Précédent Suivant

Faire accepter le projet de la ville durable : analyse urbano-communicationnelle des dispositifs ludiques de communication territoriale

p. 331-351


Texte intégral

1Dans ce texte, nous nous intéressons au processus de production de l’imaginaire urbain dans le sens où il donne lieu, d’une part, à la création de dispositifs spécifiques et participatifs et, d’autre part, à l’énonciation d’un modèle pour la société contemporaine. Plus précisément, nous proposons d’analyser dans quelle mesure certaines thématiques émergent dans la communication territoriale contemporaine et favorisent de nouvelles formes de communication et de médiation. À ce titre, les thèmes de « la ville et du Développement Durable (DD) », paraissent ouvrir de nouveaux champs de la communication territoriale que nous étudions au moyen de deux différents terrains destinés à s’éclairer mutuellement : d’une part, les dispositifs numériques de médiation de l’urbanisme utilisés lors de l’événement Viva-Cités (octobre 2012) à Rennes et, d’autre part, le dispositif de serious game présenté dans les expositions sur le DD – et thèmes y afférant – tel le jeu de l’adaptation1 ou le jeu Clim’Way2.

2Nous analysons les effets de ces dispositifs communicationnels qui nécessitent des observations in situ (notamment la mise en scène, en situation, la participation, des études des comportements et entretiens avec des visiteurs…). Cette méthode a été utilisée dans le cas de l’événement Viva-Cités. Nous avons par ailleurs complété ces observations par les retours des concepteurs sur leurs productions, avec un entretien de la chef de projet de l’exposition temporaire Océan, le Climat et nous présentée à Universcience en 2011 pour les serious games. Le choix de la Cité des Sciences et de l’Industrie (désormais CSI) est conditionné par le fait que cette structure culturelle bénéficie d'effets d’expériences en matière de muséologie et de médiation. Le second dispositif, Clim’Way, est pertinent car disponible en ligne. Il fut réalisé par Cap’Sciences, la CCSTI (Centre de Culture Scientifique Technique et Industrielle) de Bordeaux pour l’exposition temporaire et itinérante Climat sous influence en 2006.

Le registre du ludo-scientifique dans la médiation de la ville durable auprès des citoyens

3Pourquoi le registre du ludique fait-il son apparition dans la communication sur la ville durable ? Cette question peut paraître anodine tant la présence de jeux est devenue commune aujourd’hui dans la communication publique. Cependant, comment expliquer ce phénomène ? Deux hypothèses peuvent être émises. D’une part, l’aspect ludique de la communication publique sur un sujet tel que la ville durable tend à répondre à la crise démocratique par la mise en œuvre d’une « démocratie électronique » (Rodota 1999). Depuis la fin des années 1990, ce phénomène s’amplifie jusqu’à s’insérer dans tous les domaines de la vie démocratique, à tel point que l’on peut s’interroger sur l’existence d’une « démocratie augmentée », censée ressusciter l’intérêt du citoyen. En effet, la participation des citoyens aux politiques publiques est faible, avec de grands absents, que sont les jeunes et les populations fragiles. Le ludique et sa version numérique constituent en cela une « solution » pour toucher plus largement le public. D’autre part, le DD, et surtout la question du changement climatique, qui émerge depuis une vingtaine d’années, poussent à communiquer des informations qui sont relativement « difficiles à comprendre », de par leur scientificité. Il est donc primordial pour les acteurs de la communication publique de trouver des moyens de médiation de ces savoirs scientifiques. Le jeu apparaît alors comme une solution pour la médiation. Cette présence accrue du ludique dans les expositions ou événements de la communication publique paraît être un moyen de s’adapter à l’impératif de la sensibilisation : la ville durable ne se fera pas sans un changement de comportement. La pédagogie pour le public fait partie intégrante de la nouvelle communication territoriale. En matière de pédagogie, on assiste au règne du « apprendre en s’amusant », qui permet de toucher un public large.

4Relevons que depuis une dizaine d’années, les expositions scientifiques, techniques et de sociétés proposent en France des dispositifs ludo-pédagogiques innovants, qualifiés de jeux vidéo, où les publics, principalement jeunes, sont mis en scène pour sauver ou non notre planète. Ces jeux vidéo, plus précisément appelés « serious games », jouent un rôle indéniable dans la diffusion du DD quant à la gestion des ressources et la médiation sur les comportements écologiquement responsables. Un jeu sérieux « invite l’utilisateur à interagir avec une application informatique dont l’intention est de combiner à la fois des aspects d’enseignement, d’apprentissage, d’entraînement, de communication et d’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo. Une telle association a pour but de donner à un contenu utilitaire (serious), une approche vidéoludique (game) » (Alvarez 2007, p. 3). Par ailleurs, la notion de DD permet de mettre en scène des situations de gestion de crise où les visiteurs peuvent agir en jouant, l’objectif étant :

  • De faire changer leur comportement en faveur du DD,
  • De passer d’une sensibilisation environnementale passive à une action responsable, où, chacun à son niveau, pourrait prendre conscience de ses impacts sociétaux en modifiant ses propres comportements.

5L’un des principes du serious game est souvent d’être coopératif. Les objectifs de jeux proposés pour gérer les crises sont si nombreux et si complexes qu’un individu seul ne peut espérer les résoudre. C’est en groupe que les solutions doivent se trouver. Les serious games en tant que productions publiques combinent les problèmes publics et les difficultés à les résoudre avec toute une série d’activités collectives. Ce traitement des solutions par le jeu est pertinent quand il est lié à la question du DD et dont l’application relève également de la discussion, de la mobilisation.

Mettre en scène la participation citoyenne à la ville durable

6Le premier type d’analyse présenté ici s’intéresse aux formes de la communication territoriale en matière d’urbanisme et leur renouvellement par le numérique et le ludique. L’événement Viva-Cités que nous analysons dans cette partie, propose une semaine de réflexion collective (entre acteurs publics, entreprises, associations, artistes, scientifiques et citoyens) sur l’avenir du territoire rennais : à travers la présentation des projets majeurs portés par l’agglomération, mais aussi un panorama des enjeux contemporains de la ville durable, prenant la forme de conférences et de débats sur des questions aussi variées que la mobilité durable, le vieillissement, le numérique et l’innovation, l’énergie, etc. Les entreprises, associations, artistes sont également invités à faire part de leur propre lecture de la ville et de la société rennaise, mais sont surtout conviés en tant qu’inventeurs et pourvoyeurs d’innovation sociale et urbaine. Pendant une semaine, l’événement constitue une sorte de « brainstorming » à l’échelle de l’agglomération.

7Notre analyse de l’événement propose de montrer dans quelle mesure ce dispositif de médiation de la ville durable fait appel au numérique et au ludique pour susciter une plus grande motivation de la part du public et pour donner l’image d’une communication de proximité simple et facile. Deux dispositifs sont au cœur de l’analyse3 : la maquette numérique 3D de l’agglomération rennaise et l’application « ville sans limites » qui a été proposée par l’agence UFO (Alain Renk) sur le quartier de la gare de Rennes. Le lieu de l’exposition-débat et la scénographie utilisée nous informe dans un premier temps, sur les intentions des organisateurs (conçu par le service communication de Rennes Métropole avec l’atelier L2).

Image

Figure 1. Scénographie de l'espace d'exposition des projets urbains

8L’espace d’exposition et d’apprentissage (Fig. 1) est formé d’une photographie aérienne où sont installées des maquettes physiques présentant la ville de Rennes et ses principaux projets (au centre). À l’arrière-plan se situe la table qui permet aux visiteurs de naviguer dans la maquette virtuelle qui est projetée en grand format au-dessus du public. Enfin un grand cube sert d’écran de projection permanente d’une vidéo composée d’extraits de discours d’habitants sur Rennes en 2062. L’aspect ludique et pédagogique des outils est notamment visible lorsque l’on observe les comportements de visiteurs de l’événement (Fig. 2).

Image

Figure 2. Illustration des comportements des visiteurs devant la maquette

9Cette première photographie montre qu’il s’agit bien d’un événement où l’on s’informe et où l’on apprend : pour preuve cette situation d’un père qui explique à son enfant ce qu’il faut voir sur la maquette physique. D’autres visiteurs ont également relayé cette idée de découverte et d’apprentissage pour petits et grands lors de l’enquête : « Je découvre ce que l'on fait comme animation pour Rennes... Je repère où j'habite... Et pour les petits c'est sympa aussi, ils découvrent leur environnement : la ville » (Femme, 35 ans) ; « C'est un grand barnum, un grand bazar, ça foisonne de pleins d'idées, d'animations... même pour les enfants » (Homme, 40 ans). La référence aux enfants est signe que l’exposition et la présentation des projets urbains n’a pas été ressentie comme une arène de débat politique et/ou scientifique classique. La communication émise est ressentie comme étant destinée au grand public, ayant tout type de connaissances en urbanisme, avec une dimension pédagogique forte. Cette idée est généralement drainée dans les événements sur le DD ou les politiques publiques : la référence aux générations futures est souvent synonyme d’un public de la jeunesse (c’est en informant les jeunes que les comportements vont changer4). L’implication d’un public jeune aurait à voir avec l’enjeu des générations futures généralement associées à la notion de DD.

Image

Figure 3. Manipulation collective de la maquette 3D avec animateur

10La table de navigation dans la maquette 3 D (Fig. 3) est un outil de médiation très particulier qui renvoie à une technologie intuitive (le tactile) et individualisée (l’utilisateur parcours à volonté l’ensemble de l’agglomération, en consultant à loisirs les informations disponibles sur une portion d’espace). La configuration de la salle (transmission de l’image sur un écran géant), sa taille en font également un outil à consulter en groupe, où les interactions sont nombreuses. En réaction à l’information perçue, mais aussi aux sollicitations des animateurs qui accompagnent les utilisateurs à tout moment, les groupes peuvent ainsi échanger sur les informations disponibles. L’enquête menée a montré que la maquette 3D attire plusieurs types d’usagers (tous les âges) et pour plusieurs raisons : d’un côté la curiosité d’essayer l’outil, de découvrir comment est représentée sa maison ou son quartier, jusqu’à la vérification d’un point particulier sur un projet urbain à venir. La maquette numérique de l’agglomération constitue un outil pédagogique puissant, dans le sens où sa manipulation est faite par le visiteur lui-même et que son contenu laisse une grande liberté d’usage (vérification d’une information, commentaire informel d’un projet, explication par l’animateur ou l’expert d’un projet d’aménagement). Elle n’appartient pas tellement au domaine des jeux sérieux puisqu’elle ne propose pas de scénario préalable, mais elle remplit cependant les objectifs d’enseignement, d’apprentissage, d’information. Elle possède également une dimension communicationnelle (suscite des interactions verbales) mais qui n’est pas intégrée à l’application informatique (pas d’outil de commentaire).

11Un autre dispositif numérique a été testé lors de l’événement Viva-Cités : l’application « Ville sans limite », proposée par le cabinet UFO, et conçue par une équipe d’architectes-urbanistes et de programmeurs. Ce dispositif numérique permettait aux habitants de la ville de Rennes de visualiser la place de la gare et d’envisager différents scénarios de réaménagement faisant appel à des notions de densification de la ville, à la transformation des espaces publics (place des usagers, importance de la végétation), ou encore à l’installation de dispositifs numériques dans la rue (écrans, applications mobiles). À l’aide de curseurs, l’habitant fait varier les fonctions dans l’espace et peut ainsi « tester » des centaines de combinaisons. Cette application était utilisée sur tablette tactile, accompagné d’un animateur expliquant le fonctionnement de l’outil. Chaque utilisateur (seul ou en groupe) pouvait ainsi composer son image de la future place de la gare, en faisant varier la densité du bâti, la présence de végétation, la place de la voiture, des piétons, des cyclistes, etc. Une fois choisie la combinaison, l’utilisateur envoie sa photo en ligne et participe ainsi, avec un ensemble d’autres utilisateurs, à inspirer les élus et professionnels de l’aménagement qui réfléchissent actuellement à ce projet. Le travail des membres d’UFO est donc de faire la synthèse des tendances observées (les personnes ont plutôt plébiscité une place sans voitures, avec des arbres et des bâtiments bas, etc.). Cette application ludique constitue donc un outil d’enquête auprès de la population qui fait émerger, repère et collecte leurs préférences.

12L’utilisation de ce dispositif numérique portable a permis aux usagers de concevoir une représentation visuelle des changements du quartier de la gare in situ. Contrairement à ce qui est souvent présenté dans la concertation en urbanisme, le dispositif de « ville sans limite » permet de comparer le réaménagement à la réalité, en temps réel. L’illustration suivante (Fig. 4) montre également que même si le dispositif est conçu pour un usage individuel (chacun compose son aménagement), celui-ci suscite des interactions entre les utilisateurs, qui sont riches d’échanges sur les scénarii envisagés : l’un montrant à l’autre son choix, peut ainsi expliciter les raisons qui font qu’il a telle ou telle préférence. De la même manière, une fois l’image créée, l’utilisateur peut consulter les autres propositions qui ont été faites, et ainsi découvrir si son choix ressemble ou non à celui des autres participants.

Image

Figure 4. Interactions autour du dispositif "Ville sans limite"

13Cependant, la manipulation de cette application nous fait pointer du doigt quelques limites. D’une part, le scénario proposé est relativement « guidé » et contraint. En effet, la composition de l’image dépend de curseurs qui sont plus ou moins maniables. Les critères de choix sont de l’ordre de la préférence esthétique. Aucun doute que la présence de végétaux constitue un facteur qui sera plébiscité par le public. De plus, le point de vue adopté, celui du piéton favorise l’expression d’un jugement sur l’esthétique plus que sur les fonctions urbaines (Bailleul 2009). L’application est donc un bon outil de sondage des préférences en matière de paysage urbain. Les organisateurs se défendent de cette interprétation, mais cependant, elle paraît bien réelle : « "Il ne s’agit pas d’établir un vote mais bien de déterminer des tendances", tient à préciser Maud Beau. "Paradoxalement, beaucoup se sont prononcés pour une densité des bâtiments mais avec la présence de végétaux pour éviter un aspect trop minéral. Concernant la mobilité, la priorité est donnée aux déplacements doux". Pas vraiment une surprise mais plutôt une confirmation » (Interview Ouest France, 20. 11.2012). La finalité et la pertinence d’une telle application tient dans l’analyse des configurations qui sont formulées par les individus. Sur ce point, l’application ne permet pas de connaître les raisons d’un choix plutôt qu’un autre. Les animateurs qui accompagnaient l’utilisation de l’application ont eux-mêmes précisé qu’il était plus intéressant d’entendre les commentaires délivrés pendant la manipulation que d’analyser les résultats finaux. Cependant, cette « option » enregistrement des commentaires n’est pas disponible. L’application « Ville sans limite » peut donc être assimilée à un outil d’enquête auprès de la population, qui cible les préférences individuelles et les choix esthétiques. Elle ne constitue pas, comme on a pu le dire abusivement, un outil de participation du public à l’aménagement de la ville (d’après le créateur, « avec "ville sans limite", nous sommes tous des urbanistes », Le Monde, 15. 06.2011).

Jouer l’adaptation dans les expositions sur le développement durable

14De manière complémentaire, l’analyse de l’usage de deux jeux - un dispositif muséographique et un serious game en ligne qui furent présentés dans des expositions sur le DD - démontre le rôle encore restreint mais en devenir donné au public, axé principalement sur le mode participatif. Clim’Way est un jeu vidéo en ligne conçu sur le mode des jeux de construction de ville. Ces deux dispositifs n’ont pas fait l’objet de médiation, ni d’animation particulière. C’est le mode inductif qui est ici valorisé.

15Le Jeu de l’adaptation5 en situation dans l’exposition Océan, le climat et nous (Fig. 5) présenté à la CSI est un dispositif muséographique présenté sur une tabletouch dans la dernière partie de l’exposition intitulée « l’adaptation de l’homme ».

Image

Figure 5. La tabletouch présentant le jeu de l’adaptation. Source : Flickr, pseudonyme Dalberta6

16Sa présentation au visiteur se résume comme suit : « L’adaptation n’est pas qu’une question d’ingénierie, c’est aussi une affaire d’aménagement du territoire et de rapports sociaux. Il faut savoir faire des choix qui concilient évaluation du risque, développement économique, protection sociale et de l’environnement. Attention, certains choix bénéfiques à court terme peuvent se révéler contre-productifs à plus long terme. À vous de jouer ». Les visiteurs de l’exposition sont ainsi amenés à faire partie d’un « Conseil ». Pour défendre le mode participatif, il est demandé au joueur individuel d’attendre l’arrivée d’autres participants (le jeu permet quatre votes). Trois scénarios ont été élaborés par l’équipe de projet en collaboration avec trois chercheurs spécialisés sur la question climatique qui ont réalisé un travail de prospective en s’inspirant de situations réelles ou qui pourraient advenir, à partir de leurs connaissances des terrains. Les visiteurs devaient voter et déplacer un bulletin virtuel sur la table de jeu. Comme le spécifie la commissaire de l’exposition : « L’objectif de ce jeu multi-joueurs est de faire comprendre que dans notre société à venir, rien ne sera fait si on n’arrive pas à se mettre un tant soit peu d’accord au moins sur l’objectif que l’on vise. Si on arrive à se concerter et à concilier les trois cursus social, économique et environnemental sans en laisser un de côté, on trouvera la solution. Si les joueurs ne sont pas d’accords entre eux, on leur propose de rejouer et d’essayer de discuter ensemble. Si toutefois aucun consensus n’est trouvé, le propos est alors de spécifier que de toute façon l’écosystème est vivant et va évoluer à ses risques et périls ». Nous jugeons ici cette approche intéressante car aucune solution miracle n’est présentée.

17Le Jeu de l’adaptation n’est pas un véritable serious game pour la chef de projet de l’exposition qui le justifie comme tel : « avec un thème tel que le changement climatique, il fallait mettre le visiteur en situation ». Les Tabletouch sont des outils qui justement permettent de jouer à plusieurs ici sous le mode du jeu de plateau interactif. « Le chef de projet développement multimédia souhaitait un serious game avec un mode multi-joueurs en ligne où le scénario évoluerait laissant les nouveaux joueurs sur un paysage déjà modifié et continueraient l’histoire. Cependant si la base est là, ce n’était pas l’objectif dans l’exposition temporaire. Il fallait un dispositif muséographique avec un résultat à donner au visiteur ». Ce type de production muséale est le produit d’un traitement conséquent de modélisation, de communication scientifique du problème climatique et de scénarisation qui attirent tout type de public. Il est relevé par la commissaire, et confirmé lors de nos observations, que le public adolescent est particulièrement réceptif à ce type de dispositif (Gagnebien, Janiau, Valoti, Vidal 20117).

Image

Figure 6. Zoom sur le résultat du vote des joueurs

18Comme le présente l’illustration ci-dessus (Fig. 6), pour chaque décision un indice est spécifié selon les trois curseurs : économique, social et environnemental (pour le cas ici de Bourg-les-bains). Le jeu Clim’Way, qualifié lui de city builder - selon Marine Soichot (2011). L’environnement du jeu est divisé en quatre milieux (ville, campagne, mer et montagne). Le joueur est invité comme pour le jeu de l’adaptation à réaliser différentes actions sur des objets du paysage. Le but est d’atteindre trois objectifs avec comme année de référence 2008 : réduire de 75 % les émissions de Gaz à Effet de Serre (désormais GES) ; sa consommation d’énergie de 40 % et augmenter sa part d’énergie renouvelable de 60 %. Quant à la question de l’adaptation, il s’agit de gagner 20 points d’adaptation. Le joueur peut visualiser sa progression grâce à trois indicateurs (énergie, objectifs, Clim Stats) (Fig. 7).

Image

Figure 7. Présentation des objectifs du jeu

19Chaque joueur dispose de 50 points « pouvoirs publics », 50 points « entreprise » et 50 points « citoyens ». Une partie qui représente une année est constituée de 50 actions ou tours. Nous ne détaillerons pas ici l’ensemble des actions, mais sur la question des transports (Fig. 8), nous relevons principalement des mises en place d’équipement collectifs plutôt que moyens de transports individuels tels que les vélos, et d’aménagement du territoire ainsi que l’optimisation du cycle de vie des véhicules et de la recherche et développement impliquant surtout des acteurs économiques et les pouvoirs publics. Le jeu est particulièrement précis quant aux avantages et inconvénients pour chaque action possible et participe ainsi, comme dans le jeu de l’adaptation au processus d’éducation, mais dans une logique de gestion et sous un mode de jeu ici individuel.

Image

Figure 8. Présentation d’actions en matière de transport collectif

20Une partie de jeu à la différence d’autres dispositifs muséographiques offre une approche plus diversifiée : les combinaisons d’actions du jeu sont infinies. Quant à l’issue du jeu par ailleurs, elle n’est pas prédéterminée, c’est le joueur qui la construit. Enfin, Clim’Way met en avant, comme le dispositif de la CSI, la question de l’adaptation.

21Conçu à la suite de l’exposition Climat sous influence comme une exposition virtuelle (ressources disponibles gratuitement sur le site internet de la CCSTI), les aspects politiques et la dimension de l’action collective sont accentués. Globalement, ce jeu présente une vision idéalisée de l’action où les différents acteurs semblent poursuivre un objectif commun du problème climatique (pourtant conflictuel) associé à la question urbaine. Le joueur gère le problème climatique à l’échelle régionale, avec des actions réalisables, en partie inspirées des plans climats nationaux et territoriaux. Clim’Way met en avant les innovations techniques (les panneaux solaires développés par les entreprises arrivent bien en tête face aux bornes de tri) pour lutter contre le changement climatique en prenant en charge le paradigme du DD qui est celui d’informer, d’éduquer et de sensibiliser. Il s’agit d’une volonté des concepteurs de montrer que tous les secteurs et tous les acteurs sont concernés et par conséquent qu’une démarche globale est nécessaire (Soichot 2011 ; p. 267). Comme le confirment des travaux de géographie, « les simulations à l’œuvre dans les jeux vidéo sont toujours orientées par les représentations [...] de leurs concepteurs. En ce sens, ils sont des « artefacts culturels » au travers desquels il est possible d’analyser les représentations de leurs concepteurs, mais aussi des joueurs » (Ter Minassian et Rufat 2008).

22L’objectif du jeu est d’amener le joueur à combiner différentes actions individuelles et collectives à partir d’une compréhension globale du problème ; cependant sans véritablement prendre en compte certaines dimensions sociales visibles dans le jeu de l’adaptation. Par exemple pour le cas d’Océanic-ville, ville portuaire et industrielle en forte croissance, avec des ressources importantes et donc un bassin d’emploi, cette ville attire la population. En conséquence le prix des logements augmente et l’expansion de la ville la rend plus vulnérable, en bord de côtes, aux évènements climatiques. Pour sauver la ville, trois options sont proposées : 1/ ouvrir le bord de mer à la construction, 2/ aménager une zone constructible protégée 3/ créer une zone naturelle protégée. Les deux votants ont choisi ici d’aménager une zone constructible protégée. Il est ici bien visible que le choix n’est pas sans conséquence sur la biodiversité et privilégie la population.

23Nous pouvons observer que ces deux dispositifs ne tombent pas dans le travers de l’individualisation des enjeux. Il faut faire en sorte que les individus s’engagent, mais dans une perspective collective (aucune focale sur les responsabilités individuelles n’est faite) et les acteurs et pouvoirs publics sont aussi engagés. Par exemple dans Clim’Way, si les actions individuelles impliquent des investissements (travaux isolations, système de rafraichissement), ces « petits gestes représentent dans le jeu moins de la moitié des actions impliquant les individus » (Soichot 2011 ; p. 229). De la même manière, le jeu de l’adaptation met le visiteur en position d’être un acteur des pouvoirs publics en favorisant l’approche gestionnaire. Il s’agit toujours, dans les deux cas, de gérer un système sous diverses contraintes et possibilités en termes de consommation énergétique et de GES et plus largement pour le jeu de l’adaptation en faveur des trois critères du DD (social, environnemental et économique). Selon Olivier Mauco, ce type de productions publiques institutionnelles nommées aussi « political games » vise essentiellement à promouvoir les politiques publiques. Ils se présentent comme des outils de pédagogie et de familiarisation aux enjeux économiques et politiques et insistent sur la complexité des problèmes publics et les difficultés à les résoudre (Mauco 2008). Par leur apport immersif, les possibilités d’identification-décision-simulation et leur gestion de la complexité, ils deviennent un media interactif correspondant au niveau actuel de réactivité des joueurs ou des visiteurs (Gagnebien 2012).

Conclusion

24Les dispositifs étudiés sont envisagés comme un point de départ d’analyse de la conduite d’une politique d’animation socioculturelle en faveur du DD. Si les acteurs du développement du territoire émettent souvent le besoin de connaitre les représentations et les pratiques des citoyens, comme préalable de leurs actions (projets urbains participatifs), ils se trouvent confrontés à une double difficulté : celle de communiquer sur une nouvelle vision de la ville en direction d’un public de citoyens, et celle d’obtenir un impact réel sur les comportements, au-delà d’une attitude favorable du public.

25La communication sur le DD peut être positionnée au rang de communication « proactive » du territoire, c'est-à-dire comme une action dont on attend qu’elle ait autant d’impact qu’une politique d’aménagement, mais elle n’atteint cependant pas toujours les objectifs qu’elle se fixe. S’il existe un quasi-consensus sur les attitudes et la conscience « DD », l’engagement dans les pratiques des citoyens au niveau individuel est rare et les solutions présentées dans nos dispositifs étudiés sont principalement collectives que la consultation soit individuelle ou à plusieurs.

26En effet, la comparaison des dispositifs numériques de médiation de l’urbanisme d’un côté et des serious games de l’autre, permet de mettre en évidence une limite commune à ces deux outils : comment vérifier que leur utilisation aura des impacts cognitifs et comportementaux réels ? C’est le pari que font les concepteurs et les pouvoirs publics en avançant que l’outil numérique, et sa dimension ludique, permet une prise de conscience. Cependant, nous l’avons vu, les conditions d’élaboration du scénario, les conditions d’utilisation sont toutes aussi importantes que le contenu du jeu et le storytelling qu’il permet. Si le message catastrophiste dans le cas des serious games, ou encore celui de l’urbanisme participatif dans le cas de Viva-Cités, est bien présent, le doute persiste à l’issue de l’utilisation. Les dispositifs ont tendance à ignorer les représentations des publics, ou en tout cas à les minimiser. Il semblerait que la thématique du DD dans la communication et l’animation des territoires est l’occasion de mettre en évidence les divergences entre production d’une vision territoriale et représentations du public à l’inverse de ce qui est visé au départ.

Bibliographie

Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.

Références

ALVAREZ J., 2007, Du jeu vidéo au serious game. Approches culturelles, pragmatique et formelle, Thèse en sciences de l’Information et de la Communication, Université de Toulouse IOS et IOSI

BAILLEUL H. 2009, Communication et projets urbains. Enjeux et modalités de la communication entre acteurs du projet et habitants, Thèse de doctorat, Université de Tours, 589 p.

10.4000/edc.3239 :

GAGNEBIEN A. et BAILLEUL H., 2011, « La ville durable imaginée : formes et modalités de la communication d’un projet de société », Études de communication, n° 37, pp. 115-130.

10.4000/ocim.1107 :

GAGNEBIEN A., 2012, « Serious game et développement durable », Lettre OCIM, n° 143, pp. 20-27

GAGNEBIEN A., JAUNIAU C., VALOTI I., VIDAL G., 2011, « Analyse des usages de l’iPad et de la Muséotouch », LabSic, Rapport d’étude pour le musée des Confluences, service développement et stratégie, Nathalie Candito, [en ligne] : < http://reseau.erasme.org/Evaluation-Ipad-au-musee-et. >.

10.3406/memor.2008.2164 :

MAUCO O., 2008 « Les serious games, entreprise d'auto légitimation », Médiamorphoses - n. 22, Bry-sur-Marne, INA, pp. 79-84.

10.3917/dec.dahan.2007.01.0227 :

PARIS E., 2007, « Les couloirs de la persuasion. Usages de la communication, tissu associatif et lobbies du changement climatique », in Dahan Dalmedico, A. dir, Les modèles du futur. Changement climatique et scénarios économiques : enjeux scientifiques et politiques, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », pp. 227-244.

RODOTA S., 1999, La démocratie électronique, Éditions Apogée, Rennes

SOICHOT M., 2011, Les musées et centres de sciences face au changement climatique. Quelle médiation pour un problème socioscientifique ? Thèse en Sciences sociales : SIC, science de l’éducation, Muséum National d’Histoire naturelle.

10.4000/cybergeo :

TER MINASSIAN H. et RUFAT S., 2008, « Et si les jeux vidéo servaient à comprendre la géographie ? », Cybergeo : European Journal of Geography, article 418, mis en ligne le 27 mars 2008, http://cybergeo.revues.org/17502 ; DOI : 10.4000/cybergeo. 17502

ZACCAI E., 2008, « Catastrophisme, "bonne vie" écologique et développement durable », Colloque CLERSE, « La problématique du développement durable 20 ans après », Lille, Novembre 2008.

Table des Figures et crédits

Figure 1. Scénographie de l'espace d'exposition des projets (Photomontage Viva-Cités, Rennes Métropole, 2012, photo étudiants master AUDIT, montage H. Bailleul, Rennes Métropole, tous droits réservés)

Figure 2. Illustration des comportements des visiteurs devant la maquette (Viva-Cités, Rennes Métropole, 2012, photo étudiants master AUDIT, Rennes Métropole, tous droits réservés)

Figure 3. Manipulation collective de la maquette 3D avec animateur (Photomontage Viva-Cités Rennes Métropole, 2012, photo étudiants master AUDIT, montage H. Bailleul, Rennes Métropole, tous droits réservés)

Figure 4. Interactions autour du dispositif "Ville sans limite" (conception UFO, Viva-Cités, Rennes Métropole, photo C. Le Déhévat, Rennes Métropole, tous droits réservés)

Source URL : http://vivacites.rennes.fr/?p=2257 (consulté le 18/01/13)

Figure 5. La tabletouch présentant le jeu de l’adaptation (Photo Dalberta, sous CC. fr, source : Flickr, pseudonyme Dalberta, sous licence créative commons, CSI tous droits réservés)
Source URL : http://www.flickr.com/photos/dalbera/6725737591 (consulté le 15/01/13)

Figure 6. Zoom sur le résultat du vote des joueurs (Exposition Océan, climat et nous, jeu de l’adaptation, CSI, 2011, photo Anne Gagnebien, CSI tous droits réservés)

Figure 7. Présentation des objectifs du jeu Clim’Way (copie d’écran du jeu, sous licence creative commons, Cap Sciences, tous droits réservés)
Source URL :http://climcity.cap-sciences.net/climcity.php

Figure 8. Présentation d’actions en matière de transport collectif du jeu Clim’Way (copie d’écran du jeu, sous licence creative commons, Cap Sciences, tous droits réservés) ; source URL :http://climcity.cap-sciences.net/climcity.php

Notes de bas de page

1 Dispositif sur table multitouch dans l’exposition Océan, le climat et nous présenté à la Cité des Sciences en de l’industrie (du 6 avril à fin juin 2012)

2 http://climcity.cap-sciences.net/ Clim’way était intitulé Clim’city au moment de son lancement, le nom a été modifié suite à des problèmes de droit par rapport au jeu vidéo Simcity.

3 L’analyse de l’événement Viva-Cités a été menée en octobre 2012 par un groupe d’étudiant du master AUDIT de l’université Rennes 2 et dans le cadre d’un enseignement sur le Marketing Territorial. Elle a consisté à recueillir les opinions des participants, à observer les interactions entre les personnes, à analyser les discours et la programmation, à interviewer les organisateurs et à tester les dispositifs en participant aux différents temps de la semaine.

4 Une enquête auprès des habitants de la commune de La Chapelle Sur Erdre (44) en 2012 a montré que dans le cadre de l’agenda 21 de la commune, la priorité pour plus de 70 % des interrogés était les actions de sensibilisation auprès de la jeunesse.

5 Le Jeu de l'Adaptation est une installation ludique proposée aux publics sous forme de jeu collectif multimédia de type jeu de plateau : à deux, trois ou quatre, il s'agit de voter pour des choix de stratégie d’adaptation dans différents scénarios caractéristiques et fictifs et d’en voir les limites à long terme ou lors d’un phénomène météorologique exceptionnel.

6 http://www.flickr.com/photos/dalbera/6725737591/ (consulté le 15/01/13)

7 Étude qualitative réalisée du 4 mars au 15 avril 2011, des usages d’une table interactive « Muséotouch » et d’une tablette iPad. Les deux dispositifs étaient insérés dans l’exposition Le musée des Confluences dévoile ses réserves, présentée au musée gallo-romain de Fourvière du 16 décembre 2010 au 8 mai 2011.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.