Éducation Populaire, Animation et ESS
p. 37-58
Texte intégral
1En théorie, l’ESS consiste à agir collectivement pour transformer la société, à « entreprendre » conformément à des valeurs pour trouver des réponses à des problématiques socioéconomiques comme la protection sociale, le commerce équitable local et international ou encore l’accueil des réfugiés. Pour nous13, la convergence de l’animation avec l’ESS est évidente et il nous paraît primordial de former les animateurs à l’ESS afin de favoriser la multiplication de ces initiatives citoyennes dans un contexte de « retour » de la question sociale. Les animateurs14 d’aujourd’hui, que l’on dit « héritiers de l’EP », ne seraient-ils pas également les « héritiers de l’ESS » ? Ou plutôt, ne seraient-ils pas les dépositaires d’un héritage commun à ces deux grands mouvements : la culture de l’émancipation ?
2Le second chapitre propose tout d’abord de découvrir les proximités entre les organisations de l’ESS et celles de l’éducation populaire afin de mieux comprendre ces deux filiations de l’animation et leur résonance actuelle (2.1). Il interroge ensuite la formation des animateurs en ESS au sein des formations universitaires spécialisées (DUT Carrières Sociales) (2.2)15 .
ESS et éducation populaire : une culture commune de l’émancipation
3Indissociables à leurs débuts, les initiatives relevant de l’éducation populaire et de l’économie sociale et solidaire se sont peu à peu autonomisées jusqu’à devenir deux champs à part entière. Malgré la proximité de leur histoire, de leurs finalités et de leurs pédagogies, le rapprochement entre l’ESS et l’éducation populaire ne va donc pas toujours de soi. Si l’économie sociale et solidaire est définie comme « un mode d’entreprendre différent » (article 1 de la loi de 2014 sur l’ESS), l’éducation populaire peut en miroir être définie comme un « mode d’éduquer différent ». Certains théoriciens considèrent que l’ESS constitue une composante de l’éducation populaire16. D’autres estiment à l’inverse que c’est l’éducation populaire qui fait partie de l’ESS. Peu importe l’approche, l’important est de souligner ici la proximité entre les systèmes de valeurs de ces deux mouvements et la complémentarité de leurs pratiques. Ces deux mouvements – ESS et EP, sont hétérogènes, certes. Et pétris de contradictions ! N’empêche : dans leur vision idéalisée, l’ESS et de l’EP partagent le même dessein politique de transformation sociale, de construction d’autres rapports sociaux, économiques et politiques entre les individus :
4« En s’appuyant sur les transformations actuelles de la société (notamment le paradigme coopératif et les logiques de réseau), elle [l’ESS] met les individus en situation d’innover, de repenser concrètement les rapports entre le social, l’économique et le politique et par là-même de dépasser dans une nouvelle configuration économique les contradictions et les antagonismes qui traversent notre société » (Maurel, 2011, p. 121). Pour Jean-Marie Mignon (2007, p. 223) « l’économie solidaire […] est, par sa pédagogie de la solidarité avec l’autre, une démarche d’éducation populaire ». Et pour Pena-Ruiz, c’est une « pédagogie de la défatalisation de ce qui advient… de la lucidité, de la résistance à tout un vocabulaire qui concentre en lui les mystifications d’un jour et les puissants du moment » ; c’est « une pédagogie de l’initiative citoyenne » (in Maurel, 2011, p. 120). L’émancipation des personnes (aussi appelée puissance d’agir ou empowerment) est également une finalité forte de ces deux mouvements. « En visant à développer les capacités d’expression et de prise de parole, de participation au débat public et d’autonomie », l’ESS rejoint des principes essentiels de l’éducation populaire (Neyret, 2006, p. 14).
L’EP, volet éducatif et culturel de l’ESS ?
Petit détour par le 19ème siècle
5La question du lien entre l’ESS et l’éducation populaire se pose en fait très tôt, dès le 19ème siècle avec la naissance des mouvements d’éducation ouvrière (bibliothèques ouvrières, clubs ouvriers, universités populaires, etc.) (Demoustier et Wilson-Courvoisier, 2009). Historiquement, qu’il s’agisse du courant laïc ou du courant catholique, l’éducation populaire a pu être appréhendée comme le volet éducatif et culturel de l’économie sociale et solidaire17. En même temps qu’elles expérimentaient un rapport renouvelé à la répartition des revenus et du pouvoir au sein de leurs organisations, les associations de production et de consommation du 19ème siècle ont également organisé des cours et conférences, construit des théâtres, des bibliothèques, publié des journaux…
6Jean-François Draperi (2009) rappelle que le journal coopératif français fondé en 1886 par Charles Gide* (économiste militant pour la « république des coopératives », grande figure de l’économie sociale) s’intitulait « L’Emancipation ». L’école libre de Célestin Freinet*, l’éducation populaire de Georges Dumazedier* ou encore la pédagogie des opprimés de Paulo Freire18* se réfèrent toutes à ce terme. Les préoccupations paraissent donc bien communes, du moins entre certaines initiatives de l’un et l’autre de ces deux grands mouvements.
7N’oublions pas que le 19ème siècle est marqué par les révoltes ouvrières mais aussi par la répression. Sous la Restauration (1814-1830) et la Monarchie de Juillet (1840-1848), le terme d’éducation populaire renvoie plus humblement aux initiatives d’instruction et de moralisation du peuple initiées par des élites. Ces premières initiatives tiennent pour certaines de la « préhistoire » de l’éducation populaire. Elles ne visent pas encore à transformer l’ordre social mais plutôt à améliorer le niveau de formation scientifique et technique des ouvriers et futurs ouvriers afin d’assurer le progrès économique et social de la société (Christen, 2013). L’expression d’une éducation « du peuple par le peuple » n’est pas encore à l’ordre du jour. Alors que la France commence à s’industrialiser, des cours sont dispensés gratuitement au « peuple » par des membres de l’élite bourgeoise19.
8A l’opposé de ces pratiques pionnières et « éducationnistes » de l’EP, les premières associations qui se créent pour améliorer les conditions matérielles des ouvriers sont indissociables d’un effort de conscientisation politique de leurs membres. S’il s’agit de former des collectifs afin de travailler hors des systèmes dominants d’exploitation, la dimension éducative et culturelle est bien présente. Elle apparaît même comme une condition nécessaire. Un certain nombre de réalisations émanant des « socialistes utopiques* » et de leurs disciples en attestent :
9Etienne Cabet, penseur du « communisme icarien » (dont nous avons parlé dans le premier chapitre de ce livre) a présidé l’association pour l’éducation gratuite du peuple de 1832 à 183420 qui sera victime de la loi du 10 avril 183421. Mais la répression est trop forte et il s’exile en Angleterre. Afin de diffuser ses idées, il fonde à son retour en France le journal « Le Populaire »22, et participe à l’ouverture de bibliothèques à Paris et à Lyon (Elmir (2005), cité in Morvan, 2011) ;
les fouriéristes (disciples de Charles Fourier) ont également fondé leurs propres écoles, leurs cercles d’instruction et leur journal : « La rente phalanstérienne » ;
Charles Gide* présida à la transformation nominative de la « Société d’Economie Populaire » de Nîmes en université populaire (Cacérès, 1964). Plus généralement, les deux tiers des créations d’universités populaires sont d’origine ouvrière (Mercier, 1986) ;
les grandes coopératives de consommation utilisaient leurs bénéfices pour faciliter l’accès à la culture, comme en témoigne la création du théâtre de l’Union construit par la coopérative ouvrière l’Union de Limoges. La Bellevilloise, coopérative ouvrière de consommation parisienne qui compta jusqu’à 15 000 sociétaires, a hébergé et a subventionné l’université populaire La Semaille ;
le familistère de Guise (Aisne), créé en 1859, comprenait une école laïque (gratuite et obligatoire jusqu’à 14 ans), un théâtre, une bibliothèque, une piscine, des cours du soir...
10Et inversement, des mouvements d’éducation populaire se sont engagés dans le champ de l’économie. Parmi d’autres :
l’université populaire « la Solidarité du 13ème » à Paris a fondé une coopérative de consommation « la
Solidarité des travailleurs » ;
« L’Education Sociale de Montmartre » a conçu un projet d’habitations hygiéniques à bon marché qui abrita un restaurant coopératif et une société coopérative de consommation, « la Prolétarienne du 18ème » (Mercier, 1986) ;
le mouvement d’éducation populaire catholique du Sillon milita pour la démocratisation de l’entreprise. Il réclamait la possession des instruments de travail par les travailleurs et comptait sur la coopération pour éduquer les jeunes.
11Ces initiatives « primitives » d’EP et d’ESS partageaient une vision holiste de leur champ d’action : les initiatives dites d’« économie sociale » ne se restreignaient pas à la dimension économique et les initiatives dites d’EP ne se restreignaient pas à l’éducation et à la culture. Et les unes comme les autres intégraient une dimension politique.
Et aujourd’hui ?
12Les familles de l’éducation populaire et de l’ESS peinent à conserver cette proximité historique : certaines structures de l’ESS ont perdu de vue leurs missions d’éducation tandis que rares sont les associations d’EP à s’engager dans le champ économique. Difficile donc de tisser les fils ! Une dynamique de réaffirmation de ces liens est pourtant à l’œuvre. D’après une enquête auprès d’acteurs de l’éducation populaire, 84 % des participants estiment que « l’éducation populaire doit s’assumer comme une composante de l’économie sociale et solidaire23 ».
13La dimension pédagogique incluse dans les démarches d’ESS devrait également permettre de perpétuer la proximité avec l’éducation populaire. Les volets éducation et formation sont profondément ancrés dans l’ESS, comme en témoigne le cinquième des principes coopératifs de l’Alliance Coopérative Internationale (ACI, 1995) : « Les coopératives fournissent à leurs membres, leurs dirigeants élus, leurs gestionnaires et leurs employés l’éducation et la formation requises pour pouvoir contribuer effectivement au développement de leur coopérative. Elles informent le grand public, en particulier les jeunes et les dirigeants d’opinion, sur la nature et les avantages de la coopération ». L’expérience associative ou coopérative devrait donc permettre l’acquisition de savoirs et compétences. Mais dans la pratique, on constate que de nombreuses structures de l’ESS souffrent d’un déficit d’animation de leur vie associative, coopérative ou mutualiste. La création d’une association24 représente bien souvent l’adoption d’un statut juridique avantageux plus qu’une réelle adhésion aux valeurs véhiculées par le mouvement associationniste. Les démarches d’adhésion des membres qui vont ensuite grossir les rangs du collectif fondateur peuvent également perdre de leur sens initial. « L’acte d’adhésion à l’association devient de pure forme. Il ouvre l’accès aux services proposés plus qu’un engagement dans un projet » (Rousseau, 2002). On est donc généralement bien loin de l’ambition d’une organisation collective comme contre-pouvoir vis à vis du binôme libéralisme /étatisme ! Faute de réel engagement au sein des structures et faute de formation à l’ESS, c’est la vie démocratique de nombreuses structures de l’ESS qui est aujourd’hui mise en péril. On observe toutefois une volonté de redynamiser les sociétariats des associations, coopératives et mutuelles (Chevallier, Legros, 2016 ; Caire, Chevallier, 2017). Celle-ci se manifeste parfois par la création d’emplois dédiés25. Si la taille des structures tend à nuire au fonctionnement démocratique des organisations (c’est pourquoi l’essaimage des initiatives est préférable à la croissance26), de petites structures sont également touchées (Lemoine-Warin, 2016).
14La situation d’éloignement entre ces deux champs complémentaires que sont l’ESS et l’EP peut également s’expliquer par l’hétérogénéité des acteurs, qui constitue une préoccupation parallèle. L’hétérogénéité observée dans le secteur de l’ESS (chapitre 1) se retrouve également dans le champ de l’éducation populaire. L’EP apparaît aujourd’hui divisée entre les grandes fédérations historiques d’éducation populaire, les associations nationales mobilisant les citoyens sur de grandes questions de société (ATTAC, le DAL, etc.) et les associations et collectifs citoyens locaux militant pour le respect des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux (DESCE). Les grandes fédérations d’EP (CEMEA, FRANCAS, Ligue de l’Enseignement, fédération des AROEVEN, EEDF, l’AFEV...) sont agréées par les pouvoirs publics et spécialisées dans la culture et l’organisation des loisirs et des vacances : c’est l’Education populaire « avec un grand E » (Mesnil, Morvan & Storaï, 2015). Depuis le début des années 2000, les valeurs de l’EP sont de nouveau convoquées, questionnées, voire revendiquées27. L’écart entre des valeurs revendiquées et une pratique beaucoup plus banale qu’affichée constitue une source de désillusions pour bon nombre de militants. De même qu’une nouvelle économie solidaire est venue réveiller l’ancienne économie sociale instituée, une nouvelle éducation populaire vient bousculer ce secteur avec une vision beaucoup plus radicale qui renoue avec ses fondements historiques (visée de transformation de la société, réappropriation par les citoyens du politique et de l’économique...). On observe par ailleurs la création d’une nouvelle génération de structures d’EP28 sous la forme de SCOP (sociétés coopératives et participatives) qui illustrent un des aspects du renouveau des liens entre ESS et EP.
15Alors que l’Education populaire « avec un grand E » revendique son appartenance au champ de l’ESS - les grandes fédérations sont par exemple membres de l’ESPER29 (L’économie Sociale Partenaire de l’Ecole de la République), les associations plus petites et plus radicales de l’EP, privilégiant leur projet politique et éducatif, se sentent souvent étrangères à la sphère économique et ne se reconnaissent pas dans la terminologie « ESS », qu’elles jugent dévoyée. C’est aussi le rapport à la dimension économique des activités voire à « l’argent », au « profit » qui peut entrer en jeu. Les acteurs de l’EP auraient un réel travail à faire par rapport à la notion de profit et à tout ce qui a rapport à l’économie. Les bénéfices réalisés au sein des associations (appelés « excédents », non distribuables) permettent d’assurer la pérennité de la structure. Mais, selon un témoignage recueilli dans le cadre d’une enquête auprès des acteurs de l’EP, quand on aborde ces thèmes, il y a toujours des choses qui tiennent du « propre » et de « l’impropre » (Marquet, Barreira, Cevaer, 2007). Finalement, former les animateurs à l’ESS pourrait participer du renouveau des liens entre EP et ESS. Cela pourrait permettre de réduire les écarts entre utopie et réalité et faire essaimer les initiatives économiques citoyennes sur différents territoires.
Former les animateurs pour (ré)affirmer les convergences entre ESS et animation
16Nous avons vu que les valeurs de l’ESS étaient cohérentes avec celles de l’EP et que ces deux champs d’action s’avéraient donc complémentaires. Comptetenu des contradictions caractéristiques au champ professionnel de l’animation sociale et socioculturelle, issu de l’EP, il s’agit à présent de démontrer l’intérêt pédagogique – et plus largement sociétal – de former les futurs animateurs à l’ESS dans le cadre des IUT Carrières Sociales.
La création de formations universitaires pour les animateurs professionnels au sein du « système d’animation »
17L’animation sociale et socioculturelle peut être considérée comme la forme institutionnalisée de l’Education populaire (Morvan, 2011). Le « système d’animation », qui s’enracine dans les années 60, est issu d’un compromis entre l’Etat et les acteurs de l’éducation populaire. Alors que l’éducation populaire constitue un « mouvement social fondé sur le bénévolat et le militantisme et animé par des instituteurs, des prêtres, des dames patronnesses, des syndicalistes, des militants politiques et autres acteurs de l’intermédiation », la constitution du « système d’animation » est marquée par le renforcement de l’Etat et des collectivités locales, une forte dépendance vis-à-vis des financements publics et par une certaine dépolitisation (Augustin et Gillet 2000, p. 16).
18Ce système marque une « rupture de sens » au profit d’un projet d’intégration sociale de la jeunesse qui met à distance leurs valeurs politiques et/ou religieuses (Richelle, 2012). S’ensuit une « paupérisation idéologique » de l’animation professionnelle, un « évitement paradoxal » de la confrontation entre les valeurs militantes issues de l’éducation populaire et les valeurs liées à la professionnalisation (qualité, efficacité, bonne gestion, etc.) (Bresson, 2002). C’est dans le contexte de la naissance du « système d’animation » que sont créées les premières formations pour les professionnels de l’animation sociale et socioculturelle30 : 1964 pour ce qui est du Ministère de la Jeunesse et des Sports avec le DECEP (diplôme d’État de conseiller d’éducation) et 1967 pour l’Université. C’est Robert Escarpit qui est alors chargé de piloter la création de cette formation pionnière qui donnera naissance au premier département Carrières Sociales à l’IUT B de Bordeaux - devenu IUT Bordeaux Montaigne (Augustin, 2010). Cinq autres départements Carrières Sociales sont créés à la fin des années 60 et début des années 1970 : Lille, Paris, Tours, Grenoble et Rennes. A Rennes, en 1969, ce sont des militants associatifs et politiques, des praticiens et théoriciens des pédagogies alternatives (Mouvement C. Freinet entre autres), des militants de l’Education populaire (Peuples et Cultures, MJC, etc.) qui vont mettre en place une formation faisant la part belle, ici comme à Bordeaux, à la forte implication (l’investissement, dirait-on maintenant) des "étudiants" dans leur formation. Ce sont donc des promotions d’animateurs politiquement mûris qui vont aller dans les cités non pas pour expliquer ou montrer mais pour faire prendre conscience au plus grand nombre de leur force et de leur créativité individuelles et surtout collectives. Localement le combat va être rude pour résister à l’institution universitaire une fois que celle-ci aura digéré la période post soixante-huit. Cela va durer une dizaine d’années avant que la "machine" étatique ne reprenne la main via une pédagogie et un fonctionnement universitaire plus "conventionnels". Dans les années 90, l’offre de DUT CS ASSC s’est fortement accrue, passant de 6 IUT délivrant cette formation à 14 et les candidats sont majoritairement des néo-bacheliers.
Quelle place pour l’ESS dans la formation universitaire des animateurs ?
19Le premier programme pédagogique élaboré par l’équipe bordelaise a globalement été repris par la Commission Pédagogique Nationale (CPN). Ce programme est révisé périodiquement. A la lecture du programme actuel des IUT Carrières Sociales (PPN 2013), la concordance des valeurs et les filiations avec l’éducation populaire continuent d’apparaître. On peut également y trouver une certaine résonance avec les valeurs de l’ESS. Les animateurs sont en effet formés pour être en mesure de « valoriser l’initiative et l’expression culturelle des personnes, des groupes, des communautés. Ils suscitent la prise en main de leurs problèmes par les personnes elles-mêmes et promeuvent l’exercice de leur citoyenneté ». « [L’animateur] contribue à la promotion des personnes, promeut leur autonomie et mobilise leur capacité d’organisation collective » (PPN 2013, p. 6). Par ailleurs en 2001, l’offre publique de réflexion sur l’avenir de l’éducation populaire mettait en avant la nécessité d’ « introduire une éducation critique sur l’économie dans les formations des animateurs […] avec une démarche d’éducation populaire pour donner des contenus d’analyse sur la compréhension des mécanismes économiques et la marchandisation » (Lepage, 2001, p. 91). Alors que ces contenus sont historiquement enseignés à Bordeaux et à Rennes, il faut attendre 2013 pour voir apparaître la notion d’ESS dans le Programme Pédagogique National (PPN) du DUT Carrières Sociales et voir reconnue la compétence spécifique de l’animateur à « développer des projets d’éducation à l’environnement valorisant […] l’économie sociale et solidaire, dans une perspective de transformation sociale des territoires »31. Un module « Politiques économiques contemporaines : les dynamiques de marché » fait explicitement référence à l’ESS en posant parmi ses objectifs « Acquérir des connaissances sur l’économie sociale et solidaire ». Comme le montre une enquête que nous avons réalisée auprès de nos collègues (Carimentrand et Rospabé, 2014), dans la pratique l’ESS est également abordée dans la plupart des IUT CS par le biais de disciplines autres que l’économie (droit, gestion, sociologie, psychologie,…) et sur des thématiques variées : l’histoire de la pensée économique, les différentes organisations de l’ESS (associations et SCOP principalement), les principes généraux de l’ESS, les politiques de lutte contre les exclusions, le bénévolat, l’insertion professionnelle etc.
Quelle place pour l’animation professionnelle dans le développement de l’ESS ?
20Reste à savoir quelle place pourrait prendre l’animation professionnelle dans « le développement de l’ESS, de l’esprit coopératif, de modes de production alternatifs remettant en cause les rapports hiérarchiques, autoritaires et strictement marchands qui règlent les rapports de travail et de production de la grande entreprise industrielle » (Maurel, 2011, p. 52). Selon Jean-François Draperi (2011, p. 194), l’éducation populaire « continue d’être le lieu privilégié d’éducation politique à l’économie sociale ». L’éducation à l’ESS constitue selon nous un champ d’action à investir pour les animateurs socioculturels (voir le troisième chapitre de ce livre). Ils peuvent également accompagner voire susciter la création de structures de l’ESS pour améliorer les conditions de vie des populations et sensibiliser à la consommation responsable : SEL (Systèmes d’échange locaux), épiceries sociales, AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne), coopératives de consommateurs voire coopératives intégrales (comme la Coopérative Intégrale Catalane)… bref proposer des solutions concrètes et ambitieuses (voire radicales !) aux problèmes économiques des publics qu’ils accompagnent (sans se limiter au champ – très réducteur - de l’insertion par l’activité économique). Plus modestement, ils peuvent organiser des évènements ponctuels de type gratiferia (ou zones de gratuité), disco soupes…
21Dans le Sud de l’Europe durement touché par la crise économique depuis 2008 (Grèce, Espagne, Italie, etc.), de nombreux centres sociaux autogérés ont développé de multiples services pour subvenir aux besoins croissants de leurs membres dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’alimentation, du logement, du crédit…
22Voici deux exemples de structures mêlant ESS et animation.
L’AMAP & l’Université Populaire de Saint Denis
Selon le mouvement inter-régional des AMAP, on dénombre 2000 AMAP en France en 2016. Même si la dynamique varie d’une AMAP à l’autre, l’objectif n’est pas seulement de s’engager au sein d’un collectif de consommateurs à pré-commander des « paniers » de légumes afin de soutenir un paysan local (il existe aussi des variantes avec les œufs, le poisson, le fromage…). La charte des AMAP32 affirme en effet que les amapiens et paysans associés s’engagent à respecter et faire vivre « une participation active dans une démarche d’éducation populaire » et certaines AMAP réussissent à salarier des animateurs33. L’AMAP Court-circuit, en lien avec l’Université Populaire de Saint Denis, est particulièrement représentative de cette démarche. Cette expérience est relatée dans l’ouvrage d’Hugues Lenoir : « Une AMAP dans le 9-3 : l’AMAP Court-Circuit - Une expérience d’éducation populaire en milieu libertaire » paru en 2014 aux éditions Libertaires.
L’Eusko, une monnaie pour animer le territoire
Comme le rappelle Jérôme Blanc, spécialiste des monnaies locales, « les projets monétaires associatifs sont d’abord des projets contestataires à prétention transformatrice » (Blanc, 2015). C’est le cas de l’Eusko, monnaie locale lancée en janvier 2013 au pays basque et devenue la première monnaie locale en France. Début 2017, plus de 3000 personnes et 660 entreprises, commerces et associations utilisent l’Eusko sur le territoire dans le respect de la charte qui met l’accent sur : (1) la relocalisation de l’économie et les dynamiques locales ; (2) la promotion de la langue basque ; (3) la solidarité entre commerces, entreprises, associations et producteurs locaux ; (4) des pratiques plus sociales et plus écologiques. Cette initiative citoyenne a permis de créer 11 emplois. De multiples expériences de réappropriation citoyenne de la monnaie existent de part le monde, parmi les plus connues Las Palmas (Brésil), la livre de Bristol (U.K) ou encore le Chiemgauer (Allemagne). En France, le manifeste pour les monnaies locales complémentaires citoyennes (MLCC) a pour ambition de « traduire une vision transformatrice pour assurer des transitions vers un mode de vie juste et soutenable ».
Notes de bas de page
13 Mais pas seulement ! En novembre 2016, le Journal de l’Animation consacrait son dossier pro au thème suivant : « L’économie sociale et solidaire : partenaire ou sœur de l’animation ? » (Contassot, 2016)
14 Dans ce chapitre, le genre neutre est le masculin.
15 Certains éléments de ce chapitre sont tirés de Carimentrand et Rospabé (2014) et Rospabé, Maunaye et Le Breton (2017).
16 Par exemple Georges Fauquet, dans son ouvrage sur le secteur coopératif (1935).
17 Et plus largement de l’ensemble du « mouvement ouvrier » (qui au-delà de l’ESS inclue les syndicats et partis politiques qui défendent les intérêts des ouvriers).
18 [Pour cette édition électronique, cette note est laissée vide pour respecter la numérotation de la source imprimée.]
19 Dans un contexte politique tendu, l’Association Polytechnique, née après les barricades des « trois glorieuses » de juillet 1830 développera ainsi son œuvre dans une optique résolument apolitique, se recentrant sur les sciences dites positives (géométrie, astronomie...) autour de la figure d’Auguste Comte. C’est également le cas de l’Association Philotechnique.
20 Cette association est née suite à des divergences d’opinion politique entre les enseignants de l’Association Polytechnique. Plusieurs enseignants, et notamment Victor Lechevalier, qui dispense des cours d’histoire politique, font l’objet d’une surveillance policière pour opposition au régime en place.
21 Cette loi durcit l’article 291 du code pénal de 1810 soumettant à autorisation du gouvernement toute association de plus de 20 personnes : les infractions sont à présent jugées par le tribunal correctionnel et sont passibles de lourdes amendes.
22 2745 souscripteurs en 1846 pour « Le Populaire » et 1440 pour « la Rente phalanstérienne ».
23 « Il faut tout de même noter que les bénévoles votent blanc à 20 %, que les administrateurs le font à 12 % et que les dirigeants votent blanc à 9,1 % et sont mitigés à 18,2 %. Seuls les salariés approuvent à 100 % » (Marquet, Barreira, Cevaer, 2007)
24 D’après les enquêtes menées par Viviane Tchernonog et ses collègues (2013), on dénombre en France sur la période récente une moyenne de 68 000 créations annuelles d’associations (soit un solde net annuel d’environ 33 000 associations, compte-tenu des dissolutions).
25 Par exemple la banque coopérative La Nef (Nouvelle économie fraternelle).
26 Se référer au dossier du numéro 444 d’avril 2016 de la revue S !lence consacré à la question de la taille dans les coopératives. Cette stratégie d’essaimage permet également de mieux adapter les initiatives aux ressources et contraintes des différents territoires.
27 Par exemple par le collectif « I love éduc pop », http://www.iloveeducpop.fr/
28 Les SCOP d’éducation populaire de la Grenaille – à savoir la SCOP Le Contrepied de Rennes, L’engrenage de Tours, L’orage de Grenoble et Le Vent Debout à Toulouse.
29 L’ESPER est une association rassemblant 46 organisations de l’ESS agissant dans le champ de l’Ecole et de la communauté éducative. On peut aussi noter ici que la fédération des centres sociaux de gironde, parmi d’autres, propose désormais à ses adhérents des formations sur l’ESS.
30 Comme nous l’avons précisé en introduction, nous n’abordons pas ici la question des diplômes non professionnels tels que le BAFA.
31 À notre connaissance, la notion est également présente dans certaines formations Dejeps de même niveau (III) que le DUT et dans le Desjeps de niveau II. Mais il n’existe pas de programme national officiel aussi détaillé que pour les DUT.
32 Il s’agit du principe 4 de la charte de 2014.
33 Généralement en contrats aidés à durée déterminée.
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L'animation, source de diagnostic
L'expérience d'un centre d'animation
Ramon Ortiz de Urbina et Jean-Luc Richelle
2013
Animation & économie sociale et solidaire
Aurélie Carimentrand, Marius Chevallier et Sandrine Rospabé
2017