Voir pour comprendre les vestiges archéologiques du monde des morts et des vivants
See to Understand the Archaeological Remains of the Dead and the Living Worlds
Résumés
Caractériser les rites funéraires des sociétés passées, c’est aussi en apprendre plus sur la société vivante, son organisation, ses différents vestiges matériels construits ou utilisés du vivant des membres du groupe social ou en prévision de leur mort. Le développement, ces vingt dernières années, de nouvelles techniques pour l’enregistrement et l’exploitation des données a profondément modifié les pratiques aussi bien sur les chantiers de fouilles archéologiques qu’en laboratoire. L’utilisation d’outils 3D permet, outre la visualisation sans limite des structures enregistrées ou restituées, de tester de nouvelles hypothèses, de simuler des vestiges disparus et ainsi de mieux documenter les gestes funéraires. Nous nous attacherons à présenter, à travers divers exemples d’acquisition et de restitution 3D des tombes des nécropoles de Pompéi ou de Cumes (Italie), de quelle manière l’utilisation de ces nouvelles formes de représentation a enrichi les réflexions menées sur la sépulture et le défunt.
Characterization of funerary rites of past societies allows us to learn more about the living society, its organization, its various material remains built or used during its members’ lifetime or in anticipation of their death. The development over the last twenty years of new techniques for recording and exploiting data has profoundly modified practices both for excavations of archaeological sites and for laboratory studies. The use of 3D tools allows, in addition to the unlimited visualization of recorded or restored structures, to test new hypotheses, to simulate disappeared remains and thus to better document funerary practices. Through various examples of 3D acquisition and restitution of tombs in the necropolises of Pompeii or Cumae (Italy), we will present how the use of these new forms of representation has enriched the reflections on burial and the deceased.
Entrées d’index
Mots-clés : rite funéraire, Antiquité romaine, imagerie 3D, visualisation 3D, restitution 3D
Keywords : funerary rite, Roman Antiquity, 3D imaging, 3D visualization, 3D restitution
Remerciements
Je tiens à exprimer toute ma gratitude à William Van Andriga, Thomas Creissen et Henri Duday, responsables de la fouille de la Porta Nocera, à Pompéi, ainsi qu’à Jean-Pierre Brun et Priscilla Munzi, responsables de la fouille de la nécropole de la porte Médiane de Cumes, pour m'avoir permis de déployer sur ces terrains mes différentes méthodes.
Texte intégral
État de l’art des usages de la 3D
1Depuis les années 1960, le développement technologique et surtout l’informatique modifient les pratiques dans toutes les disciplines. Le transfert de technologie et l’adaptation de l’innovation sont rapides entre l’industrie et les sciences humaines. L’archéologie et l’anthropologie biologique n’hésitent pas à utiliser ces technologies. La première utilisation d’outils 3D pour l’étude archéologique est réalisée grâce au parrainage privé. À titre d’exemple, on peut citer les travaux de Robert Vergnieux pour la restitution de Thèbes (Égypte) en 1987, avec le parrainage d’Électricité de France (EDF)1. D’autres partenaires travaillent avec les archéologues pour la conception de bases de données, de systèmes d’information géographique (SIG) ou d’outils 3D2. Ces dernières décennies ont vu le développement de l’acquisition tridimensionnelle, à l’échelle de l’objet, de l’os avec les techniques d’imagerie médicale, mais également à l’échelle du site, à partir des laserscanners ou encore de la photogrammétrie. La possibilité ainsi offerte à tous de créer des modèles 3D ne doit pas faire oublier les réelles problématiques archéologiques ou archéothanatologiques auxquelles ces outils contribuent à apporter une réponse. À travers cet article, nous nous attacherons à expliciter ce qu’il est important de voir. Finalement, que nous livrent les vestiges archéologiques passés au crible de nouveaux outils ?
Les vestiges archéologiques : de l’enregistrement à l’exploitation des données
Problématiques de l’archéothanatologie
2La compréhension du monde des morts et des vivants passe par celle des gestes funéraires mis en œuvre par la population inhumante. En premier lieu, la tombe nous livre un individu, bien souvent sous sa forme squelettique, mais elle peut aussi contenir du matériel, être architecturée. Le soin apporté à la réalisation de la tombe, les matériaux utilisés, l’aménagement de la tombe ou celui du corps sont des éléments qui parfois ne sont pas conservés, ou seulement en négatif.
3L’analyse archéothanatologique du dépôt peut permettre de mettre en évidence ces éléments disparus, tels les contenants souples (textiles) ou rigides (bois), ou encore nous renseigner sur l’état du corps au moment du dépôt, le laps de temps entre le décès et la mise en terre3. Tous ces éléments sont le fruit d’une déduction logique fondée sur des arguments archéoanthropologiques existants, mais souvent non visibles.
4C’est là que la restitution tridimensionnelle joue un rôle fondamental dans notre réflexion en permettant le test d’hypothèses, et s’il n’est pas toujours facile de les valider, il est au moins possible d’en exclure certaines, ce qui resserre le champ interprétatif et améliore ainsi notre compréhension des sociétés du passé.
L’acquisition des données
5Dans le cadre de l’archéothanatologie, l’utilisation d’outils 3D intervient à deux moments différents : lors de la fouille ou a posteriori.
6Lors de la fouille, il s’agit d’enregistrer l’existant, l’ensemble des vestiges archéologiques, des unités stratigraphiques aux faits archéologiques, en passant bien entendu par le matériel. Ainsi pour une tombe, il s’agit d’enregistrer la tombe et toutes ses constituantes : le ou les squelettes en place, les différentes unités sédimentaires comblant la tombe, l’architecture de la tombe, le matériel et tous les éléments d’aménagement intérieur ou extérieur4.
7Lorsque la fouille est achevée, il s’agit d’extraire des documents de terrain les données nécessaires à la création d’un modèle 3D. Ces données correspondent aux coordonnées spatiales des objets, mais également aux informations anthropologiques, telle la face d’apparition des ossements. Dans le cadre d’une restitution tridimensionnelle a posteriori, la qualité du modèle 3D créé est directement liée à la qualité des informations recueillies sur le terrain, et ce quel qu’en soit le support : minutes de fouilles, observations anthropologiques, clichés photographiques. L’hétérogénéité des supports n’est pas une difficulté en soi ; au contraire, les différents documents de fouille sont complémentaires et servent à renseigner le modèle 3D5. Toutefois, si l’ensemble des coordonnées ne peut être acquis a posteriori, la restitution n’est pas envisageable.
8Les données de terrain permettent de reconstituer l’existant, mais la question se pose pour restituer ce qui ne peut être enregistré, ce qui a disparu, tels les chairs des corps ou les contenants en matériaux périssables par exemple. En permettant de restituer les éléments disparus, les modèles 3D constituent un véritable processus de recherche scientifique. La restitution d’éléments disparus invite à la formulation d’hypothèses et permet, par le test, de les exclure ou de les valider, ce qui n’est pas réalisable sans l’utilisation de la restitution tridimensionnelle. En effet, la possibilité de confronter les hypothèses de recherche par l’expérimentation virtuelle enrichit les pistes de réflexion menées sur les sépultures en renouvelant l’approche de l’analyse des gestes funéraires6. De ce fait, l’établissement des modèles 3D renouvelle également les problématiques archéothanatologiques.
Voir pour comprendre le monde des morts
Le terrain comme laboratoire : l’exemple de la Porta Nocera 2 à Pompéi (Italie)
9La fouille d’un nouveau secteur de la nécropole de la Porta Nocera7 à Pompéi (Campanie, Italie) a été l’occasion de concevoir, proposer et tester un nouveau protocole d’enregistrement des vestiges archéologiques. Le contexte préservé du site en fait un terrain de recherche exceptionnel. Le caractère programmé de l’opération, associé à la volonté des directeurs de la fouille de mener une recherche la plus exhaustive possible, nous a offert l’opportunité rare de proposer un protocole de restitution 3D de chaque unité stratigraphique, de chaque élément de la fouille sans souci du temps alloué à cet enregistrement exhaustif. Durant la fouille de la zone A de la nécropole de la Porta Nocera, chaque unité stratigraphique découverte a été enregistrée par photogrammétrie.
10Le choix de la technique est simple, aucune alimentation électrique directe sur le site n’était possible et la mise en œuvre de l’enregistrement devait être la plus rapide possible pour limiter la durée de monopolisation du terrain.
11Les enregistrements 3D avaient deux vocations : garantir une sauvegarde de tous les vestiges fouillés, la fouille étant intrinsèquement destructrice, et servir de documentation de fouilles en enregistrant la répartition spatiale des unités stratigraphiques (US), l’altitude, la colorimétrie, et en extrayant des documents de travail tels que des orthophotographies, des profils, des plans ou des relevés8 (fig. 1). La confrontation des modèles 3D a servi à vérifier la répartition des US (parfois fouillées sur plusieurs campagnes), à interroger les rapports entre US, à comparer les hauteurs par exemple. En complément des supports traditionnels de la fouille, la possibilité de cumuler les US a permis de réaliser a posteriori des coupes, de confronter des volumes fouillés.
12Au-delà de l’enregistrement des US et de l’archive de fouille, l’utilisation des modèles 3D a ouvert la discussion sur les gestes funéraires avec l’étude d’une urne en verre. La position de cette urne funéraire (SP 301), prise dans la maçonnerie du mur sud d’un mausolée inédit détruit (26A) constituait déjà un élément intéressant du point de vue archéologique pour la vie du mausolée, sa chronologie de construction et de destruction, mais également du point de vue méthodologique pour l’enregistrement des sépultures à crémation. En effet, l’enregistrement et la restitution 3D d’une sépulture primaire à inhumation offrent d’emblée un ensemble d’avantages, tels que la visualisation des altitudes et l’étude fine de la position de l’ensemble du dépôt. Pour les sépultures à crémation, la fouille se réalisant par passes successives de très faible hauteur et les ossements étant par le traitement reçu très fragmentaires, l’intérêt d’une restitution 3D des dépôts est plus discutable. Dans ce contexte de fouille programmée, le temps a pu être pris pour concevoir une méthode adaptée aux sépultures à crémation et ainsi discuter de l’intérêt d’une telle méthode. L’enregistrement 3D de cette sépulture s’est déroulé en trois temps, dans un souci constant d’exhaustivité : avant la fouille, après le dégagement de l’urne et des vestiges osseux, et une fois la fouille achevée. La fragmentation de l’urne n’autorisant pas son prélèvement, la fouille s’est donc déroulée in situ. La hauteur relativement faible des vestiges conservés à l’intérieur de l’urne n’a nécessité qu’une seule prise de clichés pour la photogrammétrie de son contenu. La position de l’urne dans la maçonnerie encore en élévation complexifiait l’enregistrement, et notamment la disposition d’axes de coupe (fig. 2). Aucun enregistrement classique in situ n’a donc été réalisé en dehors des photographies zénithales.
13L’élaboration d’un modèle 3D a permis dans ce contexte de discuter le remplissage de l’urne, l’installation du vase dans la maçonnerie et notamment l’inclinaison de ce dernier9. En ce qui concerne le remplissage de l’urne, il n’est conservé que sur six centimètres et a été prélevé en une seule passe, les vestiges étant perturbés par plusieurs niveaux successifs de colluvionnement.
14L’utilisation de la 3D a permis de restituer la hauteur inégale du remplissage et sa répartition au sein du vase sans réaliser un seul relevé sur le terrain. L’intérêt pour l’étude des restes osseux en eux-mêmes est limité, au même titre que l’auraient été les enregistrements classiques, mais le gain de temps est important et à ne pas sous-estimer. De même, les profils de l’urne ont pu être choisis et testés afin de conserver ceux qui se sont révélés les plus informatifs, ce qui est impossible à réaliser en fouille.
15Les informations 3D recueillies pour l’étude de cette sépulture à crémation correspondent à 35 minutes d’enregistrement et de traitement pour les trois étapes de la fouille de l’urne en verre.
16La méthodologie d’acquisition a été poursuivie pour d’autres types de sépultures à crémation et les premiers résultats sont également très encourageants10. En effet, au-delà de l’optimisation du temps d’enregistrement sur la fouille, la possibilité d’étudier plus finement les dépôts successifs enregistrés contribuera à documenter ces sépultures.
17Le protocole de restitution tridimensionnelle mis en place sur le site de la nécropole de la Porta Nocera a constitué un point de départ pour d’autres travaux de recherche. En effet, le temps alloué à l’enregistrement et à la modélisation 3D, plus que raisonnable par rapport à l’exploitation qui peut en être faite, encourage le développement de ces pratiques sur d’autres sites, quelle que soit leur échelle. La possibilité de recréer a posteriori des niveaux d’occupation de dépôt funéraire constitue un point essentiel de cette méthode et devient même indispensable lorsque la fouille est réalisée sur plusieurs années ou plusieurs secteurs adjacents. La réunion des différents enregistrements systématiques a en effet permis d’appréhender les volumes fouillés, de visualiser l’avancée des fouilles, et de retracer une partie de l’histoire du site, tout en assurant sa conservation (fig. 3 et 4).
De la restitution 3D à l’interprétation des gestes funéraires
18L’utilisation des outils 3D pour l’enregistrement et la sauvegarde des faits archéologiques est d’un très grand intérêt ; de surcroît, la possibilité d’étudier en détail une sépulture, de tester des hypothèses, est une opportunité unique. L’étude proposée concerne cette fois la sépulture d’un sujet immature de la nécropole de Cumes11 (Campanie, Italie). Cette sépulture est installée au sein de l’ambitus A19, qui fonctionne au départ comme un espace de circulation entre deux enclos, avant de devenir à son tour un espace funéraire à partir de la fin du ier siècle.
19Un enregistrement 3D de cet espace très dense en sépultures a été initié pour aider au phasage des sépultures et comprendre les différentes utilisations successives.
20La sépulture qui nous intéresse est installée contre un mur et présente plusieurs particularités du point de vue de l’architecture de la tombe et des pratiques funéraires. Il s’agit d’une sépulture sous tuile d’un sujet immature, décédé dans sa première année, déposé au sein d’un creuset12. L’architecture de la tombe est différente de celle déjà connue pour ces jeunes sujets à cette période. Le creuset, récipient habituellement usité pour le bleu d’Égypte, est vierge de toute trace d’utilisation et est utilisé ici pour accueillir le corps du jeune défunt.
21Le creuset est calé dans la fosse rectangulaire par un ensemble de pierres et fermé à son extrémité par une tuile de chant. Il est recouvert d’une tuile à plat, elle-même recouverte d’enduit13 (fig. 5). Aucun marqueur de surface n’a été mis au jour. Aucun mobilier n’est directement associé au sujet dans le creuset, seul un balsamaire en céramique a été découvert dans le remplissage du creusement.
22L’utilisation de ce récipient constitue un unicum pour ce site et à ce jour aucun autre exemple n’a été trouvé pour ces périodes ; toutefois une investigation plus approfondie mérite d’être menée.
23En ce qui concerne l’étude des gestes funéraires, plusieurs questions se posent sur le choix du récipient et à propos des implications sur le traitement du corps : dans quel état de décomposition était le cadavre, le creuset était-il entier ou a-t-il été découpé pour faciliter l’installation du corps ? Un enregistrement 3D de cette tombe a été réalisé à chaque étape de la fouille, du dégagement de l’enduit au démontage du creuset. Un des avantages a été de pouvoir obtenir toutes les altitudes du squelette de ce jeune sujet immature sans avoir à prendre physiquement les altitudes sur les os, ce qui a ainsi permis d’exclure une possible altération avec tout objet nécessaire à la levée. De plus, l’étude a été favorisée par la possibilité de choisir précisément, en fonction des questionnements, l’altitude nécessaire, sans aucune limite, contrairement à un enregistrement de terrain classique. La rapidité de l’acquisition et la préservation des restes squelettiques rendent ce type d’enregistrement redoutablement efficace comparé à une levée classique des altitudes. La possibilité également offerte de réaliser a posteriori des mesures constitue aussi un atout. C’est ici un avantage certain des outils 3D dans l’étude des très jeunes sujets, la fragilité des ossements rendant parfois impossible ou insuffisamment précise toute levée altimétrique, ou caduque toute prise de mesures une fois les ossements prélevés.
24Au-delà de l’enregistrement photogrammétrique systématique mis en place à chaque étape de la fouille, une restitution du corps du sujet immature a été proposée à partir de la position du squelette mis au jour. Le protocole de restitution utilisé est celui mis en place pour les sépultures plurielles de la catacombe des saints Pierre et Marcellin14 (Rome, Italie). Le corps 3D utilisé est celui d’un jeune sujet immature issu du logiciel MakeHuman, adapté et mis à l’échelle d’après les informations biologiques disponibles. Le rendu visuel n’est pas représentatif de la réalité anthropologique, car aucun modèle 3D scientifique n’existe pour la classe d’âge des 0-1 an ; c’est donc le modèle 3D d’un nourrisson actuel qui a été utilisé et adapté pour la taille.
25Le sujet, âgé de moins d’un an, est déposé sur le dos ; les membres supérieurs sont fléchis sur les dernières vertèbres lombaires, et les membres inférieurs fléchis pour le côté droit et en extension pour le gauche. De même, les différents mouvements des membres supérieurs, avec un glissement du membre supérieur gauche vers la partie la plus creuse du récipient et la flexion du membre supérieur droit, indiquent que le corps n’était pas contenu dans une enveloppe souple de type textile, mais n’exclut pas le port d’un vêtement. Le creuset a été découvert très fragmenté et partiellement effondré sur lui-même. Il présente une disjonction longitudinale liée à l’espace vide secondaire sous-jacent d’une autre tombe immédiatement affleurante. Un des premiers aspects de l’étude a été de déterminer si ce récipient a été découpé pour faciliter le dépôt du corps, ou s’il a été déposé complet avec le corps à l’intérieur.
26La restitution 3D a permis d’étudier avec précision les différentes cassures, de les corréler au niveau inférieur de sédiment, à l’axe des cassures, à l’écrasement du dessus du creuset et à l’observation de la position du corps de l’individu, et de conclure que ce récipient était entier au moment du dépôt.
27L’étude précise de la position du corps n’a été possible qu’avec la visualisation du sujet de profil. Il était impossible d’obtenir cette vue autrement que par la visualisation 3D (fig. 6).
28Ainsi, il apparaît que le sujet n’a pas été déposé uniquement dans la partie la plus creuse et que les membres inférieurs, en plus d’être fléchis, remontent contre la paroi. En ce qui concerne les gestes funéraires, cette observation est particulièrement importante puisqu’elle nous permet, complétée par l’étude des processus taphonomiques et l’étude fine de la position de dépôt, de déduire que le sujet a été introduit par l’ouverture. Cependant, en raison de sa taille (60 cm) supérieure à la longueur du récipient (45 cm), et sous l’action de la poussée, les membres inférieurs de l’enfant se sont naturellement fléchis et sont remontés le long de la paroi (fig. 7). Cette opération s’est donc déroulée soit avant soit après la phase de rigidité cadavérique. Il est important de noter le maintien de la position des membres supérieurs fléchis ainsi que le dépôt sur le dos de la partie supérieure du corps. Un soin particulier a donc été apporté au dépôt de l’individu, le haut du jeune cadavre a probablement été maintenu lors de son introduction, la largeur de l’ouverture permettant d’introduire les mains de l’inhumant dans le récipient. C’est à partir de ces observations qu’il devient possible de discuter du temps des funérailles.
29La restitution 3D a permis ici de statuer sur l’état du contenant au moment de son utilisation, de discuter finement la position du corps et de mettre en évidence les différents gestes réalisés par la population inhumante pour ce jeune enfant mort. Le choix de ce récipient et l’architecture de la tombe interrogent également sur la place de ce défunt au sein de la société, sans qu’il soit possible, en l’absence de traces écrites, d’aller plus loin dans les interprétations ou comparaisons.
Conclusion
30La qualité de la restitution 3D lors de la fouille est conditionnée par le protocole mis en place. L’exploitation des modèles 3D dépend des problématiques formulées lors de la fouille ou lors de l’étude en laboratoire. L’exploration de nouvelles pistes de recherche est le point commun à ses différents terrains d’expérimentation. En effet, l’utilisation de la 3D n’est pas novatrice pour l’enregistrement de terrain, en revanche la simulation ou le test des hypothèses de restitution, par exemple pour l’implantation de l’urne en verre ou du corps du jeune enfant, ouvrent de nouvelles pistes de réflexion.
31Au-delà de la simple visualisation du terrain, les modèles 3D deviennent un lieu d’expérimentation unique dépassant une simple représentation mentale. C’est une représentation qui peut être discutée, critiquée, modifiée. Des hypothèses peuvent ainsi être mises à l’épreuve et de nouvelles idées émerger dans le cadre de l’étude scientifique. Cette nouvelle forme de représentation offre, grâce aux simulations, un outil unique de travail qui contribue à élargir tant le champ des études que les problématiques.
32Ces exemples sont certes des cas d’étude ponctuels où sont testés et employés les nouveaux outils 3D, mais aussi les pistes de recherche offertes sont très prometteuses. La généralisation de ces outils voit l’augmentation croissante du nombre de modèles 3D, favorisant ainsi les comparaisons et contribuant à accroître nos connaissances en enrichissant nos référentiels.
33De même, l’exhaustivité offerte par l’enregistrement 3D, quelle que soit la mise en œuvre choisie (photogrammétrie, laserscan entre autres), enrichit considérablement les données recueillies sur le terrain. Il convient cependant de rester prudent quant à la qualité et la quantité des données recueillies. La qualité du modèle 3D créé est primordiale et doit faire l’objet de rigueur au même titre que le recueil de données archéologiques et anthropologiques. La quantité des données issues de la 3D ou générées par la 3D nécessite de mettre en place une véritable planification de la gestion des données : manipulation, évolution des modèles, diffusion, pérennisation. La communauté scientifique s’empare de ces nouvelles méthodes, mais la définition des référentiels est un processus sur le long terme.
34L’utilisation des modèles 3D nous permet de proposer une hypothèse de restitution du mort dans sa tombe, de visualiser les interactions avec le mobilier, l’architecture, la place occupée par le corps. L’étude archéoanthropologique s’enrichit du test des hypothèses et permet, par exemple en appréciant les volumes disparus, d’approcher les processus de construction de la tombe ; de même elle permet de distinguer ce qui résulte des processus taphonomiques de ce qui relève des gestes funéraires. Appréhender les gestes funéraires, c’est appréhender les gestes de la population vivante dans la gestion du mort et de la mort. L’utilisation de la restitution tridimensionnelle participe à augmenter notre connaissance du terrain et contribue ainsi directement à améliorer nos connaissances des populations du passé.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Vergnieux 2004, p. 13.
2 Père et Faucher 2008, p. 63.
3 Duday 2006, p. 41.
4 Sachau-Carcel 2014a, p. 293.
5 Sachau-Carcel et al. 2015a, p. 169.
6 Sachau-Carcel et al. 2015b, p. 37.
7 Fouille réalisée sous la direction de W. Van Andringa (École pratique des hautes études), T. Creissen (Evéha international) et H. Duday (UMR 5199 PACEA).
8 Sachau-Carcel 2014b, p. 115.
9 La précision des différents modèles 3D réalisés pour l’étude de l’urne en verre est inférieure au millimètre.
10 Sachau-Carcel 2015, p. 255.
11 Fouille réalisée sous la direction de J.-P. Brun (Collège de France) et P. Munzi (centre Jean Bérard, Naples).
12 Covolan et Sachau-Carcel 2016, p. 105.
13 L’enduit découvert est blanc, mais au vu de sa conservation il n’est pas possible de déterminer s’il était peint ou portait une inscription.
14 Sachau-Carcel 2014a, p. 290.
Auteur
Laboratoire De la Préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie (PACEA, UMR 5199, université de Bordeaux / CNRS)
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016