Introduction
Texte intégral
1La question de la transmission des savoirs dans le monde de la construction a, de tous temps, été une notion extrêmement importante de la structuration individuelle et sociale. Depuis qu’existent les sociétés humaines, cette transmission constitue un enjeu majeur alliant le geste et la parole dans un premier temps, pour ensuite développer la diffusion écrite et érudite de ces savoirs, comme l’illustrent les traités techniques issus d’une longue tradition depuis Vitruve, de l’Antiquité jusqu’à nos jours.
2Si le compagnonnage est depuis 2010 inscrit au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco, c’est en raison de l’originalité de son mode d’enseignement lié étroitement au voyage et de sa philosophie de vie. Cette reconnaissance marque tout l’intérêt porté à ce mode de transmission des savoirs et savoir-faire liés en particulier aux métiers de la pierre, du bois, du métal, du cuir et des textiles, mais également aux métiers de bouche. Le compagnonnage ne constitue pas le seul mode d’apprentissage dans les métiers du bâtiment, mais le grand public a souvent retenu son existence, lui associant une part importante de mystère, en relation supposée avec les bâtisseurs de cathédrales et avec leurs secrets jalousement gardés au sein des loges au Moyen Âge. C’est la synthèse de méthodes et de procédés de transmission des savoirs extrêmement variés qui lui confère son originalité. Le compagnonnage sait mettre à profit la force du voyage en instituant une période dite de « tour de France » – une itinérance éducative à l’échelle nationale, voire internationale, accompagnée de rituels d’initiation, d’enseignement scolaire, d’apprentissages coutumiers et techniques. Ce mode de transmission des savoirs n’est cependant pas – et de très loin – l’unique moyen.
3Les contributions réunies dans le présent ouvrage offrent ainsi une vaste palette d’exemples couvrant la période qui va de l’Antiquité au xxe siècle. Elles résultent d’une rencontre de chercheurs effectuée dans le cadre du 143e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques organisé par le CTHS en 2018 afin de leur permettre d’échanger sur le thème de la transmission des savoirs. Le colloque « Ressources et construction » au sein de ce congrès a considéré ainsi l’ensemble des matériaux architectoniques et leur mise en œuvre : pierre, plâtre, terres cuites architecturales, mortiers et enduits, roches décoratives et, dans une moindre mesure, métaux, verre et bois. De nombreuses avancées scientifiques récentes concernant ces différents éléments permettent d’envisager de manière renouvelée la notion de transmission des savoirs dans le domaine de la construction.
4La transmission des savoirs en matière de ressources et de construction revêt deux aspects, celui de l’élaboration des savoirs, d’une part, et celui de l’évolution de ces savoirs sur le long terme, d’autre part. La transmission peut s’entendre de manière empirique, d’homme sachant à celui apprenant, et s’inscrire ainsi comme une chaîne rarement interrompue du geste et de la parole, passant de génération en génération. Ce mode d’apprentissage et de partage limité à quelques individus regroupés en corporations sachant extraire les meilleurs matériaux, appliquer les techniques les plus adaptées au travail de la pierre et maîtriser l’assemblage des éléments constructifs contribue à former des chaînes de spécialisations par métiers comme carrier, tailleur de pierre, maçon… jusqu’à la maîtrise de l’ensemble des corps par l’entrepreneur et l’architecte. La transmission passe alors aussi par d’autres modes, où l’écrit et le dessin vont prendre une part de plus en plus importante. Cette dernière forme pourrait sembler plus rigide, moins propice à l’imagination et à l’invention, ancrée dans la conservation et la transmission des savoirs ancestraux.
5Cette géométrie variable de la transmission au sein des différents corps de métiers de la construction et de l’approvisionnement des chantiers en matériaux est parfaitement illustrée dans ce recueil, qui offre des exemples choisis de diverses pratiques à différents temps de l’histoire de la construction. Les matériaux issus d’une transformation, comme par exemple les mortiers de chaux ou de plâtre, sont ici l’objet d’études approfondies dont le lecteur ne pourra que bénéficier. La notion d’itinérance et de formation spécialisée trouve aussi de beaux éclairages, entre compréhension des actes constructifs et assimilation des techniques propres. La transmission de savoir peut aussi être volontairement absente ou choisie pour ne conserver que les modes constructifs réellement employés. La pratique consistant à retrouver un savoir perdu est à mettre en relation avec la prise de conscience de la nécessité de conserver des témoignages de construction ancienne et d’en assurer la conservation, la restauration avec les techniques les plus proches possibles de celles utilisées à l’époque. Querelle des anciens et des modernes, sur la base permanente de l’absolue nécessité d’apprendre à ceux qui ne savent pas et d’assurer à ceux qui ont cette connaissance le fait d’en conserver la mémoire.
6De cette mémoire du geste, du plus simple au plus élaboré, des lieux d’approvisionnement, des techniques d’outillage, de construction ou d’assemblage dépend ce savoir au long terme. Ce recueil d’exemples choisis fournit une belle étape de réflexion et contribue à l’enrichissement de nos connaissances, dans l’attente d’un travail de synthèse à venir.
Auteurs
Université libre de Bruxelles (ULB), CREA-Patrimoine
Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris (LAMOP, UMR 8589 du CNRS)
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016