Réseaux et identité chez les Colombiens en France : un vécu transculturel
p. 217-224
Résumé
Selon les chiffres du ministère des affaires étrangères de la Colombie, 4,7 millions de Colombiens se trouvent à l’étranger. En France, plus ou moins quatorze mille sont enregistrés au consulat. Certaines études calculent un nombre de soixante mille, voire soixante-dix mille. Étant donné que ces chiffres sont considérables, et qu’il s’avère que le changement de contexte social se répercute sur l’identité des individus, cet article porte sur le développement d’appartenances collectives chez les Colombiens résidant en France. L’étude présente tout d’abord des stratégies menées par les ressortissants colombiens pour préserver l’identité nationale et la réponse de la communauté colombienne à ce sujet. Elle traite ensuite sur le rapport des Colombiens à d’autres communautés au cœur desquelles ils développent des appartenances. Enfin, vient une réflexion sur les appartenances multiples basée sur la notion de transculturation de Tzvetan Todorov.
Texte intégral
1Selon les chiffres du Ministère des affaires étrangères de la Colombie, il y a actuellement 4,7 millions de Colombiens résidant à l’étranger, ce qui représente 10 % de la population. Selon le gouvernement, la première cause d’émigration est la recherche d’emploi. La deuxième cause est le regroupement familial. La troisième cause serait la formation supérieure. Des Colombiens ont également quitté leur pays à cause des conflits internes. La migration peut donc avoir des raisons économiques, sociales, culturelles ou politiques.
2Déterminer le nombre de migrants colombiens en France est difficile. Au début de l’année 2014, un peu plus de 14 000 étaient inscrits au consulat de Colombie à Paris, selon les chiffres de l’ancien consul, Daniel García-Peña Jaramillo. Le nombre est sans doute beaucoup plus important si l’on tient compte des personnes qui n’ont pas de papiers et de celles non encore inscrites au consulat. La sociologue Anne Gincel parle de soixante mille, voire de soixante-dix mille personnes1.
3Étant donné que le changement de contexte social produit des changements dans l’identité des individus, la question sur l’acquisition de sentiments d’appartenance collective chez les Colombiens résidant en France se pose. En premier lieu, cet article présente quelques stratégies destinées à préserver l’identité nationale des Colombiens qui se trouvent en France et leurs réponses à ces stratégies. Ensuite vient l’analyse de la manière dont un certain nombre de Colombiens pourrait développer d’autres appartenances à travers de réseaux sociaux. Il sera possible enfin de faire une synthèse sur le profil identitaire et le sentiment d’appartenance de cette population.
Les Colombiens en France et leur identité nationale
4En France, les Colombiens ont des points de rencontre mettant en valeur leur culture. Quelques-uns existent grâce au programme Colombia Nos Une2, créé en 2003 et développé par un groupe interne du Ministère des affaires étrangères de la Colombie. L’objectif du programme est essentiellement d’établir des liens entre l’État et ses citoyens expatriés et entre les Colombiens qui se trouvent à l’étranger, afin de préserver l’identité nationale et de promouvoir le retour.
5Colombia Nos Une est un programme global qui veut relier les Colombiens dans le monde. Pour ce faire, le réseau se tisse sur trois niveaux. Tout d’abord, il cherche à mettre en relation la communauté colombienne qui se trouve sur un même territoire ; puis, il veut rétablir et renforcer les liens entre la population migrante et le pays ; enfin, il crée une connexion entre les Colombiens dispersés de par le monde grâce aux bulletins informatifs sur les activités consulaires dans les différents pays.
6Un des axes de travail du programme se charge de promouvoir la communauté colombienne à l’étranger pour augmenter le capital social, aidant ainsi au progrès du pays et de la communauté. Les consulats sont chargés de mettre en place des stratégies, en promouvant, par exemple, des équipes de travail. C’est de cette manière que l’on peut rejoindre le réseau. Une des stratégies cible la communauté colombienne travaillant dans le domaine de l’art et de la culture. Étant donné le nombre non négligeable de jeunes artistes colombiens présents sur le territoire français, le consulat à Paris a ouvert un concours d’arts visuels. Selon l’ex-consul García-Peña Jaramillo, plus de 80 artistes se sont présentés aux concours en deux ans. Les dossiers permettent de découvrir que certains parmi eux, malgré l’éloignement, travaillent sur des sujets en rapport avec leur pays d’origine comme le paysage, la mémoire collective et la violence.
7Des professionnels colombiens de l’art et de la culture ont rejoint le projet en tant que membres d’un comité de sélection et d’évaluation des travaux. Quelques-uns parmi eux ne se connaissaient pas avant d’entrer dans le réseau ; il en va de même avec les artistes. Grâce à sa dimension participative, le projet a réussi à attirer des personnes qui se trouvaient pratiquement isolées de la communauté colombienne en France et de l’État. L’un des participants au programme déclare :
« J’ai toujours eu des liens avec la Colombie surtout pour des raisons affectives, car ma famille est là-bas. En revanche, avant d’entrer dans le réseau, le seul lien que j’entretenais avec l’État colombien était le vote. C’était la seule raison pour laquelle j’allais au consulat […] Entrer dans le réseau est bénéfique ; ça aide à entretenir le sentiment d’appartenance nationale, et je découvre le grand potentiel des Colombiens en France. »
8Au cours des dernières années, le consulat a fait des efforts pour promouvoir les arts et les lettres du pays. Il organise des entretiens avec des personnalités colombiennes célèbres sur le plan national ou international. Plusieurs écrivains ont présenté de nouveaux livres publiés en espagnol ou en français ; il y a eu des concerts et des entretiens avec des artistes. Lors d’un entretien avec un peintre connu, l’assistance a eu l’occasion de discuter sur le problème du racisme en Colombie. Il faut dire que, malheureusement, les problèmes d’exclusion et d’inégalité sociale sont ancrés dans la société colombienne, et que les polarisations – entre les « bons » et les « mauvais », le « proche » et le « lointain » par exemple – créent des barrières qui empêchent que les individus se rapprochent les uns des autres.
9L’objectif de ces événements consulaires est de tenir la communauté colombienne au courant des dernières nouvelles du pays. Ces événements sont ouverts aussi au public français et il est important de souligner que des invités français sont venus transmettre leurs connaissances sur la Colombie.
10Le consulat réunit aussi la communauté colombienne à l’occasion de la fête de Noël. Les festivités de Noël en Colombie sont un ensemble de pratiques aussi bien religieuses que culturelles, héritage de la colonisation. Les Colombiens tiennent beaucoup à célébrer ces festivités. Par conséquent, le consulat compte sur une assistance nombreuse. D’autres points de rencontre sont mis en place par des associations.
11Le consulat s’intéresse aussi aux associations et a mis à la disposition de la communauté un annuaire afin de stimuler la rencontre et la coopération. Parmi les associations, certaines s’efforcent de promouvoir la culture colombienne et participent à la réflexion sur le conflit interne que la Colombie subit depuis plus de cinquante ans. Plusieurs associations qui opèrent dans le domaine de l’humanitaire développent des projets au pays.
12Un tournoi de football organisé par une association rassemble un grand nombre de personnes. Il faut souligner que le football est un élément important de cohésion chez les Colombiens et qu’il mobilise les foules. La communauté colombienne en France demeure passionnée et soutient un tournoi annuel au Parc de Vincennes à Paris. Des enfants et des adultes y participent. C’est l’occasion de déguster des plats traditionnels de la gastronomie colombienne.
13Une autre association organise la fête nationale de la Colombie à Paris. Elle a lieu depuis 25 ans et attire un grand nombre de Colombiens. Elle dure toute une journée et permet d’apprécier les expressions de la culture colombienne comme la gastronomie, les danses, les costumes traditionnels et les rythmes régionaux.
14Ces différentes activités, consulaires et associatives, sont la manifestation d’une identité nationale et l’expression du sentiment d’appartenance nationale de la communauté colombienne. Une partie de la communauté s’intéresse aux arts et aux lettres, et assiste aux entretiens programmés par le consulat. Elle veut rester au courant des nouvelles du pays sur le plan politique, social, économique et culturel, et profite des opportunités pour se réunir et discuter avec un vif intérêt sur des sujets comme le racisme et la paix en Colombie. C’est l’expression d’un sentiment d’appartenance. À travers le développement des projets associatifs consulaires, la communauté colombienne se sent soutenue et prise en compte par l’État colombien et en éprouve de la reconnaissance.
15Les festivités organisées par les associations rassemblent un nombre considérable de Colombiens qui profitent pleinement de ces moments. Elles permettent de maintenir vivantes les traditions artistiques, religieuses, musicales et culinaires. La réceptivité et l’intérêt prouvent que, malgré les années passées en France, ces Colombiens n’oublient pas leurs racines et s’intéressent à entretenir les liens avec le pays.
Le développement d’autres appartenances
16Néanmoins, certains centres d’intérêt de la communauté colombienne en France révèlent que celle-ci n’agit pas guidée exclusivement par son sentiment d’appartenance nationale. Tel est le cas des artistes, des professionnels de la culture et des associations. Les Colombiens impliqués dans le domaine des arts, par exemple, font preuve d’une expérience transculturelle. L’œuvre de quelques artistes révèle un intérêt pour la notion d’identité à des différents niveaux : familial, national et planétaire. À la question posée sur le rôle que joue leur identité colombienne dans leur processus créatif, les artistes ont répondu en soulignant le caractère évolutif de l’identité. Quelques-uns ont exprimé leur intérêt pour des sujets comme les influences culturelles et le dialogue avec « l’Autre », cet « Autre » impliqué dans la construction de leur identité et sans lequel ils ne seraient pas ce qu’ils sont maintenant. Cet « Autre » représente, affirment quelques-uns, la société française et les Latino-Américains. Certains artistes n’hésitent pas à se reconnaître au sein d’une grande communauté latino-américaine.
17Les Colombiens intéressés par les arts et la culture extériorisent un désir de faire dialoguer leurs environnements : la Colombie avec le reste de l’Amérique latine ; la Colombie et l’Europe ; l’Amérique latine et l’Europe. Une professionnelle colombienne affirme qu’elle a été attirée par la France à cause de sa richesse artistique. Elle s’est donnée comme objectif l’étude des rapports culturels entre l’Amérique latine et l’Europe, souhaitant développer un champ de vue élargi, cela en raison des racines qu’il faut chercher sur le Vieux Continent lors de l’étude de l’art latino-américain, ainsi que de tout ce que les pays de l’Amérique latine partagent du point de vue historique et artistique.
18Cette partie de la communauté colombienne est dans une dynamique d’intégration dans la société française et s’intéresse à la pensée européenne. Les artistes développent d’autres filiations, impliqués à fond dans des projets en rapport avec leur environnement actuel. Certains d’entre eux font partie de collectifs d’artistes parmi lesquels il ne se trouve aucun autre Colombien, et cela non pas de manière préméditée, mais spontanée : « Les choses se sont présentées comme ça », raconte une artiste appartenant à l’un de ces groupes. D’autres, alors qu’ils travaillent sur la mémoire collective du peuple colombien, ont aussi des travaux sur la mémoire collective française et européenne, sur le souvenir et les traces laissées par les guerres mondiales, en admirant la manière dont la France et les pays européens respectent la Mémoire afin de ne pas reproduire les erreurs du passé.
19Certains parcourent les côtes méditerranéennes qui relient trois continents en cherchant des sujets pour leur travail ; d’autres se sont impliqués dans des projets urbanistiques de la ville de Paris ; quelques-uns sont dans l’éducation et d’autres dans le domaine de la recherche, prenant une part active dans le développement scientifique.
20Au sujet de cette capacité à s’intégrer et d’accueillir la pensée d’autres cultures différentes à la nationale, Tzvetan Todorov rappelle une idée généralisée :
« De nombreuses personnes, en particulier des artistes et des intellectuels, font l’éloge de la pluralité des cultures, du mélange des voix, voire de la polyphonie démesurée, qui ne connaîtrait ni hiérarchie ni ordre ; elles se reconnaissent dans le cosmopolitisme, sinon dans le nomadisme généralisé, cadre approprié au sujet décentré que serait chacun de nous. »3
21À ce sujet, il n’est pas rare, certes, de rencontrer des artistes colombiens qui ont séjourné dans d’autres pays avant d’arriver en France, ou qui pratiquent cette sorte de nomadisme culturel. Néanmoins, l’œuvre de certains d’entre eux montre que le sentiment d’appartenance nationale est encore présent, et qu’il ne s’agit pas de le remplacer par d’autres, malgré leur cosmopolitisme, mais de le faire dialoguer avec leurs nouvelles découvertes culturelles.
22L’ouverture culturelle des Colombiens est visible aussi à travers le désir de fonder des associations sur le territoire français. Cela traduit une volonté de s’intégrer à la société française et de s’enraciner. Actuellement, il y a en France près de 80 associations d’initiative colombienne. Parmi elles, une cinquantaine est domiciliée en région parisienne. Des trente-sept associations de la région parisienne sur lesquelles il a été possible d’obtenir des informations, vingt et un, c’est-à-dire 56,7 %, font, d’une manière ou d’une autre, un travail en rapport avec les manifestations culturelles.
23Quatorze associations en rapport avec la culture – ce qui représente 66,6 % des associations avec ce profil-là –, promeuvent les expressions culturelles de divers pays. Six d’entre elles n’expriment pas un intérêt spécifique et sont ouvertes aux diverses manifestations culturelles et artistiques du monde entier ; sept se focalisent sur l’Amérique latine ; une association exprime un intérêt pour l’Amérique latine et pour certains pays européens de langue romane.
24Il est donc possible d’affirmer que la partie de la communauté colombienne représentée par ces associations est motivée par un esprit d’échange international et de solidarité latino-américaine. « Nous, les Latinos, nous sommes comme des frères et sœurs, beaucoup de choses nous unissent », dit une femme colombienne qui vit en France depuis plus de trente ans en expliquant :
« C’est peut-être parce qu’au fond de tout, nous avons mené les mêmes luttes. Avoir quitté la Colombie m’a aidé à voir les choses que nous avons en commun avec les autres pays. J’ai une identité latino-américaine. »
25Sept associations se consacrent à la culture colombienne et nourrissent de ce fait le sentiment d’appartenance nationale des Colombiens en France. Néanmoins, l’esprit d’échange y est aussi présent. Lors de la fête nationale de la Colombie, par exemple, il peut arriver que des groupes artistiques d’autres pays latino-américains soient invités, attirant ainsi une assistance qui n’est pas exclusivement colombienne.
26D’autres associations travaillant dans d’autres domaines sont dans un esprit de collaboration internationale. Quelques-unes du domaine de l’humanitaire pensent à des projets à développer en Amérique latine et il arrive qu’elles travaillent en réseau avec des associations d’initiative française. Elles réfléchissent au problème de la violence afin de contribuer à la paix durable et mènent des missions concrètes pour la récupération de zones, l’éducation ou le logement. Quelques associations travaillent avec des organisations françaises au sujet de l’adoption. Entre 2004 et 2014, 2 754 enfants colombiens ont été adoptés par des familles françaises, selon les chiffres de l’Agence française de l’adoption.
27Il faut souligner que quelques associations travaillent à l’intégration des Colombiens qui viennent d’arriver en France, ce qui prouve que cette communauté n’a pas tendance à s’isoler, mais bien au contraire, à se trouver rapidement des repères sur le nouveau territoire.
28En résumé, il est possible d’affirmer que les associations créées par des Colombiens mettent en évidence le développement d’appartenances autres que la nationale. Ainsi, parmi les 37 associations de la région parisienne, 24,3 % travaillent pour la culture et la communauté latino-américaine ; 8,1 % s’intéressent à l’Amérique latine ou aux pays de langue romane ; 16,2 % ont une vision ouverte au monde entier. Ces chiffres représentent 48,6 % des associations. Les autres (51,4 %) travaillent sur des projets en rapport avec la Colombie, tenant compte du fait que certaines d’entre elles ont des partenariats avec des associations françaises ou font des efforts pour l’intégration des Colombiens en France.
La transculturation chez les Colombiens en France
29Les différents cas étudiés permettent de parler d’un processus de transculturation compris, dans les mots de Tzvetan Todorov, comme « l’acquisition d’un nouveau code sans que l’ancien soit perdu pour autant »4. Chez ces immigrants qui s’installent en France se reproduit le vécu de Todorov en France :
« Je vis désormais dans un espace singulier, à la fois dehors et dedans : étranger “chez moi” (à Sofia), chez moi “à l’étranger” (à Paris). »5
30Au sujet de ce « biculturalisme », Todorov explique :
« Je ne m’exagère pas l’originalité de cette expérience de biculturalisme. D’abord, je suis loin d’être le premier à l’éprouver ; dans le champ de la culture et des arts, nombreux sont ceux qui ont été attirés par des métropoles comme Paris ou Londres, New York ou Toronto, et ce nombre ne fait que croître tous les jours. De plus, les identités culturelles ne sont pas seulement nationales, il en existe aussi d’autres liées aux groupes d’âge, de sexe, de profession, de milieu social ; de nos jours, donc, tout un chacun a déjà vécu, même si c’est à des degrés inégaux, cette rencontre des cultures à l’intérieur de lui-même : nous sommes tous croisés. »6
31Le développement d’autres appartenances ne remplace pas pour autant le sentiment d’appartenance nationale. Cela est visible dans le travail des associations. Le ressenti d’une femme colombienne vis-à-vis des associations créées non seulement par des Colombiens, mais par d’autres latino-américains est que, malgré leur ouverture internationale, elles finissent toujours par « se pencher d’un côté », selon la nationalité des membres fondateurs. La correspondance de cette affirmation avec la réalité n’a pas été vérifiée, mais elle est fort probable. Dans cet ordre d’idées, Todorov explique :
« L’appartenance culturelle nationale est simplement la plus forte de toutes, parce qu’en elle se combinent les traces laissées – dans le corps et dans l’esprit – par la famille et la communauté, par la langue et la religion. »7
32Être immigrant apporte une autre perspective du monde, explique une femme colombienne qui vit en France depuis quinze ans :
« Quand on quitte pour la première fois son pays, on se rend compte que finalement le monde n’est pas si grand, et les frontières deviennent moins infranchissables. On apprend que tout au long de l’histoire, les pratiques culturelles, les religions, les langues ont circulé à travers le monde, et que certains aspects relient des pays apparemment différents. En termes de gastronomie par exemple, on voit que les Africains et les Colombiens ont des plats très similaires, ce qui met en évidence nos liens ancestraux avec l’Afrique. »
33Vivre dans un pays étranger peut s’avérer positif pour apprendre à accepter et apprécier l’altérité, donnant en même temps plus d’objectivité quant aux codes du pays d’origine. Parmi les traits sociaux que quelques Colombiens admirent chez les Français, se trouve leur détermination à revendiquer leurs droits, à manifester contre ce qui provoque en eux de l’indignation, même s’ils ne sont pas toujours écoutés. Ils admirent aussi leur conscience historique et le respect de la mémoire collective. Du point de vue administratif, ils observent que les réglementations en France offrent plus de sécurité, qu’il est possible de savoir avec plus d’assurance ce que l’on peut attendre de l’État et des individus.
34La transculturation est réussie quand l’immigrant peut comprendre les codes des autochtones, ce qui peut prendre un certain temps. Une artiste explique que le plus difficile pour elle en France a été d’apprendre à communiquer avec les Français :
« Je parlais déjà le français, mais cela ne suffit pas de connaître une langue. Apprendre à communiquer, c’est aussi devenir sensible aux comportements que les gens d’un pays apprécient ou n’apprécient pas. Il faut adopter des codes. »
35En termes de transculturation, la partie de la communauté colombienne observée montre une bonne capacité d’adaptation. Les artistes, les professionnels de la culture et les responsables d’associations peuvent de ce fait penser à la possibilité de s’installer en France. Une telle démarche semble être possible lorsque le choix d’un pays n’a pas été fait par contrainte. Dans ce cas-là, la France devient « le terrain fertile d’une expérience nouvelle ». Todorov explique :
« La coexistence de deux voix devient une menace, conduisant à la schizophrénie sociale, lorsque celles-ci sont en concurrence ; mais si elles forment une hiérarchie dont le principe a été librement choisi, on peut surmonter les angoisses du dédoublement et la coexistence devient le terrain fertile d’une expérience nouvelle. »8
36Sans ces « angoisses du dédoublement », la transculturation chez l’immigrant s’avère être une richesse.
37L’observation de cette partie de la communauté colombienne résidant en France permet d’affirmer que, malgré les années passées loin du pays, les Colombiens n’oublient pas leurs racines, ce qui leur facilite la participation à des activités promouvant la préservation de l’identité nationale et la création de lien entre eux. Ils apprécient les initiatives du gouvernement dans ce sens-là, et ils sont prêts à prendre eux-mêmes des initiatives de promotion culturelle et de soutien à la communauté colombienne à travers des réseaux sociaux. Les Colombiens entretiennent des liens avec le pays pour des raisons affectives, économiques, politiques et culturelles.
38Néanmoins, l’attachement au pays et le sentiment d’appartenance nationale ne les retiennent pas dans un nationalisme aliénant ou sectaire. En France, les Colombiens ont tendance à développer d’autres appartenances. De cette manière, ils font preuve non seulement de l’existence d’une identité nationale, mais aussi latino-américaine. De plus, les artistes et les associations montrent une volonté de vivre ensemble dans un dialogue avec la société française. L’échange avec la communauté de l’Amérique Latine et le contact avec la société française façonnent les identités individuelles et développent chez les migrants colombiens d’autres appartenances.
39Au sujet du sentiment d’appartenance et de l’identité chez les Colombiens de France, il reste beaucoup à dire ; c’est un champ encore très peu exploré et cet article ne se consacre qu’à une partie de la population. Une étude de grand intérêt serait celle de l’identité et des sentiments d’appartenance chez les Colombiens prisonniers en France, une partie de la population qui, étant donné les circonstances, reste marginalisée face aux initiatives de l’État colombien, aux initiatives communautaires et à la société française.
Bibliographie
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« Colombie », Agence française de l’adoption [En ligne], Paris : GIP AFA [Référence du 15 juin 2015], Accès internet : <URL : http://www.agence-adoption.fr/colombie/>.
Gincel Anne. « Santuario : un village colombien à Paris », Revue Hommes et migrations [En ligne], n° 1270, nov. – déc. 2007, [s.p.]. [Référence du 15 juin 2015]. Accès internet : <URL : http://www.hommes-et-migrations.fr/index.php?/numeros/migrations-latino-americaines/4920-santuario-un-village-colombien-a-paris>.
10.3406/homig.2007.4659 :Todorov Tzvetan, L’homme dépaysé, Paris, Éd. du Seuil, 1996.
Notes de bas de page
1 A. Gincel, « Santuario : un village colombien à Paris », [s.p.].
2 En français : « La Colombie nous unit ».
3 T. Todorov. L’homme dépaysé, p. 21.
4 T. Todorov. L’homme dépaysé, p. 23.
5 T. Todorov. L’homme dépaysé, p. 23.
6 T. Todorov. L’homme dépaysé, p. 23.
7 T. Todorov. L’homme dépaysé, p. 23-24.
8 T. Todorov. L’homme dépaysé, p. 20.
Auteurs
Doctorante en Histoire de l’art, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Doctorante en sociologie, chargée de cours, Universidad de Antioquia, Medellín, Colombie
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016