Les représentations animales de la grotte Margot (Thorigné-en-Charnie, Mayenne) : essai de synthèse
p. 383-402
Résumé
À travers une étude de cas, celle de la grotte Margot et de ses gravures pariétales, il s’agit de répondre à la question du lien entre l’Homme et l’animal et ainsi donner des éléments de réflexion sur la signification des représentations animales dans les grottes ornées. Le bestiaire de Margot est riche et original, de par la variété des animaux représentés et la rareté de ses thèmes iconographiques principaux, en particulier les ornithomorphes. L’étude du style des figures apporte des éléments sur la façon dont les artistes paléolithiques percevaient les animaux qu’ils choisissaient de représenter sur les parois des grottes. Ce bestiaire si particulier nous donne également à réfléchir sur son « rôle » au sein de la vallée de l’Erve où elle se situe et sur sa place dans l’art paléolithique.
Texte intégral
1L’étude des représentations pariétales peut donner des indices sur la relation particulière existant entre l’homme et l’animal, notamment pour tenter de comprendre comment les hommes préhistoriques percevaient les animaux qui les entouraient. Les représentations animales sur les parois des grottes, gravées ou peintes, permettent également d’avoir des informations sur l’environnement et son influence sur les groupes humains paléolithiques. Notre étude tend ainsi à répondre à ces problématiques, ou du moins à formuler des hypothèses, en se basant sur l’analyse d’un site, la grotte Margot, en Mayenne.
2Après une présentation du site de la vallée de l’Erve et de ses cavités ornées, nous nous focaliserons sur les figurations animales de la grotte Margot afin d’appréhender quels animaux vivaient dans cette région et comment les groupes humains les percevaient. Nous ouvrirons notre réflexion par des comparaisons entre l’art animalier de Margot et celui des autres cavités ornées de la vallée.
Présentation des grottes de la vallée de l’Erve
3Les grottes que nous allons étudier se situent en Mayenne, dans le « canyon » dit « de Saulges », une petite formation karstique sur la bordure orientale du M. assif armoricain. L’Erve, un affluent de la Sarthe, a entaillé un massif de calcaire carbonifère sur 1,5 km. Ce « canyon » ou vallée encaissée comprend une vingtaine de cavités dont la plupart ont été fouillées dès le xixe siècle. Cette zone est classée Natura 2000 en raison de sa biodiversité actuelle. La vallée de l’Erve comprend deux cavernes ornées : Mayenne-Sciences et Margot. Nous évoquerons aussi la grotte Rochefort, située de l’autre côté de l’Erve (fig. 1).
4Mayenne-Sciences fut découverte en 1967. Elle est aujourd’hui fermée au public, car les figures peintes qu’elle renferme sont très fragiles. De plus, l’accès à cette cavité est difficile et est donc réservé aux chercheurs. L’étude menée par Romain Pigeaud au cours de sa thèse (2001) a dévoilé l’existence de 59 représentations peintes et gravées sur les parois de cette cavité. Ces figurations ont été datées gravettiennes par utilisation du Carbone 14 : deux dates ont été obtenues (Pigeaud et al., 2003) : 24 220 ± 850 BP (Gif A 100 647) et 24 900 ± 360 BP (Gif A 100 645).
5La grotte Rochefort est quant à elle dénuée de figures gravées ou peintes sur ses parois mais recèle en revanche des objets ornés paléolithiques. Cette grande cavité, fouillée par Stéphan Hinguant, a en effet livré de nombreuses plaquettes gravées dans la couche solutréenne, soit entre 19 000 et 20 000 BP (Pigeaud et Hinguant, 2017). Ces plaquettes présentent un décor animalier pour la plupart, mais on y trouve aussi des anthropomorphes ainsi que des signes abstraits (Pigeaud et al., 2008).
6La grotte Margot est une cavité longue de 319 m. Fréquentée et visitée depuis le Moyen Âge, elle doit peut-être son nom à une « sorcière » y pratiquant la magie noire. La cavité est classée Monument historique depuis 1926, après la découverte de squelettes médiévaux dans une de ses salles. Aujourd’hui, elle se visite pour ses concrétions, sa légende et pour les nombreuses gravures qu’elle renferme, bien que ces dernières soient, pour la plupart, extrêmement fines et donc très difficiles à voir et à lire. L’accès à la cavité est aujourd’hui aisé, ce qui n’était pas le cas au Paléolithique, période durant laquelle l’orifice de l’entrée mesurait environ 50 cm de diamètre. Il fallait donc ramper pour y accéder et y avancer, comme c’était le cas dans la grotte des Combarelles, en Dordogne. Le visiteur ne pouvait se relever qu’à 200 mètres de l’entrée, dans la partie centrale de la grotte (Pigeaud et Hinguant, 2007).
7On imagine alors facilement que les hommes qui ont orné ces parois ont dû faire preuve d’une grande volonté et éprouver de la difficulté pour y parvenir. Les parois de Margot sont recouvertes de concrétions, en majorité de la calcite sèche orangée et par endroits du mondmilch, matière qui rend la lecture des figures encore plus compliquée. La grotte Margot est étudiée depuis 2002, dans le cadre du programme « Occupations paléolithiques de la vallée de l’Erve » de l’UMR 6566 « CReAAH » du CNRS de Rennes, avec le soutien de la Communauté de Communes des Coëvrons, du Conseil général de la Mayenne et du ministère de la Culture et de la Communication. Les premières gravures furent découvertes en 2005 par Romain Pigeaud et son équipe qui continuent d’étudier cette cavité et le décor qui orne ses parois.
L’art de Margot : inventaire et analyse
Inventaire des représentations de la grotte Margot
8L’art pariétal de Margot est ainsi essentiellement composé de gravures. Il y a aussi quelques peintures, résiduelles pour la majorité d’entre elles. Les gravures sont de taille moyenne à petite (c’est-à-dire entre 10 et 20 cm), la plus imposante devant être celle de l’équidé n° 16 surnommée le « Cheval Thibaut » qui mesure 40 cm de la tête au bout de la ligne de dos. Parmi les thèmes iconographiques représentés, on trouve une majorité d’animaux mais aussi des anthropomorphes (essentiellement des figures féminines schématiques) et des signes abstraits.
9Le dernier inventaire (campagne 2016) (tab. 1) dénombre 179 unités graphiques qui se répartissent comme suit :
10Nous pouvons d’ores et déjà constater que le bestiaire de Margot est très riche, une grande diversité d’animaux y étant représentés (fig. 2). On trouve une majorité de mammifères mais également des pisciformes et des ornithomorphes.
11Au sein de ce corpus, 3 thèmes animaliers principaux se distinguent : le cheval, le rhinocéros laineux et l’ornithomorphe (fig. 3). Ce corpus, pour le cheval, correspond à celui de la majorité des grottes ornées, cet animal étant la figure dominante de l’art paléolithique. Ce thème compte en effet pour plus d’un quart des représentations animalières (Tosello, 2003). De même, Margot comprend des représentations d’animaux également fréquentes dans de nombreuses cavités telles que les cervidés. Cependant, le corpus animalier de Margot est original sur plusieurs points. D’une part, cette grotte recèle des thèmes rares, à savoir des pisciformes, des rhinocéros laineux et des ornithomorphes. D’autre part, ces deux derniers thèmes sont en très grand nombre dans la cavité, ce qui est d’autant plus original. En effet, quand ces thèmes sont présents dans les grottes ornées, ils le sont la plupart du temps de manière exclusive. On peut citer les fameuses grottes de Lascaux (Soubeyran, 1995) et de Chauvet (Clottes, 2001) qui comprennent chacune un seul ornithomorphe. En Europe, très rares sont les sites ayant livré plusieurs figurations aviaires. Donnons ici simplement, avant d’y revenir par la suite, l’exemple de la grotte des Trois-Frères, en Ariège (Begouën et al., 2014), et celui du site de plein air de Gönnersdorf, en Rhénanie (Bosinski, 2011).
12L’art de Margot est donc très riche et original. Nous reviendrons sur ses particularités, notamment lorsque nous étudierons plus en détail ses ornithomorphes.
Analyse des figures : comment les figures animales de Margot sont-elles représentées ?
13La question du style des figures animales peut être un biais pour comprendre la relation que l’Homme entretenait avec les animaux qui l’entouraient. Les a-t-il représentés de manière réaliste, ce qui suppose qu’il les observait longuement et d’une certaine manière était proche d’eux, ou bien de manière stylisée, c’est-à-dire sans chercher à dépeindre fidèlement le réel ? Dans tous les cas, cela laisse penser que l’Homme préhistorique menait une certaine réflexion sur l’animal et le faisait volontairement transparaître dans ses représentations.
Méthodologie
14L’étude des figures, sur le terrain puis sur les relevés, s’est effectuée thème par thème avec une analyse détaillée de chaque représentation. Pour ce faire, il s’agit dans un premier temps de définir des critères d’analyse pour l’étude des figures. Tout d’abord vérifions si la figure est entière, ou si elle se résume à la représentation d’une partie du corps, comme un protomé par exemple. Cela permettra d’introduire des notions de gestes volontaires ou non, et là encore de nous pencher sur le style, une bonne partie des gravures de la cavité ne semblant pas être entières.
15Il est ensuite essentiel de vérifier et noter quels sont les éléments distinctifs pour les préhistoriens qui les utiliseront afin de proposer une attribution taxinomique. Par exemple, pour les chevaux, est-ce que la gravure comporte une crinière ? Certains de ces critères sont communs à tous les thèmes et d’autres sont plus spécifiques. Les critères communs sont par exemple la présence ou l’absence d’organes sensoriels sur la représentation. Ces éléments tels que l’œil, l’oreille, la bouche ou les naseaux soulignent le niveau de précision accordé à l’œuvre. Il en va de même pour le traitement de l’extrémité des membres, quand ils sont figurés.
16Tout cela nous donne des indices sur le degré de naturalisme de la figure. Il nous faut dès maintenant définir cette notion de naturalisme, qui s’oppose à celle de la stylisation, toutes deux reviendront au cours de ce travail à de nombreuses reprises. Le naturalisme est la « représentation réaliste de la nature » (Rey, 2005, p. 894). Ici une figure naturaliste supposera donc une volonté de l’auteur de figurer le corps de l’animal avec une « relative fidélité zoologique » (Petrognani, 2013, p. 115). À cela, nous opposerons la notion de stylisation, définie comme la « reproduction d’un objet ou d’une chose en simplifiant les formes en vue d’un effet décoratif » (Rey, 2005, p. 894). Les critères d’analyse spécifiques à chaque thème concernent surtout la présence ou l’absence d’éléments caractéristiques et la forme de certains d’entre eux. On peut citer en exemple le bout du nez en « bec de canard » des chevaux. Nous nous appuyons sur une étude statistique visant à évaluer la récurrence de ces critères pour chaque thème et leur présence ou non pour chaque figure. Cette méthode de travail, mettant en avant statistiquement les éléments et les formes les plus présents au sein de chaque thème, nous paraît la plus objective, bien que l’objectivité ne puisse être totale puisque nous avons fait le choix des critères, ce qui induit forcément une part de subjectivité dans cette analyse.
Résultats de l’étude stylistique : une homogénéité au sein de chaque thème ?
Les chevaux
17Les chevaux de la grotte Margot sont très divers, présentant ou non des détails anatomiques marqués. On peut distinguer deux groupes au sein de ce thème iconographique. En effet, 4 figures sur les 19 représentations de chevaux peuvent être, selon nos critères, qualifiées de naturalistes. Ces gravures possèdent un grand nombre de détails, alors que d’autres n’en présentent aucun. Ils sont figurés en pelage d’hiver, avec toison et barbe, et on perçoit des éléments anatomiques, comme des yeux et des oreilles par exemple (fig. 4 A).
18Les autres chevaux sont extrêmement stylisés, la gravure n’étant faite que d’un seul trait. On pourrait penser que ces gravures ont été réalisées en une fois, à main levée (fig. 4 B). Évidemment, certaines gravures sont à mi-chemin entre les chevaux naturalistes et les chevaux stylisés. Ces figures ne présentent aucun détail anatomique hormis une crinière hachurée de traits obliques. Si cela peut être perçu comme un élément naturaliste, nous ne les comptons pas parmi les autres chevaux naturalistes car la stylisation prédomine dans leur représentation.
Les rhinocéros
19Exactement comme pour le thème des chevaux, on distingue très nettement deux groupes distincts au sein du thème des rhinocéros. En effet, on perçoit la même dichotomie entre le naturalisme et la stylisation. D’une part, on trouve des rhinocéros très détaillés, représentés en pelage d’hiver bien marqué, avec des détails anatomiques tels que la figuration des deux cornes, des yeux et oreilles pour certains d’entre eux (fig. 5 A). La voussure dorsale est également très bien mise en valeur. D’autre part, on a des rhinocéros sans détail aucun, reconnaissables à leur corne unique et à leur stature lourde et basse. Comme pour les chevaux, ces rhinocéros stylisés semblent avoir été réalisés d’un seul trait (fig. 5 B). Des exceptions apparaissent pareillement. Le rhinocéros numéro 42 de l’inventaire est entre les deux groupes, ayant un contour stylisé, avec une seule longue corne et la tête peu distincte du reste du corps. Cependant, il présente des traits de pelage, ce qui le place à la limite du groupe des rhinocéros détaillés.
Les ornithomorphes
20Pour ce thème iconographique, la bipartition des figures n’est pas aussi évidente que pour les chevaux ou les rhinocéros. Ce thème est en effet plus compliqué à analyser, car les ornithomorphes étant rares dans l’art pariétal paléolithique, nous avions peu de figures sur lesquelles nous appuyer et faire des comparaisons. Comme pour les chevaux et les rhinocéros, des ornithomorphes très détaillés apparaissent et se distinguent du corpus. Nous avons d’une part les oiseaux que l’on peut aisément identifier (l’identification ne dépassant pas le genre, la détermination spécifique étant très rare et difficile à réaliser) (fig. 6 A) et d’autre part ceux pour qui cela est impossible, mais qui présentent tout de même certains détails. Ces gravures comportent par exemple un bec détaillé, un œil et parfois un plumage et des ailes (fig. 6 B, nos 115 et 46c). Enfin, certaines gravures aviaires de Margot ne sont aucunement détaillées et évoquent la forme d’un oiseau très schématique (fig. 6 B).
Bilan
21Malgré des thèmes plus compliqués que d’autres à appréhender, on parvient tout de même à lire une bipartition des gravures. Pour chaque thème, on constate donc que se dégagent deux groupes de gravures différentes par leur représentation. Le premier est composé de gravures très détaillées, que l’on peut qualifier de naturalistes pour certaines. Le second se compose de gravures très peu, voire pas du tout détaillées et stylisées. Ces deux groupes ne sont bien sûr pas cloisonnés et étanches. Il ne faut pas tenter absolument de vouloir classer toutes les gravures et ne pas faire un effort de description si l’une d’elles ne « rentre » pas dans l’un ou l’autre groupe. Il est difficile d’évoquer les gravures trop incomplètes et pour lesquelles le doute subsiste quant à leur identification. En effet, on ne peut pas les classer dans tel ou tel groupe, le manque d’éléments nous empêchant de déterminer leur niveau.
Attributions chrono-stylistiques
22Les deux styles (naturalistes vs stylisés) mis en évidence ont-ils été réalisés à des périodes différentes ? Il serait possible de conclure à deux périodes de décoration de la cavité : une première au Gravettien puis une seconde au Magdalénien (Pigeaud et Hinguant, 2007). Ces hypothèses données jusqu’alors se basent sur l’étude du style des gravures et ne peuvent donc être confirmées avec certitude, l’analyse stylistique étant à manier avec précaution. En effet, le réalisme ne signifie pas que ces œuvres sont plus récentes que les figures moins détaillées, en témoigne l’exemplaire grotte Chauvet. De plus, on constate que dans la vallée de l’Erve, des datations sont contradictoires. À Margot, il y a des chevaux présentant une crinière en cimier, élément traditionnellement daté aux périodes antémagdaléniennes, alors que, sur une plaquette gravée découverte dans la couche solutréenne de la grotte Rochefort, on trouve un cheval avec la crinière échevelée et réaliste (Pigeaud et Hinguant, 2017).
23Il est donc délicat de proposer une attribution chronologique aux figures de Margot, les restes organiques présents dans les quelques peintures étant de plus trop résiduels pour permettre d’obtenir une datation.
La place particulière des ornithomorphes
24Ce qui fait notamment l’originalité de la grotte Margot, c’est la présence d’un grand nombre de figures aviaires. Il s’agit sans doute de la cavité qui en comprend le plus, avec ses 25 représentations.
25Les ornithomorphes de Margot sont très divers. En effet, si l’on s’en tient à l’ordre, on remarque que quasiment tous les ordres aviaires sont présents sur les parois de cette cavité. Ainsi, nous trouvons des Columbiformes, des Ansériformes, des Gruiformes, des Galliformes, des Strigiformes et des Passériformes. Margot comprend également un grand nombre d’indéterminés (plus de la moitié des figures). Ces dernières présentent en effet si peu de détails qu’on ne peut aller au-delà du fait qu’il s’agit d’un ornithomorphe, voire de la représentation de l’idée d’oiseau et non d’un oiseau réel. Malgré tout, cette grande diversité montre une grande capacité d’observation et d’imagination de la part des groupes humains qui ont figuré ces animaux sur les parois de cette grotte.
26Nous pouvons nous demander pourquoi cette grotte recèle autant de représentations d’ornithomorphes. L’explicationss la plus fréquente est le rôle symbolique de l’oiseau. Par exemple, citons parmi les plus récentes celle de Jean Clottes, pour qui les oiseaux symbolisent l’envol de l’âme dans la mort ou lors de la transe dans de multiples cultures chamaniques, en Sibérie par exemple (Clottes, 2008). Dans la grotte Margot, ce thème iconographique est donc à plusieurs reprises associé à d’autres thèmes, animaliers ou non, tels que l’ours ou la figure féminine schématique. On ne connaît pas la signification de telles associations thématiques mais on peut supposer qu’elles sont manifestement symboliques. Ces associations se retrouvent dans d’autres grottes telles que celle des Trois-Frères (Begouën et al., 2014). Quant à la répartition des ornithomorphes dans la grotte, elle semble également symbolique. Il apparaît en effet qu’elles se situent à des points particuliers de la cavité (fig. 7). Un coup d’œil sur la topographie montre en effet que ces oiseaux se situent à des carrefours ou à des endroits où le cheminement se rétrécit ou change de direction. Cela semble se confirmer lorsque le visiteur se trouve dans la grotte. Les figurations d’ornithomorphes sont présentes sur les parois lorsqu’il doit tourner pour suivre son chemin le long des couloirs et dans les secteurs les plus décorés de la cavité. L’emplacement de ces figures aurait donc fait l’objet d’un choix précis et non anodin.
27Les ornithomorphes ont donc un rôle majeur dans la grotte Margot mais également dans la vallée de l’Erve.
Comparaisons
Margot au sein de la vallée de l’Erve
28Le bestiaire de Margot se distingue de celui des autres cavités du « canyon » de Saulges. Ces grottes ont des thèmes iconographiques communs avec Margot mais ont également leurs particularités.
29Mayenne-Sciences comprend, tout comme Margot, des figures de chevaux et ces dernières sont également majoritaires dans cette grotte. Cependant, il n’y a pas de représentations de mammouths à Margot alors qu’on en trouve à Mayenne-Sciences. De plus, les rhinocéros et les ornithomorphes sont absents de ses parois.
30Quant à la grotte Rochefort, si ses parois ne sont pas ornées, elle renferme de nombreuses plaquettes gravées dont le décor animalier comporte un bestiaire très varié (Pigeaud et al., 2008). En effet, on y retrouve des chevaux, des bouquetins, des mammouths et des ornithomorphes. Bien que Rochefort comprenne des représentations d’animaux absents de Margot, tels que le mammouth et le bouquetin, le thème iconographique majeur est le même que dans Margot, à savoir le cheval. Les ornithomorphes sont également présents et pourraient témoigner d’un possible lien symbolique entre Rochefort et Margot (fig. 8).
Margot et d’autres cavités
31Il est intéressant de comparer le bestiaire de Margot avec celui d’autres cavités, plus éloignées de la vallée de l’Erve.
32La grotte des Trois-Frères comprend également des représentations aviaires, au nombre de 8 (Begouën et al., 2014). Tout comme à Margot, les Strigiformes ont une place importante avec 4 représentations. Ces oiseaux sont figurés avec le corps et la tête de profil. Cette façon de dessiner se retrouve dans une autre grotte ornée des Pyrénées, Marsoulas (Fritz et Tosello, 2010) (fig. 9).
33Les représentations présentes sur le site de Gönnersdorf sont très semblables à celles de Margot. Bien que Gönnersdorf soit un site de plein air et non une grotte, ce dernier a livré un grand nombre de plaquettes gravées dont les thèmes iconographiques se rapprochent de ceux de Margot. En effet, les représentations aviaires y sont nombreuses avec par exemple un corvidé figuré en fuite, un cygne (fig. 10) et d’autres oiseaux probablement aquatiques.
34Les représentations animales de Margot donnent donc à penser la relation entre l’homme et l’animal durant le Paléolithique. On ne peut émettre que des hypothèses quant aux raisons qui ont poussé les hommes du « canyon » de Saulges à choisir ces animaux en particulier pour décorer les parois de la grotte Margot. Cela peut-il montrer l’influence de l’environnement naturel sur les groupes humains ? Si on ne peut y répondre avec certitude, on voit clairement que la diversité des animaux représentés signifie que les groupes humains les observaient avec attention et ne les ont pas choisis par hasard. Le travail sur les représentations animales pariétales est ainsi loin d’être fini et peut être étudié par d’autres biais tels que la comparaison entre le bestiaire figuré sur les parois et le spectre faunique présent dans les couches archéologiques. Pour ce qui est de la grotte Margot, cela n’est pas évident car les restes d’animaux sont peu nombreux, notamment les os d’oiseaux qui sont très fragiles et se conservent donc difficilement. Néanmoins, il serait envisageable d’utiliser les données disponibles sur d’autres sites afin d’approfondir la question des relations entre l’Homme préhistorique et les animaux qui l’entouraient.
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Animal symbolisé, animal exploité : du Paléolithique à la Protohistoire
Ce chapitre est cité par
- Hussain, Shumon T.. (2021) The hooting past. Re-evaluating the role of owls in shaping human-place relations throughout the Pleistocene. Anthropozoologica, 56. DOI: 10.5252/anthropozoologica2021v56a3
Animal symbolisé, animal exploité : du Paléolithique à la Protohistoire
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