Introduction
Texte intégral
1Le développement des techniques informatiques, popularisé sous le terme de « révolution numérique » et qui prend son plein essor dans les deux dernières décennies du xxe siècle, a profondément transformé le rapport au réel dans notre société, dans de multiples aspects de notre quotidien, incluant celui de la science.
2Les chercheurs ont désormais accès à de nouveaux outils d’exploration du vivant, de l’environnement, de l’espace et des sociétés. Les performances de ces technologies ont considérablement renouvelé les pratiques traditionnelles de recherche et ont ouvert une nouvelle ère d’acquisition et de diffusion des connaissances scientifiques.
3L’archéologie a pleinement intégré cette ère du virtuel : elle utilise à présent couramment les techniques de l’imagerie numérique, comme la photogrammétrie, le scanner laser, la microtomodensitométrie, l’acquisition par drones, la modélisation 3D, les systèmes d’information 3D (SIR-3D), la réalité virtuelle et augmentée. Ces nouvelles technologies ont permis aux archéologues de documenter très précisément des sites, des gisements, des ensembles archéologiques, d’analyser des pièces ou des objets à haute résolution, de restituer des éléments bâtis dans leur état d’origine, d’explorer l’ensemble des vestiges du passé, le tout avec une précision et une interactivité jamais atteinte auparavant. L’imagerie numérique permet de conserver des données d’objets et de sites archéologiques d’intérêt scientifique, pédagogique et patrimonial, tout en maintenant leur accessibilité ; elle offre également de nouvelles opportunités de communication et d’interaction entre les archéologues et le grand public, naturellement friand de ces moyens de communication.
4Ce volume réunit 15 contributions présentées dans la session « Les sciences archéologiques à l’ère du virtuel » du 144e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, intitulé « Le réel et le virtuel », qui s’est tenu à Marseille du 9 au 11 mai 2019. Elles font le point sur les apports scientifiques des différentes méthodes numériques appliquées à l’archéologie, embrassant un large spectre d’objets d’étude. Tous ne pouvaient cependant y trouver leur place et nous avons souhaité opérer des choix. Il s’agit de vestiges ostéoarchéologiques, humains et animaux, de sites paléolithiques, de plein air ou en grottes, avec un accent mis sur les grottes dites ornées et de quelques sites archéologiques proche-orientaux, menacés par les conflits régionaux et relevant du patrimoine mondial de l’humanité.
5Outre la présentation de ces communications souvent collectives qui, à quelques exceptions près, sont ici retranscrites sous la forme d’actes, rappelons que la tenue du congrès à Marseille a précédé de quelques mois la crise sanitaire de la Covid-19, laquelle a nécessairement ralenti le processus de publication. Nous remercions nos collègues qui ont patienté dans l’attente de ces actes, lesquels peuvent enfin être diffusés. Ce congrès ayant été programmé un semestre avant ladite pandémie, nous mesurons désormais la richesse que procure ce type de rencontres en « présentiel », car elles génèrent immanquablement des discussions hors session, l’établissement de contacts avec de jeunes collègues prometteurs, la découverte de nouvelles équipes ou de chercheurs explorant de nouveaux sujets. La thématique programmée à quelques encablures du Vieux-Port s’y prêtait particulièrement. Merci à tous, ce fut un riche moment.
6Nous remercions également le Comité des travaux historiques et scientifiques, institution fédérant les sociétés savantes, d’avoir permis la tenue de cette session dédiée aux sciences archéologiques au sein de son congrès annuel, événement scientifique unique dans le paysage national.
7Nous remercions aussi tout particulièrement le service éditorial du CTHS, dont les compétences, l’efficacité et la patiente bienveillance ont permis la publication de cette synthèse dans la collection numérique des « Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques ».
8Nous espérons que ce nouveau volume numérique, Les sciences archéologiques à l’ère du virtuel, librement accessible, sera un ouvrage utile aux chercheurs, enseignants et étudiants dans le domaine des sciences archéologiques, ainsi qu’à un lectorat plus large intéressé par ces avancées scientifiques.
9Nous leur souhaitons un plaisir de lecture comparable à celui qui nous a accompagnés lors de la réalisation de son édition.
Voir et comprendre les vestiges ostéoarchéologiques en trois dimensions (Hélène Coqueugniot, Olivier Dutour)
10L’étude pluridisciplinaire des restes humains et animaux découverts en contexte archéologique intègre pleinement ses objets et ses problématiques dans l’ère du virtuel. Sur le terrain, les enregistrements photogrammétriques ou lasergrammétriques de chaque étape de la fouille de restes osseux permettent, après restitution tridimensionnelle, une visualisation parfaite de ces vestiges dans leur contexte. L’archéothanatologie, discipline restituant les gestes funéraires à travers la fouille des sépultures, bénéficie de ce nouvel outil d’acquisition et de reconstitution. Géraldine Sachau-Carcel illustre l’apport de cette approche par deux exemples de fouille de sépultures de l’Antiquité romaine, des sites de Pompéi et de Cumes. En laboratoire, les reconstructions 3D d’images d’ossements anciens, acquises par des méthodes tomodensitométriques par rayons X, par scanner médical ou par microscanner, ouvrent également de nouvelles perspectives à de nombreuses spécialités de l’archéologie.
11La paléoanthropologie, étudiant les fossiles des représentants de notre longue histoire évolutive, mobilise ces nouveaux outils, notamment pour retracer la phylogénèse du genre Homo. Dany Coutinho Nogueira et ses collaborateurs démontrent que la visualisation en trois dimensions de structures internes comme le labyrinthe osseux, composant de l’oreille interne inaccessible à l’examen direct car totalement enchâssé dans l’os temporal, est une aide précieuse au bon positionnement par rapport au phylum des néanderthaliens, de deux fossiles humains du Paléolithique moyen proche-oriental, les crânes de Tabun C1 et Kebara 1. La paléopathologie, science des maladies dont on peut détecter la présence sur des restes animaux et humains des temps anciens, bénéficie également de ces nouvelles méthodes, comme en témoignent les exemples présentés par Hélène Coqueugniot et Olivier Dutour, allant du Paléolithique moyen aux périodes historiques contemporaines, avec le diagnostic rétrospectif de pathologies traumatiques et infectieuses ainsi que leur impact fonctionnel. L’étude tridimensionnelle présentée par Samuel Bédécarrats et collaborateurs d’une trépanation médiévale du prieuré Saint-Côme, par ailleurs célèbre pour avoir été la demeure du poète Ronsard, a permis à la fois de reconnaître les indications et de reconstituer le geste chirurgical. L’archéozoologie, qui étudie dans le contexte archéologique les relations de la faune avec les sociétés humaines à partir des restes animaux en contact avec l’Homme, n’est pas à l’écart : Martina Lázničková-Galetová et collaborateurs présentent une collection de crânes de Canidés de sites de Moravie datant du Gravettien, pour lesquels la tomodensitométrie a permis de préciser la particularité du traitement des restes de ces animaux par les sociétés de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur.
12Avec l’utilisation de la microtomodensitométrie, il est possible d’obtenir des images 3D de l’architecture osseuse à l’échelle du micron et sans dommages pour les restes anciens. Antony Colombo démontre toute l’utilité de cette méthode pour analyser, dans le passé, les rythmes du développement de la marche bipède chez l’enfant, pour diagnostiquer sur des restes de nouveau-nés décédés il y a près de deux siècles un nanisme génétique, non visible par l’examen direct des ossements, ou pour détecter des signes de rachitisme carentiel, actif ou en cours de guérison, sur des ossements d’enfants médiévaux. Cette même méthode permet également de résoudre une problématique ancienne en bioarchéologie : comment différencier les restes humains des restes animaux dans des assemblages osseux en cas de fracturation poussée des ossements ? Charlotte Rittemard et collaborateurs montrent qu’avec l’aide de l’analyse 3D de la microarchitecture de l’os cortical, cette question est en passe d’être résolue.
13L’introduction de l’imagerie numérique en archéologie a considérablement changé la diffusion des connaissances archéologiques auprès du grand public. Restituer un visage à une personne décédée depuis plusieurs siècles personnifie les résultats des recherches archéo-anthropologiques et fait évoluer la muséographie, comme le démontrent Antony Colombo et collaborateurs, qui ont dressé le portait virtuel d’une jeune fille de l’an mil âgée d’une dizaine d’années et dont le crâne a été retrouvé dans le mur de l’église médiévale de la Granède, à Millau.
14Enfin, ces données numériques ostéoarchéologiques doivent être stockées pour leur préservation, mais aussi valorisées sous la forme de collections virtuelles facilement consultables pour la recherche, la formation et la valorisation. Olivier Dutour et collaborateurs présentent le projet Virt.OS, virtothèque ostéoarchéologique de restes humains et animaux, normaux et pathologiques, d’intérêt scientifique, pédagogique ou patrimonial, qui a vu le jour grâce au soutien financier de la région Aquitaine.
Diversité de la dématérialisation en archéologie : quelques études de cas (Jacques Jaubert, Patrick Paillet)
15Les contributions réunies dans cette partie sont aussi diversifiées que les tendances méthodologiques issues des différents champs documentaires de l’archéologie, ici principalement préhistorique. Mais pas seulement. Si l’on y ajoute les contraintes d’accès à certains sites ou encore la difficulté de manier certaines applications dématérialisées (scan, photogrammétrie, géophysique, géomagnétisme…) dans des environnements complexes où des étendues d’eau et des formations calcitiques en tous genres sont le calvaire des ingénieurs de la 3D, l’équation est parfois plus difficile qu’on le pense. La miniaturisation de nos appareils est en route, mais pas totalement aboutie. Les applications des outils numériques, si elles se sont généralisées et accompagnent désormais notre quotidien de terrain, sont encore loin d’être uniformes, utilisables par tous et partout, du moins sans de subtiles adaptations. Les textes qui suivent n’en composent que quelques illustrations et, vu la nature des documents investis, leurs champs d’application sont tout aussi diversifiés.
16D’un point de vue chronoculturel, on passe ainsi des premiers peuplements européens à l’origine de la lignée néandertalienne de la Caune de l’Arago aux néandertaliens anciens de Bruniquel, puis aux Hommes anatomiquement modernes fréquentant nos précieuses grottes ornées, pour s’achever sur des terrains proche-orientaux historiques où la folie des Hommes nous rappelle de temps à autre combien le patrimoine archéologique – préhistorique ou non – peut encore être vulnérable. En balayant cette frise chronologique, par nature incomplète puisque illustrée seulement par une poignée d’études de cas, on aura de même étiré la géographie, du versant sud des Corbières au Périgord blanc et jusque sur les rives orientales de la Méditerranée, en passant par le Vercors.
17Les approches méthodologiques, ou même les documents qui servent le discours des collègues ayant participé à cette session, sont tout aussi diversifiés. La fouille, a minima le terrain archéologique, sert bien naturellement de point d’origine à nos réflexions, au déroulé des objectifs annoncés avant d’en préciser les méthodes ou les outils sollicités : photogrammétrie (Véronique Pois et Anne-Marie Moigne), utilisation des données 3D – toutes techniques confondues – et leurs différentes applications (Bruno Dutailly et collaborateurs), énumération des différentes disciplines utilisées en lieu et place de l’archéologie invasive dans un site où toute fouille paraît proscrite, ou si parcellaire (Bruniquel : Jacques Jaubert et collaborateurs), ou encore outil privilégiant un système immersif pour la formulation d’hypothèses de reconstitutions paléo-environnementales (Sophie Grégoire et collaborateurs). La chaîne opératoire de restitution vers le grand public est également évoquée par la communication relative à la Caune de l’Arago, ou par une version numérique des grands sites archéologiques éditée par le ministère de la Culture pour les sites monumentaux proche-orientaux (Micheline Kurdy et Thomas Sagory). En praticien des relevés d’art pariétal ou mobilier, Patrick Paillet est bien placé pour disserter sur les différentes déclinaisons méthodologiques dématérialisées, et dans le même temps sur leurs limites, puisqu’en bons archéologues que nous sommes, nous ne cessons d’affirmer qu’il paraît plus que jamais prématuré de se passer de la présence des chercheurs in situ, face à leur paroi peinte, gravée ou sculptée. Certes, ces nouveaux outils sont de formidables supplétifs de feu nos relevés sur papier et de leur manipulation quasi romantique, mais rien ne remplacera la réflexion du chercheur ou de la pariétaliste face à une paroi graphiquement investie par les Gravettiens ou les Magdaléniens. À commencer par le partage complice d’un même lieu : celui du travail graphique plus ou moins sacralisé ou mythifié pour les uns – disparus il y a 17, 21 ou 30 000 ans –, d’étude et de compréhension de leurs sociétés fossiles pour les autres que nous sommes.
18Hélas, deux contributions n’ont pu trouver leur place dans ce volume tout aussi virtuel que la thématique du congrès : d’une part, Delphine Lacanette et collaborateurs, qui nous avaient régalés d’un superbe exposé pluridisciplinaire portant sur la grotte de Lascaux, et, pour une fois, avec d’autres objectifs que sa seule conservation ; Gilbert-Robert Delahaye et sa chère île de Groix à l’étonnante sépulture d’affinités scandinaves, qui nous a quittés avant de pouvoir finaliser son manuscrit.
19Certes, toute absence est toujours regrettable, mais ne doit en rien brider notre plaisir de parcourir les contributions réunies, ne fût-ce qu’après un délai quelque peu allongé pour les raisons expliquées plus haut.
Auteurs
Laboratoire De la Préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie (PACEA, UMR 5199, université de Bordeaux / CNRS) ; École pratique des hautes études (université Paris sciences et lettres)
Laboratoire De la Préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie (PACEA, UMR 5199, université de Bordeaux / CNRS) ; École pratique des hautes études (université Paris sciences et lettres)
Laboratoire De la Préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie (PACEA, UMR 5199, université de Bordeaux / CNRS)
Laboratoire Histoire naturelle de l’Homme préhistorique (HNHP, UMR 7194, Muséum national d’histoire naturelle / CNRS) ; musée de l’Homme
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016