Entre logique personnalisante et logique professionnalisante : analyses des trajectoires de directeurs et de directrices d’accueils collectifs de mineurs
p. 55-82
Texte intégral
1Cet article s’inscrit dans un programme de recherche porté par la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (MSHA). Ce programme, intitulé « Génératio », est conduit dans le cadre d’un partenariat entre l’Institut Supérieur d’Ingénieurs-Animateurs Territoriaux (ISIAT) et des mouvements de Jeunesse membres du CRAJEP Aquitaine55. Ce projet se donne pour ambition d’étudier méthodiquement ce qui est, à propos de la jeunesse ou des jeunes, un champ très peu investi par les sciences de l’homme et de la société, celui des pratiques, des expressions, des organisations, c’est-à-dire des médiations liées au processus de prise de responsabilité des jeunes via la direction de séjours vacances et plus particulièrement de ceux titulaires ou en cours de titularisation du Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Direction (BAFD). Ainsi, nous proposons d’examiner les figures de l’engagement de jeunes aquitains ayant entre 21 et 30 ans, inscrits dans des actions de direction d’Accueils Collectifs de Mineurs (ACM) en interrogeant les évènements, les processus qui ont permis l’émergence, le développement, l’institutionnalisation et parfois l’essoufflement et la disparition de ces dynamiques génératives de l’engagement.
2Notre hypothèse de départ, élaborée à partir d’une première perception et analyse des pratiques révélées par les représentants des mouvements associatifs partenaires, considère que les médiations étudiées favorisent des expériences conduisant le jeune et/ou le groupe de jeunes vers la vie adulte et contribuent activement à la construction générationnelle et à l’individuation des générations. Ajoutons pour relativiser le propos, que ces expériences, qui sont comme autant de jalons dans un itinéraire de vie, s’inscrivent dans un environnement social complexe (Claire Bidart, 2006) et aux contours parfois incertains.
3La démarche de recherche, organisée en différents temps emboîtés, s’est appuyée sur des approches méthodologiques croisées mettant en œuvre d’une part la recherche-action (par l’élaboration conjointe des outils et la réflexion commune conduite avec les partenaires aquitains sur l’engagement des jeunes générations au travers du BAFD). D’autre part, nous avons mobilisé deux techniques de recueil et d’analyse de données : l’observation ethnographique (par immersion d’un chercheur lors d’un stage de formation générale au brevet d’aptitude aux fonctions de directeur de centre de vacances) et l’investigation à partir des récits de vie (Roselyne Orofiamma, 2008). Cependant, préfigurant ce travail d’investigation, nous avons mené à bien une revue de la littérature qui nous a permis de mieux cerner ce qui pouvait être en jeu dans les processus d’engagement, revue que nous ne reprendrons pas ici mais qui a donné lieu à la publication d’un article56 (MSHA, 2014). Cette première investigation, essentiellement conceptuelle, a été complétée par un travail d’analyse des données statistiques fournies par les partenaires régionaux et de croisement de ces données avec celles nationales de l’Observatoire des Vacances et Loisirs des Enfants et des Jeunes (OVLEJ). En parallèle, nous avons organisé des séminaires de recherche rassemblant les partenaires régionaux (opérateurs engagés dans des dispositifs de formation et/ou organisateurs de séjours collectifs de mineurs) et des chercheurs invités (ayant travaillé directement sur l’objet de recherche).
4Enfin, une troisième étape, de recueil de données primaires, a été organisée. Celle-ci a consisté à mettre en œuvre un protocole de recherche permettant de recueillir des données qualitatives concernant les parcours d’engagement des jeunes. Ces données, issues d’entretiens menés auprès d’une vingtaine de jeunes, nous ont permis de préciser l’émergence, le sens et les formes d’engagement que recouvre la direction non-permanente d’Accueils Collectifs de Mineurs. À ce sujet, nous attirons l’attention du lecteur sur le fait que la restitution de ces données qualitatives dans le cadre de cet articule est réalisée sous le couvert de l’anonymat des personnes et des lieux : les prénoms utilisés pour faciliter la fluidité et la compréhension du texte sont donc factices tout en respectant les identités féminine ou masculine des personnes interviewées, les noms des lieux cités sont le cas échéant, également modifiés.
1/ Eléments de définition des profils « BAFD » étudiés
5Le Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Direction (BAFD) est un diplôme créé en 197357 qui permet « d’encadrer à titre non professionnel, de façon occasionnelle des enfants et des adolescents en centre de vacances ou de loisirs58 » aujourd’hui nommés Accueils Collectifs de Mineurs (ACM). Ces accueils ont vocation à offrir aux enfants et aux jeunes des activités éducatives adaptées à leurs besoins, durant les temps de loisirs et de vacances. Ils s’articulent autour du projet éducatif de l’organisateur et d’un projet pédagogique élaboré en concertation avec l’ensemble de l’équipe éducative. Les sessions de formation conduisant à la délivrance du BAFD sont organisées par des organismes de formation habilités par décision du ministre chargé de la jeunesse. Pour s’inscrire en formation, les candidats doivent impérativement avoir 21 ans révolus au premier jour de la première session de formation (formation générale) et être titulaires :
- soit du Brevet d’Aptitudes aux Fonctions d’Animateur (BAFA) ;
- soit d’un diplôme, titre ou certificat de qualification permettant d’exercer les fonctions d’animation, figurant dans l’arrêté du 9 février 2007 fixant les titres et diplômes permettant d’exercer les fonctions d’animateur et de directeur en séjours de vacances, en accueils sans hébergement et en accueils de scoutisme59 ;
- à défaut de pouvoir répondre à ces conditions de qualification, la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, après avis du jury, peut néanmoins permettre à un candidat de suivre la formation, à condition que celui-ci ait plus de 21 ans et justifie sur les deux dernières années de deux expériences d’animation d’une durée totale d’au moins 28 jours, dont une au moins en accueil collectif de mineurs déclaré.
6Dans ces trois cas, c’est la dimension expérientielle du candidat qui est mise en avant et qui sert de base de justification à son accès à la fonction de direction, celle-ci s’inscrivant alors dans un parcours scandé en trois étapes « colon – animateur – directeur », l’étape « colon » étant plus ou moins effective.
7Du côté de la formation, le parcours est organisé autour de deux sessions théoriques et deux stages pratiques.
8Ces différentes sessions se déroulent obligatoirement dans l’ordre suivant :
- une session de formation générale, qui permet d’acquérir les notions de bases permettant d’exercer les fonctions de directeur et de construire un projet personnel de formation (9 ou 10 jours). L’inscription à cette première session se fait directement auprès de l’organisme de formation habilité retenu par le candidat ;
- un stage pratique dans des fonctions de directeur ou d'adjoint de direction, qui permet la mise en œuvre des acquis de la session de formation générale sur l’ensemble des fonctions (14 jours). Ce stage pratique se déroule obligatoirement en séjour de vacances, en accueil de loisirs, en accueil de jeunes ou en accueil de scoutisme. Il peut se dérouler dans le cadre d’un contrat d’engagement éducatif, d’un contrat de travail, comme bénévole ou volontaire ;
- une session de perfectionnement, qui permet de compléter les acquis par des séquences de formation adaptées (6 jours), l’organisme de formation peut être différent de celui retenu pour le premier stage théorique ;
- un second stage pratique dans des fonctions de directeur qui permet de perfectionner les compétences (14 jours). Ce stage se déroule obligatoirement en séjour de vacances, en accueil de loisirs, en accueil de jeunes ou en accueil de scoutisme. Comme pour le premier, ce stage peut être rémunéré. Il peut se dérouler dans le cadre d’un contrat d’engagement éducatif, d’un contrat de travail, comme bénévole ou volontaire.
9À la fin de chaque étape, du parcours de formation, le candidat procède par écrit à une évaluation personnelle qui permet de rédiger un bilan de formation. Le candidat adresse ensuite son bilan à la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) de son lieu de résidence pour qu’il soit étudié par le jury. L’obtention du BAFD autorise à exercer les fonctions de directeur pour une durée de 5 années. Cette autorisation peut être renouvelée sous réserve d’avoir exercé au cours de ces 5 années : soit les fonctions de directeur ou d’adjoint de direction pendant une durée minimale de 28 jours, soit les fonctions de formateurs BAFA ou BAFD pendant une durée de 6 jours minimum. À défaut, la validation d’une nouvelle session de perfectionnement sera nécessaire.
10Selon les données fournies par la Mission des Études et de l’Observation Statistique du Ministère des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et de la Vie associative, ce sont plus de 75 000 séjours en 2011 qui ont été encadrés par des directeurs-directrices. Les personnes qui ont assuré ces encadrements (chacune ayant pu en faire un ou plus), se distribuent de 17 à plus de 65 ans. Si plus de la moitié des séjours sont dirigés par des 21 – 33 ans, les 21 – 26 ans, agrègent 20 653 directions soit 27,5 % du corpus général, les 24 et 25 ans étant les deux tranches d’âges dominantes avec respectivement 4079 et 4267 directions.
11Par ailleurs, alors qu’en 2004, 39 % des brevetés BAFD étaient des hommes, cette proportion n’est plus que de 29 % en 2009 soit une baisse de près de 10 points en cinq ans. Ainsi, 71 % des nouveaux brevetés sont donc désormais des femmes.
12Ces directrices et directeurs, qui étaient souvent il y a quelques décennies encore, des enseignants du primaire (la formation BAFA et l’encadrement de centres de vacances étant programmés dans les parcours de formation de l’Ecole Normale) sont aujourd’hui des « jeunes générations » venant d’horizons beaucoup plus diversifiés, tout en restant majoritairement issues des catégories sociales supérieures et moyennes, les premières étant fortement sur représentées par rapport à leur poids dans la population générale60. Aujourd’hui, dans un contexte socioéconomique marqué par une précarisation générale de l’emploi61 ces « jeunes directrices et directeurs » exercent très souvent leur activité dans le cadre des Contrats d’Engagement Educatif (CEE) qui remplacent depuis 2006 l’annexe II de la convention collective de l’animation62. Ces contrats, considérés comme non-professionnels bien que intégrés au code du travail, peuvent être conclus entre des personnes physiques (animateur, directeur, économe, surveillant de baignade, etc.) et un organisateur d’Accueil Collectif de Mineur (ACM) pour une durée inférieure à 80 jours répartis sur une période de 12 mois. Cette situation statutaire est pour certains vécue ou appréhendée comme une situation subie ou choisie proche de l’intérim, qui fait de l’individu une sorte de « vacataire permanent » qui n’est pas sans rappeler la figure du salarié « précaire durable » de Robert Castel (2003).
2/ Une logique personnalisante, une socialisation par imprégnation
13Les processus d’entrée dans les dispositifs sont appréhendés selon deux tendances : la première est relative aux dynamiques de socialisation par imprégnation et nous la nommons logique personnalisante. L’accès aux dispositifs y est alors principalement lié aux phénomènes d’appartenance à un groupe social et/ou familial dont les valeurs sont en correspondance avec celles, historiques, de l’Education populaire ; la seconde tendance renvoie aux dynamiques de professionnalisation dans le champ de l’Animation Sociale et Socioculturelle, particulièrement sensible à la dimension expérientielle. Nous nommerons ce deuxième registre logique professionnalisante.
14Ces deux logiques distribuent les représentations du métier de directeur, associant au pôle professionnalisation la gestion d’équipe, l’accompagnement à la formation de cette équipe, son recrutement, et au pôle personnalisation les responsabilités éducatives, la dimension pédagogique, et plus globalement tout ce qui a trait à la mise en œuvre d’un espace-temps pensé comme idéal…
15À ce titre, la trajectoire d’Amélie est représentative de la logique dite personnalisante et les résonnances identifiées par Amélie entre les valeurs familiales et les principes et intentions énoncés par les fédérations d’Education Populaire au sujet du dispositif BAFD sont nombreuses. Amélie a 26 ans63. Elle se dit sociable, pragmatique. Elle a le BAFA depuis 2007 qu’elle a passé avec les CEMEA aquitaine. Elle a aussi passé avec cette fédération son stage d’approfondissement sur les personnes handicapées et le public de la petite enfance. Elle aime les enfants et le côté social. Elle est sensible à la langue des signes. Elle détient un BTS en économie sociale familiale. Elle est professeur dans le privé et prépare les élèves au CAP petite enfance et elle est sollicitée pour les jurys d’examen de ce certificat. Elle fait aussi des gardes à domicile et du babysitting. Elle est une ancienne colon. L’été précédent, elle a fait un séjour adapté qui ne s’est pas bien passé et lors duquel elle a eu des désaccords importants avec la directrice. Elle vient au BAFD car elle dit avoir la maturité nécessaire et se sent capable d’incarner quelque chose de différent et de porter un projet avec ses valeurs. Elle souhaite que l’enfant soit un acteur à part entière : c’est quelque chose, une valeur qu’elle partage et qu’elle a envie de transmettre aussi. Elle vient d’un milieu modeste où il n’y avait pas de départ en vacances familiales mais ses parents l’envoyaient régulièrement au ski avec l’AROEVEN. Au lycée, une copine lui a dit qu’elle avait besoin de quelqu’un pour encadrer un groupe : elle a travaillé cinq ans aux scouts unitaires comme cheftaine puis a passé le premier stage théorique du BAFA puis le stage de perfectionnement sur le public handicapé. Parmi les accueils collectifs de mineurs (ACM), elle n’aime pas le centre de loisirs sans hébergement (CLSH) et leur préfère les centres de vacances et de loisirs (CVL) communément nommés colonies de vacances. Elle est la dernière enfant d’une famille qui, du côté paternel, s’est implantée à Samain, petite commune aux portes de l’entre-deux-mers de près de 2000 habitants (les grands-parents s’y sont installés tout comme leurs trois enfants qui demeurent tous aux abords de la maison des grands-parents). Sa famille du côté maternel est installée dans le Pays Basque. Sa mère est aide-soignante, elle est très investie dans le comité des fêtes et dans les actions autour du don du sang. Son père est compagnon et participe aussi activement au comité des fêtes et aux actions autour du don du sang. Amélie a tenté de passer le BAFD la veille de ses 21 ans mais les CEMEA ont refusé. Elle dit que c’est finalement mieux car elle se sent mieux préparée et plus mature aujourd’hui. Elle identifie deux éléments déclencheurs et conjugués au fait de se sentir mieux préparée : l’expérience de l’été passé marquée par les forts désaccords avec la directrice et le fait d’avoir constaté qu’elle arrivait à tenir les classes dans le cadre de son poste de professeur privé. Au quatrième jour du stage de formation générale qu’elle valide lors des vacances de Pâques 2013, elle n’appréhende pas la direction d’ACM comme une voie professionnalisante en soi, mais bien comme une activité occasionnelle. Elle dit qu’elle a été rassurée le premier jour par l’entrée dans la formation en ces termes : activité occasionnelle. Elle valide son premier stage pratique l’été 2013 et le stage de perfectionnement du BAFD lors des vacances de Toussaint de la même année.
16Les représentations accolées à la direction d’ACM, inscrites dans cette logique personnalisante, sont pour Amélie des espaces de subjectivation, de réalisation de soi. La direction d’ACM est alors prétexte à une forme d’émancipation personnelle et familiale et, tout en étant parallèle à une socialisation professionnelle, le BAFD est vécu comme un espace de « grandissement » (Julie Delalande, 2007), c’est-à-dire un espace physique, symbolique, et temporel dans lequel le sentiment de grandir est prégnant. Pour moi, nous dit Amélie « l’engagement aussi c’est politique, par contre, personnellement ça [le BAFD] va être un grand pas dans la responsabilité, dans une vie d’adulte parce pour la première fois de ma vie c’est moi qui vais diriger. Dans le sens où j’aurai pratiquement pas de chef au-dessus de moi (…) donc là, c’est une double responsabilité : une responsabilité parce que je vais avoir des enfants et une responsabilité parce que je m’engage, moi. (…) Je pense que je vais m’engager dans la prise de position, notamment dans le projet pédagogique. Ce ne sera peut-être pas un engagement combattant dans la rue à manifester - d’abord je ne l’ai jamais fait - par contre, ce sera peut-être un engagement peut-être pour les CEMEA auxquels j’adhère complètement, et dans le souhait de devenir formatrice. C’est plutôt engagée dans un mouvement, qu’engagée à le prouver. »64.
17Cette logique personnalisante, vient teinter la manière avec laquelle certains des stagiaires appréhendent et se représentent la fonction de direction. La direction d’ACM devient une possible affirmation de soi, de ses valeurs et principes. Ainsi, pour Fanfan (21 ans, ancienne colon, qui prépare pour la 3e fois le concours d’éducatrice de jeunes enfants, financement municipal du BAFD, animatrice en périscolaire et en CVL) : « C’est nos idées, on défend nos valeurs et les choses qu’on a envie de transmettre aux enfants et aux animateurs. (…) Il y a quand même une dimension d’engagement sur ce qu’on a envie de faire. »65. En cela, la prise de risque identitaire n’est pas à minorer car chaque stagiaire se positionne publiquement vis-à-vis du projet général et du fonctionnement de l’ACM, vis-à-vis des relations hiérarchiques et partenariales. Face au groupe et à l’équipe de formation, chacun argumente une manière d’appréhender l’enfant et plus globalement plaide pour un certain projet social.
18À ce titre, l’ACM et spécifiquement le CVL peuvent devenir un lieu idéal, un lieu qui est vécu comme étant hors du temps ou tout au moins hors d’une certaine temporalité, un lieu propice à une infinité de possibles : Pour Sarah (22 ans, détentrice d’un DUT carrières sociales, étudiante en master 1 « action publique et politique sociale », financement du BAFD par la ligue de l’enseignement où elle est formatrice pour le BAFA, mère a été animatrice nature) : « l’animation - pas que la sphère direction - c’est un endroit où… comment expliquer… où certaines choses qui sont en train de se passer actuellement dans la société, comme les choses très individualistes, comme les consommations n’ont pas encore atteint complètement cette sphère là - bien que si en quelque sorte - et j’ai l’impression que c’est une petite bulle dans la société et que c’est un endroit encore où il y a des choses, des valeurs qui peuvent passer à travers ça. »66.
3/ Une logique expérientielle professionnalisante
19Une autre logique, relativement distincte de la précédente, semble se dégager des parcours d’un autre corpus de directeurs et directrices que nous avons interrogés67. Celle-ci n’est plus liée à un processus où la socialisation par héritage ou par appartenance joue un rôle primordial. Cette autre logique repose sur un itinéraire de professionnalisation particulièrement sensible à la dimension expérientielle : elle est fondée sur des représentations en devenir du métier, sur des rencontres déterminantes, sur des reconversions partielles ou totales de projets professionnels non aboutis. In fine, cette logique n’est pas basée sur des valeurs pré-intégrées qu’il s’agirait de mettre en pratique, mais sur la construction d’un « soi professionnel » (Claude Dubar, 1991) pragmatique68 élaboré au cours d’expériences diverses.
20Parmi les personnes de notre corpus, quelques caractéristiques semblent ressortir quant aux modalités présidant à cette construction expérientielle :
a/ Un parcours marqué par les repositionnements professionnels, sans continuité, parfois même en rupture avec les projets parentaux
21Ces repositionnements peuvent être volontaires ou opportunistes, mais également résulter d’un « plan B » adopté suite à l’échec d’un premier projet professionnel. Ainsi, Coline (32 ans) voulait être professeure des écoles. Elle est directrice depuis six ans, après une expérience d’animation volontaire qu’elle menait parallèlement. « C’est vrai que j’ai un parcours, heu..., pas particulier… mais je voulais être professeure des écoles à la base aussi. Donc, bon... Ça n’a pas marché – mais je vais bien hein ! – et du coup je me suis dit bah… il faudrait que j’avance, que l’animation ça me plaisait, bah… que j’évolue un peu plus ». Ce nouveau choix professionnel n’a pas été évident dès le début : « donc j’ai décidé, j’ai testé pour voir euh, j’me suis dit pourquoi pas, si ça m’plait pas... ». Il s’agit plus d’un choix contraint, et même si celui-ci n’est pas perçu comme un échec il reste quand même référencé au premier projet : « bon, bah j’suis pas instit’ mais là j’bosse quand même dans une école avec des enfants, j’suis quand même au contact des instits’… Oui, voilà, j’suis quand même dans une école… »
22L’environnement de travail initialement envisagé semble encore très prégnant dans la justification que fournit Coline, même si elle envisage, mais avec une certaine hésitation, une professionnalisation ultérieure : « Le BPJEPS « loisirs tous publics », ça m’aurait bien plu… Après, je n’ai pas creusé plus que ça. J’suis pas fermée à changer de public, mais après, j’ai pas plus creusé… ».
23À l’inverse, Benoît (29 ans) était au départ chimiste, « une carrière qu’ils (les parents) avaient prévue pour moi », et c’est très clairement par opposition à ce choix initial qu’il s’est investi dans l’animation « avec une idée assez précise » car « je ne suis pas là pour faire des activités de consommation ». Cette décision n’a donc pas été prise en lien avec des héritages familiaux ou groupaux, mais suite à sa propre expérience en ALSH : « Il y avait des animateurs qui s’amusaient bien entre eux, on va dire… Mais ils n’étaient pas du tout proches des enfants… ». Une construction professionnelle davantage marquée par une recherche identitaire (on le verra également plus bas) que par l’accomplissement d’une vocation tôt ancrée…
24Quant à Maria (22 ans), c’est la nécessité très pratique « de… manger » qui l’a amenée à l’animation ! « J’ai toujours voulu travailler avec les enfants, mais quand je suis sortie de mon Bac, je me suis dirigée du côté médical. J’ai fait un an et demi en fac de médecine… C’est pas les études qui m’ont bousillé la tête, mais plutôt la mentalité de rentre dedans et de chacun pour soi… Aux partiels de deuxième année, j’ai dit non, ce n’est pas fait pour moi... ». Sans pour cela savoir ce qu’elle va faire, et avec des parents qui lui coupent les vivres ! « Il a fallu que je trouve du boulot tout de suite pour subvenir à mes besoins. J’ai trouvé le périsco, nickel ! ! ». Maria, loin de tout plan préconçu, a donc actualisé un intérêt somme toute assez vague de travailler en saisissant une opportunité lui permettant d’abord de subsister. À ce stade, son expérience d’animatrice restait entièrement à construire.
25Il est à noter, que comme Maria : « Là mes parents m’ont dit : très bien, si tu arrêtes l’école, on te coupe les vivres… », Benoît a eu également à affronter l’opposition parentale qui rêvait un fils chimiste, alors que les parents de Coline ont été rassurés que leur fille ait pu rebondir après son échec à devenir professeure des écoles. Dans ces trois cas, et plus largement sur l’ensemble de notre échantillon, il n’y pas eu de transmission de valeurs ou de vocation en rapport avec l’animation qui a précédé le choix professionnel des intéressés. Le soutien parental, quel que soit son degré, a d’abord été lié à la réussite de la personne, comme pour Justin (26 ans) : « Ils m’ont soutenu dans cette formation… et ça m’a montré que je m’affirmais aussi en tant que personne ». Le choix de l’animation comme moyen d’intégration sociale réussie et de renforcement d’estime de soi et non comme but en soi.
b/ Un parcours marqué par des rencontres fortement signifiantes
26Le parcours des enquêtés (qu’on pourra également nommer, si on nous pardonne ce jeu de mot, des « En quêteurs ») ne s’est pas construit par la mise en œuvre d’une vocation prédéterminée, mais à l’occasion de rencontres fortuites69 à caractère fortement identisant. Justin, nous dit par exemple : « J’ai commencé par un BAFA comme tout le monde et au bout de quelques années, à la suite de rencontres de directeurs très intéressants et motivés, j’ai décidé de passer la formation du BAFD ». Cette rencontre avec des personnes significatives qui aura joué un rôle fondamental dans leur carrière caractérise pratiquement tous les parcours étudiés. Youssef (28 ans) a également rencontré « son » directeur référent lors de son arrivée du Maroc en France : « C’est ce Monsieur qui m’a accompagné pendant toute mes étapes », rencontre originale qui sera ensuite prolongée par d’autres, jusqu’à son cadre de travail actuel, et qui toutes joueront le rôle de révélateur vocationnel.
27Pour Éloïse (29 ans) les rencontres se situent sur un plan « exceptionnel » : « Encore une fois, dans le milieu touristique, j’ai rencontré des gens, des animateurs exceptionnels qui avaient plein de choses à apporter… Ca m’a apporté beaucoup déjà, j’ai appris beaucoup, beaucoup ». Notons que pour Éloïse, l’importance de ces rencontres ne se situe pas non plus sur le plan des valeurs partagées mais sur celui du vécu en commun d’une expérience « bourrée d’énergie positive ».
28Pour Benoît : « En parlant avec un animateur qui le passait aussi (le BAFD), il m’a fait réfléchir à pas mal de choses, pourquoi j’étais entré dans l’animation, quel était avant tout le manque personnel que j’avais ressenti, pourquoi j’étais rentré là-dedans et pourquoi ensuite j’ai voulu diriger ». Cette réflexion s’est poursuivie, entre autres, avec des échanges avec « des parents qui travaillent dans le social », et au sein des bénévoles des EEDF, dont Benoît fait maintenant partie. Une vocation d’animateur non héritée, mais qui se structure solidement au gré des expériences et des rencontres.
29Pour Anaëlle (23 ans), ce sont les directrices du centre de loisirs de Chouiney, qu’elle fréquentait enfant, qui ont joué un rôle déterminant : « Elles m’ont guidée vers le BAFA pour avoir un petit job l’été, et je me suis rendue compte que ça me plaisait. Et elles m’ont aidée, chaque vacances, je travaillais chez elles… Elles m’ont vraiment fait découvrir ce métier. Ce sont elles qui m’ont parlé de tout ce qui était BAFD, diplômes… C’est grâce à elles que je suis là, moi… ». Vocation précoce donc (et témoignant, comme toutes les personnes interviewées, d’un réel engagement professionnel) : Anaëlle travaille comme animatrice depuis l’âge de 16 ans ; vocation encore, ni héritée ni résultant d’un engagement collectif préalable, construite et développée dans le cours même d’un itinéraire tenant lieu à la fois d’apprentissage professionnel et de révélateur vocationnel, comme pour l’ensemble de ses collègues.
c/ Une représentation du métier et une professionnalisation en devenir
30Les représentations du « métier »70 de directeur développées lors des entretiens associent au pôle professionnalisation l’impulsion de projets pédagogiques jugés plus pertinents au regard des demandes des enfants accueillis, la gestion d’équipe, l’accompagnement à la formation de cette équipe, ou une meilleure prise en compte des contraintes (cadre imposé par l’organisateur, relations partenariales avec commune ou intercommunalité, attentes familiales). Mais si le fait de pouvoir « peser plus sur les choix pédagogiques » effectués paraît un facteur primordial, il n’entraîne pas une rupture de fond avec l’animation baFique71, en particulier quant à l’appréciation très nuancée portée sur la dimension administrative, la gestion d’équipe parfois houleuse et les contraintes stratégiques liées au (x) politique (s). On en reste encore essentiellement au stade de l’enchantement pédagogique, même si l’on perçoit que l’avenir devra passer par une rupture avec ce palier d’une professionnalité en devenir, en particulier au travers de formations qualifiantes (BPJEPS ou DUT).
31Être directeur, pour Justin72, c’est : « Transmettre certaines valeurs auprès des jeunes et de pouvoir avoir un peu plus de pouvoir justement sur ce mode éducatif auprès des enfants dans les loisirs », ainsi que « Travailler en équipe, élaborer un projet pédagogique en équipe… parce que je me suis souvent retrouvé avec des directeurs qui vous imposaient le projet pédagogique ». Même si « Je ne pensais pas que c’était aussi compliqué de gérer une équipe d’animation et donc d’adultes ». Les trois éléments mis en exergue par Justin – pouvoir, projet pédagogique et gestion d’équipe – ressortent de manière prépondérante quand on examine les autres entretiens, mais sont souvent formulés en des termes qui témoignent d’une moindre maturité professionnelle tout en exprimant plus clairement les difficultés que leur a occasionnées ce passage de l’animation à la direction.
32Youssef déclare à ce propos : « Et là, je passe en formation de directeur, et si je reste dans la même structure, c’est un peu difficile avec les autres animateurs… J’ai pas changé, mais j’ai plus de responsabilités… » Et plus loin : « On est et on travaille tous ensemble, je suis directeur, d’accord je suis responsable, d’accord mais je m’occupe de tout l’administratif mais je suis animateur comme vous sauf que j’ai plus de responsabilités ». Ainsi, Youssef, sans nier le surcroît de responsabilités que lui octroie son rôle, en limite la justification aux tâches administratives, évitant de cette manière d’acter sa différence de fonction par rapport au cœur du métier : la direction pédagogique.
33Coline situe quant à elle, non sans hésitation, son rôle de directrice principalement sur le plan de la facilitation relationnelle, mission par ailleurs effectivement fort importante dans le cadre de ses fonctions, mais sans évoquer explicitement une position qui la placerait à un niveau de responsabilité hiérarchique particulier vis-à-vis de son équipe : « C’est… ouais… c’est le fait d’être… heu… sur le terrain, d’être présente, d’être là pour son équipe, qu’il y ait de la communication, qu’il y ait de l’échange, qu’il y ait de l’interaction, de l’entraide, conseiller mais aussi accepter à l’inverse heu… qu’on me dise que ce que je fais n’est pas bien. Voilà, j’pense que c’est ça, une interaction entre les gens ».
34De même, Benoît ne se « voyais pas diriger une équipe… Je ne suis pas très à l’aise lorsqu’il y a des conflits », tout en concédant « C’est une autre vision de l’animation, même sur le terrain, ça aide beaucoup, ça aide les animateurs à préparer les projets d’activités… ».
35De son côté, Maria est « super fière d’avoir ce rôle-là et de pouvoir dynamiser les choses et de mettre la main à la pâte… Là, on élabore plus, on est vraiment dans le truc… Voilà vraiment de se dire, enfin de pouvoir, ouais dynamiser les choses prendre des décisions que… Ne pas être simple jeton… ». Mais en même temps, elle se rend compte, non sans angoisse, qu’elle devient la porteuse des projets éducatifs de la commune et de la structure pour finalement rejoindre Youssef qui affirme, pour résoudre le paradoxe : « C’est juste un mot sur beaucoup de responsabilités… Mais… on en a pas plus ou moins quand on est animatrice, enfin… quand on est animatrice ou directrice quoi… Y’a vraiment… c’est plus de la paperasse et du juridique… Je ne me sens pas plus importante que je l’étais avant quoi… ».
36Quant à Éloïse, après s’être dit « Cool, je vais être directrice, je vais pouvoir tout gérer », elle découvre « qu’il y a des organisateurs au-dessus », que « c’est quand même très politisé, et forcément ça freine un petit peu », pour conclure : « Voilà, être directeur ç’est ça, c’est être chiant et savoir négocier tout le temps, tout le temps, tout le temps… ».
37Cette tension entre idéal pédagogique et contraintes stratégiques, massivement perçue comme une épreuve à surmonter et une indispensable nouvelle étape professionnelle, ces jeunes directrices et directeurs, envisagent de la résoudre, non en se référant à des valeurs transcendantes destinées à guider leur action, mais au travers d’une formation qualifiante susceptible de leur octroyer un degré supplémentaire de reconnaissance professionnelle : BPJEPS ou DUT « animation ». Comme Coline, parlant du BAFD : « C’est pas une désillusion mais je sais pertinemment que c’est pas un diplôme professionnel et que… C’est pas que ça vaut rien mais… j’aimerais bien avoir plutôt un DUT ou un BPJEPS ». Ou Anaëlle, inscrivant la suite de son parcours dans le cadre de son nouveau statut : « Je vais voir pour évoluer sur des BPJEPS, on est municipal donc on doit avoir des diplômes reconnus maintenant ».
38Ces constats, nous les retrouvons globalement au niveau de trois autres participants du stage BAFD évoqué plus haut. Ils témoignent tous les trois d’itinéraires atypiques et mouvants, loin de toute « prédestination », mais construits au gré des (futures) expériences effectuées à l’occasion de parcours fluctuants. Hassan était policier mais a dû démissionner suite à des problèmes de santé ; il est animateur-médiateur à la piscine de Thiers et travaille également en ALSH. Il paie lui-même son stage, mais évoque dans le même temps un projet pour devenir éducateur spécialisé… Arnaud mène lui aussi deux projets en parallèle : infirmier et BAFD (qu’il repasse après une première tentative qu’il n’a pas terminée en 2004). Lionel, quant à lui, a été intermittent du spectacle (musicien) pendant une dizaine d’années. Il a découvert l’animation par hasard au travers de la musique. Il a monté sa structure personnelle et souhaite passer le BAFD, puis le BPJEPS pour développer son projet professionnel. Notons qu’Arnaud comme Lionel n’ont jamais fréquenté un ACM, pas plus en tant qu’usagers que comme animateurs…
39Le parcours des directeurs que nous avons rencontrés se caractérise donc par trois éléments essentiels : une dimension expérientielle fondamentale, ouverte aux aléas, changements, opportunités de parcours, parfois en opposition aux projets parentaux, en tous les cas non pensée consciemment en amont en référence à des valeurs fondatrices mais déroulée pragmatiquement ; une importance primordiale aux rencontres et aux identifications avec des professionnels-référents qui ont pu jouer le rôle de passeur, de révélateur vocationnel lors de « moments de subjectivation » (Philippe Corcuff, 2005) amenés à jouer un rôle déterminant dans la construction de leur « soi professionnel » ; enfin, une professionnalité en devenir qui envisage le passage du pédagogique aux contingences stratégiques par l’intermédiaire d’une reconnaissance professionnelle liée à l’acquisition de diplômes reconnus. Pour ces jeunes directrices et directeurs, engagement professionnel, renforcement de l’estime de soi et montée en qualification, ne sont pas dissociables.
Conclusion
40Notre recherche qui avait pour objectif d’examiner les figures de l’engagement de jeunes aquitains inscrits dans des pratiques de direction d’Accueils Collectifs de Mineurs (ACM) et plus particulièrement de Centre de Vacances, nous a permis de dégager un ensemble d’éléments qui semble caractériser les processus qui conduisent ces jeunes vers leurs fonctions de direction. Au parcours traditionnel constitué d’étapes pré-balisées (colon en centre de vacances ou de loisirs – animateur stagiaire – animateur – directeur ou adjoint de direction stagiaire – directeur), d’autres parcours viennent s’agréger, enrichir les profils des directeurs et modifier leurs formes d’engagement (entrée par l’animation puis la formation au BAFA dans une fédération d’éducation populaire, reconversion professionnelle, directeur titulaire de diplômes professionnels admis en équivalence – directeur entrant dans l’activité via le pôle emploi – directeur salarié devant se mettre en conformité avec la réglementation pour exercer son activité, etc.).
41Loin d’apparaître de façon spontanée ou hasardeuse, ne serait-ce que parce que le cadre réglementaire ne le permet pas, l’accès au statut de directrice ou de directeur de Centre de Vacances relève de dynamiques génératives que nous avons pu identifier et caractériser selon deux tendances.
42La première de ces tendances concerne ce que nous avons identifié comme une dynamique de socialisation par imprégnation. L’accès à la fonction de direction est alors principalement lié à des phénomènes d’émancipation par rapport au milieu familial, de réalisation de soi et d’affirmation identitaire, de valorisation (parfois même de sur valorisation) de la dimension utopique de la colonie de vacances. Dans ce dernier cas, plus encore que dans les deux précédents, la colonie est pensée comme un espace-temps durant lequel il est possible, pour la personne en charge de la direction, d’organiser un environnement social compatible avec ses représentations d’une société idéale. Cette société idéale nécessairement limitée dans l’espace et le temps, peut être par ailleurs analysée comme une société interstitielle, celle qui accompagne le directeur dans sa propre transition générationnelle de l’adolescent vers l’adulte, celle qui permet justement d’activer le processus d’émancipation familiale et d’affirmation identitaire.
43La seconde tendance identifiée renvoie, quant à elle, aux dynamiques de professionnalisation des directeurs de colonies de vacances. Cette professionnalisation s’inscrit alors dans un champ plus élargi, celui de l’Animation Sociale et Socioculturelle. Ce processus d’élargissement vers un univers professionnel particulièrement sensible à la dimension expérientielle semble se structurer autour de dynamiques qui prennent appui sur la reconnaissance des diplômes (y compris et de façon peut-être paradoxale ceux de l’animation volontaire) comme vecteur de professionnalisation, sur l’importance des rencontres avec des individus référents, (professionnels et/ou militants mais qui incarnent toujours un devenir en action) et sur la valorisation d’expériences vécues en dehors des espaces traditionnels familiaux (exister en tant qu’individu socialement utile).
44Ces deux tendances sont animées chacune par leurs dynamiques propres, que nous avons tenté de représenter à partir du schéma suivant, dans lequel nous avons également intégré des variables transversales, qui, bien que non spécifiquement étudiées dans cette contribution, restent parties prenantes du processus d’accès aux fonctions directoriales.
45La première de ces variables transversales, de nature temporelle, nous rappelle que le processus étudié, s’inscrit non seulement dans un parcours formatif relativement long si ce n’est intense (BAFA – BAFD), parcours formatif qui s’inscrit lui-même dans une histoire de vie qui a pu présenter de façon plus ou moins marquée des aspérités expérientielles en lien avec la colonie de vacances. La seconde variable transversale, de nature socio-économique, a quant à elle, été mise en lumière par Isabelle Monforté ou Jérome Camus au sujet du BAFA, leurs travaux dans le cadre de l’OVLEJ ou doctoral, montrant bien la sur représentation des classes sociales moyennes et supérieures parmi les candidats au brevet d’animateur.
46Bien que le travail engagé dans une perspective de compréhension des processus d’accès à la fonction de direction nous conduise à architecturer aujourd’hui ce processus selon deux logiques distinctes, il nous semble nécessaire d’attirer l’attention sur les relations qui se tissent entre ces deux logiques. En effet, au-delà des biais inhérents aux techniques de recueil de données qui peuvent rendre les choses plus scindées qu’elles ne le sont réellement73, au-delà des biais liés aux caractérisations individuelles qui font que lorsque l’on se raconte on a souvent tendance à minorer nos dispositions et à valoriser les éléments externes ou à n’en prendre en considération que certains au détriment d’autres éléments plus contradictoires74, il apparaît que ces logiques, loin d’être discriminantes (ce qui inciterait à catégoriser des parcours et des profils de directeurs), sont plutôt à appréhender comme complémentaires. Cette complémentarité se traduit par une forme de porosité entre les processus de socialisation par imprégnation et les dynamiques de professionnalisation, porosité que l’on retrouve également, au sein du champ de l’animation socioculturelle, entre professionnels engagés (revendication affirmée de nombreux salariés de l’animation) et engagés professionnels (réalités plus ou moins bien vécues par de nombreux volontaires qui cumulent les directions de séjours, comme d’autres des « p’tits boulots ». Ainsi, entre logiques personnalisantes liées à des processus d’imprégnation et logiques professionnalisantes liées à des stratégies orientées vers l’emploi, les itinéraires (parfois atypiques et mouvants) des directrices et des directeurs d’accueils collectifs de mineurs, loin d’opposer ce que l’on nomme en France l’animation volontaire et l’animation professionnelle, montrent bien la complémentarité de ces univers. Exprimées ou non, conscientisées ou non, les dynamiques qui conduisent les jeunes à vouloir « s’assumer – se placer – s’installer – se trouver » (Cécile Van de Velde, 2008)75, nous semblent bien à l’œuvre dans les processus observés, sans encore nécessairement discriminer les pratiques : même si l’on pourrait admettre que les processus de socialisation par imprégnation s’inscrivent plus particulièrement dans la logique qui conduit à « se trouver » et les dynamiques professionnalisantes invitent plus à chercher à « se placer ». Au final, nous pourrions dire que les trajectoires complexes (typiques ou atypiques) des directrices et des directeurs interviewés peuvent trouver de la ressource dans chacun de ces quatre univers, sans nécessairement les hiérarchiser a priori, l’expérience valant avant tout pour ce qu’elle est, une praxis en action.
Bibliographie
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Bibliographie :
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Annexe
Annexe méthodologique :
(NR = non renseigné)
Notes de bas de page
55 L’Association des œuvres régionales éducatives et de vacances de l’Éducation Nationale (AOREVEN), Etienne SALIN et Pascale de CHARENTENAY ; les Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), Pierre ROUSSEL, Fabienne ESTRA & Baptiste BESSE-PATIN ; les Francas d’Aquitaine, Michel CASSE et Noémie LEBASTARD ; l’Union française des centres de vacances (UFCV), Jean-François ROSE et Stéphane SELLES.
56 L’engagement de jeunes aquitains au travers des dispositifs de formation et d’encadrement d’activités d’animation socioculturelle. Analyses des parcours de formateurs « militants » à l’animation volontaire et de directeurs d’accueils collectifs de mineurs, in MSHA, 2014.
57 Le premier « Mémento du responsable des colonies de vacances » est rédigé en 1887, mais la formation s’organise véritablement à partir de 1936 autour de quelques personnes, en particulier André LEFEVRE, alors commissaire national des Éclaireurs de France et Giselle de FAILLY, militante de l’Éducation nouvelle. En 1947, sont créés les diplômes de moniteur et de directeur de colonies de vacances, instituant un contrôle et une reconnaissance officielle des compétences des personnes engagées dans l’encadrement de ces séjours. Le BAFD est créé en 1973, en même temps que le BAFA, pour remplacer les anciens diplômes de moniteur et de directeur de colonies de vacances, ce sont explicitement des diplômes non professionnels même s’ils peuvent constituer une voie d’entrée pour de futurs professionnels.
58 Décret n° 86-688 du 17 mars 1986 relatif aux brevets d’aptitude aux fonctions d’animateur et de directeur de centres de vacances et de loisirs, JO du 20 mars 1986, p. 4828-4830.
59 Dans ce cas, le candidat doit justifier, dans les deux ans précédant l’inscription, de deux expériences d’animation d’une durée totale d’au moins 28 jours, dont une au moins en accueils collectifs de mineurs.
60 Cette caractéristique, mise en avant par l’étude d’Isabelle MONFORTE (2006) avait déjà été observée dans les enquêtes du Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et de recherches en sciences sociales (CIMERSS), et du Centre d’études et de communication (CEC). Cette réalité interroge les discours relatifs au brassage social souhaité par les organisateurs d’ACM.
61 Comme le note Jean-Louis DAYAN, de 1975 à 2007, la France a gagné 3,5 millions d’emplois, mais la population active a augmenté de 5 millions. Plus conjoncturellement, selon les chiffres de l’INSEE, il y a plus de 3,188 millions de demandeur d’emploi inscrits à Pôle Emploi « catégorie A » au mois de février 2013.
62 Décret n° 2006-950 du 28 juillet 2006 relatif à l'engagement éducatif pris pour l'application de la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l'engagement éducatif.
63 La présentation qui suit d’Amélie a été construite à partir des données collectées par immersion ethnographique lors d’un stage de formation générale BAFD porté par la fédération d’éducation populaire des CEMEA à Montrem (24). Merci aux stagiaires, à l’équipe de formation et au CEMEA Aquitaine pour nous avoir les portes de ce stage.
64 Extrait de l’entretien collectif n° 1 auprès des stagiaires BAFD réalisé le mardi 29 avril 2013.
65 Extrait de l’entretien collectif n° 1 auprès des stagiaires BAFD réalisé le mardi 29 avril 2013.
66 Extrait de l’entretien collectif n° 1 auprès des stagiaires BAFD réalisé le mardi 29 avril 2013.
67 Toutes les personnes sont titulaires du BAFD (sauf Justin qui est titulaire d’un BPJEPS AC + UCC 11) et en position de direction. Nous tenons à cette occasion à remercier tout particulièrement les étudiants en DUT Formation Continue, qui ont effectué ces entretiens, ainsi que leur transcription, dans le cadre du module « Méthodologie de la recherche » de leur cursus universitaire.
68 Sur cette question, on se référera avec profit aux travaux de John Dewey sur la construction des valeurs, qu’il ne situe pas, contrairement à la conception dominante chez les animateurs en France, ni séparément, ni à fortiori en surplomb, de l’expérimentation pratique et de ce qu’il définit comme le processus « d’enquête ».
69 On ne discutera pas ici sur le caractère plus ou moins surdéterminé du fortuit. Ce qui nous importe, c’est que, hasard ou nécessité, ce type de parcours se distingue assez radicalement de celui décrit dans la logique précédente. On est là dans la construction aléatoire d’une expérience, au gré de « moments de subjectivation » (Philippe Corcuff, 2005) et non dans l’application stricto sensu d’un héritage symbolique ou de normes groupales dominantes.
70 L’emploi volontaire du terme « métier » est ici utilisé pour attirer l’attention sur la disjonction entre d’une part les réalités d’une pratique sociale qui demande des niveaux de compétence et de maturité avérés et d’autre part le fait que cette pratique sociale s’inscrit dans un contexte a priori à vocation « non salariale ». On peut noter que cette disjonction est loin d’être absolue, de nombreuses personnes en situation de direction sont aujourd’hui salariées, voire salariées permanentes des organisations qui les emploient.
71 Néologisme que nous utilisons ici pour exprimer une conjonction entre une animation liée au BAFA et une animation de base ou basique.
72 C’est le seul qui possède déjà un BPJEPS, complété d’une UCC 11 « de direction ». C’est aussi celui dont les justifications se rapprochent le plus de la logique personnalisante. Faut-il y voir l’illustration de ce que nous appelons dans la conclusion la porosité entre professionnels engagés et engagés professionnalisés ?
73 L’observation ethnographique menée plusieurs jours durant permet d’affiner les discours recueillis, de travailler et dépasser les contradictions ou les premières analyses que livrent spontanément les personnes dans le cadre d’entretiens de recherche. Ainsi, même si les personnes ont l’impression dans un premier temps que leur engagement dans le BAFD n’a aucune résonnance avec une histoire familiale, la proximité et quasi familiarité avec les personnes que permet l’observation ethnographique nous a permis de déceler, dans un second temps, les liens. Ceci vaut aussi pour la rencontre signifiante qui est aussi présente et racontée par les personnes dont l’engagement semble plus marqué par la logique personnalisante.
74 Soit « l’illusion biographique » travaillée par Pierre Bourdieu et qui conduit l’individu à rendre cohérent son parcours.
75 Il existe pour Cécile Van de Velde 4 modèles de passage de l’univers des jeunes vers celui des adultes : le modèle anglo-saxon « s’assumer », le modèle français « se placer », le modèle espagnol « s’installer » et le modèle danois « se trouver ».
Auteurs
Maître de conférences, IUT Bordeaux Montaigne, UMR-ADESS n° 5185 du CNRS
Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation, IUT Bordeaux Montaigne, LACES EA 4110, OUIEP
Maître de conférences associé, IUT Bordeaux Montaigne
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