Du texte à la carte et de la carte au texte : un rapport réciproque dans la transmission du savoir géographique à la fin de l’Antiquité
Résumé
Les descriptions du monde sous forme de listes de toponymes antiques sont une des formes d’écrit géographique qui perdurent dans l’Antiquité tardive, et qui sont reprises et compilées au haut Moyen Âge. Plusieurs exemples d’œuvres littéraires transmises par des manuscrits, et des sources épigraphiques de l’apprentissage scolaire, tels que tablettes et papyri, nous montrent que la connaissance du monde figurait parmi les objectifs de l’éducation et de l’érudition. Les traités de géographie permettent de suivre l’évolution de la culture du monde antique, des méthodes d’apprentissage, et la circulation du savoir. Y avait-il un modèle commun, une base de la connaissance, et sur quoi était-elle fondée ? Progresse-t-elle au fur et à mesure d’expéditions de découverte ? Nous tenterons de déterminer quel a pu être l’usage de cartes ou de schémas cartographiques dans un contexte scolaire de transmission du savoir géographique.
Texte intégral
1Peut-on prouver l’utilisation pédagogique de dessins, de diagrammes, voire de cartes dans l’Antiquité, si aucune source figurée ne nous est parvenue ? La question de la transmission du savoir géographique pose la question du rapport entre le texte et la mise en carte. Dans les manuscrits médiévaux, nous avons quelques exemples de « mise en carte » de textes géographiques, qui sont sans doute un héritage direct de représentations antiques1. Bien que ce ne soit en aucun cas ce que nous appelons aujourd’hui une carte (pas d’échelle, pas de convention graphique), mais plutôt un schéma ou un diagramme, où l’on plaçait les toponymes, et parfois des formes, elle semble avoir joué un rôle certain dans l’apprentissage des savoirs. Quel rapport de réciprocité s’est établi entre le texte et la figure pour la connaissance et la maîtrise du monde ? L’auctoritas dont bénéficièrent certains auteurs nous a permis d’étudier comment les toponymes antiques et les méthodes d’apprentissage via le dessin furent transmis à partir de l’Antiquité tardive, jusqu’aux manuscrits médiévaux qui nous sont parvenus.
Voir ce que l’on entend ou décrire ce que l’on voit : sphaera, pinax, orbis depictus : l’attestation de l’usage de la carte dans la pédagogie antique
2Dans les manuscrits antiques, l’inventaire des éléments constitutifs du monde (montagnes, fleuves, mers, cités, peuples) était-il accompagné de schémas ? Dans la démarche pédagogique, le dessin précédait-il le texte explicatif ou l’inverse ? La forme cartographique, quelle qu’elle soit, peut avoir suscité la présentation écrite des données, puisque, par essence, elle permet l’utilisation combinée d’informations et produit de l’ordre dans des données2.
3L’usage de schémas cartographiques est attesté dans un but pédagogique dans trois textes tardo-antiques3. Le rhéteur Eumène, dans un discours prononcé en 297, recommande l’utilisation conjointe de la carte et du texte, quand il décrit un orbis depictus représenté sur les portiques de l’école d’Autun, où la jeunesse pouvait localiser les conquêtes impériales :
« Car là, ainsi que vous avez pu, je crois, le vérifier par vous-même, pour faciliter l’instruction de la jeunesse, et partant de ce principe que des choses difficiles à saisir par l’enseignement oral sont plus clairement expliquées au regard, on a représenté la situation des lieux avec leurs noms, leur étendue, leurs distances, la source et l’embouchure de tous les fleuves, les sinuosités des rivages et les circuits de l’Océan qui embrasse les continents, et ses mouvements impétueux.4 »
4L’expression utilisée est claire : le regard sur la carte permet de voir plus clairement et de mieux comprendre ce que l’on a pu expliquer par un enseignement oral (manifestius oculis). Le second exemple date de 435. Un poème situé à la fin d’une énumération toponymique de provinces, la Diuisio orbis terrarum5, atteste de l’existence d’une carte commandée par l’empereur Théodose II et réalisée par deux serviteurs, suivant des modèles textuels ou figurés plus anciens, qu’ils améliorent et corrigent, « l’un écrivant et l’autre peignant » (dum scribit, pingit et alter) : la double expression laisse penser que la carte comportait des inscriptions ou était accompagnée d’un texte pour en faciliter la lecture, ou, à l’inverse, qu’elle servait d’illustration au texte. La relation entre le texte et ce que nous assimilons à une carte, parce qu’elle était sans doute le plus souvent picta et objet du regard6, quelle que soit sa forme7, est attestée par les mots specimen terrae quam oecumenen appellamus, et semble donc essentielle dès l’Antiquité. Le schéma compile et rend plus « visible », donc plus clairs et intelligibles, les savoirs énoncés dans un texte ou énumérés à un élève.
5Enfin, entre 540 et 572, Cassiodore associe le texte et la carte dans ses conseils pédagogiques aux moines de Vivarium : il recommande de lire une description du monde, puis de regarder et d’apprendre le contenu d’un pinax, « carte » faite d’après le texte de la Périégèse de Denys d’Alexandrie, dont les vers devenus célèbres ont décrit le monde connu au iie siècle ; Cassiodore lie le texte et la carte, puisque celle-ci va permettre « de voir presque comme par le regard ce que l’on a entendu » :
« Qu’il vous soit aussi nécessaire de connaître la cosmographie, c’est à juste titre que je vous le conseille, car vous devez savoir avec évidence en quelle partie du monde est situé chacun des lieux que vous lisez dans les livres saints. Ce qui se produira parfaitement si vous vous hâtez de lire avec application le petit livre de Julius Orator que je vous ai laissé. Les mers, les îles, les montagnes fameuses, les provinces, les cités, les peuples y sont rassemblés selon une quadruple division, en sorte qu’il ne manque à ce livre presque rien de ce que l’on sait qui touche à la connaissance de la cosmographie. […] Ensuite, apprenez la carte (pinax) de Denys qui, ramassée en un bref espace, vous permettra de voir presque comme par le regard ce que vous aurez entendu de vos oreilles dans le livre précédent. Alors, si le noble souci de la connaissance vous a enflammés, vous avez le codex de Ptolémée ; rendant visibles les moindres lieux, l’auteur vous semblera presque avoir habité toutes les régions du monde et il vous permettra, à vous qui, comme il convient à des moines, devez demeurer en un seul endroit, de parcourir en esprit les espaces que d’autres n’ont embrassés que par de pénibles pérégrinations.8 »
6Le « petit livre de Julius Orator » est la Cosmographia de Julius Honorius, qui établit un inventaire du monde ordonné en quatre parties d’après une carte9, qui date sans doute du ive, au plus tard du vie siècle10. D’après une phrase du prologue selon une des versions manuscrites11, c’est une suite de notes prises à l’écoute d’un maître (magister) qui commentait (commentarium) une carte du monde (sphaera) en faisant une liste de noms de lieux selon la catégorie géographique à laquelle ils appartiennent12. Le texte ne devait pas être séparé de la carte, selon les intentions du maître13. Quatre « océans », eux-mêmes déterminés par les points cardinaux, ordonnent un classement, en quatre parties du monde, de toponymes plus ou moins mis à jour à son époque14, qui devaient figurer sur la carte circulaire du monde commentée à l’élève. L’œuvre de Julius Honorius a été très diffusée dans l’Occident médiéval15, mais hélas aucune carte qui l’aurait accompagnée ne nous est parvenue.
7Ainsi, si l’on ne peut affirmer que cette pratique, avec des schémas cartographiques illustrant systématiquement un texte ou l’inverse, ait été générale, l’association texte/carte semble encouragée pour la transmission du savoir géographique scolaire tardo-antique, païen puis chrétien16. Dans tous les exemples précédemment cités, le recours à l’observation d’une représentation cartographique, nécessairement synthétique et clairement organisée, est essentiel dans le processus intellectuel d’acquisition efficace du savoir géographique et à sa transmission.
Le dessin cartographique comme prolongement et éclairage indispensable du texte, inséré dans le manuscrit
Du dessin en marge du texte aux « cartes textuelles »
8La phrase de Cassiodore énonçait que le texte de la description du monde de Denys d’Alexandrie était accompagné d’une carte, voire remplacé par celle-ci. Mais la mise en carte remonte-t-elle à la rédaction par Denys ou est-elle élaborée ensuite pour servir la pédagogie des maîtres devant leurs élèves ? Le problème se pose à partir du moment où un schéma correspondant au texte est en position marginale dans le manuscrit. On a des scholies antérieures au ve siècle sous forme de schémas mis en marge17 ; il ne s’agit pas de carte générale du monde habité : pour l’île de Délos, on a un schéma avec deux cercles concentriques avec le nom au milieu, entourés de onze petits cercles qui symbolisent les îles des Cyclades environnantes (fig. 1), et sur un autre feuillet, un petit schéma de l’Asie sous forme de carré légendé sur les côtés (fig. 2)18. Pour autant, rien ne prouve que l’auteur de la Périégèse ait voulu insérer de tels schémas dès le iie siècle, puisque ce sont les scholiastes qui les citent, en renvoyant à une comparaison avec une carte à consulter avec le texte, qui est critiquée comme étant insuffisamment précise ou incomplète, mais dont on ignore l’origine et la datation. Tout au plus pouvons-nous en déduire que dès l’Antiquité tardive (dès avant le ve siècle), la pratique de l’illustration explicative par des schémas « cartographiques » est avérée dans la transmission des savoirs.
9Les manuscrits de Salluste et de Lucain, correspondant aux passages du Bellum Iugurthinum (17.3 et 19) et de la Pharsale (9.411 sq.), où sont discutées la structure de l’orbis terrarum et la répartition des peuples et lieux de l’Afrique, ont des schémas tripartites de l’œcoumène en T-O19 dans leurs marges20, à titre de gloses. Si l’on ne peut les faire remonter avec certitude à un archétype de l’Antiquité, puisque les manuscrits les plus anciens datent du ixe siècle, d’après P. Gautier Dalché, les schémas des textes de Salluste et de Lucain sont probablement issus de commentaires scolaires antiques de grammatici21, tout comme, vraisemblablement, ceux qui accompagnent le texte d’Isidore de Séville22. Les trois parties du monde habité sont conformes à la tradition antique, et dans la sphère répartie en trois zones, des listes de noms sont organisées selon deux types : dans le premier, les mots sont les uns à la suite des autres, ligne après ligne, sous un titre par continent23 (fig. 3) : In Asia sunt prouinciae XV […], In Europa sunt prouinciae XIII […], In Africa sunt XII prouinciae […]. Dans un second type, plus riche en toponymes, les noms de lieux sont présentés en colonnes, qui tentent de respecter un regroupement topographique (fig. 4)24, selon leurs positions respectives dans l’orbis terrarum. Ce procédé classe visuellement et topographiquement les éléments décrits dans le texte : le schéma résume et fixe les localisations par secteurs, il permet d’avoir une vision simultanée des éléments listés, de leur importance numérique par régions à l’intérieur de chaque continent. Ainsi, la carte peut remplacer un texte25 : on peut alors évoquer le terme de « cartes textuelles », sans symboles ni dessins, où l’aspect schématique aide à mémoriser la répartition des toponymes.
10Le schéma du Ms. Harley 2799 (fig. 4) occupe plus de la moitié inférieure du feuillet, et la sphère s’inscrit dans les trois dernières lignes du texte au-dessus. Il n’est pas ajouté en marge. Même si la « mise en carte » ne peut être datée avec certitude de l’écriture du texte par Isidore de Séville, la réalité géographique romaine datant de l’époque impériale est la base des connaissances, à laquelle s’ajoute la mise à jour médiévale des informations ; le conservatisme est un élément important pour comprendre les choix qui sont faits dans la transmission des savoirs depuis l’Antiquité. L’œcoumène tripartite (avec une Asie plus grande que l’Europe et l’Afrique)26, comporte des listes de noms, mêlant régions/provinces (noms romains avec quelques ajouts médiévaux), villes, fleuves, peuples, répartis par secteurs géographiques27, c’est-à-dire agencés selon un ordre topographique28.
11La nette majorité des noms est antique : les toponymes africains et le terme Affricum mare sont issus du texte de Salluste29, auquel sont ajoutés des noms antiques ancrés dans la tradition géographique gréco-romaine, remontant à la période hellénistique, par exemple Calpe, Atlas, Tanais, Nilus. De plus, l’actualisation des noms est faible : seuls Anglia, Francia et Ungaria et quelques références et transformations bibliques attendues (entre autres exemples, Paradysus, Hyppone – siège épiscopal – au lieu de Hippo Regius, Hherusalem et un développement lexical conséquent sur sa région avec Samaria, Galilea, Iudea) ont été ajoutés par un copiste. On a donc une synthèse de connaissances antiques que le copiste a faiblement mise à jour.
Le schéma dessiné indissociable du texte
12Le Commentaire sur le Songe de Scipion, de Macrobe, écrit au ve siècle et très diffusé jusqu’à la fin du Moyen Âge, comporte dans le texte même des manuscrits la citation et l’appel à un dessin cartographique ou schéma diagrammatique30, témoin irréfutable du fait que la carte était considérée comme un complément indispensable à la lecture du texte dès l’écriture de l’ouvrage. Le texte même du livre II mentionne, et ce, à plusieurs reprises, des figures explicatives. Dans sa description géographique de la Terre, une phrase énonce qu’il met « devant les yeux [du lecteur] » une descriptio31. A priori la descriptio pourrait être tout autant un texte qu’un schéma explicatif des zones climatiques sur le globe : mais la mention de ante oculos et l’opposition entre descriptio (que nous traduirons par « figure ») et sermo (« ce qui est énoncé ») un peu plus tôt nous semble explicite et révélatrice de la présence d’un dessin : « L’esprit pourra concevoir le raisonnement plus facilement par la figure que par le discours32 ». Dans le livre I, il faut noter que Macrobe a déjà précisé que « la description que l’on met devant les yeux » permet de « comprendre plus facilement » ce dont on parle33, et il a utilisé le même champ lexical. Au paragraphe 6 du livre II, il écrit même que « le lecteur nous entendra sans peine, s’il a sous les yeux la description de la sphère terrestre, donnée au chapitre précédent : au moyen de la figure jointe à cette description, il lui sera aisé de nous suivre » (2.6,1). Le contenu géographique est ainsi énoncé à la fois dans le texte et dans le schéma adjacent, qui en est une forme résumée, alternative au texte, mais insérée dans le texte, comme une évidente condition à la compréhension, et non comme un élément subsidiaire.
13Les plus anciens manuscrits retrouvés prouvent ce rapport entre le texte et le schéma géographique : celui-ci, inséré dans la phrase située au-dessus et en dessous (2.5,13-17), représente la Terre divisée en zones, sans légende explicite, avec seulement des lettres autour du cercle figurant le globe34 (fig. 5). Dans la démarche méthodologique de Macrobe, le texte semble venir en second, pour compléter le diagramme, comme une explication orale lors d’un cours, où le maître montre une carte et en explique les parties. En effet, après l’énoncé des lettres « écrites » (adscripta) autour du cercle à tracer figurant la Terre, Macrobe définit les zones entre les lignes tracées à partir des lettres, sur le schéma :
« Soit le globe terrestre A, B, C, D ; soient les droites G, I et E, F, limites des deux zones glaciales ; soient M, N et K, L, limites des deux zones tempérées ; soit enfin A, B, la ligne équinoxiale ou la zone torride. L’espace compris entre G, C, I, ou la zone glaciale boréale, et celui compris entre E, D, F, ou la zone glaciale australe, sont couverts d’éternels frimas ; les lieux situés entre M, B, K et N, A, L, sont sous la zone torride : il suit de là que l’espace renfermé entre G, M et I, N, et celui entre KE et FL, doivent jouir d’une température moyenne entre l’excès du chaud et l’excès du froid des zones qui les bornent […] Des deux zones tempérées où les dieux ont placé les malheureux mortels, il n’en est qu’une qui soit habitée par des hommes de notre espèce, Romains, Grecs ou Barbares ; c’est la zone tempérée boréale qui occupe l’espace GI, MN. »
14Quelques paragraphes plus loin se trouve le cinquième diagramme présent dans l’œuvre, qui est celui dont la transmission pose le plus de problèmes. Il découle de celui précédemment cité, avec ses zones expliquées grâce aux lettres, car il s’agit ici « à partir d’une figure insérée » (descriptio substituta) que Macrobe regarde (ante oculos), que le lecteur « découvre » (invenies) l’emprise des mers par rapport aux terres, l’encerclement par le grand Océan, la forme générale de la terre habitée de l’hémisphère nord, « telle une chlamyde » (chlamydi similem35) et les connexions entre la mer Rouge, l’océan Indien, la mer Caspienne, la Méditerranée et l’Océan36. Après que le texte a annoncé la « figure insérée » et décrit son contenu, dans la plupart des manuscrits, le dessin est donc placé logiquement entre la fin de la phrase concernée (incognitus perseuerat) (2.9,7) et le début de la suivante annoncée par un mot de liaison (Quod autem) (2.9,8) (fig. 6 et 7)37. Hormis quelques rares cas de manuscrits du ixe et xe siècles38 qui se sont vus ajouter une figure tardive de la Terre qui, de fait, va se retrouver en marge ou sur un feuillet ajouté (fig. 8)39, ce qui est frappant, c’est la place laissée par le copiste dans le feuillet, pour le dessin, au milieu du texte, voire en haut du feuillet : il joue donc un rôle didactique, annoncé comme tel par l’auteur tardo-antique, et est assumé comme un élément indispensable et indissociable du chapitre sur l’organisation spatiale de la Terre.
15S’il est impossible de recomposer exactement ce diagramme tel qu’il était probablement inséré dans l’archétype du ve siècle, on peut examiner les manuscrits les plus anciens qui nous sont parvenus (ixe-xe siècles)40 ; de rares noms propres, cités dans le texte adjacent41, servent de repères dans des formes schématiques : « mer Rouge », « mer Indienne », « mer Caspienne », « Océan »42. Quelques manuscrits ajoutent l’Italie (Italia), et les « Orcades » (les îles Orkney) dans un cercle évoquant leur caractère insulaire. Les zones climatiques sont légendées : frigida septentrionalis, temperata nostra, perusta (deux fois), temperata antecorum, frigida australis (fig. 6)43. Le manuscrit de Bruxelles44 (fig. 7) présente les mêmes toponymes mais sous forme de liste énumérative, sans que l’on puisse parler de dessin des formes littorales. Sous l’inscription du nom des trois mers précitées, des traits forment des vaguelettes, sans marquer la connexion avec l’anneau océanique ; l’Italie est dans une étiquette rectangulaire ; seul le cercle entourant le nom « Orcades » peut figurer l’insularité. Sur certains manuscrits, il y a en plus « Syene » (Assouan), et « Meroe », cité et île à la fois, qui sert de borne repère pour séparer la zone torride de la zone tempérée45, noms présents également à plusieurs reprises dans le texte de Macrobe46. Méroé est la ville d’Éthiopie antique de référence pour la limite méridionale du monde africain civilisé aux yeux des Romains dans la littérature encyclopédique47, qui permet aussi de tracer le méridien jusqu’à Alexandrie depuis Ératosthène48.
16Le problème est que la transmission cartographique n’est pas évidente : d’après A. Hiatt (2008, 154), sur 6 manuscrits du ixe siècle qui contiennent le passage 2.9,7-8, où l’auteur cite la carte, deux manuscrits révèlent les difficultés qui se posaient aux lecteurs et aux copistes quand la carte manquait. Dans un des cas, datant de 820, à Tours49, Lupus de Ferrières, à la fin du ixe siècle, a fait gratter et effacer 17 lignes de texte qu’on a ensuite resserré pour gagner de la place en bas de feuillet, et on y a ajouté une simple sphère avec l’Océan (Oceanum mare), puis au xiie siècle, un copiste a dessiné la carte zonale de la Terre à gauche (fig. 8). Dans l’autre cas, un blanc avait été laissé dans la page à l’endroit du texte, et au xie siècle, finalement, on a commencé à ajouter la carte, jamais terminée, sur un nouveau feuillet à l’écart50. Après cette première phase de transmission difficile de la partie cartographique illustrant le texte, A. Hiatt avance l’hypothèse d’une deuxième phase de transmission de l’œuvre, avec toutes ses figures, à partir du xe-xie siècle, et notamment dans le sud de la Germanie, avec soit la copie d’un exemplaire manuscrit qui avait gardé trace de la carte depuis l’archétype, soit la reconstruction de son contenu.
17Par la suite, à partir de la fin du xie siècle, on augmente le contenu toponymique des schémas avec des noms qui ne sont pas issus du texte de Macrobe mais ajoutés d’après d’autres listes à vocation pédagogique ou des références bibliques.
18Ainsi, la transmission des savoirs passe pour la majorité des cas des manuscrits de Macrobe51 par la complexification d’un schéma archétype très épuré remontant probablement au ve siècle, mais en mêlant peu à peu des références existant dans d’autres textes géographiques antiques païens52 puis dans des textes médiévaux chrétiens, voire en orientant les figures à l’Est. Dans tous les cas, au fil des transmissions manuscrites, l’hémisphère sud reste bien présent, et vierge de toute annotation de repère géographique (sauf le nom zonal : temperata et inhabitabilis), conformément aux instructions de Macrobe qui avance, selon les thèses datant de la période hellénistique et de Cratès de Mallos, l’hypothèse d’une symétrie.
19Les figures de Macrobe, présentées par lui-même comme une alternative au texte, et très diffusées dans l’enseignement de la géographie de la Terre à partir du xiie siècle53, ont certainement eu une influence sur d’autres mappemondes qui circulent à partir du xi-xiie siècle. La meilleure preuve du succès de la longue transmission de ses écrits et cartes depuis le ve siècle est sa diffusion sous forme manuscrite, puis imprimée, jusqu’en 1560.
20Dans la géographie romaine, par tradition, l’inventaire du monde est fait à travers des catégories qui restent toujours les mêmes : à la géographie physique (cours d’eau, mers, îles, montagnes) s’ajoute éventuellement la géographie humaine, avec les peuples, les villes et les provinces. Le mode de pensée de l’espace n’a pas vraiment évolué au cours de l’Antiquité tardive, et dans un but didactique, l’exposé des connaissances géographiques s’est concentré et simplifié en listes où le découpage des régions était immédiatement compréhensible et intégrable dans des schémas, qui facilitaient l’appréhension des éléments composant le monde, leur compréhension, leur mémorisation. Les copistes médiévaux ont conservé ces noms, qui ne correspondaient plus à des réalités contemporaines, auxquels ils ont ajouté éventuellement des références récentes.
21Le dessin et le texte ont été établis dès l’Antiquité tardive dans un rapport de réciprocité étroit, visant à l’efficacité de la transmission des savoirs. On affichait, montrait, commentait les « cartes » dans un but pédagogique54. Malgré des changements somme toute relatifs, la connaissance géographique qui est transmise par le schéma cartographique jusqu’au milieu du Moyen Âge reste donc longtemps celle d’éléments célèbres structurant l’espace du monde connu antique autour du Bassin méditerranéen, pour représenter un orbis terrarum aux traits résolument romains.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Pour la mappa d’Albi (Albi, Ms 29 f. 57v. http://archivesnumeriques.mediatheques.grand-albigeois.fr/_images/OEB/RES_MS029/index.htm.), 96 % des noms (50 en tout) sont cités chez Orose ou Isidore de Séville. La plupart des noms ne sont pas des références bibliques. Face à la carte du monde (f. 57v), qui est aujourd’hui la plus ancienne conservée (seconde moitié du viiie siècle), et qui elle-même présente les lieux sous forme de listes, se trouve une liste de 24 mers et 12 vents avec pour titre Indeculum quod maria uel uenti sunt (« Index des mers et des vents », f. 58r). Après les deux feuillets se trouve le texte géographique d’Orose (f. 58v à 61v). Voir Dan 2017, 13-44. Mais la carte, avec 50 noms inscrits, ne reflète pas uniquement le texte d’Orose, et n’est pas liée étroitement au texte. C’est dans cette mesure que nous l’écarterons de notre propos.
2 Jacob 2003, 28, écrit qu’elle crée « un ensemble de relations abstraites entre des lieux que rien ne permettrait de rapprocher autrement ».
3 Gautier Dalché 2008, 39.
4 Eum., Pan. Lat., Pro scholis restaurandis, 20.2, t. I, Les Belles Lettres, Paris, 1949 : « Siquidem illic, ut ipse uidisti, credo, instruendae pueritiae causa, quo manifestius oculis discernuntur quae difficilius percipiuntur auditu, omnium cum nominibus suis locorum situs spatia interualla descripta sunt, quidquid ubique fluminum oritur et conditur, quacumque se litorum sinus flectunt, qua uel ambitu cingit orbem uel impetus inrumpit Oceanus ». Voir Lozovsky 2008, 98 et 169-172 : « Thus both the map itself, which seems to have existed as a physical object, and its description by Eumenius were meant to serve as vehicles for imperial propaganda ».
5 Dans les manuscrits Vatican, Vat. Lat. 642, xiie siècle; Leyde, Bibl. der Rijksuniv. Scaliger 39. Voir Gautier Dalché 1994a. Le poème, qui eut une large diffusion au Moyen âge, fut repris par Dicuil.
6 Le concept n’est pas nouveau. Arnaud 2009, 55, rappelle que, d’après Pline l’Ancien (3.17 : Cum orbem orbi spectandum propositus esset […]), au ier siècle le but d’Agrippa était « de donner à voir le monde », quand il fit réaliser une carte affichée sans doute sur un portique à Rome.
7 Depuis la fameuse « carte d’Agrippa », perdue, dont la forme est toujours l’objet de vifs débats, jusqu’aux grandes mappae mundi médiévales héritées de l’Antiquité (voir Hoogvliet 2007), en passant par les formae des arpenteurs, les pinakes, ou l’archétype antique de la Tabula Peutingeriana, sous forme d’itinéraire, la question de la forme prise par la mise en images des informations géographiques et ethnographiques (schéma aux lignes géométriques, diagramme, mappemonde ou « carte locale ou régionale » avec des informations multiples, au sens moderne) reste largement posée et non résolue, faute de sources conservées et d’informations. Pour une tentative de typologie des cartes anciennes, voir Arnaud 1990, 187-208.
8 Cassiod., Inst., 1.25 : Cosmographiae quoque notitiam uobis percurrendam esse non immerito suademus, ut loca singula, quae in libris sanctis legitis, in qua parte mundi sint posita euidenter cognoscere debeatis. Quod uobis proueniet absolute, si libellum Iulii oratoris, quem uobis reliqui, studiose legere festinetis, qui maria, insulas, montes famosos, prouincias, ciuitates, flumina, gentes ita quadrifaria distinctione complexus est, ut paene nihil libro ipsi desit, quod ad cosmographiae notitiam cognoscitur pertinere. […] Deinde penacem Dionisii discite breuiter comprehensum, ut quod auribus in supradicto libro percipitis, paene oculis intuentibus uidere possitis. Tum si uos notitiae nobilis cura flammauerit, abeti Prolomei codicem, qui sic omnia loca euidenter expressi, ut eum cunctarum regionum paene incolam fuisse iudicetis, eoque fiat ut uno loco positi, sicut monachos decet animo percurratis quod aliquorum peregrinatio plurimo labore collegit. (Édition Mynors 1937, 66. Traduction de Gautier Dalché 2009, 64).
9 Modéran 2003, 265-268 ; Kubitschek : « Julius Honorius », RE
(t.X, 1919, col. 614-628) ; Gautier Dalché 1987.10 Un seul manuscrit est actuellement divisé entre le Paris. Lat. 2769, f. 23v et le Paris. Lat. 4808, f. 53r-65r.
11 Paris BnF, lat. 4808, f. 53r-65r (A), datable par son écriture onciale du vie siècle. Il a pour particularité de donner le titre : excerpta eius sphaera uel continentia.
12 Julius Honorius, Cosmographia : « Et ut haec ad compendia ipsa deducta in nullum errorem cadat, sicut a magistro dictum est, hic liber excerptorum ab sphaera ne separetur. Sequuntur enim compendia, quae infra scripta uidebis. Quattuor (ut iterum dicam) oceanorum ratio non praetermittenda. Sunt enim per orbem totum terrae cosmographiae maria XXV, insulae LI, montes famosi XXX, prouinciae LV, oppida CCXVIII, flumina LV, gentes XC. Haec omnia in descriptione recta orthographiae transtulit publicae rei consulens Iulius Honorius magister peritus atque sine aliqua dubitatione doctissimus : illo nolente ac subterfugiente nostra partita protulit, diuulgauit et rei publicae scientiae obtulit » (éd. Riese A., 1878 : Geographi Latini minores, Heilbronn, 55).
13 Julius Honorius, Cosmographia : « Propter aliquos anfractus ne intellectum forte legentis perturbet et uitio nobis acrostichis esset, hic excerpendam esse curauimus […] Et ut haec ratio ad conpendia ista deducta in nullum errorem cadat, sicut a magistro dictum est, hic liber exceptorum ab sphaera ne separetur » (éd. Riese 1878, 24 et 55).
14 Riese 1878, 21-55. Voir la prudence adoptée, pour l’Afrique du Nord, par Modéran 2003, 40.
15 Gautier Dalché 1997, 187.
16 Gautier Dalché 2008, 39 et Gautier Dalché 1994b. Il note que le manuscrit de la recension A de Julius Honorius témoigne de l’eruditio de ses lecteurs.
17 Derenzini 1995, 450-451.
18 BnF, Parisianus graecus Ms. 2771, f. 63r ; f. 73v.
19 Sur la carte T-O, tournée vers l’Orient, les trois continents connus, l’Asie, l’Europe et l’Afrique, sont placés de part et d’autre de barres verticale et horizontale, formant un T, qui représentent le tracé des fleuves (Tanaïs, Nil) et de la mer (Méditerranée), éléments structurants de l’orbis terrarum. En haut de la barre horizontale se trouve l’Asie, et de part et d’autre de la verticale (Méditerranée), l’Europe et l’Afrique. Voir figures 7, 8 et 9.
20 Plus de 60 exemples dans les manuscrits de Salluste ont été répertoriés par Destombes 1964, 66-73. Voir Block Friedman 2000, 534-535. Parmi les 12 manuscrits les plus anciens du ixe au xe siècle, 5 sont illustrés de schémas cartographiques. Destombes en a distingué deux sortes : les unes ont une vingtaine ou trentaine de noms, les autres une cinquantaine. Pour Salluste, on peut voir l’exemple du BnF, Ms. Lat.6253, f. 52v, orienté à l’ouest : les noms sont répartis dans des cases au cœur du schéma tripartite, beaucoup plus détaillé pour l’Afrique (partie gauche). Autre exemple, la carte de la Bibliotheca Medicea Laurenziana de Florence (Plut. 16.18, f. 63v), datant du xiiie siècle. Voir les illustrations dans Harley 1987, 344.
21 Gautier Dalché 1994, 707 et Gautier Dalché 2008, 37-38.
22 Cela concerne le livre 13 des Etymologiae qui énonce la forme de la Terre, les océans, mers, rivières, vents.
23 Manuscrit d’Isidore de Séville, De natura rerum, vers 960-980, Cathedral Library of Exeter, Ms. 3507, f. 67r.
24 British Library, Ms. Harley 2799, f. 241v. Voir Gautier Dalché 1994, 724.
25 Voir Gautier Dalché 2005, 136. Gautier Dalché 2014, 167. Voir aussi Lilley 2013, 8, citant Gautier Dalché 2006a.
26 La Méditerranée est appelée Affricum mare, et sépare l’Europe de l’Africa. Les fleuves Thanais and Nylus séparent chacun respectivement l’Asie de l’Europe, et l’Afrique de l’Europe. Tout autour se trouve un double cercle : Occeanus.
27 En Asie, on lit par colonne, de gauche à droite : Armenia, Bithinia, Frigia, Galacia, Lidia, Bactria, Pamphilia, Cilicia, Nycea et Troya, puis, sous Paradysus : India, Parthia, Assyria, Persida, Media, Mesopotamia, C(h)aldea, Arabia, Syria, Palestina, Ascolonia, Anthyochia. Sous le nom ASYA (qui est centré), Samaria, Galylea, Iudea, Hherusalem. Dans le 3e secteur, Alexandria, Egyptus, Babylonia. Pour l’Europe, quatre zones structurent la présentation en liste : à droite, Roma, Ythalia (sic), au centre Constantinopolis, Grecia, Ungaria, Danubius fl(uuius), Germania. Francia est décalé et isolé vers la droite. Hyspania est écrit en perpendiculaire, hors de toute colonne. À gauche, Anglia, Scotia, Hybernia, Britannia. Enfin, l’Afrique (Affrica) : Hyppone, Carthago, Adrimetum, Cyrene, Syrtes (séparé en deux syllabes), Thereon, Leptis, Phylemonare, Numidi, Mauretania, Getuli, Perse. En transversale perpendiculaire à droite : Regnum Cyrenensium, Ethyopia.
28 C’est le même principe d’organisation de la liste par zones géographiques dans une carte d’un manuscrit de Solin datant du xiie siècle.
29 Cathabatanum est par exemple le mont Cathabatmos de Salluste déformé, qui est un plateau à l’ouest du Nil marquant la limite de l’égypte. Voir Gautier Dalché 2002.
30 Gautier Dalché 2005 préfère le 2e terme et nous considérons également que c’est le plus adapté. Le schéma diagrammatique ne comprend pas nécessairement de formes dessinées ou symboliques, et est fondé sur des formes géométriques simples et des découpages zonaux de l’œcoumène, avec des légendes inscrites et des regroupements de noms. Arnaud 1990b, 51, parle même d’idéogrammes. On a pu répertorier au moins 100 mappemondes dans les manuscrits de Macrobe, dont 63 antérieures au xiiie siècle.
31 Macrobe, 2.9.7 : « omnia haec ante oculos locare potest descriptio substituta ».
32 Macrobe, 2.5, 13 : « animo facilius inlabitur concepta ratio descriptione quam sermone ».
33 Macrobe, 1.21, 3 : « quia facilior ad intellectum per oculos uia est, id quod sermo descripsit uisus adsignet ».
34 Cologne, Dombibliothek, Ms. 186, f. 106v.
35 Macrobe, 2.9,8.
36 Macrobe, 2.9,7 : « omnia haec ante oculos locare potest descriptio substituta, ex qua et nostri maris originem, quae totius una est, et Rubri atque Indici ortum videbis, Caspiumque mare unde oriatur invenies ».
37 Voir Gautier Dalché 2008, 36. L’image du globe illustre d’abord les manuscrits de Macrobe, puis ceux d’Isidore de Séville ; Gautier Dalché 1994, 798, exclut que les cartes soient d’Isidore et parle d’abus de langage pour « cartes isidoriennes ».
38 6 manuscrits, parfois incomplets, datent du ixe siècle et présentent un schéma de la Terre : BnF, Ms. lat.6370 ; Cologne Dombibliothek Ms. 186 ; Bern, Burgerbibliothek, Ms. 347 ; BnF, Ms. nal.454 ; Bibliotheca Apostolica Vaticana, Reg. Lat. 1669 et 1762.
39 Le manuscrit de la BnF, Ms. Lat. 6379, f. 89v présente un schéma zonal, mis en marge en bas de feuille à gauche, qui date du xiie siècle et qui a été ajouté à un manuscrit du ixe siècle, puisqu’on a effacé 17 lignes de la première version écrite sans illustration, pour faire de la place au schéma en resserrant le texte plus haut. Dans un autre cas, une carte qui n’a pas été finie a été ajoutée au xie siècle en pleine page, mais à la fin du Commentaire de Macrobe (Cologne, Dombibliothek, Ms. 186, f. 74v). D’après A. Hiatt, 2008, 154-155, ces ajouts postérieurs dans un manuscrit sont révélateurs des difficultés rencontrées par les copistes et les lecteurs face à l’éventuelle absence de carte, que l’on va pallier ensuite.
40 35 manuscrits de Macrobe datent d’avant 1100.Voir Hiatt, 2008, 153-154.
41 Macrobe, 2.9,7.
42 « mare rubrum, mare indicum, mare caspium, oceanus ».
43 Bibliotheca Apostolica Vaticana, Ms. 1341, f. 86 (Abbaye de Lorsch). Ce sont les mêmes noms sur plusieurs manuscrits, parmi lesquels Oxford, Bodleian Library, Ms. D’Orville 77, f. 100r.
44 Bruxelles, Bibliothèque royale, Ms. 10146, f. 109v.
45 5 manuscrits sur les 35 plus anciens évoquent ces cités.
46 Macrobe, 2.7 et 2.8,3. P. Gautier Dalché pense que ces noms ont été ajoutés à la carte originale (1994b, 717) ; on ne peut pas prouver le contraire, mais le fait est que Macrobe explique la position importante de ces deux cités, l’un (Syène) étant sur le tropique nord du Cancer, l’autre (Méroé) à la limite de la zone torride.
47 Entre autres, Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 6.181-183. Au-delà de Méroé, explique-t-il, se trouvent des races monstrueuses.
48 Strabon, Géographie, 1.4 ; 1-2. Ptolémée, Géographie, 4.7.7.
49 Paris, BnF, Ms. lat. 6370, f. 89v.
50 Cologne, Dombibliothek, Ms. 186, f. 74v.
51 Le manuscrit Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 14436, f. 58r est un contre-exemple de la fin xe-début xie siècle : il est une simplification du dessin et une diminution des références géographiques.
52 Par exemple, le manuscrit de Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 6362, f. 74r, et de la British Library, Egerton Ms. 2976, f. 62v, du début du xiie siècle où les toponymes hispania, alpes, gades, balearia, sardinia, Sicilia, egiptus,asia apparaissent, alors qu’ils ne figurent pas dans les manuscrits les plus anciens. On trouve aussi indiqués le Tanais et le Palus Maeotis.
53 M. Destombes, 1964, a trouvé plus de 150 manuscrits entre le xiiie siècle et le xvie siècle.
54 Gautier Dalché 2005, 152.
Auteur
Maître de conférences en histoire romaine, Université de Bretagne Occidentale, Laboratoire Centre François d’épistémologie et d’histoire des sciences et des techniques
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
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2016