L'animation socioculturelle peut-elle ou doit-elle s'émanciper du politique ?
p. 95-105
Texte intégral
1L’animation socioculturelle, en se structurant et surtout en se professionnalisant, a développé une dépendance forte avec les pouvoirs publics, principaux contributeurs des ressources associatives. Ces dernières ont considérablement augmenté entre le début des années 80 et la fin des années 90. Vingt années qui ont permis de progressivement structurer le champ de l’animation et d’en assurer, dans une proportion encore insuffisante, la professionnalisation. Pourtant, depuis une dizaine d’années, les crédits progressent moins vite, se tassent, voire se réduisent. Doit-on conclure à l’échec de l’éducation populaire dans sa capacité à s’inscrire dans les politiques publiques ? L’animation est-elle aujourd’hui considérée comme un levier essentiel du développement social ?
2Le nombre important de dispositifs publics (PRE, CUCS, contrat enfance-jeunesse, etc.) et de partenaires institutionnels (Communes, intercommunalités, CAF, Conseils Généraux, Etat, etc.) ont profondément modifié les modalités de financement des structures, et surtout des activités. De plus en plus souvent, le financement passe par un appel à projet spécifique. Le cadre conventionnel (convention d’objectifs et de moyens, contrat de projets) est réduit au profit d’un rapport négocié projet par projet, secteur par secteur.
3Cet état de fait a certes permis le développement du secteur, mais dans le même temps a généré une grande dépendance aux décideurs politiques. Dans le même temps, l’affaiblissement du militantisme, commun à l’ensemble du tissu associatif, concourt à affaiblir l’éducation populaire.
4Il est donc légitime de questionner ce lien entre politique et éducation populaire, notamment dans l’animation socioculturelle. Deux voies se dégagent donc : l’émancipation du politique ou l’affermissement du partenariat sur de nouvelles bases.
5L’émancipation du politique passe par la recherche de l’autonomie financière et donc par la remise en cause de la place des professionnels dans le champ, à moins de faire reporter les coûts salariaux sur les adhérents. La raréfaction des subventions publiques poussera inéluctablement le champ à redéfinir le rôle du binôme bénévole/professionnel. Il s’agirait pour certains d’un retour aux sources, pour d’autres d’une formidable régression.
6L’adhésion au projet politique est l’autre voie. Cela nécessite de redéfinir le contrat social. A Belfort, nous nous sommes engagés dans cette voie à travers trois dispositifs complémentaires : le projet de développement social, cadre politique de l’intervention sociale conçu par les principaux financeurs en lien avec les associations, la mutualisation des centres socio-culturels et maisons de quartier, et enfin le Conseil de Développement Social, assemblée des associations, tous secteurs confondus (éducation populaire, sport, culture, loisirs, social).
7Ces trois leviers concourent tous aux mêmes objectifs : mettre en cohérence les politiques publiques pour mieux répondre aux besoins de la population, dynamiser le tissu associatif et le bénévolat, et donc, in fine, donner toute leur place aux citoyens pour agir dans la cité.
8Une société démocratique passe par l’implication active de chaque citoyen qui, en tant que tel, doit à la fois tendre vers une capacité personnelle à penser par lui-même, à se positionner en conscience, mais également privilégier l’intérêt collectif à l’intérêt personnel.
9La citoyenneté, et qui plus est la formation à la citoyenneté, constitue donc un double défi : l’émancipation individuelle et la prise en compte de ce qui « fait société » : l’espace collectif. Rappeler cela peut être considéré comme une évidence, pourtant souvent ce défi se transforme en paradoxe, voire en clivage partisan. Etrangement, il n’est pas rare de constater que les tenants d’un libéralisme économique sans limite s’érigent en garants de l’équilibre sociétal et, inversement, que ses détracteurs les plus farouches abordent le changement social sous un angle strictement individuel.
10En étudiant le lien entre animation et politique, nous interrogeons le sens même de l’éducation populaire et du développement de l’animation sociale et socioculturelle, comme mouvement d’émancipation individuelle et collective. Disons à ce stade que le lien entre éducation populaire et politique parait être « organique », comme allant de soi, parce que dans notre société, le politique appartient au peuple et donc aux citoyens. Nous chercherons à analyser, dans cet article, ce qui favorise et ce qui freine l’accès à la citoyenneté et donc à la démocratie « éclairée ». Nous évaluerons si l’éducation populaire et l’animation jouent leur rôle émancipateur et formateur.
La place des habitants, des citoyens et de l’espace social
11Il est de plus en plus fréquent de voir remplacer le terme de « citoyen » par celui « d’habitant ». D’un point de vue humaniste, nous pourrions voir dans ce glissement sémantique une évolution positive, permettant notamment d’inclure ceux qui en sont juridiquement dépourvus : les enfants et les jeunes, les étrangers ou encore ceux qui sont déchus de leur citoyenneté. Nous pouvons également nous attacher à voir ce que perdent les « habitants » lorsqu’ils ne sont plus considérés comme des « citoyens ». Leur espace politique et social se limite alors à l’environnement proximal : ils n’existent socialement que parce qu’ils habitent quelque part, ils ne peuvent peser que sur leur lieu de vie. C’était le cas au Moyen-âge, où l’octroi de chartes de franchise aux habitants des bourgs marquait l’émancipation des habitants et constituait les premiers pas vers la citoyenneté pleine et entière, étant détenteurs de droits et de devoirs. L’enjeu du mouvement était avant tout de gagner des libertés, mais la tradition associative pousse les communautés à s’organiser. Bien entendu, il faudra attendre la Révolution française pour que le citoyen et le peuple avec lui, deviennent la source de la légitimité démocratique.
12Nous pouvons voir à tous les niveaux de notre société des glissements entre communauté et communautarisme (dans un quartier, dans les régionalismes, au niveau des nations, etc.). En enfermant l’habitant dans son espace de vie, il est poussé à ne s’intéresser qu’à ce qui le concerne directement, renforçant ainsi l’intérêt individuel ou de groupes sociaux, au détriment de l’intérêt collectif. « Faire société » nécessite par essence de dépasser son intérêt propre.
13Très concrètement, les acteurs de l’éducation populaire et de l’animation professionnelle doivent-ils limiter leur réflexion, leur intervention éducative et sociale, leur accompagnement vers l’émancipation et la citoyenneté au seul territoire d’habitation des populations concernées ? Cela me paraît à la fois terriblement enfermant et dangereux.
14Moins que l’individualisme, le champ de l’intervention sociale doit surtout gérer l’affaiblissement des espaces collectifs : le collectif ne fait plus sens. Pourquoi s’associer ? Pourquoi aller vers celles et ceux que je ne connais pas ? Pourquoi adhérer à une association, à un syndicat, à un parti politique ou à toutes autres formes de collectif humain ? Quel sens cela a pour moi ? Que vais-je y trouver ? Y gagner ? Y perdre aussi : un collectif organisé sous-entend une représentation.
15Dans le milieu associatif par exemple, les adhérents élisent un conseil d’administration. Comment ce collectif va-t-il fonctionner : de façon consensuelle, démocratique, autocratique ? Dans tous les cas, l’individu sera obligé de faire des concessions au collectif. S’inscrire dans cette démarche de façon éclairée amène donc chaque individu à adhérer à une dynamique collective qui va le dépasser. Investir des espaces collectifs comporte en soi un risque de fragilisation de l’identité propre à chacun. Le consensus serait alors une forme d’idéal à atteindre. Reste que pour y parvenir, il est nécessaire que chacun fasse l’effort du compromis, vu par certains comme le début de la compromission… Une autre façon de prendre des décisions est le vote. Les conséquences sont parfois plus radicales : ceux qui sont placés en minorité doivent se plier à la majorité. Dans de nombreux cas, ils auront alors tendance à s’émanciper d’une décision qu’ils désapprouvent.
16Les associations rencontrent parfois les mêmes difficultés que celles rencontrées par certaines collectivités. La transmission de l’information en est un exemple : il est fréquent que le Président représente son association dans des réunions sans qu’il n’en rende compte systématiquement à son conseil d’administration. Ce dernier, lorsqu’il a cette information, ne la transmet pas toujours aux adhérents. Même si certains dysfonctionnements sont manifestes et volontaires, dans une grande majorité de cas il s’agit seulement d’un manque de connaissance du fonctionnement démocratique nécessaire à la réussite de tout projet collectif.
La professionnalisation, la spécialisation et le militantisme
17Chacun sait ici comment sont nées et se sont développées l’éducation populaire et l’animation professionnelle. Certains intervenants en ont rappelé les principales étapes et en ont porté une appréciation critique, je serai donc bref sur ce point en indiquant cependant quelques points de vigilance. Tout d’abord, il apparaît ici comme une évidence que la professionnalisation du champ de l’animation a été une avancée majeure. Reste à déterminer pour qui et pourquoi. Le pour qui tout d’abord : les professionnels eux-mêmes, bien sûr, tout au moins pour ceux qui ont pu créer leur poste après avoir de longues années milité pour le développement de ce secteur. Investis bénévolement, ils ne pouvaient pas rêver mieux que de faire de leur passion, un métier.
18Certains intervenants ont souligné que les animateurs de terrain, aujourd’hui, vivent une certaine souffrance au travail, considérant que les moyens manquent pour qu’ils puissent agir comme ils le souhaiteraient. Ce ne peut être là une parole de militant. Ce dernier, parce qu’il est convaincu de l’absolue nécessité d’agir, démultipliera les chemins pour arriver à ses fins. Le professionnel moins investi du « feu sacré », s’arrêtera souvent au constat que le monde ne bouge pas et trouvera de multiples explications, justifications à cela : le néo-libéralisme, l’incapacité des élus, l’inertie des administrations, le manque de moyens humains et financiers, etc. Autant d’excellentes raisons, souvent justes, mais qui n’arrêteraient pas le militant.
19La question est donc la suivante : peut-on être un professionnel de la transformation sociale sans être militant ? Pour moi la réponse est non parce que les résistances sont telles, les vents tellement contraires, que de simples convictions n’y résisteraient pas.
20Cela interroge bien entendu nos formations, quelles soient de techniciens ou de cadres. Quelle place est réellement donnée, laissée, aux réflexions sociétales ? S’autorise-t-on encore à défendre une vision sociétale ? Peut-on être formateur, enseignant, chercheur et militant ? Ne risque-t-on pas d’être taxé de manipulateur ? Quelle place laisse-t-on au libre arbitre ? Cherche-t-on véritablement à former le citoyen, puis le formateur de citoyen ? Ces deux questions ne sont-elles pas antinomiques ?
21Plus questionnantes encore sont les formations de techniciens, fussent-ils supérieurs. Nous constatons le développement extrêmement important de filières très pointues dans le champ des loisirs, du sport, de la culture et du socioculturel. Cette forte spécialisation a progressivement eu comme conséquence de définir les actions, les projets, non pas à partir des attentes et des besoins des adhérents, mais à partir des compétences des intervenants. Faisons-nous du théâtre parce qu’il y a une demande ou parce que l’animateur a cette sensibilité ? Cette question pourrait paraître marginale si cette situation n’amenait pas à produire l’inverse des effets escomptés. En effet, l’activité n’est plus considérée comme un moyen mais comme une finalité, à la fois pour les professionnels mais également pour les adhérents.
22Si l’animation propose essentiellement des services, il n’y a alors rien d’étonnant que le public vienne les consommer. Nous plaçons alors l’animation socioculturelle dans l’espace concurrentiel, l’adhérent n’en étant plus un, puisqu’il ne vient pas dans l’association pour défendre avec d’autres ses convictions, mais pour accéder à un service qui lui est proposé. Il suffit de comparer le nombre d’adhérents d’une association et le nombre participant à l’assemblée générale pour en mesurer l’importance. Bien sûr, nous devons tempérer cette remarque par celles et ceux qui sont « empêchés », mais ils feront généralement la démarche d’excuser leur absence. Quant aux autres ?
23Toujours dans la même veine, doit être interrogé le fonctionnement démocratique des associations. Qui dirige réellement ? Le président ? Le directeur ? Le conseil d’administration ? Ce dernier fonctionne-t-il correctement ? Son renouvellement est-t-il assuré ? Par qui ? De quelle formation bénéficient les élus associatifs, les professionnels ? Sont-ils réellement mis en situation de décider ? Si des dysfonctionnements se repèrent à ce niveau, quelle crédibilité peut avoir une association dite « d’éducation populaire » vis-à-vis de la population, des pouvoirs publics ?
L’intervention sociale : un moyen de dépasser les obédiences partisanes ?
24Doit être également posée la question de la place de l’animation socioculturelle dans l’ensemble des politiques sociales. Même si la situation s’est sensiblement améliorée de ce point de vue, l’animation socioculturelle peine encore à trouver sa place aux côtés du travail social traditionnel. Pourtant, il me parait de plus en plus évident que l’avenir de l’intervention sociale passe par une plus grande articulation entre travail social individuel (case-work), travail social collectif et travail social territorial ou communautaire. L’isolement social, par exemple, ne peut être traité seulement sous l’angle du case-work. Une des problématiques sociales qui lui est associée est le caractère trop souvent curatif des interventions proposées. Les services sociaux interviennent la plupart du temps lorsque la situation de la personne concernée et/ou de sa famille est fortement dégradée. L’intervention est alors particulièrement lourde, les résultats plus aléatoires. L’intervention collective doit jouer son rôle de prévention des risques psychosociaux et s’inscrire résolument dans une politique globale de développement social.
25La Ville de Belfort est porteuse d’un projet de développement social qui va dans ce sens. Son objectif est de mieux répondre aux besoins de la population en recherchant une plus grande cohérence des politiques publiques, des acteurs et des actions menées. Un accord a été trouvé entre la Ville et son CCAS, le Conseil Général et la Caisse d’allocations familiales pour travailler ensemble dans ce sens et en direction de trois publics cibles : les jeunes, les personnes vulnérables et les personnes âgées. Voté par les différents exécutifs, ce projet est co-construit avec les acteurs de terrain, qu’ils soient issus de ces institutions ou du milieu associatif. Le diagnostic est partagé, chacun apportant son expertise et ses propositions, permettant ainsi de mieux se connaître et de se comprendre, préalable à toute action collective. En un mot, les acteurs de la cohésion sociale doivent faire l’effort d’être cohérents entre eux, puis en cohésion… Dans la même veine, deux autres projets sont emblématiques de cette démarche : la mutualisation des centre sociaux et maisons de quartier et le Conseil de Développement Social (CDS), appelé également l’assemblée des associations.
26La mutualisation des centres socioculturels et maisons de quartier est un projet qui intéresse directement le sujet traité dans ce colloque. A Belfort, il existe dix équipements de proximité, dont neuf sont associatifs. Les enjeux relevés dans le cadre du Projet de Développement Social ont montré que ces structures de proximité devaient jouer un rôle majeur pour répondre aux besoins de la population, dans une perspective de prévention. Cela nécessite, pour y parvenir, de rechercher un consensus sur le diagnostic ainsi que sur les orientations (les priorités) à se donner dans un laps de temps déterminé. Il ne s’agit pas d’uniformiser l’intervention territoriale, mais de faire de la diversité un atout. De nombreuses réunions de concertation, de co-construction ont permis d’atteindre ce premier objectif. Il s’agit de préserver la liberté associative des structures de proximité tout en favorisant les collaborations entre associations d’une part et entre associations et collectivités locales d’autre part. Il aura fallu près de 4 ans pour concevoir ce projet en commun. Ce temps de travail, qui peut paraître important pour certains, constitue cependant un socle solide, fondateur d’un projet fédérateur.
27L’étape suivante est de favoriser la professionnalisation du secteur. En plaçant ces structures d’éducation populaire au centre des dispositifs de prévention, elles ont donc le soutien de la communauté, y compris des élus. Pour être à la hauteur de ces ambitions, les ressources humaines, au cœur de toute action sociale, doivent bénéficier d’une attention toute particulière. Définition des cadres d’emploi, recrutement, formation, plan de carrière, mobilité sont autant de leviers qu’il faut maîtriser. Or, des petites structures ne disposent pas à elles seules des moyens pour y parvenir. Une structure support, associative et représentative des associations de quartier est en cours de création donc l’objectif est de favoriser les projets communs et de gérer, à terme, l’ensemble des personnels.
28L’autre chantier ouvert à Belfort est la création d’une fédération des associations, tous secteurs confondus (éducation, sport, culture, animation, social, etc.). Pour cela, nous avons installé une nouvelle instance appelée le Conseil de Développement Social (CDS). Sont invitées à y participer toutes les associations siégeant ou ayant une activité à Belfort. Cette année, le CDS a ouvert trois grands chantiers sur le thème du bénévolat et de la vie associative : la dynamisation du bénévolat (statut, place dans la cité, accueil et accompagnement, formation), la création d’un réseau associatif (création d’un annuaire qualifié, rencontres, débats, échanges de bonnes pratiques, etc.) et enfin l’organisation d’une première fête des associations, à la fois l’aboutissement des travaux engagés et le point de départ qui favorise l’adhésion et l’engagement bénévole. A terme, ce CDS devrait fonctionner de façon autonome avec l’appui de la collectivité. Aujourd’hui la Ville de Belfort est à l’impulsion et crée les conditions nécessaires à son développement.
29Nous voyons, à travers les trois exemples belfortains présentés, comment les relations associations/collectivités peuvent être distantes (financeurs/financés) ou proches (partenariat de projets sur la base d’un diagnostic partagé).
La démocratie associative et la démocratie locale : deux légitimités ?
30L’animation socioculturelle professionnelle ne peut, selon moi et sur le fond, s’émanciper du politique. Ce serait renier son existence même, puisqu’elle a pour objet l’émancipation du citoyen. Par essence, l’animation socioculturelle est politique. Une autre question est de savoir si l’animation doit s’émanciper des politiques (des dispositifs comme des élus). Rien ne l’en empêche, si ce n’est le risque de défaire ce qui a été patiemment construit depuis plus de 40 ans : la professionnalisation. Les niveaux de financement publics sont tels qu’ils constituent l’essentiel des ressources du secteur, la contribution des adhérents n’excédant pas 10 % des ressources. La part des salaires varie entre 40 % et 80 % du budget. Rompre le lien avec les financeurs ne pourrait que fragiliser, voire amener à la disparition de l’animation socioculturelle professionnelle dans le milieu associatif. Je dis bien associatif, parce que les collectivités locales feraient probablement le choix de développer en régie directe (municipalisation) les services dévolus aujourd’hui aux associations. Je pense notamment aux accueils collectifs de mineurs et aux secteurs jeunes. Se pose donc la question du rôle de la société civile et du milieu associatif ainsi que de sa plus-value sociale par rapport à un service public, municipal par exemple.
31Revenons un instant sur la vie démocratique associative : la meilleure garantie d’indépendance se situe à ce niveau. Une association composée de véritables adhérents, c’est-à-dire de citoyens engagés autour d’un projet partagé auquel ils croient, constitue en soi une force politique importante. Il est évident que le rapport avec les financeurs (qu’il soit de force ou non) sera très différent selon que les citoyens défendent leur structure et leur projet ou non. Ne faisons pas d’angélisme : en démocratie, notamment représentative, l’union fait la force. C’est la raison pour laquelle il faut chercher à convaincre, à agréger, à donner du sens à une démarche collective. Sans cela, le rapport association/élu se résumera essentiellement à une relation interpersonnelle entre les élus associatifs et les élus communaux assistés de leurs cadres administratifs ou professionnels.
32Une autre réflexion doit être amenée ici : la qualification et la formation des élus. Les mouvements de gauche sont souvent placés devant un paradoxe quant à la désignation de leurs candidats, puis de leurs représentants, au niveau local. Doit-on désigner les candidats immédiatement « compétents » pour occuper des fonctions décisionnelles ? Si oui, il est plus aisé de désigner des personnes expérimentées, ayant une bonne formation initiale, sachant s’exprimer en public, etc. Une autre voie est de composer une équipe à l’image de la population, notamment que l’on souhaite représenter. Dans ce cas, le risque est plus grand que les nouveaux élus aient plus de lacunes et donc plus de difficultés à assumer leurs fonctions. Ceux-ci auront alors besoin d’être accompagnés, formés pour progressivement être capables de décider en conscience, sans être l’instrument ni des milieux dont ils sont issus ni de l’administration communale. Cela ressemble farouchement à de l’éducation populaire !
33Si l’on y réfléchit un instant, les enjeux sont identiques dans le milieu associatif. Pour que les conseils d’administration et qui plus est les membres du bureau puissent exercer en conscience leur rôle, il est nécessaire qu’ils aient les connaissances et les compétences requises. Trop souvent, les conseils d’administration n’ont pas les éléments de méthode pour définir une politique associative et s’en remettent au directeur, qui est alors à la fois à la décision et à sa mise en œuvre. Cela ne remet évidemment pas en cause leur compétence, mais les conditions de son exercice.
34Nous voyons que la démocratie élective, qu’elle s’exerce dans le milieu politique ou associatif, est au cœur d’une dynamique collective lorsqu’elle fonctionne, ou, lorsqu’elle dysfonctionne, à l’origine de la confiscation des décisions.
35Il faut dès lors rechercher un partenariat avec les collectivités et les élus, faire preuve de pédagogie, de conviction, sensibiliser, former, afin de se donner toutes les chances de convaincre du bien-fondé de sa propre… politique. Rien ne dit qu’à l’issue, un accord soit trouvé ou que le projet soit in fine soutenu, mais les chances s’en voient sensiblement augmentées. Les désaccords peuvent subsister et, dans ce cas, le conseil d’administration et l’équipe professionnelle seront fondés à en informer les adhérents qui pourront alors se mobiliser pour défendre leur cause.
Le cadre national, l’évolution des moyens publics
36Il est difficile de parler de ce sujet sans avoir une analyse large de la situation économique et sociale, elle-même déterminée par des choix politiques. La crise que nous connaissons depuis 2008 n’est en effet pas le fruit du hasard ou de la malchance, comme elle nous est parfois présentée. Des choix politiques forts, ou souvent, l’absence de décisions politiques, en sont la cause. La financiarisation de l’économie, la déconnexion entre revenus du travail et revenu du capital, la globalisation financière, en sont la cause. En Europe et en France en particulier, la politique de l’euro fort et l’absence de régulation entre la zone euro et le reste du monde, et notamment les pays à bas coûts salariaux, favorisent les délocalisations et pénalisent les exportations. Rien n’a réellement été fait depuis le traité de Maastricht pour développer la croissance et donc l’emploi. La France est donc asphyxiée, prise en étau entre des dépenses publiques en augmentation et des recettes qui stagnent ou régressent. Chacun se fera son idée des choix politiques actuels, mais la racine de nos graves difficultés est à rechercher au début des années 80. La révision générale des politiques publiques (RGPP) a été une réponse destinée à s’attaquer à l’augmentation des dépenses sans constituer, évidemment, une solution. La fragilisation des services publics a un impact profond sur nos concitoyens, notamment les plus démunis. Les deux secteurs les plus sinistrés sont ceux de l’école publique et de la santé. Les décisions prises aujourd’hui seront payées par les générations futures. En s’attaquant à l’école de République, en détruisant les dispositifs et actions de proximité (baisse drastique des budgets de la politique de la Ville), en réduisant les dépenses de santé, etc. C’est tout notre modèle social qui est mis à mal. Il s’agit ni plus ni moins d’une remise en cause fondamentale des valeurs de notre République.
37Dans les territoires, les premières collectivités locales touchées ont été le Conseils généraux. La réforme de la fiscalité locale a amputé les départements d’une taxe dynamique sur les entreprises pour la remplacer par une Contribution Économique Territoriale (CET) qui, elle, n’évolue pas, loin s’en faut, au rythme des dépenses sociales (RSA, APA notamment). Les conseils généraux sont donc réduits de plus en plus clairement et contre leur gré à une fonction « d’organe déconcentré de l’Etat », ce qu’ils étaient à l’origine. Ces dépenses étant (heureusement) obligatoires, les marges de manœuvre sont de plus en plus limitées et donc la place pour de réelles décisions politiques réduite. Les Départements sont donc de plus en plus amenés à se recentrer sur leurs compétences obligatoires, contraints de retirer ou baisser leur financement dans des secteurs importants, notamment l’animation sociale et socioculturelle, mais aussi dans les secteurs culturel ou sportif. Les communes sont elles aussi touchées, bien que moins fortement même si le plan de rigueur de l’actuel gouvernement prévoit un tassement, voire une réduction de leurs dotations de fonctionnement.
38Nous voyons combien les collectivités locales héritent progressivement de la responsabilité d’assurer l’égalité sur leur territoire, compétence théoriquement régalienne de l’Etat. Ce contexte peut paraître conjoncturel. Il ne faut pas injurier l’avenir, mais il est probable que cette situation perdure dans le temps, voire s’accentue. Les collectivités locales vont donc devoir opérer des choix budgétaires de façon plus nette.
39La question est donc de savoir, pour revenir à notre sujet, si l’animation sociale et socioculturelle fera partie ou pas des secteurs sacrifiés.
40Les conditions pour que, dans ce contexte, l’animation sociale et socioculturelle se maintienne voire se développe, peuvent être synthétisées ainsi :
- placer le citoyen au cœur des décisions qui le concerne ;
- créer les conditions d’une adhésion véritable des citoyens au projet social ;
- améliorer la démocratie associative, notamment par l’information et la formation des bénévoles ;
- fédérer et former les professionnels en créant les conditions d’une véritable gestion des ressources humaines ;
- développer des partenariats de projet entre associations ainsi qu’entre associations et collectivités locales ;
- rechercher à répondre au mieux aux besoins de la population ;
- développer l’innovation, favoriser la créativité.
Conclusion
41En conclusion, l’avenir de l’animation professionnelle passe par deux leviers à actionner. Le premier est la capacité du secteur à porter des missions de service public dans une perspective d’éducation populaire, en créant les conditions de l’adhésion collective à un projet partagé. Le second est de rechercher des partenariats externes, condition d’une véritable réponse aux besoins complexes de la population. De ce point de vue, les collectivités sont des acteurs majeurs avec lesquelles il est nécessaire, indispensable, de coopérer.
Auteur
Mairie de Belfort, MCF en sciences de l’éducation, président de l’assemblée des chefs de départements et du réseau des départements carrières sociales, Chef de département carrières sociales, IUT de Belfort, (aujourd’hui directeur de l’IUT de Belfort)
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