Les oiseaux d’eau dans les récits de chasse à Grand-Lieu (Loire-Atlantique)
Résumé
Si, après guerre, la chasse bourgeoise met en œuvre un modèle gestionnaire issu de l’entrepreneuriat pour développer une pratique sportive de chasse au gibier d’eau, il est cependant difficile de dissocier ses pratiquants d’une certaine posture militante. Leur appartenance à des groupes (comme WWF) ou leur adhésion à des causes naturalistes les amènent à instaurer un nouvel ordre de contraintes autour de la chasse au gibier d’eau. La chasse des élites s’ajuste au langage nouveau sur la nature et à son idéologie de protection, allant jusqu’à transformer une réserve de chasse pour le loisir en réserve naturelle. Les récits de la chasse de Félix Platel, d’Hilaire de Laage de Meux et l’enquête réalisée auprès de l’ancien garde-chasse du domaine de Grand-Lieu ont permis de mettre en évidence la relation de l’homme à l’oiseau et son évolution à travers la pratique cynégétique.
Texte intégral
1Le vol des oiseaux d’eau relie l’estuaire de la Loire, le littoral, la Brière, le lac de Grand-Lieu… Cette mosaïque de zones humides, situées à l’ouest de la Loire-Atlantique, répond à différents besoins migratoires et reproductifs de l’avifaune. Celle-ci gravite autour de l’un des plus grands lacs naturels de plaine français. Le lac de Grand-Lieu, au sud-ouest de Nantes, est un des milieux rendant possible l’épanouissement d’une multitude de canards, foulques, hérons, spatules, cormorans… Les espaces de protection que constituent notamment la réserve naturelle nationale et la réserve naturelle régionale sont aujourd’hui les garants de cette tranquillité. Toutefois, ces périmètres ont un passé commun, celui d’une tradition élitaire de chasse aux oiseaux d’eau. De territoire de chasse à réserve naturelle, ce changement d’affectation tient à l’histoire humaine et à l’évolution de la représentation animale d’une élite sociale.
2Composante de la vie aristocratique, la chasse au centre du lac s’ouvre progressivement à la bourgeoisie d’affaires. Après la Seconde Guerre mondiale, la mise en œuvre d’un modèle gestionnaire issu de l’entrepreneuriat va permettre de développer une pratique sportive de chasse au gibier d’eau. Cette déclinaison intensive de la sauvagine n’empêche pas ses adeptes de s’ajuster au langage nouveau sur la nature et à son idéologie de protection. Entre production de ressources cynégétiques et conscience environnementale, Jean-Pierre Guerlain, par sa donation en 1980, tranche la question. Il fait le choix de convertir son territoire de chasse pour le loisir en réserve naturelle. Pour comprendre comment a pu se modifier l’affectation de ces périmètres, il importe de retracer l’histoire de cette tradition élitaire et de sa représentation animale. Cette analyse repose sur l’étude de récits de chasse, ceux du baron Félix Platel, d’Hilaire de Laage de Meux et, pour la période contemporaine, sur une enquête ethnographique conduite en 2015 auprès de l’ancien garde-chasse du couple Guerlain.
Les récits de Félix Platel
3Au xixe siècle, le lac de Grand-Lieu est la propriété de la famille de Juigné, autrefois détentrice de droits seigneuriaux. Dans cette entité foncière où se prolongent certains privilèges de classe, la chasse aux oiseaux d’eau s’affirme comme une composante de la vie aristocratique. Né sur les rives du lac en 1832, le baron Félix Platel, fervent légitimiste, dresse, à travers ses chroniques du Figaro, un portrait de la chasse relativement décadent, à l’image de ce qu’est devenue pour lui la société issue de la Révolution. En 1886, au début de la Troisième République, il impute la diminution de la ressource à cette société nouvelle et au régime du suffrage universel, qui veut que « trois braconniers électeurs [soient] plus puissants que deux gendarmes1 ». Sa critique porte sur les formes renouvelées de cette activité, leurs implications sur la diminution de la ressource et, de façon implicite, sur la relation homme-animal. Il regrette ainsi le développement de chasses sans aléas, faisant référence au déclin de la chasse à courre, et pour celle à tir, le fait que l’« on tue comme dans une basse-cour du gibier, domestique comme des poulets2 ». Dans ses différents récits de chasse à Grand-Lieu, Félix Platel fustige la domestication du vivant qui sous son action se voit dénaturé, altéré et affaibli. Le lac constitue une exception au morcellement de la propriété qui aurait « modifié chasseur et gibier3 ». Perçu comme préservé des bouleversements extérieurs, Grand-Lieu incarne un idéal, celui d’une nature sauvage. Cette vision révèle tout l’enjeu pour cette noblesse à maintenir certaines de ses valeurs et prérogatives dans ce nouvel ordre social.
4Dans ses chroniques, Félix Platel préfère décrire des chasses moins ordinaires que la chasse à la passée – consistant à tirer sur les oiseaux d’eau lors de leurs déplacements quotidiens au lever et au coucher du soleil. Il évoque des gibiers rares et prestigieux qui susciteront, peut-être, davantage d’intérêt de la part de ses lecteurs. En l’occurrence, il s’attarde sur une chasse aux cygnes et une chasse aux hérons4. Ces oiseaux ne bénéficient d’aucun régime de protection, la survie de ces espèces ne suscitant alors pas d’inquiétude. Néanmoins, le lectorat parisien du baron est attaché au cygne, ce bel oiseau des parcs. Aussi, le récit de sa chasse ne va pas sans quelques justifications. Il écrit de sa proie :
« Assurément, ce n’était point là le regard du cygne des bassins du Luxembourg ou des Tuileries. Ce beau domestique, gras et lent, à qui, enfants, nous avons donné des brioches. Ami des bonnes et des soldats, qui préfère aux mers des pôles cette sorte de “plat à barbe” où il nage. Le grand cygne [sauvage, lui] se défend avec désespoir5. »
5Pour l’auteur, la domesticité a dénaturé le cygne des bassins. Choyé et nourri, celui-ci vit en confiance avec l’homme. L’analogie du bassin avec un plat à barbe image ce monde protégé et artificialisé dans lequel l’oiseau évolue, faisant de lui un être sans défense, altérant sa nature sauvage et profonde. À ce cygne du parc, le baron oppose le cygne du lac de Grand-Lieu. Dans ce lieu sauvage, l’adversité est quotidienne et le chasseur n’est qu’un prédateur parmi d’autres. Il fonde ainsi sa légitimité.
6L’oiseau gibier n’est pas prioritairement recherché pour sa chair ou pour ses plumes, bien que leur commerce par l’industrie plumassière soit alors florissant. La propension à l’anthropomorphisme, patente à cette époque, fait de l’animal, plutôt qu’une ressource, un miroir pour l’homme. Si cette disposition, qui consiste à prêter aux animaux des caractéristiques humaines, conduit la noblesse à percevoir dans l’animal un semblable, tous les oiseaux d’eau ne sont pas également considérés. Les volatiles rares ou de grande taille, tels que les cygnes ou les hérons, correspondent davantage à l’idée que l’élite se fait du noble rival à défier. Cependant, dans le cas précis du cygne, cette identification fragilise l’horizontalité de la relation. La fragilité, la pureté (blanc virginal) et donc la féminité qu’il prête à l’oiseau déstabilisent ce juste rapport de force. Incommodé par la violence et l’inconvenance de cette prédominance du chasseur sur cet être fragile et pur, Félix Platel va jusqu’à recommander aux mères d’interdire à leurs filles la lecture de son article.
7Parce qu’elles exigent une dépense en temps et en moyens, ces chasses aux grands oiseaux sont l’apanage des gens de sa condition. Elles sont des pratiques distinctives, des marqueurs sociaux. Toutefois, la taille de l’oiseau ne vient pas uniquement refléter l’image du chasseur ou asseoir son statut, elle est aussi pour lui un moyen de légitimer la mise à mort animale. Au moment ultime, où il saisit sa prise par le cou, l’oiseau devient « colossal6 ». Dans la mesure où l’adversaire est « de taille », le rapport de force semble plus équitable et sa mise à mort moins répréhensible. Platel fait également valoir les faiblesses sécuritaires du dispositif. Les bateaux encerclant cygnes ou hérons provoquent des situations de vis-à-vis accidentogènes entre les différents chasseurs. Le danger de mort, venant à peser non plus exclusivement sur l’animal traqué mais aussi sur l’homme armé, permet au chasseur de se disculper :
« Cette chasse où les bateaux vont l’un sur l’autre est assurément dangereuse. Ce danger fait pardonner cet acte d’apparence odieuse : tuer un cygne, tuer cette grande hirondelle blanche7. »
8En plus des prétextes revendiqués, il existe une motivation plus inconsciente et spirituelle. La mise à mort animale est comprise comme un moyen de retourner à l’état de nature. Dans le monde sauvage, la prédation ne souffre d’aucun jugement moral puisqu’elle fait règle commune. Elle est en somme la marque de l’animalité humaine, scellant l’appartenance de l’homme à la nature.
Le récit d’Hilaire de Laage de Meux
9Au début du xxe siècle, la famille de Juigné cède ses terres à des sociétés civiles immobilières en deux lots successifs correspondant aux territoires actuels des réserves. Présidée par le comte de Chabot, une société de chasse créée en 1926 prenant, après guerre, le nom de Saint-Hubert Club, compte parmi ses membres de nombreux actionnaires de ces sociétés civiles immobilières, dont Hilaire de Laage de Meux, issu de la noblesse française. Ce résidant de Sologne vient régulièrement à Grand-Lieu. En 1949, celui-ci fait le récit de ses chasses aux oiseaux d’eau dans un luxueux ouvrage collectif révélateur du contexte Belle Époque8. La chasse des élites s’est ouverte à la bourgeoisie locale et à la bourgeoisie d’affaires. Hilaire de Laage de Meux déplore un trop grand nombre d’actionnaires. Avec une cinquantaine de postes de chasse, le lac est en effet devenu une destination particulièrement prisée. Grand-Lieu est inscrit dans la géographie du tourisme cynégétique d’élite et l’économie de la chasse y est solidement établie.
10L’évolution sociologique de l’élite n’est pas sans incidences sur la représentation du gibier. Celui-ci ne se restreint plus aux grands et nobles oiseaux. Hilaire de Laage de Meux évoque la poule d’eau, « le moins noble mais non le moins amusant à tirer9 ». Le gibier est pour beaucoup composé de petits canards denses au vol rapide tels que les canards plongeurs. Cette chasse, qui se pratique de jour, exige une qualité de tir tant dans la précision que dans la rapidité. Les chasseurs-actionnaires s’installent à l’affût, tapis au fond de leurs barques, elles-mêmes dissimulées dans les joncs. Une fois l’hiver venu, quand la végétation a disparu, le dispositif évolue. Les chasseurs ont recours à la tonne. Ils prennent place dans des barriques maintenues stables par des madriers, camouflées par des herbes sèches. Seuls les actionnaires disposent de cette position de centralité sur le lac et donc de la profondeur nécessaire à leur utilisation. De ce fait, la chasse à la tonne se distingue par sa forme et son intention d’une chasse qui se développe en périphérie du lac, plus populaire et vivrière, celle des riverains. La chasse à la tonne nécessite également le recours à des conducteurs, recrutés parmi les pêcheurs professionnels. Moyennant rémunération, ces hommes conduisent les prestigieux touristes à leur poste de chasse et se chargent du rabattage et du retrievage10. Les conducteurs sont une source de fascination exotique pour les actionnaires et participent à l’attrait de la pratique :
« Passay, juste au bord du lac, est un pauvre village qui nourrit, comme il peut, une cinquantaine de familles de pêcheurs, braconniers à leurs heures et conducteurs des “messieurs” actionnaires à l’époque de la chasse. Ces hommes, durs à la peine et aux intempéries, passent leurs journées dans leurs “gnoles” sur le lac ; ils posent et lèvent leurs filets où se prennent les brochets, anguilles et gardons, quand le temps est “à la pêche” ; ils vivent d’une façon presque primitive : longues veillées d’hiver, vie animale, drames familiaux, tout comme ailleurs11… »
11Dans cette première moitié du xxe siècle, le chasseur n’est plus en quête de duel, d’affrontement romantique avec un oiseau qui serait son alter ego. Contrairement à Félix Platel qui aimait à « vivre dans un pays où l’on chasse plus qu’on ne tue12 », Hilaire de Laage de Meux trouve distrayant de tuer sans chasser comme en témoigne cet extrait :
« C’était très amusant ; cernées dans les fonds par une trentaine de barques, les judelles nous repassaient sur la tête par bandes énormes et c’était une fusillade invraisemblable ; il n’était pas rare de réaliser des tableaux de mille judelles13. »
12La valeur du chasseur ne tient plus à la taille de l’oiseau tué mais à leur quantité. Nous voilà entrés dans l’ère de la chasse sportive, du record et de la performance. Si Hilaire de Laage de Meux déplore un trop grand nombre d’actionnaires, c’est parce que cette expansion du collectif de chasseurs contribue à diminuer d’autant les tableaux de chacun. Cette évolution marque cependant le début d’une prise de conscience. Le fonds de chasse à Grand-Lieu n’est pas illimité et il doit être partagé. Faute de protection, les oiseaux d’eau, ces objets de convoitise et de divertissement, risquent de disparaître rapidement.
13Bien qu’il n’emploie pas le terme d’écosystème inventé en 1935 par Arthur George Tansley, Hilaire de Laage de Meux a une vision plus systémique de l’avifaune. L’oiseau n’est pas tant perçu comme individu que comme espèce, elle-même considérée dans ses différentes interactions soit avec les milieux, soit avec d’autres espèces. Hilaire de Laage de Meux prête également attention à ce qui peut maintenir des équilibres. Ainsi, il dit de la poule d’eau qu’elle « contribue beaucoup à attirer et à retenir les canards sur le lac : la judelle est à Grand-Lieu ce que le lapin est dans une chasse de Sologne14 ». Constatant une diminution importante du gibier, il énumère les causes plausibles dont l’impact de l’action de chasse sur le milieu. Il préconise en ce sens de nombreuses restrictions telles que la réduction des dates légales de chasse. Le repeuplement d’oiseaux sédentaires par de l’élevage lui semble constituer une réponse innovante, une compensation à ces disparitions mais elle est avant tout une manière de réduire la dimension aléatoire de la chasse.
Le témoignage d’Alphonse Joyeux, garde particulier
14En 1960, devenu actionnaire majoritaire et président de la principale société civile immobilière, le parfumeur Jean-Pierre Guerlain réorganise la chasse à Grand-Lieu. Pour améliorer le potentiel des postes, il les réduit de cinquante à quatre et n’autorise cette activité qu’une demi-journée par semaine. Le modèle gestionnaire appliqué sur l’avifaune est celui de l’entrepreneuriat. En limitant les prélèvements de canards à 25 % de la population totale, il entend conserver un capital qu’il puisse faire fructifier. Dans un premier temps, tout est mis en œuvre pour optimiser le potentiel naturel du site. Des nichoirs sont installés par Alphonse Joyeux, son garde, pour favoriser la nidification des canes sauvages et en augmenter la densité. Celui-ci réalise également de nombreux travaux d’aménagement visant à faciliter la circulation des bateaux à moteur et l’accès aux différents postes ou à rendre le site plus attractif pour le gibier en augmentant la profondeur d’eau par le creusement dans le substrat du lac. Enfin, le garde agraine quotidiennement aux abords des postes de chasse.
15Pour se dispenser des exigences horaires de la passée, le parfumeur se lance dans l’aviculture. Il fait venir des canes de Hollande et de la baie de Somme qu’Alphonse Joyeux installe dans un parc et nourrit. Deux incubateurs assurent l’éclosion des 700 à 800 œufs pondus par semaine. Les canes reproductrices et les canes d’appel profitent d’un complément alimentaire en céréales germées produit par une herbière. Avec en moyenne 8 000 à 9 000 canards éclos par an, Jean-Pierre Guerlain atteint son objectif. Le canard colvert est présent sur le lac à toute heure du jour. Ce rééquilibrage du peuplement d’anatidés par l’élevage permet de compenser les « déficits » liés à la pratique de la chasse, par l’augmentation exclusive du colvert. Les intérêts cynégétiques façonnent ainsi le destin de milliers d’oiseaux via l’artificialisation du milieu. Pour que la chasse conserve son attrait, il reste à inscrire ces oiseaux dans la vie sauvage. Le producteur de gibier d’eau devient donc sélectionneur. Les canes devant être fécondées par des mâles sauvages, les mâles issus de l’élevage sont éliminés. Reprises, les femelles dont le poids dépasse un kilo sont supprimées, les sujets recherchés devant être volants et rapides. La vitesse de vol de l’oiseau fait le prestige du chasseur. Cet esprit sportif conditionne les règles du tir : le gibier doit être tiré au vol exclusivement. Le tir sur gibier posé n’est autorisé que pour l’achever. À l’art et la manière dans ce qui reste une performance s’ajoute le record. Les chasseurs qui abattent le plus grand nombre de pièces sont valorisés.
16Grand-Lieu devient un haut lieu de la chasse au gibier d’eau et attire des personnalités influentes et célèbres, honorant à leur tour le lieu de leur présence. Le jeu des invitations a une dimension diplomatique et de relations d’affaires. Dans cet espace et ce contexte, les oiseaux d’eau sont envisagés d’une part comme production et d’autre part comme produit phare du tourisme cynégétique d’élite15. La relation de service entre chasseurs et conducteurs révèle toujours un principe d’ascendance. Elle permet de relier ces « messieurs » à une culture locale et induit malgré tout une forme de mixité sociale. En se répétant au fil des ans, le lien tissé entre conducteurs et invités se renforce. Cette histoire humaine va peser fortement au moment du don du lac à l’état, Jean-Pierre Guerlain défendant une clause de maintien de l’activité de pêche sur la future réserve naturelle nationale.
De la production à la protection des oiseaux d’eau
17De la pratique élitaire de chasse au gibier d’eau, on peut sans conteste affirmer que la « faim » n’en justifie pas les moyens. La chasse populaire locale s’élabore en opposition à ce modèle mais ne peut prendre l’avantage dans la nécessaire acquisition foncière. Avec la crise environnementale et la disparition d’espèces, une sensibilité animaliste se fait jour remettant en cause la mise à mort animale qui, jusque-là, faisait évidence. L’écologie s’affirme comme le savoir savant sur la nature, disqualifiant les savoirs profanes. La chasse se doit de démontrer la légitimité de son action. L’élite s’ajuste plus facilement à ce langage nouveau sur la nature et à son idéologie de protection. L’activité de chasse proposée par Jean-Pierre Guerlain sur le lac à cette époque ne peut être dissociée d’une posture militante qu’il défend par ailleurs. Le sélectionneur productiviste de gibier est également protecteur de l’avifaune. L’appartenance à des groupes (comme WWF) ou à des causes naturalistes l’ouvre aux projections d’une nature préservée où les espèces pourraient cohabiter sous la protection d’un personnel spécialisé.
18En outre, de nouveaux usages des territoires ruraux se développent au détriment d’activités plus traditionnelles telles que la chasse. Les incursions de véliplanchistes sur le lac se répétant, le couple Guerlain mesure sa difficulté à protéger du tourisme cette propriété privée. Par ailleurs, fait notoire, ils n’ont pas d’héritiers. Changer l’affectation du périmètre existant reste la meilleure façon de le maintenir. Afin d’éviter le morcellement de leurs 2 700 hectares ainsi qu’une corruption du lieu par des passions qu’ils ne partagent pas, l’évolution de leur territoire de chasse loisir en réserve naturelle finit par s’imposer. En 1980, la propriété des Guerlain devient réserve naturelle nationale. Conformément à la volonté des donateurs, la Société nationale de protection de la nature protège et assure son entretien depuis 1985. Les donateurs conservent leur droit de chasse jusqu’à leur mort mais, par principe, le prédatoire est relégué à l’autochtonie, aux riverains du lac. Le creusement de bassins pour la chasse au gibier d’eau s’intensifie d’ailleurs pendant les années 1970 sur la périphérie du lac. Les 650 hectares de la seconde société civile immobilière connaissent une évolution différente. Devenus propriété de la Fondation nationale pour la protection des habitats et de la faune sauvage, ils sont gérés par la fédération de chasse de Loire-Atlantique et classés réserve naturelle régionale en 2008.
19Le milieu naturaliste, ayant pris possession du lac, renouvelle la relation homme-oiseau. Le suivi des populations, l’observation, les comptages et baguages intronisent l’oiseau comme objet d’étude et témoin de l’état écologique du milieu. De constats en découvertes ornithologiques, le site en tire un nouveau prestige : plus grande héronnière de France, halte migratoire internationale pour les canards, colonie de spatules blanches, etc. L’ancrage scientifique de la relation humaine à l’oiseau n’a pas totalement évacué la question de la mise à mort animale. Elle se pose autrement, sous le terme de régulation. Il s’agit désormais de maintenir, de préserver des équilibres. Ainsi, l’érismature rousse fait l’objet d’un plan d’éradication. Considéré comme indésirable, ce petit canard nord-américain menace par hybridation son homologue à tête blanche, en danger d’extinction. Les populations d’ibis sacrés sont également réduites. Sur la forme, cette régulation peut se traduire par des campagnes de tirs ou de stérilisation des œufs. Le statut de l’espèce conditionne le sort des oiseaux mais les critères qui l’établissent (rareté, degré de menace…) étant constamment mesurés par les données de terrain, celui-ci est susceptible de changement.
Bibliographie
Laage de Meux Hilaire de, « Le lac de Grand-Lieu », dans Witt Jean de (dir.), Chasses de Brière suivies d’une enquête sur la sauvagine en France, Paris, Nouvelles Éditions de la Toison d’Or, 1949, p. 181-189.
Ménanteau Loïc, La chasse dans l’estuaire de la Loire : traditions et ruralités réinventées dans le contexte de la métropolisation Nantes – Saint-Nazaire, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, 2002.
Mischi Julian, « Les militants ouvriers de la chasse : éléments sur le rapport à la politique des classes populaires », Politix, no 83, 2008, p. 133-153.
Platel Félix, « Ralph et Ramponeau », Le Figaro, no 259, 16 septembre 1886, p. 1.
Platel Félix, « Un héron », Le Figaro, no 254, 10 septembre 1884, p. 1.
Platel Félix, « Une chasse aux cygnes », Le Figaro, no 309, 5 novembre 1877, p. 1.
Notes de bas de page
1 F. Platel, « Ralph et Ramponeau ».
2 Ibid.
3 Ibid.
4 F. Platel, « Un héron ».
5 F. Platel, « Une chasse au cygne ».
6 Ibid.
7 Ibid.
8 L. Ménanteau, La chasse dans l’estuaire de la Loire : traditions et ruralités réinventées dans le contexte de la métropolisation Nantes – Saint-Nazaire, p. 27-30.
9 H. de Laage de Meux, « Le lac de Grand-Lieu », p. 182.
10 Utilisation d’un chien pour rapporter le gibier.
11 Ibid.
12 F. Platel, « Ralph et Ramponeau ».
13 H. de Laage de Meux, « Le lac de Grand-Lieu », p. 187.
14 Ibid., p. 183.
15 J. Mischi, « Les militants ouvriers de la chasse : éléments sur le rapport à la politique des classes populaires », p. 115.
Auteur
Anthropologue libéral (Enquête d’ordinaire), chercheur associé au Centre nantais de sociologie (UMR 6025)
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016