Pasteur caché, pasteur devoilé : le rituel des assemblées du Désert en Béarn
p. 79-94
Résumé
Les grandes assemblées protestantes au Désert constituent un formidable théâtre dont l’acteur principal est le pasteur qui dans les premiers temps du redressement des Églises de Béarn, s’affiche comme le conducteur de la communauté. Bien que le message repose sur l’écrit, le geste et l’oralité sont loin d’être secondaires et c’est par le geste que passe le message le plus fort. La prédication n’est en effet pas toujours bien comprise par l’ensemble de la foule comme le montrent les témoignages, c’est davantage le caractère extraordinaire de ce nouveau personnage, sa mise en scène et les propos tenus en dehors des prédications qui restructurent la communauté. La communication passe certes par le sermon, mais peut être encore davantage par sa mise en scène au sein d’un cérémonial spécifique entièrement dédié au service du pasteur qui en est le maître d’œuvre et en use jusqu’à le détourner, voire à le transgresser.
Texte intégral
1Le ministère pastoral consiste essentiellement en la prédication, ce qui très souvent, a relégué au second plan l’autre aspect de la communication entre le ministre et les fidèles qui passe par une mise en scène particulière et des gestes. Le rituel de la cène récemment étudié1 n’est que l’un des éléments de l’ensemble de ces gestes, le plus souvent observés au travers de l’organisation de l’espace cultuel, mais ceux-ci dépassent toutefois le simple cadre de la liturgie2. Ce fait est plus évident au temps du Désert alors que le pasteur vit clandestinement et que le culte est célébré en plein air dans des endroits écartés. Les temps de prédication durant lesquels il s’expose dans tous les sens du terme, sont des moments de communication intense où le sermon n’est qu’une composante du message délivré aux fidèles rassemblés autour de lui. La mise en scène reproduisant symboliquement la disposition cultuelle au sein des anciens temples place le pasteur au centre du dispositif, dans une composition bien structurée et hiérarchisée ; son apparition, ses gestes ritualisés participent de cette mise en scène et confèrent au message oral une force particulière.
2Cette étude s’appuie principalement sur une enquête menée sur les assemblées tenues « par des religionnaires » et les prédications, baptêmes et mariages célébrés par des « prétendus ministres de la RPR » dans les sénéchaussées d’Orthez et de Sauveterre-de-Béarn. Elle a été confiée par le procureur général du parlement de Navarre au conseiller Ignace Tristan de Carrère qui, accompagné d’un greffier et d’un huissier, diligente l’instruction à Orthez et à Salies-de-Béarn du 27 juillet au 25 août 1757. Pour cela, le conseiller de Carrère rassemble tout d’abord les instructions préalables réalisées par les jurats des lieux concernés, puis les dépositions soigneusement numérotées de 225 témoins, signées lorsqu’ils le peuvent, et prononce à son terme 119 prises de corps et 102 convocations devant le parlement, consignées sur les dernières pages du cahier qui rassemble toutes les pièces de la procédure3. Il a ainsi essayé de reconstituer méthodiquement les faits, de repérer l’ensemble des suspects tout en prenant bien soin de faire recouper les témoignages afin de faciliter le travail répressif. Les propos qui sont plus ou moins développés selon la sensibilité religieuse des déposants donnent une vision certes conditionnée par le juge qui pose les questions de manière souvent répétitive ; toutefois, par les nombreux détails apportés, ces déclarations constituent une source très précieuse d’informations sur une population qui découvre ce que sont les grandes assemblées, voire ce qu’est la personne d’un pasteur, décrivant des gestes et des sentiments qui nuancent la vision parfois épique des rassemblements au Désert, notamment dans le contexte particulier du Béarn. Ce document est complété par des correspondances et des sources produites par les Églises clandestines, notamment de comptabilité4.
3Depuis la révocation de l’édit de Nantes, le Béarn n’a pas connu de révolte armée et après quelques assemblées très durement réprimées tenues dans les premières années, s’est retranché dans une résistance silencieuse alliant un catholicisme de convenance à des réunions restreintes et un culte familial. La reconstitution d’Églises clandestines qui débute en Bas-Languedoc à la fin des années 1720 parvient tardivement en Béarn où le « relèvement » se produit en 1755-1756, sous l’impulsion d’un pasteur de l’entourage d’Antoine Court envoyé à cet effet, Étienne Defferre, bientôt rejoint par le cévenol Jean Journet. Ce sont les premiers pasteurs à y demeurer depuis 1685. C’est à eux qu’incombe la tâche de ce relèvement, qui consiste non seulement à établir des institutions clandestines mais également à pousser des populations qui vivaient jusque-là dans l’ombre, ou même dans un lointain souvenir familial de leurs origines protestantes, à renouer avec la religion de leurs ancêtres et à la pratiquer ouvertement au risque de s’exposer aux mesures de rétorsions prévues par la loi, et notamment de se placer en infraction à la législation sur les baptêmes et le mariage5.
4Les premières grandes assemblées se tiennent dans les environs d’Orthez et de Salies-de-Béarn en 1756. Leur soudaineté et leur importance surprennent les autorités, par ailleurs davantage préoccupées par le conflit généralisé de la guerre de Sept Ans qui prive l’intendant des moyens militaires d’une répression. Néanmoins, en 1757, dans un climat quasi insurrectionnel, alerté par les jurats des lieux, le parlement de Navarre lance une grande enquête qui a pour but de mettre un terme à ces assemblées en menaçant personnellement de poursuites pénales leurs principaux initiateurs. Cette enquête, qui semble être la seule de ce type, dresse un instantané exceptionnel de la restauration d’une Église, s’attachant principalement aux personnes des étrangers à la province et à ceux qui les soutiennent et les hébergent.
5Dans ce contexte, l’action du pasteur pour convaincre les populations de sortir de la clandestinité ne se résume pas seulement au texte de ses sermons, mais à un langage symbolique et gestuel complémentaire voire indispensable de la parole qui s’inscrit dans un cadre cultuel original, au sein de vallons boisés, et plus largement dans le cadre privé de maisons particulières.
Le « théâtre sacré » du Désert
6Les grandes assemblées réunies par Étienne Defferre reprennent le modèle pratiqué habituellement par les pasteurs dans le Bas-Languedoc et plus spécifiquement dans la région nîmoise et dans les Cévennes. Elles se déroulent dans un lieu écarté pour ne pas perturber l’ordre religieux urbain, se placer hors du regard des autorités comme de la communauté catholique, et pour pouvoir se disperser rapidement en cas de menace. Le lieu n’est ainsi pas choisi au hasard et la disposition spatiale de l’assemblée obéit à des règles strictes qui ressortent des dépositions.
Espace clandestin
7Le lieu de réunion est donc un lieu caché, sous le couvert d’un bois et dans un vallon qui permet une disposition en amphithéâtre pour des raisons d’acoustique et d’organisation de l’assemblée. Ces vallons ne sont pas pour autant trop éloignés des principales agglomérations, afin d’éviter des temps trop importants de déplacement. Il s’agit pour l’essentiel du bois de Castetarbe à l’ouest d’Orthez, à proximité également des communautés de Bellocq et Puyoô, puis de Salles-Mongiscard, et du bois de Saubade situé sur la rive gauche du Gave, entre Bérenx et Bellocq, plus facilement accessible par les communautés de Salies et de Lagor. Il ne s’agit pas non plus de lieux occultes car il est difficile de dissimuler leur emplacement lorsque la foule dépasse le millier de personnes ; certaines assemblées, selon les chiffres de l’époque, auraient atteint entre trois et six mille assistants6. Le secret n’en est pas vraiment un lorsque les lieux de rendez-vous sont si peu nombreux et deviennent de plus en plus réguliers, le plus souvent le dimanche. En 1765, l’assemblée réunie sur les hauteurs du Bugala à Osse-en-Aspe avait même allumé des feux pour se réchauffer. C’est donc essentiellement le temps de la réunion qui est tenu secret et qui est annoncé par une personne accréditée dénommée le « mande » :
« Ajoute le déposant avoir ouy dire publiquement que les deux ministres protestans ont logé souvent chés le nommé Marsou deu Bosq… réputé dans le publique pour faire les fonctions de mande, c’est-à-dire qu’il indique aux religionaires le jour et le lieu où les assemblées doivent se tenir. »7
8Parfois, cette annonce dépasse largement le cadre de la communauté, attirant même quelques catholiques curieux.
« Marie Dubosq, […] dépose qu’un jour de dimanche pendant le Carême de l’année 1756, elle eut la curiosité de voir ce qui se passait dans les assemblées des religionaires, elle y alla avec Marie Laguilloune, 20e témoin, et la cadette de Manes, toutes trois faisant profession de la religion catholique. »8
Espace symbolique
9Le choix de l’espace comme son organisation ne sont pas laissés au hasard. Le périmètre de l’assemblée est délimité, il est destiné à rassembler les membres de la « véritable Église » et son accès est protégé contre toute présence hostile.
« Jean Gaston cadet, du lieu de Castetner, […] dépose qu’il vit de fort loin, le 21 novembre 1756, une nombreuse assemblée au parsan appellé Congot ; les habitans de Castetner sortant de la messe coururent vers le lieu de laditte assemblée qu’il a ouy dire être de religionaires et qu’il y avait un prédicant ; à peine ceux de Castetner pouvaient-ils être aperçus des gens de laditte assemblée qu’il s’en détacha plusieurs arméz de bâtons, qui les obligèrent à se retirer bien vite. »9
10L’ordonnancement du lieu obéit enfin à des règles précises qui dressent le décor imposé au cœur duquel officie le pasteur. Les fidèles sont rassemblés autour d’un espace sacralisé, fermé, un enclos matérialisé par des pieux et une corde, au centre duquel se trouve une « espèce de chaire élevée au milieu de l’assemblée couverte d’une toile », dont un autre témoin dit qu’elle est « garnie de cadis avec des rideaux de la même étoffe »10. Dans cet enclos prennent place face à la foule, les anciens de l’Église et les chantres, les proposants et le pasteur.
« Il y a vu deux ministres de la R.P.R., l’un âgé de 30 ans, l’autre de 45 ans ou environ, qui ont prêché alternativement ; ils se plassaient à une espèce de chaire couverte d’une toile ; plusieurs des assistans se tenaient auprés d’eux, séparés du reste de l’assemblée par une corde attachée à des piquets ; on les appelle confrères, qui ont des fonctions distinguées parmy les protestans. »11
11La comptabilité clandestine mentionne que du mobilier de culte fut acheté très tôt. Deux coupes de communion en argent figurent dans les comptes de 1757 pour un montant de 236 L. 1 s. La chaire pourvue d’un ciel de toile, décrite par les témoins de l’enquête, est payée 24 L. le 15 janvier, et par la suite une seconde chaire propre au désert de Magret est mentionnée en août 1759. En décembre 1758, un Nouveau Testament provenant de Bordeaux est payé 14 L.
12Cet espace est le lieu où s’annonce la parole de Dieu, où se célèbrent la cène, les baptêmes, les mariages. Cet espace masculin, croisement du vertical et de l’horizontal est le cœur/chœur de l’Église, le lieu par excellence du sacré. Cette hiérarchie n’est pas sans rappeler la disposition de la communauté dans les anciens temples, mais sa localisation dans un bois, au sein de la nature glorifiée par les philosophes de cette seconde moitié du xviiie siècle, lui apporte un surcroît de légitimité.
La recomposition du religieux
13Le dictionnaire de l’Académie dans son édition de 1762, contemporaine de la « Profession de foi du vicaire savoyard » extraite du chapitre IV de la première édition de Émile ou de l’éducation de Jean-Jacques Rousseau, cite parmi les occurrences du mot nature, « toute nature nous prêche qu’il y a un Dieu »12.
14L’emplacement de l’assemblée est considéré comme un espace sacré par excellence : le culte est célébré dans la nature, œuvre de Dieu et non dans un bâtiment, œuvre des hommes. L’exaltation de la nature est clairement explicitée dans la littérature du Désert ; ainsi les Sonnets chrétiens sur divers sujets de Charles Drelincourt parvenus en Béarn dans leur édition de Jacques Desbordes à Amsterdam en 1758, comportent un livre premier intitulé « Sur la Nature et son Auteur ». Le quinzième sonnet chante les arbres qui sont le refuge naturel des premières assemblées. La Liturgie pour les protestans de France éditée pour la première fois en 1758, dont un exemplaire de 1761 a également été retrouvé en Béarn, contient une « Prière à Dieu sur la beauté du spectacle de la Nature, & sur l’aveuglement de la plupart des hommes à n’y pas reconnaître la souveraine Intelligence » tout à fait édifiante13. Les textes produits par l’Église locale en reprennent les termes : l’en-tête des premiers synodes béarnais « Les églises du Béarn assemblées sous les yeux de Dieu… »14 souligne ce lien direct entre les fidèles rassemblés et leur créateur.
15Cet espace est donc celui de la loi divine et non celui de la loi royale, un espace qui légitime la transgression de celle-ci, qui met le culte célébré par le pasteur en position d’expression de la religion naturelle. Cette sur-légitimation contribue à l’attractivité de l’assemblée.
16Les dépositions évoquent rarement la peur que l’assemblée soit surprise. Ce sentiment réside plutôt dans l’idée de transgression de la loi royale, mais plus encore d’une sacralité admise, la catholique. Certains manifestent spontanément devant le juge leur horreur des propos tenus à l’encontre des prêtres et de l’Église romaine. Un tisserand d’Orthez témoigne de sa surprise devant les propos anti-romains du pasteur :
« Ce qui fit tant d’horreur au déposant qu’il se retira avec précipitation craignant que la terre ne s’entr’ouvrît sous ses pieds. »15
17L’expression de cette crainte est toutefois minoritaire. La protection armée de même que l’importance en nombre rendant toute tentative d’arrestation périlleuse et vaine, jouent pour beaucoup dans ce sens. La veuve d’un maçon de Bellocq déclare ainsi que :
« Depuis qu’elle a ouy dire que les protestans s’assemblaient au désert, presque toute la parroisse a changé de religion, ils vont presque tous aux assemblées et l’église du lieu, les dimanches et les jours de fêtes, est presque déserte. »16
18La foule enfin attire la curiosité, le nombre appelle le nombre ; c’est un moyen de prosélytisme sur lequel table Defferre ainsi qu’il l’écrit à son arrivée en Béarn :
« Tout se prépare à une vaste moisson dans cette province, il y a un grand nombre de gens en balance qui n’attendent qu’un vent doux et favorable pour les jeter dans le port, de sorte que, pourvu que les choses continuent à être pacifiques comme elles sont pendant quelque temps, on verra les gens entrer en foule dans la bergerie du Seigneur. »17
19L’assemblée a pour but de reconstituer le périmètre de l’ancienne Église, comme Court de Gébelin l’écrit avec un grand enthousiasme en 1761 :
« On m’écrit des merveilles de Béarn : les catholiques courent en foule aux assemblées, mais quels catholiques s’il vous plaît ! ce n’est pas uniquement du peuple, ce sont des seigneurs, des barons, des religieux même, oui, des religieux ; et tous font mille politesses aux ministres. Ce sont de braves gens, ils se souviennent de leurs dignes ancêtres ; ils montrent du moins que leur sang bout encore dans leurs veines… »18
20D’où l’importance de la célébration des baptêmes et des mariages devant l’assemblée, actes publics d’opposition à la loi royale et de rupture avec le culte catholique auxquels l’assemblée réunie consent et apporte son témoignage.
21L’intendant D’Étigny n’est pourtant pas dupe de cette stratégie. Bien renseigné, il écrit à Saint-Florentin en décembre 1755 :
« Le prédicant n’a pas manqué d’entrer en matière sur les risques qu’il courait, en exagérant son zèle, et tout le peuple a promis de l’en garantir ».
22Il préfère temporiser faute de troupes disponibles dans la région, en ce temps de guerre qui est un temps de grâce pour Defferre.
« Tout porte à croire -poursuit-il- que ces gens sont armés, et ce serait inutilement que l’on ferait marcher contre eux quelques brigades de la maréchaussée ; il n’en résulterait, selon toute apparence, que des événements fâcheux. »19
23Cette posture d’attente a très certainement favorisé l’œuvre du pasteur. Celui-ci peut alors jouer de cette situation, tantôt se cachant, tantôt se montrant pour annoncer à tous son message.
Le ministre de Jésus-Christ
24Étienne Defferre, arrivé au début de l’année 1755 en Béarn pour rétablir les Églises, est un pasteur de choc. Il exerce depuis 1748 son ministère à Nîmes, ville clé du protestantisme français du xviiie siècle où il est l’un des proches d’Antoine Court, qui lui propose de se rendre en Béarn où « se prépare depuis longtemps une moisson qui n’attend que la faucille d’un ouvrier zélé, prudent et habile »20. Il exerce seul durant deux années, avant d’être rejoint par le cévenol Jean Journet. Defferre est l’un des très rares pasteurs à être issu d’une famille de la petite noblesse, gentilshommes verriers de la Vaunage, et a préféré le pastorat à la carrière des armes, contre l’avis de son père. De ses origines, il tire un militantisme actif, voire offensif et prend le titre de ministre de Jésus-Christ plutôt que de ministre de la Parole de Dieu comme ses confrères. Le portrait qu’en dresse le parlement de Navarre dans son décret de prise de corps est plutôt flatteur :
« Bel homme, bien carré, de taille de cinq pieds, trois, quatre ou cinq pouces, nez crochu, jambes menues, visage plein, joli de sa figure, portant perruque blonde, vêtu d’un habit bleu, veste et culotte rouge et d’âge de quarante-cinq à cinquante ans. »21
25Paul Rabaut évoquait en 1755 son « tempérament vif »22, le pasteur Redonnel parle de « charbon de feu ». Le redressement des Églises de Béarn est lié à sa personnalité.
Le pasteur caché
26Le pasteur vit dans la clandestinité car il est la cible privilégiée des autorités. Il ne faut pas oublier que non loin de là, en 1762 le pasteur Rochette qui officiait dans le Quercy et l’Agenais, est exécuté à Toulouse, au moment même où débute dans cette ville l’affaire Calas. Étienne Defferre est sans cesse en déplacement, à la fois pour aller de familles en familles en vue de reconstruire l’Église béarnaise, et pour échapper aux menaces d’arrestation. Il possède deux pistolets placés dans les fontes de sa selle, ainsi qu’une carabine et l’un de ses valets est armé d’un sabre. Très rapidement, il se charge de sa propre protection quitte à y perdre un peu d’anonymat, comme le révèle l’un des déposants :
« Dit aussy avoir vu passer sur le pont du Gave de cette ville, il y a environ 3 semaines ou un mois, où il était entre 9 ou 10 heures du soir, une troupe de gens à cheval et à pied, ceux qui étaient à cheval étaient environ une vingtaine, ceux qui étaient à pied environ une trentaine arméz de pistolets et de gros bâtons ; le déposant entendit que ces gens-là disaient “Ne craignés pas, Monsieur, jurent le saint nom de Dieu, nous vous deffendrons si quelqu’un oze entreprendre contre vous”, ces propos persuadèrent le déposant qu’on parlait au ministre et que cette excorte n’était que pour sa sûreté, ainsy qu’on le dit dans le publiq que lesdits ministres ne marchent jamais que bien accompagnéz de personnes bien déterminées à les deffendre au besoin. »23
27Ces mesures de sécurité sont indispensables car très vite, toute la région est au courant de sa présence dans un périmètre relativement restreint. Ainsi, lorsque le fils de Hourty, tisserand, s’approche du lieu où vient de souper le pasteur :
« Il trouva quelque personnage qui sortait de la maison qui lui demanda ce qu’il venait espioner, que s’il ne se retirait promptement il lui donnerait du pied au cul, qu’il se retira promptement, crainte qu’on n’effectuat ce dont on l’avait menacé, le ton dont on lui parla lui en fit craindre davantage. »
28Le pasteur semble même parfois se déplacer en toute impunité, comme en témoigne deux ans après son arrivée, un garçon tuilier venu le dénoncer en vain auprès de la maréchaussée, le capitaine lui ayant répondu que « n’ayant que 3 cavaliers à ses ordres, il yrait inutilement les exposer »24.
29Protégé et caché, le pasteur ne peut être aperçu qu’occasionnellement lors de ses déplacements. Pierre Casalis, tisserand de Puyoô, dépose ainsi que :
« Le premier ou second dimanche du mois de novembre dernier… il vit un étranger, qu’il reconnut pour l’avoir vu souvent passer devant sa maison. »
30Mais en certaines circonstances, il peut être approché de plus près ; c’est le cas par hasard pour Marie Perguilhem habitant sur la route entre Castetarbe et Orthez, qui vit venir cette troupe s’abriter d’une forte pluie dans sa grange et parmi eux :
« Un homme avec une redingote, le visage gravé de la petite vérole, cheveux châtains, de taille avantageuse, entra dans la chambre où elle était, ledit homme remarqua deux jambons pendus au plancher, dit que c’était une bonne provision pour le Carême ».
31Pour la femme de Pierre Canton, c’est par curiosité, trouvant étrange que le valet de son parent Jean Lacarrère de Peirède, l’empêche de rentrer dans la maison, elle :
« regarda par le trou de la serrure, vit un homme à elle inconnu qui était à la fenettre en robe de chambre ; il luy parut âgé de 45 ans ou environ, de taille avantageuse, gravé de la petite vérole ; le portrait qu’on lui avait fait du ministre luy parut ressembler à cet étranger et est persuadée que c’est l’unique raison pour laquelle on porta obstacle lorsqu’elle voulut entrer. »
32Pour Jean Capdevielle, visitant une maison de Salies, la vision est plus familière :
« Le matin, après qu’il fut levé, il vit ledit étranger dans la maison habillé d’un gilet, un bonnet de nuit à la tête, ce qui ne lui permit pas de douter qu’il n’y eut couché. »25
Le pasteur et ses familiers
33Seules quelques personnes de confiance peuvent bénéficier de la compagnie du pasteur, ceux qui l’hébergent, ceux qui le reçoivent à souper. Ceux qui peuvent le croiser et lui adresser la parole en ces circonstances sont peu nombreux, et font partie de l’élite dirigeante de la communauté, elle-même exposée aux poursuites. Les curieux sont soigneusement écartés, on l’a vu, par les valets de la maison. Cette semi-clandestinité contribue à renforcer le mystère autour du personnage qui ne fréquente que ceux qui sont admis dans le cercle étroit, matérialisé par des piquets, situé autour de la chaire lors des assemblées. D’un niveau social aisé, Defferre dut plaire à la bourgeoisie orthézienne dont il pouvait partager des instants privilégiés de sociabilité.
34Le témoignage de ces moments privés dans les maisons particulières est rapporté par Jean Danglade de Castetarbe :
« Après la dernière assemblée qui se tint audit lieu de Castetarbe, le ministre de la R.P.R. se retira avec plusieurs personnes qui avaient assisté à ladite assemblée chés Marsau Croharé, dudit lieu, où il soupa avec sa troupe ; a ouy dire aussy qu’après souper ledit ministre prit par la main la fille de la maison nommée Sourine et dansa une danse ronde avec ceux de sa suite, après quoy ils passèrent au jardin pour chanter les pseaumes ; le déposant, qui est à portée, les entendit jusques après neuf heures du soir. »
35De même, Marie Danglade dépose que :
« le 24e du mois de juillet dernier, elle vit arriver chés le nommé Arrout dudit lieu une vingtaine d’hommes à cheval ; étant entrés dans la cour, Arrout père et fils coururent, les bonnets à la main, aider un homme à descendre de cheval,… tous ces personnages entrèrent dans la grange où ils se mirent à table ; après le souper, la déposante vit le ministre qui prit Arrout aîné par la main et tous allèrent danser sur un pré proche la grange ; ensuite, ils chantèrent des cantiques jusques à 9 ou 10 heures que le ministre se retira avec toute sa troupe. »26
36Toutefois, si le pasteur évite de se montrer en temps ordinaire pour sa sécurité, c’est pour mieux se révéler au sein de son Église, dans l’accomplissement de son ministère. Le secret amplifie ainsi sa prise de parole publique, et il se dévoile sur la scène du lieu de l’assemblée.
Le pasteur dévoilé
37L’organisation de l’assemblée est en effet théâtralisée autour du rôle principal du pasteur, mis en valeur par le décor et les figurants qui l’entourent. Dans cette mise en scène soigneusement orchestrée, il n’est pas impossible de retrouver les traits de la personnalité d’Étienne Defferre qui cherche à marquer les esprits dans le cadre de son œuvre de reconstruction de l’Église protestante locale, voire de reconquête. La pièce est précédée d’un temps préparatoire au cours duquel monte la tension jusqu’à l’arrivée du ministre. Elle se déroule ensuite en trois actes, la célébration des baptêmes et la bénédiction des mariages, le temps du sermon et dans certains cas, la célébration de la cène, suivis par la séparation de l’assemblée, chaque période étant rythmée par le chant des psaumes par les fidèles.
38Le premier temps est décrit par les témoins de l’enquête du parlement de Navarre. Joseph Fargues, tisserand d’Orthez expose le déroulement de ce début d’assemblée :
« Il vit et entendit le cadet de Marsoulet deu bosq, de cette ville, assis sur le marchepied d’une chaire placée au milieu de cette troupe, qui faisait lecture un livre à la main, attendant le ministre, qui arriva monté sur un cheval gris, armé d’une carabine, deux pistolets à la scelle et un autre à la ceinture, habillé comme le sont ordinairement les négociants qui voyagent, homme assés bien fait de l’âge de 40 ans à ce qu’il croit. L’empressement qu’on eut à son arrivée luy fit croire que c’était le ministre, ce qui luy fut confirmé par plusieurs. »27
39Un autre témoin signale que cette lecture est accompagnée également d’un temps de catéchisme :
« Le cadet de Marsoulet, le cadet de Segalas, lecteurs […] faisaient réciter le cathéchisme à ceux de l’assemblée avant que le ministre n’arriva. »28
40Une autre déposition décrit bien la gradation en intensité qui précède le sermon, le changement de vêtement, la montée en chaire puis l’adresse à l’assemblée :
« Il changea ensuite de décoration, il prit un rabat et une robe, monta en chaire environné desdits Labourdette, Larroque, des nommés Bareits, Marsoulet père et fils et Lacoste Titoy aîné et grand nombre d’autres de cette ville, gens très distingués et d’un grand crédit parmy les religionaires. Le ministre commança par regarder de tous cottés et s’adressant à ceux de l’assemblée il leur dit “Je m’expose pour vous, veillés qu’il ne soit fait aucune surprise” ; tous répondirent “Tranquilisés-vous, nous vous deffendrons contre tout venant”. »29
41Cette entrée en matière destinée à entraîner l’adhésion de l’auditoire, repose sur une mise en scène de la personne du pasteur qui s’expose alors en dehors du cercle de ses fidèles, comme le Christ révélant son message en dehors du cercle de ses disciples. À l’occasion de l’assemblée du dimanche de carême de 1756 à Salles-Mongiscard, à ce même moment qui suit son arrivée, de façon très surprenante, les premiers mots prononcés furent pour chasser des « pauvres » assemblés près de la chaire, action justifiée de la bouche même du pasteur :
« Que si on avait chassé les pauvres, qu’ils n’en fussent point surpris, qu’on avait découvert qu’ils avaient formé le projet de l’arrêter ».
42Il s’agissait selon un autre témoignage d’un seul mendiant qui s’était vanté que « s’il eût été secouru de 4 autres personnes, il aurait arrêté ledit ministre »30. Le régent Chéruques, ancien catholique converti, déclarera plus tard lors de son procès qui se terminera par une condamnation aux galères, avoir été de ce nombre, suspecté d’être espion et apostat31.
43Cette mesure spectaculaire permet de conditionner l’assemblée en marquant symboliquement la frontière spirituelle et matérielle entre élus et réprouvés, les véritables pauvres faisant partie des premiers et méritant d’être aidés, comme le montrent la comptabilité des sommes collectées lors des assemblées et leur distribution. Quant à la mise en scène, elle permet par un système de résonance de mettre en phase l’orateur et son auditoire.
44Suit alors la célébration des baptêmes et des mariages qui dans l’ancienne Église prenait plutôt place à la fin de la prédication et qui a ce stade, souligne davantage l’importance de l’entrée dans la nouvelle communauté des fidèles et valorise le courage de ceux qui osent ainsi le faire devant témoins. Elle est une manifestation publique de la reconstruction de l’Église et plus symboliquement, elle affiche la volonté de passer outre l’édit de Fontainebleau et d’avancer vers son démantèlement par la reconnaissance d’un état civil aux non-catholiques. C’est cette question qui mobilise principalement l’opposition des prêtres et des évêques car elle s’inscrit contre leur prérogative et leur enlève le principal moyen d’action contre les crypto-protestants obligés de passer devant eux tout particulièrement au moment du mariage. C’est elle qui avait cristallisé les tensions au cours des années précédentes, poussant même des protestants d’Orthez à recourir à de faux certificats32.
45Le temps de la prédication est le second temps essentiel de l’assemblée. Les sermons peuvent être recopiés et circuler ; quelques-uns de Defferre et plusieurs de Journet ont été recueillis localement33. Toutefois, leur contenu n’a pas fait l’objet de la curiosité du conseiller au parlement de Navarre, et les témoins s’attachent davantage à décrire la longueur de l’action :
« Ensuite, ledit ministre prêcha longtemps, suspendit par intervales sa prédication et, tendis qu’il reposait, l’assemblée chantait des cantiques. »
46Cette longueur peut aussi être due au fait que Defferre et Journet officient en même temps, comme à Castagnède où l’on mentionne que « deux ministres de la R.P.R.… ont prêché alternativement », un autre témoin précise que « après que l’un avait prêché, l’autre prenait sa place pour chanter. »34 Court de Gébelin écrit en 1763 :
« On y est sept heures dans ces assemblées sans impatience, avec plaisir ; il est donc tard quand on en revient et on finit le reste du jour d’une manière qui leur fait beaucoup d’honneur… »35
47L’assemblée se termine avec la quête dont la comptabilité fournit également d’intéressants renseignements.
« Avant que l’assemblée ne se sépara, le déposant vit que lesdits Lagoardére, Davitou, Lechit, Labere et Joanhau firent la quette et amassèrent beaucoup d’argent dans leurs chapeaux »36.
48Chacun se retire alors mais dans certains cas, le pasteur et les anciens prennent leur repas sur le lieu de l’assemblée et ne repartent plus discrètement qu’à la nuit, après que la foule se soit dispersée. Ainsi, des habitants « avaient fait porter un jour d’assemblée un souper pour le ministre et pour plusieurs qui devaient manger avec luy au bois de Castetarbe ». Pierre Boileau, laboureur de Sainte-Suzanne, quant à lui court pour empêcher que l’on utilise son bois pour le repas, mais ne peut que constater « qu’on avait alumé du feu dans l’endroit où l’on avait soupé »37. Lorsque l’assemblée s’est tenu près d’une maison, notamment dans le secteur le Castetarbe, le pasteur peut aussi y être accueilli comme il a été vu précédemment.
49La mise en scène du personnage du pasteur a donc pour objectif de renforcer la portée de ses propos dans sa fonction de ministre de la Parole, mais son message passe également par des exhortations orales et par des gestes qui continuent à le mettre au centre de la communauté.
Les paroles du ministre
La prédication
50Les dépositions des témoins comparaissant devant le juge civil apportent plusieurs renseignements sur les circonstances du sermon, mais aucun sur son contenu. Elles signalent en premier lieu son succès qui se manifeste par la satisfaction des auditeurs, indirectement rapportée à propos de ses maîtres par la servante de Loustet, négociant d’Orthez, ou encore plus ouvertement par Pierre Lauret, jurat de Bellocq :
« Qu’un jour du mois de décembre dernier il eut la curiosité d’aller à l’assemblée des religionaires qu’ils tinrent sur le territoire de Belloq, qu’il entendit prêcher le ministre de la R.P.R., qu’il eut tant de plaisir de l’entendre qu’il y est retourné 3 ou 4 fois. »38
51Toutefois, plusieurs témoignages font état de difficultés à comprendre le sermon, non pas tant en raison de la langue puisqu’ici le français n’est pas la langue pratiquée quotidiennement par le plus grand nombre, qu’en raison de la configuration même de l’assemblée. Il n’est en effet pas toujours audible pour ceux qui sont les plus mal placés à la périphérie, comme l’indique Pierre Souviraa, de Puyoô :
« … il y avait tant de monde qu’il ne put se mettre à portée d’entendre le prédicant ny connaître ceux qui étaient auprès de luy »39.
52Ce propos pourrait être de sa part, une stratégie dilatoire face aux questions de l’enquêteur, mais on ne peut toutefois occulter les difficultés inhérentes à de telles assemblées qui rassemblent pêle-mêle, peut-être aussi de façon insidieuse en fonction de leur degré d’adhésion, des fidèles convaincus, des prosélytes potentiels et des assistants curieux. Les problèmes d’acoustique comme ceux de compréhension ont pu limiter la pénétration du message pastoral.
53Les dépositions de trois habitantes d’Orthez semblent confirmer la hiérarchie concentrique. Marie Laguilloune expose :
« (qu’arrivées) au lieu de l’assemblée, elles cherchèrent contre un arbre à se mettre à l’abry du soleil ; cette place fut enviée par des femmes de l’assemblée…, qui prétendirent, comme huguenotes, en avoir la préférance. »
54La suite laisse mal augurer de la compréhension, Marie Manes déclarant :
« (qu’)étant arrivées sur le territoire de Sales-Mongiscard, elles furent éblouies, voyant une assemblée aussy nombreuse, elles tachérent de prendre une place d’où elles pussent voir et entendre. […] La déposante était si éblouie et sy troublée de tout ce qu’elle avait vu et entendu qu’elle ne peut rendre un compte aussy exact qu’elle aurait souhaité. »
55Ce que confirme plus explicitement sa commère Marie Duboscq :
« La déposante, ainsy que ses camarades, donnèrent toute leur attention pour voir et pour entendre mais le mauvais accueil qui leur avait été fait, les mauvais propos qu’on tenait sur leur compte les troublèrent si fort qu’elles prirent le party de se retirer sans avoir pu satisfaire leur curiosité pour rendre compte de ce qu’elles auraient souhaité voir et entendre. »40
56Un synode de Béarn déplore par ailleurs l’indiscipline qui peut régner dans ces assistances :
« On s’est aperçu qu’il règne dans nos assemblées religieuses pendant la lecture de l’Écriture sainte, du chant des psaumes et pendant la récitation du catéchisme, beaucoup d’irrévérence et d’indévotion. »41
57La prédication peut être complétée par les propos des auxiliaires du pasteur ainsi que par la lecture, mais ces deux vecteurs ne touchent que les convaincus. Les deux pasteurs sont aidés par deux chantres qui les accompagnent, dont l’un d’eux est dit être le frère d’Étienne Defferre. Ils sont chargés de conduire le chant dans l’assemblée mais également d’aller par les maisons pour assurer le réapprentissage du chant des psaumes ; ainsi Léonard Dufau, avocat et jurat de la ville d’Orthez déclare que « depuis 5 ou 6 mois qu’on dit que ces deux chantres sont en cette ville, il a entendu dans différents quartiers qu’on chantait les pseaumes, le jour ainsy que la nuit »42, et ce chant des psaumes dans les maisons est attesté par de nombreux témoins.
58Ce même Dufau indique également « avoir ouy dire publiquement qu’il était venu en la présente ville un étranger qui reliait les livres qu’on vendait aux religionnaires ». Il atteste ainsi du relais institutionnalisé de l’écrit comme prolongement de la prédication et comme support intellectuel et argumentatif du redressement de l’Église. L’enquête menée par les jurats de Labastide-Villefranche confirme le lien entre l’assemblée et la vente des livres :
« Un marchand de Pontac avoit vendu dans l’assemblée des calvinistes dud. jour 20 mars [1757]… pour plus de quatre mille livres des livres de la secte et qu’il en auroit vendu beaucoup plus sy sa boutique avoit été plus fournie. »43
59Ces livres sont des psautiers que plusieurs témoins déclarent avoir vu entre les mains de plusieurs personnes, mais aussi sans doute des bibles, des sermons et des ouvrages de controverse. Le livre qui circule désormais sous le couvert est en effet un vecteur complémentaire de la prédication, il peut même apporter l’argument décisif de la conversion comme le révèle un laboureur de Baigts à qui l’un de ses cousins a déclaré qu’il « luy prêterait un livre qui ne luy permettrait pas de douter que la religion protestante ne fût préférable à celle qu’il professait »44. Il peut aussi apparaître comme objet de légitimation de la contestation, ainsi qu’il ressort de l’algarade ayant opposé Lanusse de Peirède au curé d’Athos au cours de laquelle le premier « un grand livre sous le bras », affronte le prêtre venu faire cesser une assemblée, et l’aurait même bousculé parce que le curé avait voulu le lui arracher45.
Un exhortateur
60La mission de Defferre consiste à « redresser » une Église dont une partie des membres pratiquait de manière fractionnée dans des cénacles, et était soumise à l’influence de prédicateurs passagers, dissidents du mouvement de restauration des Églises françaises lancé par Antoine Court. C’est donc à cette nouvelle communauté que le pasteur destine ses prédications, mais également plus quotidiennement, au cours de conversations privées, ses conseils et exhortations tirés de la Parole pour l’inciter à « sortir de Babylone ». Reposant en grande partie sur une argumentation anticléricale, ses propos sont rapportés à plusieurs reprises dans l’enquête du conseiller au parlement de Navarre, alors que le contenu des sermons en est totalement absent.
61Les exhortations dénoncent l’illégitimité de l’Église catholique comme l’indiquent les propos du chirurgien Planté à un laboureur de Baigts :
« (qu’)il était dans une très grande erreur de préférer la religion catholique à la protestante, que Rome était l’ancienne Babilone, que c’était un mélange de christianisme et de paganisme, bien différente de la protestante, qui était dans toute sa pureté. »
62Ce même personnage se met en colère contre un paysan de Bérenx qui ne veut pas se rendre à l’assemblée et lui déclare :
« que tendis qu’il irait à l’église adorer les images et la croix comme font les catholiques, qu’ils seraient tous damnés. »
63Quant au fils aîné de Gentiu, il déclare sarcastiquement à une femme d’un marchand d’Orthez après la Fête-Dieu « qu’on allait aux églises adorer les idoles et qu’à la procession on avait promené un marmouset ». Les propos peuvent même aller jusqu’aux menaces, comme celles qu’adresse le fils Domerc à un tisserand de Puyoô qu’il a sollicité à plusieurs reprises d’aller aux assemblées :
« Luy disant que la religion protestante soit la préférable ayant toujours résisté, il lui a fait querelle et menacé que s’il ne changeait, le temps allait venir que les catholiques seraient persécutés comme les protestans l’avaient été. »46
64C’est bien le pasteur qui donne le ton à cette animosité envers l’Église catholique, selon plusieurs témoignages convergents. Un apprenti de dix-neuf ans déclare que dans la maison de son maître :
« Il se fait souvent des assemblées de huguenots qui déchirent sans ménagement les ministres de l’Église romaine. »
65Un maître tisserand d’Orthez dépose que le pasteur au début de l’assemblée,
« se déchaîna contre les ministres de l’Église romaine, damnant tous ceux qui comerceraient avec eux et fréquenteraient l’église, ce qui fit tant d’horreur au déposant qu’il se retira avec précipitation craignant que la terre ne s’entr’ouvrît sous ses pieds. »
66On peut rappeler ici les propos tenus chez Marie Perguilhem lorsque Defferre se réfugie chez elle pour échapper à la pluie, et citer ceux qu’il adresse à sa fille Catherine âgée de dix-sept ans, il :
« prit le cathéchisme que la déposante lizait, aprés y avoir jetté les yeux il luy dit que l’évêque de Dax était un homme suspect. »47
67Le pasteur fait aussi courir le bruit que le roi leur est favorable et qu’il est sur le point de reconnaître le protestantisme. Le procureur du sénéchal rapporte une conversation qu’il eut avec deux habitants de Baigts qui lui répondirent :
« qu’ils croyaient ne point contrevenir à la volonté du Roy, ce qui leur aurait été certifié par des personnes dignes de foy. »
68Ainsi qu’une autre qu’il eut à Hagetmau à propos des assemblées, au cours de laquelle un habitant d’Orthez lui répondit :
« Qu’il continuerait d’y aller, que le Parlement aurait beau le deffendre, qu’il y irait jusques à ce qu’il vît un ordre bien précis du Roy et qu’il envoyât des troupes pour l’en empêcher et s’exalta en mauvais propos ».
69L’origine de cette information est rapportée plus loin à l’occasion de l’audition de la femme d’un laboureur de Baigts qui entendit la lecture d’une gazette dans laquelle il était mentionné :
« une déclaration par laquelle les gouverneurs des provinces pouvaient permettre à ceux de leur Gouvernement de bâtir des prêches et le libre exercice de la R.P.R. »
70Elle précise ensuite que :
« pendant que laditte Suson fit lecture de cette prétendue gazette, elle faisait des poses pour assurer que tout ce qu’elle disait était véritable et que, incessament, on verrait la religion protestante préférée, dans le Royaume, à la religion catholique. »48
71Ces citations renvoient à la place croissante que va jouer la bourgeoisie protestante béarnaise dans le combat plus général lancé par Court de Gébelin, en faveur de la reconnaissance civile et des libertés de conscience et de culte49, qui commence dès 1758 par la rédaction d’un Mémoire des protestants de Béarn50.
72La fonction pastorale dépasse le cadre de la simple prédication dans les assemblées, le sermon seul ne suffit pas, même s’il est prononcé dans un temps cultuel éminemment symbolique. Organisateurs, controversistes, exhortateurs, Defferre et ses confrères dirigent et coordonnent la reconstruction en s’appuyant sur des élites locales qui découvrent un nouveau système ecclésiastique, en même temps que la personne d’un pasteur doté d’un caractère très affirmé.
Le rituel transgressé
73L’enquête sur les assemblées révèle la mise en ordre quasi militaire de la nouvelle Église et l’établissement d’un rituel qui, se substituant au culte domestique ancien morcelé, place le pasteur en position incontournable de constructeur, voire de directeur d’une structure centralisée qui embrigade au service de la cause, les principales personnalités des Églises locales.
74La puissance de ce personnage transparaît donc dans le cérémonial dont il est en fin de compte tout à la fois le premier personnage et le metteur en scène, au point que lui seul peut se permettre de le mettre à mal, voire de le transgresser. Un évènement intervenu quelques années plus tard en apporte la démonstration. S’il fit beaucoup de bruit en son temps, il n’a pas laissé de trace autre qu’une simple mention dans les comptes des collectes pour le jour de la cène de Pentecôte qui s’est tenue dans la châtaigneraie de Patran, le 2 juin 1765.
75Le receveur des deniers choqué, ne put s’empêcher de noter de manière très inhabituelle cette brève mention :
« Le 2e juin, assemblée à Patran. Mr Montigny a presché et donné la communion. Il escandalisa la moitié des fidelles en donnant la communion, il tourna le dos à ceux qui se présentoit et au lieu de se mettre derrière la table comme c’est l’usage, il se acorté. »51
76Comment interpréter une telle posture à l’occasion de la célébration de l’un des deux sacrements du protestantisme ? Une première interprétation qui tendrait à souligner la cléricalisation du pasteur marquant sa distinction vis-à-vis des fidèles ne peut être retenue car elle s’inscrit ouvertement contre le principe du sacerdoce universel. Pour cet homme qui a le sens du symbole, ce geste d’inversion est un geste parodique pouvant être interprété comme une dérision de la célébration eucharistique catholique, un prolongement en quelque sorte de ses propos à l’encontre de l’Église romaine, mais cela n’explique pas pour autant l’inscription sur la liste.
77Il s’agit en fait d’un mouvement d’humeur puisque la semaine suivante, il donne à nouveau la communion dans une grange de Ségalas à Salles-Mongiscard, puis donne une prédication à nouveau à Patran le 7 juillet, sans que le comptable indique quoi que ce soit sur la liste des assemblées. Le message s’adresse donc à l’assistance, et peut-être même directement à ceux qui l’entourent de près. Il tourne le dos à la foule comme pour signifier en ce temps de Pentecôte qu’ils ne sont pas dignes de la descente de l’Esprit saint, au risque de compromettre la validité de l’acte. Il marque ouvertement son désaccord, s’écartant de la table et sans doute laissant les anciens distribuer la cène.
78Ce n’est pas la première fois que Defferre manifeste son humeur. Alors que durant l’été 1762, l’intendant envoyait les dragons entre Orthez, Bellocq et Labastide-Villefranche pour réprimer les rassemblements et notamment celui du mois de juin qui avait vu le mariage du pasteur Jean-Jacques Fosse, que par précaution ce dernier avait quitté la région et que Journet se cachait, le consistoire avait décidé de suspendre les assemblées, mais Defferre s’obstina à les maintenir. Dans le cahier des assemblées, figure pour un rassemblement à Patran à la date du 8 août 1762 :
« Il n’y avoit presque personne. M. Montigny a presché contre le sentiment des notables et consistoire et malgré que l’on luy eut escrit de ne pas prescher. Il n’a pas fait de sermon mais une morale pour la persécution. »52
79Il convient alors de replacer ce geste dans le contexte chronologique. Les anciens s’inquiètent des multiples procédures qui ont été lancées, la maréchaussée quadrille la région et l’intendant d’Étigny en profite pour tenter de faire cesser les assemblées trop voyantes qui défient l’ordre public, au détriment de Defferre qu’il tente de faire passer pour un ministre « venu pour les duper »53. Après le départ de l’intendant, le marquis de Lons, lieutenant pour le roi en Béarn va charger Jean-Paul de Saint Cricq, lieutenant-colonel de cavalerie, apparenté à quelques familles de la bourgeoisie orthézienne bien placées au consistoire, les Paraige, les Dutilh, Poey et Lacoste, de conduire des négociations qui se déroulent désormais entre Béarnais (mars 1767-mars 1768)54. L’objet de ces négociations est clairement explicité dans la justification qu’en donnera plus tard l’un des principaux représentants de la communauté, l’avocat Vidal, dans une lettre adressée à Court de Gébelin :
« Je ne crois point que des assemblées publiques soient si essencièles à la religion, que des assemblées particulières ne puissent en remplir les veües et peut-être d’une façon plus parfaite. »55
80À partir de cette période, les réunions commencent à se dérouler dans des granges ; Defferre continue cependant à tenir de grandes assemblées qui cessent définitivement en avril 1767. Aux prisonniers détenus dans les geôles du parlement, il adresse sur un ton mystique, cet encouragement à la résistance :
« Vous combatés sous les étendars du prince de la vie et pour la cause la plus juste et la plus glorieuse qui fut jamais. […] Ah réjouissés vous d’être injuriés et persécutés au sujet de J. Ch., faites éclater votre joye, parce qu’une grande récompense vous attant dans le ciel. »56
81Le pasteur a donc utilisé une fois de plus la scène des grandes assemblées pour manifester symboliquement, par un geste public et non par la parole, sa désapprobation vis-à-vis d’une divergence fondamentale sur la conduite de l’Église.
82Étienne Defferre se plie néanmoins tant bien que mal à cet accommodement, qui par ailleurs met momentanément fin aux poursuites à son encontre et assure une certaine sécurité pour son épouse et ses deux enfants nés en avril 1766 et juin 1767. Néanmoins, son jugement a été clairvoyant, les autorités ont entravé efficacement, pour la première fois, le mouvement qu’il avait initié une dizaine d’années plus tôt. Le synode n’est plus réuni après sa dernière session du 19 mars 1766 ; la liste des assemblées commencée en 1756 n’est désormais plus tenue après le 12 avril 1767. En 1772, malgré l’accord passé, les poursuites reprennent contre les pasteurs. Defferre se sentant sans doute trop exposé et considérant ne plus pouvoir apporter aux Églises de Béarn, se retire en Bas-Languedoc au printemps 1773.
Bibliographie
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Cadier Alfred, « Le protestantisme béarnais. Interrogatoire de D. Chéruques à Pau, 17 avril 1759 », B.S.H.P.F., t. 26 (1877), p. 165-174.
Chareyre Philippe, « De Bois en Granges : Les assemblées du Désert en Béarn de 1757 à 1767 », Mélanges en mémoire de Michel Péronnet, Publications de l’Université Paul-Valéry-Montpellier III, tome 2, 2003, p. 265-290.
Coquerel Charles, Histoire des églises du Désert, tome 2, Cherbuliez, Paris, 1841.
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Dardier Charles, Picheral-Dardier A., Paul Rabaut. Ses lettres à Antoine Court (1739-1755). Dix-sept ans de la vie d’un apôtre du Désert, tome 2, Grassart, 1884, t. 2.
Grintchenko Marie-Hélène, Les baptêmes protestants au Désert en Béarn 1756-1778, vol. 1 : texte, vol. 2 : liste des actes, TER, UPPA, juin 2000, 178 + 168 p.
Grosse Christian, Les rituels de la Cène. Le culte eucharistique réformé à Genève, xvie-xviie siècles, Genève, Droz, 2008.
Hugues Edmond, Les synodes du Désert, seconde édition, Grassart, Paris, 1891, tome 2.
Krumenacker Yves, « La liturgie, un enjeu dans la renaissance des églises françaises au xviiie siècle », Édifier ou instruire ? Les avatars de la liturgie réformée du XVIe au XVIIIe siècle, M. C. Pitassi (éd.), Champion, 2000, p. 111-126.
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Tucoo-Chala Suzanne, « Protestants et protestantisme en Béarn, du Désert à l’Après Révolution : 1755-1804 », Nouvelles pages du protestantisme en Béarn, CEPB, Pau, 1989, p. 197-209.
Notes de bas de page
1 C. Grosse, Les rituels de la Cène.
2 Y. Krumenacker, « La liturgie, un enjeu dans la renaissance des Églises françaises au xviiie siècle », p. 111-126.
3 Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques (ci-après ADPA), B 5444.
4 Fonds du Centre d’Etude du protestantisme béarnais déposés aux ADPA (ci-après CEPB), 60J 50/180, Cahier des réunions des assemblées 1756-1760 ; 60 J 300/ 40, Cahiers des réunions des assemblées 1756-1767 ; documents relatifs aux impositions, aux collectes et aumônes 1756-1767.
5 P. Chareyre, « De bois en granges… », p. 265-290.
6 ADPA, B 5444, témoins 32 et 38. Le chiffre le plus haut paraît exagéré car il dépasse celui de la population protestante du Béarn à cette époque estimée à cinq mille individus. Voir S. Tucoo-Chala « Protestants et protestantisme en Béarn, du Désert à l’Après-Révolution. 1755-1804. », p. 209. Toutefois, la présence de catholiques, comme d’anciens protestants hésitants, a certainement contribué à accroître cet effectif.
7 ADPA, B 5444, témoin 5.
8 Ibid., témoin 25.
9 Ibid., témoin 98.
10 Ibid., témoins 25 et 225.
11 Ibid., témoin 185.
12 4ème édition, p. 198.
13 D. de Superville, de Latreille, B. Pictet et J. Saurin, Liturgie pour les protestans de France ou prières pour les familles des fidèles privés de l’exercice public de leur religion, Marc-Michel Rey, Amsterdam, 1761, p. 342-346, (CEPB, BPr 7/37).
14 Formule initiale des actes des premiers synodes du Désert béarnais, 1757-1758, ADPA/CEPB, 60J 300/36.
15 ADPA, B 5444, témoin 32.
16 Idem, témoin 112.
17 C. Coquerel, Histoire des Églises du Désert, p. 233.
18 « Lettres inédites de Court de Gébelin et du pasteur Gal-Pomaret », B.S.H.P.F., 1854, p. 603. (12 octobre 1761).
19 P. Raymond, « Le protestantisme en Béarn (1755-1756) », p. 606.
20 C. Dardier, et A. Picheral-Dardier, Paul Rabaut. Ses lettres à Antoine Court (1739-1755), 5 février 1755, p. 353-355.
21 ADPA, B 4895.
22 C. Dardier, Paul Rabaut., t. 2, p. 353, et C. Coquerel, Histoire des églises du Désert, p 236.
23 ADPA, B 5444, témoin 18.
24 Ibid., témoins 52 et 62.
25 Ibid., témoins 69, 56, 164, 181.
26 Ibid., témoins 41 et 51.
27 Ibid., témoin 32.
28 Ibid., témoin 38.
29 Ibid., témoin 32.
30 Ibid., témoins 27 et 21.
31 A. Cadier, « Le protestantisme béarnais. Interrogatoire de D. Chéruques à Pau, 17 avril 1759 », p. 165-174.
32 M.-H. Grintchenko, Les baptêmes protestants au Désert en Béarn 1756-1778.
33 CEPB, 60J 50/186, 191/23-3, 262/12.
34 ADPA, B 5444, témoins 185 et 184.
35 C. Coquerel, Histoire des églises du Désert, p. 239. Lettre adressée à Paul Rabaut, datée de septembre 1763.
36 Ibid., témoin 27.
37 Ibid., témoins 49 et 83.
38 Ibid., témoin 107.
39 Ibid., témoin 167.
40 Ibid., témoins 21, 25, 26.
41 E. Hugues, Les synodes du Désert, p. 288. Synode du 10 mars 1763.
42 ADPA, B 5444, témoin 1.
43 Archives communales de Labastide-Villefranche, FF15.
44 ADPA, B 5444, témoin 211.
45 Ibid., témoins 157,158, 165.
46 Ibid., témoins 209, 217, 221, 69.
47 Ibid., témoins 36, 32, 60. Louis-Marie de Suarez d’Aulan, évêque trop zélé, à qui le secrétaire d’État Saint Florentin avait reproché les difficultés qu’il opposait au mariage des protestants par l’intermédiaire du curé d’Orthez.
48 ADPA, B 5444, témoins 58, 55, 207.
49 H. Bost, « Correspondance entre Court de Gébelin et les protestants d’Orthez (1763-1782) », et « Espoirs et déconvenues des protestants béarnais entre 1760 et 1787 ».
50 SHPF, ms. 362, pièces 10 et 11.
51 CEPB, 60J 300/40.
52 Ibid.
53 H. Bost, « Correspondance… », p. 428. (1er août 1766).
54 J. D. Robert, « Les assemblées du désert autour d’Orthez en 1767 », p. 143-148.
55 H. Bost, « Correspondance… », p. 436. (19 août 1768).
56 CEPB, 60J 258, Lettre du ministre Deferre aux protestants du Béarn emprisonnés pour la foi chrétienne en 1767.
Auteur
Professeur, Université de Pau et des Pays de l’Adour
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
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2016