Introduction
p. 3-4
Texte intégral
1Ce volume rassemble onze communications sur le thème des réseaux présentées en 2015 au 140e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, tenu à Reims. En matière de réseaux, la notion d’« acteurs » est à comprendre dans le sens le plus extensif qu’on puisse imaginer. Il n’est point de réseau sans acteurs pour l’incarner, l’animer et le développer et à la diversité des réseaux répond celle, infinie, de leurs acteurs.
2Le volume aborde en premier lieu les personnes physiques, de chair et de sang, acteurs plus ou moins institutionnalisés, comme les « valets à pied » et « messagers de ville1 » qui accomplissent le port des messages et la transmission des informations, allant jusqu’à parfois assumer un rôle officiel de représentation, ou les agents de renseignement2, dont la mission est d’espionner et de recueillir subrepticement des informations politiques ou militaires. Mais il y a aussi les acteurs non institutionnels, plus informels, que constituent les « relations », parents proches ou éloignés, condisciples, amis, correspondants, relations professionnelles ou sociales, que tout un chacun peut avoir autour de soi. L’étude fine présentée ici des réseaux d’André Ruplinger3, de Gabriel Hanotaux4 et aussi de l’éditeur zurichois Jean Nötzli5 en illustre à la fois toute la complexité et l’efficacité.
3On le sait, le monde savant, depuis au moins la Révolution scientifique de l’époque moderne, a coutume de travailler en réseaux transnationaux. L’évoquent ici les exemples des agronomes et des érudits, collectionneurs et historiens du xixe siècle6. Un des principaux moteurs de ces réseaux savants est l’échange de correspondance, qui relie des chercheurs souvent géographiquement dispersés et qui constitue un des fondements de la République des lettres. Mais il y a aussi les publications qui s’échangent et se confrontent, et il faut souligner l’importance primordiale du rôle des traducteurs7 dans ces « réseaux de papier ».
4Et que dire du monde religieux, où le modèle réticulaire domine. Ainsi, au début du xviie siècle, les Jésuites, dispersés sur quatre continents, assurent la cohésion de leur organisation par l’échange d’informations et d’instructions. À l’occasion de la canonisation des saints Ignace de Loyola et François-Xavier, ils mettent en place un modèle de fêtes, régissant les décorations éphémères, la procession, les spectacles divers, etc., qui vient renforcer la cohésion de leur réseau et trouve aussi un écho jusque dans l’ordonnancement des entrées royales8.
5Quant aux réseaux immatériels, ceux des idéologies particulièrement, leurs acteurs sont divers et parfois imprévus, comme le théologien Albert le Grand, dont l’argumentation contre l’hérésie du Nouvel-Esprit, au xiiie siècle, est reprise un siècle plus tard pour réprimer le mouvement béguinal9.
6Le dernier point abordé ici concerne les réseaux de circulation de l’information, domaine dans lequel l’usage croissant des techniques numériques, notamment de l’Internet, a apporté une véritable révolution, allant jusqu’à permettre la mise en réseau d’entités isolées, traditionnellement assez individualistes. Les sociétés savantes de Savoie en donnent un exemple frappant, à travers l’expérience du Portail savoisien10. Par la création de catalogues communs informatisés, la mise en réseau de leurs ressources, la numérisation des ouvrages de leurs bibliothèques et le partage de leurs informations, elles sortent de leur isolement et trouvent une nouvelle vitalité.
Notes de bas de page
1 Julien Briand, « Des valets à pied aux messagers de la ville : l’institutionnalisation des messageries rémoises à la fin du Moyen Âge ».
2 Benoît Léthenet, « Le renseignement mâconnais au service secret du duché de Bourgogne (1407-1435) ».
3 Françoise Bayard, « Les réseaux d’André Ruplinger, normalien (1908-1914) ».
4 Martine Plouvier, « Gabriel Hanotaux, un historien dans l’action : le Comité du secours national et le Comité de secours de l’Aisne pendant la Première Guerre mondiale ».
5 Laurence Danguy, « Jean Nötzli : un éditeur zurichois et ses réseaux à la fin du xixe siècle ».
6 Fabien Knittel, « Développement agricole et réseaux agronomiques européens au xixe siècle » ; Élodie Baillot, « Quand les collectionneurs prennent la plume : de la correspondance à l’écriture de l’histoire des arts décoratifs espagnols au xixe siècle ».
7 Moreno Campetella, « La transmission de la science agronomique en Italie entre le xive et le xvie siècle : le rôle des traducteurs ».
8 Rosa De Marco, « Fêtes en réseau : les Jésuites et la fête urbaine en France (1609-1643) ».
9 Alexis Fontbonne, « Au croisement des réseaux scolastique et ecclésiastique : le rôle de passeur d’Albert le Grand (1200-1280) ».
10 Francine Brachet et Jean-Paul Ajacques, « Les technologies numériques : instruments de création d’un réseau savant savoisien ».
Auteur
Conservateur général honoraire du patrimoine
Membre correspondant du Centre Alexandre Koyré (UMR 8560, CNRS, École des hautes études en sciences sociales)
Membre du Comité des travaux historiques et scientifiques, vice-présidente de la section des Sciences, histoire des sciences et des techniques et archéologie industrielle
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016