Des catéchismes à Voltaire : le projet MEDIATE et le rôle des livres « moyens » dans la transmission culturelle à l’époque des Lumières
Résumé
Cet article présente un projet numérique financé par le Conseil européen de la recherche, MEDIATE (Measuring Enlightenment : disseminating ideas, authors, and texts in Europe), dont le but est d’étudier la circulation transnationale des livres à l’époque des Lumières (1665-1830). Prenant appui sur un corpus inédit de quelques centaines de catalogues de vente aux enchères de bibliothèques privées, il suppose que parmi les livres les plus diffusés se trouve une catégorie d’ouvrages popularisateurs constituant un corpus de textes de culture moyenne (middlebrow). En tant que passerelle intellectuelle, ces livres ont permis à un lectorat de sous-élite de faire connaissance avec les nouvelles idées des Lumières, sans pour autant abandonner ses lectures traditionnelles, d’empreinte religieuse. Après avoir décrit les origines du projet, nous examinons les traits typiques de ce corpus pour aboutir à une présentation de la base de données MEDIATE et de son apport à nos recherches.
Texte intégral
1Dans cette contribution, nous présentons le projet MEDIATE (Measuring Enlightenment : disseminating ideas, authors, and texts in Europe), dont le but est d’étudier la circulation transnationale des livres et la transmission des savoirs à l’époque des Lumières (1665-1830). Prenant appui sur un corpus inédit de quelques centaines de catalogues de vente aux enchères de bibliothèques privées, ce projet postule que parmi les livres les plus diffusés au xviiie siècle se trouve une catégorie d’ouvrages popularisateurs qui constitue un corpus de textes de culture moyenne. Ce sont ces livres qui, par leur fonction de passerelle intellectuelle, ont permis à un lectorat de sous-élite de faire connaissance avec les nouvelles idées des Lumières, sans pour autant laisser de côté leurs lectures traditionnelles, souvent d’empreinte religieuse. Après avoir décrit les origines du projet, nous nous pencherons sur un certain nombre de traits typiques de ce corpus, et finirons par une présentation de la base de données MEDIATE et de son apport à nos recherches.
Étudier le champ littéraire du xviiie siècle
2Le projet numérique MEDIATE, financé entre 2016 et 2022 par le Conseil européen de la recherche (ERC) à l’université Radboud (Nimègue, Pays-Bas1), a pour objectif d’étudier la circulation des livres en Europe au xviiie siècle, avec un intérêt particulier pour ceux qui ont été associés au mouvement des Lumières. À cette fin, nous sommes actuellement en train de développer une base de données qui hébergera un matériau extrait d’un corpus de catalogues de bibliothèques privées vendues aux enchères dans les Provinces-Unies, en France, dans le Royaume-Uni et en Italie entre 1665 et 1830. Notre hypothèse de départ est que, si l’on veut comprendre de façon adéquate la diffusion des livres et des idées du mouvement des Lumières – notamment les ouvrages connus des philosophes – ainsi que les processus de mutation intellectuelle et sociale qu’ils auraient inspirés, selon la célèbre thèse de Daniel Mornet2, il est essentiel de comprendre le positionnement de ces livres dans un champ culturel plus large. Ces livres et auteurs jouent en effet un rôle non pas de façon isolée, mais sont pleinement intégrés à des réseaux plus vastes les reliant à d’autres livres et auteurs oubliés aujourd’hui, et constituant ensemble un système littéraire. Ce système implique des rapports entre des textes dont le prestige est variable, issus de régions et de contextes linguistiques différents, et plus ou moins éloignés des centres d’autorité culturelle. Comme l’a montré Pascale Casanova dans son étude sur la « république mondiale des lettres3 », ces rapports sont loin d’être toujours équitables, et les textes et auteurs qui accèdent à la reconnaissance officielle le font souvent aux dépens d’autres, moins bien positionnés dans le champ culturel. Dans ce que Franco Moretti a qualifié d’« abattoir de la littérature4 », la grande majorité des textes qui ont eu, à un moment donné, une certaine reconnaissance, finissent par être oubliés. Ceci rend exceptionnellement délicate la tâche d’évaluer l’apport – novateur, révolutionnaire, ou au contraire conventionnel – de ceux qui nous sont connus aujourd’hui. Comment comprendre alors le « vaste non-lu » (the great unread), selon la belle expression de Margaret Cohen5 ? Une approche quantitative et numérique s’impose vite. Comme le souligne encore Moretti, « un champ si large ne peut pas être compris en cousant ensemble plusieurs fragments d’information sur des cas individuels, car il n’est pas la somme de ces cas individuels : il est un système collectif, qui doit être compris comme tel, comme un ensemble6 ». Or seule une approche numérique, capable de digérer des données concernant les centaines de milliers de textes publiés au cours d’une époque historique donnée, permet vraiment cette analyse.
À la recherche des auteurs middlebrow
3La nécessité d’une approche quantitative pour saisir le champ littéraire du xviiie siècle est clairement apparue lors d’une étude antérieure que nous avions publiée en 2004 sur la réception des auteurs féminins antérieurs à 1800. Dans le cadre de cette étude, inspirée par la célèbre enquête menée jadis par Daniel Mornet sur un corpus de 500 catalogues de vente de bibliothèques parisiennes7, nous avions analysé 254 catalogues de bibliothèques privées vendues aux enchères dans les Provinces-Unies8. Nous avions supposé, étant donné le rôle central des Provinces-Unies dans le commerce du livre à cette époque, que ce corpus pourrait aussi fournir des renseignements sur les grandes tendances du marché du livre en Europe. Mais tout comme le sondage de Mornet avait montré que le roman contemporain le plus cité dans la seconde moitié du xviiie siècle était les Lettres d’une Péruvienne de Mme de Graffigny, tandis qu’en revanche Le contrat social n’apparaissait qu’une seule fois dans les catalogues, notre étude néerlandaise a révélé que les ouvrages le plus souvent cités dans nos catalogues de bibliothèques d’élite n’étaient pas ceux des philosophes des Lumières, mais ceux d’un certain nombre d’auteurs pédagogues relativement oubliés aujourd’hui. Le second auteur français du xviiie siècle le plus cité, après Voltaire, était Marie Leprince de Beaumont, dont les ouvrages étaient recensés dans 50 % de tous les catalogues. Ceux de Rousseau et de Montesquieu, par contraste, figuraient dans 43 % et ceux de Diderot dans 27 %. Parmi les auteurs du xviiie siècle, la présence la plus élevée revenait au couple de journalistes Joseph Addison et Richard Steele, dont l’ouvrage Le spectateur figurait dans 66 % des bibliothèques9. À part Mme Leprince de Beaumont, une deuxième femme de lettres était massivement présente dans les catalogues, le « gouverneur » du duc de Chartres, futur roi Louis-Philippe, Stéphanie-Félicité Du Crest, comtesse de Genlis. Les ouvrages pédagogiques de Mme de Genlis figuraient dans 32 % des bibliothèques vendues avant 1800. Mais notre étude n’est pas la seule à pointer l’importance de ces ouvrages. Ces chiffres sont comparables aux résultats d’autres analyses numériques du marché du livre au xviiie siècle plus récentes, notamment la base de données FBTEE (French book trade in Enlightenment Europe), récensant les archives de la Société typographique de Neuchâtel des années 1769-1794. Dans cette base de données, Mme Leprince de Beaumont figure en sixième place dans la liste des ventes, suivie en huitième place par Mme de Genlis. Les autres auteurs sont 1, Voltaire ; 2, Tissot ; 3, Mercier ; 4, Dorat ; 5, Rousseau ; 7, Mairobert10.
4En outre, à part les noms de Beaumont et de Genlis, d’autres noms d’auteurs aujourd’hui oubliés figuraient de façon récurrente dans les catalogues de bibliothèque, ce qui paraissait justifier l’hypothèse selon laquelle ces deux femmes de lettres ne seraient que deux représentantes d’un phénomène plus vaste, et que le genre d’ouvrages qu’elles avaient publié aurait bien pu dominer un certain paysage éditorial au xviiie siècle. En matière de genre ou de contenu, il était clair que l’apport des livres religieux, aussi bien de gros volumes théologiques que des livres plus modestes de dévotion personnelle, était également massif dans ces catalogues. Mais étant donné les contraintes que constituait notre approche manuelle, qui ne nous permettait de compter que les occurrences d’un nombre restreint de titres, il nous était impossible à cette date de développer des statistiques plus poussées sur ce phénomène. Toutes ces données, prises ensemble, suggéraient toutefois l’existence d’un marché et d’une culture du livre au xviiie siècle dont nous ne saisissons pas encore toute la complexité, et qu’il faudrait étudier de façon systématique et quantitative, prenant appui sur les possibilités techniques et statistiques que nous offrent les outils informatiques modernes.
Définir la littérature de culture moyenne
5L’hypothèse centrale du projet MEDIATE était, d’abord, que ces deux auteurs mis en avant par notre étude de 2004 ne sont pas des cas isolés, mais seraient représentatifs d’un phénomène plus vaste, et que le corpus dont ils font partie regroupe des textes qui pourraient être décrits comme constituant une littérature de culture moyenne dans l’Europe du xviiie siècle. Deuxièmement, le projet postule que ces textes auraient pu jouer un rôle dans la diffusion des idées des Lumières auprès d’un plus grand public, à la fois en transmettant les idées de l’élite à des catégories sociales qui n’en faisaient pas partie, mais aussi en donnant forme à un nouveau lectorat à travers des attitudes culturelles spécifiques.
6Ces hypothèses sont étayées par le concept d’une culture « moyenne », tel qu’il a été élaboré en France par Pierre Bourdieu, et dans le monde anglo-saxon par des chercheurs qui se sont penchés sur le phénomène du middlebrow dans la littérature anglophone des xixe et xxe siècles11. Les ouvrages d’auteurs comme Mme Leprince de Beaumont et Mme de Genlis, en effet, ressemblent sur plusieurs points à cette littérature middlebrow, dans sa définition anglo-saxonne12. Ils partagent avec elle le succès commercial, le discours moralisateur, une vocation popularisatrice et une accessibilité à des publics ne faisant pas partie des élites culturelles, une surreprésentation d’auteurs féminins et un prétendu manque de qualité littéraire, du moins aux yeux des critiques les plus influents. Si le concept du middlebrow, né dans le paysage éditorial du xixe siècle, doit être manié avec précaution en l’appliquant au xviiie siècle, il nous aide néanmoins à reconnaître le positionnement particulier de ces textes dans le champ littéraire de leur époque. Car ces textes n’appartiennent ni à la « haute » culture associée aux philosophes et à l’élite intellectuelle, ni à la culture populaire dont font partie des textes comme les catéchismes, les ouvrages de dévotion et la fameuse Bibliothèque bleue. Dans ce « modèle à deux niveaux du marché du livre au xviiie siècle en France » qu’ont évoqué certains chercheurs, « où coexistait un vaste marché du livre traditionnel, particulièrement religieux, à côté d’un marché beaucoup plus limité mais de haute valeur en livres non religieux, dont les ouvrages des Lumières13 », on voit mal où situer ces textes qui ne sont ni l’un ni l’autre. Les ouvrages phares des Lumières, d’un côté, et le livre de colportage et le livre religieux, de l’autre, ont été l’objet d’études ponctuelles14. Ce qui manque, c’est une analyse convaincante des rapports entre ces deux types de texte à l’intérieur du système littéraire du xviiie siècle. Comment, en d’autres mots, passait-on des catéchismes populaires à Voltaire ? S’agissait-il pour ces deux classes de texte de deux lectorats absolument séparés, ou y avait-il au contraire – comme on l’a montré dans le cas de la Bibliothèque bleue par rapport à la culture des élites15 – des passerelles et des points de liaison entre les deux ? Et si certains lecteurs étaient susceptibles de lire les deux types de texte, lecture religieuse et lecture des Lumières, comment se fait-il que l’une des deux soit sortie « gagnante » de la bataille d’idées qui fit rage au xviiie siècle ?
7Ce sont autant de questions auxquelles on peut commencer à fournir une réponse si l’on suppose l’existence d’une classe de publications intermédiaires, comprenant des écrits pédagogiques et popularisateurs comme ceux de Mme Leprince de Beaumont et Mme de Genlis, ciblant un public provincial de sous-élite, incluant des femmes et des enfants. Ces textes auraient combiné certaines idées développées dans la « haute » littérature des Lumières avec des structures profondes, des stratégies discursives et des traditions textuelles communes avec les textes religieux, d’empreinte plus traditionnelle, voire populaire. Les idées nouvelles des Lumières, selon cette théorie, devaient d’abord être intégrées dans un cadre religieux familier afin de devenir accessibles et acceptables pour un lectorat européen élargi. Le rôle médiateur de ces textes irait donc dans plusieurs sens. Non seulement ils transmettraient les idées de l’avant-garde en direction d’un public plus étendu, mais ils se serviraient aussi de modèles culturels issus de ces mêmes publics dans le cadre d’une réécriture des buts et des aspirations du mouvement des Lumières. Dans cette classe peu étudiée d’auteurs popularisateurs, signalons encore des écrivains comme les abbés Louis-Antoine Caraccioli, Gabriel Gauchat et Noël-Antoine Pluche en France, ou Samuel Formey et le mouvement Philanthropin dans les États allemands. Ils ont tous en commun d’avoir publié des textes à grand succès qui cherchaient à faire passer certaines idées nouvelles des Lumières, souvent exprimées dans un langage vaguement religieux, à un lectorat plus large, éloigné des grands centres d’autorité intellectuelle. Leurs écrits comprennent des succès de librairie comme les Conseils pour former une bibliothèque peu nombreuse mais choisie du pasteur huguenot Samuel Formey (1746), ou le Spectacle de la nature ou Entretiens sur les particularités de l’histoire naturelle de l’abbé Pluche (1732), dans lequel un jeune lectorat pouvait faire connaissance avec les acquis les plus récents de l’histoire naturelle, présentés dans un cadre physico-théologique rassurant.
Un phénomène éditorial européen
8Le trait le plus facile à mesurer des textes appartenant à cette classe middlebrow est leur succès commercial. La large diffusion de ces écrits montre qu’ils ne devraient pas être étudiés dans un contexte national, mais comme un phénomène éditorial à l’échelle européenne, avec des influences allant du centre parisien aux périphéries régionales et européennes, mais aussi des périphéries au centre. Mme Leprince de Beaumont, d’origine normande, fait sa carrière en Lorraine et à Londres, où ses ouvrages subissent des influences anglaises, et elle est parrainée par Joseph II d’Autriche et Catherine de Russie. Il est même possible que ces ouvrages aient eu plus de succès en province qu’à Paris, et à l’étranger qu’à l’intérieur du royaume. Ceci complique évidemment nos idées reçues sur l’impact relatif, en dehors de la France, des figures phares qu’étaient les philosophes16. Un facteur de ce succès transnational se trouve dans le fait que les ouvrages d’auteurs comme Mme Beaumont et Mme de Genlis sont intégrés dans des pratiques pédagogiques à travers l’Europe. De l’Espagne jusqu’en Russie17, ces livres fonctionnent comme des outils pour l’apprentissage de la langue française et comme des manuels transmettant les bases de la religion, des sciences, de la géographie et de l’histoire à un nouveau lectorat. Or, depuis l’invention de l’imprimerie, ce sont les textes à usage scolaire qui ont été le moteur de l’édition et qui ont connu les tirages et le nombre de réimpressions les plus élevés.
9Si l’usage de ces écrits de culture moyenne dans un contexte pédagogique explique leur large diffusion au-delà de la France, leurs auteurs semblent aussi avoir consciemment cherché à cibler un lectorat élargi en mettant tout en œuvre pour les rendre accessibles. Contrairement aux docteurs ou aux savants, Mme Leprince de Beaumont affirme, non sans fierté :
« Je n’ai nul effort à faire pour me mettre à portée [des lecteurs], c’est mon état naturel ; je ne pense rien, je n’écris rien, qu’une personne de bon sens, sans étude, ne puisse écrire ni penser : je ne sais que mon catéchisme, mais je le sais bien18. »
10Ce manque supposé d’ambition intellectuelle trahit une posture d’auteur qui fait de son statut social une base de contestation intellectuelle. Nous avons étudié ailleurs le rôle qu’a pu jouer la classe sociale des auteurs, voire leur identification aux valeurs d’une certaine bourgeoisie commerçante « moyenne », dans le processus de dévalorisation ou de valorisation de leur œuvre. Le reproche souvent réitéré selon lequel ces auteurs manqueraient de « style noble » s’explique, selon nous, comme une tentative d’exprimer ce lien troublant entre leurs ouvrages et le positionnement de ces auteurs dans le champ littéraire de l’époque, autant national que transnational, en matière de capital aussi bien social que culturel19.
Des livres religieux, des livres conservateurs ?
11Un deuxième trait qui pourrait expliquer le succès commercial de ces ouvrages de culture moyenne est leur discours moralisateur, d’accent parfois religieux, proche des ouvrages de dévotion populaire qui étaient les livres de chevet de la plupart des lecteurs en dehors des élites culturelles. Les auteurs middlebrow s’inscrivent dans un mouvement que les chercheurs américains ont qualifié de religious Enlightenment ou « Lumières religieuses », correspondant à un courant à l’intérieur du mouvement des Lumières qui, tout en retenant certains éléments des pratiques religieuses traditionnelles, cherche aussi à moderniser l’horizon culturel des croyants20. Leurs ouvrages comportent les quatre traits caractéristiques qu’attribue David Sorkin à ces Lumières religieuses : une préoccupation pour la théologie naturelle, une prise de position en faveur de la tolérance religieuse, voire une vision supraconfessionnelle, un grand impact international et un engagement explicite dans la sphère publique, parfois avec le soutien de l’État. Ces textes essaient de la sorte de réconcilier une vision du monde essentiellement religieuse avec les nouvelles idées des philosophes, notamment la valorisation de la raison comme instrument de connaissance privilégié. Les Magasins de Mme Leprince de Beaumont, collaboratrice pendant sa carrière de certains des scientifiques les plus connus de son époque, fournissent une synthèse des connaissances les plus actuelles, allant des sciences naturelles à la littérature et à la géographie. Bref, ces auteurs prônaient les idéaux des Lumières en matière de raison, de tolérance et d’utilité sociale de la modernité. Mais ils ancraient aussi leur œuvre dans leur foi catholique. Le mouvement des Lumières, dans cette perspective, pouvait aussi laisser une place aux Lumières de la foi21.
12Dans leur choix d’une perspective religieuse, ces ouvrages de culture moyenne font preuve également de points de vue politiques qu’on pourrait associer aux mouvements qui, au cours du xixe siècle, vont se définir comme conservateurs. Le théoricien anglais du conservatisme, Roger Scruton, a décrit les idées qui définiraient selon lui ces mouvements. Né dans les milieux des antiphilosophes, et témoignant par conséquent d’un esprit anti-Lumières, antirévolutionnaire ou plus globalement antimoderne22, le conservatisme politique se distinguerait par ses liens avec la tradition religieuse ; une posture qui valoriserait l’autorité contre la liberté ; une conception ordonnée et organique, fondée sur le passé historique, d’une société hiérarchique, un appel au modèle de la famille plutôt qu’au contrat social comme modèle de société ; et un déni paradoxal de la politique, qui fait que cette pensée pourtant proprement politique ne se pose pas toujours comme telle23. Or ces traits se retrouvent fréquemment dans les textes de certains de ces auteurs que nous avons qualifiés de middlebrow. Nous avons déjà noté l’importance du cadre religieux dans ces écrits. La tradition religieuse sous-tend à son tour l’idéal ancien d’une société d’ordres, fondée notamment sur la tradition salesienne des états de vie. C’est dans cette optique qu’une Leprince de Beaumont brosse le portrait d’une pieuse servante qui, en se levant, « dira en s’habillant : Mon Dieu, je vous remercie de m’avoir fait servante ; j’aime à l’être, parce que c’est votre sainte volonté ; je crois que c’est pour mon bien. En disant ces choses, Marie élève son cœur à Dieu : elle aura accompli le premier commandement, en adorant son Créateur24 ». Malgré des prises de position culturellement progressistes, notamment en matière de défense des capacités des femmes, ce texte témoigne aussi résolument en faveur d’un statu quo social et politique lorsqu’il reprend l’identification traditionnelle du pouvoir séculier avec le pouvoir divin :
« Apprenons à nous soumettre sans murmurer, aux lois de notre pays, et croyons qu’elles sont sages. Apprenons à respecter les puissances, parce qu’elles viennent de Dieu. Apprenons que toutes les fois que nous manquons d’obéir aux princes, nous désobéissons à Dieu25. »
13Le positionnement politiquement conservateur de Mme de Genlis, de même, a été souvent remarqué, même si on trouve également chez elle, en même temps, une véritable philosophie politique qui nie explicitement tout but politique de sa part. Ainsi, ce conseil à ses lecteurs dans l’épître dédicatoire de son roman Les petits émigrés :
« J’espère, mes enfants, que vous imiterez un jour cette louable modestie, et qu’à 18 ou 20 ans, toujours entièrement dévoués à votre pays et soumis à ses lois, vous aurez assez d’esprit pour ne pas disserter sur les différentes formes de gouvernement, et pour ne pas vous ériger en législateurs26. »
14C’est sans doute à la fois à cause de leur couleur politique et de cette « essence inarticulée27 » que ces écrits conservateurs n’ont pas encore fait l’objet d’une étude telle qu’ils le mériteraient en tant que textes politiques : il reste évidemment du travail à faire, et nous n’avons pu faire plus ici qu’esquisser quelques pistes à suivre.
La base de données et le projet numérique MEDIATE
15Comment mobiliser cet ensemble d’hypothèses sur la littérature de culture moyenne dans un projet numérique ? La base de données MEDIATE prend comme point de départ un corpus important de catalogues de bibliothèques privées vendues aux enchères tout au long du xviiie siècle. Le caractère supposément privé de ces collections, en effet, nous permet d’étudier la circulation des idées du point de vue de la réception plutôt que de la production des livres, en nous fournissant des indications sur leurs lecteurs possibles. Tout en restant consciente des dangers d’une approche axée sur la seule possession des livres – un livre en bibliothèque n’équivaut évidemment pas à un livre réellement lu28 – nous posons l’hypothèse que la possession d’un livre nous fournit des indications précieuses sur les aspirations intellectuelles du collectionneur, sur l’association de certains groupes sociaux ou professionnels avec certains types de lecture, sur le prestige accordé à certains livres comme forme de capital culturel et sur l’évaluation par les libraires de la valeur monétaire de ces mêmes livres.
16Dans une première étape, celle de la collecte des données, le projet utilise des répertoires existants afin de créer un corpus numérique de quelques centaines de catalogues de bibliothèques privées de taille petite ou moyenne et vendues aux enchères entre 1665 et 1830. Nos recherches couvrent quatre zones géographiques – les Provinces-Unies, le Royaume-Uni, la France et l’Italie – que nous avons choisies en fonction de leur apport au mouvement des Lumières, de la diversité de langues qu’elles recouvrent, et du rôle de ces régions dans les réseaux intellectuels et dans le commerce du livre au xviiie siècle. Nos sources comprennent notamment les catalogues de vente néerlandais répertoriés et photographiés par Bert Van Selm et ses collaborateurs, actuellement numérisés dans la collection Book sales catalogues online (BSCO29), ainsi que les catalogues de bibliothèques privées décrits dans d’autres répertoires tels que ceux de Françoise Bléchet pour la France, et A. N. L. Munby et Lenore Coral pour le Royaume-Uni30. Nous axons notre travail de collecte sur les bibliothèques de taille petite ou moyenne, c’est-à-dire celles dont le catalogue cite moins de 1 000 lots, car celles-ci devraient nous permettre de cibler les collections de la sous-élite, ou du public de culture moyenne destinataire de la littérature qui nous intéresse31. Les transcriptions de ces catalogues et les données que nous en aurons extraites – comprenant plus d’un demi-million de notices sur des livres individuels recensés dans les catalogues – seront mises à la disposition des chercheurs dans une base de données en libre accès dès 2022.
17Le schéma conceptuel de notre base de données MEDIATE comprend actuellement huit entités : person (personne), collection, catalogue, heading (catégorie attribuée par le libraire), lot, item (livre ou autre objet à vendre), manifestation (édition du livre) et work (œuvre, pris au sens général32). Ceci nous permet de mobiliser le concept de littérature middlebrow à plusieurs niveaux, prenant en compte le statut social « moyen » du possesseur (person), le volume de la bibliothèque (collection), ou le caractère middlebrow de l’ouvrage lui-même (work). En outre, en déployant les instruments numériques d’analyse utilisés plus couramment pour décrire les réseaux sociaux, nous pourrons visualiser les liens entre certaines œuvres (work) entre elles, de même que les ouvrages qui se trouvent le plus souvent à proximité les uns des autres et, par là, fournir un modèle idéal des jalons bibliographiques, entre les catéchismes et Voltaire par exemple. La technologie des systèmes d’information géographique (SIG), enfin, nous permettra de visualiser les livres physiques (item) lorsqu’ils parcourent l’Europe, passant de bibliothèque en bibliothèque33.
18Dans une deuxième étape, celle de l’enrichissement des données, nous nous focalisons sur nos objectifs de recherche sur le système littéraire et le lectorat des livres en collectant des données à la fois sur les livres recensés dans les catalogues et sur leurs possesseurs, ceci afin de rendre possible une étude prosopographique de cette population. Notre entité person comprend ainsi plusieurs propriétés, dont la profession et l’appartenance religieuse (person pouvant être non seulement le possesseur de la bibliothèque, mais aussi un auteur, un éditeur, etc.) :
- Nom court
- Rôle*
- Nom de famille
- Prénom
- Date de naissance
- Date de décès
- Sexe*
- Profession*
- Ville de naissance
- Ville de décès
- Ville de résidence
- Enfants
- Époux ou épouse
- En rapport avec (person)
- Affiliation religieuse*
- Auteur de (work)
19Chaque propriété marquée par un astérisque correspond à son tour à un thésaurus listant les différents choix. Par exemple, pour définir la propriété profession, le chercheur pourra choisir entre seize possibilités, qui sont susceptibles d’être cumulées. Ces choix reflètent les catégories utilisées dans notre étude antérieure, ainsi que d’autres études bibliométriques comme celle de Michel Marion sur les bibliothèques parisiennes34. L’enrichissement des données rendra ainsi possibles des questionnements précis sur les préférences de certaines classes de lecteurs et sur le fonctionnement du marché en ce qui concerne la circulation des livres. Le projet alimentera à terme deux bases de données numériques :
- BIBLIO (Bibliography of individually-owned book and library inventories online) comprenant les métadonnées sur tous les catalogues de vente et inventaires de bibliothèques privées britanniques, français, néerlandais et italiens imprimés dans la période 1665-1830 et conservés aujourd’hui. Ces métadonnées concernent essentiellement les entités catalogue et person.
- MEDIATE (Measuring Enlightenment : disseminating ideas, authors, and texts in Europe) comprenant les transcriptions de quelques centaines de catalogues de la période 1665-1830, ainsi que les données extraites de ceux-ci. Ces données concernent essentiellement les entités item (livre physique), person (auteur, possesseur, éditeur, etc.) et work (œuvre).
20Nous nous rendons bien compte, enfin, du fait que les catalogues de vente aux enchères ne représentent qu’une seule source – particulièrement riche, certes – concernant le marché du livre au xviiie siècle, et que les données qu’ils nous livrent comportent des spécificités qui demandent à être maniées avec précaution. Pour mesurer l’impact des ouvrages dans le champ littéraire, il est alors nécessaire de les étudier à travers un ensemble plus vaste de sources, touchant non seulement à la réception mais aussi à la production et à la mise en circulation du livre. C’est pourquoi, dans un troisième et dernier temps, notre projet MEDIATE consolidera les collaborations déjà existantes avec un certain nombre d’autres projets numériques en histoire du livre, sur d’autres types de sources, afin de créer un écosystème de bases de données interopérables. Cette collaboration implique notamment le projet déjà cité de Simon Burrows à l’université Western Sydney (Australie), FBTEE (French book trade in Enlightenment Europe35), sur les archives de libraires, et le projet Universal short title catalogue36, à l’université de St Andrews (Écosse), portant sur les catalogues de libraires. L’interopérabilité qui sera établie entre ces différents projets numériques nous permettra de créer un vaste réseau de données portant sur les différents aspects de l’histoire du livre et de fournir ainsi une réponse convaincante à la question de la circulation des livres en Europe, notamment le rôle des livres « moyens » dans la transmission des savoirs à l’époque des Lumières.
Bibliographie
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Van Selm Bert, Gruys J. A., Kooker H. W. de, continué par Bostoen Karel, Lankhorst Otto, Montoya Alicia C., Van Delft Marieke (dir.), Book sales catalogues online : book auctioning in the Dutch Republic (ca. 1500-ca. 1800), éd. numérique, Leyde, Brill, 2005. [URL : https://0-primarysources-brillonline-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/browse/book-sales-catalogues-online]
Notes de bas de page
1 Ce projet a bénéficié d’une subvention du Conseil européen de la recherche (ERC) dans le cadre du programme de recherche et innovation de l’Union européenne Horizon 2020 sous la convention no 682022. Voir aussi le site du projet : www.mediate18.nl.
2 D. Mornet, Les origines intellectuelles de la Révolution française (1715-1787) ; R. Darnton, The forbidden best-sellers of pre-revolutionary France.
3 P. Casanova, La république mondiale des lettres.
4 F. Moretti, « The slaughterhouse of literature ».
5 M. Cohen, The sentimental education of the novel, p. 3.
6 F. Moretti, Graphs, maps, trees : abstract models for literary history, p. 4 (trad. de l’auteur).
7 D. Mornet, « Les enseignements des bibliothèques privées (1750-1780) ».
8 A. C. Montoya, « French and English women writers in Dutch library auction catalogues (1700-1800) : some methodological considerations and preliminary results ».
9 S. Van Dijk, A. C. Montoya, « Madame Leprince de Beaumont, Mademoiselle Bonne en hun Nederlandse lezers ».
10 S. Burrows, The French book trade in Enlightenment Europe, II, Enlightenment bestsellers, p. 68.
11 P. Bourdieu, Les règles de l’art : genèse et structure du champ littéraire ; C. Pollentier, « Configuring middleness : Bourdieu, l’art moyen and the broadbrow ».
12 E. Brown, M. Grover (dir.), Middlebrow literary cultures : the battle of the brows (1920-1960) ; J. S. Rubin, The making of middlebrow culture. Pour une application de ce concept au xviiie siècle, voir A. C. Montoya, « Madame Leprince de Beaumont et la littérature “médiocre” (middlebrow) ».
13 S. Burrows, The French book trade in Enlightenment Europe, II, Enlightenment bestsellers, p. 154 (trad. de l’auteur).
14 La bibliographie sur les ouvrages des Lumières est vaste et bien connue. Sur le livre religieux, voir P. Martin, Une religion des livres (1640-1850).
15 R. Chartier, « Lectures et lecteurs “populaires” de la Renaissance à l’âge classique ».
16 C’est ce que suggèrent nos données néerlandaises et les données suisses que rapporte S. Burrows dans The French book trade in Enlightenment Europe, II, Enlightenment bestsellers.
17 M. Bolufer, « Conversations from a distance : Spanish and French eighteenth-century women writers » ; A. C. Montoya, W. de Gelder, « The view from the periphery : French pedagogy and Enlightenment in Russia (Leprince de Beaumont’s Magasin des enfants) ».
18 M. Leprince de Beaumont, Les Américaines ou la preuve de la religion chrétienne par les lumières naturelles, t. VI, p. 284.
19 A. C. Montoya, « Madame Leprince de Beaumont et la littérature “médiocre” (middlebrow) ».
20 S. Albertan-Coppola, A. McKenna (dir.), Christianisme et Lumières ; U. L. Lehner, The Catholic Enlightenment : the forgotten history of a global movement ; D. Sorkin, The religious Enlightenment : Protestants, Jews, and Catholics from London to Vienna.
21 Pour une analyse de l’élément religieux chez Mme Leprince de Beaumont et Mme de Genlis, voir A. C. Montoya, « Livre de piété ou roman ? Sur quelques ouvrages pédagogiques de Mmes Leprince de Beaumont et Genlis » ; id., « Marie Leprince de Beaumont (1711-1780) : a popular religious pedagogue ».
22 D. Masseau, Les ennemis des philosophes : l’antiphilosophie au temps des Lumières ; D. McMahon, Enemies of the Enlightenment : the French Counter-Enlightenment and the making of modernity ; A. Compagnon, Les antimodernes : de Joseph de Maistre à Roland Barthes.
23 R. Scruton, The meaning of conservatism.
24 M. Leprince de Beaumont, Le magasin des pauvres, artisans, domestiques et gens de la campagne, t. I, p. 140-141.
25 Ibid., p. 301.
26 S.-F. de Genlis, Les petits émigrés ou correspondance de quelques enfans, t. I, p. xii.
27 Selon l’expression de R. Scruton, The meaning of conservatism, p. 1.
28 Sur les précautions à prendre en utilisant comme source les catalogues de vente des bibliothèques privées, voir H. Blom, R. Jagersma, J. Reboul, « Printed private library catalogues as a source for the history of reading in seventeenth and eighteenth-century Europe ».
29 Dont des catalogues conservés aux Pays-Bas, en Allemagne, au Royaume-Uni, en France et en Russie. Pour la liste complète, voir B. Van Selm et al. (dir.), Book sales catalogues online : book auctioning in the Dutch Republic (ca. 1500-ca. 1800).
30 F. Bléchet, Les ventes publiques de livres en France (1630-1750) : répertoire des catalogues conservés à la Bibliothèque nationale ; A. N. L. Munby, L. Coral, British book sale catalogues (1678-1800) : a union list ; G. Loh, Die Europäischen Privatbibliotheken und Buchauktionen. Voir aussi A. Charon, É. Parinet, Les ventes de livres et leurs catalogues (xviie-xxe siècle).
31 Étant donné notre estimation selon laquelle 50 % des catalogues de bibliothèques recensent 1 000 lots ou moins. Voir R. Jagersma, « Dutch printed private library sales catalogues (1599-1800) : a bibliometric overview ».
32 En distinguant trois niveaux pour identifier nos livres (work, manifestation, item), nous reprenons le modèle FRBR (functional requirements for bibliographical records). Nous laissons de côté, pour des raisons pratiques, le niveau expression.
33 Pour l’instant, il s’agit de simples cartes permettant de visualiser la distribution géographique d’un titre, des ouvrages d’un auteur ou des lieux de publication des ouvrages faisant partie d’une bibliothèque.
34 M. Marion, Collections et collectionneurs de livres au xviiie siècle.
35 S. Burrows (dir.), French book trade in Enlightenment Europe (http://fbtee.uws.edu.au/).
36 A. Pettegree (dir.), Universal short title catalogue (http://www.ustc.ac.uk/).
Auteur
Professeur de littérature française, université Radboud (Nimègue, Pays-Bas)
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016