la « race » juive49. Quinze ans après les événements de Tolède et la promulgation temporaire de la sentencia-estatuto, le « problème » de la judaïsation des convertis est encore exacerbé et la sensibilité sur ce point frise la paranoïa :
Ce que je prétends faire voir sur ce point, c’est que la dureté des juifs cherche directement à blasphémer contre le Christ et guette continuellement le moment de mordre le talon des fidèles avec son venin […] parce que s’il est certain qu’ils ne peuvent ni n’osent convertir les fidèles à leur infidélité, il n’y a pas de doute qu’ils puissent et osent les pervertir en les écartant de la foi droite et catholique, en les souillant de leurs saletés ou en les corrompant avec leurs dogmes pervers50.
33Le registre de la souillure et de l’impureté est utilisé pour dénoncer le péril mortel, le danger qui consiste non pas en l’élimination du christianisme — Alonso de Oropesa ne va pas jusque-là car une telle éventualité est inenvisageable —, mais en sa dénaturation, sa corruption. Et nous retrouvons là une fois de plus le spectre de la non-reconnaissance et de la perte des repères, qui se trouve au fondement de l’accusation d’impureté. La foi droite et catholique est menacée de corruption par les doutes que les juifs pourraient induire dans l’esprit de chrétiens affaiblis. Ce travail de sape, plus insidieux qu’une véritable opération de conversion qui toucherait quelques individus, menacerait la société chrétienne dans ses fondements51. On comprend dès lors les précautions recommandées pour protéger les fidèles et en particulier les néophytes, plus fragiles que les autres dans leur foi et plus exposés aux tentatives de corruption de leurs anciens coreligionnaires. Le ton adopté quelques chapitres plus loin par Alonso de Oropesa dans sa défense de la légitimité de la conversion contraste de façon frappante avec les intonations des premiers chapitres. Il consacre en effet un long développement à expliquer que les juifs et les gentils convertis ne constituent plus qu’un seul peuple avec les chrétiens — sous-entendu les vieux chrétiens, mais il n’emploie pas le terme — et que tous vivent en parfaite harmonie. À l’état de guerre larvée qui infuse les relations entre juifs et chrétiens, se substitue un état de concorde et de paix qui unit vieux et nouveaux chrétiens. Il n’y a donc aucun doute quant à la revendication des convertis à être pleinement chrétiens52. Mais malgré cette défense, l’heure n’est plus à la confiance et la suspicion généralisée pousse à d’autres mesures.
III. — La multiplication des enquêtes et sentences de condamnation pour hérésie
34Malgré l’abolition quasi immédiate de la sentencia-estatuto à Tolède, malgré l’opposition royale et pontificale catégorique, malgré les efforts de certains clercs pour aplanir les différences, la distinction entre vieux chrétiens et nouveaux chrétiens s’impose de façon presque institutionnelle et l’esprit de suspicion envers les conversos qui animait le texte continue d’infuser la société ibérique. Trente ans plus tard, à la faveur des troubles politiques et des difficultés économiques, l’Inquisition chargée de débusquer les convertis judaïsants est instituée, imprimant un tour résolument exclusif à la politique et à la société dominantes53. Les non-chrétiens constituent alors des « autres » définitivement inassimilables et les nouveaux chrétiens suspects sont eux aussi rejetés dans une altérité nouvelle mais non moins figée. Si le crypto-judaïsme existe sans doute, il prend dans l’esprit des clercs une importance démesurée et finit par s’auto-alimenter à la source des procès d’inquisition, qui créent, autant qu’ils en débusquent, des convertis relaps.
35Nous ne reviendrons pas ici sur les débats qui ont animé les historiens à propos des causes véritables de l’instauration du Saint-Office de l’Inquisition54, ni sur les motifs et l’attitude des souverains dans cette affaire, mais nous indiquerons simplement quelques éléments de chronologie55. Le pape Sixte IV accède à la demande des Rois Catholiques et proclame la création de l’Inquisition espagnole le 1er novembre 1478 dans une bulle qui reprend les motifs exposés par la sentencia-estatuto trente ans plus tôt : la judaïsation des convertis et les crimes fomentés à l’encontre de l’Espagne56. À la différence de l’Inquisition médiévale née au milieu du xiiie siècle, l’Inquisition « moderne » dépend directement et exclusivement des souverains ibériques qui en nomment les membres, soit deux par diocèse ou cité, évêques ou religieux. Elle est donc un instrument religieux, mais aussi politique, au service du gouvernement des Rois Catholiques. Ce n’est que deux ans plus tard, en septembre 1480, qu’elle est véritablement installée à Séville. Ferdinand d’Aragon prétend étendre sa juridiction à la Couronne d’Aragon, mais comme il y existe déjà l’Inquisition « médiévale » qui traite ponctuellement des dossiers incriminant des juifs ou des convertis judaïsants, un certain nombre de résistances s’expriment. La compétence du tribunal de l’Inquisition est pourtant étendue à la Couronne d’Aragon dont la Catalogne en 1483, et au territoire de Valence en 1484. Les archives de la chancellerie aragonaise conservent un registre intitulé De l’Inquisition qui contient des documents couvrant la période 1482-1507 et qui garde la mémoire de l’institution dans son versant administratif57. Sont ainsi consignés les noms et les salaires des acteurs qui y prennent part, la forme des procédures et les formules employées — notamment pour l’abjuration et la réconciliation des accusés convaincus d’être relaps —, ainsi que les listes des néophytes condamnés et transmis au bras séculier. C’est vraiment à partir du milieu des années 1480, et de manière décisive à partir de 1487, que l’activité des tribunaux s’accélère. Dans cette affaire, la coupure de 1492 n’a pas de sens, puisque les suspects sont souvent des convertis de longue date qui, en tant que tels, ne sont pas visés par le décret d’expulsion des juifs. Les cas traités en Catalogne et dans toute la Couronne d’Aragon se multiplient alors, ce qui est corroboré par les archives municipales de Barcelone58. Les listes des noms des coupables sont consignées et permettent de distinguer les différents types de sanctions prononcées. Certains abjurent et sont réconciliés après avoir effectué une procession exemplaire59, d’autres qui refusent d’abjurer sont transmis au bras séculier pour l’exécution de leur peine, mais tous sont spoliés de leurs biens.
36Parmi les membres particulièrement actifs du tribunal inquisitorial de Barcelone, son Inquisiteur principal, Alonso de Espina — homonyme60 de l’auteur du Fortalitium Fidei —, prend les mesures nécessaires à l’encadrement des suspects d’apostasie afin de les empêcher de fuir hors des terres de la Couronne61. Ces mesures font l’objet de criées publiques et tissent une toile dont il devient difficile de s’échapper, car les complices, volontaires ou stipendiés, sont eux aussi menacés de châtiment, comme en témoigne un dossier conservé aux archives municipales de Barcelone. Il fournit en effet l’exemple du propriétaire d’un navire à bord duquel des suspects d’hérésie projetaient de s’enfuir, qui est emprisonné et dont le bateau est confisqué. Le contrôle des suspects est alors un enjeu important, à la fois religieux et fiscal, puisque dans le premier cas il s’agit d’empêcher la dissémination de l’hérésie, et dans le second d’empêcher l’échappement d’une source de revenus importante à la fois pour le roi et pour l’institution inquisitoriale62. Par ailleurs, Alonso de Espina organise un certain nombre de processions, notamment dès avant sa prestation de serment, puisque 50 personnes convaincues d’hérésie défilent en habits de pénitents le 14 décembre 148763. Une dizaine d’actions en rapport avec la lutte contre l’hérésie — processions, condamnations ou proclamations de grâce — sont effectuées entre décembre 1487 et août 1488. Au mois d’août de cette année-là, 34 hommes et 85 femmes sont ainsi graciés et réconciliés à Barcelone64.
37Certains individus, tel Jean Mayol, orfèvre et argentier accusé à tort, sont même blanchis après que la preuve de leur diffamation par des concurrents jaloux a été faite65. Les dénonciations calomnieuses ont toujours été une pratique courante des envieux et le contexte paranoïaque de la fin du xve siècle y donne prise encore davantage66. D’autres en revanche sont condamnés à mort et brûlés en raison de crimes dont le registre ne nous dit rien — si ce n’est que les condamnés ont été convaincus de judaïsation ou d’avoir dissimulé des origines juives —, à l’exception d’un seul cas que nous analyserons plus loin.
38L’activité de l’Inquisition est soutenue tout au long de cette période. Le 9 février 1489, trois nouveaux « hérétiques » sont condamnés à mort et transférés au bras séculier67. Le bourreau — un boucher — les étrangle avant qu’ils ne soient livrés aux flammes68. Si certains suspects sont réconciliés et libérés de prison, les enquêtes du tribunal débouchent souvent sur la condamnation des personnes dénoncées. Ainsi au début de l’année 1489, 29 autres hérétiques sont condamnés et exécutés69, puis de nouveau 122 personnes sont brûlées le 24 mars 149070, 3 autres en juin 149171, et 115 néophytes fugitifs sont condamnés dans la même ville quelques semaines plus tard72. Et entre octobre et mai 1492, 39 néophytes suspects d’hérésie abjurent, sont réconciliés et processionnent dans la ville73.
39Mais le champ de compétence d’Alonso de Espina ne se réduit pas à Barcelone, il agit également à Tarragone et à Gérone, où des inculpations et des instructions sont menées. À Tarragone plusieurs inculpés sont réconciliés, mais d’autres sont condamnés à être brûlés, notamment 1 homme et 5 femmes en mars 149074. Quant à Gérone, 31 hommes et femmes désignés comme « néophytes et convertis » y sont brûlés le 14 février 1491. Il est intéressant de souligner que le registre mentionne la promulgation de l’édit d’expulsion des juifs sans que cela entraîne de frein à l’action du tribunal inquisitorial puisque, par définition, ses procédures visent les convertis ou plutôt leurs descendants75.
40Nous constatons donc qu’à partir du moment où l’Inquisition est instaurée dans la Couronne d’Aragon, elle ne cesse d’agir et d’instruire des dossiers qui débouchent sur des condamnations sévères : 217 personnes au minimum sont ainsi exécutées entre décembre 1487 et mai 1492.
41Mais à part un cas exceptionnel qui s’apparente à un crime rituel commis à Barcelone, le registre De l’Inquisition conservé aux Archives de la Couronne d’Aragon n’indique pas les motifs des condamnations. Ces motifs sont en revanche exposés dans les procès consignés dans des cahiers conservés aux Archives historiques nationales d’Espagne ou aux Archives historiques provinciales de Saragosse, pour les procès intentés par le tribunal inquisitorial qui y est institué76. Ceux-ci nous intéressent au premier chef, car c’est à travers l’énoncé des crimes dont sont accusés les néophytes que l’on mesure le plus clairement en quoi l’hybridité des descendants de convertis est devenue problématique pour l’Église et les garants de limites religieuses étanches entre fidèles et infidèles. Il ne faut évidemment pas être dupe des formules d’incrimination qu’ils contiennent et qui ont pour objet de prouver la culpabilité des accusés, mais c’est bien un mélange de pratiques religieuses interconfessionnelles qu’ils révèlent, et qui, attesté ou fantasmé, participe de l’élaboration d’une pratique, et même d’une foi syncrétique et échappant au cadre rigide fixé par les normes et les dogmes77.
42Les cas traités par le tribunal de Saragosse révèlent en effet des conceptions hétérodoxes concernant le salut, caractérisées par un brouillage des frontières devenues très labiles entre les deux religions, qui crée de ce fait de nouvelles croyances. Des descendants de conversos de Saragosse ou de Calamocha prétendent ainsi au milieu des années 1480 que l’on peut obtenir le salut, aussi bien dans la loi de Moïse pour les juifs, que dans l’Église pour les chrétiens, et certains soutiennent même que les conversos peuvent l’obtenir dans les deux78. Mais les motifs d’accusation les plus fréquents concernent la judaïsation. Entre 1482 et 1492 une quinzaine de procès sont intentés par le tribunal inquisitorial de Valence à des individus, descendants de juifs, suspectés de rejudaïser. Les motifs avancés par le tribunal pour justifier l’enquête sont systématiquement les mêmes : les accusés ont été surpris ou dénoncés parce qu’ils observaient les rites du judaïsme, individuellement ou collectivement, et les faits qu’ils narrent sont largement stéréotypés.
43Quelques exemples peuvent être développés, car ils sont représentatifs de l’ensemble des cas conservés79. Retenons le cas de Violant Despuig, fille de Pierre Despuig, marchand natif d’Oriola, qui bien que chrétienne s’est mise à pratiquer les rites juifs et à prononcer des paroles hérétiques qui lui ont valu la dénonciation de témoins. Violant a donc été incarcérée et une enquête est menée par le procurateur fiscal de Valence, qui prend en charge l’accusation pour démêler l’affaire en cherchant des preuves. La première preuve avancée est que Violant est « conversa descendante de lignage juif »80. Aucune indication n’est donnée quant à la date de sa conversion ou de celle de sa famille. Son père est nommé en tant que Pierre Despuig, sans qu’il soit fait mention de son ascendance juive comme c’est le cas lorsque la personne mentionnée s’est elle-même convertie et se voit nommée d’après son ancien nom juif. La conversion de la famille doit donc remonter au moins à deux générations. Mais, à la fin du xve siècle — le procès n’est pas daté, mais on estime qu’il s’est déroulé au cours des années 1482-1486 —, cela suffit à établir sa culpabilité ou en tout cas à vérifier les soupçons portant sur son infidélité. Il y a donc bien infusion des conceptions développées par les penseurs les plus anticonversos plus de vingt ans auparavant dans l’esprit qui préside à la procédure, et donc dans l’institution inquisitoriale.
44Les autres preuves sont relatives aux faits dénoncés. Violant est accusée d’observer le « jeûne du pardon » comme le font les juifs en s’abstenant de manger de la veille jusqu’au soir81 ; elles est également accusée d’observer le shabbat, ce qui est vérifié par le fait qu’elle ne fait pas de feu et porte des vêtements beaux et propres ou des vêtements nouveaux82. Sont cités à charge un certain nombre de marqueurs correspondant en fait à des pratiques ou à des rites juifs traditionnels qui deviennent autant d’indices cherchés par les enquêteurs qui, par leur biais, dénoncent les mauvais chrétiens judaïsants ou les convertis relaps. Que Violant ne soit pas seule quand elle commet ces actes hérétiques, mais qu’elle les accomplisse en réunion, en incitant d’autres à la suivre, constitue une circonstance aggravante à sa culpabilité. Le procurateur fiscal, estimant avoir fait la preuve de la judaïsation de Violant, demande qu’elle soit transférée au bras séculier pour être châtiée. Or, l’Inquisiteur décide qu’un supplément d’information doit être apporté au dossier et que Violant doit être interrogée séparément une nouvelle fois. Le dossier s’interrompt là et nous n’avons pas la suite de l’affaire. Pourtant nous retrouvons le nom de Violant Despuig associé à d’autres dans le cadre d’une abjuration collective en 148683.
45Un autre cas met en scène une famille et, là encore, les femmes sont à l’instigation de l’affaire84. Le 11 juillet 1486, comparaissent devant les inquisiteurs de Valence Aldonza et Flor Bellviure, néophytes et épouses de Gaspar et Gabriel Bellviure. Les deux femmes sont accusées d’avoir célébré les rites juifs, commis des « crimes abominables contre la foi catholique » et de s’être enfuies pour échapper aux poursuites de l’Inquisition, ce qui constitue une preuve de culpabilité et un crime supplémentaire puisqu’elles risquent de diffuser leur hérésie85. Elles ont été rattrapées et comparaissent devant les juges du tribunal inquisitorial. Le procès livre les aveux des accusées, qui ont été soumises à la question et reconnaissent leurs crimes. Aldonza a été élevée à Majorque et raconte que c’est là qu’on lui a enseigné le judaïsme, dont elle n’a jamais abandonné les rites. Qu’elle ait été réellement judaïsante importe peu, mais son témoignage est intéressant du point de vue historique, car il confirme le fait qu’à Majorque, alors même que l’aljama n’existait plus depuis le milieu des années 1430 — les juifs ayant été convertis de force —, subsistait un crypto-judaïsme. Si Aldonza a une cinquantaine d’années, elle est née après la disparition de l’aljama et a toujours dissimulé sa foi. Le scribe du tribunal fait le récit par le menu des rites enseignés et indique que l’accusée a appris à célébrer des prières en hébreu, qu’elle a observé dans son enfance les rites du shabbat, revêtant des vêtements propres et allumant des bougies, consommant des aliments cuits à l’avance ; qu’elle observait le jour du pardon qui se tient tous les ans au mois de septembre et qu’à cette occasion elle s’abstenait de manger depuis la veille jusqu’au lendemain ; qu’elle avait coutume de manger de la viande salée pour en enlever le sang, etc.86. La précision et l’exhaustivité de la description des rites pratiqués soulèvent plusieurs interrogations, dont la première porte sur les modalités de l’aveu. La liste des rites est-elle indiquée de manière spontanée par l’accusée ou est-elle induite par l’interrogateur ? Des « manuels » des inquisiteurs fournissent en effet depuis le xiiie siècle toutes les précisions nécessaires. Ainsi, une œuvre comme la Censura et confutatio libri Talmud d’Antonio de Ávila, évoquée dans la deuxième partie de ce travail, mentionnait précisément ces pratiques. C’est pourquoi même si le crypto-judaïsme est historiquement attesté, il est vraisemblable que de nombreux cas furent en fait « inventés » ou « enjolivés » par les procès de foi eux-mêmes.
46Pour ce qui est d’Aldonza Bellviure, son plus grand crime réside dans le fait qu’elle a contaminé son entourage, puisqu’elle est accusée d’avoir continué à pratiquer ces rites avec son mari87. Le dossier comprend également le compte-rendu des interrogatoires de sa sœur, Flor Bellviure, et de ses mari et beau-frère, Gaspar et Gabriel, qui tous reconnaissent avoir observé les rites du judaïsme. C’est donc la famille tout entière qui est accusée d’avoir judaïsé. Le procès va jusqu’à son terme et contient les formules et les gestes d’abjuration des accusés, qui s’engagent à ne plus observer les rites juifs88. Symboliquement ils jurent, en posant leurs mains propres sur les Évangiles, qu’ils renoncent à leurs erreurs et reviennent dans le chemin de l’orthodoxie catholique. À la suite de leur abjuration avec d’autres accusés de ces mêmes années, dont Violant Despuig, les inquisiteurs prononcent une sentence de réconciliation qui absout les deux femmes en même temps que les 10 autres accusés. Dans ce cas, les protagonistes s’en sortent bien puisqu’ils sont condamnés à des peines symboliques : il leur est interdit d’assumer à l’avenir des charges publiques, d’être avocat, procureur ou notaire, d’être médecin, chirurgien ou apothicaire, ou encore courtier, bref d’exercer soit des tâches honorables, soit des métiers qui les mettent en contact avec le public. Il leur est également interdit de porter des vêtements et des métaux précieux, de posséder des chevaux et de pratiquer tous les jeux de dés, ce qui rejoint à la fois les peines infamantes classiques et les modalités observées désormais dans le traitement des nouveaux chrétiens à la fin du xve siècle89.
47Les procès instruits par le tribunal de Saragosse et analysés par Anna Ysabel d’Abrera révèlent les mêmes incriminations : les descendants de convertis sont accusés de respecter les fêtes juives et le Shabbat, de prononcer des prières hébraïques, de fréquenter des juifs, de manger cacher ou à tout le moins de ne pas manger de porc, ce qui, soixante-dix ans après l’indulgence préconisée par Vincent Ferrier sur le sujet, est rédhibitoire et révèle leur duplicité. Là encore des individus seuls sont poursuivis, ou des familles entières, et les mises en cause touchent tous les milieux sociaux. Le tribunal traite de cas concernant les habitants d’une aire géographique relativement large autour de Saragosse, de Huesca à Teruel du nord au sud, et de Monzón à Calatayud d’est en ouest90.
48Ces enquêtes et procès illustrent l’avènement d’une autre logique accusatoire : ce ne sont plus les mauvais chrétiens que l’Inquisition cherche à débusquer, mais les descendants de juifs, que cette seule caractéristique suffit à mettre en cause. Il n’y a plus deux catégories de croyants, les fidèles et les infidèles, mais trois : les chrétiens de souche, les nouveaux chrétiens hybrides et inclassables, toujours suspects quant à la sincérité et donc à la pureté de leur foi, corrupteurs en puissance qui doivent être tenus à distance par des restrictions statutaires et professionnelles, et les juifs à la fois infidèles et portés au crime par leur malignité naturelle. C’est véritablement le facteur « criminel » — et nous ne parlons pas ici du crime originel en quoi consiste le déicide, mais de la propension supposée des juifs au meurtre et au complot —, en germe depuis le début du xiiie siècle dans le discours de certains clercs, qui, en colorant l’antijudaïsme traditionnel de la crainte d’une menace constante, va décider de l’évolution ultime de la « question juive » à la fin du xve siècle. L’élément cristallisateur, celui qui entretient les fantasmes et finit de rejeter les juifs dans la menace et le crime, est le meurtre rituel, qu’il soit symbolique — c’est-à-dire médiatisé — ou incarné.
Notes de bas de page
1 Biale, 2009 ; Contreras Contreras, 1994.
2 Il faut rappeler la théorie d’Américo Castro selon laquelle le concept de « pureté du sang » trouve ses origines non pas dans la pensée chrétienne mais dans la pensée juive. Il estime que l’idée d’élection formulée dans Deutéronome VII, 6 procède d’une conception élitiste voire raciale de l’autre. Le peuple juif est élu aux dépens des autres dont le statut et la nature sont inférieurs. Pour les Hébreux de la Bible, leur élection serait le résultat de la plus grande valeur de leur sang, de sa valeur magique. Benzion Netanyahu, qui rapporte la théorie de Castro, la conteste de manière catégorique (Netanyahu, 1997, pp. 1-7).
3 La bibliographie consacrée aux traités de « pureté du sang » étant pléthorique, on se contentera de citer quelques titres majeurs : Sicroff, 1960, sur les controverses des statuts de « pureté de sang » en Espagne tout au long de l’époque moderne ; Netanyahu, 2001, p. 367, sur les origines de l’Inquisition ; plus récemment, Nirenberg, 2009, sur les origines du racisme ; et encore Hering Torres, 2011, sur l’interprétation des statuts de pureté du sang ; ou encore González Rolán, Saquero Suárez-Somonte, 2012 ; Carrasco, Molinié, Pérez (dir.), 2011.
4 Le texte de la sentencia-estatuto est édité par Baer, 1936, pp. 315-319 et Martín Gamero, 1862, pp. 1036-1040.
5 Netanyahu, 2001, p. 382.
6 « … por quanto es notorío por derecho así canónico como civil, que los conversos del linage de los judios por ser sospechosos en la fé de nuestro Señor é Salvador Jesu-christo en la qual frecuentemente bomitan de ligero judaízando… » (sentencia-estatuto, publiée dans Martín Gamero, 1862, p. 1037).
7 Sur l’histoire de l’hérédité, voir Van der Lugt, Miramont (dir.), 2008.
8 González Rolán, Saquero Suárez-Somonte, 2012, p. xxxiii.
9 Ibid., p. lix. Les auteurs expliquent que si les convertis ont si facilement grimpé les échelons de la société après leur conversion, et ont en si grand nombre occupé des postes à responsabilité, c’est parce qu’ils étaient plus largement alphabétisés que les vieux chrétiens. Ils constituaient donc un vivier naturel dans lequel on pouvait puiser pour alimenter les besoins en ressources humaines, politiques, administratives et économiques. Du fait des rites juifs et notamment de la bar mitsva, les hommes juifs étaient alphabétisés à près de 100 %, alors que les non-juifs l’étaient naturellement beaucoup moins. Les convertis en vinrent à peupler les rangs du pouvoir. C’est ce qui fit dire à Márquez Villanueva, que « le problème des nouveaux chrétiens n’était pas tant racial que social et secondairement religieux » (Márquez Villanueva, 1957).
10 Sicroff, 1960, p. 76-88.
11 « “Et ideo iuxta testimonia predictarum divinarum Scripturarum omnes conversi, qui sunt et descendunt de genere iudeorum, qui nati sunt iudei vel sunt filii, aut nepotes, aut pronepotes, vel obnepotes iudeorum, qui sunt baptizati, ex quo descendunt noviter et recenter de ita mala et tam dampnata generatione, presumuntur quod sunt infideles et suspecti in fide; ex quo vicium infidelitatis non presumitur purgatum usque ad quartam generationem”. Haec sunt verba illorum » (Juan de Torquemada, Tractatus contra madianitas, éd. de Martínez Casado, p. 191).
12 Nirenberg (2009, p. 248) revient en détail sur les débats qui ont animé historiens et philologues à propos de ce terme. Le sens donné par les uns et les autres dépend étroitement du contexte idéologique dans lequel il est manipulé. Pour Nirenberg, le terme qui apparaît en Castille dans le premier quart du xve siècle recouvre la notion de pedigree.
13 Le Ger — converti — de l’époque de la Bible ne peut être comparé au converti des temps historiques. En effet, le terme désigne dans la Bible les peuples ou groupes qui s’installent dans le territoire de Canaan régi par les lois de l’alliance et qui en acceptent la domination. Il ne s’agit donc pas d’une définition religieuse à proprement parler, mais plutôt d’une définition politique. Voir Attias, 2003. Voir aussi Des Rochettes, 2009.
14 Sicroff, 1960, p. 74. Voir aussi Baer, 1961, t. II, p. 283. Et Monsalvo Antón, 2013.
15 « Si vero sunt iudei tamdiu sunt christiani ab illorum communione et commercio separandi sub pena excomunicationis donec illi emendaverint et satisfecerint ut patet […]. Quintum est quod iudei conversi ad fidem nullam communionem habeant cum aliis iudeis xxviii q. sepe unde dicitur sepe ibi malorum consorcia etiam bonos corrumpunt quantomagis eos qui ad vicia proni sunt » (Alonso de Espina, Fortalitium Fidei, éd. de Gueynard, fo 225vob).
16 « Tercia causa que impedit conversionem aliquorum iudeorum est inordinatus amor ad uxores et filios et parentes » (ibid., fo 233vob).
17 « Unde expertus sum in hoc causa cum venerit ad me quidam de sapientioribus iudeis istius regni qui mecum conferens de secretis legis affirmavit se veraciter credere fidem Christi et quod ad hoc inductus erat diligenti studio scripturarum non solum Biblie sed etiam Thalmut et Prophetarum. Cumque ab eo quererem quare non efficiebatur christianus respondit quod ymmo desiderabat hoc implere sed quia habebat patrem qui eum tenerrime diligebat cogitans quod cum sciret pre tristicia moreretur […] Dicebat etiam quod non erat alius modus ut predictum consensum posset habere nisi quod ego tenerem modum cum rege ut ipse caperetur et poneretur in carcere et inde scriberet patri suo quod esset necessarie quod efficeretur christianus quia aliter non posset evadere mortem » (ibid.).
18 « Quarta causa que impedit conversionem iudeorum est inclinacio magna ad opiniones et constitutiones et cerimonias et consuetudines quas habuerunt et habent in Thalmut in quibus toto tempore vite sue fuerunt nutriti. Unde per duo exempla hoc ostenditur de iudeis ad litteram Ieremie xiii [Jérémie XIII, 23]. Primum exemplum est de nigredine ethiopis unde dicitur in texto si potest ethiops pellem suam mutare, quasi dicat non potest mutare nigredinem suam. Secundum exemplum est de pardo qui non potest mutare varietatem pellis sue. Unde dicit aut pardo varietates suas quia utrumque predictorum est a natura sic est de iudeis quod non possunt reverti ad bonum propter consuetudinem ad malum » (ibid., fo 234roa).
19 « Secundus punctus est utrum sint recipiendi iudei qui volunt ad fidem christi conversi. Hoc dico quia multi eorum fuerunt et sunt ita mali quod multa dampna faciunt in ecclesiam Dei. Verumtamen facta diligenti examinacione de modo adventus eorum non sunt repellendi ex quo volunt intrare sub alis fidei christiane et licet non faciant bona intencione sed propter lucrum temporale tales baptizati sunt » (ibid., fo 234rob).
20 « Tercius punctus est scire quis modus debet teneri in recepcione iudeorum venire volencium ad fidem christi ne quantum possibile fuerit detur occasio malorum que sentimus a spiritu sancto modus ordinatus est a quo quia ut comuniter deviant recipientes non est mirandum si taliter receptos non experiamur veros esse christianos » (ibid., fo 234voa).
21 « Iudei quorum perfidia frequenter ad vomitum redit si ad leges catholicas venire voluerint per octo menses inter cathecuminas ecclesie limen introeant et si pura fide venire noscuntur tunc demum baptismi gratiam mereantur » (ibid., fo 234vob).
22 « Quartus punctus est si iudei sint compellendi ad recipiendum baptismum hic sunt duo videnda. Primum est de parvulis iudeorum et secundum de adultis iudeis. Ad primum respondet sanctus Thomas in secunda secunde q. iiii quod non licet invitis parentibus. Sed quando ad annos discretionis pervenerint possunt fidem suscipere etiam parentibus invitis. Concordat Gwill’ [il s’agit de Guillaume de Rennes, In summa Raymundi de Pennafort, éd. Mallard, Delorme et Chastanier, pp. 46-48] dicens quod non licet nutricibus occulte baptizare parvulos iudeorum. Si tamen in articulo mortis parvulorum hec facerent non credo quod peccarent. Doctor vero subtilis Scotus in iiii di. V. di. sic quod pueri iudeorum possunt auferri parentibus invitis et baptizari […] Ad secundum scilicet de iudeis adultis utrum sint compellendi ad fidem suscipiendam hic dicit supradictus doctor Scotus ubi supra quod omnes deberent compelli ad fidem quia melius est compelli ad bene agendum quam male agere impune sicut ipsi agunt » (Alonso de Espina, Fortalitium Fidei, éd. de Gueynard, fo 235roa).
23 « Credo quod si vera fieret inquisitio praesertim isto tempore quod inumerabiles ignibus traderentur de hiis qui iudaizare realiter invenirentur qui si hic non puniantur crudelius quam publici iudei eternis ignibus cremabuntur » (ibid., fo 236roa).
24 Hernández Franco, 2011.
25 Netanyahu, 2001, p. 395.
26 Ibid., p. 406.
27 Voir entre autres Abrera, 2008, p. 187 ; et Aronson-Friedman, Kaplan (dir.), 2012, « introduction », p. 6.
28 Netanyahu, 1995, p. 410.
29 « Ex quibus omnibus luce clarius colligitur quod secundum fidei doctrinam, quam universalis Ecclesia de effectu baptismi tenet et docet, necessario dicendum est quod qui vere baptizati sunt de nullo crimine suspecti habendi sunt… » (Juan de Torquemada, Tractatus contra madianitas, éd. de Martínez Casado, p. 147).
30 « Capitulum 2: In quo improbantur tamquam erronea que inducuntur adversus Christi fideles de populo israelitico descendentes » (ibid., p. 139).
31 « … Utuntur autem in primis praefati malevoli in argumentum quod universi de populo israelitico et mali Christiani et suspecti habendi sunt, tamquam male sententies in fide catholica duabus praemissis tamquam fundamentis… » (ibid.) et « Ceterum 2o quod praefatum fundamentum impium sit et blasphemum patet; ponit enim maculam in sanctam matrem Ecclesiam, quae ex genere iudeorum et gentilium tota constructa est et continue suscepit incrementum » (ibid., p. 140).
32 Ibid., p. 146.
33 « Unde in capitulo maiores, Extra. de baptismo et eius effectu, condemnantur quidam haeretici, qui dixerunt inutiliter parvulis conferri baptismum quibus prefati impii homines assimilari videntur, qui adhuc parvulos Iudaeorum baptizatos suspectos dicuntur haberi de peccatis suorum parentum; contra quos sancta romana Ecclesia docet et praedicat baptismum non minoris sed amplioris efficatiae esse quam fuerit circumcisio, quae non tantum originalem culpam delebat et damnationis periculum auferebat sed etiam suspitionem delictorum priorum, cum esset signum fidei et iustitie Dei, secundum illud Apostoli ad Ro. 4: “Abraham accepit signum circumcisionis iustitie fidei” » (ibid.).
34 « Sexto errant in ultima particula conclusionis, ubi dicunt quod “vicium infidelitatis non presumitur purgatum usque ad quartam generationem”. Hoc autem superius sufficienter reprobavimus, tum primo tamquam contrarium Sacrae scripturae, tum secundo tamquam derogativum efficatiae passionis Christi; tum tertio tamquam evacuativum virtutis sacramentorum nove legis, quarto tamquam repugnans divinae misericordiae » (ibid., p. 194).
35 « Tertia ratio motiva ad hoc est vinculum fraternitatis spiritualis, quo copulantur cum ceteris Christianis; omnes quippe Christiani, tam de gentilitate quam de iudaismo descendentes, cum per lavacrum regenerationis filii sint Dei, secundum illud Io. 1: “Dedit illis potestatem filios Dei fieri”, fratres sunt, ex uno patre Deo creante et recreante et ex una matre Ecclesia geniti… » (ibid., p. 208).
36 Voir Des Rochettes, 2009, p. 322.
37 « Y esta unidad que había manifestado en la misma aceptación de la carne y de la sangre gentil, aunque convertida, así como después del nacimiento en la adoración de uno y otro pueblo y en la predicación en su edad madura, se dignó hacerla visible también en su gloriosa pasión… » (Alonso de Cartagena, Defensorium Unitatis Christianae, trad. de Verdín-Díaz, p. 201).
38 « … este impulso de cólera o de ira proviene sobre todo de los progenitores como herencia, pues como Aristóteles dice, entre las inclinaciones a la virtud ninguna se propaga y pasa a los descendientes por medio de la sangre como la que tiene a la fortaleza, pues esta proveniente de la condición de sus padres, muchísimas veces produce en los hijos una fortaleza natural que si se controla con la razón, producirá la fortaleza, como virtud moral… » (ibid., p. 285).
39 Fernández Gallardo, 2002.
40 « Por lo tanto como a los oficios de la milicia armada, gloriosos por cierto, pero llenos de trabajo y de peligro, en proporción, y teniendo en cuenta el corto numero de ellos (de judíos), se eleven más de estos, de los judíos, que de aquellos que proceden de familia rústica o falta de nobleza, es lógico que conjeturemos que en algunos de ellos aquella nobleza poseída en la antigüedad haya estado oculta, encerrada en sus pechos, aunque ennegrecida por la obscuridad de la infidelidad, al quedar purificada por la aceptación de la fe como “herbam fulconis” y más blanca que la nieve por la aspersión del agua del santo bautismo como lámpara que había estado encerrada, y una vez sacada del modio, se dispone de nuevo a lanzar sus rayos y esplendor porque estaba acostumbrada a difundir su luz » (Alonso de Cartagena, Defensorium Unitatis Christianae, trad. de Verdín-Díaz, p. 285).
41 Voir Jonin, 2008, p. 96.
42 « No nos ocupamos pues de la superficialidad de la carne, sino que examinamos la intimidad del corazón, y si éstos están purificados, los pecados desaparecerán. Decía Eliseo al gentil Naaman: lávate siete veces en el Jordán y tu carne sanará y quedarás puro. Y de esta manera cualquiera que sea lavado en las aguas del bautismo, aunque sea gentil o descendiente de gentil recibirá la salvación de su alma, como que es el agua del Jordán que santificó Cristo al tocarla » (Alonso de Cartagena, Defensorium Unitatis Christianae, trad. de Verdín-Díaz, p. 184).
43 « ¿Quién, pues, puede negar que este error lleva a la discordia entre los hermanos y a la grave división del pueblo cristiano y que ha de infligir alguna mancha o vejación a la Iglesia de Dios? Y esto va en contra de la hermosura de la limpieza de la Iglesia que se mantiene firme, sin mancha ni arruga… » (ibid., p. 351).
44 « Pero ya que, como dicen algunos de los que intentan provocar esta ruptura dentro de la unidad de la Iglesia, parecen aducir como razón el haber descubierto que algunos de los descendientes de sangre israelita judaizaban en la ciudad, cosa que en tanto no esté totalmente comprobada con hechos no se puede ni admitir, ni negar, antes habrá que esclarecer la verdad de esos hechos, y, por consiguiente, así como hay de proceder, porque están en el error, contra los que quieren rompir la unidad de la Iglesia y volver a introducir las diferencias de origen carnal anuladas por Cristo, de la misma manera habrá que reprimir muy enérgicamente a los que purificados por el agua del bautismo se vuelven al vómito del judaísmo, porque la pureza de la religió cristiana y la novedad purísima de la ley evangélica no tolera herrumbre alguna, sarro, malas costumbres del antiguo judaísmo o del paganismo; todo lo contrario, detestada toda judaización y paganización » (ibid., p. 373).
45 « En consecuencia no solo creo que hay que eliminar de los términos cristianos el error de los que quieren introducir las diferencias de origen carnal, sino que también hay que purificar y arrojar muy lejos toda suciedad e inmundicia de los que vuelven a caer en la ceguera del judaísmo o de cualquier paganismo o sórdida secta » (ibid., p. 375).
46 Voir Sicroff, 1982. L’œuvre est éditée et traduite en castillan : Alonso de Oropesa, Luz para conocimiento de los gentiles, trad. de Diáz y Diáz, [en ligne].
47 « Que, aunque los fieles cristianos deban evitar estas cuatro clases de personas citadas para no contaminarse, [les païens, les musulmans, les hérétiques, les schismatiques] con mayor cuidado aún habrán de cuidarse de los judíos por las razones que se exponen; y con mucho más cuidado habrán de apartarse de ellos los que de su raza [le latin a gente] se han convertido recientemente a la fe » (ibid., chap. xxiii).
48 « Pero los fieles que de su raza se encuentran con nosotros en la Iglesia tienen que ser tratados en paridad de convivencia y de paz con los demás católicos » (ibid.).
49 « Así habla de Dios su Señor esta condenada raza [le latin a progenies] de víboras, así levanta su voz contra la ley y contra Moisés, quien ciertamente la condenará por semejante blasfemia » (ibid.).
50 « Pues lo que pretendo hacer ver en este tema es que la dureza de los judíos busca directamente blasfemar contra Cristo y continuamente acecha con viperina ansia al calcañar de los fieles, a no ser que sensatamente se aplaste la cabeza de su audaz astucia; ya que, si bien es cierto que ni pueden ni se atreven a convertir a los fieles a su infidelidad, no cabe duda que pueden y se atreven a pervertirlos apartándolos de la fe recta y católica manchándolos con sus inmundicias o corrompiéndolos con sus perversos dogmas » (ibid.).
51 Le résumé du chapitre xxiv l’exprime de façon explicite : « Cuantos males aquejan a todos por guardar mal todo esto que se ha estado diciendo, ya que se debilita la fe católica y los judíos se vuelven más resistentes y dañinos, con lo que se tambalean y caen muchos católicos y fieles, creciendo las enemistades hacia los que se habían convertido desde el judaísmo; y en ello se ve que los rectores y prelados tienen por eso gran pecado » (ibid.).
52 « Que esta paz de todos los fieles cristianos y su convivencia unánime y concordia se nos hizo patente en su santísima navidad, y que allí estuvieron estos dos pueblos, judío y gentil, en igualdad congregados por él en un nuevo pueblo » (ibid., chap. xxxv).
53 Voir Baer, 1961, t. II, pp. 322 ; et Benito, 2012.
54 Voir Rábade Obradó, 1995.
55 Parmi une bibliographie pléthorique, voir la synthèse très utile de Pérez, 2002.
56 Béatrice Pérez cite le texte de la bulle dont voici un extrait : « Nous apprenons que dans différentes cités de vos royaumes d’Espagne, nombre de ceux qui de leur propre gré avaient été régénérés en Jésus-Christ par les eaux sacrées du baptême sont retournés secrètement à l’observation des lois et des coutumes religieuses de la superstition juive […] encourant les pénalités prononcées contre les fauteurs de l’hérésie, par les Constitutions du pape Boniface VIII. En raison des crimes de ces hommes, et de la tolérance du Saint-Siège à leur égard, la guerre civile, l’homicide et des maux innombrables affligent vos royaumes… » (ibid.).
57 ACA, C, reg. 3684. Il est constitué de deux ensembles : le premier intitulé « Regestrum negotiorum inquisitionis heretica pravitatis » (fos 1-103) ; le second intitulé « Liber Descriptionis Reconsiliacionis que et condemnationis hereticorum alias de gestis hereticorum » (fos 1-88, 2nde numérotation).
58 Baer, 1961, t. II, p. 381.
59 Voir ACA, C, reg. 3684, fo 4ro (2nde numérotation), 14 décembre 1487, pour la description et les modalités de la procession le jour de la Fête-Dieu.
60 Roth (2002, p. 252) le présente comme le prieur du couvent Saint-Dominique de Huete, nommé Inquisiteur de Barcelone par Torquemada en 1487.
61 AHCB, série « Affaires de l’Église, Inquisition », 1C.XVIII-5.3, 1487, p. 1, recueil de documents relatifs à des sentences, procès, jugements ; et ACA, C, reg. 3684, fo 3ro (2nde numérotation), 16 décembre 1487, qui consigne le serment prêté par Alonso de Espina à l’évêque de Barcelone lorsqu’il est investi de sa charge d’Inquisiteur.
62 Sur les enjeux financiers de l’Inquisition, voir Netanyahu, 2001.
63 ACA, C, reg. 3684, fo 4ro (2nde numérotation), 14 décembre 1487.
64 ACA, C, reg. 3684, fos 7ro-8vo (2nde numérotation).
65 « Joannes Mayol auri faber sive argentarius […] ab ipsis carceribus liberatus fuit cum sentencia per predictum Reverendum Inquisitorem promulgata. In eius favorem attenta maxima deffensione huius hominis Christiani natura et non ex stirpe iudeorum quem aliqui falso accusaverunt nam illi falsi testes pretendebant ipsum argentarium perperam dixisse se non credere esse paradisum, infernum et purgatorium. Est non in ipsa sententia exaratum quod novem probi homines Christiani natura quos in testes predictus faber prodixerat unanimiter et medio iuramento ad sancta dei quatuor evangelia per manibus eorum corporaliter tacta et dixerunt se credere predicta verba hereticalia per predictum argentarium quem catholicum in fide esse videbant numquam prolata fuisse » (ACA, C, reg. 3684, fo 8vo [2nde numérotation], décembre 1487).
66 Américo Castro voyait dans le recours par l’Inquisition à la dénonciation calomnieuse et à la diffamation la survivance de pratiques typiquement juives qui attestaient que l’Inquisition avait bien été une « invention » des convertis d’origine juive (Castro, 1963, p. 515).
67 Pour une description précise des procédures de jugement puis d’exécution, voir ACA, C, reg. 3684, fo 4vo (2nde numérotation).
68 ACA, C, reg. 3684, fo 9vo (2nde numérotation).
69 ACA, C, reg. 3684, fo 10ro (2nde numérotation).
70 ACA, C, reg. 3684, fos 14ro-16vo (2nde numérotation).
71 ACA, C, reg. 3684, fo 18ro (2nde numérotation).
72 ACA, C, reg. 3684, fos 18vo-20vo (2nde numérotation).
73 ACA, C, reg. 3684, fo 21ro (2nde numérotation).
74 ACA, C, reg. 3684, fo 13vo (2nde numérotation), 12 mars 1490.
75 « Imprimis memoria teneamus quod mense aprili proxime lapso et hoc maio mense per omnes terras et dominia Serenissimi domini Ferrandi Secundi Regis Castelle Aragonum et cetera domini nostri nunc feliciter regnantis de Granate Regnum dominio suo subigentis quoniam plurime preconizationes de iudeorum omnium expulsionibus ab omnibus predictis terris et dominis facte fuere. Dando et assignando eisdem iudeis tempus trium mensium intra quos sub pena mortis et bonorum omnium amissione ad alia Regna et dominia se transferent » (ACA, C, reg. 3684, fo 22ro [2nde numérotation]).
76 Pour Valence, au moins 12 procès ont été ouverts entre 1482 et 1492 et, pour certains, clos avant 1492 alors que d’autres durent plusieurs années. Deux ou trois autres procès, sans date, nous semblent pouvoir être situés pendant la période précédant l’expulsion en raison de leur archivage et de leur écriture. Pour les procès instruits par le tribunal de Saragosse, voir Abrera, 2008.
77 Pour la période suivante, Natalia Muchnik emploie le concept de « religion métisse » (Muchnik, 2014, p. 11).
78 Abrera, 2008, p. 172.
79 Voir aussi Haliczer, 1993a.
80 « … Que cum sit christiana vel saltim pro christiana habita ad ritus et cerimonias judeorum transivit hereticando, apostatando et fide catolica deniando et verba hereticalia proferendo et dicendo et cum pluries per edicta fuerit vocata per alios reverendos tunc inquisitores semper […] confiteri aut comparere recusavit et nunc capta et monita. […] Ex quo manifeste constat illam fore hereticam apostatam negativam ac prostinatem pro tanto contra eam do et offero presentem meam denunciationem sive accusationem articulatam petens et supplicans eam dignemini interrogare super articulis sequentibus presentis denunciacionis sive accusacionis. Et primo dico, propono, probare intendo probationem non me abstingens que la dita Violant es conversa de linage de jueus. E axi es ver » (Archivo Histórico Nacional [AHN], Inquisición, 5311, exp. 6, image 1).
81 « Item dico ut prius que ladita Violant per la devocio que tenia a la ley dels jueus ha fet lo dejun del perdo no menjant entot lo dia fins al vespre vises les esteles ensemps ab altres persones y sab que altres persones hajan fet dit dejun. E axi es ver » (AHN, Inquisición, 5311, exp. 6, image 2).
82 « Item dico ut prius que ladita Violant per la devocio que tenia a la ley dels jueus tenia y guardava lo dissapte no fent faeno y abillant se y posant se aquell dia les millors robes que tenia ensemps ab altres persones y sab que altres persones ho tinguesen eguardasen. E axi es ver » (AHN, Inquisición, 5311, exp. 6, image 2).
83 AHN, Inquisición, 5311, 1486, exp. 9, image 9.
84 Il semble en effet que les femmes soient plus incriminées — et de fait condamnées — que les hommes, si l’on en croit les listes de noms des condamnés et des réconciliés du registre 3684 des Archives de la Couronne d’Aragon et les noms des personnes auxquelles un procès est intenté par le tribunal de Valence. Les femmes y sont surreprésentées, comme plus tard dans les affaires de sorcellerie.
85 « Cum Alduncia uxor Gasparis Bellviure mercatoris et Flor sponsa Gabrielis Bellviure mercatoris Civitatis Valencie sint de genere neophitorum et observarunt et observant ritus et cerimonias judaycas et nichilominus comiserunt alia nefandissima crimina contra fidem ortodoxam et sanctam matrem acclesiam et quid deterius est aufugerunt et presenti Civitate absque licentia dictorum reverendorum dominorum inquisitorum a Deo ut possint vivere in observancia dictarum cerimoniarum et non compellantur ad faciendum condignam penitenciam dictorum suorum errorum » (AHN, Inquisición, 5311, 1486, exp. 9, image 3/30).
86 « E axi mateix ha dejunat lo dia del dejuni del pardo qui façen les juheus en lo mes de setembre no menjant fins a la nit vistes les esteles en festan faena auqell dia e lo dia abans anant […] E axi mateix ha celebrat ab ladita sa mare la pascua dels juheus menjant pa alis moltes vegades set o huit jorns dela pascua que non menjaren pa levat e que salavan y desalavan la carn… » (AHN, Inquisición, 5311, 1486, exp. 9, image 5).
87 « E apres de que es casada ab lo dit Gaspar Bellviure que ha huyt anys poch mes o menys ha fet ella que fan les dites cerimonies de divendres et disabte e ha fet dit dejuny ab lo dit son marit una vegada e un amagat de aquell moltes vegades e axi mateix la pascua dels juheus menjant pa alis ab lo dit son marit una vegada… » (AHN, Inquisición, 5311, 1486, exp. 9, image 5).
88 « … Juram per Deu e aquests sants quatre evangelis davant nosaltres posatde […] mans propres tocats que crehem y atorgam de cor e paraula aquella santa fe catholica e apostolica laqual la santa romana sglesia creu preyqua e consegnentement abjuram, abnegam, revocam e detesta totam e qualsevol heregia… » (AHN, Inquisición, 5311, 1486, exp. 9, image 9). Pour une autre formule d’abjuration, voir ACA, C, reg 3684, fo 13ro (2nde numérotation).
89 « E aquascu dells que no puga tenir offici publics ni benefici, ni puga usar de offici de advocat, procurador, notari, cambrador, taula, ser arrendador, metge, apotecari, especier, cirurgia, saugrador, corredor ni deporter. E que no porten ni algu dells portat […] ab or, argent, corals, perles ni altres pedres precioses, ni vista seda grana, chamelot, ni lo porten en sas vestiduras ni arreos ni pugan anar acavall, ni portar armes, ni jugar a ningun joch de donats e de tot aço los prohibim per tota la vida sot pena de relapsos… » (AHN, Inquisición, 5311, 1486, exp. 9, image 24).
90 Baer, 1961, t. II, p. 363.
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