Les étangs de Grandmont : aménagement et exploitation hydrauliques des monts d’Ambazac (Haute-Vienne)
Résumé
Avec un relief modeste, les monts d’Ambazac (Haute-Vienne) livrent des paysages vallonnés parsemés d’étangs relativement vastes. Caractérisés par un substrat granitique, ils présentent toutefois une opposition manifeste entre des versants drainés et des vallons humides dépourvus, le plus souvent, de ru ou ruisseau. Forts de ces caractéristiques géomorphologiques et géographiques, ils conservent cependant les vestiges et traces d’importants aménagements anthropiques. Initialement repérés et identifiés lors de prospections archéologiques terrestres, les étangs de la vallée de Grandmont livrent, au fil de campagnes successives de travaux subaquatiques et terrestres, de multiples éléments, révélateurs de leur importance, dans un paysage de montagne modifié. Ainsi, les neuf étangs repérés et en cours d’étude s’avèrent être des plans d’eau artificiels, retenus par d’imposantes et puissantes digues en blocs de granit, majoritairement surmontées d’une chaussée carrossable ou d’une route. Attribués aux moines de l’abbaye-mère de Grandmont (xiie siècle), ces étangs formaient un ensemble conséquent qui s’étire sur près de 2 km de long. Alimentés par les eaux nivales et pluviales, ils recevaient également les eaux des étangs établis en amont. Ainsi, en fonction de la hauteur d’eau et de la période considérée, ils permettaient aussi l’irrigation des pentes herbeuses des vallons au fond desquels ils furent aménagés. Toutefois, certains étangs, à l’image de l’étang des Sauvages, furent dotés d’un réseau de captage des eaux, repéré lors de prospections aériennes par drone.
Texte intégral
1Disséminés dans les vallons des monts d’Ambazac, les étangs du Limousin ponctuent des paysages au relief modeste mais caractéristique du nord-ouest du massif central. Témoins imposants des activités anthropiques passées, ils conservent divers éléments associés, en creux ou en élévation, en grande partie dissimulés par une végétation abondante. Établis dans des vallons humides dépourvus, le plus souvent, de ru ou ruisseau, ils s’opposent aux versants et monts granitiques plus arides.
2En 2013, à l’occasion de prospections archéologiques terrestres spécifiques, réalisées dans le cadre des recherches pluridisciplinaires menées sur l’abbaye chef d’ordre de Grandmont, neuf étangs furent identifiés et localisés dans la vallée de Grandmont, entre les hameaux des Sauvages et de Malessart, sur la commune de Saint-Sylvestre. Répartis en amont et en aval du hameau de Grandmont, ils forment une chaîne continue mais non homogène sur 1,6 km de long. Au fil des années, ils livrent des éléments et vestiges, complémentaires et diversifiés, obtenus par la multiplication des approches aériennes, subaquatiques et terrestres.
3Témoins discrets d’un aménagement anthropique aussi important qu’impressionnant, les étangs de la vallée de Grandmont constituent la partie visible d’un paysage de montagne largement modifié par les populations rurales successives. Ainsi, en fonction de la période considérée et de la hauteur d’eau, ils permettaient certainement l’élevage de poissons dulçaquicoles, l’alimentation en eau de moulins ou l’irrigation des pentes herbeuses des vallons au fond desquels ils furent aménagés.
Des monts d’Ambazac aux vallons humides
4Majoritairement localisés dans le département de la Haute-Vienne et plus modestement celui de la Creuse, les monts d’Ambazac constituent une petite portion des contreforts du Massif central. Plus précisément, ils forment un massif montagneux modeste au cœur des monts de la Marche. Ils s'étendent sur un peu plus de 45 km d’ouest en est, pris entre les communes de Nantiat et Bourganeuf, et 17 km du nord au sud, pris entre les communes de Bessines-sur-Gartempe et Ambazac. Caractérisés par des sommets marqués mais peu élevés, ils présentent, d’ouest en est, des altitudes qui varient de 587 m, sur la commune de Compreignac, à 552 m, sur la commune de Monboucher, et culminent à 701 m, au niveau du puy de Sauvagnac, sur la commune de Saint-Léger-la-Montagne. Ils présentent un relief homogène peu prononcé.
5Sur le plan géologique, les monts d'Ambazac sont constitués de granites et de leucogranites, des roches magmatiques particulièrement dures qui se distinguent des micaschistes et des schistes, constitutifs d’autres monts de la Marche. De ce fait, sur le plan géomorphologique, ils forment donc un petit massif isolé avec un modelé dominant de paysage alvéolaire dégagé et vallonné, constitué de petites cuvettes à fond souvent humide et tourbeux. Sur le plan hydrographique, ils sont dépourvus de rivière. Toutefois, sur la commune de Saint-Léger-la-Montagne, à 605 m d’altitude, ils abritent la source de la Couze, un affluent de la Gartempe. En alimentant la Couze, qui s’écoule vers l’ouest puis le nord-ouest, ils sont donc évités par le cours de la Gartempe au nord, celui du Rivalier, un affluent du Taurion, à l’est, et enfin celui du Taurion, un affluent de la Vienne, au sud. En revanche, ils sont parcourus par une multitude de rus et ruisseaux qui alimentent un semis de plans d’eau ou en partent. Indirectement, les monts d'Ambazac alimentent donc en eau les deux rivières qui les bordent au nord et au sud.
6Toutefois, en étant soumis aux fortes précipitations du climat océanique, les monts d'Ambazac peuvent recevoir une moyenne de 1 200 mm d’eau par an, avec des épisodes neigeux récurrents et plus importants que dans la vallée voisine de la Vienne, au niveau de Limoges, située à 20 km au sud. De ce fait, avec un climat hivernal froid et humide, ils contribuent à la formation de tourbières particulièrement étendues, constituant alors d’immenses écosystèmes aussi particuliers que notables, ou, au contraire, beaucoup plus réduites dans les petites cuvettes humides, constitutives du paysage alvéolaire avec les bois et les pâturages. Avec cette association de relief, paysage et climat, les monts d’Ambazac constituent également en creux, au cœur du Limousin, une zone vallonnée et humide particulière.
7Lors des prospections terrestres, différents plans d’eau, dont certains appelés étangs, furent repérés ou découverts dans cette vallée largement pourvue de végétaux hygrophiles, caractéristiques des zones humides. De l’amont vers l’aval, se succèdent l’étang des Sauvages, l’étang des Chênes, le Petit étang des Chênes, l’étang des Chambres, l’étang no 5, l’étang no 6 et l’étang de Malessart auquel sont accolées deux autres structures, appelées étang no 7 et étang no 8 (fig. 1). Exceptés les deux derniers, ponctuellement en eau, les autres étangs sont tous en eau et constituent donc une chaîne continue de l’amont vers l’aval : les eaux du premier étang finissant inévitablement dans le dernier étang. Il convient de souligner que cette numérotation des étangs, faite depuis l’amont vers l’aval du tronçon prospecté et étudié, suit le sens de l’écoulement des eaux de surface.
Fig. 1. - Localisation des étangs sur la carte topographique de l’Institut géographique national no 2030 Ambazac au 1 : 25 000.
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© IGN/Geoportail.
8Alimentés par l’excès d’eau de l’étang immédiatement situé en amont, ces étangs sont naturellement remplis par les eaux pluviales et nivales voire, pour au moins deux d’entre eux, par les eaux du vallon humide qui les dominent. Ainsi, l’étang des Sauvages et l’étang des Chênes sont alimentés par les eaux qui sourdaient et sourdent encore dans le vallon humide, localisé en amont et au nord de chacun d’eux. Différents, aussi bien par la forme que par les caractéristiques, ces deux étangs, premiers maillons de cette chaîne, furent étroitement associés au vallon humide, qui les domine, par un réseau de drains, assurant le captage des eaux souterraines (fig. 2.).
Fig. 2. - Vue aérienne du vallon humide, en amont de la queue de l’étang des Sauvages, avec le réseau de drains.
© Cliché S. Desruelles.
9Peu visibles au sol, ces réseaux de drains furent réellement découverts et identifiés comme tels lors des prospections aériennes faites avec un drone au-dessus et autour de ces deux étangs. Éléments linéaires parallèles, ils sont établis dans le sens de la pente et convergent vers un collecteur unique qui descend ensuite, en suivant le fond du vallon, vers l’extrémité amont de chaque étang. En amont de l’étang des Sauvages, sur le versant ouest du vallon, l’un de ces drains fut partiellement dégagé de la végétation hygrophile en décomposition et des limons tourbeux pléistocènes. Il est constitué de deux rangées parallèles de blocs de granit, formant un conduit pour l’écoulement de l’eau, recouvertes de blocs de granit plats, formant une protection contre le comblement du conduit et le déchaussement des blocs. Manifestement, il servait au captage et à la collecte des eaux qui s’écoulent encore sur les pentes.
10Sur le même versant mais plus au nord, un puit encore rempli d’eau fut découvert à la limite de la zone boisée. Entièrement constitué de petits blocs de granit maçonnés, il est doté d’une couverture qui le préserve des chutes de feuilles et brindilles. Difficilement datable, il pourrait être associé aux vestiges du hameau des Vieux Sauvages, localisés à l’est sur le versant opposé. Témoin discret et indirect de l’occupation humaine du versant de ce vallon humide, il pourrait toutefois illustrer la maîtrise du captage et l’utilisation des eaux souterraines pour la consommation humaine dans cette partie des monts granitiques, en amont de la vallée de Grandmont, réputée désertique lors de l’arrivée des disciples d’Étienne de Muret au début du xiie siècle.
11Dans l’attente des résultats d’archéologie extensive, engagée par Philippe Racinet, autour de l’abbaye chef d’ordre de Grandmont, les sources documentaires constituent, en dépit des destructions massives de documents consécutives à la dissolution de l’ordre, un recours inévitable et nécessaire. De manière inégale et fragmentaire, elles livrent des informations ténues et dispersées1. Ainsi, sur le plan parcellaire cadastral de Saint-Sylvestre, daté de 1813, figurent le hameau des Sauvages, localisé au niveau de l’actuel hameau des Vieux Sauvages, l’étang des Sauvages, l’étang des Chênes, un canal de jonction, le Petit étang des Chênes, le hameau des Chênes, aujourd’hui disparu mais localisable au sud du Petit étang des Chênes, l’étang des Chambres, le hameau de Grandmont, un canal de jonction, l’étang de Malessart, le hameau de Malessard et un canal rectiligne qui méandre ensuite, appelé ruisseau de Malessard à Grandmont2.
12Le 27 décembre 1790, lors de la mise en vente de la maison de l’abbaye de Grandmont avec les prés, terres, bois et la réserve, au titre des biens nationaux, trois étangs, appelés le Sauvage, le Malessart et les Chambres, avec un petit moulin au-dessous de ce dernier, furent mentionnés3. Le même jour, les deux étangs des Chênes, appartenant à la métairie des Chênes, furent également mentionnés et vendu en un seul lot4. Sur un plan de la matrice du rôle de la paroisse de Saint-Sylvestre pour les années 1780 à 1790, l’étang des Chambres, le canal d’évacuation des eaux et la partie supérieure de l’étang de Malessart, furent représenté avec une partie du hameau et du terroir de Grandmont5. Enfin, sur la carte de Cassini, établie et éditée en 1768, furent représentés le hameau des Sauvages, localisé au niveau de l’actuel hameau des Vieux Sauvages, les quatre premiers étangs, reliés entre eux par un canal de jonction, le hameau du Chêne, localisable au sud du troisième étang, le village et l’abbaye de Grandmont, et un dernier étang, à l’emplacement de l’étang de Malessart. Tous ces étangs étaient associés à une digue (fig. 3).
Fig. 3. - Extrait de la carte de Cassini, no 32 Le Dorat. Vers 1768.
© Cliché C. Cloquier.
13À ces informations de la seconde moitié du xviiie siècle et du début du xixe siècle, doivent être ajoutées quelques informations antérieures. Après la mort d’Étienne de Muret, survenue le 8 février 1125, les religieux de Muret reçurent du seigneur de Montcocu les bois qui couvraient les montagnes de Grandmont pour leur installation dans la vallée6. Établis dans un premier monastère, ils reçurent ensuite de l’abbé de l’abbaye Saint-Martial de Limoges, probablement avant son décès en 1143, sa part de dîme sur le village et la tenure des Sauvages, assis et situés à côté des forêts et bois de Grandmont7. En 1194, ils reçurent également d’un bourgeois de Limoges, le mas et l’étang des Sauvages8. Avec ces quelques informations relatives au xiie siècle, il est donc possible de restituer une partie du paysage, des habitats et des aménagements présents lors de l’arrivée des religieux de Muret dans la vallée de Grandmont, jusqu’à présent qualifiée de désert.
De la découverte fortuite à l’étude exhaustive
14Lors des prospections archéologiques terrestres de 2013, neuf étangs furent donc identifiés dans la vallée de Grandmont. Étagés dans le fond de cette vallée, tous répondent à un schéma général comparable : un plan d’eau artificiel retenu par une digue, constituée de blocs de granit, avec une profondeur et une superficie proportionnelles à la hauteur et la largeur de cette digue. Toutefois, ils présentent tous des dimensions, des formes et des orientations différentes. Presque tous entourés ou dissimulés par de hauts arbres, ils sont difficilement visibles dans leur totalité, même par voie aérienne, et ne sont pas tous facilement accessibles, excepté au niveau de la digue. Si l’étang des Sauvages, l’étang des Chênes, le Petit étang des Chênes, l’étang no 5 et l’étang de Malessart illustrent l’importance des aménagements en eau, l’étang des Chambres, les étangs no 6, 7 et 8 sont le plus souvent à sec et largement encombrés d’une végétation abondante qui limite les mesures et observations.
15Pour ces étangs, les longueur, largeur et superficie furent mesurées sur le plan parcellaire cadastral actuel, la profondeur fut mesurée en plongée ou estimée, la hauteur de la digue et la largeur du sommet de la digue furent mesurées sans enlèvement des végétaux.
Tabl. 1. - Caractéristiques des étangs de la vallée de Grandmont.
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© Réalisation C. Cloquier.
16Les cinq premiers étangs et l’étang de Malessart sont contenus par une digue de section trapézoïdale, constituée de deux parements obliques de blocs de granit et d’un noyau imperméable non identifié. En revanche, les étangs no 7 et no 8 sont contenus par une digue de section rectangulaire, constituée de deux parements verticaux de blocs de granit et d’un noyau imperméable non identifié. Enfin, l’étang no 6 est contenu par une digue de section trapézoïdale rectangle, constituée d’un parement vertical de blocs de granit, vers l’intérieur, et d’un talus de limons formant un noyau imperméable visible, sur toute la largeur, au niveau d’une brèche. Manifestement, ces trois derniers étangs présentent non seulement des dimensions, une profondeur et une superficie modestes mais sont également retenus par une digue au profil différent. Ils auraient pu avoir des fonctions différentes ou appartenir à une période d’aménagement différente ; ils sont également dépourvus des éléments complémentaires.
17En effet, un ou deux systèmes maçonnés, appelés vannes, équipaient et équipent encore la digue des cinq premiers étangs et de l’étang de Malessart afin d’en vidanger les eaux. À raison de deux par digue, ces vannes répondent toutes un schéma général comparable : deux murs, constitués de blocs de granit maçonnés, conduisent les eaux de l’étang vers un conduit de section quadrangulaire fermé par une pelle en bois, munie d’un long manche pour la manœuvrer depuis la surface. Toutefois, elles présentent toutes des dimensions, des formes et des implantations différentes en fonction des caractéristiques et dimensions de la digue et donc de l’étang associé. Cependant, la première, appelée vanne haute, affleure toujours à la surface de l’eau et la seconde, appelée vanne basse, atteint toujours la profondeur maximale de l’étang.
18Ainsi, pour l’étang des Sauvages, la vanne haute, localisée dans la partie droite de la digue, est accessible depuis le chemin qui surmonte la digue (fig. 4). Entièrement composée de blocs de granit maçonnés, elle forme un ensemble massif immergé de 3,30 m de haut. Elle présente sept parties distinctes, identifiées de la digue vers l’étang : la rampe d’accès, le sommet, la pelle, la chambre, le radier, l’aile droite et l’aile gauche (fig. 5). Accessible par une rampe inclinée de 3,8 de long, 0,43 à 0,46 m de large, la vanne haute possède un sommet composé de deux linteaux, assemblés par des agrafes métalliques scellées au plomb, qui maintiennent le manche de la pelle à la verticale. Cette vanne haute est repérable par le manche métallique de la pelle, à savoir un fer plat de 0,05 m de largeur et 0,02 m d’épaisseur, qui enserre une plaque en bois rectangulaire de 0,50 m de hauteur, 0,44 m de largeur et 0,05 m d’épaisseur destinée à fermer un conduit de vidange, de section quadrangulaire, positionné à 3,5 m de profondeur. Au niveau de ce conduit, elle est composée d’une chambre trapézoïdale, de 3,10 m de hauteur, 0,42 à 0,44 m de largeur et 0,62 m de profondeur, qui supporte les deux linteaux du sommet et possède un linteau horizontal à mi-profondeur. La vanne haute est également constituée d’un radier mixte, composé, de l’aval vers l’amont, d’un dallage, sur une longueur de 3,20 m, d’une rangée de blocs de 0,60 m de large et d’une couche compacte de cailloux et de sable, délimitée et stabilisée par une pièce de bois de 1,40 m de long et 0,60 m de large. Avec une aile gauche, constituée d’un mur de 8,20 m de long, 0,46 à 0,48 m de large et 2,70 à 0,55 m de haut, de l’aval vers l’amont, et une aile droite constituée d’un mur de 9,40 m de long, en deux segments de 4,90 et 4,50 m de long, 0,46 m de large et 2,65 à 0,35 m de haut, de l’aval vers l’amont, elle constitue, à ce jour, le système de vidange des eaux le plus complet. De ce fait, elle sert de modèle descriptif théorique pour toutes les vannes repérées sur les différentes digues d’étangs de la vallée de Grandmont.
Fig. 4. - Rampe d’accès et sommet de la vanne haute de l’étang des Sauvages.
© Cliché O. Bauchet.
Fig. 5. - Relevé en plan de la vanne haute de l’étang des Sauvages.
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© Dessin O. Bauchet.
19Toujours pour l’étang des Sauvages, la vanne basse, localisée dans la partie gauche de la digue, est établie à plus de 5 m de la digue et 2 m de profondeur ; elle n’est donc pas accessible ou visible lorsque l’étang est rempli d’eau. Entièrement composée de blocs de granit maçonnés, elle constitue un ensemble immergé de 3,90 m de haut. Prise dans son ensemble, elle présente six parties distinctes, identifiées de la digue vers l’étang : le sommet, la pelle, la chambre, le radier, l’aile droite et l’aile gauche. Dépourvue de rampe d’accès, la vanne basse possède un sommet composé de deux gros blocs, reliés par un arceau métallique qui maintient, à la verticale, le manche métallique de la pelle en bois. Pourvue d’un conduit de vidange, de section quadrangulaire, positionné à 6 m de profondeur, elle est également composée, au niveau de ce conduit, d’une chambre trapézoïdale, renforcée par deux linteaux horizontaux, placés aux tiers de la hauteur. La vanne possède un radier mixte, composé de deux blocs, formant un seuil d’1 m de long environ, et, en amont, d’une couche compacte de cailloux et de sable. Avec une aile gauche, constituée d’un mur de 4,25 m de long et 0,45 m de large, et une aile droite, constituée d’un mur de 3,75 m de long et 0,45 m de large, qui reposent en partie sur un rondin de bois de près d’1 m de long, elle se distingue de la vanne haute par les caractéristiques.
20De même, pour l’étang des Chênes, la vanne haute, localisée dans la partie droite de la digue, est accessible, depuis le chemin qui parcourt la digue. Entièrement composée de blocs de granit maçonnés, elle forme un massif immergé de 3,50 m de haut. Prise dans son ensemble, elle présente seulement quatre parties distinctes, identifiées de la digue vers l’étang : le sommet, la pelle, la chambre, le radier. Construite à moins de 1,5 m du parement interne de la digue, la vanne haute possède un sommet composé de deux linteaux, assemblés par des agrafes métalliques scellées au plomb, qui maintiennent le manche de la pelle à la verticale. Cette vanne haute est également dotée d’un conduit de vidange, de section quadrangulaire, positionné à 3,5 m de profondeur. Au niveau de ce conduit, elle est composée d’une chambre trapézoïdale, également renforcée par un linteau horizontal à mi-profondeur, mais dotée de parois à degrés qui suivent la pente du talus de l’étang. La vanne possède un radier largement envasé.
21Toujours pour l’étang des Chênes, la vanne basse, localisée dans la partie gauche de la digue, est éloignée de plus de 15 m de la digue à 3 m de profondeur ; elle n’est donc pas accessible ou visible lorsque l’étang est rempli d’eau. Entièrement composée de blocs de granit maçonnés, elle constitue un massif de plus de 4 m de hauteur. Comme la vanne haute, elle présente quatre parties distinctes, identifiées de la digue vers l’étang : le sommet, la pelle, la chambre et le radier. Elle possède un sommet composé de deux linteaux, assemblés par des agrafes métalliques scellées au plomb, qui maintiennent le manche de la pelle à la verticale. Elle est composée d’une chambre trapézoïdale, renforcée par deux linteaux horizontaux, situés aux tiers de sa hauteur, et dotée de parois à degrés qui suivent la pente du talus de l’étang.
22En revanche, pour le Petit étang des Chênes, la vanne haute et la vanne basse furent construites côte à côte, à moins de 2 m l’une de l’autre, dans la partie gauche de la digue (fig. 6). Entièrement composées de blocs de granit maçonnés, elles forment deux ensembles de 2,50 m de haut, intégrés dans le parement de la digue, pour la première, et le talus de l’étang, pour la seconde. Elles présentent seulement trois parties distinctes : la pelle, la chambre et le radier. Ces vannes sont également dotées d’un conduit de vidange, de section quadrangulaire, fermé par une pelle en bois. Elles sont constituées d’une chambre trapézoïdale, renforcée par un linteau horizontal, au premier tiers de la profondeur, pour la vanne haute. Cette vanne haute possède, comme probablement la vanne basse, un radier composé de dalles (fig. 7).
Fig. 6. - Vannes basse, à gauche, et haute, à droite, insérées dans la digue du Petit étang des Chênes.
© Cliché C. Cloquier.
Fig. 7. - Chambre, pelle en bois, linteau horizontal et radier de la vanne haute du Petit étang des Chênes, à gauche, et entrée du conduit de la vanne haute du petit étang des Chênes, à droite.
© Clichés C. Cloquier.
23Enfin, pour l’étang des Chambres, l’étang no 5 et l’étang de Malessart, les vannes doivent encore être localisées. En effet, en dépit d’un niveau d’eau très faible dans l’étang des Chambres, aucune vanne ne fut localisée en raison de l’envasement important de la totalité de celui-ci. Inversement, dans l’étang c 5 et l’étang de Malessart, totalement en eau, aucune vanne ne fut localisée ou repérée depuis la surface et aucune plongée ne fut tentée en raison de la qualité biologique incertaine des eaux, particulièrement chargée en particules organiques. Toutefois, il convient de préciser que des observations complémentaires, réalisées en aval de chacune des digues, ont permis d’avancer l’existence très probable de vannes pour ces trois étangs.
24En effet, si des conduits, fermés par des pelles en bois, furent découverts au fond des chambres des vannes hautes et basses des trois premiers étangs, à savoir l’étang des Sauvages, l’étang des Chênes et le Petit étang des Chênes, les exutoires ou sorties de ces conduits furent également découverts et observés en aval de la digue de chacun de ces étangs. Ces exutoires, de section quadrangulaire, permettent donc de restituer des conduits, constitués de blocs de granit probablement maçonnés, qui traversent chaque digue, de l’amont vers l’aval, avec une pente évaluée à 2,16 % pour ceux de l’étang des Sauvages. Avec des dimensions supérieures ou égales à 0,3 m de côté, ils apparaissent comme des éléments suffisamment efficaces, pour évacuer les millions de litres d’eau de l’étang lors des vidanges, et suffisamment robustes, pour résister non seulement à la pression des tonnes de matériaux qui constituent chaque digue mais également à la vitesse des eaux évacuées.
25En aval de la digue de l’étang des Sauvages, les eaux sortant de l’exutoire du conduit de la vanne haute se déversent dans un bassin trapézoïdal, recoupé par un bâtiment récent et doté d’un fond dallé en granit. Elles s’écoulent ensuite dans un caniveau ou rigole en pente douce qui longe la digue jusqu’à un canal perpendiculaire dans lequel s’écoulent également les eaux qui sortent du conduit de la vanne basse (fig. 8 et fig. 9). De même, en aval de la digue de l’étang des Chênes et du Petit étang des Chênes, les eaux sortant des conduits des vannes hautes et basses se déversent dans une structure quadrangulaire, construite avec des matériaux récents. En aval de la digue de l’étang des Chambres et de l’étang no 5, les eaux sortent également d’un conduit quadrangulaire et se déversent également dans un bassin quadrangulaire, constitué de blocs et de dalles de granit. Évacuées de ces bassins par des ouvertures, elles se déversent ensuite dans un canal de liaison maçonné qui alimente l’étang situé en aval, formant un véritable réseau hydraulique anthropique.
Fig. 8. - Relevé en plan des vannes de l’étang des Sauvages, des bassin, caniveau, moulin (?) et canal dégagés en aval de la digue.
© Dessin O. Bauchet.
Fig. 9. - Vue aérienne du bassin trapézoïdal, du trottoir de circulation et du caniveau d’écoulement dégagés en aval de la digue de l’étang des Sauvages.
© Cliché S. Desruelles.
Aménagement triple du territoire : irrigation, meunerie et pisciculture
26Au fil des prospections et sondages, les différents éléments découverts ont révélé l’existence d’aménagements anthropiques complexes. Délaissés par les hommes et ignorés par les chercheurs, ces constructions ne furent jamais appréhendées ni individuellement ni collectivement et demeurent inconnues dans la vallée de Grandmont. Ainsi, depuis le repérage terrestre initial des étangs, sur 1,6 km de long, ces éléments furent complétés par de nouvelles découvertes, faites lors des prospections aériennes par drone et réparties sur 300 m de plus vers l’amont.
27Piloté depuis le sol par une seule personne, cet appareil permet de visualiser, photographier et filmer, à basse altitude, des zones étendues autour des plans d’eau en une vingtaine de minutes alors qu’il faudrait au moins une journée à pied pour cette même personne au niveau du sol. En plus du gain de temps, il offre, notamment comme avantage majeur, la prise de hauteur pour repérer des structures linéaires. Indéniablement, il a permis d’identifier le réseau de drains de captage des eaux souterraines, en partie dégagé, en amont de l’étang des Sauvages, et, à explorer, en amont de l’étang des Chênes. Alors que la carte topographique de l’Institut géographique national indique un tracé de cours d’eau temporaire, le drone offrit une vue exhaustive du vallon avec ce réseau anthropique.
28À chaque extrémité de la digue de l’étang des Sauvages, une structure maçonnée fut identifiée comme l’avaloir d’un trop-plein. Insérée dans la partie émergée de la digue, elle est constituée de deux murets de 0,5 m d’épaisseur et de hauteur qui convergent, de l’amont vers l’aval, vers un conduit quadrangulaire de 0,3 m de section. Manifestement destinée à évacuer les eaux de l’étang, elle ne peut écouler que les eaux présentes au-dessus du sommet de la vanne haute, peu abondantes en période estivale. Dans la partie gauche de la digue, cette structure est prolongée par un conduit souterrain qui traverse la digue perpendiculairement, de part en part, puis par un canal, de 0,5 m de large, qui longe la pente sur plus de 70 m de long avant de disparaître au niveau d’un chemin d’accès. Dans la partie droite de la digue, cette structure est également prolongée par un conduit souterrain qui traverse la digue perpendiculairement, de part en part, puis change brusquement de direction afin de longer la digue et pour déboucher dans le bassin trapézoïdal, principalement alimenté par le conduit de la vanne haute. Si le trop-plein gauche, complété par le conduit et le canal d’évacuation des eaux, a manifestement conservé une certaine intégrité, le trop-plein droit, complété par un conduit, qui change de direction une fois la digue passée, a très vraisemblablement subi des modifications avec la construction du bâtiment. Cette hypothèse est d’ailleurs renforcée par la présence d’un conduit d’évacuation des eaux dans le bassin trapézoïdal, parallèle au bâtiment adossé à cette digue.
29À chaque extrémité de la digue de l’étang des Chênes, seul un conduit quadrangulaire, de 0,3 m de section, est présent dans la partie émergée de la digue. Protégé par deux grilles métalliques récentes, destinées à arrêter les débris végétaux ou les poissons, il permet également d’écouler les eaux présentes au-dessus du sommet de la vanne haute, non négligeables en période estivale. Dans la partie gauche de la digue, il traverse perpendiculairement la digue mais fut repris par une buse en béton. Dans la partie droite de la digue, ce conduit souterrain traverse la digue perpendiculairement et déverse les eaux dans une rigole, qui court à flanc de versant sur plus de 170 m, en suivant une ligne de rupture de pente et en restant donc perpendiculaire à la pente générale du vallon herbeux.
30Dans la continuité des apports aériens par drone, il convient d’ajouter les repérages et prises de vues faites au niveau du vallon, localisé en aval de l’étang des Chênes et donc en amont du Petit étang des Chênes. En effet, si les prospections terrestres et observations, faites depuis le sommet de la digue de l’étang des Chênes et dans ce vallon, avaient permis de repérer des anomalies au niveau de la végétation, elles n’offraient qu’une vision imprécise et partielle des deux drains ou rigoles, parallèles et rectilignes, qui courent à flanc de versant, perpendiculairement à la pente. Une fois encore, avec la complémentarité des approches, aériennes et terrestres, elles ont permis d’identifier des éléments peu visibles mais indissociables des eaux évacuées par le conduit de la vanne haute l’étang des Chênes.
31À l’extrémité gauche de la digue du Petit étang des Chênes, seul un canal aérien, de 0,5 m de large, fut repéré dans la partie émergée de la digue. Fortement endommagé, il traverse perpendiculairement l’extrémité de la digue, longue la paroi granitique du versant avant d’entrer dans un conduit quadrangulaire souterrain, repris par une buse en béton sous le chemin d’accès à la digue. Comparé au trop-plein gauche de la digue de l’étang des Chênes, ce trop-plein pourrait être uniquement utilisé pour l’évacuation des eaux hivernales. En revanche, le trop-plein droit de la digue de l’étang des Chênes était et demeure manifestement établi afin d’arroser ou irriguer le versant droit ou septentrional du vallon, situé en aval de l’étang des Chênes et donc en amont du Petit étang des Chênes. Cette utilisation des eaux, évacuées par le trop-plein droit de la digue de l’étang des Chênes, pourrait être proposée pour les eaux, évacuées par le trop-plein droit de la digue de l’étang des Sauvages, avant la construction des différents bâtiments et un détournement du conduit d’évacuation vers le bassin trapézoïdal, établi en aval de cette digue.
32Dans quelques documents antérieurs à la Révolution, l’arrosage ou l’irrigation des versants de vallons fut ponctuellement mais manifestement associée aux digues ou aux eaux issues des étangs. Cette pratique serait à associer au terme « levade » qui désigne une construction, une élévation ou une levée. Incontestablement, elle devra être appréhendée et précisée en ayant recours aux sources documentaires, conservées dans différents établissements de conservation dont les archives départementales de la Haute-Vienne, puis confrontée aux éléments observés en aval des digues et aux diverses informations topographiques collectées sur les versants des vallons.
33En aval de la digue de l’étang des Sauvages, une structure maçonnée quadrangulaire, de 2 m de côté, fut découverte sur la berge gauche du grand canal d’évacuation des eaux, établi dans le prolongement du conduit d’évacuation des eaux de la vanne basse, perpendiculairement à la digue. Elle forme un ensemble homogène constitué de dalles de granit régulières et d’éléments plats irréguliers, disposés en assises sur une hauteur inférieure à 0,3 m. Construite à 0,5 m du parement gauche du canal, elle se trouve à 1 m du départ de ce canal et 2 m de la base de la digue. Elle est positionnée au seul endroit que pouvait occuper un moulin à eau équipé d’une roue verticale en dessous.
34En aval de la digue de l’étang des Chênes, un haut moulin à eau fut construit, vers l’extrême fin du xixe ou le tout début du xxe siècle, afin de produire de l’électricité durant les premières années du xxe siècle. De plan rectangulaire, il mesure 13 m de longueur pour 7 m de largeur et possède un niveau accessible depuis la digue et un niveau inférieur. Manifestement alimenté en eau par le conduit de la vanne basse, il conserve encore sa turbine, en partie éventrée et largement corrodée, dans la partie inférieure de la cage. Cette construction particulièrement imposante fut implantée au milieu de la digue, dans le prolongement de la vanne basse. Vers l’aval, il est prolongé par un grand canal aux parois maçonnées, d’1 m de profondeur et de près d’1,5 m de largeur, qui débouche au niveau de la partie amont du Petit étang des Chênes.
35À 20 m en aval de l’extrémité de ce canal maçonné, en aval d’un bloc de granit oblong, d’au moins 4 m de long et 2 m de diamètre, une ébauche de meule fut découverte lors d’une prospection terrestre. Préservée des agressions climatiques dans une couche de limons, elle a conservé, sur la face supérieure, les traces d’un fer d’outil de 0,04 m de large. De forme nettement circulaire, elle mesure 1,37 à 1,41 m de diamètre pour une épaisseur irrégulière de 0,22 à 0,34 m (fig. 10). Étant donné sa position, elle fut vraisemblablement taillée dans le bloc de granit oblong voisin qui présente un front de taille très net. En revanche, elle ne fut apparemment pas travaillée sur l’autre face. Elle repose sur une couche de sable granitique grossier et hétérogène avec des inclusions de couleur rouille et des éclats de granit. Prise dans une succession de couches de sable fin, de limon sableux gris et de limon très argileux gris foncé, elle est associée à trois morceaux de tuiles plates et un tesson de céramique commune, de type écuelle, tournée à pâte grise et cuite en réduction, non datée. Associée aux quelques éléments archéologiques, cette ébauche de meule de moulin indique une activité humaine manifeste au niveau des blocs de granit présents dans la queue du petit étang des Chênes.
Fig. 10. - Ébauche de meule de moulin du Petit étang des Chênes, avant et après dégagement.
© Clichés C. Cloquier.
36Enfin, en aval de la digue de l’étang des Chambres, plusieurs blocs de granit, largement dissimulés sous une végétation luxuriante, occupent un emplacement sur lequel un moulin à eau aurait pu être construit. Localisés au milieu de la base de la digue, ils forment un alignement repérable, à moins de 5 m du bassin dans lequel se déversent les eaux de l’étang. À ce jour, ces éléments lapidaires ne sont associables à aucune autre information susceptible de renforcer la présence d’un moulin à eau excepté un document produit à l’occasion des ventes de biens nationaux. Le 27 décembre 1790, lors de la mise en vente de l’abbaye de Grandmont, un petit moulin, construit au-dessous de l’étang des Chambres, fut mentionné9.
37Si la présence, médiévale ou moderne de moulins à eau semble plausible et possible, les vestiges, découverts en aval de la digue de l’étang des Sauvages et en aval de la digue de l’étang des Chambres, doivent encore être dégagés et étudiés afin de confirmer ou infirmer cette hypothèse. La présence de moulin à eau, avérée pour l’étang des Chambres à la fin du xviiie siècle, est unique et limitée à cet étang. Elle indique une utilisation supplémentaire de l’eau et donc une activité complémentaire mais indéniablement liée à l’aménagement de la vallée et à l’étang. Reste à savoir si l’implantation de moulins à eau engendra la construction des digues et donc la mise en eau des espaces ainsi créés ou l’inverse.
38Avec de telles profondeurs et superficies, les étangs de la vallée de Grandmont offraient et offrent encore des espaces aquatiques particulièrement importants avec des biotopes et des zonages variés et appréciables pour l’alimentation, le développement et la reproduction de diverses espèces de poissons dulçaquicoles. À l’image des étangs de la Brenne, la Dombes ou la Sologne, ils constituent, au niveau du Limousin, un ensemble de plans d’eau propices à la pisciculture, vraisemblablement pour des brochets (Esox lucius) et des carpes (Cyprinus carpio). Si aucun objet archéologique ne permet d’évoquer la capture de poissons, les étangs et les structures maçonnées, établies en amont et en aval des digues de retenue, permettent de proposer raisonnablement la pratique de la pisciculture, avec la capture de poissons dans les bassins construits en aval des digues, et donc l’exploitation d’une ou plusieurs espèces de poissons pour l’alimentation humaine durant les périodes médiévale ou moderne.
39Initialement associés aux moines de Grandmont, installés dans ce lieu après la mort d’Étienne de Muret, survenue le 8 février 1125, les neuf étangs furent effectivement localisés en amont et en aval du hameau qui abrita le prieuré de Grandmont, érigé en abbaye chef d’ordre en 1317. Avec d’imposantes digues et des systèmes de régulation des eaux tout aussi imposants, ces étangs apparaissent donc comme des aménagements conséquents, pérennes et vraisemblablement onéreux. Dépourvus d’éléments architecturaux décoratifs, d’artefacts ou de stratigraphie exploitables pour une datation, ils s’avèrent difficilement datables, avec les seuls blocs de granit maçonnés. En exploitant les sources documentaires, ils peuvent, comme ce fut le cas pour l’étang des Sauvages, mentionné dans un acte de donation daté de l’année 119410, être associés à une ou plusieurs dates qui confirment alors leur existence entre le xiie et le xviiie siècle ou l’activité piscicole. En revanche, pour leur date ou période de construction, mise en eau ou exploitation initiale, ils ne peuvent livrer d’information ou d’indication pertinente ou précise.
40Toutefois, les systèmes de régulation des eaux de l’étang des Sauvages ont livré des possibilités de datations particulièrement appréciables. Au niveau du radier, la vanne haute a livré une pièce de bois, datée par le dosage du carbone 14, entre les années 1029 et 1183. Sous son aile droite, la vanne basse conserve un rondin en bois, daté avec le même procédé, des années 1020 à 1155. Enfin, sous son aile gauche, cette vanne conserve également un rondin en bois, encore daté avec le même procédé, des années 897 à 1024. Ainsi datées, les vannes de l’étang des Sauvages indiquent l’existence d’un aménagement de cette portion de la vallée de Grandmont dès le premier tiers du xie siècle, et donc potentiellement avant l’arrivée des disciples d’Étienne de Muret, ou durant le xiie siècle, et donc contemporain de l’installation des religieux sur ce site.
41Aménagés entre les vallons des monts d’Ambazac, les neuf étangs de la vallée de Grandmont ponctuent le relief modeste d’un paysage de montagnes. Manifestement alimentés par des réseaux de drains de captage, les deux premiers étangs alimentaient et alimentent toujours les étangs situés en aval. Adossés à de puissantes digues, constituées de blocs de granit, ils conservent des structures maçonnées à savoir les vannes, pour la régulation des eaux, et des trop-pleins, pour l’utilisation des eaux hivernales en irrigation. En aval des digues, ils sont complétés par des bassins quadrangulaires, vraisemblablement utilisés pour arrêter et capturer les poissons lors des lâchers d’eau, ou par des structures maçonnées, abritant probablement un moulin à eau, dont au moins un est attesté par les sources documentaires.
42En effet, en l’absence de cours d’eau utilisable pour la capture de poissons et la production d’énergie hydraulique, les étangs apparaissent comme un véritable aménagement médiéval du territoire, jusqu’à présent délaissé ou ignoré par les archéologues et les historiens. Indéniablement, ils constituent une étape majeure dans l’occupation et l’exploitation d’un espace naturel comme la vallée de Grandmont. Depuis le captage des eaux souterraines dans le vallon situé en amont du premier étang jusqu’au canal d’évacuation des eaux du dernier étang, ils forment un ensemble cohérent et préservé, dans lequel plusieurs activités humaines furent manifestement exercées dès le xie ou xiie siècle. Dans un souci d’enrichissement de la connaissance des étangs du Limousin et des activités associées, à savoir l’irrigation, la meunerie et la pisciculture, ils pourraient constituer un ensemble de référence.
43En dépit de l’absence de mobilier archéologique, permettant de dater les différentes structures en élévation, de la ténuité et de l’éparpillement des informations, contenues dans les sources documentaires, l’étude archéologique et historique des étangs de la vallée de Grandmont permet de mettre en œuvre des approches et des techniques, complémentaires voire innovantes, en associant des prospections, sondages et relevés terrestres ou subaquatiques et des repérages aériens par drone. Elle permet donc une complémentarité maximale des approches et aboutit à des résultats inédits particulièrement encourageants. De ce fait, cette étude a permis de constituer, présenter et faire aboutir un dossier de demande protection au titre des Monuments historiques pour l’étang des Sauvages, l’étang des Chênes, le Petit étang des Chênes et l’étang des Chambres, avec les structures associées pour le captage des eaux souterraines, le transfert des eaux ou l’irrigation des versants. Avec cette reconnaissance patrimoniale des étangs et des structures associées, elle contribue ainsi au prolongement de l’action engagée sur un patrimoine bâti, en partie immergé, particulièrement imposant mais paradoxalement très fragile, dissimulé sous une importante végétation au cœur du Limousin.
Bibliographie
Cloquier Christophe, « Apports des sources documentaires pour la connaissance des étangs piscicoles du Limousin : l’exemple des étangs de Grandmont, Saint-Sylvestre (87) », Archives en Limousin, no 46, 2016, p. 15-25.
Lecler André, Dictionnaire historique et géographique de la Haute-Vienne, Marseille, Laffitte reprints, 1976.
Notes de bas de page
1 C. Cloquier, « Apports des sources documentaires pour la connaissance des étangs piscicoles du Limousin », p. 15-25.
2 Arch. dép. Haute-Vienne, 3 P 193, feuilles des sections B1 et C1.
3 Arch. dép. Haute-Vienne, 1 Q 331, fol. 158 et 159-v.
4 Arch. dép. Haute-Vienne, 1 Q 331, fol. 158 et 161v.
5 Arch. dép. Haute-Vienne, 1 J 66, entre les fol. 15 et 16.
6 A. Lecler, Dictionnaire historique et géographique de la Haute-Vienne, p. 20.
7 Arch. dép. Haute-Vienne, I sem 81, fol. 157v.
8 Arch. dép. Haute-Vienne, I sem 10, fol. 45.
9 Arch. dép. Haute-Vienne, 1 Q 331, fol. 158 et 159-v.
10 Arch. dép. Haute-Vienne, I sem 10, fol. 45.
Auteur
Conservateur de la bibliothèque centrale du service de santé des armées, chercheur associé au Lamop, Umr 8589, université de Paris 1 - Cnrs
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016