La transmission des savoirs chez les compagnons tailleurs de pierre en France aux xviiie et xixe siècles
Résumé
Parler de compagnonnage évoque par excellence la transmission des savoirs. Mais la vision contemporaine du sujet est souvent éloignée de la réalité. Au travers de l’exemple bien documenté des compagnons tailleurs de pierre aux xviiie et xixe siècles, il est utile de définir quels étaient ces savoirs et comment s’opérait leur transmission. On découvre ainsi que le niveau culturel de ces artisans était souvent bien supérieur à ce qu’une vision ouvriériste des métiers nous a portés à croire : nombre de ces compagnons tailleurs de pierre faisaient en réalité ensuite carrière d’ingénieurs et d’architectes. La transmission des savoirs s’effectuait par des cours du soir et, de manière plus générale, par l’émulation au contact des anciens compagnons lors du tour de France. On peut aussi noter que la tradition compagnonnique des tailleurs de pierre se situait encore dans la droite ligne de l’héritage vitruvien de la Renaissance quant au savoir universel de l’architecte.
Entrées d’index
Mots-clés : compagnonnage, tailleur de pierre, stéréotomie, architecture, gnomonique, arpentage
Index géographique : Avignon
Texte intégral
1Parler de compagnonnage évoque immédiatement la notion de transmission des savoirs. C’est au demeurant sous l’intitulé descriptif et explicite de : « Le compagnonnage, réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier » qu’en 2010 l’Unesco l’a inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
2Mais il est difficile de définir précisément ce en quoi consiste, au travers des âges, le compagnonnage1. À l’image ambiguë de la transmission de maître à disciple de procédés et de tours de main plus ou moins secrets se superpose l’aura mystérieuse de rites initiatiques plongeant leurs racines dans la nuit des temps. Au-delà des clichés romantiques complaisamment colportés et de la confusion fréquente avec la franc-maçonnerie2, qu’en était-il vraiment, dans un passé pas si lointain, un passé d’avant les grilles de lecture anthropologiques qui, employées sans recul quant à la validité historique des sources, peuvent quelquefois nous entraîner à ériger des totems anachroniques ? Peut-on vraiment réduire le mouvement compagnonnique à une transmission de savoirs professionnels ? La transmission de rites et de croyances ne serait-elle pas bien plus déterminante de son identité3 ?
3Étudiant depuis plus de vingt ans le cas des compagnons tailleurs de pierre à partir de sources fiables, je vous propose d’en découvrir quelques aspects afin de disposer d’un matériau ne présumant pas de la réponse avant même d’avoir posé les questions.
4Ce qu’il convient de retenir des avancées récentes sur l’histoire des compagnonnages (j’insiste sur ce pluriel), c’est qu’en réalité, nombre d’usages que l’on croyait très anciens et communs à tous les métiers, par exemple la pratique du chef-d’œuvre de réception ou encore le tour de France, ne le sont pas nécessairement. On devrait éviter de parler du compagnonnage au singulier4.
5Ainsi, avant le milieu du xxe siècle, les tailleurs de pierre ne pratiquaient pas l’épreuve du chef-d’œuvre sous forme de modèle réduit d’un élément d’architecture afin d’être reçus compagnons. Et avant le début du xixe, le tour de France n’était pas chez eux une sorte de périple « initiatique » où, au gré d’un certain nombre d’étapes, ils franchissaient des épreuves afin d’être in fine investis du titre de compagnon. En réalité, ce voyage, qui n’était pas un tour systématique de toute la France, durait alors le temps qu’ils jugeaient nécessaire ou qu’ils pouvaient y consacrer avant de revenir dans leurs foyers pour s’y marier et prendre la succession de l’entreprise familiale. La durée moyenne était généralement de quatre ans, et c’était un tour des grandes métropoles économiques régionales où leur société compagnonnique possédait des sièges, c’est-à-dire que le compagnonnage était avant tout un réseau de solidarité fraternelle auquel on adhérait avant même de partir sur les routes, ainsi qu’en attestent clairement les règlements du xviiie siècle. C’est seulement à partir du début du xixe que, par un phénomène d’uniformisation des pratiques compagnonniques, s’est instauré chez les tailleurs de pierre un véritable statut préliminaire d’aspirant, d’une durée de plus en plus longue, l’accès au titre de compagnon intervenant au terme de la réalisation d’une partie significative du tour de France.
6Oublions un instant ce que l’on croit déjà savoir sur le sujet et portons un regard neuf sur les faits et les documents eux-mêmes.
7La transmission des savoirs chez les compagnons tailleurs de pierre des xviiie et xixe siècles : pourquoi cette limitation chronologique ? Pour la période antérieure, nous ne possédons pas suffisamment de ressources documentaires : on peut penser que les compagnons sont les héritiers directs des « bâtisseurs de cathédrales », mais pour ce qui concerne leur mode particulier d’organisation, nous n’en avons pas la preuve absolue. Pour la période retenue, nous avons la chance de disposer de ressources documentaires suffisantes. Par ailleurs, je n’ai pas souhaité englober la période contemporaine, car les pratiques ont trop évolué pour qu’il soit possible, en si peu d’espace, d’expliquer pourquoi et comment. On soulignera également que les discours sur la transmission, très « tendance » à l’heure actuelle, contribuent à en modifier la nature réelle.
Quel savoirs ?
8La première question est bien évidemment : quels savoirs étaient-ils transmis ?
9Parmi les découvertes ayant le plus contribué à améliorer nos connaissances figurent les archives des compagnons passants tailleurs de pierre d’Avignon, archives qui couvrent de manière à peu près continue la période allant du début du xviiie siècle à 18705. Le document le plus remarquable est un rôle en date du 1er janvier 1782. Le rôle est tout à la fois un document administratif et un document sacré6 : c’est pendant son dévoilement aux candidats que ceux-ci sont littéralement « sacrés » compagnons. Le frontispice de celui de 17827 est d’une ampleur inégalée (fig. 1) : il nous présente notamment les savoirs cultivés dans cette société compagnonnique, ou du moins, ceux qui y sont à l’honneur. C’est à partir de ce rôle que nous explorerons ce sujet.
Le métier de tailleur de pierre
La taille de pierre
10Pour entrer dans les rangs de la confrérie, il convenait d’être déjà formé, ainsi que le stipule en 1778 l’article premier du règlement des compagnons passants tailleurs de pierre de Bordeaux :
« Tout tailleur de pierre qui se présentera pour être reçu compagnon passant sera tenu de faire preuve […] de capacité suffisante dans le métier par une ou plusieurs pièces de traits et par le témoignage de compagnons qui cautionneront que l’aspirant est capable de travailler du marteau8. »
11Travailler du marteau, c’est savoir tailler la pierre grâce au marteau-taillant, l’outil principal en dehors du maillet et du ciseau (fig. 2). Très concrètement, cela veut dire être capable de gagner sa vie en exerçant le métier. Car l’apprentissage n’appartient pas à l’association compagnonnique : la formation initiale incombe aux familles qui placent les enfants en apprentissage ou l’effectuent elles-mêmes, de pères à fils ou d’oncles à neveux. Hier comme aujourd’hui encore, même si cela est moins perceptible, la voie du compagnonnage à proprement parler est celle du perfectionnement professionnel et non celle de l’apprentissage.
12Faire preuve de capacité suffisante « par une ou plusieurs pièces de traits » signifie que l’aspirant doit aussi démonter ses capacités conceptuelles, via le dessin pour la coupe des pierres, c’est-à-dire la géométrie appliquée à la taille des volumes.
La stéréotomie
13Car le « trait » ou stéréotomie est en réalité le savoir par excellence que cultivent les compagnons tailleurs de pierre. On le voit sobrement évoqué par un escalier et une niche sur le frontispice du rôle de 1782 (fig. 3).
14Pour rappel, c’est la maîtrise de cette science qui permettait aux architectes d’antan d’élaborer tous les types de voûtes nécessaires dans les bâtiments (fig. 4).
15La connaissance de base est non seulement le dessin, mais aussi et avant tout la géométrie, ainsi que l’indique un autre détail du frontispice où l’on voit un livre (traité de mathématiques) et un dessin figurant un problème de géométrie théorique (fig. 3).
16Dans le rite rival des compagnons passants, celui des compagnons tailleurs de pierre étrangers, mêmes exigences bien sûr quant aux futurs membres :
« Il faudra être reconnu bon ouvrier, laborieux, intelligent, de bonne vie et mœurs, justifier d’une bonne conduite de son passé, posséder les premières notions de géométrie, dessin ou coupe de pierre et en avoir au moins six mois d’études […]9 »
Lire et écrire
17La plupart des compagnons tailleurs de pierre d’antan savaient généralement lire et écrire. Et ils n’étaient pas seulement des utilisateurs des ouvrages techniques qu’ils se transmettaient de génération en génération, ils étaient aussi des producteurs de livres.
18Je n’évoquerai à ce titre que le remarquable exemple de Jean-Paul Douliot, dit la Pensée d’Avignon, né à Avignon en 1788 et décédé dans la même ville en 1834, au terme d’une trop brève carrière qui l’aura conduit, d’abord comme compagnon passant, des travaux du pont d’Iéna, puis, comme architecte et professeur, à l’enseignement de la coupe des pierres et de l’architecture à l’École royale gratuite de dessin de Paris. De 1825 à sa mort, la Pensée d’Avignon publiera plusieurs volumes d’un cours élémentaire, pratique et théorique de construction, comprenant un traité de coupe des pierres, un traité de charpente, un traité de géométrie et un ouvrage sur la stabilité des édifices10.
19Mais les allusions aux savoirs cultivés par les tailleurs de pierre ne s’arrêtent pas à la géométrie et à la stéréotomie. Loin de là…
Les autres savoirs professionnels
L’architecture
20Les atlantes qui encadrent la scène du frontispice du rôle des compagnons passants tailleurs de pierre d’Avignon de 1782 (fig. 1) nous rappellent que, finalement, ce n’est pas de taille de pierre qu’il s’agit, mais bien d’architecture dans son ensemble. Ils proviennent directement du Cours d’architecture de Jacques-François Blondel, publié de 1771 à 1777. Le dessinateur du rôle, Joseph Ponge, dit la Douceur d’Avignon, l’avait manifestement sous les yeux, tant la ressemblance est grande. C’est lui qui, quelques années plus tard, construira le grand théâtre de Marseille, un projet validé par Michel-Jean Sedaine, architecte, secrétaire de l’Académie d’architecture de Paris, auteur dramatique reçu à l’Académie française en 1786 et… reçu compagnon passant tailleur de pierre vers 1740 sous le nom de la Pensée de Paris.
21Cet intérêt pour l’architecture en général se manifeste chez les compagnons d’antan par la possession fréquente d’un exemplaire de la célèbre « règle » de Vignole sur les cinq ordres d’architecture, l’auteur ayant d’ailleurs inspiré une partie des traits de maître Jacques, l’un de leurs fondateurs légendaires11.
La gnomonique
22On remarque sans peine la présence d’une sphère armillaire et d’un globe céleste (fig. 5). Ils font surtout allusion à la gnomonique. Cette dernière faisait partie des savoirs que cultivaient les tailleurs de pierre, puisqu’ils réalisaient les cadrans solaires dont l’aristocratie de l’époque était friande. Si c’est souvent aux ecclésiastiques qu’incombaient le calcul et le tracé des cadrans, les compagnons ne demeuraient pas en reste, ainsi qu’en atteste un petit ouvrage de 22 pages publié en 1768, L’Horologiographe universel […] pour l’usage & la facilité des Compagnons tailleurs de pierre & Maçons, qui sont sur le tour de France. On ne saurait être plus explicite !
23Même s’il concerne aussi l’arpentage, c’est principalement à la gnomonique que fait allusion le phare présent au milieu du frontispice : il est visiblement emprunté au frontispice du plus célèbre traité de l’époque, qui connut de nombreuses éditions entre 1641 et le début du xviiie siècle, celui du Traitté d’horlogiographie de Dom Pierre de Sainte-Marie Magdeleine (fig. 6).
L’arpentage
24Entre les globes du frontispice du rôle des compagnons passants tailleurs de pierre d’Avignon (fig. 5) sont rangés plusieurs objets : un cadran solaire, au demeurant du même modèle graphique que ceux de l’opuscule de 1768, puis une boussole, un rapporteur et un graphomètre à pinnules, qui sont des instruments d’arpenteur. Outre ces derniers instruments et le phare, qui illustre nettement un lieu commun qu’est le problème de la mesure de la hauteur des points inaccessibles, l’arpentage est encore évoqué par divers détails. On remarque ainsi, au-dessus de l’évocation de la stéréotomie, le dessin d’une méthode basique d’arpentage employant deux règles et la mesure de l’angle qu’elles forment. Sur la partie droite du frontispice, deux petits personnages évoluent dans un verger. L’un pousse une sorte de brouette : c’est un odomètre, instrument permettant de mesurer les distances ; l’autre porte une hotte sur le dos et s’appuie sur une canne : c’est un arpenteur qui plante régulièrement ses jalons afin de fixer les points de mesure.
25Plusieurs documents permettent de constater la présence de compagnons tailleurs de pierre parmi les arpenteurs aux xviiie et xixe siècles. Leur connaissance de la géométrie et de ses applications leur permettait d’exercer sans difficulté ce métier, soit à part entière, soit, au moins, pour les implantations de bâtiments. L’exemple bien documenté d’un compagnon parisien, Pierre Janson dit la Palme (1661-ca 1721), partant travailler en 1688 en Nouvelle-France comme tailleur de pierre et recevant en 1708 une commission d’arpenteur royal en ce pays, permet d’avancer l’hypothèse que les compagnons les plus instruits changeaient de profession au gré des opportunités les plus avantageuses ou, plus simplement, des possibilités du moment : tantôt simples tailleurs de pierre, tantôt architectes, ingénieurs ou arpenteurs, ils savaient aussi redevenir entrepreneurs en bâtiment si nécessaire.
L’art des jardins
26À côté des deux globes du frontispice, on remarque un élégant personnage dans l’encadrement d’une allée de parc, avec au fond un jet d’eau sur un bassin circulaire. L’art des jardins fait alors partie intégrante de l’architecture – il est au demeurant lié à l’arpentage – et c’est aussi dans les parcs qu’à cette époque, l’on pose les cadrans solaires (fig. 7).
27Ainsi, les savoirs professionnels cultivés par les compagnons tailleurs de pierre à la fin de l’Ancien Régime étaient la géométrie, la stéréotomie, l’architecture, la gnomonique, l’arpentage et l’art des jardins.
Le savoir-être
28Il est nécessaire de citer pour mémoire le fait qu’en même temps que ces savoirs professionnels, les compagnons se transmettaient également un savoir-être, des symboles, des rites et une gestuelle rituelle.
29Enfin, il n’est sans doute pas inutile de préciser que même si la vision du rôle était réservée aux initiés12, les compagnons tailleurs de pierre français des xviiie et xixe siècles ne se transmettaient pas de secrets d’ordre technique. Si secret de métier il a existé auparavant, il touchait le « trait », ainsi qu’en attestent, par exemple, des articles du règlement des compagnons tailleurs de pierre germaniques au xve siècle13 ou, pour rester dans le domaine français, le titre même d’un traité de Mathurin Jousse, publié en 1642, Le secret d’architecture découvrant fidèlement les traits géométriques, coupes et desrobements nécessaires dans les bastiments. Mais depuis la publication en 1567 du premier tome de l’Architecture par Philibert Delorme, le secret du trait était déjà bien éventé…
Quels modes de transmission ?
30Après avoir défini quels étaient les savoirs en jeu, il convient de poser la question : dans quel cadre et comment les compagnons se les transmettaient-ils ? Précisons qu’à cette époque n’existaient pas ces sièges compagnonniques qui, aujourd’hui, regroupent restauration, hébergement et salles de cours. Chez les compagnons du xviiie siècle, la fameuse « mère » était simplement une aubergiste qui, outre des repas et un hébergement à prix préférentiel, assurait aux compagnons la location d’une pièce pour y conserver le coffre de leur société et y tenir réunion le premier dimanche de chaque mois14.
Les cours de trait
31Ainsi que nous l’avons vu, le savoir professionnel par excellence était – et est toujours – le trait pour la coupe des pierres. Selon les villes, son enseignement se faisait soit chez un ancien compagnon, qui percevait de ce fait une rémunération modique, soit dans un cours de dessin gratuit à destination des ouvriers, comme il s’en est créé dès avant la Révolution et durant tout le xixe siècle.
Cours chez les anciens
32Pour ce qui est des cours donnés par les anciens, voici l’émouvant témoignage que nous offre le carnet de comptes tenu par Jean-Jacques Laurès, dit la Tranquillité de Caux15, durant son tour de France entre 1838 et 1842. À la date du 5 novembre 1839, il note qu’il « rentre en classe pour le trait chez le sieur Ablin dit la Vertu, compagnon passant maître maçon à Saintes » et détaille ses achats (fig. 8) : la première semaine, 5 chandelles et 6 feuilles de papier ; deux semaines plus tard, le dimanche 19 novembre, il ajoute 4 livres de chandelles, 14 feuilles de papier de dessin, 2 crayons et un tire-ligne, 320 livres de plâtre en pierre et enfin un peu de bois.
33Aux cours du soir, à la lumière des chandelles, s’en ajoutaient donc d’autres le dimanche après-midi, seul réel moment de loisir de la semaine pour l’ouvrier.
34Le plâtre en pierre est employé, une fois broyé, à réaliser des maquettes afin de vérifier les épures. Cela évoque nos actuels chefs-d’œuvre16 réalisés en pierre, mais cela n’en a aucunement la fonction.
35On aura noté la date à laquelle la Tranquillité de Caux commence à suivre ses cours de trait : c’est le début de la saison durant laquelle les journées de travail raccourcissent. On occupe ainsi à s’instruire le temps gagné. Mais l’hiver est aussi la saison où les intempéries peuvent gêner le travail de la pierre. Certains compagnons occupent alors leur chômage à suivre des cours de trait.
Cours du soir dans les écoles de dessin
36Pour ce qui est des cours du soir institutionnels, j’ai déjà évoqué ceux de l’École royale gratuite de dessin, créée en 1767, où enseigna Jean-Paul Douliot de 1818 à 1834. On sait par le témoignage de sa veuve toute l’attention qu’il portait aux compagnons passants, notamment avignonnais, s’efforçant de les aider aussi dans la recherche d’emploi et soulageant leurs misères de sa propre bourse.
37De tels cours de trait existaient dans d’autres grandes villes, soit dans le cadre d’écoles religieuses en faveur des ouvriers ou de sociétés philomatiques, comme ici vers la fin du xixe siècle à l’École philomatique de Bordeaux (fig. 9), soit encore dans les cours du soir dispensés par les écoles des beaux-arts ou celles d’arts et métiers, dont les professeurs étaient souvent d’anciens compagnons.
38Voici, par exemple, la description par un architecte d’un cours dispensé à titre privé par un compagnon étranger, vers 1840-1845, à Paris :
« En même temps que je faisais mes études d’architecture à l’École des beaux-arts de Paris, je suivais, le soir, un cours de coupe des pierres. C’était dans un vieux quartier central, mais très laid, où, depuis, la démolition a fait son œuvre salutaire, et dans une sorte de boutique, à l’aspect un peu cabaret, servant de réunion pour les tailleurs de pierre. Cette boutique était comme le vestibule d’une grande pièce qui y faisait suite et qui était une école de trait professée par le très habile appareilleur bien connu alors sous son nom de compagnonnage, la Fleur de Coutras17, constructeur du pont de Neuilly entre autres, et que venaient souvent consulter les grands architectes. La Fleur de Coutras était bien le type de ce que j’appellerai l’ouvrier savant dans sa spécialité, simple et digne dans ses rapports aussi bien avec les architectes et les ingénieurs qu’avec ses coopérateurs, inspirant le respect et la confiance à tous.
« Des modèles de toute espèce de coupes de pierres, voûtes biaises, rampantes, encorbellements, pénétrations, etc., garnissaient le pourtour de la pièce, et le maître nous faisait exécuter, en plâtre bien entendu, ces différentes œuvres. Ce n’étaient point de simples copies que nous avions à faire ; tout était fondé sur l’application exacte de la géométrie descriptive, et nous étions tout étonnés qu’en suivant ses prescriptions nos œuvres en plâtre arrivaient si nettement, je dirai presque si facilement, sans tâtonnement, sans erreur, à réaliser ces coupes, à premier abord si compliquées18. »
Les cours compagnonniques
39Dans le cours du xixe siècle, les compagnons cherchèrent aussi à s’organiser entre eux. Ainsi, en 1846, les compagnons passants tailleurs de pierre de Paris montèrent-ils un cours de trait dont le règlement nous fournit de précieuses indications quant à son organisation et à l’idée qui y préside : lutter contre la perte d’influence de leur société compagnonnique.
40Son préambule fait table rase de certaines visions par trop romantiques. Il précise en effet que :
« […] Comme tous les compagnons ont été jusqu’alors libres de s’instruire selon leur propre vue, ils sont tombés, les uns dans la débauche du vin et des femmes, les autres, plus studieux, se sont instruits, chose assez rare. Mais le libre exercice de ce temps si précieux peut être employé plus utilement pour l’instruction de chaque Compagnon : ce qui ne peut que donner un très beau relief a notre société, et nous procurer une foule d’hommes très capables. Car depuis quelques années les sciences et les arts se propagent, l’étude est une mode acceptée par tout le monde, ce qui tend à amoindrir nos lumières, les mœurs changent. Eh bien, courons au-devant du progrès ! Oui mes chers Coteries, pour que l’illusion continue, pour que la fraternité qui unit tous les Compagnons continue son règne telle qu’elle a existé pendant des milliers d’années, il faut une étude sérieuse qui nous élève et nous fasse rechercher. Si nous le faisons, ce temps pesant et ennuyeux par l’oisiveté deviendra un passe-temps agréable. Plus de ces flâneries perpétuelles, plus de ces folles pensées qui dégradent l’esprit. Car le travail diminue les passions, augmente les vertus et prépare un ouvrier honorable19. »
41Plusieurs articles insistent sur l’enseignement mutuel que se doivent, bénévolement, les compagnons :
« Article 3. – Pour ne pas avoir de profusion de maîtres, ce qui deviendrait trop coûteux, on démontrera le dessin et la coupe de pierre ensemble [tous niveaux confondus], mais les Compagnons les plus instruits sur la coupe de pierre devront en faire part aux autres sans prétendre aucune diminution sur le prix de la classe et que ceux qui feront la coupe de pierre payeront, comme ceux qui feront le dessin, ce qui fera une diminution sur le prix de l’école. »
« Article 5. – L’enseignement sera censé mutuel en l’absence du maître, c’est-à-dire que les plus avancés donneront des conseils aux moins forts, sans cependant que l’on enseigne ceux qui perdent leur temps. »
« Article 9. – Tout jeune Compagnon résidant à Paris sera tenu de venir à l’école pour s’instruire sauf qu’il ne soit assez fort sur les parties que l’on démontrera, auquel cas il aura le droit de s’y refuser en montrant ses dessins, ou que les Compagnons attestent de son savoir. Mais il devra se rendre utile pour l’école par ses lumières […]20 »
Les défis
42Ces cours trouvaient un prolongement dans les défis que se lançaient parfois les compagnons des deux rites ennemis, les passants d’un côté, les étrangers de l’autre. Si des luttes sanglantes les opposaient fréquemment autour de grands chantiers, pour avoir le monopole des embauches, il arrivait qu’ils cherchent à vider leurs querelles par le biais de défis de stéréotomie. Chaque clan possédait ses champions qui traçaient les épures et taillaient les maquettes en plâtre. Ainsi, en 1771 à Bordeaux, semblable défi oppose la Réjouissance de Tarascon et la Pensée de Sainte-Foy21. En 1784, la Douceur d’Avignon, le dessinateur du frontispice de 1782, signe en tant qu’architecte-ingénieur le règlement d’un concours devant être jugé par les membres de l’Académie d’architecture de Paris22. Il s’agit tout autant, sinon plus, d’architecture que de coupe des pierres. En 1826 encore, semblable concours se tient à Paris, se concluant par la fuite du compagnon passant, pris en flagrant délit de tricherie. L’affaire est longuement rapportée par Agricol Perdiguier dans ses Mémoires d’un compagnon. Le concours, dont le règlement avait été enregistré devant notaire, opposait deux champions désignés par leurs sociétés : Bertrand Caron, dit la Fleur de Coutras (cité plus haut, note 17), pour les compagnons étrangers, et un dénommé Saint-Martin pour les compagnons passants. Les deux concurrents entrèrent dans des chambres gardées par leurs rivaux le 8 août 1826, pour réaliser chacun deux modèles en plâtre, l’un selon un projet fixé par sa société compagnonnique, l’autre par la société rivale. Mais le 6 novembre 1826, un procès-verbal constate que le compagnon passant avait triché, des membres de son compagnonnage lui ayant fait passer par un trou percé dans le mur des toilettes des objets prohibés par le règlement du concours. Saint-Martin prend la fuite et la Fleur de Coutras est donc proclamé vainqueur de ce concours.
Le tour de France et l’émulation
43De manière générale, la fraternité compagnonnique offrait un cadre idéal à l’émulation. Il n’était nul besoin de créer des cours spécifiques pour ces autres savoirs qu’étaient l’architecture, la gnomonique, l’art des jardins ou l’arpentage. Les jeunes compagnons côtoyaient durant leur tour des « anciens » installés comme entrepreneurs, architectes ou ingénieurs, qui leur offraient tout à la fois des modèles sociaux et, le cas échéant, des enseignements dans telle ou telle spécialisation.
44On conserve des témoignages intéressants de cette émulation, telle l’incessante quête du savoir de Joseph Teulère (1750-1824), qui, orphelin de père à l’âge de dix ans, débute son parcours comme compagnon passant tailleur de pierre, suit des cours du soir à l’Académie d’architecture de Paris, obtient en 1776 un poste d’ingénieur maritime à Bordeaux, surélève le phare de Cordouan, entretient des contacts avec Gaspard Monge, devient ingénieur-constructeur de la Marine, est nommé en 1800 directeur des travaux maritimes à Rochefort et adresse alors à un négociant de son village natal, Montagnac (Lot-et-Garonne), un courrier où il raconte en détail son parcours pour inciter les jeunes gens à ne cesser de s’instruire23. Ou encore l’importante production de traités théoriques et pratiques relatifs à la construction (charpente, taille de pierre, stabilité des édifices, géométrie descriptive, dessin) de Jean-Paul Douliot (1788-1834), dit la Pensée d’Avignon, compagnon passant tailleur de pierre, architecte et professeur d’architecture à l’École royale gratuite de dessin de Paris24.
45De manière générale, il convient de ne pas sous-estimer la transmission par le biais des livres, nombre de compagnons sachant correctement lire et écrire.
L’idéal vitruvien hérité de la Renaissance
46On soulignera enfin que lors de la cérémonie de la réception dans la confrérie compagnonnique, la vision sacralisée du rôle situait la quête du savoir sur un piédestal. On retrouve là un idéal « vitruvien », et chrétien, qui est clairement expliqué par Philibert de l’Orme à propos d’une gravure de son Premier tome de l’architecture25. On y voit, compas en main, un architecte sortir d’une caverne, symbolisant le lieu obscur de la méditation et des études. La devise latine proclame : « De mille peines et mille empêchements est retardé l’Artisan docte et sage, quand par son Art, savoir et instruments, il cherche vers la Palme le passage ». Des trois pages d’explications que l’auteur consacre à cet emblème de sa composition, je ne retiendrai que ce qui concerne la palme, figurée par le palmier : c’est le but auquel doit viser l’artisan et elle signifie gloire, honneur et victoire26. Et ce but est atteint grâce au savoir.
47On retrouve l’essentiel de cette thématique vitruvienne dans le blason même des compagnons tailleurs de pierre27. Celui des compagnons passants d’Avignon, dont le plus ancien actuellement recensé date de vers 1710 (fig. 10), en présente l’exemple le plus synthétique : entre les palmes, compas, équerre et règle sont entrecroisés, symbolisant la géométrie, connaissance fondamentale, tandis qu’une couleuvre les entrelace étroitement, symbolisant la Prudence, au sens ancien de l’expérience acquise. Au-dessus, un phylactère porte la devise « Labor – Honor », « travail et honneur ».
48En conclusion, trois points sont à retenir.
49Si la transmission des savoirs constitue aujourd’hui l’aspect le plus remarquable des compagnonnages, ce n’est toutefois pas là leur vocation originelle, qui était la solidarité fraternelle. La naissance des sociétés de secours mutuels, puis des caisses de retraite et enfin de la sécurité sociale est peu à peu venue grignoter cette part de leur raison d’être, laissant ainsi place à l’expansion de la transmission professionnelle, qui est en quelque sorte un « heureux dommage collatéral ».
50Secundo, j’espère vous avoir convaincu de l’importance qu’il y a de conjuguer au pluriel ce singulier phénomène qu’est le compagnonnage, pour ce qui concerne ses multiples manifestations dans l’histoire. Ne succombons pas à la tentation de certaines lectures anthropologiques, qui, à force de schématiser, réduisent le champ des connaissances plutôt qu’elles ne l’ouvrent.
51Enfin, nous avons entraperçu l’étendue des savoirs que les compagnons tailleurs de pierre cultivaient sous l’Ancien Régime. Ce faisant, ils s’efforçaient en quelque sorte de mettre en pratique l’injonction de Vitruve dans De Architectura, à propos des qualités que l’architecte doit posséder :
« Il faut qu’il ait de la facilité pour la rédaction, de l’habileté dans le dessin, des connaissances en géométrie ; il doit avoir quelque teinture de l’optique, posséder à fond l’arithmétique, être versé dans l’histoire, s’être livré avec attention à l’étude de la philosophie, connaître la musique, n’être point étranger à la médecine, à la jurisprudence, être au courant de la science astronomique, qui nous initie aux mouvements du ciel28. »
Bibliographie
Anonyme, L’horologiographe universel ; ou methode générale, très-juste courte & facile pour faire toute sortes de montres solaires dans tout l’univers : pour l’usage & la facilité des compagnons tailleurs de pierre & maçons, qui sont sur le tour de France ; ouvrage néantmoins utile & à la portée de toute sorte de personnes, Paris, impr. Chardon, 1768.
Aviler Augustin-Charles d’, Cours d’architecture qui comprend les ordres de Vignole, avec des commentaires, les figures et descriptions de es plus beaux bâtimens, & de ceux de Michel-Ange, plusieurs nouveaux desseins...l’art de bâtir avec une ample explication par ordre alphabétique de tous les termes par le sieur A. C. Daviler,... Première partie, Paris, 1691.
Bastard Laurent et Mathonière Jean-Michel, Travail et honneur : les compagnons passants tailleurs de pierre en Avignon aux xviiie et xixe siècles, Dieulefit, La Nef de Salomon, 1996.
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Vitruve, De l’architecture, trad. C.-L. Maufras, Paris, Panckoucke, 1847.
Notes de bas de page
1 La recherche sur les compagnonnages français souffre d’un déficit d’études sérieuses, même si depuis un peu plus de deux décennies ce retard tend à se combler grâce aux travaux d’une poignée de chercheurs, au premier rang desquels L. Bastard, l’érudit directeur (de 1993 à 2018) du musée du Compagnonnage à Tours qui, outre ses propres publications, a publié la série des Fragments d’histoire du compagnonnage reprenant les conférences organisées chaque année par le musée (17 volumes parus).
2 Sur les confusions et interférences entre franc-maçonnerie et compagnonnage, voir J.-M. Mathonière, Les interférences entre spéculatifs et opératifs français aux xviiie et xixe siècles ; « Franc-maçonnerie et compagnonnage : “tronc commun” ou absence de parenté ? » et « Franc-maçonnerie opérative et spéculative ».
3 Sur la question de la transmission dans les compagnonnages, voir J.-M. Mathonière, « La transmission dans les compagnonnages : entre réalité et fantasmes » et « La tradition et sa transmission dans les compagnonnages ».
4 C’est A. Perdiguier, premier historiographe des compagnons, qui, en publiant en 1841 son célèbre Livre du compagnonnage, est le responsable initial de ce singulier trompeur. Son objectif étant de pacifier tous ces compagnonnages qui se battaient jusqu’au sang et parfois jusqu’à la mort sur les routes du tour de France, ses écrits ont plutôt insisté sur l’idée d’une origine et d’un idéal communs que sur celle d’une multiplicité de racines quelquefois divergentes. Voir J.-M. Mathonière, « Agricol Perdiguier, premier historien du compagnonnage français ».
5 Découvert en 1996, ce fonds a été étudié par L. Bastard et moi-même et il a fait l’objet d’une publication d’ensemble : L. Bastard et J.-M. Mathonière, Travail et honneur : les compagnons passants tailleurs de pierre en Avignon aux xviiie et xixe siècles. Sur l’histoire et les usages des compagnons tailleurs de pierre français, voir J.-M. Mathonière, « Aperçus sur l’histoire des compagnonnages de tailleurs de pierre et maçons en France et en Europe » et « Aperçus sur les compagnonnages français de tailleurs de pierre ».
6 Voir chap. « Le rôle », dans L. Bastard et J.-M. Mathonière, Travail et honneur…, p. 38-50.
7 Voir chap. « Le rôle atypique de 1782 », dans L. Bastard et J.-M. Mathonière, Travail et honneur…, p. 100-119.
8 L. Bastard et J.-M. Mathonière, Travail et honneur…, p. 61-66.
9 Règlement particulier des compagnons étrangers figurant dans un livret imprimé, sans date (vers 1860-1865), qui était remis aux membres itinérants, « jeunes hommes » (équivalent d’aspirant) et compagnons. Transcription à partir d’une photocopie non sourcée communiquée à l’auteur par un compagnon tailleur de pierre des devoirs. Un livret de Règlements généraux a par ailleurs été édité en 1865 à Genève à l’imprimerie Blanchard.
10 J.-P. Douliot, Cours élémentaire, théorique et pratique de construction. Voir J.-M. Mathonière, « Jean-Paul Douliot (1788-1834), compagnon passant tailleur de pierre… ».
11 Voir J.-M. Mathonière, « Les avatars de maître Jacques ». Parmi les personnalités réelles ou mythiques auxquelles emprunte le personnage syncrétique de maître Jacques, l’une est prépondérante : il s’agit de l’architecte italien Giacomo Barozzi da Vignola (1507-1573) dont la Regola, publiée en 1562, a connu une diffusion exceptionnelle en tant que recueil de modèles d’architecture, notamment en France, et dont l’édition au format de poche, en 1631, a largement touché les milieux compagnonniques. Voir J.-M. Mathonière, « Vignole et les compagnons du Tour de France ».
12 L. Bastard et J.-M. Mathonière, Travail et honneur…, chap. « La réception des honnêtes compagnons », p. 128-141.
13 J.-M. Mathonière, « L’ancien compagnonnage germanique des tailleurs de pierre ».
14 Rôle de Bordeaux, 1778, article 1er du chap. II : « Les premiers dimanche de chaque mois, les Compagnons seront tenus de se trouver chez le Père à une heure précise après midi […] ». Voir L. Bastard et J.-M. Mathonière, Travail et honneur…, p. 61-66.
15 Voir J.-M. Mathonière, La Tranquillité de Cau…
16 Voir J.-M. Mathonière, « Compagnons : de la maquette au chef-d’œuvre », diaporama et communication (non publiée) au séminaire d’histoire de la construction, 2016, Paris, Institut national d’histoire de l’art.
17 Chez les tailleurs de pierre, qu’ils soient du rite des passants ou de celui des étrangers, le nom compagnonnique est au xixe siècle formé d’une vertu ou d’un symbole, suivi du nom de la localité d’origine (voir L. Bastard et J.-M. Mathonière, Travail et honneur…, chap. « Les surnoms compagnonniques des tailleurs de pierre » et « Le palmarès des vertus », p. 142-147 et p. 148-151). L’usage de ces surnoms compagnonniques rend souvent difficile l’identification précise des individus. La Fleur de Coutras était un compagnon étranger tailleur de pierre dénommé Bertrand Caron, qui fut l’un des protagonistes d’un des défis de coupe des pierres qui opposaient périodiquement, depuis la seconde moitié du xviiie siècle, les deux rites ennemis de tailleurs de pierre – en lieu et place des batailles sanglantes qui peu à peu cessèrent. Un autre appareilleur célèbre de la seconde moitié du xixe siècle ne doit pas être confondu avec la Fleur de Coutras : Jean Gallineau (1847-1914) dit Joli-Cœur de Coutras, reçu compagnon passant tailleur de pierre le 15 août 1869, qui fut notamment l’exceptionnel appareilleur du pont Alexandre III à Paris et enseigna la stéréotomie à l’École des travaux publics d’Arcueil-Cachan. Voir sa notice biographique dans Les muses du tour de France, no 4 (1926), p. 57-58.
18 Gaspard George (1822-1908), président de la Société académique d’architecture de Lyon, dans La Construction lyonnaise, 23e année, no 24, 1901, p. 281. Sur G. George, CTHS, annuaire prosoprographique des sociétés savantes : <http://cths.fr/an/savant.php?id=101710>.
19 D’après un document des archives de la Chambre des compagnons passants tailleurs de pierre de Paris, Compagnonnage, no 274, 1965.
20 Ibid.
21 Voir C. Braquehaye, « Défi des compagnons “passants” et des compagnons “étrangers” jugé par l’Académie de peinture, de sculpture et d’architecture de Bordeaux, le 27 mars 1771 ».
22 L. Bastard et J.-M. Mathonière, Travail et honneur…,, p. 338-340.
23 Voir J.-M. Mathonière, « Joseph Teulère (1741-1824) ou la quête des lumières ».
24 Voir J.-M. Mathonière, « Jean-Paul Douliot… ».
25 Le premier tome de l’architecture de Philibert de L’Orme […], fol. 51 vo.
26 Voir J.-M. Mathonière, Le Serpent compatissant…
27 Ibid.
28 Vitruve, De l’architecture, livre I, chap. 1 et 3.
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