L’Académie Nationale de Reims, une institution de mémoire
p. 43-49
Résumé
Le 15 mars 1841, un petit groupe de notables rémois, autour de l’archevêque Thomas Gousset, sollicite du ministre de l’Instruction publique l’autorisation de créer une académie « dans le but de travailler au développement des sciences, arts et belles lettres et surtout de recueillir et de publier les matériaux qui peuvent servir à l’histoire du pays ». Dans la ville des sacres mal remise des secousses et clivages révolutionnaires, transformée par l’afflux d’une population nouvelle attirée par les industries, il fallait retrouver une identité et rassembler « le prêtre et le magistrat, le militaire et le paisible citoyen…, savants et hommes lettrés… dans un corps académique, par une communication libre et mutuelle ». Les sujets les plus variés étaient à l’ordre du jour des séances et les concours proposaient en particulier des questions d’économie industrielle et d’agriculture, mais très tôt c’est l’histoire, la gestion d’une mémoire commune sur la longue durée, qui est devenue la préoccupation principale, ainsi que la description des monuments et œuvres d’art du patrimoine proche, sous l’impulsion du Comité des Travaux historiques. Servare et Augere : conserver et augmenter. Fidèle à sa devise depuis 173 ans, l’Académie, fille de la « génération Guizot », devenue Impériale puis Nationale, a publié 181 volumes de Travaux, complétés par des Annales, édité des sources, des inventaires, contribué à l’érection de monuments commémoratifs. Pendant la longue éclipse de l’Université, elle a maintenu le goût de la recherche.
Texte intégral
1Contrairement à Châlons ou Troyes, Reims n’a pas été dotée d’une académie sous l’Ancien Régime. Les cercles littéraires ou philosophiques tel que celui rassemblé par Louis-Jean Levesque de Pouilly (1691-1750), membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, ami de Voltaire, n’ont pas dépassé les salons de quelques notables du siècle dit des Lumières. La raison en est sans doute la présence de l’Université fondée par le cardinal Charles de Lorraine en 1547-48, dans un contexte humaniste, certes, mais aussi de contre-réforme catholique tendant au contrôle de la vie intellectuelle. La Révolution a évidemment changé la donne, en supprimant l’Université, qui n’a pu renaître de ses cendres que dans les années 1960 ; elle a laissé un grand vide. En même temps disparaissait l’importante stature de l’archevêque-duc, premier pair de France et consécrateur du roi. Un moment supprimé sous la République et l’Empire puis rétabli par Louis XVIII, le siège métropolitain eut son dernier titulaire aristocratique en la personne de Jean-Baptiste de Latil, qui suivit Charles X dans son exil, et décéda le 1er décembre 1839 sans être revenu dans sa ville.
2Un prélat d’une toute autre extraction était installé le 26 août 1840 : Thomas Gousset, un fils de paysan de la Haute Saône qui, à 17 ans, avait lâché les manchons de la charrue pour devenir prêtre. Ses racines se lisent sur son blason, de gueules à la gerbe de blé d’or, avec pour devise : Quae seminaverit homo haec et metet, citation de l’épître de saint Paul aux Galates :
« Ce que l’homme a semé, il le récoltera. »
3Brillant élève, professeur de théologie morale au séminaire de Besançon moins d’un an après son ordination en 1817, official diocésain, vicaire général en 1830, évêque de Périgueux en 1835, il fut, comme l’a souligné son successeur Mgr Jean Balland lors du cent cinquantième anniversaire de l’Académie1, le premier archevêque depuis longtemps à regarder au-delà des remparts de sa ville, jusqu’aux faubourgs de Cérès et de Laon, qu’il dota d’églises nouvelles pour une population en pleine expansion dans le contexte de la révolution industrielle. Il fut le premier, depuis longtemps, à garder résidence et donc à prendre conscience des réalités culturelles et sociales de la cité. Il aimait à répéter qu’en fondant l’Académie, il n’avait fait que rapprocher, dès son arrivée à Reims, des Rémois qui ignoraient leurs forces et s’ignoraient entre eux.
Qui étaient-ils ?2
4Le vicomte François Ruinart de Brimont, ancien maire et député ; Pierre-Auguste Dérodé-Géruzez, conseiller général ; le docteur Gilbert de Savigny ; Étienne Saubinet, botaniste et bibliophile ; Roland Maille-Leblanc, fabricant, président du tribunal de commerce ; Henri Robillard, juge d’instruction ; l’abbé Clair Bandeville, aumônier du collège royal ; Vincens de Gourgas, proviseur du même collège ; Henri Fleury, publiciste, fondateur de la Chronique de Champagne3, Charles-Auguste Herbé, peintre d’histoire et archéologue ; Adolphe Bouché de Sorbon, avocat et juge au tribunal civil ; Louis Paris, bibliothécaire de la Ville ; Louis Fanart, maître de chapelle de la cathédrale, musicologue ; l’abbé Jean-Jacques Nanquette, curé de Saint-Maurice et futur évêque du Mans ; Narcisse Brunette, architecte de la Ville ; Prosper Tarbé, substitut ; Théophile Contant, notaire ; le docteur Hector Landouzy, directeur de l’école de Médecine. En tout, avec Mgr Gousset, dix-neuf fondateurs, chiffre limité par l’article 291 du Code pénal de 18104. Comme le soulignait Henri Jadart en 1891 :
« Ils voulurent en constituant une nouvelle société rémoise, la créer étrangère à toute coterie, à toute ingérence personnelle, et à toute rivalité ; l’appeler au contraire, par sa formation même, à se recruter dans les milieux divers, parmi les représentants des pouvoirs publics, dans le monde des affaires comme dans celui du travail purement intellectuel et spéculatif, sous la seule condition de s’intéresser aux sciences et aux arts, aux belles lettres, à l’histoire ou l’archéologie. »
« L’Académie, qui s’établissait un demi-siècle après la Révolution, pouvait encore s’assimiler plusieurs descendants de l’ancienne société, un Levesque de Pouilly, un Saubinet, un Ruinart, un Sutaine, un Maillefer, et les mêler aux plus honorables représentants de la société nouvelle aux Géruzez, aux Wagner, aux Carteret, aux Dérodé, aux Tarbé, aux Paris, etc. C’était unir les temps, confondre des aspirations, des aptitudes variées, et préparer ainsi utilement l’avenir dans l’union et la concorde. »5
5L’archevêque en fut-il vraiment l’initiateur ou l’idée lui a-t-elle été suggérée par plusieurs de ces personnalités ? La rapidité d’exécution du projet suppose un consensus : présentation des statuts au ministre de l’Instruction publique le 15 mai 1841, autorisation définitive par arrêté du 6 décembre de la même année et première séance le 20 décembre suivant, dans un des salons du palais archiépiscopal, le palais du Tau, dans une partie inhabitée, au sud-est du bâtiment, nommé le « logis du Roi ». Le dernier occupant avait été Charles X en 1825. L’Académie l’a meublé à ses frais et disposé pour ses besoins, avec bureau présidentiel et hémicycle. À l’origine elle comptait trente membres titulaires, dix associés résidants et un nombre non déterminé de membres honoraires et de membres correspondants ; une centaine à l’origine. En 1846, les associés résidants devinrent des titulaires, dont le nombre fut porté à quarante-cinq. Dans la seconde moitié du xixe siècle, le nombre de correspondants s’est stabilisé autour de deux cents. L’organisation s’est inspirée de celle des académies de l’Institut de France, comme le rappelait Henri Jadart :
« Au bureau la permanence n’est un droit pour personne : la présidence est annuelle, les autres fonctions se transmettent ou se retrempent chaque année dans un vote de confiance et de mutuelle sympathie, garantie indispensable pour l’action commune. »6
6Cela dit, s’il n’est pas perpétuel, le secrétaire général peut avoir une belle longévité : Charles Loriquet de 1854 à 1882, Henri Jadart de 1882 à 1920… ou moi-même depuis 1977.
7Le règlement intérieur stipule que « l’Académie n’admettra aucun ouvrage qui blesse la morale, la religion ou le respect dû aux lois de l’État ». L’archevêque de Reims, le préfet de la Marne, le sous-préfet de l’arrondissement et le maire de la ville ont été déclarés membres de droit. Les ressources de l’Académie, reconnue d’utilité publique le 15 décembre 1846, proviennent de subventions du département de la Marne (1 000 francs), de la ville de Reims (500 francs), du ministère de l’Instruction publique (entre 300 et 450 francs selon les années) et des cotisations des titulaires, fixées à 65 francs. Des jetons de présence d’une valeur de 2 francs permettaient aux plus assidus de récupérer environ les deux tiers de la somme, puisqu’il y avait deux séances par mois de novembre à août. Les vacances académiques étaient en septembre et octobre, la belle saison de la Champagne, celle des vendanges et de l’été de la Saint-Remi. En septembre 1848 fut établie une académie universitaire, avec un recteur compétent pour la Marne, l’Aube, l’Aisne et les Ardennes. Le risque de confusion avec cette autre Académie de Reims incita la compagnie à compléter son nom, mais comme les démarches n’aboutirent qu’en 1852, elle fut autorisée à prendre le titre d’Académie Impériale de Reims, qu’elle garda jusqu’en 1870. C’est alors qu’elle devint Académie Nationale, quand la souveraineté de la nation se substitua à celle de l’empereur et non par prétention à une échelle nationale de ses compétences.
8L’article premier des statuts stipule que :
« l’Académie de Reims est constituée […] dans le but de travailler au développement des sciences, des arts et belles-lettres, et surtout de recueillir et de publier les matériaux qui peuvent servir à l’histoire du pays. »
9Cette formulation peut paraître ambiguë, le pays c’est la France, certes, mais c’est aussi l’endroit où l’on vit, le pagus, la contrée.
10Les travaux de l’Académie et les concours destinés à l’émulation du public couvraient à l’origine un vaste champ de connaissances littéraires et scientifiques, juridiques, économiques, agronomiques, mais c’est très tôt la gestion d’une mémoire qui est devenue sa préoccupation et son occupation principale, la mémoire constitutive d’une identité dans la cité bouleversée. La Révolution avait prétendu couper la France de son passé et à Reims avait copieusement détruit ses témoins (vingt-six églises démantelées, la sainte Ampoule brisée, fleurs de lys et statues royales brisées), ce qui avait attisé les clivages. L’essor industriel et démographique commençait à noyer un ancien système de valeurs sous la marée d’une culture rurale en partie dénaturée par sa transplantation et démoralisée, au sens propre du terme, par la rudesse des conditions de vie. L’enjeu était de reforger un esprit public en réunissant des hommes de compétences et de sensibilités diverses s’obligeant au respect de l’autre.
11Élu à l’unanimité premier président, lors de la séance publique du 4 mai 1843, Mgr Gousset souligne :
« Dans un corps académique, tous les membres sans distinction, par une communication libre et mutuelle, se donnent et reçoivent en même temps une direction convenable à chacun, sans qu’il n’y ait ni orgueil ni domination d’aucune part, ni humiliation de qui que ce soit. »
12Il poursuit par un vibrant éloge de l’esprit d’association :
« Quelles que soient les facultés de l’homme, il n’est pas bon qu’il soit seul ; s’il est abandonné à ses propres forces, sans guide, sans direction, sans secours, ses efforts deviennent impuissants, ses travaux stériles ; loin de pouvoir rien faire pour les autres, il peut à peine se suffire à lui-même […] Ce sont des associations qui nous ont laissé ces prodiges d’érudition où nous retrouvons les titres primitifs de nos annales, ces vastes recueils imprimés ou manuscrits, où nous pouvons suivre la marche progressive de notre civilisation […] Ce sont des corporations encore qui ont élevé nos basiliques, ces superbes monuments qu’on a appelés gothiques et barbares, apparemment parce que, ayant quelque chose de surhumain dans leur conception, ils cessaient d’être conformes aux règles du classicisme qui nous est venu des Grecs et des Romains […] C’est parce qu’on a compris que l’association est le principe le plus fécond en résultats, que toutes les grandes villes ont établi des académies. Or, par une admirable alliance peu connue des anciens, l’émulation fait marcher de front les belles-lettres, les sciences et les arts. C’est là que le prêtre et le magistrat, le militaire et le paisible citoyen se réunissent aux savants et aux hommes lettrés, non seulement pour prendre le plus doux et le plus noble délassement, mais encore s’instruire davantage et étendre le cercle de leurs connaissances. »7
13L’application concrète de ce discours programmatique s’est traduite par une intense activité de publication et de multiples initiatives.
14Sous le titre d’Annales de l’Académie en 1842-44 puis de Séances et Travaux de l’Académie depuis 1853, la compagnie a publié à ce jour 182 volumes, 92 dans les cinquante premières années qui comptaient deux livraisons annuelles. Ce rythme s’est maintenu jusqu’à la Première Guerre mondiale, est passé à un volume annuel jusqu’à la Seconde. Quatre seulement ont paru de 1944 à 1972, puis en 1979 la collection a renoué avec la régularité. Cette courbe illustre les difficultés financières d’une société convenablement dotée au départ, mais dont le capital a fondu dans les tourments du siècle, avant de retrouver un nouvel équilibre. Elle illustre aussi la terrible saignée de 1914-18. Les jeunes générations sont quasiment absentes entre les deux guerres, les vieux érudits publient encore, avant de disparaître… et il faut attendre la maturité des enfants du baby-boom pour trouver la relève. Au moment où l’Université renaissante est susceptible d’apporter le concours de certains de ses maîtres ou de ses étudiants qui font l’apprentissage de la recherche.
15Quelle est cette recherche ? À l’origine, comme il a été dit plus haut, les sujets étaient divers et la pluridisciplinarité de mise. Puis les connaissances se sont affinées et de nouvelles sociétés spécialisées sont apparues, Comice agricole, Société médicale, Société industrielle, Société des Architectes de la Marne, Société d’Histoire naturelle etc., qui ont suscité une division du travail et par là déchargé l’Académie. Elle s’est alors recentrée sur l’histoire locale. Pour faciliter l’accès aux documents elle a sollicité en 1878 le dépôt à Reims de la partie des archives départementales qui concernent la ville et a obtenu gain de cause en 1887. Il n’est donc plus nécessaire d’aller à Châlons.
16L’histoire locale a fait l’objet, dès le début de publications de sources, conçues et inaugurées par les fondateurs eux-mêmes. Ainsi, dès 1843-46, l’Académie publie l’Histoire de la ville, cité et université de Reims de dom Guillaume Marlot, l’œuvre française de ce savant bénédictin qui n’avait donné entre 1666 et 1679 qu’une édition latine un peu raccourcie. Les quatre volumes in-quarto ont paru dans le format de la collection des documents inédits publiés par le ministère de l’Instruction publique, illustrée entre 1839 et 1843 par les dix volumes des Archives administratives et législatives de la ville de Reims de Pierre Varin. Les sources y sont en latin ou en ancien français ; l’Académie offrait aux Rémois une somme en français moderne, facilement accessible. Son ambition, marquée par le choix du format, se heurta à des difficultés financières. Pour les publications suivantes, édition et traduction de l’Histoire de l’Église de Reims de Flodoard et de l’Histoire de France de Richer, deux sources majeures du xe siècle, elle a choisi la réduction à un grand in-octavo, c’est-à-dire le même format que les Travaux, où dorénavant ces types de texte furent publiés, avec en général des extraits par tirage à part. On compte ainsi avant 1914 dix-huit volumes, mémoires ou correspondances de Rémois du xvie au xviiie siècle essentiellement. Dans la nouvelle série des Travaux nous sommes restés fidèles à cette tradition, avec le Polyptyque de Saint-Remi de Reims (ixe-xie siècle), l’Histoire et description de Rheims d’Étienne Povillon-Piérard (1823), le Registre de délibération du Conseil de Ville (1422-36), le Journal de guerre du cardinal Luçon. Le volume sorti en 2015 n’est pas une édition de source, mais il la prépare en quelque sorte, puisqu’il s’agit des actes d’un colloque consacré à un manuscrit de la bibliothèque de Reims, offert à la cathédrale par le prévôt de son chapitre en 1070, comportant entre autres le nécrologe et un psautier triplex destiné aux exégètes.
17Outre la publication de documents inédits, l’Académie, comme le soulignait son secrétaire général :
« ne pouvait rester étrangère au mouvement qui s’accentue de plus en plus, sous l’impulsion du Comité des Travaux historiques et qui amène partout à décrire les monuments et à inventorier les œuvres d’art conservées dans nos édifices publics. »8
18C’est ainsi qu’a été mis en œuvre un Répertoire archéologique qui devait comprendre quinze fascicules, sept pour la ville et huit pour l’arrondissement de Reims. Cinq seulement ont paru9.
19Dès ses débuts, l’Académie a manifesté un vif intérêt pour l’archéologie. C’est sous sa direction que furent effectuées en 1860 les fouilles qui mirent au jour dans les Promenades une grande mosaïque avec les jeux du cirque, hélas détruite en 1917 dans l’incendie de l’hôtel de ville qui abritait le musée. Celui-ci était une émanation de la compagnie « qui s’est préoccupée du sort de tant de débris sculptés de tous les âges, de stèles romaines, de figures du Moyen Âge et de la Renaissance, et par-dessus tout du tombeau de Jovin, le joyau du musée lapidaire de Reims », écrivait en 1891 le secrétaire général, qui poursuivait :
« Non seulement les antiquaires qu’elle compte toujours dans ses rangs ont étudié et décrit la plupart de ces précieux legs de nos pères, mais elle s’est intéressée aux fouilles incessantes opérées à Reims ; elle a acquis sur ses fonds de nombreuses stèles avec inscriptions ; elle a organisé en 1864 une commission permanente d’archéologie ; enfin par mille démarches, elle a contribué à établir trois dépôts pour assurer la sauvegarde provisoire de ces débris dispersés : la crypte de l’archevêché, gracieusement mise à sa disposition par le cardinal Gousset en 1865, et les deux autres locaux de Clairmarais et de l’hôtel de ville affectés plus tard au même objet par la municipalité rémoise. Récemment encore, elle a généreusement souscrit pour la construction d’un musée et pour l’achat d’une mosaïque romaine découverte dans la rue Nicolas-Perceval en 1890. »10
20Sur l’initiative de la Société nationale des Antiquaires de France, l’Académie avait adressé, en 1884, au Comité des Travaux historiques du ministère de l’Instruction publique un vœu en faveur d’une sauvegarde plus efficace des monuments antiques dispersés sur notre sol11. La première mesure à prendre étant la création de musées lapidaires dans chaque centre important.
21Dans le même temps « elle a veillé sur l’incomparable basilique qui se trouve au premier rang de ses aspirations comme au premier plan des regards », comprenons la cathédrale, pour laquelle elle édita en 1845 un projet d’achèvement des tours, dont elle suivait de près les restaurations, n’hésitant pas à critiquer les choix des architectes et dont elle a fait ressortir de l’oubli les tapisseries, entassées à la sacristie, pour les déposer en 1870 sur les murs des bas-côtés de la nef. On trouve dans les annexes des Travaux la trace de nombreuses interventions, comme cette lettre au maire du 27 février 1897 qui n’est pas sans rappeler une actualité récente :
« l’Académie, tout en se félicitant de la substitution prochaine à Reims de la traction électrique à la traction à chevaux des tramways, émet le vœu qu’un système soit adopté qui évite sur les places et devant les monuments de la ville, l’installation de poteaux et de fils qui masqueraient plus ou moins les édifices et les places et empêcheraient d’en apprécier aussi bien le caractère artistique, et qu’à cet effet le système de traction soit établi en sous-sol, au lieu de l’être à la surface, suivant l’exemple déjà donné par plusieurs villes françaises et étrangères. »12
22En 1905, l’Académie se mobilisa pour apporter son appui et son concours financier à la municipalité qui souhaitait acquérir la maison des Musiciens, une rare et célèbre maison du xiiie siècle ornée de cinq statues monumentales convoitées par un collectionneur étranger.
23Outre la protection du patrimoine, l’œuvre de mémoire impliquait la mise en valeur des gloires locales. L’Académie fit éclore en 1843 le projet d’une statue de Colbert et s’y associa jusqu’en 1860. Elle établit des inscriptions commémoratives de dom Jean Mabillon à Saint-Pierremont (1878), de Jean Gerson à Barby (1881), de Robert de Sorbon à Sorbon (1888), leurs villages de naissance, puis en 1891 de dom Thierry Ruinart et dom Guillaume Marlot à Saint-Remi de Reims. Trois érudits bénédictins et deux clercs associés à l’histoire de l’Université. En 1888, l’Académie a formé un comité et lancé une souscription publique pour doter la ville d’une statue équestre de Jeanne d’Arc, commandée à Paul Dubois, directeur de l’école des Beaux-Arts de Paris, inaugurée en grande pompe par le président Félix Faure le 15 juillet 1896, dans le prolongement de la fête nationale. Notons que l’Église de France célébrait cette année-là le XIVe centenaire du baptême de Clovis, auquel la République s’était bien gardée de s’associer. Mais le président est tout de même venu à Reims pour honorer une héroïne nationale moins compromettante…13
24Le dernier volet des activités de l’Académie et non des moindres, c’est la mise au concours chaque année depuis 1843 de questions d’économie politique, d’histoire, de sciences appliquées aux besoins locaux, de sujets littéraires en prose ou en vers ; elle a récompensé beaucoup de pièces rédigées sous son impulsion et elle a publié les plus remarquables de ces travaux, biographies, monographies tant de communes que de cantons entiers des départements de la Marne et des Ardennes. Malheureusement tout ce qui était resté manuscrit a péri dans l’incendie du palais du Tau le 19 septembre 1914. Ont été récompensées des inventions utiles pour l’irrigation et les engrais, les applications de l’électricité ou les préservatifs… contre la casse des bouteilles de vin de Champagne. Aujourd’hui, l’Académie décerne deux prix. Le prix Maurice Payard, fondé par un érudit solitaire, récompense une recherche historique menée selon les règles du travail universitaire par un chercheur indépendant. Le prix Hubert Claisse, en mémoire d’un bienfaiteur de la compagnie, distingue le travail d’un jeune chercheur, auteur d’une thèse ou d’un mémoire de master sur l’histoire ou l’histoire de l’art du pays rémois.
25Ainsi l’Académie reste-t-elle fidèle à la mission que lui ont assignée ses fondateurs et à sa devise, Servare et Augere, conserver et augmenter, conserver la mémoire, augmenter le savoir et le diffuser.
Bibliographie
Travaux de l’Académie de Reims, 1841-1991, 150e anniversaire, vol. 171, Reims, 1996.
Annales de l’Académie de Reims, vol. 1, Reims, 1843.
Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 89, Reims, 1892.
Annales de l’Académie de Reims, vol. 1, Reims, 1843.
Charles Loriquet, « Note sur l’Académie Nationale de Reims », Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 59, Reims, 1879.
Marc Neuville, « À propos de l’inauguration de la statue de Jeanne d’Arc sur la place du parvis de la cathédrale le 15 juillet 1896 », Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 171, Reims, 1996.
Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 76, Reims, 1886, p. 1-100 ; nouvelle édition vol. 85, Reims, 1891.
Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 82, Reims, 1890.
Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 88, Reims, 1892.
Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 102, Reims, 1900.
Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 122, Reims, 1910, 367 p. et vol. 146, Reims, 1933.
Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 89, Reims, 1892, p. 121-122.
Vœu de l’Académie de Reims en faveur de la conservation des monuments antiques, Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 75, Reims, 1885, p. 396-398.
Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 101, Reims, 1898, p. 43-44.
Notes de bas de page
1 Travaux de l’Académie de Reims, 1841-1991, 150e anniversaire, vol.171, Reims, 1996, p. 15-18 (Homélie de la messe pour le cardinal Gousset en l’église de Saint-Thomas, le 7 décembre 1991, par Mgr Jean Balland, archevêque de Reims).
2 Annales de l’Académie de Reims, vol. 1, Reims, 1843, p. 5 - 50 (documents relatifs à la fondation et première séance publique).
3 La Chronique de Champagne, publiant les articles historiques, n’a eu que deux ans d’existence (1837-1838) et quatre volumes.
4 « Nulle association de plus de vingt personnes, dont le but est de se réunir tous les jours ou certains jours marqués, pour s’occuper d’objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu’avec l’agrément du gouvernement et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité publique d’imposer à la société ».
5 Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 89, Reims, 1892, p. 104 et 108. Le secrétaire général propose une « revue des cinquante ans ».
6 Op. cit., p. 106.
7 Annales de l’Académie de Reims, vol. 1, Reims, 1843, p. 23- 28.
8 Charles Loriquet, « Note sur l’Académie Nationale de Reims », Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 59, Reims, 1879, p. 89-100.
9 « Communes rurales des trois cantons de Reims », Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 76, Reims, 1886, p.1-100 ; nouvelle édition vol. 85, Reims, 1891, p. 1-147. « Ville de Reims, monuments religieux », Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 82, Reims, 1890, p. 1-256. « Canton d’Ay », Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 88, Reims, 1892, 362 p., « Canton de Beine », Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 102, Reims, 1900, 393 p. « Canton de Bourgogne », Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 122, Reims, 1910, 367 p. et vol. 146, Reims, 1933, 353 p.
10 Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 89, Reims, 1892, p. 121-122.
11 Vœu de l’Académie de Reims en faveur de la conservation des monuments antiques, Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 75, Reims, 1885, p. 396-398.
12 Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 101, Reims, 1898, p. 43-44.
13 Marc Neuville, « A propos de l’inauguration de la statue de Jeanne d’Arc sur la place du parvis de la cathédrale le 15 juillet 1896 », Travaux de l’Académie Nationale de Reims, vol. 171, Reims, 1996, p. 97-104.
Auteur
Professeur d’histoire du Moyen Âge,
Université de Reims Champagne-Ardenne
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016