Les auteurs des petites revues de patrimoine, réseau pionnier ou circonstanciel ? 1880-1930
p. 50-61
Résumé
La culture régionale connaît à l’aube du xxe siècle un succès complexe (engouement pour la décentralisation ; développement du tourisme…). La célébration des territoires déborde les communautés érudites, mobilise des environnements plus éloignés, par le moyen notamment de nouvelles revues de vulgarisation. Au-delà du seul aspect cognitif, en une évocation mémorielle et sensible, elle engage une lecture renouvelée des espaces.
À l’examen des sommaires, les contributeurs de ces publications viennent autant des revues poétiques d’avant-garde, de la presse, que des publications savantes ; ils occupent un espace mixte, entre pratiques rédactionnelles et milieux éditoriaux divers : journalisme, création littéraire, érudition, promotion touristique.
Ce réseau ne s’identifie plus selon des appartenances sociale ou géographique. Un décloisonnement des styles, des approches, se fait jour, entre amateurs, enseignants, conservateurs, notables ou entrepreneurs, que rapprochent l’intérêt autour d’un espace donné, sa célébration (« originaires » à Paris, auteurs restés au pays…).
Ses essais éditoriaux montrent un type de communauté qui se cherche, qu’il faut décrire. Celle-ci s’est adressée à un public alors peu identifié. Son existence, parfois, a pu coïncider à une promiscuité précaire entre acteurs du patrimoine différents ; mais elle a pu constituer une préfiguration des transversalités culturelles en région au dernier xxe siècle.
Texte intégral
1Le xixe siècle a été décrit comme l’âge d’or de la presse et des revues en France. Les revues régionales ne sont pas en reste, coïncidant avec un élan complexe et puissant en faveur du fait local. À partir de 1850, elles se comptent par centaines et peuvent s’articuler en trois ensembles distincts.
2Les revues historiques, dont les bulletins des sociétés savantes, mais aussi d’autres titres relevant d’initiatives individuelles ou fonctionnant à travers un comité de rédaction (Revue de Champagne et de Brie, Revue d’Alsace, etc.). Ces productions s’inscrivent dans une même ambition : rassembler des études historiques ponctuelles, publier sources et matériaux pour la recherche et la connaissance approfondie des territoires.
3Deux autres types de revues régionales peuvent être dégagés : les revues littéraires et les revues régionalistes.
4C’est à partir de 1880 que les revues de création littéraire se développent. Inspirées par les petites revues parisiennes, elles manifestent la vitalité d’une nouvelle génération d’écrivains, et leur désir de consécration face à la capitale. Elles militent pour une décentralisation culturelle en France et illustrent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale un volet du mouvement régionaliste en faveur d’un rééquilibrage entre Paris et la province. Parmi d’autres, citons Le beffroi, L’âme latine, L’action méridionale, L’hermine, La revue stéphanoise…
5Elles viennent en complément d’un troisième type de publications, sous le vocable cette fois-ci explicite de revues régionalistes, c’est-à-dire relevant avant tout de la défense des intérêts régionaux. C’est une acception très large, depuis l’usage et la promotion des langues régionales, jusqu’aux groupe d’aménageurs favorable a u développement économique, et aux organes de liaison au sein des communautés locales, notamment entre expatriés vivant dans la capitale. Citons entre autres Le ventre rouge et Le Subiet1, L’auta2, La France d’oc3, L’union pyrénéenne4, Les Alpes pittoresques5, A muvra6, etc.
6Dans un important chantier de valorisation numérique de cette production régionale, j’ai été intrigué par un quatrième type de publications qui ne correspond à aucune des trois catégories citées : ni complètement historique, ni littéraire, ni régionaliste. Ce type relève en fait un peu des trois modèles ; ce sont des revues avant tout ouvertes au grand public et pour la plupart éditées en région. La grande hétérogénéité des genres abordés, la brièveté des contenus ne rendaient pas à la première lecture une impression de réelle originalité, mais rappelaient plutôt les feuilles de variétés dédiées au divertissement et à la curiosité.
7Ainsi à l’aube du xxe siècle : Le Bouais-jan,7 revue normande à la fois parisienne et patoisante ; proches du Félibrige : Lemouzi8, et La Veillée d’Auvergne9 ; autour de Marseille : La Gueuse parfumée10, La Provence historique et pittoresque11 ; ou encore Le pays lorrain12, La jeune Picardie13, Le Pays d’Ouest14, La Bourgogne d’or15. Puis entre les deux guerres, L’Auvergne artistique et littéraire16, La Corse touristique17, La vie alpine18 ou La Bretagne touristique19. La vie en Alsace20, ou la niçoise Mediterranea21.
8L’intérêt que suscite encore leur lecture ne laisse pas de surprendre cependant. La qualité et la variété de certains rédacteurs non plus. À côté de noms aujourd’hui inconnus ou oubliés, on peut lire ceux d’écrivains comme Marcelle Tinayre, Henri Pourrat ou Lucien Gachon, mais aussi ceux de chartistes comme Henri Stein ou Gabriel Henriot qui insèrent de courtes synthèses historiques. Le publiciste normand Louis Beuve donne des scènes pittoresques, tandis que le folkloriste breton Paul Sébillot rend compte de ses collectages dans l’ensemble du grand Ouest, que le poète et historien du Félibrige Émile Ripert célèbre la langue d’oc sur le pourtour méditerranéen. Après la Première Guerre mondiale, c’est le poète Charles Le Goffic, ou encore le journaliste Roger Frison-Roche, qui lance ses premières esquisses alpines dans une publication grenobloise. Le peintre Louis-Philippe Kamm, les graveurs Paul-François Castéla ou Jean Chièze, illustrent plusieurs revues, mais y donnent aussi leurs propres textes.
9Contrairement aux autres publications régionales, la production de connaissances ou d’informations constitue moins dans ces revues un vecteur qu’un écran pour une appréhension plus diverse des territoires. Contrairement aux feuilles littéraires ou aux titres régionalistes, il ne s’agit pas non plus d’exprimer avant tout une virtuosité poétique ou culturelle. Ces revues se consacrent en premier lieu à un territoire, sous tous ses aspects. À partir de leur apparition dans les années 1880, et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, cet ensemble, loin d’être négligeable, peut se compter par dizaines de titres sur tout le territoire français.
10Sous diverses formes, à travers tous les genres, l’ambition de ces revues est avant tout une évocation sensible d’un terroir. Les portraits succèdent aux récits de voyage ; les épisodes historiques et les souvenirs personnels aux enquêtes d’ordre économique, touristique, technique, ou aux comptes rendus de parutions et de manifestations. Le lecteur se trouve pour ainsi dire pris à témoin au travers de présentations sensibles et synthétiques, de compilations, et d’évocations historiques. Avec une certaine modestie, on cherche à révéler un sentiment d’identification spatiale, à l’exprimer, à le décrire. On cherche à éveiller les sens autour d’un espace auquel le lecteur est censé se rattacher.
11Le ton se veut spontané. Les auteurs y montrent volontiers plus de ferveur que de connaissances ; beaucoup interviennent même à contre-emploi par rapport à leurs fonctions professionnelles ou aux expertises qui leur sont par ailleurs reconnues. Ils s’expriment à la première personne, se mettent parfois en scène, ou font mine de tenir un journal intime, notamment sous la forme de « croquis en prose ». À propos d’un lieu précis, le rédacteur fait part de ses impressions ou de ses rêveries. Cette succession d’articles comme par palettes, par accumulations, ce livre d’or, constitue une évocation de l’espace tout à fait inédite à l’aube du xxe siècle. Ces revues posent sur un territoire, numéro après numéro, pour ainsi dire un acte de contemplation.
12Elles sont aussi l’œuvre de personnalités dont la publication est une vocation et un apostolat et dont le tempérament retranscrit le mode de fonctionnement de tels projets éditoriaux. Dans la nécrologie de Joannès Plantadis, rédacteur en chef de Lemouzi, ce profil typique de meneur de revue de patrimoine est ainsi précisé :
« Il a battu le rappel, suscité les vocations, groupé les énergies : il était pressant, éloquent, impérieux, avec une rare justesse de coup d’œil : au début, on résistait un peu par paresse ou par insouciance, et puis on se laissait entraîner : on venait à la « Ruche », on venait à Lemouzi, on travaillait, on se risquait un jour à produire tant bien que mal. C’était fini : il avait réveillé en vous l’âme des ancêtres, il vous avait rattaché à vos racines : une fois qu’il vous avait fait entendre la voix du pays, on ne pouvait pas plus s’en passer que de la voix d’une mère. Le charmeur avait fait son œuvre. »22
13Il est tentant de voir dans cette expérience éditoriale des années 1880-1930 des éléments précurseurs de notre actuelle sensibilité pour le patrimoine régional. Celui-ci est appréhendé à partir d’une démarche mémorielle plutôt qu’historique. Des clefs de compréhension, des chemins d’appropriation sont offerts en vue de rendre une certaine profondeur aux espaces abordés. Une médiation des connaissances est donnée sous forme de vulgarisations, mais aussi d’évocations poétiques et iconographiques.
14Beaucoup de titres toutefois relèvent de l’expérimentation rédactionnelle, ce que confirme l’oubli dans lequel la plupart se trouvent aujourd’hui. Leur faible longévité trahit les limites de l’exercice et son caractère pionnier. Il n’en demeure pas moins qu’à partir des dernières années du xixe siècle, une ambition spécifique draine dans cette intuition un certain nombre de publications. Sur cette ambition à constituer des espaces d’interprétation, plusieurs revues, dont celles qui sont citées plus haut, peuvent être isolées et analysées en tant que telles.
15C’est ce corpus que je propose de désigner sous le vocable de petites revues de patrimoine, et à propos duquel se pose la question des réseaux, des communautés qui en constituent le terreau. Quels profils y sont plus particulièrement actifs, et à travers quels types de contributions ces profils se manifestent-ils ? Enfin, ces petites revues de patrimoine drainent-elles une confraternité de circonstance, ou bien des groupes spécifiques ?
16L’espace rédactionnel revendiqué par ces revues se veut tout d’abord un décloisonnement entre communautés de contributeurs. La plupart des manifestes publiés dans les premiers numéros évoquent une ambition éditoriale qui entend se situer au-dessus des clivages et des sensibilités. Ainsi La Provence pittoresque en 1881 :
« Nous allons donc ouvrir une tribune à tous les Provençaux de bonne volonté, qui auront à parler de la Provence chérie, de quelque ordre d’idées que ce soit, n’excluant de ce recueil que les passions irritantes, l’esprit de parti, les préoccupations toujours stériles des coteries et ce qui pourrait blesser la délicatesse et le goût. (…) Nous espérons que cet appel sera entendu de tous, et que de tous les points de notre belle contrée, viendront s’ajouter tous les esprits patients et laborieux, et que cette œuvre collective deviendra comme le livre où les cœurs véritablement amoureux du sol natal aimeront à chercher les traces de leur existence dans cette belle contrée. »23
17Quarante ans plus tard, La Corse touristique :
« Entend ouvrir largement ses colonnes à tous ceux qui, économistes, historiens, littérateurs, se penchent avec amour sur la Corse, scrutent ses besoins, évoquent ses légendes, analysent ses misères, exaltent sa beauté. »24
18Georges Blanchon précise en décembre 1927 à propos de sa revue La vie alpine qu’elle est :
« Une tribune, en somme, où se rencontreront des esprits libres, des artistes, des écrivains, des hommes d’action. Non pas un amalgame bizarre, mais bien plutôt un foyer de vie. »
19L’examen de nombre de sommaires montre que cette mixité affichée va effectivement au-delà des sociabilités établies. Le professeur de lycée et le responsable de syndicat d’initiative sont publiés ensemble, mais aussi l’artisan, le notable, le journaliste, l’universitaire, l’avocat ou l’instituteur.
20De même, la provenance géographique des collaborateurs dépasse largement la sphère d’action des revues. Il s’agit avant tout, comme l’évoque François Piétri en décembre 1924, « de faire œuvre utile pour la commune patrie ». En 1897, Louis Beuve dans le premier numéro du Bouais-jan ne dit pas autrement :
« Les amis fondateurs se souvenant qu’ils étaient fils du plus pittoresque de nos cinq départements [i.e. la Manche], ont voulu créer un petit félibrige. »
21Georges Blanchon, toujours dans La vie alpine, ajoute :
« Nous pensons qu’il serait fort mauvais de s’enfermer strictement dans le cadre limité d’une région. (…) Sur le plan intellectuel et artistique, par exemple, peut-on sous-estimer ce qui nous vient de Paris, d’ailleurs pour une bonne part peuplé de provinciaux ? »
« Ajoutons à cela un trait dominant : la montagne. (…) De la montagne se dégage un sentiment de force et de pureté. Que ce sentiment soit exprimé dans les pages de La vie alpine, c’est notre ambition. »
22Un tel panel affiché vient opportunément souligner le caractère consensuel des problématiques abordées. C’est au nom d’une démarche concertée, d’une sorte d’union sacrée, que l’universitaire et le responsable d’un syndicat d’initiative figurent dans un même sommaire. Les signatures ne sont pas suivies de fonctions, de titres, ou de sociabilités d’origine. Chacun se trouve pour ainsi dire présenté sur le même pied.
23C’est que par le truchement des petites revues de patrimoine, se met en place une forme d’espace d’échanges et de réflexions. Il s’agit d’évoquer conjointement certains points qui n’apparaissent pas encore de façon satisfaisante : les critères à travers lesquels les individus ou les groupes peuvent se reconnaître dans un territoire particulier ; les éléments qui localement inscrivent l’identité régionale dans l’espace et dans le temps.
24Les collaborateurs des petites revues de patrimoine esquissent des pistes et exposent leurs points de vue. Le véritable laboratoire que représentent ces publications réside dans une approche au fait régional, qui cherche à se renouveler ; une mise en commun au sein de laquelle aucune compétence spécifique ni expertise ne sont reconnues a priori.
25À la lecture des sommaires de ces revues, deux autres constats peuvent être tirés.
26L’essor des petites revues de patrimoine correspond tout d’abord à l’arrivée d’une nouvelle génération d’auteurs. Pour la première vague de titres qui se créent entre 1880 et 1905, les équipes de rédaction sont constituées de personnes nées entre 1865 et 1875. Le Bouais-jan est lancé par Enault et Beuve, âgés tous deux de 28 ans ; La vie blésoise, qui devient Le jardin de la France est créée par Hubert-Fillay âgé de 25 ans ; Johannès Plantadis a 29 ans lors de la première publication de Lemouzi, etc. Cette moyenne d’âge se maintient au moment des fondations jusqu’à la Grande Guerre.
27Second constat, dans la forme et de par les rédacteurs, l’origine de ces publications révèle une très grande proximité à la fois avec des revues parisiennes d’avant-garde, mais aussi avec des suppléments hebdomadaires de presse.
28Sur le mode du cénacle parnassien et jusqu’aux premières années du xxe siècle, les jeunes contributeurs expriment leur admiration pour un aîné dont ils se sentent redevables. Ils revendiquent son inspiration et légitiment leur démarche en prolongeant son héritage sur le terrain.
29D’autre part plusieurs titres sont des satellites de feuilles destinées au tourisme, ou encore de la presse locale, dont ils constituent dans un premier temps le supplément hebdomadaire.
30Entre la presse et les petites revues de patrimoine, la porosité des communautés de rédacteurs est très forte. Mais le profil du journaliste n’est pas forcément dominant. À mesure que les sociétés savantes, à partir du Second Empire, se cantonnent peu à peu aux publications académiques, les autres formes d’écrits : vulgarisation, sensibilisation, tribune d’opinion, se reportent sur les feuilles de presse. En tant que collaborateurs occasionnels, les érudits ou les enseignants collaborent aux journaux dans le cadre de chroniques, d’éditoriaux, de fictions ou de billets d’humeur. La création des petites revues de patrimoine à partir de 1880 vient constituer le moyen terme désiré entre la feuille de presse et la revue savante, mais elle ne met pas fin aux collaborations tous azimuts de leurs auteurs ; un Le Goffic se lit encore dans les années 1920 à la fois dans Ouest-Eclair, dans La Bretagne touristique et dans les Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord.
31La constitution de pôles de dynamisme culturels autour de zones touristiques, notamment à partir de mouvements associatifs que constituent à partir des années 1890 les Syndicats d’Initiative ou le Touring Club de France, explique la présence de contributeurs encore plus éloignés du vivier culturel classique : imprimeurs-éditeurs, artisans, commerçants, mais aussi, hors du vivier local, des personnalités parisiennes en villégiature.
32C’est donc un réseau extrêmement protéiforme que les contributeurs des petites revues de patrimoine, réseau qu’aucune structure institutionnelle ou sociologique ne vient sous-tendre.
33Comment se décompose ce milieu d’auteurs en termes d’origine professionnelle ? Sur un échantillon constitué de deux cents noms répartis dans les sommaires des revues évoquées plus haut, on trouve en tête 28 % d’individus issus des professions de l’enseignement (dont 23 % de professeurs et universitaires et 5 % d’instituteurs). Derrière les enseignants viennent les notables : pour 22 % (avec d’abord les avocats, puis les médecins). Les fonctionnaires non rattachés à la culture ou à l’enseignement constituent 12 %, puis les artistes et artisans : 9 %. Enfin, à égalité : les conservateurs ou bibliothécaires et les journalistes, à 8 % chacun.
34Parmi ces origines, le groupe des notables est le plus difficile à cerner. À côté des médecins et des avocats, il est constitué de plus en plus par d’autres profils qui s’impliquent à partir de leur activité professionnelle mais aussi des mandats électoraux qu’ils occupent, ou des associations qu’ils animent, dans la valorisation des territoires. Cette notabilité entraîne à partir des années 1905 et surtout à partir des années 1920 une évolution sensible de la sociologie des contributeurs. À la différence de leurs aînés au sein des revues littéraires, ces individus n’interviennent pas parce qu’ils aiment taquiner la muse ou exposer leur curiosité, mais en fonction de leurs activités et à partir de certaines compétences.
35En tant que trait d’union entre pays d’origine et communautés d’expatriés, ces revues peuvent aussi connaître une bilocation de leur rédaction sur Paris, si ce n’est même de leur siège et de leur imprimeur.
36Ainsi, fondée en 1894, Lemouzi est l’organe de l’École limousine, une structure affiliée au Félibrige fondée dix-huit mois plus tôt à Brive, et pour laquelle est sollicité comme capiscol l’abbé Joseph Roux, restaurateur de la langue limousine notamment par ses Chansou lemouzina (L’Épopée limousine), publiées chez Picard en 1889. Comme l’École réunit le premier cercle des fidèles de Roux, Lemouzi qui en est l’organe s’emploie principalement à éditer en livraison sa Grammaire limousine. Cette publication se fait en parallèle d’une feuille de liaison avec lequel sa diffusion est jumelée : L’écho de la Corrèze. Fondé conjointement, ce titre parisien constitue rapidement un recueil littéraire complémentaire à la Grammaire de Roux. Il est animé par un groupe de jeunes constitués à Paris au sein de la « Ruche corrézienne », sous la houlette de Louis de Nussac, et dont le tullois Joannès Plantadis son secrétaire général25, devient rédacteur en chef.
37La zone d’activité de Lemouzi s’étend à l’ancien Limousin historique, une partie de la Charente, de la Dordogne et du Lot. Toutefois, de par son jumelage avec L’écho de la Corrèze, Lemouzi est aussi reliée aux communautés de Corréziens fédérées dans la capitale. D’autant que L’écho de la Corrèze cessant de paraître à la fin de 1894, la rubrique littéraire commencée dans L’écho est insérée directement dans Lemouzi à partir de 1895 et constitue, une fois la Grammaire de Roux achevée, le véritable contenu de la revue brivadoise. La double localisation, province et Paris, comme pour l’autre grande revue du Massif central, La Veillée d’Auvergne, explique que Lemouzi, pourtant organe félibréen, demeure dès la publication de sa première série, entre 1895 et 1897, une revue majoritairement de langue française. Cet état de fait contraste pourtant avec le manifeste fondateur de 1894, qui qualifie la partie littéraire, alors confiée à l’Écho de la Corrèze, de simple publication auxiliaire au « fascicule didactique », à la « partie dogmatique », que constitue la Grammaire de Roux : « ils auront ainsi la règle et l’exemple ». En revanche, en bonne revue félibréenne elle rend largement compte du renouveau limousin en région, notamment à l’occasion des Jeux de l’églantine, reconstitution des jeux floraux fondée en 1894, de concours littéraires et artistiques qui y sont rattachés, ainsi que d’expositions artistiques et ethnographiques que la revue s’emploie à encourager, voire à organiser.
38Mais la diaspora ne constitue pas le seul apport extérieur aux revues locales ; en fonction des réseaux qu’elles intègrent elles-mêmes en ville, elles captent à leur tour des auteurs qui n’ont aucun lien d’origine avec la région. Là encore, les banquets, soirées organisés au sein des colonies d’originaires, les dîners et autres cabarets parisiens, les revues d’avant-garde, tous ces éléments constituent pour une large part en sous-main les comités de rédaction des petites revues de patrimoine.
39Plusieurs exemples peuvent illustrer ces différents réseaux rédactionnels. En 1897, deux journalistes normands exilés à Paris fondent Le Bouais-Jan, une société dite d’originaires, c’est-à-dire regroupant d’autres Parisiens natifs d’une même région d’origine, en l’occurrence la Basse-Normandie. Dans la foulée, une revue du même nom est lancée, toujours à Paris. Elle s’appuie sur plusieurs littérateurs parmi des relations restées au pays, dans une sphère comprise entre Granville, Avranches et Saint-Lô, et qui sont connus pour leurs collaborations dans la presse locale mais aussi dans les sociétés savantes, notamment celle d’Avranches. La même année, Beuve revient à Saint-Lô et prend la direction du Courrier de la Manche. Outre Paris, Le Bouais-Jan est diffusé par les libraires des chefs-lieux d’arrondissement de Basse-Normandie. En même temps que la communauté présente à Paris, une diaspora normande plus large collabore au Bouais-Jan, notamment depuis l’Algérie.
40En 1905, l’avocat solognot Hubert Fillay revient à Blois après ses études à Paris. Pétri de l’esprit des cabarets, il tente de former sur place un pôle de dynamisme culturel avec l’appui d’autres Blésois familiers de la capitale : Paul-Boncour, avocat comme lui, Pierre Dufay, lui aussi avocat et rédacteur en chef de l’Intermédiaire des chercheurs et curieux, de même que le journaliste Gérard de Lacaze-Duthiers. Adossé au tri-hebdomadaire Le républicain du Loir-et-Cher, fondé en 1895, et dont Fillay est rédacteur en chef, La vie blésoise qu’il crée la même année s’oriente vers une animation culturelle populaire dans le ton montmartrois ; elle soutient la création des théâtres de verdure et fait la promotion notamment du patois et de l’artisanat26.
41Sur le même scénario que Le Bouais-jan, l’association de la Veillée d’Auvergne fondée en 1908 s’adresse à la « colonie auvergnate » de Paris. Lors de la fondation de la revue du même nom, l’année suivante, son manifeste exprime clairement une dépendance vis-à-vis de la capitale en termes de capacité de rédaction et de lectorat. Elle fédère plusieurs sociétés d’originaires sur Paris organisant l’entraide, ou des banquets et manifestations culturelles, comme la Soupe au chou, la Jeunesse auvergnate. Mais c’est surtout à partir du réseau du président de la Veillée d’Auvergne, Eugène de Ribier, par ailleurs directeur de la parisienne Revue des poètes, qu’une partie de la rédaction se constitue et se mêle aux réseaux plus strictement auvergnats, notamment celui des érudits de la société cantalienne « La Haute Auvergne ».
42Second type de réseau d’une petite revue de patrimoine, cette fois-ci basé sur une mixité plus complexe des rédactions entre locaux et personnes extérieures au pays : l’étude approfondie des sommaires de La jeune Picardie donne une idée des contacts qui peuvent sous-tendre une revue, si modeste soit-elle. Née en 1900 autour de la baie de Somme, éditée dans la station balnéaire de Cayeux, alors en pleine expansion touristique, cette petite publication est issue d’un journal local intitulé Le littoral de la Somme, dont elle constituait l’ancien supplément hebdomadaire. Autour d’un armurier, Paul Maison, et d’un photographe, Fernand Poidevin, le noyau originel de la rédaction est constitué de jeunes poètes et littérateurs attirés par l’activité de plaisance sur la côte, dont le jeune normalien Émile Ripert, futur historien du Félibrige et actif dans d’autres revues littéraires notamment du Nord de la France. Retiré au Crotoy, l’historien narbonnais Alfred Julia apporte aussi sa contribution. Comme Le Bouais-jan en Cotentin, La jeune Picardie se greffe sur l’émulation créatrice qu’inspire une portion du littoral de la Manche. D’expression d’abord versifiée, la revue s’oriente peu à peu vers le vieux fond populaire picard. Par échange de publicités et d’abonnements notamment, elle intègre le cercle des revues littéraires du Nord de la France, dont Le beffroi et La revue septentrionale.
43L’amplitude de La jeune Picardie change d’échelle à partir de l’organisation du premier congrès régional des traditions populaires en 1901 à Abbeville, auquel la rédaction participe, conjointement à la Société d’émulation d’Abbeville. Cet événement est l’occasion d’intégrer à la rédaction plusieurs auteurs locaux comme Maurice Thiéry, fonctionnaire à Péronne, ou Hector Quignon, professeur au lycée de Beauvais, tous deux membres du groupe de poètes des Rosati picards et du groupe parisien des Francs-picards, ou encore le folkloriste Henry Carnoy. Les deux Rosati amènent la collaboration régulière de celui qui est considéré comme le Mistral picard, Léon Duvauchel, tandis que le groupe ethnographe constitué au sein de La jeune Picardie attire à la fois les contributions de Paul Sébillot, et de grands érudits locaux, comme Alcius Ledieu, bibliothécaire d’Abbeville, ou Léon de Cléry, spécialiste du Vexin. En cela La jeune Picardie manifeste la rupture des petites revues de patrimoine avec le reste des feuilles littéraires régionales au début du xxe siècle, comme cet avis le précise :
« Décentraliser ne consiste pas à publier des vers et des articles envoyés des quatre points cardinaux par des écrivains qui fournissent avec une égale fécondité les revues les plus disparates. Il y a des revues spéciales, dont c’est le genre. Il n’entre pas dans nos vues de les imiter. Pour faire de la décentralisation intellectuelle, il faut rester chez soi, s’attacher à l’étude des traditions populaires, de l’histoire, de l’archéologie, de l’art, de la littérature, de l’économie de sa province. Il n’y a dans ce programme aucun esprit de particularisme étroit. Nous avons pu nous rendre compte, après deux années d’existence, que nous sommes à cet égard en communion d’idées avec la plupart de nos lecteurs. Nous comptons sur nos amis et sur nos collaborateurs pour nous aider à le réaliser. »27
44En 1901, la revue change de titre pour devenir La Picardie littéraire, plus en cohérence avec le nouveau périmètre de contributeurs. Son intérêt affiché pour le patrimoine populaire attire aussi une certaine jeune élite culturelle parisienne, comme le chartiste et élève de l’École pratique des hautes études Gabriel Henriot, de même qu’Henri Stein, futur historien du Gâtinais.
45La plupart de ces auteurs, là encore, se retrouvent ponctuellement dans la presse locale et les publications des sociétés savantes voisines. Y écrivent-ils sur les mêmes sujets, et selon des manières analogues, ou bien peut-on identifier des contributions distinctes en fonction des différents types de publication, presse, revues et bulletins savants ?
46Dans la presse se lisent surtout des comptes rendus d’activité, du reportage autour de manifestations culturelles, voire quelques nouvelles. Les tribunes d’opinion, quand elles existent, demeurent très dépendantes de l’actualité, et dans un contexte qui n’est pas uniquement régional. C’est le cas des billets de Le Goffic dans Ouest-Éclair.
47Inversement, les articles insérés dans les revues des sociétés savantes, ou encore les grandes revues régionales comme la Revue de Bretagne et de Vendée, la Revue du Bas-Poitou, sont beaucoup plus longs et détaillés, et ne proposent que rarement des synthèses, sinon sur des points très précis. On y produit des matériaux, sous forme de recueils, d’énumérations, de compilations, parfois édités sans autres commentaires. L’intention demeure la constitution de sources primaires et secondaires.
48Ainsi, Johannès Plantadis, animateur de Lemouzi, collabore également au Bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de Corrèze. Dans un état de l’art des compositions artistiques inspirées par le Limousin28, il établit tout d’abord l’anthologie de textes littéraires faisant la promotion de la région, partant du principe que c’est son évocation littéraire qui attire les artistes sur un lieu inspiré. Le tour d’horizon consiste en une succession de notices consacrées aux artistes : leurs séjours, le type d’inspiration dont ils témoignent, un catalogue d’œuvres. Énumération et recueil de citations : c’est une certaine forme d’annales ponctuées d’extraits de mémoires ou de récits en rapport avec les personnages évoqués ; l’article semble servir de compilation en vue de permettre une exploitation ultérieure du sujet, et constituer en quelque sorte une source secondaire. Peu de commentaires où l’auteur apparaisse, sinon en note de bas de page ; le style se montre contraint :
« On nous permettra… »
49Les notes s’accentuent cependant à mesure que la matière est posée. La dernière partie de l’article aborde l’implantation concrète de cette anthologie sur l’espace régional ; c’est un portrait cette fois beaucoup plus incarné. L’étude s’achève enfin sur un point de vue très personnel, qui rejoint la manière du Plantadis de Lemouzi, avec ses réflexes caractéristiques, comme celui de désigner le Limousin à travers les stéréotypes du ruisseau sauvage et du châtaignier, critères picturaux dont les petites revues de patrimoine se font une habitude et une spécialité.
50Au sein du corpus étudié ici, on exploite, certes, des connaissances, mais avant tout pour les vulgariser, les sublimer en vue d’une définition et d’une évocation partagées du fait régional.
51Gabriel Henriot, le jeune élève de l’École des chartes, collabore à La jeune Picardie par le biais de ses recherches autour de l’abbaye de Corbie, proche d’Amiens. Né dans le quartier de Belleville, dans une famille d’artisans du faubourg Saint-Antoine, milieu inhabituel chez les chartistes, il travaille d’abord à la bibliothèque historique de la Ville de Paris où il prépare les comptes rendus de la Commune. Sa collaboration à La jeune Picardie s’inscrit dans la construction d’une histoire régionale populaire par feuilleton. Le style rappelle le ton d’une conférence, peut-être même dans le cadre d’une université populaire. Les billets ne dépassent pas une page, et sont tout d’abord des portraits d’abbés. Tous les personnages cités sont soigneusement contextualisés par rapport à leur époque ou leur milieu. Les citations, comme celles qui sont reprises des épitaphes, sont exclusivement transcrites en français courant. L’historien poursuit sa collaboration avec de courtes fictions historiques se déroulant durant le Moyen Âge, et qui reprennent l’esprit de ses recherches dans la région.
52Autre profil érudit, Alcius Ledieu, bibliothécaire d’Abbeville et membre des principales sociétés savantes de la Somme. Il reprend dans La jeune Picardie une intervention consacrée aux graveurs abbevillois qu’il a fait paraître quinze ans auparavant dans une revue nationale. Également publiée en feuilleton, sa contribution suit scrupuleusement le plan initial de 1886. Le contenu est cependant considérablement allégé, notamment de ses citations et de ses renvois ; les considérations techniques ou de conservation des œuvres sont par ailleurs supprimées.
53Parallèlement aux sujets historiques, une certaine iconologie, un art de voir sont produits dans ces publications. Ils sont d’abord introduits par les artistes et illustrateurs qui collaborent en prose à ce titre ; puis leur usage s’impose dans les descriptions et l’ensemble des expériences vécues dans le cadre d’un territoire ; le choix d’une telle exposition par l’esthétique est pionnier en termes d’approche du patrimoine régional.
54Ce ton spécifique n’est pas l’apanage des littérateurs et des artistes. Le parlement constitué autour de l’identité régionale, enrichi, complexifié par l’apparition d’acteurs du tourisme, de responsables associatifs, d’artisans et de professionnels en rapport avec une certaine forme d’authenticité ou d’activité locale, ces nouvelles catégories de contributeurs n’exposent pas seulement leur problématique catégorielle, mais sont invités à s’exprimer à leur tour dans la quête collective de l’identité locale, comme l’ont fait avant eux les historiens, les écrivains et les notabilités érudites, et ils le font de la même manière, par l’esquisse imagée, l’évocation picturale.
55Lieu de mixité rédactionnelle, les petites revues de patrimoine se cantonnent-elles à des réseaux de circonstance ? À l’existence précaire de la plupart des titres s’ajoute, on l’a vu, une grande volatilité de rédacteurs. La sensibilisation, la vulgarisation du patrimoine par une approche iconographique constituent, on l’a vu aussi, l’ambition la plus originale et la plus constante des petites revues de patrimoine. C’est précisément sur cette thématique que se révèle un réseau qui leur est propre, et vis-à-vis duquel elles constituent un vecteur essentiel.
56Ce type de communauté touche à l’animation artistique de terrain et à la valorisation des œuvres d’art. Avec l’influence croissante et décisive de l’image, y compris dans les textes, par des descriptions et des évocations picturales, les réseaux de l’art jouent le rôle de catalyseur par rapport aux autres communautés, plus ponctuellement présentes dans les sommaires : celles des érudits, des enseignants, des journalistes, des écrivains.
57Ce réseau émane de l’univers des conservateurs de musées, des métiers des arts graphiques mais aussi du milieu de l’artisanat, de la création et de l’entreprise : dire comment certaines pratiques sont originales, pourquoi elles donnent du contenu à une identité territoriale (les savoir-faire, mais aussi les matériaux et les productions d’origine). Une petite revue de patrimoine est de fait une vaste entreprise de vulgarisation, qui, pour la consolidation des authenticités qu’elle valorise et ses éléments d’inspiration esthétique, s’adosse aussi aux espaces d’identification que sont les musées et les galeries d’art. Certains titres, de par leurs fondateurs ou directeurs, sont étroitement liés à ce monde ou encore à l’artisanat. Ainsi François Enault, co-fondateur du Bouais-Jan, et Léon Le Clerc, directeur du Pays normand, sont peintres, tandis que Gustave Boucher, directeur du Pays poitevin, est éditeur de cartes postales folkloriques, que Fernand Poitevin à La jeune Picardie est photographe. La vie en Alsace est très liée au milieu régional des arts graphiques, sous la férule du critique Jean Gentzbourger, et qui compte parmi ses collaborateurs réguliers Léonard-Georges Werner et Hans Haug, attachés aux musées de Strasbourg, ainsi que les peintres Louis-Philippe Kamm et Robert Kammerer. Mediterranea, enfin, s’affiche nettement parmi les revues d’arts et de création, avec comme directeur le graveur Paul Castéla, et comme contributeurs un autre graveur Jean Chièze, également présent dans La Corse touristique, ou encore Georges Avril, chroniqueur et critique d’art.
58Quant aux entrepreneurs, ils s’engagent dans la petite revue de patrimoine avec le projet de soutenir la prospérité régionale à travers le tourisme et une production locale en voie de labellisation. Leur démarche vise par conséquent à sensibiliser un public, et en particulier leurs propres compatriotes, des richesses architecturales et paysagères qu’ils côtoient quotidiennement. Ainsi, après la Grande Guerre, Pierre Balme est directeur médical de plusieurs établissements thermaux du Massif central : Châtel-Guyon, le Mont-Dore et Vichy. Il fonde et dirige L’Auvergne littéraire et artistique à partir de 1924. Louis Laget, félibre arlésien est aussi impliqué dans l’artisanat local, notamment le mobilier de tradition. Il préside le Groupe d’action régionaliste du Pays d’Arles fondé en 1921, dont le but est de mieux faire connaître la Provence, la littérature provençale, et dont le siège n’est autre que le Museon Arlaten, fondé par Frédéric Mistral. Il crée avec les autres animateurs de ce groupe la revue En Provence en 1923, dont il devient le directeur. Georges Blanchon, quant à lui, est à la fin des années 1920, président de l’Alpes-Club, puis secrétaire général de la Fédération Dauphinoise de Ski, avant d’être vice-président de la Fédération française et co-fondateur de l’École française du Ski. Il est à la Fédération dauphinoise, au moment de la fondation de sa revue La Vie alpine en 1927, revue jumelée avec une maison d’édition grenobloise, la Publicité alpine, fondée par lui au même moment.
59Octave-Louis Aubert, enfin, le plus emblématique sans doute, commence comme journaliste avant de devenir un entrepreneur de tourisme. Installé en Bretagne à partir de 1893, il devient rédacteur en chef du Progrès des Côtes-du-Nord à partir de 1899. Il écrit plusieurs textes et scénettes qui sont données à Saint-Brieuc, et organise dans cette ville en 1906 un Gorsedd, fête druidique d’un type alors très en vogue et dont même L’illustration se fait l’écho. Dès 1907, il fonde dans cette ville un syndicat d’initiative et s’engage dans la structuration des groupes spécialisés dans le tourisme, jusqu’à devenir le représentant des organismes bretons au sein de l’Union nationale des Syndicats d’Initiative (SI) ; il est également conseiller municipal et président de la chambre de commerce de Saint-Brieuc. Avec le photographe Raphaël Binet, il fonde La Bretagne touristique en 1922, revue connue pour son implication dans l’art contemporain breton, notamment par sa proximité avec le groupe des Seiz Breur (parmi lesquels figurent Xavier de Langlais, Morvan Marchal, James Bouillé, René-Yves Creston…). La revue est aussi consacrée au développement du tourisme régional à travers une large mise en regard novatrice du texte avec la photographie. Sans bénéficier d’une formation littéraire ou artistique, cet autodidacte aborde toutes sortes de sujets, sur un mode simple, informatif, mais jugé par ses contemporains juste de ton et de point de vue. La fondation de la revue est suivie deux ans plus tard de celle d’une maison d’édition, qui publie aussi des séries de cartes postales. Enfin en 1925, Aubert fonde sa propre galerie à Saint-Brieuc, où sont exposées diverses œuvres d’artistes bretons contemporains.
60Il ne s’agit donc plus seulement d’analyser ou de répertorier des éléments dans un univers qui demeurerait confiné à un stade muséal, mais d’animer et de produire ces éléments dans une perspective d’identité régionale, y compris commercialement, et en même temps pour les auteurs d’exploiter leurs compétences dans une expression de soi-même qui dépasse le périmètre professionnel.
61Ainsi, comme La Bretagne touristique, les Feuillets occitans, revue fondée à Paris en 1925 par Fernand Cros-Mayrevieille, entend faciliter le dialogue entre création artistique et intérêts économique. Comme la revue briochine, ou encore Le pays d’Ouest, de l’avocat poitevin Joseph Beinex, les Feuillets sont aussi un organe qui appuie l’organisation de salons de peinture à Paris, tandis qu’il se jumelle avec des revues en région, notamment en 1927 avec la toulousaine Oc fondée en 1923 et rédigée en occitan.
62À cent ans d’écart, une telle offre faite au grand public ne se situe pas au niveau d’un savoir, mais pour la première fois à celui d’une mémoire vive. Une telle articulation n’est pas sans annoncer les réseaux actuels d’animation autour des patrimoines.
63Sans être mise à distance ni contestée, la production historique classique se trouve donc confrontée dans la valorisation des identités régionales à une démarche à la fois plus populaire et plus sensible qui revendique une équivalence de légitimité par rapport à la recherche. Une telle dualité entraîne la valorisation du patrimoine régional hors d’un cadre tout d’abord défini par une connaissance, une érudition. À partir des années 1880 et dans le premier quart du xxe siècle, les petites revues de patrimoine contribuent à formaliser cette dualité. Elles sont les prémices des espaces d’échanges, des forums et des réseaux sociaux consacrés aujourd’hui aux formes diverses des identités et de la mémoire.
Bibliographie
Revues exploitées
L’Auvergne littéraire et artistique, Clermont-Ferrand, 1924-1939.
La Bourgogne d’or, Chagny, 1903-1943.
La Bretagne touristique : revue mensuelle illustrée, Saint-Brieuc, 1922-1939.
La Corse touristique, organe mensuel des intérêts insulaires : économique, historique et littéraire, Ajaccio, 1924-1934.
La Gueuse parfumée, journal de Provence, Marseille, 1880.
La Jeune Picardie, revue littéraire et historique, puis La Picardie littéraire, historique et traditionniste, Cayeux, 1900-1905.
La Provence artistique & pittoresque, journal hebdomadaire illustré, Marseille, 1881-1883.
La Veillée d’Auvergne, Paris, 1909-1914.
La Vie alpine, revue du régionalisme dans les Alpes françaises, Grenoble, 1927-1936.
La Vie en Alsace, revue mensuelle illustrée, Strasbourg, 1923-1939.
Le Bouais-jan, revue normande illustrée du département de la Manche, Paris, 1897-1906.
Lemouzi, organe mensuel de l’École limousine félibréenne, Brive, 1893-1931.
Le Pays d’Ouest, Poitou, Saintonge, Aunis, Angoumois, journal illustré des provinces de l’Ouest et de leurs colonies, Paris, 1911-1939.
Le Pays lorrain, revue régionale bimensuelle illustrée, Nancy, 1904-1939.
Mediterranea, revue mensuelle de la Côte d’azur et des pays méditerranéens, Nice, 1927-1939.
Bibliographie
Plantadis Johannès, « Les maîtres du paysage limousin », Bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de Corrèze, tome 29, 1907, p. 445-469, & tome 30, 1908, p. 51-98.
Thiesse Anne-Marie, Écrire la France : le mouvement littéraire régionaliste de langue française entre la Belle Époque et la Libération, Paris, Presses Universitaires de France (Ethnologies), 1991.
Notes de bas de page
1 Le Ventre-rouge, revue bimensuelle littéraire illustrée du patois saintongeais, Bordeaux, 1899-1904 ; Le Subiet, jhornau des bons bitons en biâ parlanjhe de la Saintonjhe, de l’Angoumois et de l’Auni, hebdomadaire puis bimensuel, Matha, 1902-1959.
2 L’Auta, que bufo un cop cado més, organe de la société les Toulousains de Toulouse et amis du vieux Toulouse, mensuel, Toulouse, depuis 1906.
3 La France d’Oc, organe hebdomadaire des revendications régionalistes, Montpellier, 1894-1895.
4 L’Union pyrénéenne, organe du groupement régional des Basques, Béarnais, Gascons et Landais résidant à Paris, bimestriel, Paris, 1899-1939.
5 Les Alpes pittoresques, historiques, artistiques et littéraires, la vie mondaine, balnéaire & sportive, bihebdomadaire, Grenoble, 1901-1914.
6 A Muvra, bulletin régionaliste de l’île de Corse, Ajaccio, 1920-1939.
7 Le Bouais-jan, revue normande illustrée du département de la Manche, bimensuel, Paris, 1897-1906.
8 Lemouzi, organe mensuel de l’École limousine félibréenne, Brive, 1893-1931.
9 La Veillée d’Auvergne, mensuel, Paris, 1909-1914.
10 La Gueuse parfumée, journal de Provence, hebdomadaire, Marseille, 1880
11 La Provence artistique & pittoresque, journal hebdomadaire illustré, Marseille, 1881-1883.
12 Le Pays lorrain, revue régionale bimensuelle illustrée, Nancy, 1904-1939, avant sa reprise en 1951 par la Société d’archéologie lorraine.
13 La Jeune Picardie, revue littéraire et historique, puis La Picardie littéraire, historique et traditionniste, mensuel, Cayeux, 1900-1905.
14 Le Pays d’Ouest, Poitou, Saintonge, Aunis, Angoumois, journal illustré des provinces de l’Ouest et de leurs colonies, trimestriel, Paris, 1911-1949
15 La Bourgogne d’or, mensuel, Chagny, 1903-1943.
16 L’Auvergne littéraire et artistique, mensuel, Clermont-Ferrand, 1924-1952.
17 La Corse touristique, organe mensuel des intérêts insulaires : économique, historique et littéraire, Ajaccio, 1924-1934.
18 La Vie alpine, revue du régionalisme dans les Alpes françaises, mensuel, Grenoble, 1927-1936.
19 La Bretagne touristique : revue mensuelle illustrée, Saint-Brieuc, 1922-1939.
20 La Vie en Alsace, revue mensuelle illustrée, Strasbourg, 1923-1939.
21 Mediterranea, revue mensuelle de la Côte d’azur et des pays méditerranéens, Nice, 1927-1939.
22 J. Nouaillac, « Nécrologie de Johannès Plantadis », Lemouzi, 1922, p. 2.
23 La Provence artistique et pittoresque, juin 1881, n°1, p. 2.
24 La Corse touristique, décembre 1924, n°1, p. 2.
25 Cf. J. Nouaillac, « Joseph Roux et la renaissance limousine », Lemouzi, 1905, n°3 avril, p. 75-90.
26 Cf. l’analyse par A.-M. Thiesse, Écrire la France : le mouvement littéraire régionaliste de langue française entre la Belle Époque et la Libération, pp. 37-40.
27 La Picardie littéraire, année 3, janvier 1902, p. 1.
28 J. Plantadis, « Les maîtres du paysage limousin », 1907, p. 445-469, & 1908, p. 51-98.
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La France savante
Ce livre est cité par
- Sintès, Quentin. (2023) Quand le Roussillon met de l’eau dans son vin : l’hydraulique agricole dans la lutte contre le phylloxéra. Patrimoines du Sud. DOI: 10.4000/pds.12386
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