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Écrire l’histoire de Paris en réseau : les relations de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France avec les autres sociétés d’histoire parisiennes

p. 33-42

Résumé

La Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, première société savante exclusivement consacrée à l’étude de l’histoire de Paris et de sa région, se crée en 1874, en réaction aux bouleversements survenus dans la capitale sous l’ère haussmannienne et aux pertes irrémédiables causées au patrimoine documentaire parisien en 1871. Elle se donne pour mission de « publier des mémoires et des documents sur l’histoire, le langage, les monuments, la topographie de la ville de Paris et de l’Île de France ». Dans son sillage, apparaissent progressivement d’autres sociétés plus « locales » (« Le Vieux Montmartre » en 1886, « La Montagne Sainte-Geneviève et ses abords » en 1895, la Société historique du 6e arrondissent en 1898, « La Cité » en 1902, etc.). Comment ces diverses sociétés savantes s’articulent-elles et organisent-elles leurs relations ? Sur le mode de la complémentarité, de la concurrence, ou d’une certaine coexistence indifférente ? La multi-appartenance croisée de leurs membres et les bonnes relations personnelles ont constitué longtemps une réponse informelle à cette question. Mais, entre les deux guerres, la difficulté de continuer à faire vivre ces sociétés suscite l’idée de formaliser des liens plus étroits entre les sociétés d’histoire parisiennes. Toutefois, la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France ne peut mener à terme ce projet qu’elle ébauche dès les années 1930 et qui sera repris en 1949 par la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et Île de France. Cet article se propose de mettre en lumière cette histoire croisée des réseaux de sociabilité érudite liés à l’histoire parisienne et francilienne.


Texte intégral

1À Paris, l’espace savant est partagé entre des institutions de recherche prestigieuses, le plus souvent rattachées au monde académique, des sociétés savantes d’audience nationale, comme la Société de l’histoire de France, par exemple, et, plus spécifiquement en matière d’histoire et d’archéologie parisiennes, les sociétés érudites que sont la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France et les sociétés d’histoire d’arrondissements. Comment ces dernières se sont-elles articulées sur le plan local ? Ont-elles organisé leurs relations, et comment : sur le mode d’une certaine coexistence indifférente, ou bien sur celui de la concurrence, de la complémentarité, voire de la coopération ?

2La multi-appartenance croisée de leurs membres et les bonnes relations interpersonnelles ont longtemps constitué une réponse informelle à ces questions. Mais, entre les deux guerres, quand il devient difficile de faire vivre ces sociétés et d’attirer de nouveaux membres, se fait jour l’idée de resserrer les liens entre les sociétés d’histoire parisienne. Le principe d’une fédération s’ébauche à la veille de la Seconde Guerre mondiale, mais, pour diverses raisons, la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France ne peut mener à terme ce projet. Il sera finalement repris et formalisé en 1949 par la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et Île de France. Mon propos ici est de mettre en lumière cette histoire croisée des réseaux de sociabilité érudite liés à l’histoire parisienne et francilienne.

Une prise de conscience tardive

3Alors que la plupart des provinces françaises se découvrent très tôt une passion « antiquaire » et inventent l’histoire locale, Paris reste à l’écart du grand mouvement de création des sociétés savantes qui marque la fin du xviiie et la première moitié du xixe siècle1. D’autres provinces comparables à l’Île de France par l’étendue de leur territoire, l’importance de leur population et la richesse de leur passé se sont dotées très tôt de groupements savants – comme les Antiquaires de Normandie, créés en 1824, ceux de l’Ouest en 1834, ou ceux de Picardie en 1836, par exemple –, et souvent ceux-ci ont pris la suite de sociétés savantes créées antérieurement. Nombreuses aussi ont vu le jour dans les années 1860 des sociétés départementales, comme celles, par exemple, de Seine-et-Marne ou de la Drôme, qui correspondent pourtant à des ressorts géographiques et administratifs plus restreints. Rien de tel à Paris. Non point que la capitale manque d’illustres assemblées savantes, mais celles-ci sont d’envergure nationale et leur objet d’étude dépasse largement le cadre strict de Paris et de sa région, l’Île de France.

4La circulaire2 qui annonce, en 1874, la création de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France souligne d’ailleurs cette « exception unique », alors qu’il « n’est peut-être pas en France une seule province où n’existe une société savante consacrant à l’histoire locale une louable activité ». À quoi doit-on en attribuer la responsabilité ? Sans doute à « la connexion étroite de ses destinées avec celles du pays, en donnant à son histoire un intérêt général ». Les nombreux historiens de Paris ont donc confondu histoire nationale et histoire parisienne, d’autres se sont placés d’un point de vue spécial et n’ont pu embrasser « toutes les questions que comporte un si vaste sujet ».

5Cette situation intellectuelle fait en quelque sorte écho à la situation politique de la capitale. Paris se confond étroitement avec le siège du pouvoir politique national et de ses institutions et, à ce titre, la ville fait l’objet d’un statut administratif spécifique, différent de celui de n’importe quelle autre commune française. Depuis 1800, Paris est soumis au pouvoir partagé du préfet de la Seine et du préfet de police de la Seine, et n’aura pas de maire élu jusqu’à la loi du 31 décembre 1975, instituant un nouveau statut pour Paris en place en 1977.

6Paris a ainsi attendu l’année 1874 pour voir se créer sa première société savante, strictement dédiée à l’étude historique et archéologique de la capitale et de sa région3, 1874, une date qui n’est pas sans signification dans le contexte parisien.

7Des événements historiques majeurs ont en effet joué un rôle important dans cette situation : dans un passé récent, Paris a été le théâtre de transformations urbaines qui « ont rompu l’unité que notre ville avait encore au siècle dernier, rendu les diverses classes de populations plus étrangères les unes aux autres, et affaibli, avec le sentiment de la solidité et de la tradition, la curiosité du passé »4.

8Sont en cause l’agrandissement des limites de Paris, le 1er janvier 1860, avec l’annexion et la suppression des communes de la « petite » banlieue, entraînant le doublement du territoire parisien, l’augmentation de 55 % de sa population (de 1,1 M d’habitants à 1,7 M) et le passage de douze à vingt arrondissements municipaux5. Il faut aussi parler des bouleversements topographiques et urbanistiques très profonds, notamment dans le centre de Paris, apportés par l’haussmannisation de la capitale et les grands travaux qui ont profondément transformé le paysage parisien. Ce sont autant d’éléments perturbateurs qui ont brouillé l’image de Paris dans l’esprit des Parisiens et les ont détournés de leur passé. Enfin, un autre événement très traumatisant pour les Parisiens s’est produit en 1871 : il s’agit de la disparition des archives de la ville dans les incendies de la Semaine sanglante.

Les circonstances de la création de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France

9La Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France reçoit l’autorisation officielle de se réunir par arrêté du préfet de police de la Seine du 18 mai 18746, autorisation qui vient consacrer un état de fait, car son assemblée constitutive s’est réunie le 7 mai 1874, sous la présidence de Léopold Delisle, à l’École des chartes alors sise aux Archives nationales.

10Sur les circonstances précises de sa création, nous en savons plus par le témoignage plus tardif d’Auguste Longnon7, président de la Société en 1887. Selon lui, l’initiative en revient à lui-même qui, un soir de mars 1874, convoque une première réunion chez son collègue Gustave Fagniez, archiviste aux Archives nationales. Cette réunion rassemble sept personnes, quatre archivistes, tous en fonction aux Archives nationales, Gustave Fagniez8, Auguste Longnon9, Joseph de Laborde10 et Paul Viollet11, et « trois amis du dehors » (comme l’écrit Longnon) : Gabriel Monod12, alors directeur d’études à la IVe section de l’École pratique des hautes études et professeur à l’École alsacienne, Gaston Paris13, professeur de langue romane au Collège de France, et un savant plus âgé, Anatole de Barthélemy14, ancien sous-préfet devenu secrétaire de la Sous-Commission des monuments mégalithiques et de la Commission de topographie des Gaules.

11Ils jettent sur le papier un premier règlement provisoire de société d’histoire et d’archéologie parisienne, en parlent autour d’eux et, très vite, l’idée fait son chemin à la Bibliothèque nationale, à la Bibliothèque de la Ville de Paris et aux Archives nationales. Bientôt le projet fédère une quarantaine de personnes, au rang desquels on compte Léopold Pannier15, employé au Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, Jules Cousin16, directeur de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris qu’il a d’ailleurs contribué à reconstituer, après les incendies de 1871, en offrant à la Ville de Paris ses collections personnelles, Arthur Giry17, alors archiviste aux Archives nationales et qui sera, dix ans plus tard, titulaire de la chaire de diplomatique à l’École des chartes (1884), Robert de Lasteyrie18 et Jules Guiffrey19, tous deux également archivistes aux Archives nationales (J. Guiffrey sera plus tard administrateur de la Manufacture de Sèvres). Pour se conforter, la Société naissante offre sa présidence à une personnalité érudite de renom, Léopold Delisle20, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres depuis 1857 et membre par ailleurs de nombreuses sociétés savantes, et qui, en cette même année, le 10 septembre 1874, sera nommé administrateur général de la Bibliothèque nationale.

12L’assemblée du 7 mai 1874 voit la fondation formelle de la Société. Malheureusement, on n’a pas la liste des personnes présentes lors de cette première assemblée générale, mais la Société compte alors, semble-t-il, 236 membres. Elle en comptera 304 au 1er août 1874, et 364 au 1er janvier 1875, ce qui témoigne d’une belle vitalité et d’un dynamisme enviable (les adhésions s’accroissent de plus de 35 % en sept mois).

Les missions de la Société de l’histoire de Paris

13Lors de l’assemblée du 7 mai 1874, Léopold Delisle précise les objectifs de la nouvelle société. Elle n’a pas pour but d’écrire une histoire générale de Paris, « œuvre déjà tentée bien des fois et qui […] reste encore à accomplir, sans doute moins par l’insuffisance des historiens qui l’ont entreprise, que par la rareté et l’imperfection des matériaux dont ils se sont servis »21.

14Pourtant, constate-t-il, les sources ne font pas défaut : malgré les incendies de 1871 et la perte des archives de l’Hôtel de ville, qui, en 1874 encore, sont un souvenir très prégnant, « peu de villes ont conservé un ensemble de documents comparables par leur date et leur abondance à ceux qu’on peut rassembler sur l’histoire de Paris, non plus, hélas, dans nos archives municipales, mais dans les archives et dans les bibliothèques de l’État, et aussi dans les cabinets des amateurs »22.

15La mission de la nouvelle société sera donc de rechercher et de mettre en lumière ces documents, « soit en les publiant quand le texte est digne de cet honneur, soit en les employant à la composition de mémoires sur […] tout ce qui constitue l’histoire d’une ville, sur tout ce qui peut piquer la curiosité des citoyens éclairés »23.

16En conséquence, la Société envisage la publication d’une collection de documents « qui mettra à portée de tous les travailleurs des trésors inestimables, et préservera à jamais ces richesses de toutes les chances de destruction qui peuvent nous les ravir »24.

17La Société de l’histoire de Paris s’assigne donc comme mission fondamentale de rechercher les documents authentiques, de première main, concernant l’histoire parisienne, partout où ils se trouvent, dans les établissements publics et chez les particuliers, et de les livrer au public par la publication ou par des études érudites. Il s’agit de montrer à l’administration « qu’un grand nombre de Parisiens tiennent à étudier les annales et les monuments de Paris ailleurs que dans des récits ou des tableaux légers et romanesques ». Ce retour aux sources premières hautement revendiqué dès l’origine de la société traduit le poids des archivistes qui sont nombreux parmi ses membres.

18Elle milite pour une histoire globale prenant en compte tous les aspects de la vie parisienne : topographie, monuments, arts, institutions, événements, anciens usages, « en un mot tout ce qui constitue l’histoire d’une ville25 ». Néanmoins, par l’article 1er des statuts, elle s’interdit la politique ou l’histoire contemporaine. Enfin, bien que la capitale puisse à elle seule suffire à satisfaire ses curiosités, la Société intègre dans son champ d’études « tout le territoire géographique qui a Paris pour centre, en d’autres termes l’Île de France ».

19Mais elle ne se veut pas une assemblée de seuls spécialistes érudits et s’ouvre plus largement :

« Nous comptons aussi sur le concours de tous les hommes de goût, de science et de bonne volonté. »

Et les autres sociétés d’histoire parisienne ?

20La création à Paris d’une société savante spécialement consacrée à l’histoire parisienne et l’activité qu’elle ne tarde pas à déployer suscitent bientôt plus largement dans l’opinion la prise de conscience qu’il est temps de sauvegarder ce qui subsiste encore du vieux Paris et de son héritage historique.

21Dans son discours à l’assemblée générale de 1887, le président sortant, Charles Tranchant, fait un tour d’horizon des groupes qui se consacrent déjà à l’histoire et à l’archéologie du territoire parisien.

22Il rappelle les Commissions historiques municipales, mises en place dès la fin du Second Empire, « au moment où une brillante rénovation faisait disparaître bien des vestiges du passé » : la Commission des travaux historiques, créée par le préfet Haussmann pour la publication de recueils de sources et d’ouvrages fondamentaux sur l’histoire de Paris, la Commission des inscriptions parisiennes, ainsi que la création du musée de l’hôtel Carnavalet… Il cite d’autres organismes, comme le Comité d’histoire et d’archéologie du diocèse de Paris, fondé en 1881 par le cardinal Guibert, archevêque de Paris, et composé de cinquante membres titulaires nommés par l’archevêché, mais dont les travaux semblent au point mort en 1887.

23Il salue également l’existence de la Société des amis des monuments parisiens26, « vaillante pléiade qu’on trouve toujours sur la brèche quand il s’agit de défendre les débris du Paris d’autrefois ».

24Au fil des années qui suivent, on constate une certaine émulation qui conduit à la création de sociétés historiques plus « locales », en lien avec un arrondissement ou un territoire historique parisien.

25Paradoxalement, les deux premières sociétés locales créées à Paris concernent des territoires périphériques, des « anciens villages » annexés à Paris en 1860. Si, dans son discours de 1887, Ch. Tranchant ne peut citer que la Société historique et archéologique du 18e arrondissement, dite « Le Vieux Montmartre », qui vient juste d’être créée l’année précédente par un groupe d’artistes, le mouvement ne va pas tarder à s’amplifier. La Société historique d’Auteuil et de Passy est fondée en 1892 par des personnalités du 16e arrondissement.

26Puis deux arrondissements anciens de la rive gauche se dotent eux aussi d’une société d’histoire : en 1895, le Quartier latin avec le Comité d’études historiques, archéologiques et artistiques des 5e et 13e arrondissements, dit « La Montagne Sainte-Geneviève et ses abords », créé par l’archiviste paléographe et avocat, Jules Périn, puis, en 1898, la Société historique du 6e arrondissement.

27Ensuite, les créations s’enchaînent. En 1899, est fondée la Société historique et archéologique du 8e arrondissement qui s’adjoint le 17e arrondissement en 1904 ; et, en cette même année 1899, la Société historique et archéologique des 11e, 12e et 20e arrondissements, dit « Le Faubourg Saint-Antoine », qui périclitera assez rapidement. En 1902, c’est « La Cité », Société historique et archéologique d’abord du 4e arrondissement, qui s’étend ensuite aux 3e, 11e et 12e arrondissements. En 1906, est créée la Société historique et archéologique du 7e arrondissement. Puis, en novembre 1913, la Société historique et archéologique des 1er, 2e et 10e arrondissements, dite « Le Centre de Paris ».

28Des institutions témoignent également d’une prise de conscience patrimoniale par les autorités parisiennes en cette fin du xixe siècle. Il faut citer la Commission du Vieux Paris, instituée le 18 décembre 1897 à l’initiative d’Alfred Lamouroux, conseiller municipal du quartier des Halles (1er arrondissement) et par ailleurs membre de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France de 1877 à sa mort en 1900 (il y est même membre du conseil et vice-président en 1897), et qui appartient aussi à la Société des amis des monuments parisiens de 1885 à sa mort (membre du comité de 1886 à 1897). Présidée par le Préfet de la Seine et formée de représentants du pouvoir municipal et d’intervenants extérieurs, cette commission municipale est chargée d’examiner les demandes de démolition et d’alerter les instances municipales sur les pertes qui pourraient en résulter au préjudice du patrimoine historique de la ville. Les liens entre la Commission du Vieux Paris et les sociétés d’histoire parisiennes sont à cette époque assez étroits, permettant des échanges, et plusieurs membres de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France vont siéger dans cette instance : outre A. Lamouroux, on peut citer le peintre, illustrateur et conservateur du musée Carnavalet, Georges Cain, nommé en 1897 et membre de plusieurs sociétés d’histoire parisienne27, ou le conseiller municipal Fortuné d’Andigné, nommé à la Commission du Vieux Paris en 1907 et membre de la Société de l’histoire de Paris de 1910 à sa mort en 193528.

29Ce mouvement en faveur d’une conscience patrimoniale du Vieux Paris se poursuivra bien au-delà de la Première Guerre mondiale, particulièrement dans les « nouveaux arrondissements » de 1860, jusqu’à la dernière-née à ce jour, l’Association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris, créée en 1991.

Quels liens entre ces diverses sociétés savantes ?

30La Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France suit avec attention la création de ces sociétés locales.

« Nous ne sommes pas les seuls à défricher le sol auquel nous nous sommes attachés. […] Il est de notre devoir de nous tenir étroitement au courant des travaux accomplis par les réunions qui ont pour but de leurs études des parties plus ou moins étendues de notre territoire. »29

31Peu à peu, des relations s’établissent entre elle et les sociétés d’histoire locale, pas seulement parisiennes d’ailleurs, car, dans de nombreuses parties de l’Île de France, existent des sociétés très actives, souvent plus anciennement qu’à Paris30.

32Ces liens peuvent prendre une forme officielle, normalisée, sous la forme d’échanges de correspondances et de publications ; ainsi, en 1887 déjà, treize sociétés d’histoire franciliennes sont « correspondantes » de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France.

33Mais ils peuvent aussi exister sur un mode plus informel, par le biais de leurs membres qui pratiquent souvent la sociabilité érudite large et la multi-appartenance. Ainsi, pour donner quelques exemples, Jules Perrin du Lac (c. 1825-1909), membre de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France (1877-1909), est président de la Société historique de Compiègne. L’ingénieur des chemins de fer Charles Sellier31, membre de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France et de la Société des amis des monuments parisiens, figure parmi les fondateurs du « Vieux Montmartre » en 1886. Georges Hartmann32, membre de la Commission du Vieux Paris de 1912 à 1940 (vice-président), appartient à la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France de 1891 à 1940 (et en est président en 1921) et il est membre fondateur et président de la Société d’histoire et d’archéologie des 3e, 4e et 11arrondissements. Enfin, la famille Chodron de Courcel, très impliquée dans la Société historique et archéologique de l’Essonne et du Hurepoix, est régulièrement représentée sur les listes des membres de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, particulièrement à travers les personnes des trois frères Alphonse, Valentin et George Chodron de Courcel.

34Certains membres ont eux-mêmes un palmarès personnel impressionnant. L’un des champions est sans doute l’avocat (et archiviste paléographe) Jules Périn (né à Arras en 1834-mort à Paris 1900), membre de la Commission du Vieux Paris et de très nombreuses sociétés savantes : Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen, Société des antiquaires de Normandie, Académie des sciences, lettres et arts d’Arras, Société des antiquaires de Picardie, Société académique des antiquaires de la Morinie, Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France (1876-1900), Société des amis des monuments parisiens (1894-1900, membre du comité, 1896-1900), La Montagne Sainte-Geneviève et ses abords (membre fondateur et premier président, 1895-1900), Le Vieux Montmartre (1896), Société historique du 6e arrondissement (membre fondateur, 1898-1900 ; président en 1900), Commission des antiquités et des arts du département de Seine-et-Oise, Société historique et archéologique de l’Essonne et du Hurepoix, Société historique et archéologique du Gâtinais.

La tentation d’une fédération

35Pour la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France comme pour beaucoup d’autres sociétés savantes, les années 1874-1914 représentent incontestablement un « âge d’or ». Forte de ses 360 adhérents de la première heure, dont le nombre se maintient bon an mal an, elle se réunit et publie avec régularité.

36La Première Guerre mondiale lui porte un coup d’arrêt brutal et durable, parce que, quarante ans après sa création, la génération des fondateurs de 1874 a avancé en âge et commence à disparaître, et surtout parce que la saignée de la Grande Guerre empêche une nouvelle génération de venir prendre leur relais. Ses effectifs faiblissent, elle a du mal à publier régulièrement33. Pour recruter, elle ouvre ses portes à des membres nouveaux qui ne sont plus des « savants » comme en 1874, mais des « amateurs » d’histoire parisienne (notamment, à partir des années 1920, où elle accueille les femmes en nombre bien plus important qu’auparavant).

37Devant ces difficultés, que rencontrent toutes les sociétés savantes, l’heure semble être venue de resserrer les liens. Lors de l’assemblée générale de 1922, le président Hartmann s’exprime ainsi :

« L’histoire de Paris offre un champ si vaste de recherche qu’il y a place utile pour ces groupes d’études partielles auprès du nôtre, qui embrasse l’ensemble. Ces sociétés historiques d’arrondissements parisiens, comme celles de quelques régions d’Île de France, se rattachent d’ailleurs par certains liens à la nôtre ; elles sont nos correspondantes et elles sont représentées parmi nous par un certain nombre de leurs membres. […] En définitive, dans tous les groupements où l’on s’occupe d’études historiques sur Paris et ses environs, se manifeste l’influence de notre Société, sans qu’elle ait cherché à la faire prévaloir, et ce par la présence de ses membres dans ces groupements et avec la documentation de nos publications consultées par tous. Mais, dans ces groupements, il y a des efforts dispersés, des doubles emplois dans les travaux ; une méthode d’ensemble devrait être établie entre tous. »

38Il évoque Jules Guiffrey, deux fois président de la Société en 1894 et 1910, qui avait eu l’idée de réunir toutes les sociétés s’occupant d’études historiques sur Paris, « dans le but, disait-il, de resserrer au profit de l’histoire de Paris les liens naturels existant entre ces sociétés34 ». Deux congrès se tinrent sous sa présidence, en 1913 et 1914, qui aboutirent à l’élaboration d’un répertoire général des travaux publiés par toutes les sociétés depuis leur fondation, « composé et imprimé par les soins des bibliothécaires de la ville ».

39En mai 1924, le 50e anniversaire de la création de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France semble fournir l’occasion de réactiver ces projets. Est donc réuni, en 1924, le 3e congrès des Sociétés d’histoire et d’archéologie de Paris et de l’Île de France, avec le soutien d’une subvention de 3 000 francs du Conseil de Paris35, dont le procès-verbal est publié par le secrétaire de la Société, Paul Jarry36.

40Mais, dans les années suivantes, la collaboration se réduit à l’organisation de visites conjointes avec d’autres sociétés parisiennes, comme celle du musée de l’Armée, en 1926, avec la Société d’histoire du 7e arrondissement37.

41En 1929, on voit apparaître dans les comptes financiers de la Société une mention nouvelle, celle d’une cotisation à « la Fédération des sociétés »38. Il s’agit de la « Fédération des sociétés savantes qu’André Lesort préside avec autorité et entrain39 ». Ainsi donc, le projet de fédération dont la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France avait eu peu d’années auparavant l’idée, lui a échappé ; il a été repris par André Lesort40, qui vient de succéder à Marius Barroux à la tête des Archives du département de la Seine et de la ville de Paris41. En 1930, le président de la Société de l’histoire de Paris fait le constat que plus de quatre-vingt-dix membres de la société ont participé aux trois réunions de la Fédération, à Senlis, le 20 juin 1929, à Paris, le 23 janvier 1930, et à Montereau, le 8 mai 1930. Quelques années plus tard, Léon Mirot, qui appartient à la fois à la Société de l’histoire de Paris et à la Fédération, exprime devant la société « le désir de voir créer un bulletin de la Fédération des Sociétés historiques de l’Île-de-France, qui mettrait à l’étude des questions générales intéressant notre région, sans s’occuper de l’histoire proprement dite, réservée aux Sociétés locales »42.

42La Seconde Guerre mondiale va à nouveau interrompre ces initiatives, et il faudra attendre 1949 pour voir se reconstituer une Fédération des sociétés historiques et archéologiques d’Île de France, cette fois définitivement hors de la sphère d’influence de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France.

Bibliographie

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Bourillon Florence et Fourcaud Annie (dir.), Agrandir Paris : 1860-1970, Paris, Publications de la Sorbonne-Comité d’histoire de la Ville de Paris, 2012.

Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, 1874 à 1940-1941, en ligne sur Gallica.

Chaline Jean-Pierre, Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, Coll. Format 31, 1989.

Fiori Ruth, « De l’histoire de la ville à la sauvegarde du patrimoine parisien : le rôle de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France et des Amis des monuments français à la fin du xixe siècle », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, 2006, p. 81-112.

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Parsis-Barubé Odile, La province antiquaire. L’invention de l’histoire locale en France (1800-1870), Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, Coll. CTHS Histoire 45, 2011.

Roche Daniel, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1689-1789, Paris-La Haye, Mouton, 1978.

Troisième Congrès des sociétés d’histoire de Paris et de l’Île-de-France. Publication du cinquantenaire de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, Lille, Impr. Lefebvre-Ducrocq ; Paris, Ed. Champion, libraire de la Société de l’histoire de Paris, 1924.

Notes de bas de page

1  D. Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1689-1789 ; J.-P. Chaline, Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France ; O. Parsis-Barubé, La province antiquaire. L’invention de l’histoire locale en France (1800-1870).

2 Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, 1874, p. 15-16.

3  À l’exception toutefois de la très éphémère Société parisienne d’archéologie et d’histoire, créée le 7 mars 1865 par l’architecte et archéologue Louis Leguay, mais dont le bulletin s’est arrêté au premier numéro.

4 Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, 1874, p. 15.

5  F. Bourillon et A. Fourcaud (dir.), Agrandir Paris : 1860-1970.

6  Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile de France, 1874, séance du 19 mai 1874, p. 19.

7  Ibid., 1888, assemblée générale du 8 mai 1888, p. 65-66.

8  Gustave Fagniez (1842-1927), membre, 1874-1927 ; membre du conseil d’administration, 1874-1927 ; secrétaire-adjoint, 1875-1880 ; vice-président en 1895 ; président en 1896. Les informations données ci-après relativement aux membres de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, à leurs responsabilités au sein de la Société et à leurs diverses appartenances à d’autres sociétés savantes sont extraites de la base de données du CTHS, « La France savante », accessible sur le site www.cths.fr.

9  Auguste Longnon (1844-1911), membre, 1874-1911 ; membre du conseil d’administration, 1874-1911 ; directeur du comité de publication des Mémoires ; vice-président en 1886 ; président en 1887 ; membre perpétuel.

10  Joseph de Laborde (1840-1916), membre, 1874-1927 ; membre du conseil d’administration, 1874-1927 ; membre du comité de publication, 1874-1880 ; secrétaire-adjoint, 1875-1880 ; vice-président, 1895 ; président, 1896.

11 Paul Viollet (1840-1914), membre, 1874-1914 ; membre du conseil d’administration, 1874-1914 ; secrétaire-archiviste en 1874-1903 ; membre perpétuel.

12  Gabriel Monod (1844-1912), membre, 1874-1893 ; membre du conseil d’administration, 1874-1883 ; membre du comité de publication.

13  Gaston Paris (1839-1903), membre, 1874-1903.

14  Anatole de Barthelémy (1821-1904), membre, 1874-1904 ; membre du conseil d’administration ; membre du comité de publication ; président en 1889.

15  Léopold Pannier (1842-1875), membre, 1874-1875 ; membre du conseil d’administration, 1874-1875 ; secrétaire-adjoint en 1875 ; membre perpétuel.

16  Jules Cousin (1830-1899), membre, 1874-1899 ; membre du conseil d’administration ; membre du comité de publication ; vice-président en 1881 ; président en 1882.

17  Arthur Giry (1848-1899), membre, 1874-1899 ; membre du conseil d’administration ; secrétaire adjoint en 1874.

18  Robert de Lasteyrie (1849-1921), membre, 1874-1921 ; membre du conseil d’administration ; membre du comité de publication ; vice-président en 1890 ; président en 1891.

19  Jules Guiffrey (1840-1918), membre, 1874-1918 ; vice-président en 1893 ; président en 1894 et 1910 ; membre perpétuel.

20  Léopold Delisle (1826-1910), membre, 1874-1910 ; membre du conseil d’administration ; vice-président en 1880 ; président en 1874 et 1881.

21 Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, 1874, p. 17.

22 Ibid.

23 Ibid.

24 Ibid, p. 16.

25  Ibid, p. 15-16.

26  Sur la Société des amis des monuments parisiens, R. Fiori, L’invention du Vieux Paris. Naissance d’une conscience patrimoniale dans la capitale ; sur ses relations avec la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, R. Fiori, « De l’histoire de la ville à la sauvegarde du patrimoine parisien : le rôle de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France et des Amis des monuments français à la fin du xixe siècle ».

27  Georges Cain (1856-1919), membre de la Commission du Vieux Paris (1897-1914), de la Société d’histoire et d’archéologie des 3e, 4e et 11e arrondissements de Paris (à partir de 1901), de la Société d’iconographie parisienne (1908), de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France (1903-1919) et de la Société des amis des monuments parisiens (1886-1900 ; membre du comité en 1900) ; il est conservateur et directeur du musée Carnavalet de 1897 à 1914.

28 Fortuné d’Andigné (1868-1935), conseiller municipal de Paris (16e arr., quartier de la Muette, 1904-1935), membre de la Commission du Vieux Paris (nommé en 1907, vice-président en 1925) et de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France (1910-1935 ; membre du conseil d’administration à partir de 1920).

29 Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, année 1887, assemblée générale du 10 mai 1887, p. 77.

30  Par exemple, Société académique de Saint-Quentin (1825), Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise (1834), Société archéologique de Rambouillet (1836), Société académique d’archéologie, sciences et arts du département de l’Oise (1841), Société académique de Laon (1850), Société archéologique, historique et scientifique de Soissons (1850), Comité historique et archéologique de Noyon (1856), Société d’archéologie, sciences et arts de Seine-et-Marne, à Melun (1864), Société historique de Compiègne (1868), Société historique et archéologique de l’arrondissement de Pontoise et du Vexin (1877), Société historique et archéologique du Gâtinais, à Fontainebleau (1884).

31  Charles Sellier (1844-1912), membre de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France (1885-1912, membre du conseil d’administration) et de la Société des amis des monuments parisiens (1885-1900, membre du comité, 1888-1900), est membre fondateur et premier président du Vieux Montmartre (1886), membre de la Commission du Vieux Paris (1897-1912), de la Société centrale des architectes français (en 1893), de la Société d’histoire et d’archéologie des 3e, 4e et 11e arrondissements de Paris (en 1901).

32  Georges Hartmann (1847-1940), membre de la Commission du Vieux Paris (1912-1940 ; vice-président), de la Société d’histoire et d’archéologie des 3e, 4e et 11e arrondissements de Paris (membre fondateur ; président) et de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France (1891-1940 ; vice-président en 1920 et président en 1921).

33  Notamment la série des Mémoires, publiés à partir de 1875 avec régularité jusqu’en 1919, s’interrompt puis reprend irrégulièrement de 1924 à 1930, date à laquelle elle cesse définitivement. De même, les Bulletins postérieurs à 1914 témoignent par leur faible nombre de pages du ralentissement des activités de la Société. Actuellement (en 2015), les volumes du Bulletin des années 1874 à 1940-1941, ainsi que la table des années 1904-1933, et ceux de Mémoires des années 1875 à 1911 sont accessibles en ligne sur Gallica. Un accord conclu avec Gallica en 2012 permettra de numériser et de mettre en ligne dans un délai prochain l’ensemble des publications de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France.

34  Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile de France, 1922, p. 44-45.

35  Ibid., 1923, p. 35 ; ibid., 1924, p. 31, 34, 66, 72.

36  Troisième Congrès des sociétés d’histoire de Paris et de l’Ile-de-France. Publication du cinquantenaire de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France.

37 Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, 1926, p. 26.

38  Ibid., 1929, p. 65, et 1933, p. 59.

39  Ibid., 1930, p. 15, et 1931, p. 66.

40  André Lesort (1876-1960), membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (élu en 1955) et du Comité des travaux historiques et scientifiques, est membre de la Commission du Vieux Paris (1929) et de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France (1936-au moins 1941 ; vice-président en 1936, 1940). Membre fondateur de la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et Île de France, il appartient également à l’Académie de Versailles, des Yvelines et de l’Île de France, à la Société historique et archéologique de Pontoise, du Val-d’Oise et du Vexin (président) et au Vieux papier, Société pour l’étude de la vie quotidienne à travers les documents ; pour sa nécrologie, Marcel Baudot, « André Lesort ».

41  Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, 1930, p. 15.

42  Ibid., 1940-1941, p. 8.

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