Habitation sucrière coloniale, lieu de mémoire de l’esclavage en Haïti : des animations socioculturelles dans le quotidien urbain du Parc Historique de la Canne-à-Sucre
p. 393-407
Texte intégral
1L’analyse des formes d’actions collectives dans les lieux de mise en mémoire et de commémoration a fait ces dernières années l’objet de nombreuses études en France. De nombreux travaux (Sinou, 2001 ; Araujo, 2007 ; Veschambre, 2008 ; Barrère et Lévy-Vroelant, 2011 ; Chérel, 2012 ; Chivallon, 2012 ; Mazé, Poulard et Ventura, 2013) ont effectivement montré comment des les individus et les groupes sociaux se construisent des repères identitaires contribuant à façonner la ville et ses mémoires. Ce type d’approche peut également permettre de comprendre les relations à la fois d’interdépendance et de tension au cœur de la dynamique des lieux de mémoire qu’entretiennent l’animation socioculturelle et le projet urbain. Ces deux processus sociaux majeurs s’informent réciproquement au sens où l’animation socioculturelle est fondamentalement à l’œuvre dans le « processus social par lequel les sujets sociaux, les groupes et les responsables interagissent entre contraintes spatiales et fabrication du destin social » (Roncayolo 2000) dans un cadre spatial qui est celui de la ville. L’animation socioculturelle, envisagée comme un « système d’action jouant sur le triple registre de la régulation, de la promotion et de la contestation sociale dans des situations où les enjeux sont à la fois culturels, sociaux, économiques et politiques » (Lafortune et al. 2009), fait émerger de nouvelles formes urbaines au travers de la mise en mémoire et la « festivalisation » des lieux de mémoire. La patrimonialisation d’« espaces coloniaux » en lieux de mémoire, qui consiste en l’utilisation de l’espace, avec des projets de développement et de requalification urbaine, ou encore en la réutilisation (recyclage) d’espaces, de lieux et de bâtiments qui tendent à être reconnus comme patrimoine par certains groupes sociaux1, est ainsi à l’œuvre dans de multiples recodages de l’urbain. Ainsi, elle contribue au recyclage des composantes les plus anodines des « espaces coloniaux » en attractions touristiques et culturelles. Ce lien étroit entre animation socioculturelle et urbanité me semble particulièrement intéressant à investiguer dans le cas que je propose dans cet article, à savoir l’analyse sociologique des enjeux culturels et sociaux de la patrimonialisation du Parc Historique de la Canne-à-Sucre, ancienne habitation sucrière coloniale, dans la mémoire collective (Halbwachs, 1950) haïtienne.
2À travers un protocole de recherche ethnosociologique comprenant des observations directes incluant ma participation aux visites guidées, la rédaction de mon journal de terrain et la réalisation d’entretiens semi-directifs avec les « publics »2, les employés et les responsables, j’analyse la représentation, le fonctionnement et la culture véhiculée par et dans le Parc Historique de la Canne-à-Sucre, dans le contexte des rapports sociaux existant dans la mémoire collective haïtienne. Le travail proposé ici embrasse des individus aux profils sociologiques divers qui tous ont un lien, ne serait-ce que comme simple visiteurs, avec le Parc. Citadins, jeunes, journalistes, intellectuels, entrepreneurs, artistes, leurs histoires, leurs milieux d’origine et leurs aspirations sont variés. Cet « espace colonial », pour reprendre un terme d’Alain Sinou3, espace bâti souvent anodin dans sa forme matérielle, mobilise, par sa simple existence ou l’accueil de pratiques commémoratives profanes, sociales et culturelles, une mémoire collective de façon beaucoup plus prégnante que les « monuments historiques » (Sinou, 2005). Ce « patrimoine culturel »4 (Benhamou, 2012) doté d’une « efficacité sociale et politique » (Debarbieux, 2003), participe aux fondements de la culture contemporaine en raison de son lien avec un système de pratiques politiques, économiques, culturelles et sociales qui en règle la sauvegarde5, les usages, la permanence et la légitimité. Les propriétaires du site intègrent la notion de patrimoine culturel de manière variable, en essayant de concilier d’un côté le souci de préserver des « traces » (Veschambre, 2008) de plus en plus chargées de sens des anciennes habitations sucrières coloniales et de l’autre, la volonté de faire en sorte que le lieu continue à fonctionner. Ce faisant ils contribuent à le muséifier : « C’est effectivement une ancienne habitation sucrière coloniale devenue patrimoine familial »6.
Espaces coloniaux et lieux de mémoire
3Cet « espace colonial », « échappant à l'oubli, avec l'apposition de plaques commémoratives, devient un lieu de mémoire quand les membres de la famille Canez-Auguste7 la réinvestissent de leurs affects et de leurs émotions » (Nora, 1984) en Haïti. Cet espace collectif est considéré comme une « unité significative, d’ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes-femmes et le travail du temps ont fait un élément symbolique de la communauté » (Nora, 1984). Il n’est pas une construction définitive mais plutôt une forme réactualisée en fonction du temps présent8. Ce cadre naturel est aussi une scène au sens de Goffman, c’est-à-dire un espace physique sur lequel apparait quelque chose, où un spectacle se donne en permanence. Il n’est donc pas une ressource épuisable, mais un flux illimité. En devenant un espace de regard de la société haïtienne, cet « espace colonial » prend non seulement une tournure axée sur le symbolique mais aussi nourrit le processus de production d'espace qui apparaît comme un patrimoine culturel. Ce lieu de mémoire haïtien, se référant à la notion sociologique de lieu associé par Mauss et toute la tradition ethnologique à celle de culture localisée dans le temps et l'espace, s’ouvre au regard de tous, particulièrement des curieux souhaitant observer les élaborations et les objets qui portent la patine du temps colonial. Est-il un miroir de la mémoire collective pour autant ? Servant de support transitionnel aux relations sociales, il est construit comme tel par la famille Canez Auguste et le Club du Patrimoine de l’Université Quiskeya et sa valeur trouve ses racines dans l’histoire (Rautenberg, 2003).
4« Retraçant l'évolution de la canne-à-sucre qui est intimement liée à l'histoire du peuple haïtien »9, le Parc expose les facteurs matériels du mode de production esclavagiste implanté à Saint-Domingue par la France du 17ème siècle. Ce lieu de mémoire présente deux périodes essentielles de l’« économie de plantation » qui concordent avec les deux principales tranches de l’histoire d’Haïti ; 1625-1804 : période coloniale française, 1804 à nos jours : période nationale. Les éléments et la configuration du site rappellent de façon indéniable que l’espace fût une habitation sucrière transformée ultérieurement en musée de la canne-à-sucre.
5Cet article fait l’hypothèse que le processus de construction en patrimoine de cet espace lié au passé esclavagiste du peuple haïtien montre l’imbrication du privé et du public et la machination complète correspond à un projet d’« hégémonie culturelle » de la « classe dominante »10 haïtienne. Ainsi, dans le but non pas d’adosser l’espace à un « devoir de mémoire » dont le caractère injonctif relève de certaines formes de militantisme mais dans celui d’ouvrir des voies à la pensée d’un devenir collectif, la famille Canez-Auguste a érigé le Parc Historique de la Canne-à-Sucre dont le fonctionnement s’apparente à un véritable équipement culturel et à un patrimoine muséographique, animé et visité par une diversité d’acteurs sociaux. En effet, il est non seulement un lieu de mémoire d’une tranche de l’histoire d’Haïti accueillant annuellement plusieurs centaines de milliers de visiteurs en quête de connaissance des anciennes habitations sucrières, mais aussi un espace de réalisation de grandes animations socioculturelles marchandes : foire du livre et de la musique, concerts, festivals, foires artisanales, projections cinématographiques, conférences-débats, visites guidées, représentations théâtrales. Depuis le 22 août 200411, jour de la cérémonie inaugurale du parc, la famille se félicite haut et fort de l’attractivité de cet équipement culturel et patrimonial en Haïti.
6Ce lieu de mémoire est un patrimoine culturel en ce sens particulier que les objets conservés et exposés légitiment le passé colonial et contribuent à lui donner une certaine valeur esthétique, mais il fait également fonction de « monument d’appropriation collective quasi privée » dans la mesure où il valorise la famille des colons propriétaires et son histoire, et légitime le profit économique substantiel qui en est tiré. Le mode de production esclavagiste est donc l’objet d’une « remise en scène » en « projet socioculturel » dont les Canez-Auguste sont les personnages principaux. À interroger publics et responsables, la transformation du Parc Historique de la Canne-à-Sucre en lieu de mémoire par la famille Canez-Auguste membres de la bourgeoisie haïtienne, semble participer de la reproduction des rapports sociaux néo-colonialistes en Haïti. C’est une autre hypothèse que notre enquête a partiellement validée.
Contexte urbanistique du Parc Historique de la canne-à-sucre
7En invoquant les notions de mixité sociale, de requalification urbaine des « espaces coloniaux » et de revalorisation du patrimoine, de renforcement de la centralité, le club du Patrimoine de l'Université Quisqueya ainsi que la famille possédante, en tant que respectivement groupe de recherche et propriétaire, ont inscrit au tout début du projet cette opération de renouvellement urbain de ce lieu de mémoire dans une logique de promotion de la connaissance historique des anciennes habitations sucrières coloniales. Le Parc Historique de la Canne-à-Sucre, dans lequel « la réutilisation a été privilégié à la destruction »12, se veut exemplaire de cette conciliation entre densification et requalification patrimoniale d’une part, et conservation de la mémoire d’autre part. Le « projet culturel » et historique participe aux usages ainsi qu’à la fabrique de l’espace physique de la ville. Le lieu de mémoire est présenté ici comme une œuvre d’art vivant dont l’objectif principal est d’entretenir et de célébrer les faits et les imaginaires de l’esclavage colonial. Il assure le lien entre tourisme, culture et économie urbaine (Judd et Fainstein, 1999) sur la répartition du tourisme dans la ville de Port-au-Prince et les spécificités des « tourist-historic cities » (Ashworth et Tunbridge, 1990), ainsi que sur « le marketing urbain qui le recode en tant que lieu destiné aux touristes » (Pott, 2007).
8Les formes architecturales cristallisent l’identité et les valeurs haïtiennes et transfèrent également l’urbanité. Dans ce « marquage d’espace » on voit émerger des problématiques d’urbanisme, d’organisation et de rencontre de populations hétérogènes. Inscrit dans les liens complexes entre ville et mémoire, sa patrimonialisation œuvre dans Port-au-Prince qui est une ville coloniale et historique (Barrère et Lévy-Vroelant, 2011). Le mode de production esclavagiste est donc l’objet d’une « remise en scène » dans le « projet urbain » et le « projet socioculturel ». Son urbanité exprime des rencontres mais aussi fabrique des conflits et des exclusions. « À des degrés divers l’oubli et l’effacement est à l’œuvre au sein même du vacarme produit par les mémoires légitimées, réinventées pour l’usage au présent de ce lieu ouvert sur un espace public partagé par des modes narratifs qui tissent des liens entre histoire et mémoire » (Barrère et Lévy-Vroelant, 2011). Au Parc Historique de la Canne-à-Sucre les propriétaires développent un comportement largement déterminé par la volonté d’occulter le passé de luttes des esclaves contre la grande plantation en Haïti, alors même que cette volonté est trahie par une mémoire collective dont les expressions symboliques se révèlent dans une manière d’être spécifique, indissoluble héritage de l’esclavage. Une enquêtée explique : « En visitant le Parc, on vous parle de Françoise Canez Auguste, de Tancrède Auguste et de toute la famille Auguste. Mais on ne te dit pas que ce Parc était une habitation d’anciens Colons où des Nègres ont été tués, broyés sous les moulins pour produire le sucre, le sirop de canne ou autres choses. On te montre un bel espace qui a été conservé et qui faisait partie de l’histoire. Mais on ne te dit pas que cet espace fonctionnait à partir des forces de travail des anciens esclaves »13.
La mémoire de l’esclavage, une question urbaine
9La mémoire de l’esclavage prend place dans le Parc Historique de la Canne-à-Sucre comme « un complément nécessaire d’une réalité historique et sociale, comme un prolongement ou un amont de récits fragmentaires » (Barrère et Lévy-Vroelant, 2011). En tant que « milieu, autrement dit espace d’un groupe ayant en commun, de façon plus ou moins marquée, une histoire, des références, des valeurs et un mode de vie », le Parc Historique de la Canne-à-Sucre « offre la solidité d’un ancrage dans le temps présent de l’urbanité dans toute son épaisseur » (Barrère et Lévy-Vroelant, 2011). La mémoire esclavagiste du Parc Historique de la Canne-à-Sucre focalise de manière relativement étroite son attention sur les différentes manières dont la valeur historique et culturelle de l’héritage colonial investit les villes. Elle se propose d’enrichir sous plusieurs angles l’étude des « cadres sociaux de la mémoire » (Halbwachs, 1925) en saisissant le rapport que la population haïtienne entretient avec les différents espaces-temps qui ont contribué à sa formation, dans les conditions de la traite négrière et de l’esclavage colonial. Ainsi, le lieu est un espace socioculturel qui recode la ville en tant que lieu touristique et de développement économique impliquant l’émergence d’une certaine forme d’urbanité. Questionnant le lien entre mémoires et culture, ce « lieu de culture » pour paraphraser Homi K. Bhabha14, saisit la manière dont sont re-travaillées les catégories de pensées coloniales dans les sociétés post-esclavagistes. En institutionnalisant la mémoire collective du passé esclavagiste, la famille Canez-Auguste le transforme en « mémoire collective » (Halbwachs, 1950) en « mémoire historique » (Halbwachs, 1950) et en espace urbain de création artistique et d’animation culturelle qui peut dès lors être conservé et réutiliser par quiconque, qu’il ait été impliqué ou non dans ce qui est raconté15.
10Les usages contemporains de ce patrimoine culturel dans l’époque nationale16 opèrent une modification voire un changement radical dans les rapports de pouvoir hérités de l’époque coloniale17. Le lieu présente donc la façon dont l’histoire marque le présent à travers les mises en mémoire et dont, à l’inverse, le présent opère ses sélections. Condition nécessaire de la reconstitution de la socio-genèse des faits étudiés, il s’appuie sur les modes de constitution d’Haïti, société caribéenne post-esclavagiste, qui porte une tension mémorielle importante18, où la terre est souvent revendiquée en fonction de cette inscription dans la « généalogie » (Dorismond, 2011). Les « actes de commémorations historiques et les pédagogies de la mémoire » (Bonnet, 2008), véritables points d’appui pour manifester, exprimer et revendiquer, se reconfigurent dans cet espace ancré dans la matérialité des choses comme une ressource pour le développement touristique au cœur de la mondialisation.
Quels enjeux normatifs et quelles dynamiques participatives et socioculturelles se révèlent au Parc Historique de la Canne-à-Sucre ?
11En intégrant ce lieu contemporain, l’animation socioculturelle pose la question des usages sociaux, des enjeux normatifs et de la dynamique participative dans le rapport à l’urbain. L’« espace colonial » véhicule l’identité culturelle et les valeurs sociales dans l’ensemble des faits urbains qui composent la ville de Port-au-Prince (capitale d’Haïti). Le Parc Historique de la Canne-à-Sucre, devenant aujourd’hui un haut lieu de spectacle et un musée qui participe à l’effort de préservation de la mémoire collective, a une vocation touristique qui favorise son développement dans le milieu culturel haïtien. Il se veut également un espace intermédiaire et d’appui pour la mise en contact et la réalisation de spectacles entre les artistes, les animateurs-animatrices et les institutions principalement culturelles. Il est aussi par sa constitution un espace porteur du « projet socioculturel » de promouvoir les activités culturelles. Les animations socioculturelles jouent le rôle d’activités qui réinventent la ville et participent à la construction du lien social et la valorisation de la culture. Les responsables, en associant systématiquement la valorisation du patrimoine bâti notamment colonial, insistent sur les enjeux économiques d’une valorisation touristique. L’« idéologie managériale » (Levy, 2006) fait place à un nouvel « esprit gestionnaire » (Levy, 2006), c’est-à-dire la reproduction des ordres établis et l’assimilation du lieu de mémoire à une entreprise familiale. En accentuant l’attraction sur la présence des touristes, ils souhaitent que leur espace puisse acquérir une reconnaissance internationale, en tant que témoignage de patrimoine coloniale.
12Au Parc Historique de la Canne-à-Sucre, il y a des « traces » qui inscriventt le propos historique des habitations sucrières coloniales dans la conscience spectatorielle des publics. Cet espace socioculturel produit une historicité qui devient effective dès lors que les visiteurs l’inscrivent en termes de réception. Il y a un rapport qui s’établit entre le public et le lieu durant le temps de la visite. Il produit une mémoire particulière et collective dans l’esprit du public. Celui-ci intègre le Parc comme une totalité, continuant de se modifier durant le temps. L’existence de la « trace mémorielle » qu’il projette montre que ses objets appartiennent au passé. En matière de patrimoine culturel, le développement économique et la mise en valeur du site sont révélés par la « touristication » et l’organisation d’événements socioculturels. Ces animations socioculturelles enclenchent un cycle marchandisé qui génère des capitaux et des services. La multitude d’activités culturelles oriente le regard du public, lui impose une interprétation unique et le contraint à passer davantage de temps à se défouler aux manifestations socioculturelles plutôt qu’à saisir le sens « historique »19 et didactique de cet espace. La culture véhiculée dans ce « haut lieu du spectacle », selon les responsables, est, me référant à Guy Débord, « la sphère générale de la connaissance, et des représentations du vécu »20, une projection culturelle marchandisée qui se matérialise dans la conscience spectatorielle des publics et dans la production de signifiants culturels intégrant la mémoire sociale. Le lieu de mémoire se veut un espace intermédiaire et d’appui pour la mise en contact et la réalisation d’activités culturelles entre le « monde de l’art » (Becker, 1988), les entreprises privées, les institutions publiques et organismes nationaux et internationaux. La force de ce projet est que les visiteurs ne se posent même plus la question de savoir où ils sont, et quel est le sens du lieu, comme le dit la visiteuse E citée plus haut.
13Ce travail de recherche est une invitation à chercher, sous les manifestations patrimoniales et culturelles prestigieuses, les processus de mise en mémoire qui sont en jeu au Parc. Cet espace largement abordé comme une « matrice » de la conception du lieu de mémoire occupe une place de choix dans les matériaux analysés. Cet article vient précisément dénouer les fils conducteurs complexes qui, aujourd’hui relient le travail de la mémoire à l’action patrimoniale. Il s’agit aussi de montrer comment le patrimoine reste une forme circonstancielle de pratiques mémorielles qui utilisent nécessairement l’inscription urbaine et l’empreinte d’ambiance, et en ce sens, transforment de manière permanente les lieux de mémoire. Avec cette réflexion sur la patrimonialisation des habitations coloniales comme lieux de mémoire et leurs enjeux socioculturels dans le « projet urbain », j’espère contribuer non seulement au débat, déjà bien engagé sur le renouveau des revendications mémorielles de plus en plus dynamiques du passé esclavagiste, mais aussi à leur instrumentalisation. L’approche sociologique, dont on peut constater la relative absence dans les recherches portant sur l’institution de l’esclavage dans les terres d’Amérique, sans tourner le dos à l’histoire ni la méconnaître, a permis d’analyser ce lieu de mémoire haïtien avec toute la profondeur historique d’un temps long de la mémoire et participe à l’éclairage des choix du présent. Mon analyse sociologique entend ainsi contribuer, plus largement, à l’étude des formes de mise en mémoire de lieux signifiants du passé dans les villes des sociétés postcoloniales et plus précisément post-esclavagistes.
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Notes de bas de page
1 Voir : Maria Gravari-Barbas, Vincent Veschambre, « Patrimoine : derrière l’idée de consensus des enjeux d’appropriation de l’espace et des conflits », in, Melé P. et al.. (dirs.), Conflits et territoires, Collection perspectives Villes et Territoires, Presses Universitaires François Rabelais, Tours, 2003, pp. 67-82.
2 L’hétérogénéité est un trait dominant dans la constitution des publics du Parc Historique de la Canne-à-Sucre. Ce public constitue « une sociation qui n’est pas donnée d’avance et ne se définit pas à travers l’objet autour duquel elle se constitue ». In, Jean-Pierre Esquenazi, Sociologie des publics, La découverte, Paris, 2003, pp. 4-5.
3 Alain Sinou, « Les enjeux culturels de la mise en patrimoine des espaces coloniaux », Autrepart 1/2005 (n° 33), pp. 13-31. www.cairn.info/revue-autrepart-2005-1-page-13.htm, p. 5.
4 Le patrimoine culturel tend ainsi à représenter cet espace de plus en plus vaste, relevant à la fois du monumental et du quotidien, de l’exceptionnel et de l’ordinaire. Voir : Jean-Michel Leniaud, Les archipels du passé : le patrimoine et son histoire, Fayard, Paris, 2002.
5 En référence à André Micoud, j’utilise le mot sauvegarde pour exprimer l’idée de « garder neuf et garder vivant » les lieux de mémoire. In, Michel Rautenberg, La rupture patrimoniale, À la croisée, Paris, 2003, p. 122.
6 Extrait d’entretien réalisé avec M.
7 La famille Canez-Auguste fait partie de l’élite politique et économique, particulièrement des catégories sociales de la classe dominante haïtienne.
8 Voir : Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Quarto Gallimard, 3 volumes, Paris, 1997.
9 http://www.parchistorique.ht/, consulté le 28 janvier 2010.
10 La classe dominante est la classe qui arrive à l’homogénéisation des idées selon la direction qu’elle entend donner à la société. En Haïti, celle-ci comprend : les grands propriétaires terriens, les propriétaires de grandes entreprises commerciales d’import-export (la bourgeoisie du bord de mer) et d’industries d’assemblage, ainsi que des entrepreneurs et « mandataires » des entreprises commerciales. In, Charles Etzer, Le pouvoir politique en Haïti, Karthala, Paris, 1994, p. 19.
11 Date hautement symbolique dans l’histoire de lutte des captifs de Saint-Domingue contre la France coloniale. Le 22 août 1789 s’éclatait dans le nord de la colonie Saint-Dominguoise une révolte combien déterminante pour la poursuite du processus révolutionnaire. L’historiographie officielle appréhende ce mouvement sous le concept de « révolte générale des esclaves ».
12 Isabelle Garat, Maria Gravari-Barbas et Vincent Veschambre, « Préservation du patrimoine bâti et développement durable : une tautologie ? Les cas de Nantes et Angers », Développement durable et territoires [En ligne], Dossier 4 : La ville et l'enjeu du Développement Durable, mis en ligne le 03 mars 2008, consulté le 19 juin 2012. URL : http://developpementdurable.revues.org/4913, p. 10, consulté le 19 juin 2012.
13 Extrait d’entretien réalisé avec la visiteuse E.
14 Le lieu de la culture est utilisé plus largement comme un lieu très fécond d’hybridité culturelle, produisant des activités intermédiaires complexes, qui permet de comprendre les liens qui existent en colonialisme et globalisation économique. Voir : Homi K. Bhabha, Les lieux de la culture, une théorie post-coloniale, Payot, Paris, 2007.
15 Michel Rautenberg, La rupture patrimoniale, À la croisée, Paris, 2003, pp. 75-76.
16 Je m’intéresse à l’époque nationale de l’histoire haïtienne, qui a rompu avec l’époque coloniale16 par la Révolution haïtienne et l’indépendance d’Haïti en 1804.
17 L’époque coloniale qui concerne Haïti, a débuté en 1492 avec l’Espagne et s’est systématisée en une colonisation de plantation avec la France à partir de 1625.
18 Marie-José Jolivet, « La construction de mémoire historique à la Martinique. Schoelchérisme et marronisme, in Cahiers des Etudes africaines, XXVII (3-4), n° 107-108, pp. 287-309.
19 La création de ce lieu de mémoire s’inscrit nécessairement dans le cadre plus global d’une politique culturelle de la « classe dominante » haïtienne consistant à masquer des faits saillants de l’histoire d’Haïti. La « classe dominante » établit leur suprématie sur quelque chose qui doit se préciser à savoir l’absence d’un discours historique qui pourrait non seulement porter une mémoire collective proprement nationale mais aussi contribuer à la réduction des inégalités sociales.
20 Guy Debord, La société du spectacle, Gallimard, Paris, 1992, p. 177.
Auteur
Doctorant en sociologie, Université Paris8, Université d’État d’Haïti, LAVUE CNRS UMR 7218
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2013
Autour de l'animation sociale et socioculturelle en France et en Espagne / Alrededor de la animación social y socio-cultural en Francia y España
Programme de coopération transfrontalière Aquitaine - Aragon / Programa de cooperación transfronteriza Aquitania - Aragón
Luc Greffier (dir.)
2013
L’animation socioculturelle : quels rapports à la médiation ?
Luc Greffier, Sarah Montero et Pascal Tozzi (dir.)
2018
Les consultations de la jeunesse des années 1960 à nos jours, un outil pour l’action publique ?
Denise Barriolade, Laurent Besse, Philippe Callé et al. (dir.)
2020
Art, Recherche et Animation
Dans l’animation et la recherche : expérimentations artistiques. Quelles interactions pour quelles transformations ?
Cécile Croce et Chantal Crenn (dir.)
2021