Introduction : vacances et société
p. 11-16
Texte intégral
1Selon l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) les arrivées de touristes internationaux ont atteint 1,2 milliard en 2016, un chiffre en augmentation de 4 % par an depuis 2010. En France, en 2015, ce sont plus de 84,5 millions d’arrivées de voyageurs internationaux qui ont été enregistrées aux frontières, alors que durant cette même année, les Français réalisaient 23,8 millions de voyages à l’étranger et dans les DOM (sources DGE-SDT). Même si dans cet environnement de déplacements internationaux il ne faut pas confondre le nombre de voyages et le nombre de voyageurs (un voyageur pouvant effectuer plusieurs voyages), on ne peut que constater que le tourisme, fondé sur les activités et l’attrait des destinations (MITCHELL, 1991)1 est devenu un fait social total dans le sens où Marcel MAUSS l’entendait. C’est-à-dire, un objet dont la principale caractéristique est de concerner tous les membres d’une société et concomitamment de dire quelque chose sur chacun de ses membres.
2A ce titre et toujours en 2015, 74,8 % des Français sont partis en voyage pour motif personnel au moins une fois, ces départs agrégeant ceux réalisés dans le cadre d’un court voyage d’une durée de 1 à 3 nuitées (51 % des Français) et ceux motivés par un long voyage de 4 nuitées et plus (65 % des Français)2.
3Concernant plus spécifiquement les jeunes, au cours de cette même année, 60 % des 18-24 ans sont partis au moins une fois pour un long voyage de 4 nuitées ou plus pour motif personnel. Bien loin est donc le temps où Joffre DUMAZEDIER (1962) s’interrogeait sur l’émergence d’une civilisation des loisirs, le départ en vacances étant aujourd’hui intégré et partie prenante d’une méta-culture partagée (VIARD, 1998) au point d’être devenu une norme sociale (PERRIER, 2000 ; REAU, 2011 ; URBAIN 2002 ; etc.).
4Ainsi, ne pas partir en vacances apparaît comme un indicateur de précarité sociale, comme un vecteur de renforcement de la désaffiliation des désaffiliés (FLICHY, 2004). A contrario, les vacances en particulier et les temps libérés en général, par les opportunités de rencontres qu’ils offrent, peuvent permettre aux individus un investissement renouvelé dans l’espace social. Et ce, que ce soit sous forme d’engagement privilégiant l’action collective et le loisir réparateur, selon le champ des théories marxistes orthodoxes ou sous forme de pratiques multiples tendues par le désir d’équilibre, d’expression de soi, de culture et de consommation, d’enrichissement personnel, selon le champ des théories libérales (LANFANT, 1972). Partagés entre ces deux conceptions, certains travaux scientifiques montrent que ces temps libres sont dominés par des pratiques de divertissement essentiellement consuméristes (SUE, 1980 ; MOTHE, 1999, etc.), alors que d’autres, tel André RAUCH (1996) ou André GORZ (1993), considèrent qu’ils peuvent échapper partiellement aux logiques de marché. A ce titre, les temps libres seraient porteurs de qualités éducatives et émancipatrices, et pour les mettre en œuvre, il faudrait soutenir une réelle autogestion du temps et des horaires permettant à chacun d’ajuster ses plages de temps libérés à son projet ou à sa situation familiale dans le but de « développer une culture centrée sur les activités autodéterminées afin d’empêcher l’exploitation des gens par l’industrie du divertissement et des loisirs »3.
5Bien sûr, il ne s’agit pas de nier le poids économique des activités liées aux vacances, et ce n’est pas inconséquemment que le terme « industrie du tourisme » est abondamment employé pour parler d’un secteur qui représente en France près de 160 milliards d’euros de chiffre d’affaires soit plus de 7,2 % du PIB (DGE / Chiffres clés du Tourisme).
6Cette tension, autour de l’affirmation ou du déni de l’aspect éducatif des vacances est particulièrement sensible lorsque l’on considère les pratiques juvéniles. Ainsi de grands réseaux associatifs tels la Jeunesse au Plein Air (JPA) ou l’Union Nationale des Associations de Tourisme et de plein air (UNAT) font de cette dimension éducative une caractéristique distinctive de leurs projets face à ceux proposés par les opérateurs commerciaux. Pour ces acteurs associatifs, les temps vacanciers, tout autant que ceux de loisirs, sont appréhendés principalement comme des temps d’éducation propices à la construction des individus.
7Cet enjeu éducatif et de formation des individus a été théorisé par Joffre DUMAZEDIER (1962) qui attribue aux vacances trois fonctions réunies au sein de ce qu’il appelle le besoin d’équilibre :
le délassement, qui délivre de la fatigue ;
le divertissement, qui délivre de l’ennui ;
et le développement volontaire, qui délivre des automatismes de la pensée et de l’action quotidienne.
8Considérées selon cette troisième fonction (la plus importante mais la moins partagée selon l’auteur), les vacances offrent ainsi à chacun l’opportunité d’une émancipation personnelle en assouvissant ses besoins fondamentaux d’accomplissement, de pouvoir et d’affiliation (Mc. CLELLAND, 1961).
9Cependant, cette vision idéalisée sans doute du potentiel éducatif des vacances et plus généralement des loisirs est loin de faire l’unanimité tant la dimension sociale de ce qu’elles peuvent engendrer se dissout parfois dans des pratiques contestables. Ainsi, dans son ouvrage consacré à « La crise de la culture », Hannah ARENDT (1995, p. 226) n’a pas de mots trop durs pour qualifier le loisir : « La culture se trouve détruite pour engendrer le loisir. Le résultat n’est pas une désintégration, mais une pourriture ». De son côté Edgard MORIN (1965), observant les pratiques vacancières estivales, n’hésite pas à nous déclarer que « la grande valeur des vacances, c’est la grande vacance des valeurs ».
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10Sans vouloir nier ces débats idéologiques sur les intérêts et les limites des pratiques vacancières, nous souhaitons dans le cadre de cet ouvrage appréhender les sensibilisations en jeu et les apprentissages mobilisés durant les temps de vacances juvéniles et, de fait, analyser la dimension éducative de ces vacances. Pour ce faire, nous avons retenu comme objet d’étude le dispositif Sac Ados en Régions Aquitaine (2006- 2016) et Nouvelle-Aquitaine (2017) qui accompagne méthodologiquement et aide financièrement les jeunes âgés de 16 à 25 ans pour un premier départ autonome en France ou en Europe.
11Après une première partie descriptive qui présente des données nationales et régionales concernant le dispositif Sac Ados, la deuxième partie appuyée par une démarche d’analyse lexicale et linguistique met en avant la « parole des jeunes » et tente de modéliser celle-ci afin d’en extraire les principaux éléments structurants. La troisième partie de l’ouvrage est l’occasion de mesurer les niveaux d’engagement et les enjeux des deux autres acteurs essentiels impliqués dans le voyage des jeunes : les structures d’accompagnement qui assurent la préparation au départ et bien sûr les parents sans lesquels celui-ci ne serait pas possible, en particulier pour les jeunes mineurs.
Notes de bas de page
1 « Temps, lieu et activité - time, place and activity » Lisle S. MITCHELL (1991) Department of Geography University of South Carolina, Columbia, SC, USA.
2 Source « Les chiffres clés du Tourisme », Etudes Economiques, Editions DGE, 2016.
3 GORZ André, 1993, Bâtir la civilisation du temps libéré, http://www.monde-diplomatique.fr/1993/03/GORZ/45105
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