1. Un centre d’animation
p. 11-35
Texte intégral
« Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère.
Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement un jour dans les réponses ».
Rainer Maria Rilke
Lettres à un jeune poète
1903
1.1. Un centre d’animation socioculturelle
1Une question me terrifie quand elle est posée par une personne qui s’avance vers moi à l’accueil du centre d’animation Saint-Michel1 : « Bonjour, je viens d’emménager dans le quartier et en passant j’ai vu votre enseigne. Qu’est-ce que vous faites ? Que fait-on ici ? » Cette question peut également surgir au téléphone, par la voix au ton rapide d’une personne qui semble pressée d’obtenir ce qu’elle veut. Désirant ne pas répondre de suite et conscient du temps qu’il faudrait, j’élude la question par une autre question : « De combien de temps disposez-vous pour écouter ma réponse ? » En général, la personne se met à rire. Je la sens prête à s’ouvrir, plus qu’elle n’avait prévu de le faire au départ, aux propos auxquels elle ne s’attendait peut-être pas.
2À quoi donc peut s’attendre une personne qui lit « centre d’animation socioculturelle Saint-Michel » et qui entend de la musique venue des étages, perçoit des voix des professeurs, sent des odeurs de cuisine, voit du monde qui s’agite à travers les portes vitrées de l’entrée et découvre un salon comme à la maison, avec des canapés où des personnes lisent le journal, parlent, attendent ?
3Certains ayant entendu parler du centre social peuvent nous confondre avec les Maisons Départementales de la Solidarité et de l’Insertion (MDSI) du Conseil général de la Gironde. Des couples se présentent et souhaitent parler à une assistante sociale. Nous les aiguillons, voire les accompagnons puisque c’est tout près, vers les professionnels qu’ils recherchent. Ceci arrive souvent. Il arrive aussi qu’on s’adresse à nous pour une demande d’emploi, un logement, une aide financière, un curriculum vitae, un café. À part le café que nous offrons, nous orientons systématiquement les personnes vers les partenaires associatifs ou institutionnels les plus proches.
4D’autres n’ont retenu que le centre culturel, puisqu’ils y ont souvent vu des expositions, des concerts, des concours de cuisine, et surtout des manifestations proposées dans le lieu rebaptisé « 7ème étage et demi » pendant le festival Chahuts2 du mois de juin, qui accueille plus de 5000 personnes en 5 jours. Les gens s’en souviennent.
5D’autres encore pensent qu’un « centre d’animation » propose tout un catalogue d’activités, ateliers de danse, d’arts plastiques, de yoga, de gymnastique, à des prix que l’on ne trouve pas ailleurs, c’est à dire avec la possibilité de payer un minimum. Le centre d’animation est parfois perçu comme une structure municipale et est très souvent assimilé à une maison de quartier3. Les termes se confondent et peuvent confondre.
6Beaucoup affirment que l’on n’y accueille que des enfants, pour les distraire, les occuper, les garder. Peu de personnes pensent que l’accueil d’un enfant relève d’un contenu pédagogique, que le jeu permet le développement, que le groupe est formateur. Le chemin est long pour que les personnes admettent qu’un animateur participe à l’éducation d’un enfant au même titre, mais à un autre niveau, que les parents, la famille, les amis, les enseignants. Quant à comprendre qu’il est important qu’un enfant arrive à ne rien faire, à ne rien produire, à ne rien ramener à la maison, c’est vraiment une autre histoire qui demande à être mijotée dans la durée.
7« J’ai des adolescents à la maison. Que faites-vous pour eux ? »
8Là encore rien n’est simple, car nous ne proposons pas de catalogue de vente d’activités. Faire « pour » n’est pas notre intention première et est accompagné du « avec ». Tout d’abord, nous accueillons des adolescents de manière non formelle pour leur offrir un espace de discussion, d’échange, où l’on ne « fait » rien, mais où l’on prépare avec eux leur avenir, des projets, où l’on peut parler de leurs questions, leurs difficultés, leurs attentes, leurs insatisfactions. Comment expliquer ce que l’on est en train de vivre ensemble, expliquer l’accompagnement éducatif, la prévention de la délinquance, la lutte contre les discriminations, contre les inégalités ? Pouvons-nous expliquer les objectifs de notre travail tout en l’exerçant, expliquer la prévention, quelle qu’elle soit, à des personnes qui ne viennent pas pour être spécialement « prévenues » ?
9« Je vois. Vous êtes des éducateurs ? »
10Et voilà que tout se mélange. Mais comment leur en vouloir ? Les animateurs et les éducateurs travaillent ensemble, de manière complémentaire, pour et avec des jeunes. L’observateur extérieur a l’impression qu’ils font le même métier parce que les objectifs de leur action conjointe visent les mêmes personnes.
11Parallèlement à l’accueil non formel, des actions régulières sont bien évidemment menées. Certaines institutions souhaiteraient n’y voir que du loisir, du sport, d’autres de la prévention, certaines des parcours culturels, de l’accompagnement. Si les dispositifs sont cloisonnés, catégorisants et enfermants, un centre d’animation mélange les genres, les associe afin de proposer un projet global qui montre à la fois une cohérence et une certaine connaissance des personnes accueillies.
12« Que faites-vous alors dans ce centre ? »
13Le centre d’animation peut être perçu comme un espace de services et d’activités. Comment alors répondre à cette question, sans prendre le temps d’expliquer qu’un centre d’animation socioculturelle est à la fois tout cela, mais qu’il comprend bien d’autres types de propositions difficiles à cerner, à voir, à toucher du doigt ? Bien des moments se consomment de suite, comme des ateliers, un café ou un thé. D’autres expériences se savourent plus tard, bien plus tard, après beaucoup d’heures passées ensemble à parler, penser, imaginer, bouger, construire. La découverte de soi et des autres, l’estime de soi et des autres, n’arrivent qu’après un long temps de maturation. « Avec vous, ici, je me suis trouvée », m’a-t-on dit un jour.
14Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’abord d’expliquer ce que sont les centres d’animation, ce qu’est un centre social, le travail qui s’y fait habituellement. Après avoir répondu, notre discours risque de surprendre les personnes quand nous expliquons la démarche particulière que l’équipe du centre d’animation a imaginée.
15Finalement, la question ne se pose plus pour les personnes qui nous connaissent à force de fréquentation, de réflexion commune et d’apprivoisement mutuel. Ces personnes-là ne nous ont jamais posé la question : « Que faites-vous dans cet endroit ? » Elles ont commencé par agir à nos côtés, puis elles se sont insensiblement, petit à petit, mises à regarder les effets de notre travail dans leur vie quotidienne et dans celle du quartier. Ont-elles perçu qu’une évolution s’était produite, non pas parce qu’elles avaient attendu quelque chose du centre d’animation, mais parce qu’elles avaient participé, à leur mesure, à ce que des choses changent ?
16En fin de compte, en arrivant dans un quartier par l’implantation d’un centre d’animation, ce serait plutôt à nous, animateurs socioculturels, de poser aux « habitants » la question qui me terrifie tant quand on me la pose : « Mais que faites-vous donc dans ce quartier ? » Je pense que la question effraierait bien des personnes et que la plupart ne la comprendraient pas.
17Avant qu’on ne la lui pose, l’équipe du centre d’animation a décidé de lancer la question, comme on lancerait une balle, car au titre du centre d’animation agréé centre social par la Caisse d’allocations familiales, elle se doit de questionner les composantes du territoire. En lançant la balle, le jeu a déjà commencé. La manière de la renvoyer permet à chacun de mieux connaître son partenaire et d’ajuster son jeu en fonction de ses renvois.
1.2. Un centre d’animation ou un centre social ?
18« Mais alors vous êtes de la Mairie, du Conseil général, de la Caisse d’allocations familiales, ou vous êtes une association indépendante ? »
19La réponse est plus facile, mais l’évidence ne parvient pas toujours à l’esprit des personnes qui ont posé la question. Quelle est l’association à qui sont versées des subventions qui s’estime indépendante des institutions ?
20Il faut replacer l’actuelle association des centres d’animation de quartiers dans l’histoire de Bordeaux. Elle a été créée en 1963 par la municipalité, lors d’un mandat de Jacques Chaban Delmas. Elle fête ses 50 ans en 2013 et, depuis sa création, son projet a évolué en fonction d’un travail de proximité dans les quartiers où les centres d’animation ont été implantés. Le projet éducatif a également évolué en fonction des différentes conventions d’objectifs et de partenariat signées en premier lieu avec la Mairie de Bordeaux. La convention d’objectifs signée pour trois ans permet aux équipes d’animation, tout d’abord, de travailler dans des locaux mis à leur disposition par la Ville et entretenus par ses services.
21A partir de ces lieux d’implantation, les centres d’animation ont pour missions :
22« *L’animation globale, visant à la dynamisation de la vie de quartier et à la participation des habitants ;
23* la participation à la mise en œuvre des politiques spécifiques de la Ville ;
24* l’appui à la réalisation d’évènements et d’animations, à destination du grand public et ce, à l’échelle de la commune. »4
25« C’est bien ce que je dis, vous êtes municipal ! »
26Nous sommes peut-être le seul cas en France d’association subventionnée à plus de 60 % par la municipalité pour mettre en œuvre l’animation socioculturelle dans des quartiers. L’association n’intègre pas un marché ni ne répond à un appel à projet global. L’association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux n’est pas un office municipal. Ne siègent au conseil d’administration que quatre élus municipaux, dont une de l’opposition, plus le directeur du service sport/jeunesse et vie associative à titre consultatif, sur un total de plus de vingt administrateurs. La convention est directement signée entre le président de l’association et le maire de Bordeaux.
27Ce que je peux dire, c’est que je ressens une grande liberté dans le travail, dans le choix de mes actions, pour créer, expérimenter. Bien sûr, toutes les équipes répondent à des appels à projets spécifiques, mais dont la municipalité n’a pas l’exclusivité. Les centres d’animation intègrent des dispositifs municipaux, départementaux et nationaux qui, trop souvent, morcèlent le travail, cloisonnent les projets et sectorisent les animateurs au sein des équipes, alors que la subvention de fonctionnement versée par la municipalité en début de chaque année permet une liberté… de fonctionnement.
28Tous les personnels des centres d’animation de cette association travaillent dans le même esprit de la convention établie avec la municipalité, et directement issu des statuts de l’association, « de partage, d’ouverture, de pluralisme et de neutralité ». Le projet éducatif, issu d’une élaboration collective entre la direction et les équipes d’animation, puis validé par le conseil d’administration de l’association, oriente le travail de tous. Dans ce sens, tous adoptent une même posture devant les valeurs et les principes à défendre, comme la laïcité, la citoyenneté, le respect, le dialogue interculturel… Quand vous me dites : « vous êtes municipal », je vous réponds : « nous sommes associatif ». Cela nous autorise des petits moments de rupture, des « pas de côté » qui permettent l’analyse de nos postures, de notre pratique et de notre organisation, et qui amènent les professionnels à se renouveler et à imaginer d’autres formes d’animation. Le travail en commun avec l’équipe de Chahuts en est un bon exemple qui passe par l’expression artistique.
29La municipalité permet à d’autres associations de travailler en toute liberté, à partir du moment où ces valeurs et ces principes généraux sont partagés. C’est d’ailleurs dans cette optique que l’association des centres d’animation de quartiers établit des partenariats5. Il n’est pas imaginable de réfléchir, d’agir, de construire avec des associations, sans défendre ces valeurs-là. Les partenariats s’élaborent ainsi. Beaucoup d’associations se rejoignent finalement dans les valeurs d’éducation populaire et d’émancipation des individus et des groupes, de coopération, de solidarité et de justice. Bien d’autres valeurs peuvent être défendues comme la dignité humaine, la liberté, le dialogue, le partage…
30De ce côté-là, tous les centres d’animation proposent la même approche des personnes, des partenaires, la même pédagogie du vivre ensemble6. Ainsi, les équipes sont toutes identiques dans leur posture devant les orientations associatives, seules les actions peuvent être différentes car elles dépendent des personnes. Celles du centre d’animation Saint-Michel comme toutes les autres. Et j’entends par équipe, non seulement les animateurs, mais également les bénévoles et les personnes impliquées dans le comité d’animation.
31« Mais quel est votre rapport avec le Conseil général ? Nombre de ses élus ne sont pas du même bord politique que la municipalité bordelaise. Cela ne pose pas de problème ? »
32Il faut immédiatement exclure la question partisane. Je rappelle la position de l’association, inscrite dans ses statuts, en termes de neutralité à l’égard des partis politiques ou des groupements confessionnels. Bien sûr, les élus sont aussi des hommes ou des femmes politiques représentant un parti. Nombreux sont ceux qui comprennent qu’il faut laisser cette notion de côté pour pouvoir travailler ensemble.
33En ce qui concerne le Conseil général, les centres d’animation répondent, comme bon nombre d’associations, à des appels à projets concernant beaucoup de domaines comme la jeunesse, l’accompagnement à la scolarité, la culture, la solidarité, l’insertion, la citoyenneté… Et le Conseil général octroie des subventions de fonctionnement si la structure est agréée « centre social », ce qui est le cas du centre d’animation Saint-Michel.
34« Vous êtes un centre social ? Je croyais que vous étiez un centre d’animation. »
35Ce n’est pas incompatible. Un centre d’animation peut être agréé « centre social » par la Caisse d’allocations familiales. Dans l’association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux7., 7 centres sur 10 sont agréés. Les 7 centres d’animation agréés se situent dans les quartiers de Saint-Michel, Saint-Pierre, Bordeaux-Sud, Bastide/Benauge, Bastide/Queyries, Bacalan, Le Lac et en 2013 Ginko dans le nouveau quartier du Lac. Les 3 autres centres d’animation de la même association qui n’ont pas d’agrément centre social se situent dans les quartiers du Grand Parc, de Monséjour à Caudéran et d’Argonne/Nansouty/Saint-Genès.
36« Pourquoi 7 et pas 10 ? Cela dépend de quoi ? »
37Cela dépend de l’histoire, et de beaucoup d’autres paramètres. En premier lieu, il faut en faire la demande auprès de la Caisse d’allocations familiales, après l’accord de ses conseillers pour entreprendre la démarche.
38Le « territoire » d’implantation du centre d’animation a également son importance. L’agrément peut être demandé quand le quartier abrite une majorité de personnes défavorisées, sans emploi, relevant de minima sociaux, et de nombreuses familles ayant besoin des services sociaux, recevant des prestations de la Caisse d’allocations familiales. Le « territoire » est une « zone » dans laquelle un centre social a une légitimité d’intervention attribuée par la Caisse d’allocations familiales, un bassin de vie qu’il faut regarder du point de vue des habitants et de leurs modes de vie. Il dissimule un ensemble de données urbanistiques, démographiques, politicoadministratives, d’activités, d’équipements, de services… qu’il faut découvrir, étudier et analyser pour constituer le dossier de demande d’agrément.
39Le centre social doit trouver sa capacité à fédérer des partenaires autour de problématiques partagées et de la dynamique d’un quartier. Il doit aussi montrer qu’il a la capacité à mobiliser des habitants dans une démarche participative.
40La première demande du centre d’animation Saint-Michel date de 1992. Depuis, l’agrément à été renouvelé 6 fois. Tous les centres agréés passent obligatoirement par ces périodes de demande de renouvellement de l’agrément, généralement tous les quatre ans.
1.3. Qu’est ce que c’est qu’un centre social ?
41« Voulez-vous dire que tous les centres sociaux doivent travailler de la même manière ? C’est comme un label, une franchise ? »
42Pas tout à fait, mais c’est ce que je croyais avant que l’on me confie la direction du centre d’animation. Par contre, toutes les structures agréées « centre social » doivent répondre à des missions et suivre des objectifs partagés avec la Caisse d’allocations familiales, la Ville et le Conseil général.
43Les extraits ci-après de la circulaire de la CNAF sont explicites.
Animés par une équipe de professionnels et de bénévoles, l’objectif global des centres sociaux est de rompre l’isolement des habitants d’un territoire, de prévenir et réduire les exclusions, de renforcer les solidarités entre les personnes en les « intégrant » dans des projets collectifs, leur permettant d’être acteurs et d’assumer un rôle social au sein d’un collectif ou sur le territoire.
Le centre social doit avant tout mettre en œuvre un projet social.
Un projet social qui adapte des missions d’intérêt général aux besoins des habitants du territoire.
« Le projet social » est la clé de voûte de ces structures de l’animation de la vie sociale. Il se fonde sur une démarche transversale pour répondre à la fois aux besoins des familles et à leurs difficultés de la vie quotidienne mais aussi pour répondre aux problématiques sociales collectives d’un territoire.
Concrètement, en référence aux finalités et missions générales de l’animation de la vie sociale d’une part, et en réponse aux besoins sociaux constatés sur le territoire d’autre part, le projet social global explicite les axes d’interventions prioritaires et propose un plan d’actions et d’activités adaptées.
Les missions générales des structures de l’animation de la vie sociale sont confirmées :
- un lieu de proximité à vocation globale, familiale et intergénérationnelle, qui accueille toute la population en veillant à la mixité sociale : il est ouvert à l’ensemble de la population à qui il offre un accueil, des activités et des services ; par là-même il est en capacité de déceler les besoins et les attentes des usagers et des habitants. C’est un lieu de rencontre et d’échange entre les générations, il favorise le développement des liens familiaux et sociaux.
- un lieu d’animation de la vie sociale permettant aux habitants d’exprimer, de concevoir et de réaliser leurs projets : il prend en compte l’expression des demandes et des initiatives des usagers et des habitants, et favorise la vie sociale et la vie associative. Il propose des activités ou des services à finalité sociale, éducative, culturelle ou de loisirs, ainsi que des actions spécifiques pour répondre aux problématiques sociales du territoire. Il favorise le développement des initiatives des usagers en mettant des moyens humains et logistiques à leur disposition.
Cinq missions complémentaires aux missions générales :
- organiser une fonction d’accueil et d’écoute des habitants-usagers, des familles et des groupes informels ou des associations ; l’accueil, basé sur une écoute attentive, s’étend à la capacité à proposer une offre globale d’information et d’orientation, surtout il doit être organisé de manière à recueillir les besoins des habitants et leurs idées de projets collectifs.
- assurer une attention particulière aux familles et aux publics fragilisés, et le cas échéant leur proposer un accompagnement adapté ;
- développer des actions d’intervention sociale adaptées aux besoins de la population et du territoire ; en raison des problématiques sociales auxquelles ils sont confrontés, ils peuvent développer des actions collectives avec une dimension d’accompagnement social. Ces actions collectives, parfois expérimentales, sont réalisées en concertation avec les partenaires opérationnels ;
- mettre en œuvre une organisation et/ou un plan d’actions visant à développer la participation et la prise de responsabilités par les usagers et les bénévoles ;
- organiser la concertation et la coordination avec les professionnels et les acteurs impliqués dans les problématiques sociales du territoire et/ou sur leurs axes d’intervention prioritaires.
Les formes d’organisation des centres sociaux.
Le centre social s’incarne dans un lieu repéré par les habitants. Il peut néanmoins prendre différentes formes pour être au plus près des usagers : centre social centré sur un seul équipement, centre social éclaté sur plusieurs locaux, voire partiellement itinérant. Des modalités d’organisation pourront être arrêtées localement afin de répondre à certaines spécificités territoriales : articulation avec des projets de partenaires, prise en compte de l’évolution des compétences des collectivités territoriales, mutualisation de moyens ou de certaines fonctions, etc. Ces modalités particulières devront toutefois être mises en place dans le respect de la réglementation et des contraintes de gestion.8
44« Je suis un peu perdu entre le global et le local, pas vous ? »
45Le local fait référence au territoire d’implantation du centre social. Plus précisément, le local correspond à la zone d’influence du centre social. Le global fait référence à l’animation dite « globale », c’est à dire ouverte à tous, aussi bien à des publics dits spécifiques qu’à l’ensemble des habitants. Il ne faut pas oublier que les équipements agréés sont à la base des structures d’animation de la vie locale même si elles ne portent pas toutes l’appellation de centre d’animation, même si elles ne sont pas regroupées au sein d’une seule et même association, à la différence du centre d’animation Saint-Michel. Il existe des équipements qui ont l’appellation « centre social » ou « centre socioculturel » ou « centre social et familial ». Certains ont été créés par des habitants de quartiers avec des professionnels, d’autres par des municipalités. Une MJC (Maison des jeunes et de la culture) ou une MPT (Maison pour tous) peuvent être agréées centre social également. En fin de compte, tous ces lieux d’animation de la vie sociale et locale sont animés et gérés par des professionnels et des bénévoles, réunis dans un système participatif, associatif et démocratique.
46Pour se repérer dans l’animation globale, il faut également penser au territoire d’intervention et à l’analyse de ses composantes, à une approche généraliste de l’animation par la prise en compte de l’ensemble des problématiques sociales locales. Le référentiel CAF9 du projet centre social précise que « la fonction généraliste se reconnaît à l’aptitude à faire cohabiter des populations et des activités différentes, à prendre l’usager comme participant potentiel et enfin à prendre en compte les exigences de politiques différentes. » La dimension collective est importante, elle est l’expression d’une solidarité dans l’implication des habitants du territoire en question, leur participation à l’élaboration d’objectifs par la négociation. Le fonctionnement des centres sociaux illustre et favorise l’exercice de la citoyenneté par la réappropriation de certaines interventions par les « citoyens » eux-mêmes. Toutes les activités ou toutes les actions doivent avoir un fil conducteur, un lien. Ce lien, c’est le projet social écrit par chaque centre social. Il dit pourquoi on agit, il fixe des orientations et des objectifs, et il montre le sens des actions.
47« Si je comprends bien, si tous les centres sociaux suivent les mêmes missions, les mêmes objectifs, ils ont tous le même projet, celui de Saint-Michel comme les autres ? »
48Aucun centre n’a le même projet parce que tous les territoires sont différents, que les personnes qui y habitent sont différentes et que l’ensemble des composantes d’une zone n’a pas son équivalent ailleurs. De plus, les personnes qui travaillent dans un centre social, professionnels comme bénévoles, sont aussi différentes dans chaque structure. Le projet ne peut donc être le même partout. Par contre, la marche à suivre pour l’écriture d’un projet est préconisée de façon similaire pour toutes les structures par la Caisse d’allocations familiales dans son référentiel de projet de centre social..
49Ce qui est identique, c’est la trame à suivre pour le dossier de demande d’agrément ou de renouvellement. La présentation d’un projet social commence par faire émerger les questions qui peuvent émaner du territoire avec l’étude et l’analyse, l’auscultation si on peut dire, de ce territoire. Dès le départ, rien ne se fait seul. En tout état de cause, la démarche doit être partenariale et concertée. C’est impératif. Au sein du centre social, les professionnels accompagnent les bénévoles et le comité d’animation. Tout le monde s’implique pour faire participer les personnes qui habitent le quartier, les usagers du centre social, les partenaires associatifs et institutionnels du territoire, dans une démarche de co-construction.
50Le référentiel CAF du projet de centre social indique que le dossier de demande d’agrément « centre social » doit faire apparaître de manière identique pour tous :
51« LA DEMARCHE DE CO-CONSTRUCTION :
- Un diagnostic partagé
- Un projet co-construit
- Les modalités de participation
- Une exigence d’évaluation. »
52Il doit comprendre également des renseignements administratifs et financiers, ainsi que des pièces justificatives. La trame est assez simple. Libre aux équipes de la nourrir comme elles le souhaitent et d’être inventives à partir de ce qui ressort du terrain.
53« Vous répétez souvent que vous êtes libres. Mais où est donc cet espace de liberté ? »
54La liberté se situe dans les orientations et les actions du projet. En nous proposant un contenant, personne ne nous impose un contenu. Nous pouvons dépasser le cadre qui existe par l’innovation et le rapprochement avec d’autres associations. Les projets du centre d’animation Saint-Michel avec Chahuts et l’Université populaire de Bordeaux nous le permettent. Les orientations et les actions découlent pour grande partie de la teneur du diagnostic partagé et de ce que l’on en fait ressortir par l’analyse.
1.4. Un diagnostic partagé
55Pour beaucoup de personnes, le diagnostic partagé « est un temps d’écoute mutuelle, un temps d’échange, un temps de réflexion, un temps d’invention, de décision, de construction collective pour analyser. Il se veut donc porteur d’analyses, d’exemples, d’éclairages pour amener à des hypothèses d’actions. Il peut prendre des formes diverses : entretiens, questionnaires, enquêtes, débats… »10 Il doit amener à des orientations et à des actions. Globalement et habituellement, le diagnostic est source d’animation, dans la mesure où tout ce qui en émerge comme idées, réflexions, théories, doit conduire à définir des orientations déclinées en actions, donc en animations. En résumé, un diagnostic partagé permet de poser des actes concrets d’un projet d’animation à la mesure de toutes les personnes, dans un contexte précis, un lieu donné, délimité, et avec un partenariat le plus ouvert possible. Il permet, en recueillant des données chiffrées issues des recensements de la population par l’Insee, celles de l’ABS (Analyse des besoins sociaux) du Centre communal d’action sociale (CCAS), celles de la Caisse d’allocations familiales pour les « ressortissants CAF », d’avoir une connaissance sociale d’un territoire, ainsi qu’une idée de son évolution. Ces chiffres sont à comparer avec ceux des adhérents du centre social concerné par la démarche de diagnostic, sachant que dans une fiche d’inscription on ne peut pas tout renseigner, ni conserver. Certaines données ne peuvent pas être demandées telles, par exemple, les professions, les minima sociaux reçus, la situation matrimoniale (famille monoparentale...) Le montant des revenus est seulement demandé pour permettre de calculer le quotient familial qui détermine les tarifs dont les adhérents doivent s’acquitter. D’un autre côté, les seuls chiffres ne suffisent pas à avoir une connaissance globale du territoire, il faut en plus s’intéresser à la vie des gens, à leurs usages, à leur quotidien, et les mettre en avant.
56Le diagnostic reste une « entreprise » humaine collective où chaque personne impliquée se trouve en position « d’expert » dans des conditions simples et spontanées d’échange, de regards croisés. Ces temps de réflexion, d’arrêts sur image, d’états des lieux, sont autant de moments de rapprochement des populations dans le but de donner du sens aux actions communes, en réponse aux besoins et attentes des habitants.
57Des débats, des rencontres, des enquêtes, des questionnaires, sont donc organisés l’année précédant le renouvellement de l’agrément. Le diagnostic devant être remis à la fin du premier semestre, les équipes s’évertuent à combiner l’analyse de données chiffrées avec l’analyse des propos recueillis lors des rencontres avec des habitants, des partenaires associatifs et institutionnels. Toutes les rencontres se concentrent dans le meilleur des cas entre les mois de février et mai. Le mois de juin est en général consacré à la phase finale pour l’écriture et l’analyse des données quantitatives et qualitatives recueillies.
58Dès l’écriture du diagnostic, doivent apparaître les grandes orientations du projet social qui doit être « adapté à la réalité du territoire pour en identifier les manques, les insuffisances, les superpositions, les concurrences, en recherchant les complémentarités souhaitables. »11 Quand le diagnostic et le projet social qui en découle sont validés par les administrateurs de la Caisse d’allocations familiales, l’agrément est donné pour une période allant de 1 à 4 années. Avant la fin de cette période d’agrément, tout le travail de diagnostic est à refaire pour proposer un nouveau projet social.
Notes de bas de page
1 Le quartier Saint-Michel est un quartier ancien et populaire de centre ville, identifié notamment par une forte population issue de l’immigration. Ce quartier a bénéficié de programmes et d’opérations de réhabilitation : Développement social de quartier (DSQ, comportant la création du centre d’animation en 1991), Opération programmée d’amélioration de l’habitat (OPAH), et fait actuellement l’objet d’un Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD). Plusieurs études questionnent un processus de gentrification à l’œuvre. L’expérience rapportée est-elle spécifique au territoire dans lequel elle se déroule ? Les auteurs ne pensent pas que l’espace détermine les relations sociales qui s’y déroulent, même s’il participe de leur qualité, aussi n’ont-ils pas souhaité enfermer l’expérience dans les spécificités de ce quartier, même si certaines d’entre elles sont rapportées dans le texte.
2 Ce festival annuel est initié par l’association Chahuts depuis 1991. Imaginé à l’origine par des animateurs socioculturels du centre d’animation, l’ancien « festival du conte interculturel de Bordeaux Saint-Michel » a évolué vers « le festival des arts de la parole interculturelle » puis s’est transformé en « Chahuts » en 2006. De petit événement de quartier organisé par des partenaires associatifs, Chahuts est devenu aujourd’hui un rendez-vous bordelais incontournable proposant une belle synergie entre projet culturel, exigence artistique et fête populaire. Son quartier général est le centre d’animation qui est rebaptisé pour l’occasion « 7ème étage et demi ».
3 A Bordeaux, les maisons de quartier sont, pour six sur sept d’entre elles, d’anciens patronages religieux, qui comportent des clubs sportifs de compétition de haut niveau. Ces associations qui ne sont pas fédérées sont devenues des équipements de proximité proposant de nombreuses activités et services. Elles sont conventionnées avec la mairie de Bordeaux sous cette appellation « maison de quartier ». Dans d’autres villes, cet intitulé correspond généralement à des maisons pour tous, proposant des activités à toute la population, mais sans avoir une origine confessionnelle.
4 Extrait du texte de la convention triennale d’objectifs.
5 Rapport moral de l’association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux, 2011 : « Les partenariats ».
6 Rapport moral de l’association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux, 2010 : « Pour une pédagogie du vivre ensemble ».
7 Cf. annexe 2 : la cartographie des centres d’animation de quartiers de Bordeaux.
8 Circulaire n° 2012-013 de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) relative à l’animation de la vie sociale.
9 Référentiel projet centre social – CAF 2010.
10 Rapport moral de l’association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux, 2011 : « Les partenariats ».
11 Référentiel CAF du projet centre social.
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L'animation, source de diagnostic
L'expérience d'un centre d'animation
Ramon Ortiz de Urbina et Jean-Luc Richelle
2013
Animation & économie sociale et solidaire
Aurélie Carimentrand, Marius Chevallier et Sandrine Rospabé
2017