Médiation culturelle et animation socioculturelle dans l'enseignement agricole
p. 245-258
Texte intégral
1L'Enseignement Agricole a historiquement développé une animation socioculturelle en direction de ses publics qui dépasse le cadre des établissements et intègre leur territoire d'implantation comme espace d'intervention. Sa mise en œuvre est principalement confiée au service Vie scolaire, aux enseignants d'EPS et aux enseignants d'Education SocioCulturelle (ESC, corps d'enseignants – animateurs présents seulement dans les établissements agricoles). Les associations d'élèves contribuent également à cette animation.
2Nous souhaitons présenter dans cet article les moyens dont dispose l’enseignement agricole pour développer cette animation socioculturelle. Enseignante d'ESC puis chargée de mission actions culturelles et éducative et animatrice du réseau professionnel ESC d'ex-Aquitaine, nous souhaitons plus particulièrement interroger la construction d'actions artistiques et culturelles durant les temps d'animation, et la façon dont collaborent les acteurs de ces activités : jeunes, animateurs et structurelles culturelle. Nous nous appuierons pour cela sur deux actions menées dans des établissement de Nouvelle-Aquitaine. Partant de ces exemples, nous verrons que « la réintroduction du sujet et de son expérience » (J. Caune, 2000, p. 8), ici le jeune, est un facteur d'adhésion et de réussite essentielle à la mise en œuvre d'une action d'animation.
1. Enseignement agricole et animation socioculturelle : 50 ans d'histoire
3L'Enseignement Agricole dépend du Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation et compte plus de 465 000 élèves, étudiants, apprentis, stagiaires, scolarisés (y compris en apprentissage) de la 4ème au bac +5. Le Code de l'éducation et le Code Rural et de la Pêche Maritime organisent son activité.
4Cinq missions régaliennes sont confiées à l'enseignement agricole : la formation et l'insertion de ses publics, l'innovation (pédagogique, scientifique et technique), la coopération internationale et l'animation des territoires.
5En 1962, la loi complémentaire de modernisation agricole (Debré-Pisani) souhaite agir sur et pour la promotion (technique, sociale et culturelle) des agriculteurs. Lieu de formation de ces futurs professionnels, les lycées (alors écoles agricoles et écoles ménagères) voient leur modernisation confiée à Paul Harvois. A la rentrée scolaire 1964, des professeurs d'éducation socioculturelle1 (ESC) sont déployés dans les établissements. Leur service est composé pour 2/3 de cours et pour 1/3 d'une mission d'animation hors la classe, dédiée aux temps périscolaires et à l'animation du territoire. En 1965 paraît la Circulaire sur l'éducation socioculturelle : nourrie des expériences de l'éducation populaire, de l'Ecole Nouvelle et des animateurs en milieu rural (type JAC) (Menu, 2012, p. 2), cette circulaire rappelle « les motivations de l'inscription dans [nos] programmes des activités socioculturelles » : « Ouvert sur le monde et sur la vie, l'enseignement technique agricole doit (…) permettre à ceux qui demeurent à la terre de posséder les moyens de maîtriser leur situation et de s'intégrer dans la communauté nationale. (…) L'action de l'ESC doit dès lors introduire des valeurs éducatives (…), offrir aux élèves des lieux et des moments où ils puissent en toute liberté affirmer leurs goûts personnels, leur instinct créateur, leur sens de l'initiative. » (Ministère de l'Agriculture, 1965, p. 2).
6Pour donner des moyens à cette ambition, la circulaire acte la création dans chaque établissement d'un centre socioculturel et d'un amphithéâtre/auditorium, ayant vocation à s'ouvrir aux habitants du territoire. Enfin, chaque établissement doit créer une Association Sportive et Culturelle (ASC) qui a pour but d'organiser, de promouvoir et de favoriser « toute activité et manifestation sportive ou entrant dans le cadre de l'ESC », « de prolonger les actions d'ouverture et de rayonnement de l'établissement hors de l'établissement ».
7Ce texte fondateur démontre à quel point l'ancrage social et culturel des élèves, futurs habitants de ces territoires, faisait partie intégrante de la politique éducative voulue par Paul Harbois et Edgard Pisani.
8Enfin, la grande majorité de ces lycées est équipée d'internats, en raison de leur localisation géographique (essentiellement en zone rurale) et/ou des formations dispensées qui attirent des élèves/étudiants d'assez loin. Les soirées et mercredis après-midi sont, pour beaucoup de jeunes, des temps extra-scolaires passés au lycée.
950 ans après la mise en œuvre de ces dispositifs spécifiques, le lien entre l'enseignement agricole et l'animation socioculturelle continue d'être vivace. S'il faut être conscient de la réduction des temps libres dont disposent les élèves, de l'évolution des modes de socialisation et d'engagement des adolescents qui obligent les équipes éducatives à transformer leur façon d'envisager l'animation, les facteurs de développement de l'animation socioculturelle sont toujours présents : centres socioculturels (aussi nommés foyer ou maison des lycéens), amphithéâtres, enseignant. e. s d'ESC et associations des élèves (transformées en ALESA, Associations des Lycéens, Etudiants, Stagiaires et Apprentis).
10Par ailleurs, une convention existe entre les ministères de la Culture et de l'Agriculture depuis 20 ans, qui encourage et soutient le développement d'actions culturelles associant des artistes professionnels, des structures culturelles et les établissements scolaires.
11Construites autour des jeunes, associant médiation et pratiques, ces actions ont pris une place importante dans l'activité socioculturelle des établissements. Elles font l'objet d'un travail renforcé au sein des réseaux régionaux des enseignant.e.s d'ESC, et d'une politique partenariale forte entre établissements, collectivités et services de l’État (avec des contours et des modalités d'action propres à chaque région).
12Les lycées agricoles sont donc des lieux de développement de l'animation socioculturelle, dotés de moyens humains, structurels et financiers qui leur permettent de tisser des liens privilégiés avec leur territoire et ses acteurs culturels (spectacle vivant, cinéma, musées, patrimoine).
2. Deux projets menés en ex-Aquitaine
13Ces dernières années, la question de l'animation a repris une place importante au sein des établissements. Dans sa micro-histoire de l'ESC, J. -P. Menu (Inspecteur de l'enseignement agricole chargé de l'ESC entre 1990 et 2008) explique que la posture d'animateur tenue des années 1960 aux années 1980 s'est progressivement concentrée sur les projets culturels au détriment d'autres situations d'animation. Depuis le début des années 2000, plusieurs facteurs ont encouragé les équipes à se réinterroger sur l'animation au sein des établissements. Tout d'abord, la transformation des ASC en ALESA (dont la gouvernance est assurée par les jeunes eux-mêmes)2. Ensuite, la mise en œuvre des Projets d'Animation et de Développement Culturel (PACD), volet culturel du projet d'établissement, ayant pour but de donner une cohérence aux activités des différents services, en temps scolaire et périscolaire. Enfin, la perception d'une transformation des pratiques sociales et culturelles des jeunes, dont les modalités d'engagement et de présence dans les temps périscolaires ont évolué.
14Nous présentons ci-après deux actions artistiques construites dans le cadre de l'institution scolaire. La première s'est tenue durant les temps libres des jeunes, sur la base de la libre participation. La seconde s'est tenue sur des temps scolaires et périscolaires, avec des jeunes volontaires ou non. Il nous semble pertinent d'aller interroger ces situations d'animation, qui se trouvent à l'intersection d'un environnement contraint et d'un environnement centré sur le libre-arbitre. Pour plus de clarté, nous utiliserons le terme d'animation pour poser le cadre général de l'action (la mobilisation d'acteurs et de moyens pour mettre en œuvre l'action) et le terme de médiation pour caractériser « les relations qui se manifestent dans la confrontation et l'échange entre subjectivités » (J. Caune, 2000, p. 1), subjectivités des jeunes, des animateurs ou des artistes.
2.1. Un atelier musique dans les Landes
15La première situation observée se déroule au lycée agricole d'Oeyreluy (proche de Dax), établissement dans lequel il existe depuis plusieurs années un « atelier musique ». Sur leur temps libre, des élèves volontaires qui pratiquent ou souhaitent pratiquer s'organisent pour trouver une plage horaire commune et un programme à travailler. Durant l'année scolaire 2015-2016, les membres de l'atelier ont travaillé des reprises et des compositions originales. La configuration du groupe pouvait évoluer selon les morceaux interprétés, reflétant l'implication de chacun dans l'atelier. L'établissement dispose d'un centre socioculturel, intégrant une salle dédiée, qu'ils ont utilisée. Au fil des ans, l'ALESA a acheté des instruments et du matériel (amplis, baguettes, cordes de guitare, pupitre, pied de micro…) qui sont mis à la disposition des adhérents. Des régulations ponctuelles ont lieu, réalisées par les enseignants d'ESC ou le service Vie scolaire, au sujet de l'usage du local et des instruments confiés.
16En 2015, un partenariat s'est monté entre l'établissement et LMA3 (Landes Musique Amplifiée), association de promotion et de diffusion des musiques actuelles qui travaille avec un réseau de lieux en territoire landais. Parmi les jeunes de l'atelier, six (lycéens et étudiants) ont accepté de participer à une « résidence », un dispositif de compagnonnage avec un groupe professionnel, comprenant 12 heures de travail en studio et un concert en public. Accompagnés par leurs enseignantes d'ESC et accueillis par la médiatrice du Pôle Sud (centre de formation musical membre du réseau LMA), les six jeunes ont découvert les locaux, les professionnels du lieu, l'organisation et le projet de LMA. Sur une proposition de LMA, relayée par l'enseignante d'ESC aux jeunes qui ont donné leur accord, le travail de création a été mené avec le groupe Kalam Makja. Durant le printemps 2016, à raison de trois sessions de quatre heures, les jeunes ont travaillé (selon leur pratique personnelle et leur envie) l'écriture et l’interprétation vocale, ou la pratique musicale. Une création originale a vu le jour à l'issue de cette résidence, traitant des attentats en France et plus particulièrement de l'attentat ayant touché Charlie Hebdo. En fin d'année scolaire, un concert a été organisé au lycée agricole. En première partie, l'atelier musique : réunissant les jeunes ayant participé ou non à la résidence, le groupe a interprété ses compositions et quelques reprises pour la communauté éducative. La seconde partie était assurée par Kalam Makja. Ce concert a réuni un public nombreux et enthousiaste.
17L'atelier musique s'est constitué à l'initiative des jeunes, réunissant des élèves, étudiants et apprentis de différentes filières. Avec un petit groupe « moteur », l'atelier a permis à des jeunes moins impliqués de venir pratiquer, y compris sur scène. L'activité du club est centrée sur la pratique des participants : l'implication des jeunes s'en trouve renforcée. Cette médiation entre pairs offre aux jeunes la possibilité de croiser leurs pratiques (pratique instrumentale, musique écoutée) et d'être, au sein du groupe, à la fois prescripteurs et récepteurs. S'il y a là un enjeu artistique, l'enjeu de socialisation est également important.
18La médiation réalisée par les professionnels est un facteur de motivation important pour les jeunes. Leurs apports techniques (jeu en groupe, pratique en studio, jeu sur scène) et leurs références musicales permettent aux jeunes d'exprimer des préférences et des avis, de saisir une opportunité de pratiques et de progresser inédite. L'enjeu artistique et culturel est ici dominant. La notion de compagnonnage sou-tend un rapport artistique privilégié, et introduit un facteur humain important.
19Ici, l'enseignante d'ESC est dans une posture d'animatrice puisqu'elle donne les moyens de la médiation en mobilisant des ressources et en facilitant sa mise en œuvre (transports, contacts avec les artistes, organisation du concert).
2.2. Territoires imaginés et territoires vécus en Lot-et-Garonne
20La seconde situation observée s'intitule « Territoires imaginés et Territoires vécus ». Il s'agit d'un projet d'éducation artistique et culturelle porté par trois établissements agricoles du Lot-et-Garonne durant l'année scolaire 2016-20174. Deux classes et un groupe d'élèves volontaires ont été associés pour mener un travail artistique avec Romain Renard, artiste pluridisciplinaire auteur de MELVILE5, bande-dessinée et monde numérique. Un travail de collecte préparatoire a été mené durant le premier semestre, encadré par un enseignant d'ESC référent dans chaque établissement, chacun travaillant sur un domaine artistique propre : collecte de récits, matériaux photographiques et plastiques, matériaux sonores. Le travail de création a été mené au Florida (scène de musique actuelle d'Agen), au cours d'une résidence de quatre jours donnant lieu à une représentation publique, en mars 2017. Les jeunes des trois établissements ont travaillé à la création de Chroniques d'Agen6, un film de 15 minutes : trois récits de vie, mis en voix, musique et images par les élèves (montage réalisé par Romain Renard), qui a été projeté en ouverture du festival Polar'Encontre. Pour ce faire, les jeunes ont été accompagnés par Romain Renard, ainsi que par les équipes du Florida.
21Dans ce projet, trois dynamiques de médiation sont à l’œuvre.
22La médiation entre pairs s'engage car les jeunes doivent travailler ensemble dans le cadre d'une création artistique : de façon informelle et en situation de pratique artistique, ils partagent leurs références, leurs connaissances techniques, la matière qu'ils ont développée, mais aussi leurs représentations.
23Les enseignants d'ESC ont également été médiateurs de cette action. En amont de la résidence, ils ont transmis des références culturelles propres à l'univers de l'artiste associé et les techniques inhérentes à la création sonore ou plastique.
24Enfin, comme pour le projet landais, les professionnels de la culture ont eu un rôle essentiel de médiateur culturel, pour que les jeunes s'autorisent à s'emparer du lieu, à expérimenter des pratiques artistiques. Par leurs démonstrations, leurs conseils, leurs références, ils posent le cadre d'une émulation dont les jeunes sont acteurs.
2.3. Des convergences
25Bien que réalisés dans des établissements différents, avec des publics différents, ces deux projets font apparaître des points communs.
26Tous deux intègrent une médiation culturelle réalisée par des professionnels de la culture. La fréquentation de la structure « reconnue » est complétée par un temps long passé en son sein et avec ses équipes professionnelles. Il y a là une forme de médiation descendante, où l'artiste professionnel transmet des codes, des données techniques, une vision de sa propre pratique. Cette médiation est complétée par une pratique des jeunes qui dépasse le stade de l'initiation pour approfondir la maîtrise du langage et de la technique artistique.
27Les deux projets laissent une part importante aux idées et aux références culturelles amenées par les jeunes, offrant ainsi un espace d'expérimentation tant artistique que sociale. La représentation devant public, outre qu'elle donne un but et une échéance, contribue à cette expérience. La médiation développée entre pairs est horizontale, elle intègre les apports de chacun sans nécessiter d'intervention ou de régulation extérieure, et en tenant compte du niveau d'engagement de chacun.
28Le contexte propre à l'enseignement agricole permet ainsi de construire des situations d'animation dont les jeunes sont acteurs (de leur pratique, de leur organisation, de leurs choix), avec une souplesse en terme d'organisation (temps dédié, transports, matériel à disposition), des animateurs dédiés (enseignants d'ESC) et la mobilisation d'acteurs reconnus du territoire.
3. Une médiation partagée
29Les deux actions décrites ci-dessus sont représentatives d'une médiation culturelle centrée sur le jeune et sur son expérience : un « processus du temps présent (…)[qui] doit laisser à chaque instant la possibilité d'une faille qui autorise l'émergence de l'innovation ou de la trouvaille » (J. Caune, 2000, p. 9). Les enjeux éducatifs établis par la circulaire de 1965 sur l'ESC sont les mêmes pour ces actions : accompagner le jeune dans la construction de son autonomie, en lui permettant de développer ses goûts, son sens de l'initiative et son pouvoir d'agir. La posture de l'animateur, ainsi que la place accordée au jeune dans la construction de l'action, sont des facteurs essentiels à la réussite de ce projet éducatif.
3.1. L'ESC, la possibilité d'une faille
30Dans la revue Champs Culturels d'octobre 2015, (Covez, Cussonneau et Delcros, 2015, p. 28) - tous trois enseignants d'ESC - s'interrogent sur une éthique de l'animation et de l'animateur, et formulent pour cela trois fonctions que doit remplir l'animateur : « susciter, solliciter, accompagner ». L'animateur est donc un passeur : celui qui encourage et favorise l'échange entre les jeunes, les œuvres, les artistes, l'école, l'administration.
31Dans les situations vues précédemment, l'enseignant d'ESC est tantôt récepteur, tantôt prescripteur : il fait évoluer sa posture en fonction du public et des besoins qu'il perçoit. Il saisit les occasions pour tendre des ponts avec des structures ressources qui offrent un cadre d'expérimentation et d'expression nouveau (sa connaissance du territoire et de ses acteurs socioculturels est donc essentielle). Il exerce sa fonction de médiateur, en favorisant l'expérience et la rencontre entre le sujet (le jeune) et la création, la forme esthétique. La vraie difficulté n'est donc pas d'encadrer des pratiques artistiques, d'en avoir les compétences techniques ou théoriques, mais bien d'autoriser (au sens « ne pas empêcher »), de donner les conditions de l'expérimentation et la relation humaine, de « laisser la possibilité d'une faille » pour citer Jean Caune. Cette posture est essentielle pour penser une médiation partagée et réussie, c'est-à-dire une médiation appropriée par les jeunes.
32Car « c'est bien la personne dans toutes ses dimensions ainsi que les enjeux liés à son développement, qui sont l'objet même des missions d'animation » (Covez, Cussonneau et Delcros, 2015, p. 28). En cela, l'enseignant d'ESC accompagne le jeune dans l'apprentissage de l'échange, de l'altérité, de l'autonomie. La même exigence que celle formulée, en 1995, par Patrick Dussauge et Jean-Pierre Menu, alors inspecteurs d'ESC : « L'exigence, dans le cadre d'une formation équilibrée, du développement de la créativité, de l'imagination, du sens critique et du jugement. Une manière complémentaire et irremplaçable de positionner les jeunes dans leur environnement social et culturel » (Dussauge et Menu, 1995, p. 10). La posture de l'ESC est donc bien de trouver, dans la situation d'animation et a fortiori dans la médiation culturelle, « un équilibre possible entre préoccupation esthétique et préoccupation citoyenne » (Saada, 2011, p. 9), équilibre pensé et construit avec les jeunes.
3.2. Pour une médiation partagée
33Qu'ils soient aguerris, amateurs éclairés ou néophytes dans le champ artistique choisi, les jeunes participant aux situations d'animation décrites sont tous porteurs et acteurs de pratiques sociales et culturelles. La revue Champs Culturels d'octobre 2015 consacre un article à la pratique de la musique en ateliers dans le cadre des ALESA, article rédigé par le réseau ART'UR - réseau des enseignants d'ESC de la région Pays de Loire. Les enseignants d'ESC ont interrogé les jeunes de quatre ateliers sur leurs pratiques, à l'aide d'une grille d'entretien commune. Qu'ils aient une pratique adossée à une pratique antérieure ou non, les jeunes formulent comme motivation essentielle l'envie de faire de la musique ensemble. Une pratique de groupe qui permet de progresser, de s'entraider, de découvrir d'autres formes artistiques. Une pratique qui permet également à chacun-e de participer selon son niveau. Les auteurs de l'article retiennent de ces entretiens que « la pratique musicale constitue d'une part un fort vecteur de socialisation entre jeunes et d'autre part que cette socialisation se double d'apprentissage entre pairs » (ART'UR, 2015, p. 57).
34Dans cet article comme dans les exemples présentés ci-dessus, les jeunes sont médiateurs de leurs propres références culturelles. Cette médiation entre pairs est à la fois prescriptive et réceptive, dans une logique de circulation et de partage des expériences personnelles et des références culturelles. C'est un enjeu essentiel des situations d'animation, car c'est à cette condition que les jeunes s'engagent dans les actions proposées ou dans la construction d'actions nouvelles.
35Dans le cadre des situations d'animation vécues, les jeunes font également évoluer leurs pratiques sociales. La pratique artistique, tout particulièrement en groupe (musique, théâtre, équipe de tournage…), impose de se donner des règles de fonctionnement et de trouver des modalités de travail, de dialogue, de gestion du changement ou du conflit : autant de capacités qu'il est nécessaire de mobiliser en société. Et pour devenir autonome : faculté d'agir et de choisir par soi-même, qui se construit « dans les interdépendances nécessaires, dans les confrontations avec les autres dans le faire avec et parmi les autres » (Collot, 2012, p. 3). C'est en cela que la pratique artistique est un vecteur de socialisation : en construisant des modes d'organisation et de coopération, en sachant prendre des initiatives et leurs responsabilités, les jeunes font société.
36Si l'animateur apparaît comme le garant du cadre ou une personne ressource, il doit pour autant être vigilant à garantir des espaces de liberté et de co-construction que les jeunes pourront s'approprier, « la maîtrise de la liberté symbolique étant la condition du passage de l'individu à la personne » (Rouillon, 2013, p. 3).
En conclusion
37L'animation est donc un écosystème fragile : une unité de fonctionnement dotée d'un biotope (l'établissement, son territoire et ses partenaires) et d'une biocénose (ses acteurs : animateurs, jeunes, intervenants professionnels, communauté éducative). Comme tout écosystème, l'animation connaît des états d'équilibre ou de perturbation plus ou moins grands.
38Dans les deux exemples étudiés, nous voyons que la relation de confiance entre animateur et jeunes est un facteur essentiel : c'est ce qui permet que la médiation culturelle proposée soit acceptée, appropriée par le public. La possibilité de la co-construire, de la partager, d'intégrer la médiation entre pairs renforce encore sa portée et son efficience. Enfin, la participation de médiateurs professionnels, lorsqu'elle est co-construite et que le public est perçu comme autant d'acteurs et de « spectateurs possibles » (Saada, 2011, p. 8), est un facteur de réussite supplémentaire. Si l'Enseignement Agricole dispose d'une histoire et d'atouts majeurs en termes d'animation socioculturelle, il est essentiel de continuer à travailler avec les jeunes pour réfléchir les évolutions de cette activité.
39Pour fermer notre propos, nous souhaitons interroger la reconnaissance de ces pratiques et de ces engagements dans le parcours scolaire. Comme évoqué précédemment, les situations décrites dans l'article sont développées dans le cadre de l'institution scolaire. Il est alors légitime de s'interroger sur la façon dont l'école identifie, voire même certifie les savoir-faire développés par les jeunes, pour permettre une valorisation de ces compétences dans leur parcours.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Le site escales. enfa.net recense les textes réglementaires et des exemples de mises en œuvre
2 Notons à ce sujet l'organisation de rencontres nationales des ALESA en 2014, plaçant la question sur le devant de la scène
3 www.lma-info.com
4 Lycées agricoles publics de Sainte-Livrade sur Lot et Tonneins, Lycée agricole privé l'Oustal
5 http://melvile.com/
6 http://chroniquesdagen.opan.fr/
Auteur
Chargée de mission actions culturelles – actions éducatives, Direction Régionale de l'Agroalimentaire, l'Agriculture et la Forêt. Service déconcentré du Ministère de l'Agriculture en région Nouvelle-Aquitaine
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