Conclusion : la place de l’éthique
p. 57-60
Texte intégral
1Dans le cadre de cette réflexion exploratoire, nous avons montré en quoi la fonction d’animateur-coordinateur, parce qu’elle est source de négociation, d’ajustement, de représentations concurrentes, de traductions et de « trahisons », autant que de risques de conflits ou d’instrumentalisations, pose la question de ses identités, de ses légitimités interne et externe. Ainsi le coordinateur (appellation inspirée de la notion philosophique de « l’ordination » qui fait écho à un processus d’intégration22 dans un courant de pensée), plus encore que le coordonnateur (dont l’appellation fait référence au sens hiérarchique de l’ordonnance23) reste un personnage aux réalités professionnelles multiples et complexes. Celles-ci (qui renvoient à une valeur narrative de récits détaillés sur les pratiques) alimentent la dimension symbolique de la fonction de coordination (organisée le plus souvent autour de représentations positives de celle-ci).
2A ce titre, et pour poursuivre les métaphores mythologiques, le coordinateur peut également incarner la figure de Protée, héros de l’Odyssée. Comme ce dieu marin du panthéon grec qui avait le pouvoir de se métamorphoser et était doté du don de prophétie, on demande au coordinateur d’assumer une double compétence :
- La première de ces compétences requiert des qualités en termes de savoir-faire concernant la mise en œuvre, le suivi et la gestion d’actions variées. Il s’agit de qualités managériales, politiques ou opérationnelles qui traduisent bien la dimension protéiforme du coordinateur ;
- La seconde compétence est quant à elle de nature conceptuelle, orientée vers le futur, elle demande des qualités de sur-adaptation, car il s’agit de penser dans une perspective téléonomique, visionnaire, le projet d’intervention sociale.
3Enfin, en même temps que le coordinateur chemine, parfois difficilement, entre les figures symboliques de Legba et de Protée, se présente une opportunité de réintégrer la question de l’axiologie. Car avec la coordination se pose la question des « actions communes » (THEVENOT 1993) qui poursuivent un même but sociétal. En l’absence d’une déontologie codifiée, l’impératif éthique ressort comme crucial pour les coordinateurs de l’animation.
4En effet l’éthique, qui est à la fois de l’ordre de la recherche individuelle et collective, consiste en une interrogation constante des décisions, de l’action, de leurs contraintes, sous l’angle des valeurs. Le principe méthodologique de l’éthique réside donc dans la critique, celle-ci étant entendue comme une recherche permanente du sens.
5Ce questionnement est au cœur des préoccupations du coordinateur puisqu’il permet de dépasser la logique purement instrumentale ou technique qui peut guetter l’action de coordination.
6De plus, l’éthique présente des homologies structurales fortes avec la coordination puisqu’elle interroge les principes de la morale en situation, qu’elle est faite de contradictions, d’intérêts divergents et non de consensus (même si elle vise à trouver un accord) (ANESM 2010). Ceci révèle au final un pouvoir coordinateur spécifique à l’éthique professionnelle (BATIFOULIER 1999).
7Ces ressorts devraient être envisagés comme une contribution majeure à la légitimation et au sens de la fonction animatrice d’intermédiaire/coordinateur. La tâche est vraisemblablement ardue, mais l’ambition sans doute porteuse pour qui voudrait contribuer aux dynamiques fécondes de ce que nous pourrions appeler la « coordanimation », c’est-à-dire la combinaison stratégique, créative, exigeante et éthique de « l’agir coordinateur » avec « l’agir animateur ».
8Nous ne pouvons pour terminer, qu’espérer que cette brève contribution à l’étude de la coordination puisse accompagner les coordanimateurs dans leurs « complexes navigations ».
Notes de bas de page
22 Processus en lien avec l’origine chrétienne du mot qui désigne l’acte qui permet d’exercer un pouvoir sacré qui ne peut être annulé « Tu es sacerdos in aeternum ».
23 Terme qui fait référence à une mesure prise par une autorité et applicable dans le cadre de cette autorité. En droit constitutionnel français, l’ordonnance est une mesure prise par le gouvernement qui relève de la procédure législative déléguée ; en médecine, l’ordonnance est un document sur lequel est formulée la prescription.
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