Photographie, cartes postales et collections : les « compositions » du photographe Gaston Ouvrard
Résumé
Gaston Ouvrard est certainement l’un des photographes provinciaux les plus originaux de son temps. Né à Agen, il s’installe au début des années 1890 à Biarritz, puis à Bayonne. Portraitiste, il réalise et commercialise également des vues de la côte basque et crée le « Biarritz-Photo-Club ». La naissance et le développement exceptionnel de la carte postale avant 1914 vont lui permettre de montrer l’étendue de son talent créatif. S’inspirant de la grande maison d’édition de cartes postales « fantaisie » Bergeret, de Nancy, Gaston Ouvrard conçoit des séries humoristiques ou poétiques, des « compositions » photographiques, comme il les appelle, dont le but est d’inciter l’acheteur à confectionner autant de collections pour lui ou pour ses correspondants.
Texte intégral
1Si elles ont été très souvent utilisées pour leur simple valeur documentaire, les cartes postales anciennes n’ont pas suscité jusqu’à aujourd’hui beaucoup de recherches en tant qu’objet, et notamment en tant qu’image-objet de collection. Depuis l’ouvrage pionnier et essentiel d’Aline Ripert et Claude Frère, paru en 1983, la bibliographie sur ce médium apparaît ainsi d’une singulière pauvreté. À peine peut-on citer, au début des années 2000, les travaux de Christian Malaurie, centrés sur une collection privée arcachonnaise, ceux plus récents de Marie-Ève Bouillon sur la grande maison Neurdein ou encore les études sur la production de la maison Labouche dans le sud de la France. On peut y ajouter deux catalogues d’exposition : celui des Regards très particuliers portés par le Musée de la Poste en 1992-1993, et celui sur La photographie timbrée organisée par le Jeu de Paume à l’Hôtel de Sully en 20071.
2Dans cette production pourtant prolifique dont l’âge d’or se situe à la Belle Époque, je me propose aujourd’hui de vous présenter un personnage assez atypique dans le panorama de la photographie régionale d’alors, et en particulier dans la production de cartes postales.
Éléments biographiques
3Gaston-Jean Ouvrard est né le 6 octobre 1863 à Agen. Il est le fils de Jean, directeur de la pépinière départementale, et d’une Biarrote, Jeanne Marie Anna Gavarret. Il se marie le 10 mai 1890, à Vaillac (Lot), avec Marie Angèle Viguié, native de ce village. Il est alors déclaré « sans profession » et domicilié à Bayonne. L’acte signale également que son père est décédé en 1877 et que sa mère réside à Biarritz. C’est là qu’il s’installe au début des années 1890 comme photographe portraitiste, en s’associant de façon éphémère avec un certain « Sérès ».
4Ouvrard apparaît en revanche seul comme photographe et maître d’œuvre de la plaquette Biarritz-Guide pour les années 1892-1893, dans laquelle il signe et illustre les articles sur les promenades et sur les loisirs de Biarritz, ainsi que les notices sur les villes et villages des environs, de Bayonne à Saint-Sébastien. Il y est noté dans la liste des cinq photographes de Biarritz et son studio, qui est localisé « avenue du Palais et Grande Plage » sous l’enseigne de la « Photographie du Progrès », porte la devise : « Faire bien et bon marché ». Les publicités qu’il y fait paraître signalent qu’il vend des produits photographiques, qu’il loue des appareils et qu’il a le dépôt des plaques « Lumière ». Il s’y vante également d’une « spécialité de portraits d’enfants instantanés », ainsi que de « portraits et agrandissements aux couleurs inaltérables ». Il propose enfin de mettre son laboratoire à la disposition des amateurs.
5Il publie ensuite, en 1894, l’ouvrage Biarritz-Guide balnéaire et thermal, illustré de 260 photogravures ou dessins à la plume, puis, en 1899, le Tourist’Guide Biarritz-Bayonne et leurs environs, orné de 80 phototypies hors-texte et de 60 photogravures.
6En janvier 1895, la Gazette des Pyrénées informe ses lecteurs de la naissance, sous l’égide de notre photographe, du « Photo-Club » de Biarritz, dans la lignée et sur le modèle de celui de Paris fondé en 1888 :
« On nous communique les projets de statuts du Photo-Club, fondé à Biarritz, et ayant son siège chez M. Ouvrard, photographe, 3, avenue du Palais. Six laboratoires et une bibliothèque photographique sont à la disposition des membres adhérents. Des concours de photographie, des excursions doivent être organisées tous les ans. Voilà qui intéressera tous les amateurs de photographie. Et ces amateurs sont nombreux dans la population de Biarritz. »
7Une publicité parue dans La Gazette de Biarritz du 14 octobre 1897 nous apprend que Raymond et Viguié ont pris la succession de la « Photographie Ouvrard » à Biarritz, à la nouvelle adresse du no 1 de la place de la Liberté (actuelle place Georges Clemenceau). Raymond disparaît très vite et seul Viguié (parfois nommé dans les annuaires « Vigué ») continue de s’intituler successeur d’Ouvrard. Pourtant, ce dernier semble rester en étroite relation, et même travailler, avec celui qui a pris sa suite. Le 4 mai 1899, la Gazette illustrée de Biarritz annonce en effet que « S. M. le roi Oscar de Suède et Norvège vient d’accorder à M. Ouvrard, photographe, place de la Liberté, le brevet de fournisseur de la Cour ». Cette même année, « Viguié et Ouvrard, photographes, Biarritz » obtiennent un diplôme de médaille d’or avec félicitations du jury lors de l’exposition de Biarritz, et l’année suivante, en septembre 1900, La Gazette de Biarritz, signale que « la maison de photographie Ouvrard-Viguié vient d’obtenir une médaille d’argent à l’Exposition des Bellas-Artes de Saint-Sébastien ». Il réalise notamment à cette époque le reportage photographique de L’Illustration consacré à Pierre Loti, qui paraît dans le no 3391 du 22 février 1908.
8Ce n’est qu’à partir de 1909 que les annuaires mentionnent le studio d’Ouvrard à Bayonne, au no 8 de la rue Thiers. Il s’y associe à L. Teillery dans les années 1912-1913 et les images signées du nom des deux « photographes d’art et d’actualité », illustrent des articles d’Excelsior en 1913 ou de La Petite Gironde entre 1913 et 1915.
9Depuis le début du siècle et l’énorme succès de ce médium à la Belle Époque, Gaston Ouvrard diffuse ses images par l’intermédiaire de la carte postale. Ses clichés sont signés successivement : « Photo Ouvrard, Biarritz », « Photo Ouvrard, Biarritz-Bayonne », « Photo Ouvrard Bayonne » et enfin « Photo G. Ouvrard et Teillery, Bayonne ». Les premières cartes (1900-1901) sont imprimées par la « Phototypie Ponsin-Druart » à Reims. Par la suite, certaines sont diffusées par des éditeurs locaux, comme A. Simons pour la série « Biarritz pittoresque » ou le « Magasin Au Souvenir », tenu par son confrère Jugand, pour la série « Biarritz Instantané ». Ses clichés sur les palombières de Sare sont édités par Doyharçabal, et sa série sur Arbonne par Diharce. Mais il se transforme à l’occasion lui-même en éditeur pour certaines cartes « fantaisie » qu’il signe « Ouvrard, phot.-édit., Biarritz ».
10Après la Grande Guerre, outre les compositions humoristico-politiques dans lesquelles il continue à croquer la vie bayonnaise, il fournit de nombreuses images pour la presse ou l’édition. Il illustre en particulier l’ouvrage Saint-Jean-de-Luz, Ciboure, le Pays basque de P. Dop et Henry V. Savaglio (v. 1930), dans lequel il fait paraître une publicité pour son studio de la rue Thiers qui précise :
« Spécialité de poses bébé. Toutes reproductions. Photos et agrandissements en noir et couleurs. Phototypie. Édition de cartes postales. Fournitures pour la photographie. Laboratoire et travail à façon pour MM. les amateurs. Salon de pose à l’entresol. »
11Il couvre également le Congrès national œcuménique de Bayonne en 1923. Il décède dans cette ville, à l’hôpital Saint-Léon, sur le domaine de Tosse, le 24 août 1942, et malgré la mobilisation médiatique de personnes conscientes du patrimoine que représentaient ses archives photographiques et soucieuses de leur conservation, celles-ci semblent avoir totalement disparu.
Les séries « fantaisie » d’Ouvrard
12Dans cette riche production de cartes postales que nous venons d’évoquer, et à côté des très nombreuses vues touristiques et classiques de Bayonne, de Biarritz, de Sare, d’Itxassou, ou bien encore des types basques, Gaston Ouvrard réalise de manière très originale des séries de cartes « fantaisie ». Il est l’un des très rares photographes provinciaux, sinon le seul, à avoir développé ce type de saynètes dont la maison Bergeret de Nancy avait alors le quasi-monopole et dont, comme nous allons le voir, il s’inspire largement. Composées de cartes numérotées ou non, elles constituent autant de mini-collections pour celui qui les achète ou celui qui les reçoit. Dans l’état actuel de nos recherches, et en l’absence de catalogue des productions d’Ouvrard, nous avons pu identifier une douzaine de ces séries (voir Annexe).
13Huit d’entre elles portent la mention « Composition G. Ouvrard, Biarritz », dont sept sont éditées par la marque au trèfle « CCCC2 », et une par la société « Soly Phot Lyon3 ». Une autre, certainement un peu plus récente, est signée « Composition G. Ouvrard Biarritz-Bayonne ». Enfin, sur les trois dernières, qui concernent les variations autour des concours de mollets, deux sont estampillées « G. Ouvrard, Bayonne », et la dernière (« Concours de mollets sur la plage ») indifféremment « Phototypie G. Ouvrard, Bayonne », « G. Ouvrard, Bayonne », ou « Photo. Ouvrard, Bayonne ».
14Les séries « générales » (avec animaux ou enfants) sont réalisées en studio, devant des toiles peintes, sauf le « Sommeil du petit pâtissier », qui semble avoir été photographié en extérieur. Gaston Ouvrard a en outre une production originale d’inspiration locale, essentiellement mise en scène dans des paysages de Biarritz. Ces suites sont d’ailleurs celles qui comportent le plus de cartes par série. On y assiste à trois « Concours de mollets », dont deux se déroulent à la ferme (fig. 1) et un à la plage (fig. 2), une compétition qui semble être une spécialité basque. On y croise également, sur la terrasse d’une buvette, un couple de personnes âgées, par ailleurs modèles du photographe pour d’autres images sur les types basques, et qui illustrent, suivant les séries, l’adage « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait » ou « Et l’on revient toujours à ses premières amours ! » (fig. 3). On y suit enfin les épisodes (bilingues basque-français) d’un « Amodiozko kantua/Chant d’amour » entre deux jeunes personnes, près d’une fontaine (fig. 4).
15Une treizième série pourrait également être considérée comme « fantaisie ». Intitulée « Une noce dans les Landes » (fig. 5), elle copie de manière originale, et parfois avec humour, la célèbre série du grand photographe et éditeur de cartes postales ethnographiques des Landes, Ferdinand Bernède, de Morcenx. Elle comporte au moins 22 cartes, et chaque légende est rédigée en français et en gascon.
Le modèle Bergeret
16En fait, il est clair que Gaston Ouvrard est largement influencé par la production de la maison Bergeret, dont il n’est pas inutile de rappeler ici quelques éléments de l’histoire. Elle commence avec Albert Bergeret4, né à Gray (Haute-Saône) le 8 décembre 1859, qui découvre l’impression phototypique lors de son passage dans l’armée, entre 1879 et 1884. Il la développe d’abord chez l’imprimeur Royer, à Nancy, avant de s’installer à son compte pour produire des cartes-vues de ville sous la marque « Phototypie A. Bergeret et Cie – Nancy ». Outre la phototypie, son « imprimerie artistique » propose différentes spécialités : photocollographie, similigravure, photogravure, chromotypogravure et autres procédés nouveaux. Dès 1899, il diffuse une série intitulée « Les maîtres de la carte postale », auxquels il peut revendiquer à juste titre son appartenance. Dès janvier 1900, alors qu’il est administrateur de la « Section internationale des cartes postales illustrées » créée au sein de l’Association philatélique nancéienne, il imprime une Revue illustrée de la carte postale qui paraît chaque mois.
17Il diffuse ses spécimens et ses catalogues chez tous les éditeurs de France et de Navarre afin que ceux-ci puissent lui passer commande et, devant l’énorme succès de ses productions, il abandonne peu à peu lui-même ce métier pour se cantonner à celui d’imprimeur où il démontre toutes ses qualités. Alors à la tête d’une usine de cent ouvriers, il s’associe à l’été 1905 avec Humblot et Helmlinger, deux autres imprimeurs nancéiens, pour fonder les « Imprimeries réunies de Nancy », dont il restera président jusqu’à sa mort en 1932. Près de cent millions de cartes commandées par des éditeurs y sont imprimées chaque année avant la guerre de 1914.
18C’est à la fin de l’année 1901 qu’il commence à commercialiser sous son nom ses fameuses cartes « fantaisie », qui deviennent très rapidement sa véritable marque de fabrique et qu’il produit jusqu’en 1908 : 5 600 cartes différentes ont été répertoriées jusqu’à ce jour. Bergeret travaille avec des photographes professionnels, comme les grands portraitistes parisiens Henri Manuel et Waléry, mais surtout le Nantais Georges Morinet qui met en scène des séries de scènes bretonnes.
19Sans copier bien entendu les séries de la maison Bergeret, Gaston Ouvrard en utilise les mêmes artifices. Ses séries « Le chien photographe » (fig. 6) et « Le repas de noces » (fig. 7) peuvent être facilement rapprochées de celle intitulée « Les chiens » de l’imprimerie nancéienne, de même qu’un « Amour de clown » (fig. 8) qu’Ouvrard, de son côté, décline avec des enfants comme acteurs. C’est également d’ailleurs un enfant qu’il utilise pour sa série « Clown d’avenir » (fig. 9) ou « Le sommeil du petit pâtissier » (fig. 10), de la même manière que Bergeret met en scène de très jeunes acteurs pour de nombreuses suites comme « Un mariage », « Le droit de passage », « La coquetterie du ramoneur » ou encore « Retour de pèlerinage ». On retrouve d’ailleurs le même jeune comédien qui joue le clown d’avenir et qui illustre la série des journaux. Quant aux « Chanteurs ambulants » du Pays basque, on peut sans problème les rapprocher facilement des « Chanteurs des cours » lorrains.
20En fait, s’il s’inspire très largement de la production de Bergeret, Gaston Ouvrard ne travaille pas avec cette maison, mais, comme nous l’avons vu plus haut, avec l’un de ses principaux concurrents imprimeurs, Charles Collas et Cie à Cognac5, dont la marque au trèfle est apposée sur ses sept premières séries. Depuis 1894, Collas est devenu, au même titre que Bergeret, l’un des grands maîtres de la production de cartes postales. Voilà le credo qu’il écrit en 1904 :
« La carte illustrée est actuellement en pleine vie, elle a encore une longue carrière à parcourir, d’autant plus longue qu’on s’attachera à suivre le goût des collectionneurs, à choisir des sujets dignes d’immortaliser la reine du jour. Ce qu’il faut éviter, ce sont les banalités et les niaiseries, dont la clientèle va diminuant ; la victoire restera aux impressions artistiques qui se perfectionnent chaque jour, et dont les prix sont toujours plus réduits. Ce qu’il faut aussi c’est, quel que soit le succès d’une série, que les éditeurs n’en fassent pas indéfiniment des tirages, afin qu’elle acquière de la valeur par le nombre restreint de ses exemplaires et l’épuisement assuré6. »
Cartes postales et collection
21Comme on le voit, la carte postale illustrée rime inévitablement, dès sa naissance et son développement grâce à la phototypie, avec la notion de collection. Comme l’écrivent Aline Ripert et Claude Frère :
« Le rôle des collectionneurs groupés en société dans le monde entier et soutenus par une presse spécialisée est déterminant dans le développement des industries de production de la carte postale7. »
22En 1898, un écrivain et critique d’art du nom d’Émile Strauss avait déjà créé à Paris une association d’échangistes qu’il avait baptisée « International Poste-Carte-Club ». Dans la foulée, il fonde une revue à laquelle il donne le titre de La Carte postale illustrée. D’autres publications poursuivant le même objectif font leur apparition au tournant du siècle. Le 1er juin 1899 paraît le no 1 de L’Amateur de la carte postale illustrée, revue mensuelle de la « Compagnie française des cartes postales artistiques » dont le siège est également à Paris, 12 rue Sainte-Anne. La Revue illustrée de la carte postale, organe de la Société internationale des amateurs de cartes postales illustrées, est diffusée de 1900 à 1921. La liste des adhérents, publiée en février 1904, nous apprend que cette association en compte alors 2 208. Au tout début du siècle, le ministre des P.T.T. lui-même conseille : « Collectionnez les cartes postales », et un numéro spécial du Figaro illustré est consacré en octobre 1904 à la carte postale, cet :
« Infini kaléidoscope où peuvent se refléter autant d’aspects qu’en présentent, qu’en présentèrent et qu’en présenteront la nature et l’humanité8. »
23La Revue française des collectionneurs, dont le no 1 paraît le 23 octobre 1902, prend déjà en compte la « philocartie », « sœur jumelle » de la philatélie, et mentionne dans ses colonnes toutes les nouvelles séries artistiques aussi bien que politiques. On peut y lire :
« La triomphante du jour, c’est la carte postale. Elle est entrée dans notre vie quotidienne et y tient une place que les plus indifférents ne pourraient lui disputer. S’ils sont libres de n’en pas envoyer, ils ne le sont pas de n’en point recevoir. […] Le nombre de ces petits cartons grossit prodigieusement, surtout en variété. Constamment il en éclot de nouveaux, historiques, pittoresques, facétieux ou polissons. La carte postale est le reflet ondoyant et divers de notre humanité aux préoccupations multiples. Elle dit et nos passions permanentes, et nos joies éphémères. »
24L’enquête que cette revue a menée chez les fabricants, commissionnaires et fournisseurs donne une évaluation de 50 000 sortes de cartes postales illustrées, qui peuvent représenter plus d’un milliard et demi de pièces. Des comptoirs « philocartistes » ouvrent leurs portes un peu partout, comme celui de Ch. Fontane à Paris, par ailleurs créateur de l’un des tout premiers « cartophile-clubs » de France. La Revue française des collectionneurs, de son côté, précise dans son no 3 du 25 décembre 1902 :
« À côté de la Timbrologie et aussitôt après, nous avons la Philocartie qui, quoique plus jeune, compte déjà un grand nombre de fervents et principalement de ferventes. Les Dames et les Demoiselles amateurs de cartes postales illustrées sont légion. Comment ne pourrions-nous pas aimer ce sport qui a acquis les faveurs de tant de jolies et spirituelles personnes ? »
25Le 10 mai 1905 paraît le premier bulletin mensuel Le Collectionneur, tiré à 10 000 exemplaires, et qui porte en sous-titre : « Philatélie. – Cartophilie. – Numismatique. Etc. ». Au sein des collectionneurs et des professionnels de la carte postale, un débat voit cependant très vite le jour entre les tenants des cartes de type touristique et ceux des cartes fantaisie. Le bulletin dont nous venons de parler s’en fait l’écho en juillet 1905, en posant la question : « Pourquoi la carte-vue est-elle préférée à la carte fantaisie ? ». Il y répond ainsi sous la plume de son collaborateur Charles de Straits :
« La majeure partie des collectionneurs prétendent que la carte-vue est de beaucoup préférable. En effet, celle-ci nous fait connaître des choses qui ont une réelle existence. Soit la vue d’un monument, la vue générale d’un pays ou une partie de ce pays. Ces monuments : cathédrales, musées, hôtels de ville, théâtres, outre les nombreux styles d’architecture qu’ils représentent, nous commémorent un fait historique, une date, etc. La vue d’un pays, la patrie d’un grand homme, la demeure d’un ami […] rappelle un voyage que nous avons fait dans ces parages. La carte fantaisie n’a pas ces charmes, elle est entièrement imaginaire. Afin de ne pas la détrôner complètement, reconnaissons-lui cependant sa valeur artistique, mais abandonnons-la aux jeunes filles qui la collectionne[nt] toujours avec goût. »
26La statistique de production de cartes postales de 1904 à 1905 donne la 3e place européenne pour la France, avec un chiffre de 312 429 000 sur 1 828 874 000 (Le Collectionneur, no 5, 10 septembre 1905). Cette même année, les maisons Bergeret et Humblot de Nancy, qui ont alors fusionné avec la maison Helmlinger, fabriquent à elles seules près de 90 millions de cartes postales par an.
27Cette maison ne manque d’ailleurs pas d’éditer des cartes incitant à constituer des collections en la matière. Un Monsieur Loyal est présenté en gros plan « Pour embellir votre collection », une jolie jeune fille devient « Une petite femme de plus pour votre collection », et une autre lance carrément un « Avis aux collectionneurs : Jeune fille sentimentale désirerait échanger cartes postales ». « La collectionneuse » qui pose avec son album nous déclare : « Envoyez-moi des cartes postales, vous me ferez toujours plaisir. » Une scène intitulée « Amateurs et collectionneurs » et représentant une jeune dame et un homme d’âge mûr fumant la pipe devant un présentoir de cartes postales, est reprise et adaptée localement par plusieurs éditeurs en France, dont le collègue et concurrent d’Ouvrard à Biarritz, le « Magasin Au Souvenir » dirigé par Lucien Jugand. À Bayonne même, une maison d’édition et de vente de cartes postales prend comme enseigne symbolique : « Aux collectionneurs ».
28Au terme de cette étude, il nous paraît évident que Gaston Ouvrard, au-delà des qualités d’opérateur-photographe dont il fait preuve, apparaît doué d’une excellente intuition commerciale. Déjà pionnier en matière de photo-club et de relation avec les cercles amateurs de photographie, il a senti l’intérêt du public non seulement pour les vues de villes, villages et paysages, mais également pour ces cartes fantaisie qui semblaient en particulier destinées à prendre place dans les collections prisées par la gent féminine. Son installation dans une ville comme Biarritz, très appréciée d’une moyenne et haute bourgeoisie avide de nouveauté et sensible aux modes, n’est sans doute pas pour rien dans la diversité et l’originalité de sa production. Il a su créer, et il est assurément l’un des seuls sinon le seul à cette époque, une déclinaison régionale des séries nationales de Bergeret. Il a ainsi contribué, souvent de manière humoristique, à enrichir les albums des collectionneurs de cartes postales par des séries produites, et parfois même éditées, au Pays basque.
Bibliographie
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Bouiller Sandrine, Un siècle en images : le Sud-Ouest vu par Labouche frères, Toulouse, Privat, 2018.
Bouillon Marie-Ève, Naissance de l’industrie photographique. Les Neurdein, éditeurs d’imaginaires (1863-1918), thèse de doctorat en Histoire et civilisations, sous la direction de Christophe Prochasson et André Gunthert, EHESS, 2017.
Chéroux Clément et Eskildsen Ute, La photographie timbrée, l’inventivité visuelle de la carte postale photographique, catalogue de, Ed. Jeu de Paume/Steidl, 2007.
Dalzin Claire, Gens de Haute-Garonne : cartes postales de la maison Labouche, [publié par les Archives départementales de la Haute-Garonne], Paris, Somogy, Toulouse, Conseil général de la Haute-Garonne, 2006.
Dulout J.-P., « Un artisan bayonnais de la carte postale : Gaston Ouvrard », Le Cartophile, 14e a., no 52, mars 1979, p. 8-9.
Léquy Monique et Michel, Albert Bergeret : l’aventure de la carte postale, Nancy, Association des amis du musée de l’École de Nancy, 1999 ; voir le site consacré à Bergeret :http://fantaisiesbergeret.free.fr/index.htm
Malaurie Christian, Carte postale photographique et territoires : l’exemple d’Arcachon (1898-1968), thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, sous la direction de Martine Joly, université Bordeaux-III, 2001.
Malaurie Christian, « La carte postale photographique comme médiation territoriale. L’exemple d’Arcachon », Communication et Langages, 2001, no 130, p. 70-85.
10.3406/colan.2001.3109 :Malaurie Christian, La carte postale, une œuvre. Ethnographie d’une collection, Paris, L’Harmattan, 2003.
10.4000/books.msha.9897 :Musée de la Poste, Regards très particuliers sur la carte postale, Paris, Ed. Musée de la Poste, 1992.
Ripert Aline et Frère Claude, La carte postale : son histoire, sa fonction sociale, Lyon, Paris, Presses universitaires de Lyon, Éditions du CNRS, 1983.
Annexe
Listea des séries « fantaisie » de Gaston Ouvrard.
Avant 1904
- 1) « Amour de clown » (« Composition G. Ouvrard, Biarritz », édition Trèfle CCCC) (fig. 8)
- [1]. « Lune de miel »
- [2]. « Lune rousse »
- 2) « Clown d’avenir » (« Composition G. Ouvrard, Biarritz », édition Trèfle CCCC) (fig. 9)
- 1. [sans légende]
- 2. [sans légende]
- 3. [sans légende]
- 4. [sans légende]
- 3) « Le chien photographe » (« Composition G. Ouvrard, Biarritz », édition Trèfle CCCC) (fig. 6)
- 1. « Bien !… plus droit… très bien ! »
- 2. « Ne bougeons plus !… C’est bougé »
- 3. « Là ! Attention cette fois… Parfait ! »
- 4) « Repas de noces » (« Composition G. Ouvrard, Biarritz », édition Trèfle CCCC) (fig. 7)
- 1. « Bonnes dispositions ! »
- 2. « Ça se gâte !… »
- 3. « Malade malgré lui ! »
- 5)« Le sommeil du petit pâtissier (« Composition G. Ouvrard, Biarritz », édition Trèfle CCCC) (fig. 10)
- 1. [sans légende]
- 2. [sans légende]
- 3. [sans légende]
- 6) « Chanteurs ambulants » (« Composition G. Ouvrard, Biarritz », édition Trèfle CCCC)
- I. « Nous faudrait un gros succès »
- II. « Viens Poupoule… Viens ! »
- III. « Ça y est, nous avons tapé dans le mille, Émile ! »
- 7) [Expressions et journaux] (« Composition G. Ouvrard, Biarritz », édition Trèfle CCCC)
- [1]. « L’Officiel ! »
- [2]. « Le Rire ! »
- [3]. « Le Sourire ! »
- 1) « Amour de clown » (« Composition G. Ouvrard, Biarritz », édition Trèfle CCCC) (fig. 8)
Après 1904
- « Au Pays basque. Amodiozko Kantua. Chant d’amour » ; légendes bilingues basque-français (« Composition G. Ouvrard, Biarritz », Soly Phot Lyon) (fig. 4)
- I. « Aspaldian, haren ; ikhus-minak niarabila / Aspaldian, aspaldian. » // « Depuis longtemps, j’espérais la revoir, / Depuis longtemps, longtemps »
- II. « Aspaldian nula züria nizan / Maïtia zük zi haurek dakizü: / Erran deïzüt ez bebin baï milatan; / Bethikoz nik maïthe zütüdala zü; / Aspaldian, aspaldian. » // « Depuis longtemps vous savez comme / – ma bien-aimée, je suis à vous. – Je vous ai dit, non pas une fois mais mille, que / pour toujours je vous aimais ; depuis / longtemps, longtemps. »
- III. « Aspaldian, zur’undun nabilazü / Herratürik nigarra begian. / Erra dazü ; othoï maïthe naïzünez : Bihotzetik, hala-nula nik zü / Aspaldian, aspaldian. » // « Depuis longtemps, je cours après vous - / errant et les fleurs aux yeux, - dites-moi / je vous prie, si vous m’aimez, - du cœur, / comme je vous aime, - depuis longtemps, / longtemps. »
- IV. « Aspaldian, nik züre botz eztia / Eztit entzün, oï ene maïtia ; / Mintza zakist, eta erran egia ; / Utsü nüzü, zor zeneïket argia / Aspaldian, aspaldian. » // « Depuis longtemps, votre douce voix - / n’est pas venue à moi, ma bien-aimée, - / Parlez-moi, et dites-moi la vérité ; je suis / aveugle, vous me donnez la lumière, depuis / longtemps, longtemps. »
- V. « Aspaldian, holüche harek maithe naïjela / Aspaldian, aspaldian. » // « Depuis longtemps, il m’aime, depuis / longtemps, longtemps. »
- Au Pays basque (« Composition G. Ouvrard Biarritz-Bayonne ») (fig. 3)
399. – Au Pays basque – 1. Si jeunesse savait / Si vieillesse pouvait !
400. – Au Pays basque – 2. Si jeunesse savait / Si vieillesse pouvait !
401. – Au Pays basque – 3. Si jeunesse savait / Si vieillesse pouvait !
402. – Au Pays basque – 4. Si jeunesse savait / Si vieillesse pouvait !]b
Cette série a été reprise sous le titre « Et l’on revient toujours à ses premières amours » dans la collection « Biarritz pittoresque » (« Édition A. Simons – Cliché Ouvrard ») :
- No I [399] : « Lui : Tu t’en souviens ?.… Dis ! »
- No II [400] : « Elle : Je crois bien ! Et toi : Toujours coquin donc ? »
- No III [401] : « Lui : Vive l’amour, le vin, etc. / Elle : Farceur, va ! » [la même carte est aussi éditée dans la série « Biarritz pittoresque » no 260, et légendée : « Vive l’amour, le vin, etc. »]
- No IV [402] : « Lui : Tu ne me crois pas ? / Eh bien ! Allons chez M. le Maire »
- « Concours de mollets » (« G. Ouvrard, Bayonne ») (fig. 1)
- [1]. « Oh ! le beau régiment de mollets !… / Comme mon général, je passe la revue !… »
- [2]. « Ah ! Chic, alors !… »
- [3]. « Le 1er prix sera décerné à celui qui aura 0 m 45 de tour…
- [4]. « Un phare pris d’assaut »
- « Au Pays basque. Un jour de noce. Concours de mollets » (« G. Ouvrard, Bayonne »)
- [1]. « Au mollet le plus gros, le plus rond, le mieux fait / Il sera décerné par la jeune épousée / Une jarretière en belle soie rosée / Avec lisière d’or, d’un merveilleux effet »
- [2]. « O mollets !… parmi vous, trop gras ou trop fluets, / Certains sont un peu fermes… d’autres, un peu flasques !… / Mais, ma foi, ce dernier, amour de mollet basque ! / Est vraiment idéal !… Oh ! mon cœur, sois muet !… » [éditée aussi avec un texte basque : « Eskual herrian. / Estei egum bat / Aztal Primac »]
- [3]. Ah ! mes amis, la belle vue ! / Tout un régiment de mollets, / Alignés en grande tenue ! / Des gros, des minces, des fluets, / Des petits mignons, des ingambes : / Et des phénomènes de jambes, / Que l’on prendrait pour des jambons ! / Crénom de nom ! »
- [4]. « Un joli concours de mollets. Jugez et comparez !… »
- « Concours de mollets sur la plage » (« Phototypie G. Ouvrard, Bayonne », ou « G. Ouvrard, Bayonne », ou « Photo. Ouvrard, Bayonne ») (fig. 2)
- [1]. « Selon que la cheville est délicate et fine / Avantageusement le mollet se dessine »
- [2]. « D’Amphitrite, sa femme, un moment séparé, / Neptune, quoique vieux, profita de l’absence / Et vint, tout guilleret dans le sable doré, / Sur ces mollets dodus s’offrir quelque licence. » [la même carte est parfois intitulée : « Biarritz. Un joli concours de mollets » et légendée : « Jugez et comparez !… »]
- [3]. « Livrant leurs pieds mignons au baiser de la brise / Qui murmure tout bas sur les mouvants galets, / Joyeuses, elles vont, vers la mer qui les grise, / Découvrant la rondeur de leurs jolis mollets. »
- [4]. « Entre l’optique et l’eau… »
Une noce dans les Landes (« Ouvrard, Bayonne ») (fig. 5)
[1] La veille, les apprêts de la noce
[2] Les époux en pénitence
[3] L’invitation à la maison
[4] L’invitation dans les champs
[5] Invités arrivant chez l’époux avec la bruyère pour chauffer le four
[6] Les contre époux présentent le bouquet en chantant : [chanson]
[7] Les jeunes filles décorent la charrette de l’époux
[8] L’époux part à l’église
[9] L’épouse descendant de la charrette fleurie
[10] L’épouse fleurit les invités
[11] La sortie de l’église
[12] À la sortie de l’église : on fait goûter le vin nouveau aux époux
[13] Les étrennes
[14] Repas de noce
[15] Le rondeau
[16] Les musiciens
[17] Les époux rentrent à la maison
[18] Enfin, seuls !…
[19] Le mobilier des époux
[20] Les époux se couchent !… Qu’est-ce qu’ils font ?.… La chandelle !…
[21] La roste
[22] Le lever de la mariée.
Notes de bas de page
1 Sur l’histoire de la carte postale, en particulier dans le Sud-Ouest, et pour des études complémentaires sur Gaston Ouvrard, voir les références en bibliographie.
2 Il s’agit de la maison « Charles Collas et Compagnie, Cognac », l’une des plus importantes imprimeries phototypiques du Sud-Ouest ; Charles Collas (1866-1947) édite ses premières cartes en 1894 et a pour associé, à partir de 1899, Maurice Tesson.
3 Sigle de la « Société Lyonnaise de Phototypie ».
4 Sur l’histoire et la production de la maison Bergeret, voir le site très documenté de Monique et Gérard Lequy (http://fantaisiesbergeret.free.fr/) dans lequel j’ai puisé les éléments biographiques suivants.
5 Sur cette maison, voir le site : https://www.alienor.org/publications/carte_postale/cognac2.htm ; le nom de cet imprimeur est souvent orthographié par erreur « Colas ».
6 Le Figaro illustré, no 175, octobre 1904.
7 A. Ripert, Cl. Frère, La carte postale, p. 28.
8 Le Figaro illustré, no 175, octobre 1904.
a Plusieurs de ces séries n’étant pas numérotées, cette liste n’est évidemment pas exhaustive et ne comprend que les cartes que j’ai pu identifier jusqu’à ce jour ; j’ai attribué un numéro provisoire entre crochets pour celles qui n’en avaient pas.
b Carte non trouvée à ce jour.
Auteur
Inspecteur général des patrimoines honoraire, Société de Borda
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016