2. La démarche de diagnostic du centre d’animation
p. 37-64
Texte intégral
1« Vous êtes donc tous dans cette même démarche et dans l’obligation de rendre des comptes dans un temps donné ? Et la liberté, où est-elle ? Vous n’avez aucun choix. »
2La démarche à suivre n’est ni compliquée ni contraignante, car l’équipe du centre d’animation Saint-Michel a choisi de faire un pas de côté, ou plutôt de prendre le contrepied d’une demande d’analyse de territoire qui déterminera les orientations d’animation.
3Ce en quoi on peut dire que le centre d’animation se démarque d’autres centres d’animation agréés dans l’association. Je ne connais pas suffisamment le travail effectué dans tous les autres centres sociaux en dehors de ceux de l’association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux, mais certainement que d’autres structures d’animation ont aussi choisi de répondre différemment.
4Je suis arrivé au poste de direction en mai 2002, juste avant de devoir rendre le diagnostic partagé pour la fin du mois de juin, suivi de la remise du projet en octobre suivant. Le temps pressait et l’équipe présente a répondu à la demande comme elle a pu, sans consigne particulière de l’ancienne direction partie pour un autre centre d’animation en avril. Nous avons donc remis notre « copie » dans les temps, sans trop avoir pu la travailler avec les bénévoles et les partenaires. En janvier 2003, le projet est validé par la Caisse d’allocations familiales pour une durée de 2 ans seulement, au lieu de 4 ans habituellement, sans trop d’explication de la part des évaluateurs. L’équipe du centre d’animation a donc fait le choix de ne pas attendre un an pour entreprendre une nouvelle fois le travail de diagnostic. La décision prise, de commencer dès le moment où nous recevons l’agrément la démarche de diagnostic, est réaffirmée chaque année. C’est une décision qui est toujours maintenue par l’équipe, et elle perdure en remettant en permanence nos habitudes en question.
2.1. Faire vivre le diagnostic en permanence
5L’analyse du contexte urbain et des composantes d’un territoire qui doit faire émerger des questionnements, des problématiques sociales, culturelles, par une étude quantitative et qualitative de la zone de compétence, est organisée de manière permanente, sans attendre la période de renouvellement d’agrément.
6A partir de 2003, un état de veille est déclaré. Depuis lors, les membres de l’équipe sont à l’affût du moindre propos pouvant renseigner une partie du diagnostic, qu’ils soient tenus lors de moments non formels, lors de réunions, de rencontres formalisées, de débats organisés.
7Cet état de veille installe l’équipe dans une démarche d’anticipation. En effet, les propos, les questions, les manques, les attentes, les satisfactions ou les insatisfactions, les problématiques qui émergent, lui apportent le recul nécessaire à l’observation de son propre travail. Il peut être ainsi évalué à l’aune de ces nouvelles données qui invitent « l’embarcation » à s’orienter vers de nouvelles voies de navigation. Le projet global peut être réorienté ou bien continuer sur la même trajectoire, pendant quatre ans. Le projet vit au rythme que lui donne l’équipe en fonction de ce qu’elle perçoit des changements de la vie du quartier. Cette acceptation d’un changement de cap permet d’intégrer l’anticipation en douceur, car elle évacue l’urgence dans laquelle on se trouverait si on attendait le dernier moment pour découvrir des éléments et modifier ses orientations.
8Des projets d’animation nourrissent les différents diagnostics, les étayent pour les décliner en autant d’intitulés significatifs que l’équipe a choisis, que de manières de les construire. Faire vivre un diagnostic en continu a donc permis, et permet toujours, aux animateurs d’ajuster leur travail en fonction de questions qui émergent à un moment donné.
9« Mais comment avez-vous pu faire émerger toutes ces questions ? D’où arrivent-elles ? »
10En fait, toutes les questions sont arrivées en faisant parler les gens. Comme nous sommes dans un quartier qui met en avant l’oralité et les arts de la parole avec l’association Chahuts (anciennement association des arts de la parole), qui est notre premier partenaire, nous avons eu l’idée de faire parler, de poser des questions, de faire témoigner, raconter, de permettre aux personnes de s’exprimer. Chacun est devenu expert de sa propre vie, et cette vie nous intéresse pour comparer nos propositions de travail avec les questions apportées par tous. Les problématiques traitées ensuite ne sont pas tout le temps issues directement des propos, mais apparaissent très souvent en analysant ceux que les personnes nous ont renvoyés. De plus, nous sommes convaincus que la parole donne une place aux personnes dans le groupe. Quelqu’un à qui personne ne propose de s’exprimer ne se sentira pas concerné par son environnement immédiat, ni par les autres. Le vivre ensemble que nous recherchons tant passe aussi par la parole, donc par l’écoute. Comme nous sommes des animateurs, nous avons imaginé faire émerger la parole par l’animation, pour en collecter des données sociales, et pour comprendre comment les habitants vivent leur quartier.
11L’équipe d’animation perçoit, dès ce moment-là, que l’animation qui était une finalité dans le diagnostic, devenait la source même du diagnostic, comme si nous prenions toute la démarche à rebours ou à contrepied.
2.2. L’animation à la base du diagnostic
12Le diagnostic territorial induit des projets d’animation globale. Le centre d’animation Saint-Michel propose d’organiser le diagnostic sous forme d’animations qui font ressortir, par la parole, des questionnements qui vont aussi être traités par l’animation socioculturelle. L’animation devient donc la source du diagnostic et non plus la finalité de celui-ci. De surcroît, le diagnostic devient lui-même une action intégrée au projet social, dans l’objectif d’installer un état de veille. Cette orientation vise à organiser un diagnostic-action de manière permanente, sans attendre la période de demande d’agrément à présenter à la Caisse d’allocations familiales.
13Le diagnostic est en lui-même une animation pour mettre un quartier en débat, en réflexion, en action par la réflexion. Ainsi que nous l’avons écrit : « Le diagnostic : une démarche - recherche - action. L’état de veille est une orientation donnée pour ces quatre dernières années. La mise en œuvre de ce diagnostic l’a confirmé : le diagnostic est en soi une action. La lecture de cette démarche est à lire à deux niveaux : c’est à la fois un outil d’analyse du quartier et aussi une action. Cette méthode de travail a renforcé une dynamique entretenue depuis plusieurs années : ces moments d’échanges de pratiques et d’expériences ont permis de déconstruire certaines représentations, de créer des temps d’information, de formation, de débat, de réflexion sur les relations ou les rapports des professionnels/bénévoles. De plus, cela a permis de renforcer le partenariat par des temps d’interconnaissance entre professionnels et habitants, de clarifier le rôle et les fonctions des institutions. »12
14L’animation est un processus comportant un ensemble d’actions qui font émerger des éléments de diagnostic.
15« Tout cela est un peu abstrait pour moi. Vous pouvez me donner des exemples concrets ? »
16Tout commence en 2003, par l’animation, pour la première fois intégrée à la réflexion et comme déclencheur de réflexion.
17Tous les ans « l’entité quartier » a été déclinée à partir de son nom « Saint-Michel ». Le quartier Saint-Michel a ainsi été le lieu du questionnement du vivre ensemble, quartier habité, quartier en veille, quartier animé, quartier en direct, tout en consacrant un chapitre à la mémoire pour permettre aux personnes habitant le quartier de raconter leur propre histoire, en dehors de toute étude du patrimoine architectural. Ce que nous avons cherché, avant tout, c’est d’amener les personnes à se questionner sur leur propre environnement et par là-même à nous questionner nous mêmes.
18Concrètement, pendant plusieurs années nous avons fait circuler des documents individuels avec des questions qui peuvent paraître sibyllines. Les questions qui positionnent le quartier Saint-Michel au cœur de la réflexion sont simples, mais métaphoriques, c’est pour cela que l’équipe accompagne les personnes et les aide à répondre à : « facile », « difficile », « j’aime, « j’aime pas » ou bien « qui ? », « pourquoi ? », « quand ? », « comment ? », « et après ? ». Les réponses nous ont aiguillés sur une perception du quartier et des personnes qui y vivent. À la question « qui ? » par exemple, il faut comprendre : « qui êtes-vous ? » Les participants indiquent parfois leur statut, à chaque fois, leur nationalité ou leur origine. Cela nous a permis de compter le nombre de nationalités différentes présentes dans le quartier. Si nous posons la question aujourd’hui, en 2013, nous constaterons que des personnes venues d’autres pays sont nombreuses. Les Bulgares, les Roumains, n’étaient pas encore arrivés en 2004. Des Serbes de l’ex Yougoslavie sont apparus à partir de cette époque. Beaucoup de Russes sont arrivés à partir de 2006. Depuis 2012, nous voyons s’installer dans le quartier des familles espagnoles ou portugaises en quête d’un travail. Si nous ne demandons pas aux personnes que nous accueillons d’où elles arrivent, il n’est pas aisé de le savoir.
19La question « comment ? » nous permet d’apprendre comment les personnes vivent leur quartier. Les réponses renvoient donc à l’usage quotidien, on peut dire l’utilisation, des services, commerces, associations, institutions… Le premier objectif a été de proposer une réflexion sur le contenant (l’urbain) et le contenu (les personnes et les usages qu’elles font de l’urbain). Cette question est en filigrane tout au long de ces années, puisqu’elle a pu être posée lors de débats-causeries qui ont réuni beaucoup de monde. C’est comme cela que nous nous sommes aperçus de l’importance du centre d’animation comme passerelle entre certains habitants et les pouvoirs publics.
20Ces animations posent également la question des correspondances entre les services, les associations, les lieux de vie, et celle des besoins et des attentes des habitants.
21Des « messages » ont pu ainsi être envoyés par la réalisation de deux films13, l’un sur l’image du quartier, l’autre montrant un certain nombre d’habitants débattant autour de diverses thématiques. C’est d’ailleurs avec le film intitulé « un quartier en veille » que la notion de veille territoriale est apparue dans notre travail, pour émerger quelques années plus tard avec la création d’un « comité de veille territoriale », à l’initiative du centre d’animation Saint-Michel, lors des groupes de travail organisés pendant la démarche de diagnostic partagé. Ce comité regroupe le centre d’animation, la direction du développement social urbain (DSU) de la Mairie, ainsi que la direction générale de l’aménagement urbain (DGAU), le maire adjoint du quartier, des partenaires associatifs et institutionnels (l’école et la MDSI), des habitants du quartier. L’objectif commun est la contribution à un diagnostic territorial, permanent, partagé et participatif.
22Mais quelle est la différence entre tous ces diagnostics ?
23Il n’y a pas de différence. Le diagnostic territorial fait référence à un espace géographique, le diagnostic permanent à une temporalité, il peut donc être ponctuel, occasionnel, avoir une certaine fréquence. Pour le centre d’animation, le diagnostic est nourri à tous moments. Le diagnostic est partagé quand il est élaboré à plusieurs et il est participatif quand il inclut la participation effective de diverses personnes, notamment celles habitant le quartier, parce que ce sont celles qui le connaissent le mieux. Un diagnostic peut donc être qualifié de ces différentes façons à la fois.
24En ce qui concerne le centre d’animation, l’équipe met en œuvre des diagnostics participatifs. Tout est réfléchi à partir du concours volontaire de bon nombre de personnes.
25Les films ont été réalisés par des personnes membres de plusieurs associations. Ils posent un regard sur le quartier et demandent à celui qui les regarde de prendre du recul et de réfléchir à ce qu’il voit et à ce qu’il entend de la bouche de personnes qui habitent le quartier. En fait, nous demandons à tout le monde, et surtout aux personnes qui participent aux animations, d’accorder une attention particulière à ce que l’on peut voir tous les jours, de s’arrêter sur des lieux et sur des moments de leur quotidien.
26Ces animations sont une mise en scène valorisante de la parole et de la vie des gens dans ce quartier, qu’ils revendiquent comme le quartier « le plus animé de Bordeaux », un endroit dont ils aiment parler. Les débats, les rencontres, les conversations ou causeries que nous avons pu organiser en dix ans, l’ont bien montré. Quand ils se sentent mal jugés, voire jugés tout simplement, les habitants de Saint-Michel défendent leur quartier et l’opposent aux autres où « rien ne se passe ». Les représentations qu’expriment les bordelais sont alimentées par des images qu’entretiennent ses habitants, celle du « village » où tout le monde se connaît, celle de « l’exotisme » où l’on vient boire un thé à la menthe, celle de « l’insécurité » où « ça craint » de se promener dans les rues14.
27Toutes les animations nous sont utiles pour raconter le quartier, la vie, les usages, les trajectoires personnelles. C’est toujours le présent qui nous intéresse, et c’est paradoxalement que nous avons fait appel à la mémoire des personnes, à un moment où l’on a vu beaucoup de familles quitter le quartier. En fait, les parcours de vie et les parcours dans la ville nous questionnent.
28Des enquêtes entreprises par des étudiants de l’IRTS, et de l’IUT, du département Carrières sociales, ont permis de fouiller par un ensemble de questions, ce que vivaient des habitants, des partenaires et des institutions, régulièrement, en permanence. Elles ont permis de mieux comprendre les représentations que l’on peut entendre, par exemple sur ce qu’est un centre d’animation par rapport à un centre social.
29Des films nous ont aidés à réfléchir, à questionner, à écouter. Ils ont été visionnés plusieurs fois par des publics différents, toujours pour faire surgir des questions. S’en sont suivis de nouveaux outils imaginés pour faire émerger la parole : des jeux de société, des jeux de piste, d’autres jeux à partir de cartographies imaginaires du quartier, des ateliers d’écriture.
30Pour permettre aux gens et aux partenaires associatifs et institutionnels de conserver une trace de toutes ces animations, et en dehors de la réalisation de deux films, nous avons choisi par deux fois d’éditer des livres qui retraçaient chacun une partie de cette trajectoire sociale et culturelle dans le quartier, révélée par l’animation. Ces livres sont encore utilisés, offerts ou achetés, et étudiés15. Ils soulèvent encore d’autres questions et c’est ce qui nous permet de rester dans une dynamique de diagnostic permanent.
31« Vous inventez toujours ? Vous ne vous arrêtez jamais ? »
32J’imagine que des personnes peuvent se lasser de répondre à des questions. C’est pour cela qu’il nous faut être inventifs quand on impulse la participation des personnes habitant le quartier. Ce qui nous intéresse le plus, c’est que des personnes se tournent vers d’autres pour créer des réseaux d’entraide, de solidarité, de bon voisinage. La quête du bon vivre ensemble dans une ville qu’on aime est toujours présente16.
2.3. Des animations sources de diagnostic décryptées
a) « 24 heures chrono »
33Comment traduire la diversité culturelle, le lien entre les différentes associations, l’implication des habitants dans ces mêmes associations, la multitude de services aux personnes ? Comment transcrire, illustrer le « vivre ensemble » qui avait fait l’objet du précédent diagnostic ? Lors de celui-ci, des questions fusaient sans toutefois trouver de réponses significatives, puisqu’elles concernaient beaucoup de personnes ou d’associations, des institutions également.
34Une idée d’enquête a tenté de répondre à tout cela, en réunissant des témoignages de personnes sans lien apparent les unes avec les autres, si ce n’est le quartier et ce qui s’y fait. Pour situer les témoignages dans le temps, la consigne suivante a été proposée à chaque participant, à partir d’un postulat simple qui est celui de la fréquentation d’une manière ou d’une autre du quartier Saint-Michel : « Témoignez de la manière dont vous vivez le quartier, par des exemples courts, situés tel jour à telle heure. Les témoignages peuvent se situer une ou plusieurs fois dans la semaine, en fonction du degré ponctuel ou répétitif de votre action ou de ce que vous avez vu. »
35La toute première consigne était de situer les témoignages sur une seule journée, mais les premiers témoignages reçus nous ont montré que des actions pouvaient s’intégrer tout au long d’une semaine. Le projet a donc gardé son nom de « 24 heures chrono » tout en se déroulant sur une semaine entière, du lundi à 1h00 du matin au dimanche suivant à 0h00.
36Plusieurs dizaines de personnes se sont prêtées au jeu en l’espace de 4 mois. Les animateurs du centre d’animation avaient pour consigne de faire participer toutes les personnes, enfants, adolescents ou adultes, qu’ils rencontraient. De mon côté, j’observais la même consigne, tout en recueillant les témoignages au fur et à mesure qu’ils se présentaient.
37Le projet abouti a montré ce qui apparaissait pendant la phase de collecte de témoignages : un lien entre les personnes, les associations, les institutions, et un usage du quartier différent en fonction des heures. Le quartier montrait aussi une activité de jour comme de nuit, comme si cette agitation ne s’arrêtait jamais.
38Les participants avaient également pour consigne de ne pas se censurer, ce qu’ils auraient pu faire en ne témoignant pas d’actions qu’ils auraient jugées contraires à leurs valeurs. Tout était permis. Les actions n’avaient leur importance qu’à partir du moment où elles étaient révélatrices d’une activité humaine (licite ou illicite) ou d’une organisation.
39Comme pour un diagnostic territorial, il a fallu déterminer un territoire, une zone où les témoignages devaient s’inscrire et qui correspondait grosso modo à la zone de compétence du centre d’animation.
1) Les observations servant de témoignages
40Les notes ci-après reprennent un extrait de « 24 heures chrono ».
41Au final, 350 témoignages différents ou récurrents ont été recueillis. Chaque phrase a ensuite été analysée pour tenter de comprendre ce que la personne a voulu dire ou faire comprendre. Seuls les animateurs ont participé à cette analyse, en se disant que si les personnes ont choisi de mettre en avant un témoignage, c’est bien parce qu’elles le mettaient en priorité dans leurs préoccupations quotidiennes. Il fallait donc accorder une attention particulière à leurs propos.
42C’est dans cet esprit que des thématiques de réflexion ont été dégagées. L’analyse laisse apparaître deux visages différents du quartier. Un visage de jour, qui montre l’activité associative, les commerces, le travail quotidien, le passage ponctuel de beaucoup de bordelais. Un visage de nuit, qui montre une activité liée aux loisirs (restaurants, bars…), mais aussi tout le côté illicite d’une activité humaine (agressivité, délinquance, consommation et trafic de drogue, vol…), donc toute une dynamique positive avec quelques dérapages dus à la précarité, à l’incivilité, aux tensions…
43Un travail du réseau associatif est mis en évidence et révèle les rencontres fréquentes entre associations partenaires, le lien avec les institutions, l’aide aux personnes, aux projets personnels, à l’emploi, l’accès aux loisirs, aux droits… Une offre importante de services est mise en avant, laissant apparaître par exemple un service municipal de la propreté omniprésent, alors que beaucoup de personnes se plaignent de la saleté du quartier. Des questions émergent alors : où doit être fait le travail de prévention de la saleté ? Dans les services municipaux en leur demandant d’intervenir davantage ou bien dans un rapprochement des habitants pour une réflexion citoyenne sur le partage et le respect de l’espace public ?
44Globalement, pour résumer, un travail de prévention semble indispensable au sujet de la délinquance, de l’usage et du trafic de drogues, de la propreté, de la citoyenneté, de l’échec scolaire, des tensions familiales. Les personnes sollicitées se sont prises au jeu, nous renvoyant que, depuis leur participation à « 24 heures chrono », elles regardaient la rue différemment, avec plus d’attention, en interrogeant ce qu’elles pouvaient remarquer et qui aurait pu passer inaperçu.
2) Les thématiques repérées dans « 24h chrono »
1. accès aux vacances | 36. prévention toxicomanie |
2. accès loisirs | 37. propreté |
3. accès loisirs et culture | 38. récupération |
4. aide sociale | 39. relations humaines |
5. alcoolisme | 40. relations inter générations |
6. artisanat | 41. relations parentales |
7. arts et débrouille | 42. rumeur |
8. bénévolat | 43. Sdf |
9. chômage | 44. sécurité |
10. civisme | 45. services périscolaires |
11. commerces | 46. services proximité |
12. commerces pas chers | 47. services sociaux |
13. commerces de proximité | 48. services |
14. délinquance | 49. services commerces |
15. détente loisirs | 50. services garderie |
16. dispositif périscolaire | 51. services garderie périscolaire |
17. espaces de jeu | 52. services loisirs enfants |
18. immigration | 53. services restaurants |
19. incivilité | 54. solidarité |
20. information publique | 55. toxicomanie |
21. information sociale | 56. transports |
22. insécurité | 57. transports faciles |
23. insertion | 58. travail |
24. logement | 59. travail hors quartier |
25. loisirs enfants | 60. travail sur place |
26. loisirs famille | 61. travail sur quartier |
27. loisirs jeunes | 62. travail voirie |
28. loisirs de proximité | 63. vie artistique |
29. mendicité | 64. vie culturelle |
30. mésentente familiale | 65. vie nocturne |
31. partenariat artistique | 66. vie nocturne bars |
32. partenariat culturel | 67. vie nocturne loisirs |
33. patrimoine | 68. vie nocturne restos |
34. pauvreté | 69. vie pas chère |
35. pratique religieuse | 70. vie scolaire |
45A partir des thématiques relevées, nous avons décidé de continuer à faire parler les personnes, à approfondir ce qu’elles avaient voulu nous dire par leurs témoignages, pour en faire profiter beaucoup d’autres. Des rencontres-débats ont ainsi été organisées dans différentes associations dès l’année suivante, pour le projet « un quartier en veille ». Ces rencontres ont été filmées et montées dans un film du même nom.
46L’année 2014 sera le 10ème anniversaire de « 24 heures chrono ». Il a déjà été décidé de reproduire cette animation et de comparer les témoignages. Peut-être laisseront-ils apparaître un contexte de transformation urbaine très prégnant actuellement, alors qu’il ne constituait pas encore une préoccupation il y a 10 ans. Les deux « 24 heures chrono » feront l’objet d’une édition spéciale, et donneront, à n’en pas douter, lieu à de nouveaux débats.
b) « Le “je” de société »
47C’est l’obsession de faire émerger la parole des personnes habitant dans le quartier ou de celles y travaillant, dans un contexte de projet urbain, qui est à l’origine de cet outil de diagnostic. Peuvent également y participer toutes les personnes curieuses de savoir comment naît le débat et désireuses d’y apporter leur contribution. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment la démarche va avoir un impact sur le regard d’habitants quels qu’ils soient, sans que ceux-ci ne séparent leur quartier du reste de la ville. Cette animation est adaptable à n’importe quelle situation, transférable dans n’importe quel quartier de Bordeaux ou d’ailleurs, sans se concentrer sur Saint-Michel. Toute personne, qui souhaite organiser une discussion sur une thématique de son choix, peut s’en saisir.
48Le jeu fonctionne bien avec un groupe de 8 ou 10 personnes réunies en cercle pour que tous puissent se voir, et avec un animateur qui enregistre ou transcrit les propos échangés. Il peut durer entre une heure et une heure et demie, en fonction de l’intérêt pour le débat qui s’engage, sur une thématique établie au préalable. Cette thématique peut être issue soit de l’actualité du quartier ou de la ville, comme par exemple « les changements visibles dans le quartier Saint-Michel », soit de l’actualité nationale ou internationale comme par exemple « la crise ». En général, le thème fait ressurgir le quotidien des personnes présentes dans le cercle des participants. Si certaines peuvent être inquiètes de devoir s’exprimer devant les autres, leurs craintes s’estompent vite, grâce à l’écoute que le jeu impose. Nulle obligation est faite d’un long discours, sachant qu’une simple phrase peut suffire à enclencher un véritable débat entre tous.
49La règle est la suivante.
50Le jeu se présente sous forme de cartes à lire avec des consignes à observer :
- 20 cartes « messages » ;
- 10 cartes « adresses ».
51Chaque participant qui dit son prénom pour se présenter, va devoir tirer 1 carte dans chaque paquet, ce qui lui fera 2 cartes en main. La première est tirée du paquet des « messages ». Dix messages y sont répétés 2 fois. Ils constituent les propos que vont devoir tenir les participants, sur la thématique de départ.
52Les 10 messages :
- une remarque ;
- un souhait ;
- une envie ;
- une anecdote ;
- une satisfaction ;
- un conseil ;
- une crainte ;
- un souvenir ;
- un regret ;
- un manque.
53La deuxième carte est tirée du paquet des « adresses ». Dix adresses en un seul exemplaire, qui représentent des personnes ou des organisations à qui les participants vont devoir adresser leur message.
54Les 10 adresses :
- des voisins ;
- des commerçants ;
- des élus ;
- des membres de la famille ;
- des amis ;
- des enseignants d’une école ;
- des représentants du centre d’animation ;
- des représentants d’une association ;
- d’autres personnes ;
- « joker » (qui l’on veut).
55Prenons un exemple. Toujours sur une thématique de départ (ex : les travaux dans le quartier), une personne tire 2 cartes, qu’elle lit et qu’elle peut montrer aux autres :
- « une satisfaction » tirée parmi les « messages » ;
- « un élu » tiré parmi les « adresses ».
56Le participant devra forger un discours en émettant une satisfaction concernant les travaux dans le quartier, à un élu (du quartier ou pas). La partie se décompose en 2 tours :
- 1° tour : chacun parle à son tour sans être interrompu par les autres. Personne ne doit poser de question, ni réagir à quoi que ce soit. C’est un moment où une personne parle et où les autres écoutent. Tous les participants peuvent s’exprimer dans l’ordre qu’ils désirent.
- 2° tour : tout le monde peut parler en revenant sur des propos entendus au 1° tour. C’est ainsi que le débat s’enclenche.
57Le schéma est simple, il est établi en trois temps :
58parole/écoute/réactions.
59L’ensemble des propos est retranscrit par l’animateur.
60Il en fera, plus tard, un compte-rendu qui servira à la lecture et à l’analyse, pour le diagnostic.
61Le jeu peut paraître assez dirigé, mais les cartes sont des balises qui mettent les participants sur la voie. Sans elles, et pour l’avoir testé, les personnes se sentent un peu démunies et la parole n’émerge pas facilement. Ces balises facilitent le débat, dans la mesure où, à la fin du jeu, tout le monde s’est exprimé en commençant par « je », ce qui est le plus difficile à faire.
c) « Quartier libre »
62Ce projet cumule de multiples intérêts. C’est à la fois une enquête auprès des personnes, un parcours dans le quartier et un jeu de piste. Il a été imaginé début 2013 lors d’un projet tutoré, par des étudiantes en licence professionnelle de coordination de projets de développement social et culturel en milieu urbain, à l’IUT Michel de Montaigne, sur proposition du centre d’animation, en tant qu’outil d’animation du diagnostic partagé.
63Sa particularité vient du fait que l’enquête n’est pas menée par des animateurs, mais par des personnes habitant le quartier, qui doivent en rendre compte en inscrivant les propos recueillis dans un livret prévu à cet effet. Le livret ainsi créé s’adresse à toute personne habitant le quartier et doit être complété par des informations issues de plusieurs sources.
64Dans une première partie, la personne enquêtrice répond elle-même à des questions. Elle exprime tout ce que l’on peut faire à Saint-Michel et imagine par un dessin comment sera la place après les travaux en cours, à partir de toutes les informations dispensées jusque-là. Les réponses montrent si les personnes savent tout ce qui se trouve dans le quartier en termes de commerces, services, lieux de vie, institutions… Exemple : à l’affirmation « vous n’avez pas de machine à laver, vous vous rendez à la laverie », il faut répondre par « possible » ou « impossible », et écrire « pourquoi ? »
65Dans une deuxième partie, la personne enquêtrice doit rencontrer des personnes qui vont répondre à des questions concernant les usages, les habitudes, les trajets individuels, professionnels et comment elles vivent le quartier depuis le début des travaux de requalification. Exemple : dans la thématique « Se déplacer dans le quartier Saint-Michel », des questions sur l’organisation de la circulation sont posées à :
- une personne à pied ;
- une personne à vélo ;
- une personne sortant d’un véhicule ;
- une personne avec une poussette.
66Dans la thématique « Le voisinage », les questions s’intéressent à la connaissance de son voisinage et des relations que l’on peut avoir avec lui. Dans la thématique « Les commerçants à Saint-Michel », les questions sont à poser à un gérant d’ :
- un magasin d’alimentation ;
- un restaurant ;
- un commerce sédentaire autre qu’alimentaire ;
- un commerce non sédentaire (sur les marchés…)
67L’intérêt de cette animation est de se tourner vers une multitude de personnes aux statuts différents pour que chacune apporte sa propre vision du quartier, dans un contexte de changements importants pour ce territoire dense et pas si grand que cela. Toutes les réponses sont ensuite analysées par les animateurs en vue de nourrir le diagnostic permanent du projet social du centre d’animation intitulé « un laboratoire social et culturel ».
2.4. Des actions qui donnent des idées… aux autres
68Ces exemples d’animation montrent comment une expérimentation locale peut être saisie pour être généralisable dans la ville. Ils ont été très suivis par les services municipaux, et en premier lieu par la Direction générale de l’aménagement urbain qui s’en est inspirée à plusieurs reprises.
69Les services municipaux du projet centre historique de la Ville de Bordeaux se sont intéressés une première fois à « Vivre ensemble à Saint-Michel », en ont tiré ensuite une réflexion sur les endroits à aménager en secteur piéton, semi-piéton, cyclable, partagé… à partir d’un jeu de cartographie de la circulation des personnes dans le quartier. Nous avons demandé à des enfants, adolescents ou adultes de tracer avec un feutre de couleur, sur un plan du quartier photocopié en grand, leurs itinéraires habituels, préférés. Sur ce même plan, nous avons noté une couleur différente par personne. Des veines, des artères, se sont ainsi dessinées, laissant apparaître les couloirs de circulation les plus fréquentés.
70Quelques années plus tard, le « “je” de société » a inspiré un jeu, créé pour les réunions de concertation dans le cadre de Bordeaux Re-centres et du PNRQAD (Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés), qui tente de faire le lien entre les questions sociales et l’aménagement urbain. J’ai été invité à me joindre en tant qu’animateur de groupe à une de ces réunions dans le quartier Bordeaux maritime, pour une réflexion autour de l’aménagement de la place Latulle. Des groupes de travail étaient positionnés autour d’un plan du quartier. La consigne proposée était d’imaginer ce que serait le quartier dans un futur plus ou moins proche. La règle du jeu était lue, des cartes distribuées, un itinéraire entre la Garonne et le quartier du Lac devait être conçu, avec des impératifs tirés par le sort des cartes. Les joueurs racontaient ainsi l’itinéraire d’un personnage inventé, et ils devaient décrire ce que celui-ci voyait, ce qu’il faisait et dans quel but. En fin de séance, chaque parcours était lu à la centaine de personnes présentes.
71La suite de cette concertation n’est pas connue. Elle aura sûrement amenée beaucoup de cogitation. En effet, des personnes habituées aux données chiffrées et à plus de technicité ont peut-être des difficultés à décrypter des représentations que les personnes se font d’un lieu, à plus ou moins grande échelle.
72Une autre fois, à la demande du maire adjoint du cinquième quartier, pour une manifestation intitulée « mon quartier en 2030 », une séance du « “je” de société » a été incluse au programme. Les propos tenus pendant le jeu ont été lus en public, devant le maire lors de la clôture de la manifestation. Les joueurs s ‘ adressaient au maire adjoint sous la forme de préconisations à suivre, en tant qu’élu, pour son travail dans les conseils de quartier. Je sais que les propos ont été entendus. En 2013, il est prévu qu’une partie de la manifestation « mon quartier en 2030 » soit dédiée au « ‟je” de société », pour traiter des thématiques concernant l’évolution du quartier.
73Dans ce travail de diagnostic, l’animation aura permis : l’information, la consultation, la concertation, la construction… et surtout, la participation des personnes aux projets de ville, pour trouver des réponses à des questionnements collectifs. Alors, pour trouver des réponses aux questions posées… autant poser des questions, pour que nous-mêmes comprenions la ville et puissions accompagner les personnes dans la compréhension des changements.
Notes de bas de page
12 Extrait du diagnostic partagé, 2012.
13 « Saint-Michel habité », Périphéries productions, 2004 ; « Un quartier en veille », Périphéries productions, 2005.
14 Villechaise-Dupont Agnès (2000) Amère banlieue : les gens des grands ensembles, Paris : Grasset/Le Monde, coll. Partage de savoir.
15 Un quartier, Bordeaux : éditions N’a qu’1 œil, 2006 ; Saint-Michèlement vôtre, Bordeaux : N’a qu’1 œil, 2011. Ce dernier ouvrage a été conçu par le Centre d’animation, Chahuts et N’a qu’1 œil.
16 Une chronologie des diagnostics et des animations se trouve en annexe 1.
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L'animation, source de diagnostic
L'expérience d'un centre d'animation
Ramon Ortiz de Urbina et Jean-Luc Richelle
2013
Animation & économie sociale et solidaire
Aurélie Carimentrand, Marius Chevallier et Sandrine Rospabé
2017