Quand les jeunes parlent de leur projet Sac Ados, reconstitution et narration d’expériences
p. 43-84
Texte intégral
1Afin d’analyser la perception des jeunes vis-à-vis de leur premier départ en vacances en autonomie, nous avons mené un travail d’investigation en nous appuyant sur différentes sources disponibles. Celles-ci ont été traitées en référence aux approches conceptuelles et méthodologiques issues des théories de la structuration sociale et de la phénoménologie et plus précisément de l’individualisme méthodologique, fondé sur les postulats d’individualisme, de compréhension et de rationalité des acteurs (BOUDON, 2002). A ce titre, nous avons considéré que le départ en vacances des jeunes Aquitains relevant des interactions entre ces jeunes et le dispositif Sac Ados, pouvait rationnellement être analysé à partir de la parole de ces jeunes, celle-ci étant entendue selon différentes modalités.
2Tout d’abord nous avons traité un ensemble de données rassemblées dans les bilans réalisés depuis le lancement du dispositif soit par l’association Vacances Ouvertes (échelon national, depuis 1992) soit par le Conseil régional (échelon régional, depuis 2006). L’analyse de ces données nous a permis de poser un premier regard sur le contexte global du dispositif et d’identifier la position particulière de la Région Aquitaine qui est aujourd’hui considérée par Vacances Ouvertes comme un des opérateurs historiques (11 ans d’ancienneté) engagés dans l’opération.
3Concernant plus spécifiquement l’expression de la parole des jeunes, plusieurs sources complémentaires ont été mobilisées. Nous avons tout d’abord constitué un corpus d’étude en intégrant in extenso les 91 récits de voyages postés en 2015 par les jeunes sur la page Facebook dédiée par le Conseil régional à l’opération Sac Ados (voir encadré).
Les récits de voyages étudiés
Ces récits, postés par les jeunes incités par la chargée de mission du Conseil régional en charge de Sac Ados, font référence :
- à 61 voyages réalisés en France (dont 41 en région Aquitaine)
- et à 30 voyages organisés en Europe (dont en Espagne (14), en Italie (3), au Portugal (3), en Europe de l’Est (2), en Europe du Nord (2), en Allemagne (1), en Angleterre et Irlande (1), en Ecosse (1), en Finlande (1), en Grèce (1) et en Suisse (1).
Ces textes rédigés (de quelques lignes à quatre pages) ont été rassemblés dans un corpus de 140 pages (plus de 50 000 mots) qui a constitué l’un de nos principaux matériaux d’analyse.
4Cette « littérature » de voyage, rédigée librement par les jeunes eux-mêmes, est le résultat d’une sollicitation (non obligatoire) de l’institution régionale envers ses lauréats, dans une perspective de témoignage et de publicisation des expériences vécues et des bons plans repérés, mais aussi des difficultés et des doutes rencontrés. Il s’agit, par cette expression directe11 des jeunes à l'attention d’autres jeunes, de faire germer auprès du plus grand nombre d’Aquitains la possibilité d’un départ autonome en vacances.
5En complément de ce corpus, nous avons interviewé 15 jeunes volontaires, mobilisés par des partenaires aquitains dont le Centre de Formation d’Apprentis (CFA) d’Eysines, les Bureaux d’Information Jeunesse (BIJ) de Bègles et de Mérignac, le Lycée professionnel de Tonneins et le Service municipal de la jeunesse de Boé. Ces entretiens ont été retranscrits en intégralité (220 pages) et sont venus enrichir le corpus de données. Ainsi deux univers de production (HENRY et MOSCOVICI, 1968) aux conditions complémentaires (écrits calibrés et entretiens semi-guidés) ont été associés pour constituer le corpus rassemblant la parole des jeunes.
6A partir de ce corpus, plusieurs opérations d’analyse de données textuelles ont été entreprises afin de mieux cerner les référentiels mobilisés par les jeunes lorsqu’ils évoquent leur projet de voyage. Pour mener à bien notre travail de réduction des données qualitatives (PAILLE et MUCCHIELLI, 2003), outre l’organisation formelle de celles-ci, nous avons procédé en deux étapes.
7Nous avons d’abord réalisé une recherche lexicale sur le corpus des 91 récits de voyage puis sur les transcriptions d’entretiens afin d’identifier les principaux mots-clés utilisés par les jeunes pour raconter leur expérience. Cette première approche lexicale, « adaptée à une recherche exploratoire conduite sans a priori puisqu’elle n’exige au départ aucun présupposé concernant le contenu du texte » (FALLERY et RODHAIN, 2007, p. 4), nous a permis de définir, à partir du nombre d’occurrences des mots utilisés, de quoi les jeunes parlent lorsqu’ils évoquent leur expérience.
8Ensuite, nous avons complété cette investigation par une lecture attentive et approfondie de l’ensemble du corpus qui nous a permis d’identifier des catégories descriptives de contenu, d’en assurer « la révision et le raffinement » (BLAIS et MARTINAU, 2006, p. 8) afin d’aboutir à un ensemble constitué d’éléments structurant le discours des jeunes partis dans le cadre du dispositif Sac Ados. Ce second niveau d’analyse linguistique mobilisé nous a permis d’émettre des hypothèses de réponse à la question : comment les jeunes parlent-ils de leur voyage et des apprentissages réalisés ? Ainsi huit thèmes (cf. schéma page ci-dessous) caractérisant la parole des jeunes vis-à-vis de Sac Ados ont été identifiés, chacun de ces thèmes étant structuré autour d’éléments discursifs clés, parfois convergents, parfois divergents. Ce sont ces thèmes (catégories descriptives de contenu) et ces éléments discursifs que nous nous proposons d’explorer maintenant.
Les catégories descriptives des jeunes lorsqu’ils parlent de leurs vacances Sac Ados
9Pour chacune des catégories descriptives identifiées, nous avons tenté de mieux cerner les enjeux évoqués par les jeunes, dans la perspective de mieux comprendre ce qui fait sens pour eux. Afin de restituer au plus près ce sens, nous avons choisi de livrer ce décryptage en conservant au maximum les expressions juvéniles, celles-ci étant livrées telles quelles, présentées entre guillemets et suivies pour chacune du titre que les jeunes ont donné à leur projet de séjour.
L’importance de l’accompagnement et du soutien financier : « faire soi-même » ou « être accompagné » ?
10L’une des caractéristiques qui fait l’originalité du dispositif Sac Ados est qu’il s’adresse à des jeunes ayant des profils socioculturels très différents tout en faisant partie des mêmes agrégations générationnelles12. Ainsi deux profils types peuvent être identifiés :
11Certains jeunes, et plus particulièrement ceux qui se mobilisent pour des départs européens, sont relativement autonomes, proactifs et utilisateurs des outils mis à disposition par l’univers de l’Internet :
« Nous sommes deux jeunes en quête de nouvelles découvertes. Cette année, nous désirons partir pour la première fois à l’étranger de façon autonome. Avides de nouvelles expériences enrichissantes, le choix de partir en Espagne s’est imposé à nous très naturellement après que nous soyons revenus tous les deux émerveillés d’un week-end passé à San Sebastian avec les parents » (Alicante cuentanos tu historia).
12Ils s’inscrivent ainsi dans les discours classiquement avancés par les opérateurs de tourisme lorsqu’ils parlent de la jeunesse. « Ils achètent leurs billets avec leur smartphone, décident pour le lendemain de partir visiter leurs amis en Europe, de construire seuls leur voyage » (PILLOUD, directeur marketing d’Odigéo), ce qui en fait « des experts dans la recherche sur Internet, des demandeurs de produits personnalisés et de séjours thématiques » (RAFFOUR, cabinet Raffour Interactif).
13D’autres jeunes par contre expriment des besoins d’accompagnement tels que mis en œuvre dans le cadre du dispositif Sac Ados :
« Nous ne pouvions pas organiser ce voyage seuls car nous avons rencontré des problèmes logistiques et d'organisation » (Vacances sportives et touristiques en Pays de Loire).
14D’autant plus que cet accompagnement sert parfois à rassurer les parents :
« Comme nous sommes mineures et qu’il s’agit de notre première expérience en autonomie, nous avons eu besoin d’aide pour organiser ce projet et pour rassurer nos parents » (Vacances à la plage entre copines).
15En retour, l’accompagnement proposé se traduit par des expressions de gratitude que ce soit à destination des accompagnateurs eux-mêmes :
« Enfin nous souhaitions remercier le BIJ de Pessac pour nous avoir soutenus dans ce projet » (Camping à Mimizan),
16ou plus généralement à l’égard du dispositif :
« Pour finir, nous remercions le dispositif Sac Ados d'Aquitaine, sans lequel nous ne serions certainement pas partis ! » (Beaux gosses à la plage) ;
« Tout d’abord, nous souhaitons dire un grand MERCI au Conseil régional et à son projet Sac Ados pour nous avoir donné un coup de pouce pour passer de superbes vacances en Ardèche ! ! » (A la découverte de l’Ardèche).
17On peut noter également que les jeunes développent aussi des stratégies de régulation de ce besoin d’accompagnement en réduisant les enjeux liés à la complexité organisationnelle ou à la distance entre leur domicile habituel et leur séjour de vacances :
« Nous avons voulu pour un premier projet autonome choisir une destination simple, accessible et qui nous plaise » (Premières vacances dans les Landes).
18Ceci dit, la première expérience vécue et quasi unanimement perçue comme positive peut donner des envies de projets plus ambitieux :
« Nous aspirons à repartir ensemble en voyage l'année prochaine sûrement à l'étranger afin de pouvoir bénéficier encore une fois de l'aide Sac Ados » (Vacances à Hossegor).
19Et ces projets, parfois se réalisent :
« L'expérience nouvelle de l'an dernier nous a motivés à recommencer un tel projet mais en découvrant cette fois-ci un nouveau pays et une nouvelle culture » (Retrouvailles à Barcelone)
Sac à dos – Sac Ados
20Sous-jacent à cette envie de faire soi-même et au besoin d’accompagnement, se joue aussi le fait que cet accompagnement, tout en étant réalisé par une personne de confiance, n’est pas celui des parents. Ainsi, nous pourrions dire que la démarche s’inscrit dans un processus d’affirmation de soi vis-à-vis de la cellule familiale :
« Organiser des vacances seules, sans l’aide de nos parents. (…) En ce qui concerne notre motivation, elle est précise, nous voulons prouver à nos parents que nous sommes capables de nous organiser et de créer un projet de vacances seules tout en renforçant notre amitié ».
21Ces propos mettent en exergue l’importance de l’accompagnement opérationnel et du soutien financier proposés par Sac Ados que l’on peut considérer ici pris entre deux logiques antagonistes qui produisent une tension entre d’une part, la volonté qu’ont les jeunes « de faire eux-mêmes » et d’autre part, celle « d’être accompagnés ».
Les relations sociales du projet vacancier : « être entre amis » ou « faire des rencontres » ?
22Les vacances sont considérées par les jeunes comme un temps privilégié d’affirmation des relations sociales. L’idée de départ « entre amis » est mise en avant dans quasiment tous les projets :
« Nous nous connaissons tous depuis plus de dix ans puisque nous avons commencé le rugby ensemble » (Le rugby à l’espagnol) ;
« Ce séjour nous a permis de nous rapprocher et de souder des liens d'amitié durables » (Voyage à Mimizan) ;
« Le groupe est d’abord fondé sur des liens d’amitié forts, mais aussi sur des intérêts communs comme le voyage, les langues et la culture ; (…) notre confiance les unes envers les autres est sans limite ; notre organisation et notre vision des vacances sont similaires, ce qui facilite grandement notre cohabitation » (Bienvenuti al sud !).
23L’importance de cette dimension amicale est déterminante lorsqu’elle est en lien avec la commémoration d’une épreuve communément partagée, et à l’âge des jeunes concernés, cette épreuve qui donne sens à la constitution du groupe est souvent le Baccalauréat :
« Semaine parfaite passée entre 5 amies pour fêter le bac, vélo, plage, paddle, catamaran sur le lac » (Lac’ado) ;
« Nous voulions passer une semaine entre amis pour décompresser des épreuves anticipées du baccalauréat » (Carcans sans les parents) ;
« Comment décompresser après les épreuves du bac ? Partir en vacances entre amis tout simplement ! » (Camping au Cap Ferret).
24Même si les amis ne sont pas présents lors du séjour, ils ne sont pas oubliés pour autant et en particulier lorsqu’ils ont été des relais d’informations :
« Nous avons connu l'aide Sac Ados au travers d'amis ayant participé à cette opération antérieurement » (Vacances à Hossegor).
25Cette dimension amicale est aussi mobilisée lorsque le séjour est perçu comme une dernière occasion d’être ensemble avant de se séparer à la fin du lycée, pour des poursuites d’études :
« Nous avons émis le souhait de partir tous ensemble en vacances afin de bien finir nos années lycées » (Vacances à Hossegor) ;
« Nous sommes quatre amis d'enfance qui se connaissent depuis l'âge de 2 ans et qui souhaitent passer leur dernier été ensemble avant la séparation causée par les études supérieures » (Vacances entre amis à Biscarosse).
26Bien au-delà des effets d’annonce, la dimension amicale se traduit aussi par un sens du collectif et de la solidarité, du partage et parfois même de la mise en commun du budget :
« Notre groupe se compose de six personnes, cinq personnes en Aquitaine et une personne en Ile-de-France. Pour ce dernier, ne pouvant pas obtenir l'aide, nous avons décidé de faire une cagnotte commune de la subvention Sac Ados » (Vacances à Argelès- sur-Mer).
27Et quand il ne s’agit pas de partir avec des amis, l’objectif est d’en rejoindre :
« Pourquoi Edimbourg ? Car j’ai là-bas un très bon ami que je n’ai pas vu depuis très longtemps » (Des tours à Edimbourg).
28Cependant, être logé chez des amis peut parfois représenter un frein à la découverte :
« Nous étions logés chez un ami. Nous n’avons pas eu le temps de profiter pleinement de cette ville qui doit certainement renfermer un charme dans son centre-ville et son port industriel mondialement connu » (The north escape).
29La dimension amicale plébiscitée est parfois empreinte d’une relative prudence, d’un réalisme exploratoire. Lorsqu’il s’agit d’éprouver la solidité des relations, les jeunes sont loin d’être naïfs :
« Vivre au quotidien à 7 peut créer des tensions, mais nous nous en sommes très bien sorties puisque c’était avant tout une mise à l’épreuve de notre maturité et de notre savoir-vivre en communauté » (Surf trip à Lacanau) ;
« Ce voyage pourrait nous apprendre tout d'abord à gérer un budget assez conséquent, mais aussi de vivre en communauté » (Kinder surprise) ;
« Le but est de partager des moments entre amis afin d’expérimenter la vie de groupe » (Les Bordelais au Portugal).
30Par ailleurs, la possibilité de faire des rencontres est très souvent mise en avant par les jeunes, rencontres d’autant plus probables qu’elles se font sur un temps vacancier, détaché des contraintes du quotidien :
« Ce n’est pas la même chose à Bordeaux on n’a pas le temps, alors que là on est ouvert à tout, les gens sont disponibles » (Voyage à Platja d’Aro).
31Les rencontres décrites par les jeunes font souvent référence à d’autres pays, d’autres cultures :
« Platja d'Aro est une ville qui vit énormément l'été avec beaucoup de jeunes. Nous avons donc pu faire de nombreuses rencontres avec des Français, Espagnols, Belges, Néerlandais et bien d'autres » (Voyage à Platja d’Aro) ;
« Nous étions dans le coin jeunes du camping où nous avons pu faire énormément de rencontres, aussi bien françaises qu'étrangères, c'était super de pouvoir parler anglais ! Les gens sont très conviviaux, nous avons fait des rencontres géniales que nous allons revoir dès que possible » (Sea, surf and sun) ;
« On a rencontré beaucoup d'autres étudiants notamment Polonais, Hollandais, Anglais, Espagnols et Français. Berlin étant découpée en plusieurs quartiers, nous nous sommes lancées à la conquête d'un quartier par jour pour mieux découvrir la ville » (Allemagne itinérante) ;
« Durant ce séjour, nous avons rencontré des personnes de la France entière, venant aussi bien de Paris, de Savoie, de Nantes, mais aussi d'autres pays comme des Autrichiens, des Hollandais et des Allemands » (Camping à Mimizan).
32Ces rencontres, très présentes dans les récits, se font parfois dès le départ :
« Dans le train, nous avons fait connaissance avec d’autres jeunes qui allaient au Hellfest » (Les Basques métalleux au Hellfest).
33D’autres sont plus étonnantes :
« Et là, surprise ! Une Bonne-sœur nous ouvre et nous propose carrément de nous amener au camping en voiture ! » (Hello Sac Ados).
34Elles peuvent parfois modifier le cours du séjour vacances qui dans ce cas particulier va prendre une tournure humanitaire.
35Au final, une tension semble ici s’exercer entre deux univers antagonistes ou complémentaires des relations sociales. D’une part, celui de « l’entre-soi » (du groupe ou du couple) et d’autre part, celui de « l’ouverture vers les autres », l’un n’étant pas exclusif de l’autre, les jeunes exprimant ici toutes leurs compétences à jouer sur les deux registres relationnels.
Le projet Sac Ados, incitateur de mobilité
36Partir en vacances dans le cadre du dispositif Sac Ados nous amène inévitablement à poser la question de la mobilité spatiale. Il y a ceux, nous l’avons déjà vu, qui expérimentent un premier départ et qui se rassurent par la proximité de celui-ci :
« Nous souhaitions rester dans la région pour cette première expérience en autonomie complète. » (Vacances à Soulac).
37Pour cela, les parents sont parfois mobilisés comme assistance logistique :
« Nous sommes partis cet été pendant deux semaines dans un camping à Mimizan, proche de la plage. Nous nous y sommes tous les 5 rendus en train avec nos valises et l'un de nos parents a accepté de nous déposer en voiture les affaires trop lourdes comme la table, les chaises, la vaisselle » (Camping à Mimizan) ;
« Nous étions logés sous une tente, là où nos parents nous ont déposés avec tout notre matériel » (Les Libournais à Arca’).
38Les retours d’expérience montrent que ces premiers séjours, organisés dans un cadre rassurant, peuvent donner des envies de voyages plus ambitieux et plus complexes à porter, tant du point de vue de l’organisation que de la réalisation :
« C'est une occasion qu'on ne peut pas rater pour ceux qui veulent changer de la routine et des études, ou même pour ceux qui n'ont pas forcément les moyens de partir comme ça en vacances. C'est en plus de l'expérience, de l'autonomie, un pas vers la vie d'adulte. Nous serions ravis de partir en Europe » (Les Libournais à Arca’) ;
« Nous espérons partir l’année prochaine avec le même groupe de personnes mais cette fois dans l’Union Européenne, nous gardons de notre séjour un souvenir inoubliable » (Vacances à Argelès- sur-Mer).
39En ce sens, on peut penser que l’offre de la région, qui spécifie qu’un départ en Europe peut être réalisé après un départ en France, accompagne la montée en compétences des jeunes qui peuvent expérimenter dans une relative proximité géographique et culturelle un premier départ autonome.
40Les références à la mobilité sont souvent exprimées en termes de moyens de transport et de choix relatifs à ceux-ci (voiture personnelle, train, bus, avion, co- voiturage, etc.). A ce titre, une évolution sensible apparaît dans l’usage de ces moyens de transport, avec une nette montée en puissance des systèmes de partage et en particulier de BlaBlaCar. Mais parfois des modalités plus originales peuvent être utilisées :
« La majorité des déplacements a été effectuée en skate et le reste en métro » (Découverte de Paris).
41Cette expérience de mobilité apparaît également comme une compétence éprouvée dans un temps vacancier mais transférable facilement dans d’autres contextes et en particulier ceux relatifs à des poursuites d’études (loin de chez soi, à l’étranger), dans la capacité à s’assumer dans une location permanente d’un studio ou d’un appartement. La dimension spatiale de la mobilité évoquée ci-avant agit alors sur la probabilité d’une mobilité sociale à venir, sur la capacité des jeunes partis via le dispositif Sac Ados à mieux se projeter dans un futur proche, hors de leur contexte quotidien :
« Il s'agit également d'une expérience d'autonomie avant de partir faire nos études dans une autre ville, loin de nos parents » (Kinder surprise) ;
« Nous souhaitions améliorer notre connaissance de la langue espagnole car certains d’entre nous se lancent dans des études à portée internationale » (Costa Brava entre amis) ;
« Ce voyage de 11 jours m’a permis de mieux appréhender mes futures immersions culturelles de poursuite d’études » (Voyage en Europe) ;
« Nous souhaitions nous retrouver ensemble pour nos premières vacances autonomes avant d'entrer dans la vie active » (Les Basques à Barcelone) ;
« Nous sommes 3 amis d’enfance et nous avons pour projet de partir tous les trois à l’aventure en direction de la Scandinavie, avant de débuter dans la vie active » (Northern Escape).
42Pour autant, la question de la rupture avec le quotidien n’est pas évacuée et la fin du séjour est parfois empreinte de nostalgie face à la banalité de la vie :
« Conclusion : un retour à la civilisation très difficile » (Carcans sans les parents).
43Ici, moins qu’une tension entre objets antagonistes, il y aurait plutôt une dynamique construite dans une sorte de continuum où se jouent des transferts entre les compétences acquises autour de la « mobilité spatiale » et leurs mobilisations dans la perspective d’une « mobilité sociale » à venir, le dispositif Sac Ados étant une étape avant un possible changement de contexte social.
Sac Ados, une mise à l’épreuve
44Le temps vacancier du séjour Sac Ados est très régulièrement décrit comme un temps d’apprentissage et en particulier de l’autonomie au sens de se débrouiller seul pour :
« Des premières vacances sans les parents » (Découverte de Paris).
45Ce potentiel d’apprentissage est lié à un temps de séparation, de rupture avec le quotidien et le contexte familial régulier. Cette notion de rupture qui est souvent perçue négativement, comme une perte, un abandon (rupture scolaire ou familiale, dernière les mots on sent la crise qui couve ou qui est parvenue) est ici mobilisée pour traduire une toute autre dimension. La séparation est en effet exprimée de façon dynamique, être sans c’est aussi être soi, c’est moins être abandonné qu’être accompagné à distance. En absence de la référence familiale, le temps des vacances est d’abord considéré comme un temps d’expérimentation :
« Nous choisissons de partir sans nos parents afin de voir comment nous arrivons à nous gérer à la fois individuellement et en équipe » (Le rugby à l’espagnol) ;
« C’est la première fois que nous allons passer des vacances sans parent ou sans encadrant d’une structure extérieure. C’est donc également une occasion de développer notre sens des responsabilités » (Surf trip à Lacanau).
46Ainsi, les fonctions de surveillance souvent dédiées aux parents en particulier pour les mineurs, perdent de leur formalisme. Il s'agit d’ailleurs moins de surveiller que de veiller sur, au travers des temps de préparation organisés en amont avec les animateurs des structures partenaires engagées dans le cadre de l’accompa- gnement, et relayés ensuite via une régulation de l'individu par le groupe lui-même ou par le partenaire de voyage.
47Mais ce départ « sans les parents » n’est pas acquis pour tous les jeunes qui ont bien conscience des enjeux auxquels certains d’entre eux peuvent être confrontés.
« Nous avons organisé un repas avec tous nos parents pour les rassurer sur l’organisation et leur permettre de se rencontrer pour discuter du projet, leur dire que nous étions prêts » (Voyage à Platja d’Aro) ;
« Selon les familles, il faut commencer à en parler mais délicatement (…) on a dû ménager nos parents, c’est pas évident de laisser partir sa fille en autonomie, mais au final, quand ils ont bien compris le projet et que j’étais motivée, ils ont donné leur accord » (Carcans sans les parents).
48Pour d’autres, l’accord familial apparaît comme une évidence :
« Chacune en a parlé à ses parents, évidemment ils étaient d'accord et même enthousiastes qu'on prépare nos vacances nous-mêmes » (Les littéraires face à la mer).
49Les dynamiques d’apprentissage évoquées font référence d’une part à la liberté acquise, mais qu’il faut assumer :
« Au final, nous retiendrons de ces vacances ; liberté, bonne humeur, joie et nouvelles expériences ! » (Popo et les deux Gugusses à Bisca !),
50… tout autant qu’à la capacité d’affronter les petits soucis du quotidien, qui même s’ils sont parfois qualifiés de galères, sont très incorporés comme des expériences constitutives de l’autonomie :
« Un soir de galère avec les bus qui ne tournent pas toujours en respectant les horaires » (Vacances à Biarritz) ;
« Et là première galère, le bus qui devait nous amener à Lourdes nous refuse à cause du chien, même si on avait un billet ‘‘chien’’ » (Hello Sac Ados) ;
« Une nuit marquée au fer rouge, dans cette ville de pêcheurs toute mignonne dans le sud-ouest de la Norvège. En effet, nous avons dû dormir dans la rue, à cause d’un manque de place dans les auberges (donc la réservation est très importante !) » (The north escape) ;
« Il est compliqué voire carrément impossible en Allemagne pour les étrangers de payer par carte bancaire, qu'il s'agisse de magasins, restaurants, supermarchés, musées et expositions. Il faut donc penser à avoir pas mal de liquide sur soi et à passer à la banque » (Allemagne itinérante) ;
« Nous avons bien failli nous retrouver coincées à l’aéroport aux alentours de minuit. En effet notre vol avait du retard, nous ignorions qu’il y avait à nouveau un contrôle des papiers à l’arrivée et nous nous sommes un peu perdues » (Londres-Irlande) ;
« A l’arrivée dans l’aéroport, un passager de notre vol a échangé sa valise avec la nôtre. Petite crise de panique, nous avons quand même récupéré sa valise qu’il avait oubliée. Grâce à son numéro inscrit dessus, nous avons ensuite réussi à le joindre et à le retrouver » (Découverte en amoureux de l’île de Majorque) ;
« Il nous a été très difficile de trouver un camping acceptant six jeunes, majeurs et mineurs (…) Ce séjour nous a permis de découvrir le camping pour certains, nous avons dû faire face à des difficultés de tous les jours » (Vacances à Argelès-sur-Mer).
51Le voyage peut être également pensé lors de sa phase de conception comme une véritable mise à l’épreuve personnelle.
« Une première approche de la langue dans des situations de la vie de tous les jours permettra de mettre à l’épreuve ma capacité d’apprentissage » (Costa Brava entre amis) ;
« L’opération Sac Ados devrait donc me permettre d’acquérir un certain apprentissage de l’autonomie qui me servira dans ma vie future » (Vacances entre potes) ;
« Nous avons choisi de partir en autonomie et en groupe afin d'avoir un avant-goût de la vie adulte, une vie indépendante » (Découverte de Biarritz).
52Tout comme il peut l’être au retour :
« Ce voyage m’a prouvé que je suis capable de me débrouiller seul, à des milliers de kilomètres de chez moi dans une langue et une culture étrangère » (Voyage en Europe) ;
« Ce voyage nous a permis d’améliorer notre espagnol, d’apprendre à vivre en totale autonomie, tout en découvrant un autre pays et sa culture » (Découverte en amoureux de l’île de Majorque).
53Ces apprentissages sont également évoqués comme ceux liés à la capacité des jeunes à s’inscrire dans un espace de vie collective, à tolérer aussi l’autre dans cet espace :
« Etre maîtres de nos premières vacances en autonomie, sans adulte référent. Ainsi, nous pouvons faire nos propres choix de l'élaboration du projet (choix de la destination, du transport, du logement, etc.) jusqu'à son vécu. Ce qui implique une totale responsabilité lors du séjour face aux difficultés possibles. C'est important pour nous, à l'âge de la majorité, de nous sentir capables d'agir seules et ainsi indépendantes pour notre vie future » (Vacances à Soulac) ;
« Au-delà certes des vacances, cette expérience sera pour nous un moyen d'évaluer notre maturité. Nous devrons nous débrouiller seuls dans une station balnéaire que nous ne connaissons pas, nous devrons gérer un budget, mettre en place une organisation de fer, s'impliquer dans les tâches ménagères, avoir des contraintes et des droits, savoir faire des compromis. Bref, un petit entrainement pour la vie en société, tout adolescents que nous sommes » (Very good trip).
54Ainsi, le premier départ en vacances autonome est l’occasion de la mise en scène d’une dynamique qui implique d’une part la séparation familiale et « la liberté » qui en découle, et qui d’autre part, demande aux jeunes d’exercer leurs compétences afin d’affronter les petites « galères » du quotidien des séjours pour lesquels ils se sont préparés.
Partir, c’est choisir une destination
55Si l’intitulé de cette thématique peut apparaître comme une tautologie, le choix de la destination est un indicateur sensible du dispositif. Tout d’abord, la distinction France/Europe apparaît très discriminante en termes de public et de structuration du projet.
56Il y a ceux qui expérimentent un premier départ et qui se rassurent par la proximité de celui-ci :
« Nous souhaitions rester dans la région pour cette première expérience en autonomie complète » (Vacances à Soulac) ;
« La ville est assez proche de nos familles en cas de problème mais assez éloignée pour permettre un sentiment de liberté » (Very good trip).
57D’autres par contre ont déjà éprouvé leur capacité à vivre la mobilité voyageuse et s’engagent dans des projets plus ambitieux :
« Cet été nous avons décidé de partir à la découverte d’un lieu insolite, les Dolomites. Nous avons parcouru cet ensemble de géants de pierre d’auberge en auberge » (A la découverte des Dolomites).
58Comme pour les vacances familiales, les destinations balnéaires restent des valeurs sûres…
« Notre choix de destination s'est vite porté sur la mer avec ses plages, ses découvertes, ses sports et ses rencontres » (Vacances à Soulac),
59… tout autant que le potentiel festif qu’elles peuvent recéler :
« Nous sommes parties entre filles pour Lacanau Océan, bien décidées à passer une semaine de folie » (Laca'no pain no gain) ;
« C'est une ambiance assez folle qui se déroule lorsqu'on y est, les gens sont adorables, rigolent avec nous, sautent un peu partout, tout le monde est peace & love » (Concert & Plage).
60Ce n’est pas pour autant qu’offres culturelles et patrimoniales (musées, monuments, etc.) sont oubliées.
61Cette dialectique est d’autant plus marquée au niveau des projets européens. Alors qu’ils ont tout d’abord été portés (lors de l’expérimentation en 2014) par une première vague de départs tournée vers l’Espagne avec une mise en avant des aspects festifs, cette tendance originelle a évolué lors de la deuxième vague (2015) vers des projets soutenus par des étudiants et lycéens s’inscrivant plus nettement dans une perspective de découverte (approche culturelle des destinations au travers de la langue, des musées, des rencontres avec d’autres cultures, etc.) :
« Nous cherchons des régions correspondant à notre volonté de rentrer en contact avec la population tout en évitant les sites touristiques balnéaires » (Galice / Ericeira) ;
« Nous sommes parties à Madrid à la rencontre des centres sociaux autogérés dans la perspective de créer des liens avec des structures bordelaises » (Voyage à Madrid).
62Pour certains, la destination retenue s’inscrit dans une histoire familiale :
« Nous avons décidé de cette destination car nos parents y sont allés et en sont revenus émerveillés par la beauté de ses paysages » (Découverte en amoureux de l’île de Majorque).
63Parfois elle est liée à des relations amicales :
« Le choix de cette destination nous a été proposé par des amis qui ont déjà fait cette expérience » (A la découverte du Portugal).
64Ainsi, les motivations aux départs se partagent entre celles liées à la « dimension festive » des vacances et celles qui mettent en avant des intentions « émancipatrices ». Entre lâcher prise et utilitarisme, les temps vacanciers sont pour les jeunes autant d’occasions de vivre leur vie tout en agrégeant des connaissances et expériences originales.
L’importance de l’approche par le projet
65L’approche du dispositif par la démarche de projet implique les jeunes dans la préparation de leur séjour. Si certains sont en mesure de fournir un véritable road- book prévisionnel de leurs vacances incluant une programmation jour à jour, d’autres restent plus en retrait vis-à-vis de cette anticipation raisonnée, dans le sens où ils considèrent que la planification ne doit rester qu’un outil préparatoire et non devenir un programme devant coûte que coûte être réalisé.
66Cependant, les jurys qui attribuent les bourses restent très attentifs à la solidité des projets présentés. Du côté des jeunes, cela demande un investissement réel, durant plusieurs semaines ou mois :
« Nous avons entrepris ce projet dès le début de cette année » (Découverte de la Catalogne) ;
« Plusieurs étapes et démarches ont été nécessaires à l'organisation de ce séjour. Nous avons d'abord évalué le rapport qualité/prix pour l'hébergement et le transport, et c'est à partir de là que notre projet est né » (Vacances à Barcelone) ;
« Nous avons tous les trois travaillé ensemble sur ce projet avec la même implication. Ce projet nous tient à cœur et nous voulons montrer que nous sommes capables de partir en vacances sans parents ni accompagnateurs. Tel est notre défi ! » (Vacances sportives et touristiques en Pays de Loire) ;
« Nous nous sommes répartis les tâches quant à la préparation et à l'organisation de ces vacances. Une personne s'est occupée de rédiger le dossier, une seconde a chiffré le budget, une autre s'est occupée de la réservation du logement, une autre du transport et la dernière s'est informée de la disposition des lieux et des commerces » (Musique et arts) ;
« Partant d'une simple idée, j'ai pu au fil des mois affiner et clarifier ce projet. (…) Mon programme s'est construit progressivement. Les questions pratiques ont été approfondies : hébergement, transport, etc. J'ai ensuite abordé la question du financement. J'ai trouvé des solutions pour obtenir de l'argent par moi-même » (Voyage artistique à travers la France) ;
« Il s'agit donc dans un premier temps de se prendre en main, de penser, d'organiser et de mener à bien un projet par nous-mêmes. Ce départ nous oblige à nous responsabiliser, à aller “à la pêche” aux informations, à faire beaucoup de démarches (recherches, réservations etc.), à parler une autre langue que la nôtre, bref nous débrouiller seuls » (Interrail trip).
67Si certains arrivent facilement à entrer dans la logique de projet, d’autres peuvent par contre exprimer des difficultés, ne pas savoir faire empêchant de faire :
« Nous ne sommes jamais partis seuls en vacances et nous n’avons pas pu le faire avant en raison d’emplois du temps incompatibles, du manque de financement et du manque d’expérience en matière de conduite de projet » (Les bordelais au Portugal).
68Pour d’autres, l’expérience du projet vacances est vécue comme une formation/expérimentation qui permet d’acquérir des compétences. Celles-ci pourront ensuite être mobilisées lors de la mise en œuvre d’un projet plus ambitieux :
« Ce voyage à Porto est pour moi un gros challenge d'organisation qui me permettra j'espère de perfectionner mon propre projet à visée humanitaire » (Porto discovery).
69Mais dans tous les cas, le passage de l’intention à l’action implique la mobilisation de ressources financières et donc la réalisation d’un budget prévisionnel. Le dispositif Sac Ados ne prévoyant qu’une aide partielle aux projets vacanciers des jeunes (50 % maximum du budget prévisionnel), ceux-ci doivent trouver les ressources complémentaires afin de financer leur séjour :
Sustentation 1
Pause goûter
« Nous avions déjà prévu cette semaine avant d'avoir connaissance de l'existence du dispositif Sac Ados. Nous allons de plus travailler pendant l'intégralité du mois de Juillet, à l'effeuillage de la vigne dans les châteaux du Médoc pour financer une partie de notre projet » (Découverte de la Catalogne) ;
« Étant étudiante j'ai eu cette année l'occasion de travailler un peu en tant que baby-sitter et donc faire des économies pour financer mon voyage. Les partiels terminés, j'ai travaillé pendant deux semaines dans des petits magasins en ville » (A la découverte des Dolomites) ;
« Tout au long de ce travail, nous nous sommes impliquées en groupe, toutes ensembles. Nous avons constitué un budget limité car notre faculté d’autofinancement est faible et uniquement constituée d’économies sur notre argent de poche de l’année et sur des petits boulots durant l’été » (Vacances à la plage entre copines) ;
« Notre séjour sera financé par nos économies personnelles constituées grâce à des petits boulots (stage rémunéré à la banque, cours de mathématiques donnés pendant l'année). La famille participera également ainsi que l'aide sollicitée auprès du Conseil régional » (Alicante cuentamos tu historia) ;
« L'été dernier nous projetions déjà de partir ensemble mais nous n'avions ni la maturité ni les fonds nécessaires. C'est pourquoi nous avons économisé chacun de notre côté tout au long de l'année afin de le réaliser » (Interrail trip) ;
« Ce voyage, sans se priver, nous est revenu environ à 2000 euros. Nous avons mis environ un an à le préparer et l’organiser » (Tour d’Europe en 25 jours).
70Ainsi, entre le désir de partir en vacances et l’assouvissement de ce désir, la démarche de projet s’impose comme un passage nécessaire. Entre une conception aventureuse et aléatoire du projet de voyage, celle des explorateurs ou des voyageurs qui, à l’instar de Nicolas BOUVIER (1963), parcourent le monde en fonction des aléas du quotidien, et une conception rigoureuse et planifiée qui rigidifie le temps vacancier, les jeunes doivent trouver un équilibre tout autant que leur place. Il ne s’agit pas ici de dissoudre l’esprit « d’aventure » dans une rationalisation absolue de la « planification » ou de transformer, en référence aux propos de Stefan ZWEIG (1929), les voyageurs (libres de leurs choix) en voyagés (soumis à une organisation planificatrice) mais bien d’aider des vacanciers néophytes en leur donnant les moyens d’éprouver leur liberté d’action dans un cadre relativement sécurisé.
Pratiquer ou pas des activités ?
71A la question qu’avez-vous fait durant vos vacances ? les réponses sont assez peu tournées vers la pratique d’activités de consommation touristique de nature commerciale quand elles ne réfutent pas celles-ci :
« Nous ne souhaitons pas tomber dans la facilité et suivre au pied de la lettre les indications des fameux ‘‘pièges à touristes’’ » (Costa Brava entre amis).
72Lorsque ces activités sont évoquées, c’est souvent avec parcimonie ou pour décrire un environnement propice à leur pratique :
« Il y a tout pour plaire, piscine, salle de sport, terrain de tennis, basket, football et un supermarché et un restaurant très bon marché ! » (Séjour à Soulac) ;
« Nos journées se résument pour certains à la plage et pour d'autres au surf. Le soir, en ville avec d'autres jeunes. Nous avons été au restaurant une fois. » (Séjour à Soulac).
73Sûrement en correspondance avec les moyens financiers disponibles, les activités pratiquées sont plutôt de type détente, mobilisent le fait d’être entre soi, de faire des rencontres :
« Nous avions pour thème le repos et le bronzage et nous n'avons pas failli à nos engagements ! En effet, nos journées se composaient comme ceci : dodo, repas, dodo, plage, dodo, repas, dodo ! » (Camping au Cap Ferret) ;
« Notre semaine a été constituée de longues aprèm de détente sur la plage, d'une super soirée du 14 juillet, car manger une pizza en regardant le feu d'artifice avec ses copines c'est super top, et des nuits interminables sur la terrasse de notre location avec un paquet de cartes et de la bonne humeur » (Laca'no pain no gain) ;
« Le soir après le repas c'était balade nocturne, rencontre avec la jeunesse locale et sorties pour boire un verre à la tireuse » (Vacances à Biarritz) ;
« Donc en résumé nos vacances, c'était : farniente, escalade de la dune, foot, piscine, re-farniente, petite visite d'Arcachon et... Gros repas ! » (Beaux gosses à la plage).
74Pour d’autres, l’activité auto-organisée est au cœur du séjour, la randonnée, le surf ou le vélo sont le plus souvent mis en avant, mais il s’agit alors de jeunes déjà pratiquants, qui profitent de l’occasion donnée pour découvrir de nouveaux sites, pour s’affirmer dans une technique déjà relativement maitrisée :
« Dans le cadre d’un séjour axé sur le sport et la détente, les activités prévues sont de faire de la randonnée (Cirque de Navacelles, Cirque de Mourèze, Mont Liausson, Finestrettes) ; se baigner au Lac du Salagou ; visiter la ville de Montpellier ; passer une journée à la plage de Sète ; faire du Géocaching » (On va jouer les Hérault) ;
« Nous sommes allés voir le pont de Larrau, c'est parti pour une randonnée de 5 heures ! Paysages et verdure étaient au rendez- vous : cascades, montagnes, moutons, etc. Le lendemain, toujours aussi motivés par les randonnées et avec des courbatures en plus, nous avons fait les Gorges de Kakouetta » (La Pierre Saint Martin).
75La notion d’activité est aussi relative à une forme d’engagement volontaire considéré alors comme une source d’épanouissement :
« J’avais choisi d’être bénévole pour concourir à la bonne conduite du festival » (Embuzcade à Garorock) ;
« Nous nous sommes même proposés le troisième jour à faire du bénévolat aux sanctuaires, c'est-à-dire pousser les malades en fauteuil roulant » (Hello Sac Ados).
76Les visites culturelles et patrimoniales sont souvent présentes dans les programmes de jeunes :
« J’ai pris mes petits pieds et je suis parti dans l’idée d’écumer les musées » (Voyage artistique à travers la France) ;
« Nous avons visité quelques monuments de Barcelone, comme le Parc Guell, la Casa Batllo, la Sagrada Familia, Las Ramblas (Attention aux vendeurs pas toujours aimables et corrects !) » (Séjour en Catalogne) ;
« Nous avons traversé Londres à pieds et nous avons pu découvrir de nombreux lieux et bâtiments reconnus tels que Westminster Abbaye, London Eye, Regent’s Park, Trafalgar Square, Picadilly Circus, la cathédrale Saint Paul, le British Museum (qui est immense et gratuit), Tower Bridge ou encore Buckingham Palace (…). La ville de Dublin n’est pas très grande, il y a de nombreux musées à visiter, gratuits pour la plupart (musée d’histoire naturelle, musée d’archéologie, galerie nationale, etc.). C’est vraiment très sympa » (Londres-Dublin) ;
« A la fin de notre voyage en Allemagne, on retient que la mentalité et le mode de vie des Allemands semblent très différents, avec de nombreux endroits insolites où sortir et des villes très écolo où l'on se déplace essentiellement à vélo et où l’on profite des espaces verts » (Allemagne itinérante).
77Loin de mettre en avant la pratique d’activités de « consommation », les jeunes Sac Ados mettent l’accent sur l’importance d’être ensemble, de passer de bons moments de détente, d’apprécier le temps présent entre amis, bref insistent sur un ensemble de registres qui structurent ce que Gérard BLITZ appelle « l’êtreté » c’est-à-dire la libération du sujet.
L’univers sensible, une poétique du Sac Ados
78Les restitutions des jeunes et plus particulièrement les restitutions verbales appréhendées lors des entretiens approfondis sont de nature jubilatoire. Le séjour Sac Ados reste une expérience marquante, une première fois, un pas réalisé entre-soi vers un inconnu (de la destination, de sa capacité à assumer son autonomie, des rencontres possibles, etc.). Ces émotions vécues se traduisent dans certains comptes rendus par des envolées lyriques :
« Ô vertige estival de l’agenda enfoui au fond d’un sac de cours. Vertige de choix, mais que faire de ce temps libre ? Si certains aiment à s’alanguir sur le sable chaud qui exhale le monoï, d’autres à s’avachir sur le canapé dans les vapeurs d’alcool – voire à combiner les deux et trouver ainsi utilité au repos comateux bercé par le ressac des vagues – j’étais pour ma part las d’avance d’une telle répétition qui ressemble par trop à un abrutissement paradoxalement scolaire » (Un triangle en solitaire).
79Quand ce n’est pas le Slam qui vient donner toute sa puissance évocatrice au plaisir vécu et à l’envie de partage :
« On est parti de Bordeaux, c'était cool,
le train c'était full,
en arrivant à Marmande y avait foule,
y avait même quelques poules,
et on a croisé un roocool (…)
c'était complétement maboul,
un gros festival qui chamboule,
mais le lendemain tout s'écroule,
il faut rentrer et on traine la nouille
mais on en gardera de beaux souvenirs et des ampoules,
merci et salut c'était cool.
Au fait on est passé dans le journoul »
(Embuzcade à Garorock).
80Pour d’autres, c’est l’expression des affects qui domine. Les indices sont facilement repérables, les yeux qui pétillent lorsque l’on repense aux personnes rencontrées lors du séjour, il y a là des relations amoureuses explicites ou sous-entendues, des souvenirs de vacances qui invitent à reprendre contact avec celle ou celui rencontré, afin de revivre des moments idéalisés :
« De retour d'une merveilleuse semaine en amoureux » (Séjour en Catalogne) ;
« C'était une magnifique semaine, d’où nous sommes revenus riches intérieurement et culturellement, les gens nous ont montré d'autres facettes de la vie et maintenant nous voyons les choses d'une façon différente » (Hello Sac Ados) ;
« Nous remercions une fois de plus Sac Ados pour nous avoir permis de partir et de vivre des moments que l'on n'oubliera certainement jamais ! » (Camping au Cap Ferret) ;
« C’était une très belle aventure, que nous ne sommes pas prêtes d’oublier ! De plus vous l’aurez compris nous avons vraiment adoré l’Irlande, c’est une destination que nous vous conseillons vivement ! ! L’ambiance qui y règne et les paysages que vous pourrez y découvrir sont tout simplement merveilleux ! » (Londres-Dublin) ;
« Dès l’apparition du premier panneau ‘’SALOU’’ nous étions tous euphoriques, impatients… » (Salou, c’est nous !) ;
« Ça nous a fait beaucoup de bien cette petite excursion rien que tous les deux, on s'en souviendra toute notre vie » (Hendaye à deux) ;
« Cette expérience nous a énormément soudés et a également nourri l’envie de continuer à mener des projets ensemble » (Des tours à Edimbourg) ;
« Nous en avons profité au maximum et nous garderons de merveilleux souvenirs de ce pays, qui vaut vraiment le détour » (Un été en Finlande) ;
« Très heureux de notre périple qui fut vraiment une vague de fraîcheur et de nouveautés pour tout le monde, nous avons hâte de repartir l'été prochain ! » (Le Sud en long, en large et en travers).
81Les lieux découverts, la crique perdue, la colline sous le soleil, le refuge dans la vallée, etc., sont relatés comme autant de coups de cœur :
« Les îles Lofoten : si vous voulez vous échapper quelques jours au paradis, ces îles au-dessus du cercle polaire norvégien vous sont tout indiquées ! » (The north escape) ;
« Pour une demande en mariage ou faire craquer une inconnue rencontrée la veille (…) c’est parfait » (The north escape).
82Bien plus qu’une logistique, le séjour Sac Ados est considéré comme un moment de vie intense, vécu comme une révélation de soi, qui se partage en toute intimité ou se révèle, au-delà de toute pudeur, par l’intercession d’une « poétique du voyage ». L’« expression des affects » est puissante, et les paroles manquent pour dire cette histoire, fruit d’un effort et d’une résistance, telle une intensification de la relation des jeunes au monde.
Quel modèle d’interprétation ?
83Les différents jeunes sollicités dans le cadre de cette étude ont, chacun à leur manière, insisté sur l’empreinte du dispositif Sac Ados dans leur parcours de vie. Ils expriment en retour de leur expérience une grande satisfaction qui se traduit le plus souvent par un sentiment d’affirmation de soi :
« Le voyage m'apparaît comme porteur de nombreux enseignements » (Voyage artistique à travers la France).
84Ces temps vacanciers, passés en dehors du cadre quotidien, sont pour eux, autant d’occasions d’immersion dans une vraie vie d’adulte pour laquelle chacun doit assumer ses responsabilités. Ainsi, les jeunes mettent en avant l’utilité sociale des vacances, ici considérées comme des temps d’expérimentation de soi aux autres, de soi au monde, une pierre ajoutée à la construction toujours complexe d’un être humain.
85Les huit thèmes identifiés par analyse lexicale au début de ce chapitre (catégories descriptives de contenus), loin d’être monolithiques, sont traversés par des expériences parfois antagonistes, parfois complémentaires, qui montrent la complexité et la richesse de l’expression juvénile de pensées vacancières. L’esprit des vacances, tel que révélé par les paroles des jeunes et synthétisé dans le schéma présenté en suivant, n’est pas la vacance de l’esprit, pas plus qu’il ne se réduirait à une simple expression de la société de consommation. Bien au contraire, il présente toutes les caractéristiques d’un objet éducatif, tant les jeunes montrent combien les vacances peuvent être au centre de leur agir humain, tout autant qu’elles peuvent être, à leurs yeux, un agent actif de l’appropriation du monde. Mais au- delà des mots et des récits, nous ne pouvons passer ici sous silence la dimension jubilatoire de l’expression des jeunes lorsqu’ils parlent de leur séjour. Un enthousiasme communicatif, des yeux qui brillent, une envie irrépressible de partager leur expérience, ont accompagné chacun des entretiens réalisés. Les jeunes nous disent ici toute leur être-té, expriment en toute simplicité ce qu’ils sont capables de faire lorsque les adultes leur accordent leur confiance et leur laissent la liberté de la vivre.
Notes de bas de page
11 La modération des textes est assurée par la Région Nouvelle- Aquitaine, cette modération est limitée aux aspects orthographiques et syntaxiques et n'intervient pas sur le fond des textes. Il semblerait donc que les jeunes écrivent en toute conscience de la publicisation de leur texte et intègrent les contraintes de la socialisation de leur écrit.
12 Les plus jeunes de la génération « Y » âgés aujourd’hui de 20 à 25 ans et les plus vieux de la génération « Z » âgés aujourd’hui de 16 à 20 ans.
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L'animation, source de diagnostic
L'expérience d'un centre d'animation
Ramon Ortiz de Urbina et Jean-Luc Richelle
2013
Animation & économie sociale et solidaire
Aurélie Carimentrand, Marius Chevallier et Sandrine Rospabé
2017