Sangliers et chasseurs en Corbières d’en haut (Aude)
Résumé
L’empreinte des sangliers est constante dans ce pays écarté pratiqué en géographe. Les chasseurs s’y manifestent aussi. Le nombre des sangliers excède celui des habitants, ce qui tient à l’exode rural, à l’enfrichement, à la rétraction du vignoble et à l’extension d’une chênaie de type méditerranéen guère exploitée. Les sangliers franchissent les lisières forestières du territoire dont ils disposent pour se nourrir aussi dans l’espace vécu de la société villageoise qui coïncide avec le territoire marqué par la vigne. La frontière entre ces territoires est mouvante et conflictuelle. Face aux empiètements des sangliers, les chasseurs opèrent à la marge du territoire des viticulteurs pour aborder la forêt et y débusquer leur gibier. Pratiques de l’espace, gestes, équipements font des chasseurs un groupe reconnu comme tel qui fait valoir ses buts : protection de la viticulture et régulation d’un gibier envahissant.
Texte intégral
1Ce titre annonce un déséquilibre entre animalité et humanité. Mais, rangé dans une discipline, la géographie, qui est celle des relations entre les sociétés humaines et leurs espaces, mon hypothèse est que l’enjeu de la chasse est d’ordre territorial, expression d’un conflit qui porte sur l’ajustement de deux espaces et sur l’interprétation de leurs oppositions topologiques : l’un tenu pour plein, celui de la vigne et de ses travailleurs, l’autre imaginé comme vide, celui de la végétation spontanée et de la faune des animaux sauvages, dont c’est une partie du domaine. Ces espaces forment dans les Corbières d’en haut une mosaïque de compartiments distincts et opposés : ceux de l’ager, presque réduits à la viticulture depuis les années 1960, et ceux de la silva, largement dominés par la chênaie. Les lignes de démarcation de ces compartiments sont une limite essentielle mais la dynamique de leur évolution n’est pas d’une simplicité linéaire : elles sont « plastiques » et « mouvantes1 ».
De quel pays s’agit-il ?
2Corbières d’en haut2 ? C’est dans le sud-est du département de l’Aude, à mi-chemin entre Carcassonne et Tautavel et entre Narbonne et le Bugarach, une multiplicité d’interfluves dont les eaux sont drainées vers la Méditerranée par la Berre, l’Orbieu supérieur, les Verdoubles et Torgans. Cet arrière-pays agreste dont j’ai commencé l’apprentissage depuis des années sans lui appartenir contient trois douzaines de communes jointives, souvent étendues, d’une densité de population rarement supérieure à 10 habitants/km2 alors qu’elle dépassa 30 ou 45 habitants/km2 vers 1914. Plusieurs paraissent recluses. Rares sont les villages marqués sur les cartes routières à petite échelle. C’est un écart lointain. En dehors des travaux du vignoble, les parties de chasse, chasses au sanglier, entretiennent là, à une échelle et selon une périodicité différentes de celles des vendanges, une impression d’animation.
3Chasser, produire du raisin à vin : affirmer une volonté de domination sur la nature dont l’expression est plus brutale à travers la chasse. Populaire, cette chasse reste d’intérêt local : ces Corbières n’ont guère été recherchées par des chasseurs étrangers à leurs horizons ; les tentatives d’y attirer voilà quelques années des amateurs alsaciens, bourgeois presque tous, pour augmenter aussi l’utilisation des gîtes ruraux sont restées sans lendemain. Ces visiteurs avaient suggéré de bâtir des plates-formes d’affût en charpente pour disposer de tirés plus dégagés ; elles sont négligées : l’habitude de chasser au sol selon la tradition locale persiste.
4Max Sorre voyait dans ce pays « un petit monde à part » à la physionomie complexe ; il en fixait le « noyau » dans « le massif de Mouthoumet » et hésitait à le tenir, malgré la proximité des Pyrénées orientales, pour une région préparatoire de la montagne3. Un autre, Pierre Brunet, notait que le « désordre l’emporte » dans cet espace de peu de largeur occupé par un « moutonnement des collines schisteuses en dessous des serres à toit plan4 ». Diminution et vieillissement de la population y sont tels qu’elle ne remplit plus cet espace et l’entretient encore moins : en témoigne l’extension des friches dans ses territoires modestes et minuscules dispersés entre de petites unités géomorphologiques, les unes creuses (fonds marneux couverts de cailloutis), les autres saillantes (robustes masses calcaires ou échines sombres de calcschistes). Dans cette juxtaposition de petites unités souvent mal reliées les unes aux autres, que ce soit par la voirie asphaltée ou le réseau ADSL, je suis tenté de voir une mosaïque de sociétés moléculaires qui n’ont guère de mémoire collective dans un espace inorganique.
5Le climat méditerranéen fonde l’unité physionomique de cet espace et semble déterminer une part de ses activités. À commencer par la viticulture qui occupe moins de travail et moins de surface qu’il y a trente ans et la villégiature estivale, apparue à la même époque et restée discrète. Les autres activités n’ont plus d’importance ou pas encore : affouage, ruchers, reprise ponctuelle de l’élevage, efforts pour produire du fourrage quand pluviosité et altitude le permettent. Longue saison chaude et sèche, saison fraîche et humide plus brève, marquée parfois par des précipitations surabondantes trop irrégulières d’une année sur l’autre pour donner un sens à leur moyenne arithmétique annuelle qui passe de 450 à 600 millimètres selon les lieux : ce climat convient à la croissance d’une forêt xérophile de bois bourrus plutôt que clairs, sauf les pinèdes plantées naguère contre les ravinements. Qui découvre ses faciès, maquis, garrigue ou garrissades selon les altitudes, les expositions, leur stade d’évolution, peut entendre ce mot de forêt comme un euphémisme. Habitants et habitués des Corbières d’en haut perçoivent ces associations végétales comme des obstacles, sans laisser oublier que ces forêts sont l’habitat des sangliers.
Importance et activité des sociétés de chasse communales
6Chacune des communes abrite une société de chasse agréée ou en partage une avec sa voisine. Cela paraît disproportionné relativement au nombre d’habitants dont l’âge moyen élevé limite les effectifs des chasseurs et la rareté des jeunes leur renouvellement, même si des originaires les rejoignent. Entretenir de telles sociétés surprend : beaucoup des communes ne disposent plus d’aucun service public d’intérêt collectif permanent, sinon la distribution postale, dernière figuration locale quotidienne de l’État. Bien des secrétariats de mairie ne sont assurés que quelques heures par semaine. Les dessertes par des commerçants itinérants disparaissent, mais moins vite que n’ont disparu en deux générations beaucoup des maîtres d’école et, depuis l’entre-deux-guerres ou la Libération, presque tous les prêtres. Dans ce contexte de décroissance et de tentatives de relance ou de réorganisation par le redécoupage des cantons et la promotion des intercommunalités, les menues associations de chasseurs établies dans ces parages et modestement subventionnées par les budgets municipaux symbolisent une fonction de médiation entre la société et son environnement. Elles demeurent une des dernières manifestations des identités et des solidarités villageoises. Il faut aller un peu plus loin pour reconnaître leur utilité et l’importance qui en découle : face à une menace que les communautés agricoles villageoises ressentent ou imaginent, celle des sangliers, les sociétés de chasse sont là pour écarter ces derniers. Elles le montrent bien.
7Les jours de chasse, chacun aperçoit leurs mouvements, entend leurs éclats. Chacun y prend garde. Chacun comprend que ses épisodes sont parfois très animés : les brefs cris des chasseurs entre eux, leur dispersion, leur mobilité dénoncée malgré la végétation par les couleurs vives de leurs vêtures qui les signalent par précaution, les aboiements de chiens de quête qui cherchent à prendre l’odeur du gibier, le son de la trompe du piqueur dont les tonalités suivent le progrès de la chasse, les détonations des armes à feu. La chasse est le plus souvent une battue conduite par ceux qui poussent le gibier vers les affûts où les autres l’espèrent. Si les aboiements reprennent vivement après un coup de feu, on comprend que la balle a blessé un sanglier sans l’arrêter : les chiens prennent alors le vent du sang qu’il perd pour coller à la voie et poursuivre la traque.
8La chasse embarrasse : panneaux mobiles en bord de route signalant sa proximité et son danger, embuscades des postes de tir fixés sur les talus, groupes de voitures garées près de ces affûts. La chasse, inscrite en pointillés dans la trame et les échos des paysages, occupe surtout les franges de transition des vignobles que les chasseurs pénètrent peu vers la forêt où ils poussent les chiens. Dans les replis des Corbières d’en haut, je suis le spectateur pas toujours très attentif de quantité de parties de chasse au sanglier sans assister à tout leur déroulement ni coller aux basques des chasseurs dans leur terrain.
9Un coup de trompe signale la fin de la partie : un cortège de véhicules portant chasseurs, chiens et dépouille des animaux abattus rentre ostensiblement au village. Les dépouilles y étaient souvent accrochées à la vue de tous à un arbre ou un linteau avant d’être écorchées comme la démonstration qui peut paraître violente du métier des chasseurs, une affirmation de leurs exploits et peut-être un témoignage de virilité meurtrière. Pour plusieurs c’était un moment d’échanges, de satisfaction et de repos pour marquer leur retour au centre du pays au terme d’une journée consacrée à une marginalité éloignée. D’autres spectateurs n’avaient rien vu de la chasse et pouvaient l’imaginer exténuante, parfois dangereuse, ce qui la valorisait aux yeux de la plupart. La tradition voulait qu’avant le partage de la viande l’écorcheur coupe une patte avant de l’animal et la remette, en reconnaissance de son mérite, à celui dont le fusil l’avait arrêté. Le récipiendaire « trophéisait » souvent cette patte, la clouant à son portail près de celles des années précédentes, en attendant les suivantes : cela donnait à tous une idée des compétences du chasseur et de son arme. Les lieux choisis pour ces gestes et leur organisation en cérémonie se sont faits plus discrets au fil des années, comme si la chasse avait perdu en prestige. Une fois la bête écorchée et vidée, sa viande est toujours découpée et distribuée : une part à chaque chasseur, une pour chaque chien. L’intérêt de la chasse comme production alimentaire a diminué mais les chasseurs peuvent en tirer du profit : la vente d’une viande que l’on reçoit d’un tel gibier est tolérée…
10Les dates retenues en préfecture pour ouvrir la saison de chasse, avant le terme de l’été et le début des vendanges, et la clore, en fin d’hiver, continuent de donner aux habitants le plus d’apparence d’unité dans leur pays. Le temps de la chasse peut mobiliser parfois trois jours par semaine et pendant une demi-année une partie des adultes, réunis au-delà des contingences des lignées familiales et hors les nécessités immédiates de l’économie productive et nourricière : cela entretient l’illusion que ce pays demeure une collectivité.
Quels rapports entre travaux des vignes et pratique de la chasse ?
11L’étendue des vignes est le signe des succès de l’aménagement de l’espace rural par les paysans des Corbières d’en haut et de leur spécialisation sous la pression des marchands depuis un siècle. Ceux qui les traversent n’y voient qu’un motif répétitif. Les viticulteurs une richesse. Ils les vivent comme une somme de travaux aux savoir-faire et aux gestes établis selon les saisons et comme une source d’inquiétudes répétée d’année en année. Tous tiennent à ces vignes. Elles sont leur fierté : celle du travail bien conduit, celle de leur marque dans la trame du paysage. Elles donnent une valeur emblématique à leur territoire et demeurent surtout la première source de revenus. Nul n’oublie les menaces capables de les réduire : parfois des gelées tardives, souvent la grêle, toujours les sangliers. Toujours les sangliers car ils habitent le pays et leur risque permanent et imprévisible relève de causes tenues pour fatalement inhérentes à la nature locale et plus difficile à prévoir que la grêle qui ne participe que du hasard de turbulences atmosphériques. Nul ne s’aventure à deviner quelle parcelle sera bientôt menacée, même s’il est acquis que les meilleures grappes sont les premières recherchées par les sangliers. Cette incertitude exagère la méfiance et la crainte que les villageois expriment à propos des sangliers dont la proximité n’empêche pas que plusieurs les connaissent peu.
12La chasse, réplique de petites équipes villageoises plutôt que familiales à la réalité des sangliers, à leurs empiètements et à leurs déprédations, ne relève pas d’une même constance ni d’une même nécessité que celle qui impose de se soucier presque chaque semaine des vignes pour les conduire jusqu’aux vendanges. Celles-ci deviennent plus discrètes du fait des progrès de leur mécanisation, qui réduit temps de travail et effectifs de travailleurs, et des nouvelles exigences des techniques de vinification, qui provoquent la dispersion de travailleurs moins nombreux et émiettent leurs emplois du temps. Mais, malgré ces changements qui font que les modes d’animation de l’espace par la viticulture et ses travailleurs deviennent moins différents de ceux des chasseurs, la chasse, ses préparatifs, ses gestes, ses efforts, ses surprises, ses fatigues relèvent peut-être d’une certaine gratuité et indiscutablement d’un passe-temps arythmique.
Découvrir les sangliers…
13Ni naturaliste ni chasseur mais « voyageur actif5 », je tente de caractériser les deux groupes antagonistes, chasseurs et sangliers. À propos des sangliers, l’attention porte d’abord sur les signes de leur présence et de leur activité, suggérant que les espaces qu’ils habitent et parcourent sont leur territoire propre. Observer les sols, les signes qu’ils portent, les dépôts corrélatifs des déplacements qui les ont marqués : empreintes, piétinements, impressions de reposées ou de gîtes ; coulées et ornières où les graminées sont foulées, les touffes de thym écrasées ; faux chemins éclaircis entre des arbustes aux branchettes froissées, aux rameaux brisés à force des passages attestés par des touffes de poils, des cagades6 ; litières et humus des couverts forestiers ou pelouses des clairières retournés par des bêtes qui les fouissent pour y découvrir rhizomes, bulbes comestibles, larves d’insectes, escargots, ces derniers souvent cherchés sous les pierres d’un clapier ou entre celles de murgers ou de murettes de parcelles agricoles travaillées ou abandonnées. Reconnaître les rares ruisseaux, les mouilles ou les gouilles d’eau croupissante et boueuse dont les bords sont écrasés et élargis par les pataugeages des animaux et les limons argileux qui les colmatent parfois transportés sur plusieurs mètres sur les feuillages voisins. On devient chercheur de traces. Traces qui disent qu’un animal est passé là, s’est nourri là, a tenté de se débarrasser là des parasites de son pelage… Autant de pistes à interpréter comme des itinéraires de la soif et de la faim. Autant de signes dont le déchiffrage donne l’impression de pénétrer l’intimité de l’animal au point qu’il devient différent de celui dont se plaignent les viticulteurs : le voilà familier et bien plus qu’une abstraction.
14Au-delà de ces observations empiriques, la réflexion du chasseur porte sur les confins qui rapprochent forêt et terroirs : comprendre des traces pour distinguer des habitudes de franchissement, évaluer des fréquences de passages, tenter d’apprécier le gabarit d’un animal à localiser dans le cadre et les objectifs retenus d’une partie de chasse à la suivante. Cela fait avancer des hypothèses quant aux modes d’occupation de l’espace par ce gibier et ses habitudes, soit reconstituer un passé récent à comparer avec des expériences antérieures. J’imagine une parenté entre art du chasseur et méthode de l’historien. Mais, géographe, je n’oublie pas l’épreuve d’apprentissage de la géographie, le « commentaire de cartes », qui vérifiait l’aptitude à interpréter des traces pour asseoir des hypothèses relatives à l’évolution géomorphologique ou à celle de l’usage des sols. D’où mon illusion d’être proche des chasseurs. Jusqu’à me souvenir que presque tous savent, mais pas moi, déceler sexe, âge, état de santé d’un animal, soit établir un diagnostic à partir duquel faire feu ou pas, sans oublier qu’après quarante ou soixante mètres la trajectoire des projectiles devient imprécise. Car, même si j’imagine des affinités entre des chasseurs et les sangliers qu’ils reconnaissent, espèrent ou poursuivent et desquels semble les rapprocher une sorte de camaraderie sinon de complicité, je sais toujours que les premiers vont tuer plusieurs des seconds.
15Du sanglier j’ai appris qu’il est prolifique, avec souvent des portées de huit à dix marcassins. Une espèce capable de longs parcours pour s’abreuver ou se nourrir, adaptable donc à la diversité des milieux où elle se répand d’autant plus qu’elle est omnivore et charognarde, mettant en pièces et dispersant les os des cadavres d’animaux repérés à l’odorat. Des sangliers je connais la silhouette et les volumes : souvent des gros lourds, oreilles larges, hure massive, échine raide, poil rêche presque noir. Je note leur vigueur quand ils montent en hâte des égralets7 d’une pente supérieure à 40°. Il faut plus d’attention pour reconnaître leurs grognements, leur bruit quand ils boutent une écorce ou une souche ou fougent pour découvrir sous la litière glands, châtaignes, champignons. Les récits des chasseurs me paraissent exagérer volume et poids de leurs sangliers des Corbières… Peut-être parce que les images de ceux de Calydon, de Rubens, de Rosa Bonheur encombrent ma mémoire. Leurs évocations du temps de leurs aïeux suggèrent un accroissement des effectifs dont je constate depuis des années la réalité, d’autant que les sangliers ne sont confrontés là à aucun prédateur et qu’ils ne semblent pas y avoir été décimés depuis longtemps par aucune épizootie.
16Selon Deffontaines, progrès et nécessités de l’agriculture avaient dès le Néolithique réduit la pression de la forêt et entraîné le confinement du gibier dans ce qui en restait8. Ce qui a pu la faire ressentir comme étrangère par les cultivateurs, au point que plusieurs conviennent que la forêt appartient aux sangliers, comme leur territoire. Malte-Brun avait déjà souligné que « toutes nos forêts un peu considérables servent de repaire […] au sanglier9 ». Ce qui revient à dire qu’ils font partie de l’écosystème forestier et pousse à reconnaître l’animalité de la forêt. Mais ils affirment désormais leur présence bien au-delà des compartiments forestiers qui demeurent leur habitat et l’abri de leur reproduction. Les ressources de la forêt sont à la mesure de leur appétit, d’autant que la raréfaction des longues périodes de gel contribue à l’abondance des glands, comestibles pendant des mois, à quoi s’ajoutent des fruits qui durent moins : arbouses, sorbes, prunelles, et les opportunités de cerisiers, figuiers, poiriers, pommiers, cognassiers survivant près de points d’eau qui permettaient des jardins aujourd’hui envahis par des garrigues de substitution. La limite entre la forêt et ses hôtes et les finages des terroirs agricoles et ceux qui les travaillent est donc évolutive… Plutôt qu’une ligne, une frontière épaisse sépare les deux groupes et leurs deux espaces hétérotopiques ; l’examen montre, à s’en tenir à l’état des arbres, comme elle a évolué en une ou deux générations, ce qui a étendu emprise et rapines des sangliers.
Que sont les chasseurs de sangliers ?
17Interroger des chasseurs qui pratiquent les sangliers est mal commode : face à une équipe ou à un des équipiers, l’enquête franchit mal la surface de leur réalité apparente. Ils accueillent gentiment, mais on devine qu’on les encombre. Je lis dans leurs yeux qu’ils me tiennent pour étranger et me qualifient comme tel en usant d’un hétéro-ethnonyme qui vaut mise à l’écart sinon exclusion, alors qu’eux-mêmes, le plus souvent nés dans le pays et formant une bonne bande de vieux amis, se présentent comme des nous, des nous autres. Cette distance qu’ils entretiennent me contraint d’admettre que je ne suis guère assuré de ce qu’ils sont, au-delà de leur souci d’approcher les sangliers pour en tuer et au-delà du constat que plusieurs se risquent pour cela dans un espace forestier qui n’est pas le leur, d’où leur originalité décisive parmi les habitants du pays.
18Observer les Corbières d’en haut fait reconnaître dans les chasseurs un groupe particulier dans la société rurale. Costumes aux couleurs vives, armes et munitions affichent, comme les encombrements le long des routes qui dérogent au principe de leur usage, une volonté de puissance que ne recherchent guère les seuls vignerons. Ils observent en chassant des règles étrangères à la vie quotidienne fondées sur un droit de détruire dont ne jouissent pas les autres habitants : d’où les liens de copinage qui les rapprochent et les distinguent de ceux qui n’ont pas l’usage de la chasse ni de ses fatigues. Malgré leur petit nombre dans la majorité des communes et leur renouvellement limité, ces chasseurs, adultes accomplis, souvent retraités, ne regretteraient pas que les plus vieux, ceux qui voient mal ou entendent peu, devenus plus maladroits, renoncent. Car une part du prestige de la chasse est dans ses résultats : d’un homme à l’autre on se demande si on a tué.
19D’une commune à l’autre, le simple fait de leur réunion selon un objectif qui les rassemble hors du travail de la terre exprime la sociabilité et la solidarité de groupe des nous, chasseurs partageant mêmes espoirs, mêmes illusions et parfois mêmes chimères. Pratiquer la chasse les libère du souvenir de ce qui a pu diviser lignages et parentèles. Beaucoup sont chasseurs pour relever l’usage des parents ou grands-parents. Leurs bandes sont masculines. Les femmes n’ont de rôle qu’après la chasse, pour accommoder la viande rapportée par leurs hommes. La plupart des chasseurs n’imaginent pas qu’elles puissent intégrer leurs sociétés alors qu’elles partagent tous les travaux de la vigne, à commencer par taille et vendange, les plus éprouvants. Cette réserve ne les écarte pas du reste de la population : organiser une ou deux fois l’an dans la plupart des villages des repas des chasseurs leur confère un rôle central dans des communautés qui négligent désormais les fêtes votives du passé et leurs rassemblements. Ces petites associations de chasseurs s’affirment donc comme des opératrices du lien social. Hors saison leur cohésion demeure sensible : ils contribuent, parce que chasseurs et pour faciliter les chasses à venir, à l’entretien ou à la restauration de pistes d’accès à la forêt et d’itinéraires négligés à l’usage des tracteurs agricoles.
20La spatialité du groupe de ces chasseurs est distincte de celle de la viticulture – même si bien des viticulteurs sont aussi chasseurs, ambiguïté qui me les fait regarder parfois comme des Janus bifrons, car les uns tiennent le sanglier pour un adversaire, les autres pour leur ennemi. Le nœud des intérêts et des activités périodiques de la longue saison de la chasse est dans les bordures ou les marches des terroirs cultivés, c’est-à-dire des lisières de la forêt, la marge vécue entre le territoire des sangliers et les clairières contenant encore les travaux agricoles et le centre de l’activité viticole. Là se déploie le gros des effectifs des chasseurs et de leurs moyens, même si plus d’une fois ils avancent en forêt, loin sous le bois. Ils sont presque les seuls à défier les dangers prêtés à ces lisières dont les fronts occupés par des broussailles hirsutes sont généralement perçus comme frontaliers. Leurs engagements de chasseurs relèvent, dans une perspective simplement géographique, de la marginalité entre nature et viticulture. Ceux qui pratiquent la chasse ont acquis une telle familiarité des bordures forestières et un tel rapport terrien avec elles que les non-chasseurs la ressentent comme une appropriation collective. Seuls les chasseurs semblent qualifiés pour aller au-delà de ces lisières. Ce que beaucoup d’autres hésitent à faire.
21Entrer dans cette forêt mal pénétrable donne à bien des habitants, à commencer par les femmes, et à ceux qui, venus d’ailleurs, en approchent par curiosité sans être chasseurs, pour la promenade ou la cueillette, tels les chercheurs de champignons, le sentiment d’arriver chez les sangliers. Ils n’en ont qu’une connaissance limitée, ce qui les entraîne à les redouter : les défenses courtes, tranchantes, qui flanquent la hure d’une partie des animaux adultes leur font une mauvaise réputation, bien que moins dangereuses que leur solide os frontal… Les promeneurs qui l’approchent comme un bout du monde ou les randonneurs qui risquent sa traversée craignent d’en rencontrer en s’engageant trop profondément entre les bois où ces animaux doivent séjourner dans leurs bauges et leurs soues sans qu’on les y découvre souvent : on les rencontre peu en plein jour avant de les avoir bien cherchés. Si l’on en croise ce sont des marcassins escortés de la laie qui dirige leurs apprentissages.
Mitoyenneté de territoires contigus ou feuilletage de l’espace ?
22Les sangliers transgressent de plus en plus les limites de leur espace forestier, multiplient leurs excursions au-dehors et savent parcourir, surtout de nuit, des compartiments étendus dont beaucoup sont toujours utilisés pour l’agriculture. Ils y divaguent à l’envi jusqu’à l’aube ; ils sont partout bien qu’ils ne soient plus chez eux ; ils pénètrent les vignes, surtout dès que les raisins mûrissent ; ils maraudent, venant s’y nourrir en désordre, en groupes souvent étoffés de trois classes d’âge (une paire d’adultes accomplis, deux ou trois plus jeunes, parfois neuf ou dix marcassins de l’année) ; ils ravagent jardins et vergers ; ils encombrent les bords de routes et souvent leurs chaussées. Cette activité est historiquement reconnue : Malte-Brun notait que le sanglier « sort parfois de sa retraite pour ravager nos champs cultivés10 ». Mais nous voilà passés de l’occasionnel au permanent ou presque, de la mitoyenneté à l’invasion. Cela atteste leur profusion sinon leur prolifération. Même si la menace de leur voisinage diminue en hiver, car la période de chasse qui couvre ces mois-là trouble et inquiète les sangliers tandis que la saison de dormance de la vigne et de la plupart des jardins rend un moment leurs compartiments moins attractifs, chacun doit admettre qu’ils sont plus nombreux que les habitants eux-mêmes. Les dénombrements des tableaux de chasse confirment que leur densité excède celle de la population résidente, soulignant que l’isobare entre la pression des habitants et celle des sangliers est rompue. Autre nouveauté : les sangliers repèrent les enclos dévolus depuis une vingtaine d’années au seuil de chaque village à la collecte des ordures ménagères et ont appris à les fréquenter pour y quérir de la nourriture. Ils poussent dans les rues, sur les places et vers les fontaines des villages : autant de conduites qui les rapprochent des façons des animaux domestiques.
23Mais ce rapprochement les rend encombrants ! Les viticulteurs disent comme les temps ont changé : leurs ancêtres, qui ne travaillaient pas que des vignes, voyaient dans les sangliers des figurants d’importance secondaire dans l’espace. Ils tenaient la chasse pratiquée à l’occasion pour auxiliaire de leur agriculture, car elle semblait cantonner les sangliers à la périphérie des territoires villageois. Son utilité immédiate était de procurer de la nourriture : de la viande consommée dans les jours qui suivaient le découpage du gibier ou plus tard, car une bonne partie en était salée, parfois séchée et fumée, parfois cuite pour devenir saucisses et saucissons. Au-delà de cette utilité, pratiquer la chasse était déjà un moment de plaisir où rompre avec les gestes et les horizons des autres jours et un moyen d’affirmer une spécificité masculine dans les communautés villageoises.
24À ce stade de l’évolution économique et socioculturelle, on chassait toujours avec le souci de continuer à le faire les années suivantes, d’autant que même ceux qui n’avaient pas vécu la disparition par myxomatose des lapins de garenne en avaient entendu le récit. D’où les conventions qui aboutissaient à baliser des réserves d’où la chasse était bannie pour mieux la faire durer au fil des années en protégeant la reproduction des sangliers et de quelques autres espèces. Ces précautions permettaient aussi de conserver les chasseurs eux-mêmes et les rites de sociabilité qui les assemblent.
25La quantité des sangliers d’aujourd’hui rend moins nécessaire le principe des réserves et leur démarcation. Les compartiments marqués par les travaux agricoles sont devenus si familiers aux sangliers envahisseurs qu’ils y cohabitent de manière conflictuelle avec les viticulteurs. Ils les pratiquent comme le prolongement de leur territoire forestier, devenus des acteurs dans deux espaces encore tenus pour distincts par les habitants du pays et que l’observateur apprécie comme superposés ou feuilletés puisque les sangliers franchissent sans retenue les limites que défricheurs, agriculteurs, éleveurs et chasseurs tentaient d’imposer à une forêt qui s’étend malgré eux. La confrontation entre les hommes et ces animaux passe en été par des climax qui relèvent souvent de l’accidentel, le cas le plus simple étant une collision routière nocturne. Chacun redoute de voir sa récolte de raisins amoindrie et les ceps qui les portent abîmés, ce qui menacerait les récoltes à venir. Devant la fréquence de tels dommages, on en vient à se demander si l’on entre dans une crise du sanglier, du fait de leur surabondance, comme il arrivait des crises de surproduction du vin.
Les vignes deviennent-elles enclaves ou réserves ?
26On peut se dire aussi que les chasseurs ne suffisent plus. Pour résister aux incursions des sangliers et protéger les récoltes, les viticulteurs bâtissent depuis des années leurs propres frontières : leur inimitié est inscrite dans les paysages. D’abord des clôtures électriques ; deux fils tendus sur des piquets plantés après la véraison des vignes et raccordés aux batteries installées au coin des parcelles tentent d’enfermer les lieux de leur travail, dispositif d’efficacité incertaine mais bon indice de la proximité des sangliers et de leur menace. Aujourd’hui, surtout là où le nombre de parcelles et l’étendue du vignoble décroissent, ce qui paraît augmenter les besoins des sangliers, on use de moyens plus radicaux pour répondre à leurs rapines et aux assureurs qui modulent les montants de leurs primes selon les risques de dommages : des grillages métalliques de près d’un mètre de haut à larges mailles sont fixés en nappes sur des piquets épais, robustes, plantés pour durer. De tels enfermements modernes donnent à une partie du vignoble une allure de camp retranché et ajoutent à la démonstration de la nouvelle spatialité du conflit frontalier entre viticulture et pression de la forêt ; ils modifient la trame de l’espace, signalent une mutation de l’esprit des lieux et soulignent que la fragilité de leur territoire fait battre en retraite les viticulteurs. Alors que l’on convient de l’amélioration de plusieurs des vins de ces Corbières, faudra-t-il bientôt s’étonner que les vendanges qui les permettent sortent de réserves comparables à celles démarquées autrefois pour préserver une partie des gibiers ? Comme si l’œcoumène aménagé par ceux qui l’habitaient était dans plus d’un terroir rétréci, émietté en enclaves donnant l’impression d’une frontière diffuse.
Proposer la régulation des sangliers est-il chimérique ?
27Chasseurs ou pas, les viticulteurs, successeurs des paysans du passé, font entendre qu’ils ont besoin d’une chasse qu’ils tiennent et présentent comme un bon moyen de préserver leur activité et les revenus qu’elle leur procure. Mais l’abondance des tableaux de chasse confirme d’année en année que l’activité des associations communales de chasse est loin de diminuer la densité des sangliers et la pression qu’ils exercent sur les vignes en élargissant toujours leur espace au-delà de leur habitat forestier. Qu’ils deviennent plus prédateurs et dangereux qu’ils ne le furent ne tient pas seulement à leur augmentation ni à des changements de leur nature par des croisements avec des porcs d’élevage, mais bien plus à la fin de la polyculture vivrière associée à de l’élevage que pratiquaient des paysans plus nombreux travaillant beaucoup à pied et de leurs mains sur des terroirs plus étendus que ceux de la quasi-monoculture de la vigne d’aujourd’hui. Exode rural et mécanisation des travaux agricoles ont réduit la présence des hommes dans ces campagnes et facilité l’accès des sangliers à un espace plus vaste en y éprouvant moins d’appréhension.
28Du côté des chasseurs le discours change. Ils prônent la régulation du gibier, plutôt que sa limitation : ce projet vague d’une régulation soucieuse à la fois du vignoble et des plaisirs des chasseurs est loin de satisfaire les acteurs économiques du pays. Les viticulteurs entendent ce mot d’ordre moins comme l’expression d’un projet visant à l’équilibre avec les sangliers que comme l’intention de réduire beaucoup et vite leur nombre… Faut-il rapprocher cette opinion de leur attachement à l’usage généreux d’herbicides et de pesticides pour entretenir leurs vignes et leur productivité ? Mais les détours des pratiques de régulation peuvent surprendre. Il arrive qu’en saison de fermeture des chasseurs déposent en forêt des amas de grains de maïs là où cet agrainage facilitera l’alimentation des sangliers, surtout quand les marcassins sont jeunes et parfois affamés du fait de l’enneigement. Quelques vétérinaires supposent que l’agrainage relève le taux de fécondité des laies. Ce qui entretiendrait les effectifs du gibier. Mais un tel rapprochement de chasseurs et de sangliers serait-il comme un premier pas vers leur domestication ? Les partisans de l’agrainage soutiennent qu’il vise à retenir à l’écart, en forêt, les hardes de sangliers. Mais il leur arrive aussi, pendant l’ouverture, entre les jours de chasse, de distribuer du maïs sur les bords de vignes proches des lisières forestières, ce qui attire les sangliers sans démontrer que cette générosité diminue leur appétit pour les grappes ! Cette pratique peut rendre la chasse plus fructueuse, en faisant que les sangliers s’attardent aux bords de leur territoire, sur la frontière que les chasseurs sont censés défendre et où ils souhaitent pouvoir les mieux tirer à vue. On discute sans fin de l’agrainage avec ceux qui le justifient comme un des instruments de la régulation du gibier. Mais on doit admettre que recourir à ces appâts est moins dangereux que ne l’était le rabattage par l’incendie parfois furtivement mis en œuvre par une société de chasse pour pousser vers son périmètre des animaux installés dans un autre… On y recourait avant une journée de chasse, par vent favorable : il était admis que le feu rendait plus facile et productif l’effort des chiens pour rabattre. Cette pratique délicate a été découragée par la densification du réseau de surveillance et de prévention des feux de forêts et l’amélioration de ses moyens.
29Face à l’hypothèse de redéfinition de leurs rôles, les chasseurs affichent leur spécificité de protecteurs. Ils répètent volontiers que la chasse n’est guère qu’une activité de défense et elle demeure dans l’esprit de beaucoup justifiable jusque dans des projets de destruction et d’extermination même s’ils reprennent dans leurs discours, leurs exposés des motifs de leurs associations et leurs apologies, face à l’intransigeance de quelques défenseurs des animaux, le thème de la nécessaire régulation des espèces. La pression environnementaliste orchestrée de l’extérieur, souvent avec le souci de répéter que chasser n’est pas simplement tuer mais faire preuve d’une cruauté sanglante, modifie l’expression des chasseurs ; mais le prêt-à-penser qu’ils adoptent n’a guère d’effet sur leur conduite. Le nombre des néochasseurs paraît encore plus réduit dans les Corbières d’en haut que celui des néoviticulteurs se réclamant d’une agriculture bio. On est encore ici loin d’un monde où la chasse serait « écologisée » : si les chasseurs ou leurs officiels adoptent des mots, des clichés, des poncifs nouveaux, cela tient probablement à leur souci d’exprimer leur appartenance à un ensemble collectif ou fédérateur transcendant limites régionales et appartenances villageoises.
Comment envisager l’avenir de chaque territoire entre chasseurs et sangliers ?
30Les observations du présent suggèrent d’extrapoler l’avenir selon trois dynamiques concurrentes qui pourraient donner l’avantage aux sangliers tant face aux chasseurs que dans la maîtrise des territoires.
31La densité de la population décroîtra dans ces Corbières du fait de sa structure par âges, de sa faible natalité comme de la médiocrité de son renouvellement par immigration : cela réduira les effectifs des sociétés de chasse et leur capacité de destruction.
32La surface du vignoble lui-même continue de diminuer en dépit des efforts accomplis pour y tirer un meilleur parti des assemblages et convaincre des amateurs durables. D’abord parce que rares sont les reprises d’exploitations par des entrepreneurs venant de l’extérieur. Ensuite parce que, malgré la mécanisation pour prétailler et récolter, les viticulteurs sont à la veille ou l’avant-veille de manquer de main-d’œuvre en période de pointe. Plusieurs anticipent cette pénurie, d’autant qu’ils vieillissent et que leur capacité de travailler diminue : ils abandonnent l’entretien de parcelles où l’étalement de garrigues de substitution ajoute au milieu habituel de leurs ennemis sangliers. On ne distingue guère si les prochaines générations de ces derniers auront de la sorte moins d’inclination à se nourrir dans les vignes en fin de saison sèche.
33Ces extensions des garrigues témoignent de la poursuite de l’élargissement de la forêt selon des processus bien établis dès les années 1940 : la surface de la forêt a depuis plus que doublé et ses taillis continuent de s’étendre et s’élever. Car l’usage domestique de l’électricité et du butagaz et la précision acquise dans la surveillance des départs de feux ont depuis les années 1950 et 1985 réduit tant la consommation du bois de chauffage que la destruction accidentelle de la forêt : la partie du pays habité par les sangliers continue de s’élargir à leur profit et de leur procurer plus de nourriture. On peut donc imaginer, en dépit de tous les discours sur leur régulation, que leurs effectifs continueront d’augmenter.
34Comment dans ce contexte réduire la densité des sangliers et ralentir leur prolifération pour contenir leur pression et réduire les tensions entre leur territoire et celui des villageois et viticulteurs ? Les chasseurs peuvent-ils contribuer avec les connaissances dont ils disposent à diminuer la fécondité des hardes de sangliers ? Cesser de supplémenter leur alimentation ne suffirait pas. Ne faudrait-il pas abattre plus de laies pour diminuer le nombre de marcassins ? Ne faudrait-il pas s’appliquer à une régulation attentive à l’organisation des sangliers en épargnant plus souvent les mâles âgés qui apparaissent dans les viseurs comme les proies les plus recherchées du fait de leur volume et de leur poids ? Cela entretiendrait le nombre de ces gros mâles et pourrait entraîner une réduction des taux de natalité de leurs hardes. Car beaucoup des jeunes mâles, à qui la disparition des anciens du fait de la chasse procure une sorte d’autonomie, seraient ramenés à leur position de subordonnés à l’autorité établie d’un vieux chef de harde : ils auraient probablement moins de chances qu’aujourd’hui de couvrir à leur guise les laies de leur groupe. Mais comment persuader des chasseurs, à commencer par les zélateurs de la régulation, d’accorder, à travers les succès de leurs battues et l’examen de leurs tableaux de chasse, plus d’attention à ce que sont peut-être les structures sociales selon lesquelles seraient organisés leurs adversaires ?
Bibliographie
Ancel Jacques, Géographie des frontières, Paris, Gallimard, 1938.
Brunet Pierre, Recherches morphologiques sur les Corbières, Paris, CNRS, [1957].
Deffontaines Pierre, L’homme et la forêt, Paris, Gallimard, 1933.
Deffontaines Pierre, Petit guide du voyageur actif, Paris, Éditions sociales françaises, 1943.
Malte-Brun Conrad, Géographe universelle de Malte-Brun, Cortambert Eugène (éd.), t. VII, liv. X, Paris, Boulanger et Legrand, 1864.
Sorre Max, Les Pyrénées, Paris, A. Colin, 1933.
Notes de bas de page
1 J. Ancel, Géographie des frontières, p. 49, 115.
2 Le régionyme Corbières désignait, voilà un siècle, le compartiment d’allure montagneuse qui retient ici mon attention. Il servit ensuite bien plus bas à distinguer le toponyme Lézignan dont la gare fut un gros point de chargement des vins produits alentour, plus au sud et plus haut.
3 M. Sorre, Les Pyrénées, p. 81-83.
4 P. Brunet, Recherches morphologiques sur les Corbières, p. 6.
5 P. Deffontaines, Petit guide du voyageur actif.
6 Vocable occitan et provençal signifiant « excréments ».
7 Versants rocheux raides susceptibles d’éboulements.
8 P. Deffontaines, L’homme et la forêt, p. 64.
9 C. Malte-Brun, Géographie universelle de Malte-Brun, p. 315.
10 Ibid.
Auteur
Président de la Société de géographie de Toulouse
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016