Introduction
Texte intégral
1Plusieurs sessions du 145e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques « Collecter, collectionner, conserver » étaient consacrées aux collections de manuels et d’instruments scientifiques, destinés à la recherche et à l’enseignement. Ce recueil rassemble des articles écrits à la suite de ces sessions et concernant : (i) la « mise en collection » et la valorisation d’ouvrages, de manuels ou d’encyclopédies ; (ii) la constitution de collections d’instruments scientifiques et leur sauvegarde ; (iii) la conservation et la « réactivation » d’instruments scientifiques anciens. Les « lieux » des collections sont des bibliothèques, aussi bien scolaires, municipales que nationales, des sites internet et des locaux universitaires.
2Qu’il s’agisse de manuels ou d’instruments, les questions de conservation, de valorisation et de réactivation sont présentes dans ce recueil et les différentes approches sont subsumées par des préoccupations communes. Ainsi, dans la présentation de la session du Congrès intitulée « Réunir, conserver et utiliser les collections de manuels scientifiques », Évelyne Barbin écrivait :
« Les manuels scolaires sont maintenant des objets de collections dans des lieux dédiés, mais également dans des établissements scolaires en tant qu’objets patrimoniaux. Par ailleurs, ils constituent des ressources pour les chercheurs de plus en plus nombreux travaillant sur l’histoire des disciplines scolaires. Cette session rassemblera des contributions des différents acteurs intéressés par les collections des manuels scientifiques, sur des aspects techniques et méthodologiques touchant aux collections (origine des collections, conservation, présentation, accès au public, etc.) ainsi que sur leurs utilisations dans le cadre de recherches historiques spécifiques. »
3Tandis que, pour la session « Collections d’instruments scientifiques », Françoise Khantine-Langlois, présidente de l’Association de Sauvegarde et d’Étude des Instruments Scientifiques et Techniques de l’Enseignement (ASEISTE) et chercheure associée à l’université Claude-Bernard – Lyon 1 écrivait :
« Il existe dans les établissements d’enseignement, lycées ou universités, de nombreuses collections d’objets achetés au cours des siècles pour des démonstrations magistrales ou des travaux pratiques, conservés alors qu’ils étaient devenus obsolètes, parce qu’il y avait de la place ou parce qu’ils étaient décoratifs. Grâce à quelques directives ministérielles des années 1970, certaines de ces collections ont été préservées et bien entretenues, la plupart du temps grâce à un enseignant passionné et bénévole. Souvent, elles sont abandonnées lorsque celui-ci quitte l’établissement. Dans d’autres cas, les objets dorment dans des caves ou des greniers. Ces collections sont pourtant précieuses, car elles reflètent des pratiques d’enseignement, illustrent le commerce des instruments en Europe et surtout peuvent de nouveau servir de supports pédagogiques. On y découvre aussi des pièces uniques comme à l’université Claude-Bernard – Lyon 1. »
4La première partie de ce recueil, consacrée aux bibliothèques, contient trois contributions. Évelyne Barbin s’intéresse à la « mise en collection » des ouvrages et des manuels de mathématiques depuis la création des « bibliothèques populaires », en 1839, jusqu’à celle du « Musée pédagogique » à Paris en 1879, en passant par celles des bibliothèques des lycées et des « bibliothèques scolaires ». Pour ces différents lieux, elle analyse les intentions des promoteurs, puis elle examine les publics, les mises en place et les types d’ouvrages ou de manuels retenus. Elle explique que les collections rassemblées ont aujourd’hui trois fonctions, comme ressource pour des recherches historiques sur la formation du peuple et de ses élites et sur l’enseignement des mathématiques, comme patrimoine à conserver et comme sauvegarde pour faire vivre et revivre des manières de pratiquer les mathématiques.
5Claire Giodanengo, responsable du département « Patrimoine et conservation » de la Bibliothèque Diderot de Lyon, poursuit la chronologie puisqu’elle retrace l’histoire de cette bibliothèque à partir de l’héritage du fonds documentaire du « Musée pédagogique ». Puis elle présente les circonstances de la création de la collection de manuels scolaires dans les années 1980, en lien avec le Service d’histoire de l’éducation. Cette collection, surtout tournée vers les lettres et les sciences humaines, est devenue une collection de conservation de tous les manuels, jusqu’aux plus récents et elle est la plus consultée au sein de la Bibliothèque Diderot. Elle est bien connue des chercheur(e)s, auxquel(le)s sont offerts des services personnalisés, et d’un public plus large grâce à des opérations de valorisation et des numérisations.
6Une numérisation constitue l’objet de l’article de Colette Le Lay, chercheure associée au Centre François Viète de Nantes, celle de la version originale des 28 volumes de l’Encyclopédie de Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert (1751-1772), conservée à la bibliothèque Mazarine. Elle fait collection, car elle se rapporte aux sources utilisées par les auteurs, et aux modifications apportées par les éditions ultérieures, car elle contient de nombreux commentaires rédigés par une équipe pluridisciplinaire composée de 160 annotateurs de 14 pays. L’édition offre un caractère exceptionnel puisqu’elle est à la fois numérique, collaborative et critique. La valorisation permise par la numérisation est dirigée vers trois types de publics : les chercheur(e)s et leurs étudiant(e)s, les enseignant(e)s et leurs élèves avec la rédaction de « ressources pédagogiques », un large public curieux de sciences et d’histoire.
7Depuis le début des années 2000, de nombreuses universités ont connu des opérations de collecte d’instruments, de physique, de chimie ou encore de géologie, présents dans leurs locaux. Ces opérations se sont poursuivies par des études sur la constitution des collections et par des actions de valorisations.
8Comme le montre Marion Lemaire, responsable des collections muséales de l’université de Rennes 1, dès l’ouverture de la faculté des sciences en 1840, les acquisitions d’instruments sont liées à des contextes locaux et nationaux, ainsi qu’aux besoins successifs du personnel de la faculté des sciences, pour la pratique et l’enseignement des sciences expérimentales. En particulier vis-à-vis des enseignements dispensés. Elle explique aussi que les constitutions de musées se sont accompagnées de conflits concernant aussi bien les crédits alloués, les locaux disponibles que les publics souhaités.
9Georges Le Guillanton retrace les débuts de la collection des instruments scientifiques, de physique, de chimie et de biologie de l’université catholique de l’Ouest à Angers, constituée depuis 1877 et riche aujourd’hui de près de 2 500 objets. Il s’attache surtout à relater les circonstances dans lesquelles des instruments ont été étudiés, restaurés et remis en état de marche par une équipe de membres de l’ASEISTE, avant que la collection connaisse de nombreuses opérations de valorisation en direction des lycéens et des enseignants, dans des expositions et aussi par le biais de sites internet et de bases de données. L’article présente quelques exemples précis et passionnants d’instruments et d’appareils appartenant à la collection. Il montre ainsi le grand intérêt scientifique, historique et culturel de la collection.
10La dernière partie de ce recueil approfondit une dimension présente dans certaines opérations de valorisation évoquées dans les articles précédents, à savoir celle de la réactivation d’une collection. En effet, les manuels et les instruments avaient des significations pour les auteurs, les lecteurs, les fabricants, les scientifiques et les enseignants, à l’époque où ils ont été écrits, construits, acquis. Une approche historique des collections permet d’enrichir l’histoire et, en même temps, peut faire revivre ces significations. À côté de cette « résurrection historique », il est aussi possible de réactiver les collections en leur accordant une nouvelle signification en lien avec des lectures et des usages nouveaux, en lien avec des préoccupations de chercheurs et d’enseignants du présent.
11Le cas des appareils du premier laboratoire français de psychologie expérimentale est remarquable. Comme l’explique Christophe Quaireau, maître de conférences de psychologie expérimentale à l’université de Rennes 2, ce laboratoire a été créé en 1896 à l’université de Rennes par Benjamin Bourdon, qui y introduisait ainsi une nouvelle science. Les directeurs qui lui succèdent enrichissent la collection, mais l’atelier annexé au laboratoire disparaît au moment de la mise à la retraite de son technicien, Joseph Danjou. Les anciens appareils ont alors été stockés, mais ils ne seront exposés qu’en 1996 lors du centenaire du laboratoire. Ils connaissent à ce moment-là une seconde vie grâce à des démonstrations permettant de valoriser un patrimoine rare, mais aussi de réactiver un moment historique majeur, celui de la naissance d’une science devenue expérimentale.
12Le cas des transmissions d’une collection de documents géographiques, examiné par Nathalie Joubert, responsable au sein du Centre de ressources Olympe de Gouges de l’université Toulouse – Jean Jaurès, diffère du précédent. En effet, il est question ici de conserver des traces d’anciens usages des documents, mais aussi d’en développer de nouveaux. Par ailleurs, la collection de cartes géographiques ne résulte pas des acquisitions de directeurs successifs d’un laboratoire, mais d’une succession d’achats, destinés à de nombreux géographes toulousains, et de dons. Comme dans le cas précédent, la collection tombe dans l’oubli dans les années 1960-1970, cette fois avec l’apparition de la « nouvelle géographie ». La « réactivation » de la collection, qui date de quelques d’années, est soutenue par les apports théoriques des sciences de l’information. De nouveaux usages des cartes géographiques sont développés par des chercheurs et des étudiants d’aujourd’hui car, comme l’écrit Nathalie Joubert :
« Il ne s’agit pas de lire une carte comme le feraient un géographe, un historien de l’art […], mais de l’observer et de la catégoriser en tant que forme documentaire spécifique et en tant qu’outil de communication sociale. »
13Les articles de ce recueil retracent des histoires de bibliothèques et de collections. Ceux qui s’attachent à des lieux spécifiques les ancrent dans des histoires d’hommes et de femmes qui, depuis leur création jusqu’à aujourd’hui, les ont fait vivre et revivre. Les lecteurs et les lectrices pourront ainsi participer à la grande aventure historique des savoirs scientifiques, en partant d’objets matériels qui leur sont inéluctablement liés, les livres et les instruments.
Auteur
Membre du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS), section « Sciences, histoire des sciences et des techniques et archéologie industrielle », professeure émérite en épistémologie, histoire des sciences et des techniques, laboratoire LMJL, université de Nantes
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016