Le fédéralisme girondin : une fausse nouvelle à la vie dure
Résumé
Sur le « marché » politique ouvert en 1789, la concurrence en vue du monopole de la capacité à énoncer la volonté du peuple suscite des combats d’image publique où les réputations créditent les compétiteurs. La focalisation de l’opinion sur des thématiques plus ou moins véridiques peut faciliter la défaite politique, voire la condamnation judiciaire, et une rumeur, créée de toutes pièces, devenir un mythe. La rivalité entre deux hommes, Brissot et Robespierre, et entre deux gauches, produit en 1792 la peur d’un complot qui n’existe pas. Parce que les Montagnards ont le dernier mot, l’imputation calomnieuse du fédéralisme se fossilise en une catégorie politique structurant l’imaginaire national, gravée dans le marbre de l’opprobre judiciaire de l’an II, de deux siècles de passions historiographiques et d’usages politiques contemporains, où les oripeaux des Girondins habillent parfois drôlement les revendications ou flatteries provinciales.
Texte intégral
1La Révolution française, qui tend à construire un ordre démocratique, crée aussitôt débats et opposition. Le « marché » politique ouvert en 1789 suscite la concurrence en vue de l’obtention du monopole de la capacité à énoncer la volonté du peuple1. La confrontation des diverses propositions est propice à la circulation de rumeurs disant l’immémoriale crainte populaire à l’égard des puissants2 ou la peur de ces derniers face à la modification de l’ordre traditionnel. Des combats d’image publique motivent, comme en d’autres périodes de désectorialisation3 des assignations sociales et politiques, le recours à la désinformation, voire la calomnie4. La créativité rhétorique et de patients usages de la propagande parviennent parfois à disqualifier certains compétiteurs. Ainsi en va-t-il des Girondins, aussi fédéralistes que Robespierre fut royaliste en thermidor. On observera comment et pourquoi fut créée la peur d’un complot qui n’existait pas, ainsi que les raisons du succès de cette fausse nouvelle du fédéralisme girondin5. On suivra les étapes de la création d’une information controuvée qui réussit à éliminer les Girondins. Parce que les Montagnards ont le dernier mot, l’artefact du fédéralisme se fige en catégorie politique structurant l’imaginaire national, comme le montrent de surprenants usages contemporains.
Aux sources d’une fausse nouvelle
De la rivalité personnelle à la concurrence révolutionnaire
2Entre Brissot et Robespierre, l’inimitié surgit dans le débat sur la guerre. Le premier se convertit à une intervention militaire contre deux souverains allemands, afin de tester la fiabilité de l’exécutif et de républicaniser l’Europe ; le second privilégie la révolution dans un seul pays par la distribution de piques à tous les bons citoyens, soit la guerre civile6. Ces patriotes soupçonnent tous ceux que la divergence masque en l’autre des intentions perfides. Le conflit s’amplifie par la médiatisation de la presse et l’appui sur l’opinion publique, dans le Défenseur de la Constitution, alors monarchique, et Le Patriote Français7. Le puits sans fond des interrogations sur la pureté du civisme de l’adversaire, de la traque des masques imposteurs et des effets de dévoilement d’une vérité trouvée à sa seule porte se creuse, sans qu’il soit possible de déterminer la proportion entre sincérité et diffamation.
Une trouvaille rhétorique
3L’acrimonie de Robespierre, journaliste, envers Brissot, député, se teinte d’antiparlementarisme. Le Défenseur de la Constitution affirme que :
[la] « principale cause de nos maux est à la fois dans le pouvoir exécutif et dans la législature qui ne peut pas, ou qui ne veut pas le sauver8. »
4Proposer comme palliatif de tous les maux l’inéligibilité des législateurs laisse supposer des motifs peu avouables dirigés contre Brissot et ses amis9. La reconfiguration politique après le 10 Août produit de nouvelles stratégies et l’utilisation des émotions populaires10 comme levier contre des « mandataires infidèles », dont Robespierre, membre de la Commune, réclame :
« Qu’ils tombent tous sous le glaive des lois11. »
5Il prête à Brissot une défiance vis-à-vis de Paris, reprenant les procédés des feuilles contre-révolutionnaires12 qui, lors des élections de 1791, réactualisent contre Brissot la vieille hantise du fédéralisme, à l’époque où les républiques hollandaise ou suisse effrayaient le pouvoir absolu. Robespierre accuse Brissot et ses amis « d’avoir envoyé des courriers dans tous les départements pour leur persuader que la Convention nationale ne serait pas libre à Paris et pour déterminer les nouveaux représentants de la nation à fixer leur séjour dans une autre ville13 ».
6Pendant les massacres de septembre, il affirme leur implication dans le complot contre-révolutionnaire dont les sans-culottes parisiens entendent protéger leurs familles avant de partir aux frontières. Vergniaud ne dort plus chez lui et ces précautions ne sont pas vaines, comme le montre la perquisition sans mandat, et sans résultat, de la maison de Brissot. Jaurès est net :
« Dans la nuit du 2 au 3 septembre, une accusation pareille de trahison est une provocation au meurtre14. »
7La fausse nouvelle du fédéralisme trouve des relais, comme Chabot qui fabule le 10 septembre :
« Autant je suis ennemi des rois, autant je me déclare l’ennemi du gouvernement fédératif, depuis que, lors de la journée du 10, j’ai vu tous les côtés droits de l’Assemblée venir me flagorner et me dire : “Maintenant, nous sommes aussi républicains, mais il nous faut un bon gouvernement fédératif”. Dès ce moment, je me suis dit : “il y a anguille sous roche”15. »
8Elle trouve une audience en raison du climat de peur qui se répand après la fuite du roi le 21 juin 1791, effrayante par la trahison d’une figure paternelle. La suspicion apparaît, tel un héritage empoisonné laissé aux Français par le royal traître. La peur, décuplée lors de l’invasion étrangère en août 1792 qui paraît corroborer le complot contre-révolutionnaire, empoisonne le débat politique où la diversité d’opinions est volontiers attribuée à la malveillance. La croyance en ce fédéralisme girondin n’est pas le fait de la bêtise ou de l’insincérité, mais révèle une des structures d’un imaginaire politique traversé de tensions entre espoir et incertitude des lendemains.
Un sillon patiemment creusé
9Robespierre préside la création de la dystopie du fédéralisme par lequel les Girondins projetteraient de démembrer la République pour la mieux livrer à ses ennemis, à telle enseigne qu’Hervé Leuwers peut écrire que « les Girondins naissent sous la plume impétueuse de Robespierre16 ». Les discours de l’Incorruptible répètent à l’envi l’antienne de la haine contre Paris :
« Nous avions soupçonné qu’on voulait faire de la République française un amas de républiques fédératives qui seraient sans cesse la proie des fureurs civiles ou de la rage des ennemis17. »
10Sa réécriture contrefactuelle de l’histoire dit surtout la force des rivalités politiques :
« Dès le lendemain du 10 août, ils n’oublièrent rien pour déshonorer la Révolution qui venait d’enfanter la République, et, tout aussitôt, ils calomnièrent le Conseil de la Commune qui dans la nuit précédente venait de se dévouer pour la liberté […]. Ils s’en attribuèrent même tout l’honneur ».
11Il certifie que :
« La faction voulait livrer Paris et la France. Elle voulait fuir avec l’Assemblée législative, avec le Trésor public, avec le Conseil exécutif, avec le roi prisonnier et sa famille. »
12La section de la Halle aux Blés réclame cinq jours plus tard l’arrestation de 22 « appelants » : la proposition de recourir à l’appel au peuple afin de déterminer le sort de Capet est interprétée comme le signe du royalisme de ces députés « traîtres », dont la moitié ont voté la mort et six contre le sursis18. Desmoulins, qui a eu maille à partir avec Brissot au début de 1792, soutient la charge contre les Girondins par l’invention de la collusion avec l’Angleterre et Orléans19.
13Le 26 mai, Robespierre donne le signal de l’insurrection aux Jacobins :
« Si le peuple ne se lève pas tout entier, la liberté est perdue20. »
14Puis le 31 mai à l’Assemblée :
« Oui, je vais conclure, et contre vous […] qui n’avez cessé de provoquer la destruction de Paris […] Eh bien ! ma conclusion, c’est le décret d’accusation21. »
Des mots qui tuent
L’éviction des Girondins
15Le décret du 2 juin 1793 ordonnant l’arrestation de 29 députés et 2 ministres est un coup de force au scénario parfaitement exécuté. La Convention est cernée par une foule armée qui effraie les députés. Barère demande à ses collègues :
« Comment vos lois seraient respectées si vous ne les faisiez qu’entourés de baïonnettes22 ? »
16Sortant à la rencontre du peuple, les élus entendent Hanriot, commandant de l’armée révolutionnaire, donner cet ordre laconique :
« Canonniers, à vos pièces23. »
17Couthon pousse le cynisme jusqu’à déclarer que les députés, rassurés sur leur liberté, peuvent céder à l’opinion. On vote que « les députés, ses membres, dont les noms suivent, seront mis en état d’arrestation chez eux ». Il n’y a aucun débordement, parce que le tribunal révolutionnaire, créé le 10 mars 1793 pour prendre en charge les émotions vindicatives du peuple, et qui a déjà montré ses inclinations en acquittant Marat le 24 avril, garantit au mouvement populaire parisien que les députés seront jugés, sinon condamnés.
Le piège du fédéralisme
18Les 29 députés et les 2 ministres Girondins décrétés d’arrestation font des choix divers. Les uns espèrent prouver leur innocence devant le tribunal révolutionnaire et se plient au vote de l’Assemblée, comme Vergniaud. Mais 20 d’entre eux, discutant la légalité du décret du 2 juin en raison des circonstances insurrectionnelles dans lesquelles il a été rendu, s’estiment déliés de toute obligation vis-à-vis d’une assemblée dont ils considèrent qu’elle ne jouit plus de sa liberté. Ils choisissent de résister à un acte tenu pour arbitraire : ils s’évadent et se cachent afin de tenter de sauver leurs vies. Ceux qui sont restés à Paris ou ont le malheur d’être repris, comme Brissot, sont incarcérés et paient le prix des choix effectués par d’autres, dont Charlotte Corday qui les aurait fréquentés à Caen.
1967 des 85 départements français protestent contre la mise en cause des Girondins. En un jeu de miroirs déformants24, l’un et l’autre camp opposent leurs arguments politiques. Pour les uns, les Girondins assujettissaient la Convention en s’opposant au recours à l’exception, présenté comme la seule façon de sauver la République en guerre. Pour les Girondins, l’arrestation d’élus du peuple sans motif d’accusation a rompu le lien national. Mais tous prennent avec la légalité des aises qu’ils justifient par la légitimité de leur vision de la Révolution. Pour les Montagnards, l’intention fédéraliste prêtée aux Girondins aurait nécessité le 2 juin. Pour les Girondins, la mobilisation des départements n’est pas la cause, mais la conséquence de l’atteinte faite le 2 juin à l’ordre légal de la première République ; elle vise à restaurer la centralité législative, assurer la sécurité des élus et défendre la démocratie parlementaire. Mais la révolte, contre-productive, paraît fournir à point nommé la preuve jusque-là manquante du fédéralisme pour justifier la condamnation des Girondins.
Un procès perdu d’avance
20Le 8 juillet, Saint-Just s’efforce de motiver le décret du 2 juin, sans pouvoir prouver la culpabilité des Girondins25. Il avoue que « les conjurés ont laissé peu de traces », mais certifie l’existence d’un « complot formé contre l’établissement et l’unité de la République » qui aurait abouti à la « dislocation du corps politique ». Billaud-Varennes bute aussi, le 15 juillet 1793, sur le défaut de sources :
« Sans doute, il n’est pas de forfait plus difficile à prouver que ceux des conspirateurs. Travaillant dans l’ombre et méditant leurs crimes à loisir, les traces matérielles manquent presque toujours […] il faut s’en tenir forcément, à leur égard, à la simple conviction morale26. »
21Le 3 octobre, Robespierre s’oppose à la demande d’Amar d’imprimer les preuves de la « conspiration », craignant que « cette impression ne retarde l’instruction27 ». La Convention vote l’accusation de 40 députés, passibles du tribunal révolutionnaire. Le fédéralisme, désormais considéré comme suffisamment documenté par les révoltes départementales et les trahisons de Toulon et de la Corse, est devenu le nouveau nom du mal. Amar dit de ces boucs émissaires :
« Nos maux passés, nos maux présents, ceux que l’avenir nous prépare, voilà leurs crimes.28 »
2221 députés – ceux qui n’ont pas participé aux révoltes provinciales – font l’objet d’un procès politique. Invité à accélérer la procédure, le jury délibère le 30 octobre qu’« il a existé une conspiration contre l’unité, l’indivisibilité de la République29 » et que les accusés sont condamnés à mort. En tout, 45 députés périssent en l’an II – exécutés, suicidés ou morts en prison – et 106 représentants, incarcérés ou réduits à la clandestinité, voient leur vie mise entre parenthèses. En province, environ 1 500 citoyens montent à l’échafaud. Dans les geôles de la République ou les affres de la proscription, plusieurs milliers expient un crime imaginaire, désormais gravé en lettres de sang dans l’imaginaire politique français.
Le psittacisme des discours politiques
Des usages circonstanciels du passé
23Les modalités de la sortie du gouvernement révolutionnaire après Thermidor achèvent la rigidification de la catégorie du fédéralisme. Parce que certains Girondins survivants entendent – comme Louvet dans le contexte des journées populaires de germinal et prairial an III –, proscrire le droit de résistance justifiant l’insurrection, ils empêchent la reconnaissance du sens des révoltes de 179330. L’hommage funèbre aux Girondins est si bâclé, le 11 vendémiaire an IV (5 octobre 1796), alors que la contestation royaliste place la Convention face à d’autres urgences, qu’il tient lieu d’un deuxième enterrement à la sauvette31. Ainsi demeure ouverte la rivalité politique des discours sur la légitimité à énoncer la volonté du peuple pendant tout le xixe siècle, où histoire32 et mémoire33 ont partie liée.
24Dans les combats politiques de leur temps, nombre de plumes libérales34, néojacobines35, démocratiques et romantiques36, socialistes37 ou communardes, reprennent le discours du salut public plaidant la nécessité de l’élimination des Girondins. En revanche, la critique libérale se montre sceptique sur le fédéralisme girondin, soulignant la modernité démocratique des Girondins pour dénoncer dans le gouvernement révolutionnaire l’héritage de l’arbitraire absolutiste38. Une fois la république acquise, la méthode positiviste39 démasque l’inanité du fédéralisme girondin. Mais le fédéralisme opère au xxe siècle un retour facilité par le contexte international. L’école jacobine redonne vie aux intentions centripètes des Girondins. Mathiez les dit mus par le « particularisme local en lutte contre le pouvoir central40 », de même que Lefevre41 ou Soboul qui va jusqu’à écrire que « le fédéralisme eut un contenu social plus marqué que son aspect politique42 ». Relisant le conflit entre ces Républicains à l’aune de la comparaison avec la révolution bolchevique43, ils en proposent une lecture classiste afin de justifier l’élimination de ces « culottes dorées » qui s’opposaient au salut public, même si quelques francs-tireurs du colloque de 1975 montrent que les Girondins étaient loin de contester la centralisation44.
La fin du fédéralisme ?
25L’école critique sort les Girondins de leur relégation historiographique, même si le traitement réservé à ceux qui contribuèrent à la chute de la monarchie constitutionnelle se fait sévère45. Mona Ozouf, élevée dans un régionalisme qu’elle dit bon teint46, montre bien, pour avoir réfléchi à l’opprobre de la proposition fédérale en France, ce qu’est le fédéralisme de 1793 : « un monstre à l’existence purement polémique », sans rapport avec une quelconque revendication séparatiste47. C’est aussi que la désincarcération des passions franco-françaises a commencé dans les années 1960, grâce à des regards étrangers venus d’États ignorant le tabou du fédéralisme, car organisés en structures confédérées. Le colloque de Marseille témoigne de ce renouveau48 animé par des chercheurs étrangers49 et français50. À telle enseigne qu’il serait difficile aujourd’hui aux historiens de prendre au pied de la lettre le discours jacobin sur le fédéralisme girondin51.
Des clichés usés
26Les hommes politiques sont rarement historiens, et les références historiques de leurs discours montrent que la fausse monnaie du fédéralisme girondin est toujours redistribuée pour argent comptant, selon un cours connaissant parfois de spectaculaires rebonds, comme le note Françoise Fressoz dans Le Monde le 7 février 2018 :
« Le girondisme est furieusement à la mode. »
27Le 22 mars 2017, le candidat à la présidence de la République, Emmanuel Macron, annonce en effet un « pacte girondin avec nos collectivités52 », dont, président, il précise le contenu : « davantage de liberté » en compensation de 13 milliards d’économie budgétaire53. Cette instrumentalisation historique habille du manteau de la confiance que doit inspirer le savoir, la paupérisation programmée des collectivités locales. Ce discours, à mille lieues des ambitions girondines en matière d’instruction ou de démocratie participative, n’a pas prévenu la colère des périphéries.
28Jean-Christophe Cambadélis s’empare aussitôt de l’allusion historique pour allumer des contre-feux et donner un titre évocateur à son programme alternatif : La gauche de demain sera girondine. Le vice-président du Parti socialiste Européen a beau jeu de brocarder les références présidentielles :
« À vrai dire, le terme “jacobin” est assez mal choisi. D’une part, le centralisme était hérité de la longue période absolutiste, et, d’autre part, lesdits Jacobins n’avaient pas le monopole du centralisme et les Girondins auxquels on les oppose par tradition n’étaient pas forcément des décentralisateurs féroces54. »
29En revanche, quand Christian Estrosi réclame une politique de décentralisation plus ancrée sur les territoires – « Nous sommes un parti de citoyens, un parti girondin55 » – et martèle sur France Inter « je suis girondin », celui-ci s’avère plus royaliste, si l’on peut dire, que le roi. Pas plus que François Bayrou détaillant sur France Inter le 4 novembre 2018 sa « sensibilité girondine », il ne semble avoir conscience du fait que les Girondins formaient non pas une droite royaliste constitutionnelle attachée au libéralisme économique, mais bien une autre gauche, émancipatrice et cosmopolite. De Nice à Pau, l’on ne voit pas que reprendre le discours du fédéralisme girondin, c’est afficher ses inclinations… robespierristes et jacobines !
30La déesse Fama est un vrai Janus, aussi friande de ragots frelatés que productrice de renommées éternelles. Ainsi les Girondins ont-ils été figés dans les discours à charge par leurs vainqueurs. Le fédéralisme n’est pourtant qu’une fausse nouvelle forgée pour des raisons de rivalités personnelle et politique afin de justifier l’élimination des Girondins, qui n’ont jamais articulé le moindre projet de structure fédérale pour la France, mais furent éliminés pour avoir défendu une autre vision de la République, quoique indubitablement une et indivisible.
31Cet antagonisme entre Girondins et Jacobins, s’il recouvre l’existence de deux familles bien distinctes de la gauche française – l’une réformiste, gîtant la démocratie dans le libre accès au débat parlementaire, l’autre révolutionnaire, privilégiant l’égalisation des conditions de vie – se résume souvent à la confrontation infondée du fédéralisme et de la centralisation. Cette lecture biaisée, répétant le discours politique des vainqueurs, demeure aujourd’hui en butte témoin des conflits du passé et assure aux vaincus – ironie de l’histoire – une étrange omniprésence dans un imaginaire politique travaillé par les héritages d’une Révolution matricielle.
32La destinée des Girondins rappelle la dimension héritée des représentations et la nécessité pour les comprendre de la prise en compte de leurs contextes de production. L’impérative réflexivité des historiens sur leurs mises en récit du passé garantit seule que leurs discours ne soient pas de simples opinions, sans prétention illusoire à l’énonciation de la Vérité, ni « rumorancie »56 surplombante57. Si le fédéralisme est un mythe en ce qu’il se trouve, avant l’été 1793, dépourvu de tout référent documenté, la peur que suscite la dénonciation de ce danger fabriqué, ainsi les réactions au fait, bien réel, de l’éviction des Girondins le 2 juin, et leurs lectures méritent d’être historicisés.
Bibliographie
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11 M. Robespierre, Défenseur de la Constitution, no 12, p. 569 ; 581-582.
12 J.-P. Brissot, Le Patriote Français, 8 juillet 1791.
13 1er septembre 1792, F. Braesch, La Commune du 10 août 1792, p. 458.
14 J. Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, vol. 2, p. 97.
15 A. Aulard, La société des Jacobins, IV, p. 275-276.
16 H. Leuwers, Robespierre, p. 219.
17 AP LII, 25 septembre 1792, p. 134.
18 AP LVII, 15-19 janvier 1793 et A. Patrick, The men of the first French Republic.
19 C. Desmoulins, Histoire des Brissotins.
20 A. Aulard, La société des Jacobins, V, p. 213.
21 AP LXV, 31 mai 1793, p. 655.
22 AP LXV, 2 juin 1793, p. 706.
23 P.-T. Durand de Maillane, Histoire de la Convention nationale p. 300-309, et T. Poirot, « “L’enceinte sacrée des lois” sous les armes : les mobilisations armées autour des assemblées parlementaires de la Révolution (1792-1799) ».
24 M. Biard, 1793, Le siège de Lyon.
25 Saint-Just, Œuvres complètes, p. 588 et suiv.
26 AP LXIX, 15 juillet 1793, p. 21.
27 AP LXXV, 3 octobre 1793, p. 537.
28 AP LXXXV, p. 520 et suiv.
29 G. Waltzer, Actes du tribunal révolutionnaire, p. 247.
30 A. de Francesco, « Thiers’ Muses », p. 107-131 ; Réimpression du Moniteur, XXIV, 14 prairial an III, p. 607 et suiv ; La Sentinelle, 8 messidor an III, p. 2.
31 Réimpr. du Moniteur, XXVI, p. 114.
32 P. Bourdin (dir.), La Révolution, écriture d’une histoire immédiate.
33 N. Petiteau, Écrire la mémoire ; A. de Mathan (dir.), Mémoires de la Révolution française.
34 A. Thiers, Histoire de la Révolution française ; François-Auguste Mignet, Histoire de la Révolution française.
35 P. Buonarroti, Conspiration pour l’égalité, dite de Babeuf ; É. Cabet, Histoire populaire de la Révolution Française, Paris, 4 vol. 1839 ; A. Esquiros, Histoire des martyrs de la liberté.
36 J. Michelet, Histoire de la Révolution française ; A. de Lamartine, Histoire des Girondins.
37 L. Blanc, Histoire de la Révolution ; Doctrine de l’État ; Plus de Girondins ; La République une et indivisible.
38 G. de Staël, Des circonstances actuelles ; B. Constant, De la force du gouvernement actuel ; Des effets de la terreur ; Des réactions politiques ; E. Quinet, La Révolution.
39 A. Aulard, Histoire politique de la Révolution française ; J. Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française.
40 A. Mathiez, La Révolution française.
41 G. Lefebvre, La Révolution française, p. 285 et 356.
42 A. Soboul, Histoire de la Révolution française, p. 363.
43 A. Mathiez, Le bolchévisme et le jacobinisme.
44 R. Carraz, « Girondins et Montagnards, le cas chalonnais » et R. Dupuy, « Du pseudo-fédéralisme breton au pseudo-anarchisme parisien : révolution et structures », A. Soboul (dir.), Girondins et Montagnards, p. 167-192 et 193-218.
45 F. Furet et M. Ozouf (dir.), La Gironde et les Girondins ; F. Attar, Aux armes citoyens !.
46 M. Ozouf, Composition française.
47 M. Ozouf, « Fédéralisme » ; « La Révolution Française et la perception de l’espace national ».
48 B. Cousin (dir.), Les fédéralismes.
49 A. de Francesco, Il governo senza testa ; A. Forrest, Society and Politics in Revolutionary Bordeaux ; P. Hanson, The Jacobin Republic Under Fire.
50 J.-C. Martin, « Approches du fédéralisme pendant la Révolution française, entre coïncidence, cristallisation et lecture téléologique » ; M. Dorigny, « Pouvoir central et pouvoirs locaux dans les projets constitutionnels girondins de 1793. Unité et indivisibilité républicaine » ; L. Brassart, « Les voies enchevêtrées de la mobilisation politique ».
51 M. Biard, J.-N. Ducange, J.-Y. Fretigné (dir.), Fédéralisme et centralisation.
52 https://twitter.com/emmanuelmacron/status/844497891846750208.
53 Le courrier des maires, 17/07/2017.
54 J.-Chr. Cambadélis, La gauche de demain sera girondine.
55 Libération, 20/12/2017 ; France 3 Alpes-Provence-Côte d’Azur, 20/12/2017.
56 P. Froissart, La rumeur. Histoire et fantasmes.
57 G. Bronner, La démocratie des crédules.
Auteur
Professeur d’Histoire moderne, Université Caen-Normandie
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
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2016