Introduction
p. 13-18
Texte intégral
1Les textes réunis dans cet ouvrage font suite aux communications présentées lors du colloque international des 23 et 24 janvier 2012 intitulé « L’animation socioculturelle professionnelle, quels rapports au politique ? » par l’Institut Supérieur d'Ingénieurs-Animateurs Territoriaux (ISIAT). La plupart des communicants ont accepté de soumettre au comité scientifique une contribution écrite plus étoffée de leur présentation orale. Ces textes regroupés thématiquement selon les axes du colloque et reproduits ici, n’engagent que leurs auteurs et leur publication vise à montrer l’intérêt et la richesse des présentations qu’un tel thème a pu susciter. Loin de vouloir épuiser le sujet, les organisateurs ont voulu l’entamer tant il représente une actualité pour le monde de l’animation professionnelle, pour celui de la formation à l’animation et pour celui de la recherche9. L’IUT Michel de Montaigne, premier IUT de spécialité tertiaire créé en 1967 par Robert Escarpit, donnera naissance au département Carrières sociales qui forme à l’animation sociale et socioculturelle et qui a, depuis le début, été imprégné par les convictions politiques des enseignants et professionnels représentants d’associations qui se sont engagés au sein de l’équipe pédagogique10. La période de création de l’IUT, marquée d’évènements politiques, explique aussi que de nombreux étudiants ont su cultiver par la suite divers engagements dans leur vie professionnelle ou personnelle11. L’histoire de l’IUT montre que les colloques, mis en œuvre depuis de nombreuses années, présentent quelques convictions et procédés que celui de janvier 2012 a tenu à réaffirmer. Il s’agit de promouvoir des échanges de qualité qui réunissent des communications scientifiques et des expériences de praticiens. Les IUT sont, au sein des Universités, des lieux de formation les mieux à même de faire valoir un ancrage professionnel des formations auxquelles ils contribuent et, par les équipes d’enseignants chercheurs qui composent leurs équipes, de stimuler l’avancée d’une recherche ancrée dans l’action. Cette recherche s’enrichit des pratiques professionnelles qui participent de la formation des étudiants et/ou produisent des éléments de compréhension, de connaissance et d’analyse de ces objets de recherche que constituent ces mêmes pratiques. Il s’agit non seulement de proximité, mais d’une tension permanente que des acteurs de la formation et de l’enseignement supérieur entretiennent, au sein des IUT, entre la théorie et la pratique, pour produire une formation technologique innovante et une recherche praxéologique. Les argumentaires de nombreux colloques et les ouvrages précédemment produits par des enseignants de l’IUT attestent de ce soubassement12.
2L’idée est de proposer un espace d’expression autour d’une thématique qui permettrait, non pas d’aboutir à un consensus plus ou moins satisfaisant ou à la reconnaissance d’une soi-disant vérité scientifique normative, ce qui serait bien prétentieux et impropre, mais bien plutôt de permettre différentes expressions et leur confrontation. C’est dire qu’il ne s’agit pas de faire le tour d’une question en quelques heures avec quelques témoins qui ne se connaissent pas avant cette rencontre, mais d’amorcer des pistes, de partager des recherches, d’interroger des entrées diversifiées. Ainsi s’expliquent les approches pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle qui ont permis de croiser des récits, des investigations et des analyses. L’ouverture internationale se traduit par des apports de collègues universitaires et professionnels espagnols de l’IEPSA à Saragosse13, avec lesquels nous avons réalisé un programme de coopération Aquitaine-Aragon dont différents écrits rendent compte et auquel ils contribuent, tel celui-ci, également de collègues portugais de l’ESELx à Lisbonne et québecois14 de l’UQAM à Montréal, mais dont les communications ne pas toutes reproduites dans cet ouvrage.
3Il s’agit d’articuler pratique et recherche, de confronter discours d’universitaires et discours de praticiens, savoirs de recherche et savoirs d’expérience, selon une idée sous-jacente qu’entre savoirs et pouvoirs, des chercheurs, des praticiens, des élus politiques et des citoyens, participent à construire le monde de l’animation socioculturelle professionnelle. Ces acteurs induisent des rapports de proximité ou de distance, de connivence ou de résistance à l’action publique, aux politiques publiques, à la vie politique. Même s’il reste parfois difficile de déposer son jargon professionnel et ses préssuposés, ce type de colloque peut être perçu comme un temps de co-formation entre l’ensemble de ses participants, pour ceux qui souhaitent s’inscrire dans cette démarche.
4La volonté de traiter de l’animation socioculturelle professionnelle visait à réduire le champ mais non à occulter l’animation volontaire qui est également concernée par le sujet. Le parti pris, validé par le comité scientifique qui a suivi l’organisation du colloque, a été de ne pas définir a priori un cadre théorique pour « le politique ». Au risque de recevoir des propositions qui divergent quant à cette notion, l’appel a été adressé de façon ouverte à tous chercheurs et praticiens interpellés par le sujet. Autrement dit, plutôt que des universitaires proposent des définitions savantes pour cadrer les interventions à recevoir, selon le canon de certains colloques scientifiques, le choix a été fait de partir de la compréhension large que chacun aurait de la thématique, issue entre autre de sa pratique. En dehors de quelques propositions refusées, l’ensemble des textes, qui ont été acceptés, traduit différentes approches du politique : la politique comme science (politics), comme une politique (policy) ou ensemble de politiques publiques, comme un régime politique (polity).
5La question du rapport au politique n’est pas nouvelle pour les animateurs et peut se poser de diverses façons, tant au sens du monde politique qui influe sur la vie sociale et culturelle dans laquelle il leur est demandé d’intervenir, qu’au sens où ils sont souvent confrontés au fait politique et même dépendants de l’agenda politique, et nécessairement questionnés tant par l’expression politique citoyenne que par leur propre engagement ou désengagement politique. Le contexte politique français et les conséquences de certaines politiques publiques actuelles pour les pratiques d’animation, et pour les populations, nous ont semblé constituer des raisons suffisantes pour poser cette thématique en discussion lors de ce colloque. Le politique peut concerner des animateurs socioculturels, notamment par deux aspects qui les préoccupent généralement dans leurs pratiques professionnelles : une façon de gouverner et une visée d’émancipation. Parmi les façons de gouverner, les organisateurs ont souhaité souligner l’idéologie néolibérale et les pratiques qu’elle induit qui tendent à appliquer une grille économique au champ de l’animation, du social, du travail social, mais aussi de l’éducation, de la culture, de la justice, de la médecine, etc. Un élément pernicieux de cette logique gestionnaire des conduites humaines est qu’elle mobilise, par l’entremise de médiateurs, des populations dans leur capacité à devenir « entrepreneures de leurs affaires », à se gérer elles-mêmes, à participer de façon responsable à cette même logique. D’autre part, selon la visée d’émancipation qui traverse l’éducation populaire et l’animation socioculturelle, le politique peut être évoqué comme une modalité qui, conjointement à la mise en évidence des enjeux et des rapports de pouvoir (de classe, de sexe, d’âge et d’origine), suscite la création d’espaces publics d’opposition, de débat, de visibilité et de parole des acteurs faibles, de vie démocratique. Ces deux aspects traversent chacun des trois axes qui ont été définis, sous la forme de questions, pour organiser les ateliers du colloque et qui ont été reproduits dans la structuration du présent ouvrage. Quelles articulations entre animation et politique ? Quelles pratiques, quels enjeux et quelles contraintes pour les animateurs ? Quelles places pour les populations, actrices ou spectatrices ?
6Ce qui reste nouveau dans la préparation de ce colloque est d’avoir sollicité deux personnes extérieures, Gilles Monceau, professeur des universités en sciences de l’éducation et spécialiste de l’analyse institutionnelle, qui a une expertise dans l’accompagnement de groupes professionnels, et Benjamin Moignard, maître de conférences en sociologie, connaissant bien l’animation socioculturelle et auteur de travaux sur l’éducation. Un dispositif a été mis en place avec la constitution de deux groupes, l’un de cadres de l’animation et l’autre d’étudiants en formation professionnelle continue. Gilles Monceau présente ce travail dans sa communication reproduite dans cet ouvrage et met en évidence plusieurs éléments qui ont permis d’orienter l’argumentaire de préparation du colloque. Benjamin Moignard témoigne en fin d’ouvrage des réflexions, initiées avec ces deux groupes et travaillées tout au long des deux journées du colloque, en soulignant certains points nodaux émergents.
7De plus une soirée a réuni des acteurs socioculturels qui, sans être animateurs socioculturels professionnels, mènent ou ont mené des expériences alternatives, et qui ont pu réfléchir à ces initiatives en les confrontant au thème du colloque. L’idée était d’alimenter la réflexion par un détour qui puisse interroger des pratiques plus ou moins traditionnelles d’animateurs. Les actions et expérimentations qui ont été présentées ce soir là par ces acteurs (La bande passante, TRAS, Le Splendid, Le local du CLAV)15 ont questionné, de façon parfois très impertinente, la légitimité de la professionnalisation des acteurs de l’animation socioculturelle, prônant ainsi que tout individu est un réalisateur potentiel d’actions ou d’intentions émancipatoires. Ces échanges ont ainsi conduit à questionner les processus d’institutionnalisation de l’animation socioculturelle, à mettre en débat ses liens ou ses créances aux évolutions structurelles et économiques des sociétés (post) modernes. L’exposition du travail photographique conduit par Raphaëlle Bertho auprès de collégiens de Saint-Denis sur le bâti de leur commune, a permis de mettre en discussion l’imaginaire social qu’ils ont sur les découpages architecturaux et de confronter leur vécu, et leur attachement à un territoire, à l’animation de ce dernier.
8Ainsi que cette introduction l’expose, nous n’avons pas souhaité lors de ce colloque nous contenter d’explications toutes faites et trop rapides, mais bénéficier de multiples entrées et éclairages qui invitent à questionner et développer une compréhension critique des rapports de pouvoir cachés, affichés, idéologiques, pratiques, de l’animation au politique. Nous avons toutefois renoncé à solliciter des élus, pensant que la période électorale aurait pu biaiser leurs propos. Toutefois, deux intervenants se sont exprimés à ce titre, pour exposer leur rapport à l’animation ou restituer un éclairage socio-historique de la place de l’animation dans le politique. Les actes qui résultent de ce colloque ne clôturent donc pas le sujet, mais doivent être lus comme autant de travaux en cours.
Notes de bas de page
9 À nouveau, ce colloque a reçu l’appui, au sein de son comité scientifique qui en est porteur et du pôle ISIAT - recherche et formations continues du département Carrières sociales qui l’a initié, de l’Université Bordeaux 3, du laboratoire ADES (Aménagement, Développement, Environnement et Société) unité mixte de recherche 5185 du CNRS, et du CRAJEP (Comité régional des associations d’éducation populaire) qui regroupe une quinzaine de fédérations d’éducation populaire en Aquitaine.
10 Articles de Jean-Pierre Augustin, (2007) La création de l’IUT de Bordeaux en 1967, Cahiers d’histoire, INJEP, n° 3, déc. 2007, pp. 110-117, et de Jean-Louis Hiribarren (2010) La mise en place des départements carrières sociales au sein des IUT », in Tétard Françoise, Barriolade Denise, Brousselle Valérie, Egret Jean-Paul, (2010) Cadres de jeunesse et d’éducation populaire 1918-1971, Paris : la Documentation française, pp. 258-265.
11 Cf. les films d’entretiens réalisés à l’initiative de Jean-Claude Gillet auprès d’anciens étudiants et enseignants du département Carrières sociales de Bordeaux.
12 La collection « Territoires et Animation » dirigée par Jean-Claude Gillet, aux éditions L’Harmattan, rassemble notamment les articles issus de nombreux colloques dont ceux du 1er colloque international de 2003 qui a eu lieu à Bordeaux. Jean-Claude Gillet, responsable scientifique du Réseau International de l’Animation, conclue ce colloque.
13 Le programme inter-régional de coopération Aquitaine-Aragon engagé entre l’Institut d’Etude Politique et Sociale d’Aragon (IEPSA) et l’IUT Michel de Montaigne ISIAT, depuis 2008, a permis de mettre en œuvre une stratégie de coopération étroite entre les deux instituts dans le champ de la professionnalisation du secteur de l’animation (actions de formation, actions de recherche et rencontre de professionnels aquitains et aragonais). Cf. l’ouvrage collectif Autour de l’animation sociale et socioculturelle en Franc e et en Espagne – Alrededor de la animacion social et socio-cultural en Francia y Espana, 2013. L’IEPSA a organisé le 5ème colloque porté par le RIA, Réseau international de l’animation, en octobre 2011 à Saragosse http://www.unizar.es/colinanimacion-IEPSA/?lang=fr.
14 Cf. la revue de l’animation en lignewww.atps.uqam.ca/index_fr.php
15 La bande passante, créée en mai 2009, est un regroupement d'individus souhaitant soutenir et engager des démarches artistiques et/ou pédagogiques utilisant les outils visuels et sonores comme supports et moyens d'expression et d'émancipation (http://www.labandepassante.net). L’association TRAS (Transculturalité Réseaux Associatifs en Synergie) a été crée le 11 septembre 2003 par un collectif de travailleurs socioculturels (éducateurs spécialisés, assistants sociaux, animateurs…), d’artistes, d’acteurs du développement durable et de la solidarité internationale afin de proposer une initiative alternative réunissant les domaines de l’Action Socio-éducative, de la Culture et de la Solidarité dans une éthique libertaire et selon les principes de l’Education Populaire (http://tras.overblog.com/). Le Splendid est un lieu de manifestations artistiques et culturelles dans un ancien cinéma situé à Langoiran en Gironde, bijou architectural art déco classé à l'inventaire des Monuments historiques (http://www.mustangetcie.com/). Le local du CLAV (Collectif de Liaison des Associations Vivantes) était un lieu d'expression culturelle et militante, collectif autogéré de musiciens, plasticiens, graphistes, techniciens et producteurs, artistes de spectacle... Des actrices du collectif sont venues témoigner des réflexions qui s’étaient engagées, il y a quelques années, autour d’un projet de groupement en scop (Société coopérative et participative) pour acquérir un lieu et y maintenir une activité culturelle alternative (ces discussions se sont inspirées de celles du Centre international de culture populaire, né en 1976 d’une volonté politique de mettre des moyens matériels et humains à la disposition d’associations soutenant des luttes de libération nationale, défendant les Droits de l’homme, solidaires avec les travailleurs immigrés, pour faciliter leur travail et développer la solidarité (http://www.cicp21ter.org/).
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