Quand les collectionneurs prennent la plume : de la correspondance à l’écriture de l’histoire des arts décoratifs espagnols au xixe siècle
p. 5-12
Résumé
La correspondance plurilingue du baron Davillier (1823-1883), collectionneur, historien et donateur des musées nationaux, met en lumière l’existence et le fonctionnement d’un réseau transnational de collectionneurs liés par un goût commun pour les objets d’art médiévaux. À l’instar de son ami le comte de Valencia de Don Juan (1828-1906), collectionneur et membre de la Real Academia de la Historia, Davillier forme une collection qui se distingue dès les années 1860 par des pièces de céramique et d’orfèvrerie espagnoles alors peu étudiées et/ou confondues avec les productions italiennes. Hispanophile érudit, il entreprend d’écrire l’histoire de ces objets. Les relations entre les intermédiaires (collectionneurs, savants, marchands, conservateurs de musées) permettent d’étudier la circulation de ces objets et des savoirs destinés à éclairer leur histoire. L’historiographie naissante de ces arts décoratifs au xixe siècle doit s’étudier au travers de ces relations qui s’établissent dans un contexte où coexistent complémentarité et concurrence.
Texte intégral
1Archétypes français et espagnol de l’amateur érudit du xixe siècle, le baron Jean-Charles Davillier1 et le comte de Valencia de Don Juan2 étaient à la fois collectionneurs et historiens. La collection du baron Davillier, célèbre pour ses objets d’arts décoratifs du Moyen Âge et de la Renaissance, était admirée lors des « lundis du baron Davillier » qui se tenaient au no 18 de la rue Pigalle à Paris3. Cette collection, léguée en 1883 aux musées du Louvre et de Sèvres, a fait entrer dans la postérité le collectionneur et le donateur4. Davillier fut également l’auteur de savants ouvrages sur les arts décoratifs espagnols, plus particulièrement consacrés à la céramique et à l’orfèvrerie médiévales5. Leur publication dès le début des années 1860 témoigne de l’aspect alors inédit de telles recherches. À l’instar de son Histoire des faïences hispano-moresques à reflets métalliques (1861), ses ouvrages sur les arts décoratifs et industriels espagnols illustrent son goût pour ces objets et sa volonté de leur donner une place dans une historiographie des arts du feu encore naissante. Son article « Exposition historique de l’art ancien. Les arts décoratifs de l’Espagne à l’Exposition du Trocadéro » (1878) ou les Recherches sur l’orfèvrerie en Espagne au Moyen Âge et à la Renaissance (1879) synthétisent une partie de ses études dans les années 1860-1870. Voyageur infatigable, Davillier est l’auteur d’un célèbre récit de voyage en Espagne illustré de quelque trois cents gravures tirées des dessins de son ami Gustave Doré6. Ce voyage, effectué entre les années 1861 et 1862 en compagnie de l’artiste qui préparait alors une illustration du Don Quichotte de Cervantes7, était une commande de la revue hebdomadaire Le Tour du monde : nouveau journal des voyages8. De ses voyages dans la Péninsule, Davillier rapporte de nombreux objets dès avant les années 1860. Guy de Maupassant le rappelle en 1883, le collectionneur est alors perçu comme un découvreur :
« Le baron Davillier, qui vient de mourir, a été, pour ainsi dire, le Christophe Colomb des faïences hispano-mauresques ; non qu’il en ait découvert l’existence, mais il en a, je crois, découvert et révélé la beauté. » (G. de Maupassant, « Vieux pots »)
2Davillier est à ce titre consulté par ses contemporains en tant qu’amateur érudit et se pare rapidement de l’autorité de l’expert en matière d’objets d’art9. Ce savoir, indéniablement façonné au fil de ses voyages, doit néanmoins beaucoup aux liens plus ou moins étroits qu’il établit avec d’autres personnalités rencontrées en Espagne, en Italie, à Londres et à Paris, alors épicentre de la curiosité.
3Parmi ces personnalités, Juan Crooke y Navarrot, comte de Valencia de Don Juan, occupe une place particulière. Ce grand collectionneur fut chargé par le roi Alphonse XII de restaurer la Real Armería et d’en rédiger le catalogue10, ainsi que celui des collections de tapisseries de la couronne d’Espagne11. Ces ouvrages lui valurent d’être élu à la Real Academia de la Historia en 190212. Présenté comme archéologue, il avait réuni une collection exceptionnelle de céramiques hispaniques, principalement médiévales, et d’arts décoratifs espagnols dont on peut aujourd’hui admirer l’importance à l’Instituto Valencia de Don Juan à Madrid13.
4L’étude de la correspondance du baron Davillier, qui renferme de nombreuses lettres échangées entre ces deux collectionneurs, permet de mettre en lumière l’existence d’un réseau transnational constitué de collectionneurs, de marchands, d’antiquaires, de savants et de conservateurs de musées, dont les échanges témoignent d’une véritable émulation autour des arts décoratifs. En tant que mode de communication entre ces deux collectionneurs, la correspondance privée est en effet une des sources documentaires qui révèlent leurs interactions directes et leur rôle fédérateur14. Cette correspondance permet notamment d’appréhender le regroupement d’un savoir en réseau, un regroupement façonné par des circulations matérielles et immatérielles, des circulations d’objets et d’idées entre différents acteurs et intermédiaires. Étudier un réseau implique de se confronter à la question de l’échelle d’analyse. Dans ce cas précis, l’échelle transnationale à laquelle se mesure l’existence de ce réseau de collectionneurs témoigne d’un comportement collectif et européen autour des arts décoratifs et industriels de l’Espagne.
5L’étude du réseau créé par des personnages tels que le comte de Valencia de Don Juan et Davillier met en exergue la façon dont cette émulation se concrétise par une écriture historique et scientifique, manifeste par la publication d’ouvrages précurseurs sur la céramique et l’orfèvrerie espagnoles. À une époque où les disciplines comme l’archéologie, l’histoire et l’histoire de l’art se forment et se distinguent progressivement les unes des autres, le passage d’une écriture privée à une divulgation érudite du propos est particulièrement intéressant à étudier. Au prisme de ces différents axes, cette correspondance située entre les années 1860 et 1890 permet d’appréhender la naissance d’une historiographie des arts décoratifs espagnols en même temps que se forment d’importantes collections en Europe. Ces échanges épistolaires révèlent comment liens d’amitié et circulation des savoirs sont instrumentalisés. Les contours d’un espace partagé des arts se dessinent alors – un espace qui est façonné par les relations entre différents acteurs dont les motivations peuvent concorder ou s’opposer15.
De la chronique de la curiosité à l’étude des objets
6Connu pour ses voyages éclair dans la Péninsule dans le seul but d’acquérir un objet, Davillier se forge une réputation de voyageur infatigable. L’image du collectionneur fureteur en quête de l’objet rare – prépondérante dans la notice que lui consacre Paul Eudel16 – semble bien fidèle à sa personnalité. Cependant, l’étude de sa correspondance avec le comte de Valencia de Don Juan laisse transparaître l’existence d’un véritable réseau d’échanges entre Madrid et Paris.
7La plus ancienne lettre adressée par le comte de Valencia de Don Juan à Davillier est datée du 9 décembre 1871. On y saisit d’emblée la teneur de leurs échanges : « Vous avez néanmoins quelque responsabilité, en ce que la maudite cupidité soit venue troubler ma paisible vie de collectionneur de céramique17 ». Cette lettre nous apprend que les deux collectionneurs se sont rencontrés à Paris peu de temps auparavant.
8À partir de cette date, un rythme soutenu d’échanges s’instaure entre les deux amateurs, qui agissent très vite collectivement. Il faut en effet se figurer que, pour ces collectionneurs soucieux d’étudier les objets, la formation d’une collection est une des conditions préalables à l’étude et à l’écriture. L’intégration au marché de l’art et la connaissance de ses rouages sont donc primordiales. Les collectionneurs se doivent notamment d’être réactifs pour ne pas laisser échapper certains objets, d’où l’importance du réseau. Les lettres du comte de Valencia de Don Juan sont en effet ponctuées de formules qui renvoient à une véritable chronique de la curiosité. Pour tenir au courant son ami, le comte de Valencia de Don Juan affectionnait particulièrement les expressions mêlant plusieurs langues, telles que « Nothing new in bibelot18 » ou « Nada nuevo en bibeloterie19 ». Dans certaines lettres, qu’il intitule lui-même Diario de operaciones20 (« Journal des opérations »), le comte de Valencia de Don Juan informe son ami de ce qui se passe sur le marché des objets d’art en Espagne. Ainsi, au-delà du vocabulaire employé, cet aspect de chronique transparaît dans la structure même des missives, qui sont hiérarchisées en fonction des affaires occupant leurs auteurs à un moment précis. Dans une lettre datée du 7 décembre 1872, le comte de Valencia de Don Juan revient sur les objets qui intéressent plus particulièrement les deux amateurs. Au fil de leur correspondance, on peut ainsi suivre la diffusion de l’information sur un objet jusqu’à son acquisition – ou l’échec de son acquisition –, et ce parfois sur plusieurs mois, ainsi que les moyens que les deux hommes mettent en œuvre pour parvenir à leurs fins. Dans cette même lettre, les objets sont hiérarchisés et soulignés de manière à matérialiser cette chronique : « Vases de Sèvres », « Tableau de Fortuny », « Émaux21 ».
9Pour la conduite des opérations de ces collectionneurs, l’échange d’informations sur les marchands madrilènes est un autre aspect prépondérant de leur correspondance. Le comte de Valencia de Don Juan parle ainsi des « chamarileros22 », c’est-à-dire des brocanteurs, et emploie parfois le terme anglais « dealer23 ». « Passons en revue les brocanteurs de Madrid24 », dit-il encore dans une lettre du 10 décembre 1873, afin d’informer Davillier. Ce réseau se caractérise donc par le besoin d’accès à l’information. Les relations ne sont cependant pas les mêmes avec tous les marchands. Une lettre datée du 25 février 1873 permet de comprendre comment se construit ce réseau fondé sur la confiance, les recommandations et les échanges de faveurs. Le comte de Valencia de Don Juan déclare à propos du marchand José Bracho :
« Bracho est celui qui m’a fourni les meilleurs groupes du Retiro que je possède et je le paye en lui facilitant les relations dans ce domaine pour ses affaires. Si vous lui accordez cette faveur, cela pourrait tout à fait nous convenir pour nos opérations, ainsi il se rendrait où je l’envoie comme homme de confiance25. »
10Il est intéressant de souligner l’emploi du pronom nous, dans la mesure où celui-ci devient récurrent dans les échanges entre les deux collectionneurs. La nécessité d’établir un lien étroit avec certains marchands qui leur procurent ou leur signalent des objets de façon privilégiée est un des piliers sur lesquels repose ce réseau. Comme en témoigne la suite de la correspondance du baron Davillier, le marchand José Bracho devient effectivement un de ses intermédiaires principaux.
11Le fonctionnement de ce réseau repose sur l’entretien des relations avec les marchands, sur la mobilité des collectionneurs et leur interconnexion. Tous ces éléments se lisent également à travers un système rodé de mise à disposition de fonds permettant l’achat d’objets pour le compte de l’autre. De nombreuses lettres attestent de prêts réciproques entre les deux collectionneurs par l’intermédiaire de banques, pour l’achat d’objets par l’un et l’autre, auprès de marchands ou directement auprès d’autres collectionneurs. Ce système repose donc en grande partie sur des liens de confiance en l’expertise de l’autre. Certains achats sont décidés à la suite d’une description faite dans une lettre. On y mesure, à travers la précision des détails pour caractériser l’objet et son état de conservation, les connaissances et l’érudition de ces collectionneurs.
12Cette correspondance permet de suivre la vie de certains objets26, de tracer leur histoire, depuis leur acquisition auprès de tel ou tel marchand jusqu’à l’envoi, le plus souvent par train à grande vitesse – un acheminement facilité par l’ouverture en 1863 de la ligne de chemin de fer Paris-Madrid – ou par bateau. Les objets circulent au sein de ces réseaux ; ils passent d’une main à une autre, d’une collection à une autre. Cependant, à la différence d’un simple réseau marchand, le baron Davillier et le comte de Valencia de Don Juan usent de leurs réseaux pour collecter, au même titre que les objets, les documents destinés à écrire leur histoire.
Le réseau et la circulation des savoirs
13Le réseau est entendu ici comme un ensemble de connexions entre des acteurs liés d’une façon ou d’une autre par des interactions effectives produites à un moment donné. L’histoire des sociabilités et l’histoire des savoirs sont en effet intimement entrelacées. Si ce réseau est lié au marché de l’art et à la circulation des objets, les interactions qui le définissent se mesurent également par la circulation des savoirs. Dans les Recherches sur l’orfèvrerie en Espagne au Moyen Âge et à la Renaissance du baron Davillier, on mesure comment la proximité du comte de Valencia de Don Juan avec la couronne d’Espagne profite à l’activité et à l’efficacité de leur réseau. Lorsque le baron Davillier publie cet ouvrage en 1879, les deux collectionneurs se connaissent depuis plusieurs années et, comme en témoigne leur correspondance, ils collaborent pour leurs recherches respectives. Dans le cadre de la restauration de la Real Armería et de la rédaction du catalogue, le comte de Valencia de Don Juan a un accès privilégié aux collections royales et aux archives du Palacio Real. Pour ses propres travaux sur les armes, armures et tapisseries conservées dans les collections royales, il étudie de nombreux documents d’archives extraits directement, par lui ou par un intermédiaire, des archives du Palacio Real, de Simancas ou d’autres centres. Les lettres qu’adresse le comte de Valencia de Don Juan au baron Davillier sont ainsi souvent accompagnées de copies de documents d’archives (inventaires, décrets relatifs à l’existence et au fonctionnement de corporations d’artistes). Dans l’ouvrage de Davillier, un chapitre est dédié au travail de l’émail par les orfèvres espagnols27. Le livre d’heures ou devocionario d’Isabelle la Catholique, conservé à la Real Biblioteca28, est un des objets pris comme exemple pour illustrer le travail de l’émail par les orfèvres espagnols. Davillier reproduit la reliure de ce livre d’heures, richement ornée d’émaux verts, jaunes et bleus. Les informations qu’il fournit sur cet objet lui ont été en partie communiquées par le comte de Valencia de Don Juan, comme le prouve la note de bas de page qui accompagne le texte :
14« D’après un relevé que notre ami M. le comte de Valencia de Don Juan a bien voulu faire pour nous, les miniatures sont au nombre de 3 487, savoir : 27 pour le calendrier, 72 occupant une page entière, 159 bordures ornées d’animaux, de fruits, de fleurs, etc., 87 grandes lettres initiales, 181 moyennes et 2 964 petites. M. le marquis de Trivulzio, de Milan, à qui nous avons communiqué les renseignements qu’on vient de lire, n’a pu nous dire à la suite de quelles circonstances ce livre d’heures, après avoir appartenu à un membre de sa famille, est redevenu la propriété de la couronne d’Espagne29. »
15Il est intéressant de noter que ces collectionneurs ont autant un intérêt pour l’histoire et la vie de l’objet que pour les techniques artistiques30. Un intermédiaire important de ce réseau est Manuel Zarco del Valle, bibliothécaire principal du Palacio Real31. Il fournit, par exemple, à Davillier des documents extraits des archives de la cathédrale de Tolède. C’est le comte de Valencia de Don Juan qui lui transmet ces mêmes documents pour qu’il en fasse copie. Davillier les reproduit à la fin de son ouvrage, où ils sont intégrés à une liste chronologique des principaux orfèvres espagnols du xe au xviie siècle, liste dans laquelle figurent les noms de ceux qui ont travaillé pour la cathédrale de Tolède32. Le livre d’heures d’Isabelle la Catholique n’est qu’un exemple parmi les objets étudiés, reproduits par Davillier et pour lesquels il a obtenu des informations précieuses par l’intermédiaire de son réseau.
16Ces échanges ne sont d’ailleurs pas à sens unique puisque, de la même façon, le comte de Valencia de Don Juan fait appel à son ami pour ses recherches sur les collections de la Real Armería. Dans une lettre datée de 1878, Davillier renseigne le comte de Valencia de Don Juan sur certaines armes présentes dans diverses collections parisiennes. On y apprend également qu’Édouard de Beaumont réalise des dessins de ces armes que Davillier envoie ensuite à Madrid33. Les liens entre réseaux et stratégies sont manifestes pour ces collectionneurs historiens soucieux de donner une place à l’Espagne dans l’historiographie naissante des arts décoratifs. En publiant de savantes monographies qui font connaître – parfois pour la première fois – des objets conservés dans des églises ou des cathédrales espagnoles, ainsi que les documents qui permettent d’étudier le contexte de leur production et les artistes qui les ont réalisés, ces collectionneurs font émerger d’un ensemble de comportements individuels une structure savante cohérente. La circulation des savoirs prend ainsi forme grâce à la concertation et la coopération de ces collectionneurs. Le réseau fonctionne donc comme une économie à laquelle les collectionneurs comme Davillier et le comte de Valencia de Don Juan participent et dont ils bénéficient.
Le réseau et l’écriture de l’histoire
« Ayant eu, il y a quelques années, l’occasion d’examiner un grand nombre d’anciens dessins de maîtrise appartenant à la corporation des orfèvres de Barcelone, j’y vis le point de départ d’un travail sur l’orfèvrerie espagnole34. »
17Dès l’adresse au lecteur des Recherches sur l’orfèvrerie en Espagne au Moyen Âge et à la Renaissance, Davillier met en exergue la place qu’il accorde au document. Les sous-titres de la plupart de ses ouvrages signalent l’importance donnée aux documents inédits tirés des archives espagnoles. Ces dessins de maîtrise sont reproduits et illustrent la liste chronologique des orfèvres espagnols établie par Davillier.
18Dans son premier ouvrage, Histoire des faïences hispano-moresques à reflets métalliques, publié en 1861, Davillier énonçait les enjeux propres à ses recherches. Ce sera pour lui un véritable leitmotiv : le collectionneur s’efforce de donner une place aux arts décoratifs et industriels espagnols, sur lesquels très peu de choses ont été publiées. Méconnues, les productions espagnoles sont alors souvent confondues avec les productions italiennes de la même époque. Davillier souhaite également que ses travaux éveillent une conscience patrimoniale à l’égard des arts décoratifs de l’Espagne, tant auprès des Espagnols que des étrangers. Ces enjeux sont largement partagés par le comte de Valencia de Don Juan et leur correspondance permet de réactualiser cet intérêt commun. Comme si l’on tirait un fil d’Ariane, la correspondance en tant que forme littéraire génère la production d’autres documents. Bien plus qu’une chronique, cette correspondance – parfois illustrée de croquis d’objets ou contenant des traductions d’inscriptions relevées par les collectionneurs sur des objets de leurs collections – s’apparente à une épreuve de publication. Les nombreuses citations de Davillier renvoyant à ses intermédiaires mettent en lumière l’existence du réseau. Mais au-delà du jeu de citation, il semble que ces collectionneurs avaient conscience d’entretenir un réseau dans un but bien précis. De plus, le réseau joue un rôle important dans la diffusion de leurs recherches pour la publication, la reproduction des œuvres par la gravure ou la photographie et parfois la traduction de leurs ouvrages35. Tant du point de vue de l’histoire du goût que de l’historiographie, le baron Davillier et le comte de Valencia de Don Juan sont des personnages catalyseurs à un moment de cristallisation autour des arts décoratifs et industriels.
19L’étude de la correspondance de ces collectionneurs permet de comprendre comment, en tant qu’acteurs, ils fédèrent autour d’eux un milieu marchand qu’ils contribuent à animer en formant d’importantes collections dans un but bien précis : celui d’écrire l’histoire des arts décoratifs espagnols. Cette écriture, à la fois intime et savante, est divulguée au travers d’un propos érudit, grâce auquel une forme de conscience patrimoniale se forge à l’égard d’un type d’objets méconnus ou ignorés. En formant d’importantes collections qui constituaient de véritables corpus, ils souhaitaient que les études qu’ils avaient initiées se poursuivent après leur mort. En léguant sa collection au musée du Louvre et à celui de Sèvres, Davillier comble les lacunes des collections nationales en matière d’arts décoratifs espagnols. Quant au comte de Valencia de Don Juan, sa collection inspire à ses héritiers la création de l’Instituto Valencia de Don Juan, dédié à l’étude des arts décoratifs espagnols.
Bibliographie
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1 Jean-Charles Davillier, baron (Rouen, 1823-Paris, 1883). Voir É. Baillot, « Davillier Jean-Charles (baron) » et « Une curiosité au service de l’érudition et du patrimoine : le baron Charles Davillier ».
2 Juan Bautista Crooke y Navarrot, comte de Valencia de Don Juan (Málaga, 1829-Madrid, 1904). Voir C. Partearroyo Lacaba, « Crooke y Navarrot, Juan ».
3 P. Eudel, « Le baron Charles Davillier », p. 1.
4 M. Belan, « Portrait d’un grand collectionneur du xixe siècle… », p. 55.
5 A. López-Yarto Elizalde, « Las artes decorativas españolas en la obra del barón Davillier », p. 625.
6 J.-C. Davillier, L’Espagne, par le baron Ch. Davillier, illustrée de plus de 300 gravures par Gustave Doré. Il est difficile de dater les premiers séjours en Espagne du collectionneur ; au début du récit de son voyage avec Gustave Doré, Davillier indique être déjà venu une dizaine de fois dans la Péninsule.
7 M. de Cervantès Saavedra, L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, Paris, L. Hachette, 1863, 2 vol.
8 Revue créée en 1857 par Édouard Charton et éditée jusqu’en 1914 sous l’égide de la Librairie Hachette.
9 J.-C. Davillier, « La mojiganga ».
10 J. Crooke y Navarrot, Catálogo histórico-descriptivo de la Real Armería de Madrid.
11 J. Crooke y Navarrot, Tapices de la Corona de España.
12 J. Crooke y Navarrot, Armas y tapices de la Corona de España…
13 C. Partearroyo Lacaba, « Mecenazgo en una casa-museo de coleccionista : el Instituto de Valencia de Don Juan ».
14 J. M. Imízcoz Beunza et L. Arroyo Ruiz, « Redes sociales y correspondencia epistolar… ».
15 D. Poulot, « Musées et collections : pour une histoire de la patrimonialité », p. 6.
16 P. Eudel, « Le baron Charles Davillier ».
17 Bibl. Institut national d’histoire de l’art (INHA), Archives 27, carton 1, lettre du comte de Valencia de Don Juan au baron Davillier, « Madrid, 9 de diciembre 1871 » : « Usted sin embargo tiene alguna culpa de que la maldita codicia venga a turbar la paz de mi tranquila vida de coleccionista de cerámica. »
18 Ibid., « Madrid, 20 de noviembre 1872 ».
19 Ibid., « Madrid, 16 de febrero 1873 ».
20 Ibid., « Madrid, 7 de diciembre 1872 ».
21 Ibid., « Jarrones de Sèvres », « Cuadro de Fortuny », « Esmaltes ».
22 Ibid., lettre du comte de Valencia de Don Juan au baron Davillier, « Madrid, 19 de enero 1877 ».
23 Ibid., s. d.
24 Ibid., lettre du comte de Valencia de Don Juan au baron Davillier, « Madrid, 10 de diciembre 1873 » : « Pasemos revista de los chamarileros de Madrid. »
25 Ibid., « Madrid, 25 de febrero 1873 » : « Bracho es quien me ha proporcionado los mejores grupos que tengo del Retiro y le pago facilitándole relaciones en esa para sus negocios. Si V. le hace este favor podrá convenirnos mucho para nuestras operaciones, pues irá a donde yo le mande como hombre muy seguro. »
26 A. Appadurai, « Introduction : Commodities and the Politics of Value ».
27 « La reliure du devocionario de Madrid, et quelques autres objets d’or émaillé », dans J.-C. Davillier, Recherches sur l’orfèvrerie en Espagne au Moyen Âge et à la Renaissance…, p. 72-77.
28 Real Biblioteca, II/Tesoro, Libro de horas de Isabel la Católica. Davillier l’attribue par erreur à Jeanne la Folle, fille de la reine de Castille.
29 J.-C. Davillier, Recherches sur l’orfèvrerie…, p. 74. Ce livre d’heures a été offert par la ville de Saragosse à la reine de Castille à l’occasion de son mariage ; il fut donné par Philippe IV au cardinal Teodoro Trivulzio et racheté par Ferdinand VI pour la collection du Palacio Real (http://realbiblioteca.patrimonionacional.es/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=1918).
30 Bibl. INHA, Archives 27, carton 1, lettre du comte de Valencia de Don Juan au baron Davillier, « Madrid, 30 de noviembre 1875 ».
31 Manuel Remón Zarco del Valle y Espinosa de los Monteros (Madrid, 1833–1922) est nommé bibliothécaire principal de la Real Biblioteca en 1866.
32 J.-C. Davillier, Recherches sur l’orfèvrerie…, p. 159-262.
33 Archivo general de Palacio (Madrid), Sección histórica, Ca 314, Exp. 3, lettre du baron Davillier au comte de Valencia de Don Juan, « Paris, 6 de mayo 1878 ». Édouard de Beaumont (Lannion, 1821-Paris, 1888) était peintre et lithographe ; il possédait une importante collection d’armes qu’il légua au musée de Cluny en 1888.
34 J.-C. Davillier, Recherches sur l’orfèvrerie…, p. 1.
35 Plusieurs planches des Recherches sur l’orfèvrerie sont par exemple reproduites dans l’article de B. Fillon, « L’orfèvrerie espagnole au Moyen Âge et à la Renaissance… », p. 91 et 93.
Auteur
Doctorante contractuelle
Université Paris I – Panthéon-Sorbonne
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