Quand les accompagnateurs et les parents parlent des projets Sac Ados
p. 85-110
Texte intégral
1La particularité du dispositif Sac Ados tel que conduit en Nouvelle-Aquitaine est qu’il est coordonné par la Région et animé localement par un ensemble de structures partenaires conventionnées. Ces structures, dont le nombre s’est relativement stabilisé entre 2010 et 2016 (voir graphique) ont pour mission d’accompagner les jeunes dans l’élaboration de leur dossier, de les préparer à la soutenance de celui-ci devant le jury d’attribution, tout en faisant en sorte de ne rien faire à leur place afin de leur laisser une maîtrise totale du projet.
2L’extension territoriale du dispositif à l’échelle de la Région Nouvelle-Aquitaine s’est traduite en 2017 par une recrudescence mécanique du nombre de ces structures conventionnées. Dans ce nouveau contexte, 130 structures se sont mobilisées, soit 43 de plus que l’année précédente. Parmi elles, les équipements en lien avec l’animation socioculturelle sont largement représentés (63 centres d’animation, centres sociaux, associations de jeunesse, foyer ruraux, espaces jeunes, maison des jeunes, etc.). Les Collectivités territoriales sont également bien représentées (26 services jeunesse, espaces jeunes, etc.) ainsi que les Centres et Bureaux d’Information Jeunesse (26 établissements). Des missions locales (7) ont également répondu favorablement à l’invitation du Conseil régional, ainsi que des établissements de formation (6 Lycées, Centres de formation d’apprentis, Institut Universitaire de Technologie).
3Si l’on se réfère aux trois Régions préexistant à la Nouvelle-Aquitaine, l’implantation territoriale des 129 structures conventionnées en 2017 traduit une forte mobilisation de « l’ancienne » Aquitaine (86 structures, dont 48 en Gironde), suivie par le Poitou-Charentes (29 structures) et le Limousin (14 structures).
4Sur les douze départements constitutifs de la Nouvelle-Aquitaine, ce sont les départements de Charente et de Charente-Maritime qui apparaissent comme les plus déficitaires en nombre de structures au regard du ratio calculé sur la base « nombre d’habitants / nombre de structures » (-6 et -4 respectivement). A ce compte, la Gironde apparait au contraire « sur dotée » au regard de la moyenne distributive (+15 structures), les 9 autres départements se rapprochant de la normale (entre -2 et +2 structures).
Répartition des structures conventionnées par département
Départements | Nb. de structures engagées | % / région | Nb. d’habitants | % / région | Nb. de structures attendues | Ecarts | |
Charente | 2 | 1,6 % | 353 482 | 6,0 % | 8 | -6 | |
Charentes-Maritimes | 10 | 7,8 % | 633 417 | 10,8 % | 14 | -4 | |
Corrèze | 3 | 2,3 % | 240 781 | 4,1 % | 5 | -2 | |
Creuse | 3 | 2,3 % | 120 872 | 2,1 % | 3 | 0 | |
Dordogne | 8 | 6,2 % | 416 909 | 7,1 % | 9 | -1 | |
Gironde | 48 | 37,2 % | 1 505 517 | 25,8 % | 33 | 15 | |
Landes | 8 | 6,2 % | 397 326 | 6,8 % | 9 | -1 | |
Lot-et-Garonne | 5 | 3,9 % | 333 180 | 5,7 % | 7 | -2 | |
Pyrénées-Atlatiques | 17 | 13,2 % | 664 057 | 11,4 % | 15 | 2 | |
Deux-Sèvres | 6 | 4,7 % | 371 632 | 6,4 % | 8 | -2 | |
Vienne | 11 | 8,5 % | 431 248 | 7,4 % | 10 | 1 | |
Haute-Vienne | 8 | 6,2 % | 375 856 | 6,4 % | 8 | 0 | |
Nouvelle Aquitaine | 129 | 100,0 % | 5 844 277 | 100,0 % | 129 | 0 |
données Région Nouvelle-Aquitaine
5Est-ce que pour autant, cette réalité structurelle se traduit dans les taux de départ des jeunes ?
6En 2017 (hors période des vacances de fin d’année), 456 jeunes sont partis dans le cadre du dispositif Sac Ados Nouvelle-Aquitaine qui par ailleurs a mobilisé 130 structures accompagnatrices. Les nouveaux territoires associés au dispositif sont parvenus à initier le départ de 84 jeunes (53 en ex-Poitou-Charentes et 31 en ex-Limousin) ce qui, au regard de ce qu’en disent les accompagnateurs apparaît comme un bon résultat pour une première année (voir chapitre suivant).
7A l’échelon départemental, la Gironde (240 départs), les Pyrénées-Atlantiques (67), la Dordogne (39) sont ceux qui parviennent à mobiliser le plus de jeunes, suivis de près par les Deux-Sèvres (27) qui devance le Lot-et-Garonne (26), suivi de la Vienne (23) et de la Haute-Vienne (18). Viennent ensuite la Charente- Maritime (8), la Charente et la Corrèze (4 départs chacun) et enfin la Creuse et les Landes qui n’ont vu aucun jeune partir.
8Si en moyenne régionale, chaque structure conventionnée fait partir 4 jeunes, on peut ici noter, que parmi les départements les plus en retrait au regard du nombre de structures accompagnatrices par habitant (la Charente, la Charente-Maritime et la Corrèze) on trouve également ceux qui restent le plus déficitaires en nombre de départs en fonction de ce nombre d’habitants. Cette réalité statistique, que l’on pourrait traduire par l’idée qu’il faudrait multiplier le nombre de structures pour faire augmenter mécaniquement le taux de départ est toutefois battue en brèche par le département de la Creuse (nouvel entrant dans le dispositif et aucun partant) mais surtout par celui des Landes qui apparaît à ce titre comme atypique. En effet, celui-ci bien qu’anciennement concerné par le dispositif Sac Ados et plutôt bien doté en structures accompagnatrices n’est pas parvenu à mobiliser des jeunes en 2017. Il y a là, peut-être plus qu’ailleurs pour les acteurs de terrain, un véritable défi à relever afin d’assurer une relative homogénéité territoriale du dispositif Sac Ados à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine.
Distribution des départs par département et structure
Départements | Nombre de jeunes mobilisés | Nombre moyen de partants par structure | Ecarts partants - attendus en fonction du nombre de structures | Ecarts partants - attendus en fonction du nombre d’habitants |
Charente | 4 | 2 | -3 | -24 |
Charente-Maritime | 8 | 1 | -27 | -41 |
Corrèze | 4 | 1 | -7 | -15 |
Creuse | 0 | 0 | -11 | -9 |
Dordogne | 39 | 5 | 11 | 6 |
Gironde | 240 | 5 | 70 | 123 |
Landes | 0 | 0 | -28 | -31 |
Lot-et-Garonne | 26 | 5 | 8 | 0 |
Pyrénées-Atlantiques | 67 | 4 | 7 | 15 |
Deux-Sèvres | 27 | 5 | 6 | -2 |
Vienne | 23 | 2 | -16 | -11 |
Haute-Vienne | 18 | 2 | -10 | -11 |
Nouvelle Aquitaine | 456 | 4 | 0 | 0 |
données Région Nouvelle-Aquitaine
Les accompagnateurs et le projet Sac Ados
9La mise en place du dispositif Sac Ados, liée à l’implication de structures conventionnées, est opérationnalisée par des personnes ressources, appelées « accompagnateurs ». Dans les faits, ces personnes sont souvent des animateurs. En 2017, soixante accompagnateurs se sont ainsi déclarés comme tels, alors que d’autres occupent des fonctions proches de ce champ en tant que responsable de service (19), coordinateur (13) ou directeur « y compris d’ALSH » (12). En rapport avec la nature des structures, on peut également identifier des chargés d’information jeunesse (8), des éducateurs (3), un enseignant ou encore un agent administratif territorial.
10Ainsi, on peut émettre l’hypothèse d’une forte présence, dans les schémas de pensée professionnelle des accompagnateurs, des valeurs associées à l’animation socioculturelle, marquées par l’autonomie, le développement personnel et collectif, le respect des différences, la frugalité des moyens, etc. Au regard des valeurs précitées, ils portent de façon générale un regard plutôt bienveillant vis-à-vis du dispositif :
« C’est toujours intéressant de donner la possibilité aux personnes de prendre du plaisir tout simplement, parce que c’est un droit, les vacances ! ».
11Mais l’acceptation de ce droit, y compris par les bénéficiaires eux-mêmes ou leur entourage est loin d’être évident :
« Il faut faire comprendre autant aux parents qu’aux jeunes, qu’ils peuvent se donner le droit de partir en vacances, même s’ils sont au chômage ou qu’ils ont raté leurs études ».
12A ce titre, les accompagnateurs perçoivent que la société française, bien que très attachée aux pratiques vacancières, a du mal à dissocier la notion de « congés payés », qui fait partie intégrante du droit du travail et qui à ce titre est soumise à l’existence de celui-ci, de celle de « départ en vacances » qui doit être appréhendée, en tant que pratique sociale liée à un usage du temps libre dont chacun bénéficie :
« C’est une mentalité, de mal accepter que les gens qui sont au chômage aient la possibilité de partir en vacances (…) j’ai eu des ressentis des jeunes qui ne souhaitaient pas rentrer réellement dans le dispositif, parce qu’ils se sentaient pas bien, par rapport à leur situation du moment ».
13Le dispositif Sac Ados est souvent considéré par les accompagnateurs comme un outil venant enrichir leurs capacités d’action, une porte d’entrée novatrice, une « plus-value » pour leur structure. Il offre l’occasion d’entrer en contact avec un public non habituel, qui va peut-être, après une première expérience réussie, revenir de façon plus régulière :
« Le Sac Ados permet d’attirer des jeunes que l’on ne verrait pas autrement ».
14Cependant, l’appréhension et la mise en œuvre du dispositif demandent une période de rodage plus ou moins longue. Les accompagnateurs doivent s’approprier la démarche Sac Ados, entrer dans des modes relationnels et opératoires auxquels ils ne sont pas toujours habitués :
« On va dire que c’est à la troisième année qu’on a pu vraiment mettre en œuvre des départs, il a fallu du temps pour que le public puisse se l’approprier ».
15Pour ce faire, il est nécessaire d’identifier les jeunes potentiellement partants afin de les sensibiliser aux objectifs du dispositif et de leur permettre d’accéder à ses modalités de fonctionnement. A ce sujet, il semble que le bouche à oreille reste le principal vecteur de diffusion de l’information bien avant les campagnes de communication et ce quel que soit le médium utilisé (affiches, flyers, sms, réunions, etc.) :
« La première année (2016), l’information a circulé par voie d’affiche, une réunion d’information a été organisée avec une trentaine de jeunes, mais au final, aucun départ » ;
« Lorsqu’un premier groupe est parti, on est passé l’année suivante à deux séjours dans l’été, puis l’année dernière (2014) il y a eu une grosse explosion, il y a eu 18 demandes et j’ai fait partir 4 groupes, et cette année (2015) rien, c’est comme ça ».
16On le voit donc, le succès est loin d’être garanti, et ce d’autant moins que les structures ne sont généralement pas spécialisées sur les projets de départs en vacances.
« On est sur une structure ouverte à tous les publics (…) et on a un axe emploi et insertion qui prend de plus en plus de place » ;
« Notre mission principale c’est la formation, le projet vacances c’est bien, mais cela vient en plus et l’accompagnement est fait de façon totalement bénévole ».
17A ce titre, les accompagnateurs sont parfois aspirés vers d’autres champs d’activités considérés comme prioritaires par eux-mêmes et/ou leur employeur. Dans ce cas, et sans déconsidérer le dispositif Sac Ados, ils mobilisent leur énergie sur d’autres démarches afin de répondre le plus efficacement possible aux demandes premières de leurs publics :
« Là actuellement, les jeunes lorsqu’ils viennent, ce n’est pas pour les vacances ».
18Par ailleurs, d’un point de vue pédagogique, le dispositif peut être considéré par certains comme déconcertant puisqu’il propose à des personnes qui ont forgé leurs compétences sur la base de l’encadrement de jeunes, d’accompagner ces jeunes dans des projets mais sans être physiquement présents lors de leur déroulement :
« Quand j’organise un séjour j’ai l’habitude de partir avec les jeunes avec lesquels j’ai préparé ce séjour ».
19Ainsi, la mise en œuvre effective du dispositif Sac Ados demande aux accompagnateurs de réfléchir à leur positionnement professionnel sur l’échelle faire pour – faire avec – faire faire – laisser faire. Dans certains cas, il peut y avoir un changement de paradigme pédago- gique, en particulier lorsque ceux-ci sont conseillers principaux d’éducation ou enseignants, ce changement étant perçu par les jeunes eux-mêmes :
« Partir avec des copains grâce à des profs, j’ai trouvé ça génial ».
20La démarche d’accompagnement est bien sûr conduite de façon singulière en fonction des structures d’accueil et des accompagnateurs mobilisés, en fonction aussi et surtout des jeunes et de leur implication au sein des structures, soit qu’ils viennent de façon ponctuelle pour Sac Ados, soit qu’ils les fréquentent régulièrement. Pour certains, une dizaine de rendez-vous seront nécessaires, pour d’autre cela pourra aller plus vite, des échanges par mail viendront suppléer aux rencontres physiques mais très souvent, les difficultés opératoires sont corrélées à la taille du groupe qui va rendre les choses plus compliquées :
« Les projets qui n’aboutissent pas sont souvent liés à l’instabilité du groupe ».
21Concernant les plus fragiles, les plus éloignés de la culture vacancière, certains points de vigilance peuvent être identifiés :
« Il est nécessaire de soutenir particulièrement les jeunes mineurs lors de leurs premières prises de contact téléphonique avec les prestataires, mais également de les aider à accuser les contrecoups générés par les fins de non-recevoir de la part des hébergeurs sollicités » ;
« Il faut les soutenir face aux difficultés qu’ils rencontrent lors de la préparation de leur séjour, les convaincre de leurs capacités à mener à bien leur projet, il faut aussi parfois les aider à surmonter des parcours scolaires chaotiques ».
22Mais au final, même s’il y a des renoncements, la motivation peut aussi ressurgir et l’expérience d’un premier échec peut donner l’occasion d’un nouveau départ :
« Il nous arrive de les revoir l’année suivante, ils sont plus mûrs, parfois ils sont devenus majeurs et prêts à élaborer un nouveau projet. »
23L’appropriation du dispositif par les jeunes peut parfois prendre du temps. Le dispositif Sac Ados, qui dans sa formulation générale se traduit par – montez un projet pour partir en vacances et vous obtiendrez une aide – peut parfois être perçue comme suspect :
« Les jeunes cherchent le piège, cherchent ce que l’on va leur demander en contrepartie ».
24Une fois les premières suspicions levées, la principale difficulté éprouvée est celle de penser le projet :
« Certains jeunes ont tout simplement du mal à imaginer le fait qu’ils puissent partir en vacances en autonomie ».
25Il y donc là un véritable enjeu d’acculturation qui n’est simple à gérer pour personne. D’un côté il s’agit d’inciter ou de rassurer les jeunes vis-à-vis de leurs capacités à partir en vacances, de l’autre, il y a un besoin de réserve ou de mise à distance nécessaire afin de ne pas construire le projet à leur place. Ensuite, lorsqu’il s’agit d’entrer dans la phase de conception du séjour, en adéquation avec les attentes réelles ou supposées du dispositif, les jeunes peuvent avoir des difficultés à renseigner les différentes parties du dossier. Cela peut se traduire par l’expression de difficultés opératoires :
« Oh là là… Encore quelque chose à faire, ça va être compliqué, c’est trop difficile de monter un projet ».
26Lorsque l’idée de départ prend forme et lorsque son niveau de faisabilité augmente, les jeunes commencent à y croire sérieusement, l’accompagnateur devient progressivement personne ressource :
« Ils nous parlent de leur projet, on sort le dossier papier pour qu’ils travaillent déjà un peu, ils reviennent vers nous, on retravaille avec eux, on leur demande d’aller chercher des compléments d’information sur Internet, des lieux d’hébergement, etc. ».
27Rien n’est pourtant encore acquis, si au début tout semble très facile, les jeunes prennent peu à peu conscience des contraintes organisationnelles, trouver une période durant laquelle chacun est disponible pour partir, contractualiser avec un hébergement, trouver un moyen de transport ou organiser un itinéraire, etc. Ils mesurent à quel point leur projet est soumis à de nombreuses contraintes, et parmi elles, l’autorisation parentale pour les mineurs.
28La formalisation de la démarche de projet par le passage à l’écrit est une étape considérée essentielle par les accompagnateurs :
« Il faut qu’il y ait un écrit parce que ça permet aux jeunes déjà de se poser sur papier, de se poser les bonnes questions pour avancer, pour budgétiser, combien ça va coûter, aller chercher des informations sur Internet, pour aller un petit peu plus loin que ‘‘mon projet c’est partir et faire la fête’’ ».
29L’une des missions des accompagnateurs est donc de permettre à ces jeunes de se projeter dans la programmation de leur séjour, d’identifier les besoins, d’anticiper l’organisation nécessaire, et de présenter tout cela sous la forme d’un dossier écrit :
« Il y en a, va falloir les guider, chercher avec eux… » ;
« Là, il faut travailler avec eux là-dessus (…) on leur demande ce qu’ils vont faire, comment ils vont s’organiser ».
30Même ceux qui semblent dès le départ plutôt autonomes, qui ont plus de maturité que d’autres ou qui sont particulièrement motivés pour partir, peuvent avoir besoin d’être rassurés face à une destination inconnue :
« Je me souviens de deux jeunes filles qui n’étaient jamais allées à Paris, ça les inquiétait un peu, pourtant elles étaient toutes deux majeures, mais ça les inquiétait quand même ».
31Dans ce cas, il semble nécessaire de construire quelques repères, d’envisager des situations à venir, de tranquilliser les jeunes face à leurs doutes :
« On a regardé ensemble les plans du métro, je leur ai montré où était l’auberge de jeunesse, etc. ».
32Mais plus que toute autre chose, c’est l’élaboration du budget qui pose souvent le plus de problèmes. C’est en même temps un point déterminant pour l’attribution de la bourse, un révélateur du contenu du séjour et des choix éventuellement opérés, mais aussi et surtout une construction qui demande une attention particulière :
« C’est sur le budget que l’on travaille le plus ».
33Cette attention est tout autant essentielle dans la phase préparatoire, lorsqu’il s’agit d’établir la liste et le montant des dépenses à envisager, que dans la phase opérationnelle, lorsqu’il s’agit de trouver la part d’auto financement qui sera ensuite complétée par la bourse Sac Ados sans que celle-ci ne dépasse les 50 % du coût total du séjour.
Exemple de budget prévisionnel pour 5 personnes (Voyage à Madrid, 2017)
CHARGES | € | PRODUITS | € | ||
1 | Logement | 150 | 8 | Ventes de produits | 832,5 |
Couchsurfing | 0 | Projets de financement (ventes de gâteaux, soirée théâtre, etc.) | 832,5 | ||
Nuitées en auberge (2 nuits) | 150 | ||||
2 | Transports | 532,5 | 9 | Autofinancement | 500 |
Avion aller IBERIA EXPRESS | 109 | Economies personnelles | 500 | ||
Avion retour VOLOTEA | 146 | ||||
Métro 3 cartes de 10 voyages chacune (18,3 x 3 x5) | 277,5 | ||||
3 | Restauration | 900 | 10 | Subventions demandées | 1250 |
Petit déjeuner | 200 | Conseil régional (Sac Ados) | 1250 | ||
Déjeuner | 300 | ||||
Dîner | 400 | ||||
4 | Activités | 700 | |||
Visites | 700 | ||||
5 | Charges diverses | 300 | |||
Charges diverses | 300 | ||||
TOTAL GENERAL | 2582,5 | TOTAL GENERAL | 2582,5 |
34Cet apport financier, que l’on peut tout à fait comprendre comme étant la contribution implicative des jeunes dans leur séjour vacances, n’est pas toujours facile à constituer. Trouver pour chacun, les cent quatre-vingts euros en moyenne pour un séjour en France ou les cinq cent trente euros toujours en moyenne pour un séjour en Europe, n’est pas facile pour tout le monde. Certaines structures ont d’ailleurs fait le choix de ne plus s’engager dans l’accompagnement Sac Ados tant elles estimaient que le dispositif générait auprès de leur public très éloigné du départ, plus de frustration que de « plaisir », et ne faisait, en cas d’échec, qu’accentuer ce que Patrice FLICHY (2004) nomme la désaffiliation des désaffiliés.
35Au-delà des contingences économiques, une des étapes clés du dispositif Sac Ados reste celle de la présentation du projet par les jeunes devant un jury constitué par des représentants de la Région Nouvelle- Aquitaine et des professionnels. Cette étape qui, pour des questions logistiques lors du passage à la grande région, a été envisagée sous la forme d’une visio- conférence, est l’occasion d’une rencontre et d’un échange entre les postulants à la bourse et leur financeur. C’est à ce titre un temps durant lequel les représentants régionaux prennent toute la mesure du travail préparatoire réalisé par les jeunes tout autant qu’un temps de formation ou d’information où sont partagés des conseils, mis en exergue les points forts et les fragilités du projet. Cette rencontre présente donc un réel enjeu pour les jeunes, qui, en fonction de la décision qui sera prise, peuvent voir s’évanouir leur projet de vacances, même si dans les faits très peu de projets sont invalidés.
36Perçues du côté des accompagnateurs, ces auditions d’attribution des bourses Sac Ados inquiètent les jeunes, en particulier ceux qui n’ont jamais été confrontés à des situations d’examen :
« Ça a un côté un peu solennel d’aller là-bas (au Conseil régional), d’être reçu par plusieurs personnes, oui c’est un petit examen qu’ils passent ».
37Cependant, ils considèrent dans l’ensemble que l’audition des jeunes par une instance officielle est l’un des éléments forts du dispositif. Après le temps de l’anticipation et de l’organisation du projet vacances avec le soutien des accompagnateurs, le temps de la soumission au jury attributif vient renforcer le cadre structurant et valider le travail réalisé :
« Ce n’est pas un frein, mais c’est une appréhension ».
38Cette dernière va le plus souvent se dissoudre dans la joie d’obtenir satisfaction et dans la perspective de réaliser ce qui a été projeté :
« On part ! On part ! On a le sac… ».
39Munis des packs attribués, les jeunes vont pouvoir vivre leur projet. Fondé sur une anticipation de l’action, celui-ci est par nature un ajustement permanent entre ce qui est prévu et ce qui est réalisé. Et heureusement pourrait-on dire au risque d’une inadaptation du projet aux réalités de sa mise en œuvre. A ce titre, les accompagnateurs perçoivent des distorsions entre les projets tels qu’ils sont écrits et les projets tels qu’ils se déroulent vraiment. Deux registres d’analyse peuvent être identifiés :
le premier, proactif, se traduit par une adaptation des contenus des dossiers aux attentes supposées ou réelles du Conseil Régional :
« On a prévu des repas équilibrés, mais dans la réalité c’est kébab tous les jours ».
le second, réactif, se traduit par des adaptations aux contingences du séjour :
« On adapte les horaires annoncés, les activités prévues, parfois même les itinéraires ou hébergements, etc. ».
Le projet Sac Ados et les parents
40Comme nous l’avons vu précédemment, le dispositif Sac Ados implique la possibilité d’un départ autonome en vacances de jeunes qui aspirent à se débrouiller seuls pour des premières vacances sans les parents. Ces derniers sont donc en même temps partie-prenante des projets des jeunes, en particulier pour ceux qui sont encore mineurs et pour lesquels ils doivent donner leur accord, et partie-exclue des projets puisque ceux-ci vont se dérouler sans eux.
41Dans cette dialectique relationnelle, deux enjeux principaux ont pu être repérés :
d’une part, et plus particulièrement du côté des jeunes, celui d’une prise de risque mesurée qui va permettre de démontrer, aux proches et à soi-même, que l’on est bien capable de vivre son projet de vacances en autonomie ;
d’autre part, celui de la séparation familiale qui va induire la transition de relations sociales asymétriques (où l’enfant reçoit l’attention d’une figure parentale protectrice), vers des relations réciproques (dans lesquelles chacun offre et reçoit un soutien de la part de ses pairs).
42Lorsqu’on demande aux jeunes comment l’annonce du projet de départ autonome en vacances s’est passée avec les parents, ils font le plus souvent référence à la figure tutélaire de la mère. C’est à elle que les jeunes semblent présenter leur projet en premier lieu, ce qui n’est pas pour autant une garantie de succès.
43Plusieurs cas de figures peuvent se présenter :
44D’un côté, ceux pour lesquels les parents regardent plutôt positivement cette idée de départ autonome. Cela concerne principalement les jeunes majeurs mais également certains jeunes mineurs pour lesquels l’accord est acquis et la formalisation de celui-ci liée à la teneur du projet qui sera présenté :
« On a approuvé quasi immédiatement, on lui a fait confiance. L’appréhension est venue du fait de la vie tout simplement, il peut arriver n’importe quoi mais après… Notre rôle de parents c’est aussi d’amener nos enfants à vivre des expériences pour leur permettre d’être des personnes adultes ».
45A l’opposé se trouvent des jeunes qui rencontrent l’accompagnateur avec l’envie de partir mais qui savent déjà qu’ils n’auront pas l’autorisation parentale :
« Ceux-là, dès qu’on les informe de l’obligation d’obtenir l’accord parental, on les perd, ils ne reviennent plus » ;
« En fonction des milieux sociaux, cela peut être parfois plus difficile pour les jeunes filles » ;
« L’information aux parents devient un blocage. Parfois, selon les univers culturels, c’est l’accord du grand frère qui est nécessaire ».
46Entre ces deux situations extrêmes, il y a tous ceux et plus particulièrement les mineurs pour lesquels l’accord parental est obligatoire, qui vont devoir convaincre leurs parents de la pertinence de leur projet de vacances et de sa faisabilité :
« J’étais mineure à ce moment-là, ma mère a directement refusé ».
47Mais le premier refus n’est pas nécessairement définitif, parfois des espaces de négociation existent et sont investis par les jeunes :
« En fait, je lui en ai parlé. Je lui ai dit : oui, mais on va quand même organiser. On n’est pas lâchées comme ça dans la nature. On trouvera un hébergement. Et donc, au fur et à mesure, quand je lui montrais, on va aller là, on va faire ci, on lui montrait des photos, bon finalement, elle a accepté ».
48Du côté des parents, si l’idée de départ est plus ou moins bien reçue, la capacité d’argumentation des jeunes est souvent mise à l’épreuve :
« Il a fallu qu’elle argumente, on autorise les choses à condition que ce ne soit pas irresponsable, que tout soit réfléchi, prévu, et à partir du moment où c’est clairement argumenté, où c’est cohérent, ficelé, monté, on accepte ».
49D’autres fois, le travail de l’accompagnateur s’élargit à la sphère familiale, celui-ci invitant les parents à venir le rencontrer au sein de la structure, qui peut être alors considérée comme un lieu interstitiel rassurant :
« Un travail de remédiation est parfois nécessaire, on peut considérer que si les parents viennent, c’est qu’un premier pas est franchi. »
50Cependant, la mise en œuvre du dispositif qui implique une autonomie complète des jeunes, peut générer des incompréhensions :
« Il y a quand même une difficulté lorsqu’on présente le dispositif, autant auprès des jeunes que de leurs parents, il faut qu’ils comprennent que nous, on est là pour l’accompagnement technique, et que ça ne va pas plus loin ».
51Après un temps d’échange entre les jeunes, les parents et en présence de l’accompagnateur, les parents sont amenés à se positionner sur la recevabilité du projet :
« Après les explications de l’accompagnateur, certains parents réticents peuvent se laisser convaincre. »
52Face à la demande de départ en vacances autonomes de leur enfant, des sentiments contradictoires semblent revenir dans les propos des parents. D’abord celui d’une prise de conscience autour du fait que leur enfant a grandi :
« Ouh là là, ça y est elle est prête, elle nous lâche ! ».
53Et ensuite la perplexité face à cet enfant que l’on espère être suffisamment grand pour partir tout seul, sans risque :
« En réfléchissant un petit peu, on se dit qu’il va bien falloir que cela commence un jour donc, nous ados on n’a pas fait de bêtise démesurée, tout s’est bien passé jusque là, on finit par plier et accepter ».
54Cette acceptation, cette prise de risque éducative, n’est pas sans effet chez les jeunes et cela peut être perçu par les parents :
« Ces vacances ont fait grandir ma fille, elle s’est rendue compte que ce n’était pas si évident d’acquérir son autonomie. Il faut travailler pour financer son séjour, il faut s’investir dans l’élaboration du projet pour recevoir la bourse, elle s’est rendue compte qu’on avait pas tout sans effort, que la vie en commun n’était pas évidente, il faut composer avec le caractère de chacun, il faut gérer tout le matériel, faire les courses, faire la vaisselle, faire un peu de lessive, etc. Tout un tas de choses de la vie courante ont été concrétisées par cette petite semaine de vacances ».
55Ainsi le dispositif Sac Ados offre un cadre éducatif expérimental qui permet tant aux jeunes qu’à leurs parents de s’éprouver dans le processus d’autonomisation du sujet, un micro espace transitionnel entre la vie d’enfant et celle d’adulte :
« Le dispositif est un tremplin, ils y sont allés, d’autres les ont précédés, d’autres vont les suivre, c’est une chaîne. C’est important, les parents ont besoin d’un support, cela nous paraît très structuré même si en fait ils ont été libres de leurs mouvements ».
56Et si comme le dit le psychiatre Serge HEFEZ (2016) « c’est le plus souvent à l’occasion des vacances qu’une famille se sent être une famille, qu’elle se reconnaît comme famille, qu’elle se fabrique », ce processus de construction identitaire peut aussi pour certains parents s’envisager dans le fait de laisser partir son enfant en autonomie, de lui reconnaître la capacité à le faire, et en retour, de recevoir de cet enfant toute la reconnaissance de la confiance accordée.
Bucolisme 1
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L'animation, source de diagnostic
L'expérience d'un centre d'animation
Ramon Ortiz de Urbina et Jean-Luc Richelle
2013
Animation & économie sociale et solidaire
Aurélie Carimentrand, Marius Chevallier et Sandrine Rospabé
2017