Discours politiques sur la jeunesse et animateurs professionnels. Quel usage pour quelle reconnaissance professionnelle ?
p. 55-65
Texte intégral
1La construction d’un discours politique trouve souvent son origine dans les représentations que l’on veut donner de la société. Une « représentation de la société » est quelque chose que quelqu’un nous dit sur un aspect de la vie sociale (Becker, 2009, p20). Si Becker reconnaît que cette définition est large, il n’en développe pas moins un travail autour des représentations sociales, de leur construction et de leur utilisation, travail qui nous semble important de pouvoir utiliser dans ce propos.
Construction des représentations et des discours politiques autour de la jeunesse
2Représenter la réalité sociale est généralement le fait d’une communauté interprétative, un ensemble organisé d’individus (les « fabricants ») qui produisent de manière courante des représentations standardisées d’un type particulier, pour d’autres personnes (les « usagers ») lesquels s‘en servent de façon courante pour des buts standardisés. (Becker, 2009, p22)
3L’évolution de l’image de la jeunesse suit l’évolution de la société en s’appuyant sur des faits, c’est à dire la description des choses observées à un moment donné, dans un lieu donné. Becker nous explique en s’appuyant sur les travaux de Thomas Kuhn (1972), que les faits sont chargés de théories qui expliquent les caractéristiques en présence, celles qui sont observables. Certaines apparaissent comme évidentes, pour cela, il faut que les acteurs des faits « coopèrent ». Les faits seront acceptés par le public auquel ils sont destinés, ce public étant particulièrement repéré comme susceptible de les accepter. Ainsi, les faits seront présentés comme fondés sur une théorie et non sur des preuves, acceptables par un public donné, leur interprétation venant naturellement construire une réalité. Cette réalité sera approuvée car elle correspondra aux normes acquises par les usagers durant leur apprentissage.
4Chacun sait aujourd’hui que la jeunesse a toujours posé problème. De Socrate et sa célèbre phrase sur une jeunesse définitivement perdue, à notre société contemporaine dans laquelle la jeunesse est perçue comme vecteur de changement, ce qui peut poser problème. Si on retrace rapidement l’histoire de la jeunesse dans notre société depuis la première organisation politique de sa prise en charge, on constate que le gouvernement de Vichy est le premier à développer une prise en charge politique de la jeunesse. Elle doit être encadrée pour éviter qu’elle ne devienne déviante en s’inscrivant dans la Résistance et cadrée afin de correspondre aux idées fascistes et à son idéal de société. Les faits sont posés, la jeunesse doit être mise « dans de saines expressions collectives ». Les usagers sont ici le peuple français qui est soumis à une campagne de propagande les inscrivant dans une pensée unique permettant de repérer les ennemis de l’Etat et donc du peuple français. Ces faits sont appuyés par des théories portées par des explications scientifiques qui sont censées faire foi de la réalité sociale.
5A la Libération, la jeunesse doit être protégée. Elle a vécu les heures sombres de l’histoire de la société française et doit être accompagnée et éduquée pour ne plus vivre cela. L’ordonnance de 45 va organiser la protection judiciaire de la jeunesse dans l’idée de prévention. Les faits vécus durant la guerre amènent une construction d’une représentation de la jeunesse comme fragile. Cette idée est fortement acceptée par les usagers qui sortent d’une période tragique.
6Les années 1950 vont être le temps de la reconnaissance politique de la jeunesse comme groupe social avec le développement d’actions et de dispositifs spécifiques et la création d’un secrétariat d’Etat à l’enseignement, à la jeunesse et aux sports. C’est aussi le début de la modernisation et de la reconstruction pour laquelle la France fait venir des travailleurs issus de ses colonies. Ici les fabricants de représentation, l’Etat, décident que la société doit se moderniser, se reconstruire, en proposant une réalité sociale où chacun trouve sa place, les jeunes, mais aussi les immigrés qui viennent pour aider la France à se reconstruire.
7Les années 1960 sont le temps, pour la jeunesse, de l’expérimentation. On a le temps de trouver sa voie, on a le droit de se tromper, de faire des bêtises. La jeunesse vit dans une société en pleine modernisation et évolution. Mai 68 sera la première apparition de la jeunesse sur la scène publique, comme groupe organisé, revendiquant un changement de société. Cette jeunesse est soutenue par l’opinion publique qui s’inscrit alors dans une protection de ses enfants et une idée de transformation sociale portée par la jeunesse. Nous sommes dans une représentation de la société comme jeune et moderne, elle doit donc être portée par ceux qui sont la représentation de cette image.
8Les années 1970 vont amener la France vers la crise économique avec le premier choc pétrolier de 1973. Le chômage grandit, les premiers touchés sont les plus fragiles : les jeunes et les classes populaires. Les représentations autour de la réalité sociale changent. Les fabricants des représentations sociales vont décider, à partir de ce qu’ils croient possible, d’orienter l’image de la jeunesse. Elle est présentée alors comme un temps où on peut attendre. La priorité sera l’emploi des adultes et pour que les jeunes attendent, on créé un système de stages qui maintiennent la jeunesse dans l’idée qu’il faut qu’elle ait une expérience de terrain si elle veut accéder un jour à un emploi. Cette représentation des jeunes jamais suffisamment formés ou trop formés mais avec trop peu d’expérience, va permettre de repousser l’entrée des jeunes dans le monde du travail.
9A l’été 1981, la première crise des banlieues apparaît dans les médias avec les événements des Minguettes (Lyon). La réponse de la gauche qui vient d’investir la présidence sera la mise en place, dans l’urgence, de la politique de la ville en développant quatre axes prioritaires : l’urbanisme, l’éducation, l’insertion et la prévention. L’Etat demande de prendre en charge la jeunesse au niveau local. On entre là dans une nouvelle forme de politique en direction de la jeunesse, plutôt des garçons des quartiers populaires et d’origines étrangères, sous-tendue par la nécessité d’une paix sociale. La jeunesse doit être aidée (Dispositif « anti été chaud », Mission locale, ZEP, Conseils Communaux et Départementaux de Prévention de la Délinquance, lutte contre la montée du racisme) et encadrée. Le contrôle social n’est pas loin.
10En 1990, de nouveaux événements ont lieu à Vaulx-en-Velin dans le quartier du Mas du Taureau, puis quelques mois plus tard, la mort d’un jeune en garde à vue dans le quartier du Val Fourré à Mantes-la-Jolie provoquent de nouvelles violences (Mucchielli, Le Goaziou, 2006). C’est l’apparition de l’expression « violences urbaines » et d’un processus qui se reproduira désormais, qui met en scène jeunes et policiers, avec la mort d’un ou de plusieurs jeunes, et des discours post événement reposant sur l’accusation systématique des jeunes. Les fabricants de représentations vont s’appuyer sur le degré relatif de savoir des utilisateurs sur les faits réels qui se déroulent au sein des quartiers populaires. La théorie soutenue par les fabricants étant de dire « quand on n’a rien à se reprocher, on ne fuit pas devant la police ». Cette théorie peut être entendue par les utilisateurs qui ne connaissent pas la réalité de la vie des jeunes dans les quartiers populaires.
11Ces différents épisodes de violences urbaines et ceux qui vont leur succéder sont systématiquement médiatisés. Les discours présentant la jeunesse comme dangereuse apparaissent de plus en plus, même si le mot jeunesse n’englobe pas ici tous les jeunes, la société française commence à avoir peur de sa jeunesse.
12La campagne électorale de 2002 va finir de stigmatiser la jeunesse en l’associant de façon récurrente à la délinquance. Les discours tenus à partir de cette date sont : « il faut encadrer, redresser, nettoyer », malgré la tentative de la part des professionnels et des chercheurs de faire émerger l’image d’une jeunesse citoyenne.
13Automne 2005, les violences urbaines se généralisent, la jeunesse est dangereuse. Début 2006, des actions sont développées contre le CPE, la jeunesse est dans la rue, mais elle est manipulée. En 2007, un nouvel épisode de violence urbaine à lieu à Villiers-le-Bel, la jeunesse est rapidement « matée » et on la pousse à dénoncer. La représentation de la jeunesse est désormais, et quoi qu’il arrive, négative. Les fabricants de représentations gardent ainsi un pouvoir, celui de maîtriser le sentiment d’insécurité. Les usagers à qui sont destinés ces discours de peur de la jeunesse, n’ont pas la connaissance suffisante des faits réels et se laissent donc portés par des théories construites à partir de faits triés par les fabricants pour apparaître comme insupportables et dangereux. Ce travail permet de faire accepter à un plus grand nombre, des lois qui posent le contrôle social comme vital (voir la loi sur la délinquance de 2002).
14Enfin, en 2012, la campagne des présidentielles nous montre des partis politiques qui mettent en avant « leurs » jeunes, montrant qu’il existe en France de « bons » jeunes engagés et citoyens. La banlieue n’existe plus et les jeunes qui vivent dans les quartiers populaires disparaissent. Seules des associations comme ACLEFEU tentent de remettre au débat les banlieues en « traversant le périph ».
15Qu’en est-il alors des discours politiques autour de la jeunesse et quelles représentations sociales sont construites, avec quelles conséquences pour l’action des professionnels de l’animation, et plus généralement, pour la prise en charge de la jeunesse en France ?
Le référentiel sur la jeunesse de Chantal Guérin Plantin (1999)
16Lors de ses travaux sur l’insertion des jeunes, Chantal Guérin Plantin a créé un référentiel sur la jeunesse à partir des discours entendus. J’ai choisi d’utiliser ce référentiel depuis quelques années pour partir des discours tenus sur la jeunesse afin de comprendre leurs effets sur sa prise en charge. J’ai donc décidé de présenter ce référentiel en l’illustrant d’exemples observés ces dernières années lors de ma présence sur le terrain.
Le modèle de la jeunesse fragile
17La jeunesse a besoin d’être protégée par une justice spécifique et une censure de la presse et des spectacles. La jeunesse est fragile, il faut des professionnels pour l’accompagner. La jeunesse est fragile, il faut décider pour elle. Mais la jeunesse est le temps de l’expérimentation.
18Les discours sur la protection de la jeunesse ne risquent-ils pas d’interdire un accès à l’autonomie et à une place citoyenne ?
19« Le comité de suivi d’un conseil de jeunes.
20Lors de ma première participation au comité de pilotage de ce conseil de jeunes, une question est mise en débat, la présence des jeunes dans ce comité. Autour de la table, les membres du comité qui se compose de représentants associatifs de la ville. Un tour de table est fait. Le discours de l’ensemble des personnes présentes se résume à « les jeunes ne peuvent pas participer au comité de pilotage, on pourrait être amené à dire des choses qu’ils ne pourraient pas comprendre ».
21Je pose alors la question de la vision de la jeunesse. La jeunesse serait-elle trop fragile pour ne pas être en capacité d’entendre les échanges de ce comité ? Faudrait-il que les adultes décident pour les jeunes alors qu’on demande aux jeunes de participer et de donner des pistes pour une aide aux décisions qui seront prises dans le cadre de politiques qui les concernent. Finalement à quoi sert le conseil de jeune, à quoi sert le comité de pilotage ?
22La question de la présence des jeunes va être remise au débat au comité suivant. Finalement le comité acceptera la présence de jeunes. »
23On constate ici comment, alors que des professionnels s’occupant de la jeunesse, acceptent de participer à l’accompagnement d’un conseil de jeunes, espace qui doit permettre l’exercice de la citoyenneté, les représentations sociales prennent le pas sur la réflexion. Finalement, naturellement, les jeunes sont exclus d’un espace dans lequel on parle d’eux.
24Quand les représentations sociales sont développées par les fabricants, ceux-ci s’efforcent de contrôler ce que les utilisateurs font de leurs représentations (Becker, 2009, p33). Et même si les utilisateurs sont de bonne volonté, qu’ils décident d’œuvrer pour accompagner la jeunesse, les représentations sont tellement fortement posées qu’elles les conduisent à écarter la jeunesse d’une forme de participation. C’est ainsi que l’on créé des espaces de participation pour les jeunes dans lesquels ils se retrouvent enfermés.
25Des travaux précédents menés avec Alain Vulbeau (Bordes, Vulbeau, 2004) sur la participation citoyenne des jeunes montrent comment, si les jeunes sont accompagnés par des professionnels alertés, ils sont en capacité de jouer un rôle d’acteurs citoyens. Ce modèle de la jeunesse fragile peut être utile pour préserver la jeunesse dans certains cas d’abus, mais il peut aussi enfermer la jeunesse dans une impossibilité d’accéder à l’autonomie en protégeant les jeunes là où ils ont besoin d’être accompagnés. Pour certains fabricants de représentations sociales, il est sans doute préférable que la jeunesse soit maintenue dans une ignorance et une dépendance, la peur des jeunes étant plus forte.
Le modèle de la jeunesse messianique
26Les jeunes sont capables de changer, voire de sauver le monde à partir de leurs propres règles. Les adultes attendent que la jeunesse fasse la Révolution. La jeunesse messianique fait rupture et refonde la société. Cette idée a orienté les idéologies et les expérimentations d’éducation alternative. Dans la société française aujourd’hui, les adultes sont persuadés que cette jeunesse n’existe pas, qu’elle appartient au passé.
27« Ce référentiel est intéressant, il faudrait que vous puissiez le présenter aux élus, ils ont besoin d’entendre comment on voit la jeunesse aujourd’hui. Par contre, laissez tomber le modèle messianique. C’est un vieux modèle qui ne peut plus exister aujourd’hui dans notre société. » (Echange avec un responsable de service jeunesse, octobre 2011.)
28Quand je parle de ce modèle, les professionnels me disent qu’il n’existe plus. Si mai 68 est un exemple évident de l’action des étudiants dans la revendication d’une évolution des mœurs de l’époque, on me rétorque qu’aujourd’hui les jeunes doivent être accompagnés par des adultes. Pourtant les révolutions arabes de 2011 montrent le contraire ainsi que les actions alternatives développées par des jeunes pour faire vivre des projets, des lieux ne dépendant d’aucune institution. La question de la jeunesse messianique est fortement repoussée par les adultes. On pourrait se dire que les adultes ne peuvent envisager que la jeunesse soit autonome, même s’ils sont les premiers à vouloir œuvrer pour cette autonomie. Une jeunesse qui s’organise seule est une jeunesse qui potentiellement peut devenir dangereuse pour la société et pour la place de chacun. Accepter que la jeunesse puisse être autonome, c’est remettre en cause l’existence de professionnels accompagnant cette jeunesse, mais aussi les fonctionnements d’une société organisée par les adultes.
Le modèle de la jeunesse dangereuse et en danger
29La jeunesse dangereuse ne représente qu’une infime partie dans les statistiques, pourtant c’est elle qui apparaît comme la plus nombreuse. La jeunesse est dangereuse, il faut l’encadrer par des lois, une police, des professionnels. Il faut surveiller et punir (Foucault, 1975). La jeunesse est associée à la délinquance. Mais la jeunesse est aussi en danger, elle peut être contaminée par les autres ou manipulée. Ce discours a largement alimenté la campagne électorale de 2002.
30« Les jeunes brûlent des voitures, on ne sait même pas pourquoi, ils ne disent rien. » Ce genre de propos s’est largement répandu dans les médias lors des évènements de 2005.
31« Les jeunes sont manipulés par des organisations d’extrême gauche. Ils les utilisent pour faire passer leurs idées. » Autre discours entendu dans les médias lors des manifestations de 2006 contre le CPE
32A l’automne 2005, les quartiers populaires s’embrasent lors d’un nouvel épisode de « violences urbaines ». Les différents discours tenus tournent tous autour de l’absence de paroles des jeunes. Les différents travaux développés à l’époque (Lagrange, Oberti, 2006 ; Mucchielli, Le Goaziou, 2006 ; Bordes, Vulbeau, 2005) montrent comment ces jeunes des quartiers populaires qui n’ont pas d’espace de parole dans les médias ou les instances décisionnaires dans lesquelles ils ne sont pas représentés, prennent cette parole en posant des actes forts. Apparaître dans l’espace public est une manière d’exprimer le malaise profond de ces quartiers. Mais ce silence est relatif, car pour ceux qui sont sur le terrain, au plus près des jeunes, les cris sont assourdissants. Il semble pourtant plus simple de montrer la dangerosité des jeunes plutôt que d’écouter leur mal être et leur désespoir de ne voir aucun avenir se dessiner. Les jeunes sont donc dangereux.
33Au début de l’année 2006, non seulement les jeunes sont dangereux mais en plus ils sont en danger. Les manifestations qui vont se dérouler contre le CPE vont entrainer un nouveau discours, celui de la jeunesse en danger parce que manipuler.
34Ces deux exemples nous montrent comment la jeunesse subit des représentations construites à partir de contextes sociaux dont l’origine est écartée au profil d’un discours qui va permettre de poser des lois et des décrets en jouant sur le sentiment d’insécurité.
Le modèle de la jeunesse citoyenne
35On développe une croyance en l’éducation et la transmission des principes de la société adulte (partis politiques, mouvements de jeunesse, associations d’éducation populaire, etc.). Si elle est accompagnée, la jeunesse peut accéder à la citoyenneté. C’est l’idée que défend le champ de l’éducation non formelle.
36Le maire adjoint de Stains en 2004 disait : « Laisser les jeunes intégrer l’espace politique, c’est aussi intégrer du danger politique parce que, un jeune, ce n’est pas forcément quelqu’un qui va être de la même couleur politique » (Bordes, Vulbeau, 2004).
37Depuis les années 1980, l’offre de participation faite aux jeunes est large. Pourtant, elle ne semble pas mobiliser l’ensemble de la jeunesse. Dans les années 1950, les fabricants de représentations affichent l’idée que la jeunesse doit être encadrée. Dans les années 1960, la jeunesse doit être formée. A partir des années 1980, la jeunesse doit participer. Paradoxalement, l’offre de participation s’adresse aux populations les plus en difficulté. On leur demande de se mobiliser alors qu’on ne leur reconnaît pas de place dans la société.
38Dans les années 1980, puis 1990, les événements dans les quartiers devenus « sensibles » poussent l’Etat à proposer un certain nombre de mesures pour tenter d’impliquer les habitants à la vie de leur commune. Cette consultation concerne aussi les jeunes. Pourtant, une plainte récurrente dénonce l’absence de jeunes dans les comités de quartier et les réunions publiques. Pour que la participation des jeunes soit possible, il faut que les adultes les accompagnent. Pourtant, les adultes ont peur du pouvoir éventuel de la jeunesse, ils ont peur de perdre leur place. Permettre la participation des jeunes, c’est accepter de se mettre en danger. Ce face à face « jeune-politique » n’est pas simple car, il est sous-tendu par des représentations de chaque côté. Les jeunes reprochent aux décideurs politiques d’être consultés alors que les décisions sont déjà prises. Les adultes estiment que les envies des jeunes sont inscrites dans un court terme.
39Pourtant, certains élus ont décidé de réfléchir à la place que pourrait tenir la jeunesse dans la ville. Cette proposition de participation se retrouve sous différentes formes, comme, par exemple, le Conseil de jeunes qui pourrait être une ouverture vers la citoyenneté.
40Ces formes de participation ont été mises en place en 1997 à la suite des rencontres locales de la jeunesse par M.-G. Buffet, alors Ministre de la jeunesse et des sports.
41Lorsqu’on observe le fonctionnement de ces Conseils de jeunes (local, départemental ou national), on constate que ces pratiques révèlent des comportements de jeunes opportunistes, visant une place précise, mais aussi, des jeunes militants décidés à faire avancer la réflexion en y prenant part pleinement. Des stratégies se développent alors pour éviter la récupération et l’instrumentalisation de la jeunesse. Dans certains cas, ces Conseils ne sont que des vitrines pour justifier de la mise en place d’une politique jeunesse. Pourtant, quand ces espaces sont pensés et quand les jeunes sont accompagnés, alors, ils deviennent de véritables provocateurs de changement, permettant l’expérimentation des fonctionnements institutionnels et la construction et l’échange de savoir et de savoir-faire.
42Ces espaces de participation sont donc des lieux d’expérimentation pour la jeunesse, mais aussi pour l’institution et les adultes. On comprend combien la situation peut devenir inconfortable, surtout pour les adultes qui ont du mal à s’inscrire dans des espaces en construction.
43Pour développer ce modèle de la jeunesse citoyenne, il faut une volonté politique, une interrogation sur les buts de la participation des jeunes, un positionnement accueillant de la part des adultes, une reconnaissance des ressources et des compétences de chacun, accepter le conflit qui est signe d’un début d’échange et enfin, offrir un cadre avec un accompagnement et la possibilité d’expérimenter. Il faut aussi avoir conscience que la participation des jeunes fait partie d’une offre conçue dans le cadre d’une politique de discrimination positive. Elle est censée réparer les dégâts de la discrimination « ordinaire ». Les conseils de jeunes ne sont qu’un exemple que l’on peut retrouver dans ce modèle de jeunesse citoyenne. Tout le travail développé aujourd’hui au sein des associations d’éducation populaire fait partie de ce modèle. Pourtant, donner une place à la jeunesse n’est pas simple, mais laisser la jeunesse prendre place est encore plus compliqué.
44Ces quatre modèles se retrouvent de façon inégale ces dernières années. Depuis les élections présidentielles de 2002, le discours s’est polarisé sur le modèle de la jeunesse dangereuse et en danger, ce discours n’étant plus seulement développé par les partis politiques de droite, mais aussi par certains partis politiques de gauche. Aujourd’hui, les acteurs politiques les plus en vue dans la campagne présidentielle de 2012 semblent d’accord sur le fait que la délinquance est un fléau qu’il faut combattre. C’est sans doute pour cela que le modèle de la jeunesse dangereuse et en danger est moins utilisé. Les fabricants de représentations ont réussi à faire passer l’idée auprès d’une majorité d’usagers que la jeunesse doit être surveillée. Pourtant, la jeunesse reste dans la représentation générale synonyme d’avenir, on assiste donc à un choc des représentations entre danger, peur et avenir.
L’impact des discours politiques
45Si on reprend ce qui ressort de l’histoire de la société française face à sa jeunesse, on constate que la prise en charge de la jeunesse est sous-tendue par la paix sociale. La mauvaise image de la jeunesse entraîne des discours de nécessité d’encadrer les jeunes. Les missions confiées aux professionnels sont donc trop souvent guidées par ces deux constats. Les professionnels doivent donc trouver un équilibre entre commande politique et traduction sur le terrain.
46Pour les professionnels les discours sur la jeunesse fragile, dangereuse et en danger, et citoyenne, leur permettent d’exercer leur profession au travers de missions. La jeunesse messianique est celle qui dérange le plus les professionnels et les décideurs politiques puisqu’elle n’a pas besoin d’eux. Les discours sont alors argumentés autour du fait que les jeunes ne font plus la révolution seuls. Quand elle descend dans la rue, elle est manipulée, donc doit être protégée (jeunesse fragile) d’elle-même et des autres (jeunesse dangereuse et en danger) et accompagnée pour devenir une jeunesse citoyenne. Mais quand elle participe pour trouver une place citoyenne, elle devient suspecte avec le risque de prendre la place des adultes. Le débat en direction des jeunes, depuis les élections de 2002, est dominé par la peur de la jeunesse, ce qui repousse le modèle de la jeunesse citoyenne.
47Eric Macé (2002) montre que depuis les années 1990, le discours de référence se fonde sur une dépolitisation de la délinquance. On évacue les causes sociales. La délinquance existe, mais l’utilisation des chiffres entre dans un jeu politique. Avec la peur de la jeunesse et la médiatisation de faits divers, les décideurs politiques n’utilisent plus l’organisation de la justice des mineurs dans le sens de la prévention (ordonnance de 45)
48Laurent Mucchielli (2002) montre que la délinquance des jeunes issus de l’immigration est analogue à celle des populations pauvres. Les actes sont surtout des vols de voiture et des violences faites contre les porteurs de l’autorité (police)
49La peur de la jeunesse entraine un sentiment d’insécurité et l’apparition de faits comme les incivilités. Ce sentiment d’insécurité est activé, animé, entretenu par les discours sur la jeunesse. Ce procédé n’est pas nouveau, M Foucault montre comment au XIXe siècle on s’est servi de se sentiment d’insécurité pour créer les maisons de correction pour les jeunes pas assez coupables pour la prison, mais pas assez innocents pour la liberté.
50Ces maisons de correction qui donnent naissance aux institutions rééducatives et judiciaires de la jeunesse vont introduire le thème « criminel » défini ensuite comme « classe dangereuse ».
51Aujourd’hui, la criminalisation de la jeunesse tient lieu d’analyse sociale. Le discours sur la jeunesse dangereuse est entendu grâce aux médias qui relaient la mise en scène d’une jeunesse criminelle. Ces discours permettent de faire oublier le chômage et la précarité des jeunes (Bordes, Vulbeau, 2004)
52Lorsque la jeunesse est entourée de soupçons et perçue comme une menace, elle ne peut accéder à une participation et ne peut « prendre place ».
53Comment penser une place pour la jeunesse quand on la représente comme criminelle ?
54La représentation de la jeunesse dangereuse obscurcit la vue sur la diversité et la complexité des situations juvéniles. La pensée sécuritaire positionne la police au centre de l’action publique visant la jeunesse qui apparaît, finalement, comme un groupe qui va mal.
55Les discours autour de la jeunesse ont un rôle dans la société. Ils permettent aux décideurs politiques d’argumenter les prises de position, la création de lois, pour le bien être de la jeunesse. Ils permettent aux animateurs professionnels de justifier leurs missions et l’utilité de leur profession. Les discours sur la jeunesse ont donc un rôle social et politique. Ils permettent de justifier les actions de contrôle et d’encadrement de la jeunesse. Ce référentiel est utilisé au gré des besoins politiques passant d’un niveau à l’autre. Qu’en est-il alors de la place des professionnels de l’animation dans ce jeu de mots ?
Bibliographie
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Auteur
MCF en sciences de l’éducation, Toulouse 2, UTM, UMR EFTS.
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