Le tiers secteur de l’habitat dans les projets Éco Quartiers : une voie pour la participation citoyenne et l’animation du projet urbain ?
p. 183-200
Texte intégral
1L’objet de cet article est de montrer que le tiers secteur de l’habitat (Mamère, Cochet, de Rugy 2009), ou habitat participatif ouvre de nouvelles voies pour la participation citoyenne et l’animation au sein des ÉcoQuartiers (ÉQ). Il suscite aujourd’hui un intérêt renouvelé avec la crise et la volonté de construire la ville durable au travers des ÉQ. Il s’affiche comme une solution aux difficultés d’accès à la propriété et à l’insuffisance d’offre de logements sociaux. Il fonde l’espoir d’une réponse adaptée à l’accessibilité au logement, à la précarité et à la gestion des charges dans une France où la production de logements reste largement tributaire d’un dualisme entre logique publique et sociale et logique de promotion immobilière privée (d’Orazio 2012).
2L’habitat alternatif est un terme générique qui désigne différentes modalités ayant l’objectif d’élargir l’accès au logement, en proposant un mode de production alternatif basé sur l’initiative des futurs habitants. C’est une conception à l’interface de l’habitat privé et privatif classique et de l’habitat public social. Certaines expérimentations restent entièrement portées par des habitants pour des propriétés individuelles ou collectives. D’autres actions sont initiées et portées par les pouvoirs publics. Ces formes d’habitat cherchent à travers une critique des modes conventionnels de production du logement à initier de nouvelles formes d’habiter par une réinvention du quotidien (d’Orazio 2010 ; de Certeau 1990 ; Maury 2011) et de nouvelles solidarités. En France, de plus en plus de collectifs de citoyens, parfois structurés en associations déclarées, cherchent à développer un habitat participatif. Ces collectifs veulent appliquer leur droit à l’expérimentation et à l’innovation, en conformité avec l’esprit du Grenelle de l’environnement (Coordination Nationale des Associations de l’Habitat Participatif 2011).
3Les initiatives habitantes plongent leurs racines dans les utopies pionnières du socialisme idéaliste et des cités-jardins apparues en France au début du XXe siècle. Elles se sont poursuivies dans l’après seconde guerre mondiale pour faire face à la crise du logement. Les castors ont été la figure emblématique de la réponse militante de ces mouvements politiques et sociaux. Aujourd’hui l’habitat participatif est de plus en plus présent dans le débat public et dans les projets d’ÉQ. Sous ses différentes formes, il est porteur d’enjeux multiples au cœur des mécanismes d’innovation, de participation et de gouvernance. On peut alors se demander dans quelle mesure l’habitat participatif s’intègre dans les projets d’ÉQ. Alors qu’il émanait jusqu’alors de collectifs de citoyens, son foisonnement récent, lié à l’engouement des élus locaux, marque-t-il le début d’une logique par le haut ? Comment est-il pensé par les collectivités locales ? À quelles ambitions de la grille ÉQ vise-t-il à répondre ? Quelles en sont les justifications ?
4Notre analyse s’appuie sur les premiers résultats du programme de recherche PAGODE, financé par l’ANR et conduit par l’équipe ISIAT de l’UMR ADES. Le corpus est à la fois composé de 394 dossiers de l’appel à projets national ÉQ lancé en 2011 par le Ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement (MEDDTL) et d’enquêtes de terrain en cours de réalisation. Dans le corpus, l’habitat participatif est présenté à la fois comme un outil vertueux de participation des habitants et un moyen d’appropriation et d’animation du projet urbain. L’exploitation des formulaires de candidature des 42 projets ayant proposé un habitat participatif nous éclaire sur les ambitions visées par les montages de type coopératives d’habitants et autopromotion, quel que soit leur niveau d’avancement.
5Ce travail est organisé en quatre parties. La première présente un historique de l’habitat coopératif en France depuis les utopies pionnières du XIXe siècle. La seconde partie propose un état des lieux et une typologie des formes d’habitat participatif. La troisième partie étudie la place de l’habitat coopératif dans les projets ÉQ ayant répondu à l’appel à projets 2011 du MEDDTL. Enfin, la quatrième partie montre que le concept juridique français de propriété a fait l’objet d’une construction en deux dimensions : celle du lien découlant de son opposition au libre usage des choses par tous ; celle de l’inscription dans le temps de ce rapport entre la propriété d’un bien et son usage. C’est l’exploration de l’une ou l’autre de ces deux dimensions, et non pas l’illusoire recherche d’une hypothétique troisième voie entre propriété et usage, qui devrait permettre l’élaboration de montages juridiques adaptés au développement de l’habitat participatif.
Historicité idéologique et formes coopératives du tiers secteur de l’habitat
6Les coopératives d’habitat tirent leur fondement de la rencontre de trois références idéologiques : la quête des utopies pionnières qui engendrent le socialisme idéaliste et le coopérativisme ; un habitat social porté par des politiques publiques s’appuyant sur une approche keynésienne de l’État-providence interventionniste et laissant une large place à l’autoconstruction ; des considérations liées au développement durable et plus largement à des courants de pensée antiproductivistes contemporains.
Le « coopérativisme originel »
7La première référence idéologique se revendique du « coopérativisme originel ». Elle poursuit une tradition lancée par les philosophes grecs en démontrant qu’une société sans défaut et sans inégalités, doit être fondée sur l’idéal de justice sociale et d’égalité. La pensée utopique pose la question de savoir comment assurer l’égalité entre tous les citoyens tout en garantissant leur bonheur individuel (Boutillier, Ndiaye, Ferreira 2011). L’utopie est conçue comme un modèle opératoire construit dans l’optique d’inspirer ceux qui initient les réformes sociales (Martin, Skilling, Arcand 2002), plus que comme un ailleurs en dehors du temps et de l’espace.
8Le XIXe siècle voit l’expérimentation de nombreuses communautés utopistes (colonies communistes et socialistes comme New Harmony, Icarie ; essais fouriéristes avec les Phalanstères, etc.). Godin s’appuie sur le concept fouriériste pour initier le Familistère à partir de 1858, réalisant ainsi les « équivalents de la richesse » (Lallement 2009). Les familistériens bénéficient d’un cadre de vie moderne et sain, d’un ensemble de magasins de proximité à partir de 1860, et d’un économat. La reproduction de ces formes d’habitat commence au XIXe siècle avec la construction de logements coopératifs. L’exemple le plus emblématique est la société des cités ouvrières réalisée en 1853 à Mulhouse par l’industriel Jean Dollfus en partenariat avec d’autres industriels. Ils construisent 1240 maisons qui logent 10 % de la population de la ville.
9Ce premier mouvement s’achève au début du XXe siècle, après la mise en place d’une politique d’aide à la construction du logement populaire, conçue comme un soutien à l’initiative privée. Le dispositif juridicofinancier adopté est destiné non seulement aux investisseurs privés, industriels, philanthropes, mais aussi aux travailleurs eux-mêmes par la création de sociétés coopératives de construction (Bacqué et Carriou 2012). L’idéologie politique de l’association et de la coopération des ouvriers, au cœur du projet d’économie sociale porté par une partie de l’élite réformatrice au pouvoir, suscite alors un intérêt évident (Boutillier, Ndiaye, Ferreira 2011). Elle apparait au fondement du compromis républicain qui s’instaure entre le pouvoir et les mouvements ouvriers et participe à la construction de la République (Attar, Lourier, Vercollier 1998).
L’utopie « bâtisseuse » ou la preuve par les Castors
10La deuxième idéologie est accompagnée par l’État-providence, au sortir de la seconde guerre mondiale. Il s’agit, en conformité avec le fordisme triomphant, de construire des logements pour tous. Ces initiatives s’appuient à la fois sur des bailleurs sociaux de construction et de gestion de parcs locatifs et sur des initiatives citoyennes dont le mouvement des Castors constitue la figure emblématique. Ce coopérativisme initié par les Castors est ce que l’on nomme « coopérativisme bâtisseur » ou « utopie bâtisseuse », filiation d’un « coopérativisme originel ». Le « coopérativisme bâtisseur » est dans une logique différente. Il a pour objectif de faire face à la crise du logement. Son objet n’est plus de concevoir une cité idéale mais de formaliser un facteur d’intégration sociale des citoyens dont les revenus sont limités.
11Le mouvement des Castors est né lors de la grande crise du logement de 1939-1945 par l’initiative privée et populaire, il se traduit par le regroupement de quelques familles pauvres qui n’avaient pas d’autre possibilité pour trouver un logement décent que d’en assurer elles-mêmes la construction (autoconstruction). Sous l’impulsion d’Étienne Damoran, un prêtre-ouvrier bordelais, et de quelques militants syndicalistes de la confédération française des travailleurs chrétiens, est fondée en 1948 la coopérative d’Habitat à bon marché « Comité ouvrier du logement » (COL), regroupant principalement des ouvriers des « Chantiers de la Gironde ». Une première opération est lancée à Pessac par le COL comprenant 150 logements en location (Attar, Lourier, Vercollier 1998). En 1951, l’État français reconnaît l’« Apport-Travail » comme mode de financement, donnant accès à des aides publiques complémentaires. L’« Apport-Travail » est une force d’appoint, puisque le travail des Castors réalisé sur les chantiers a représenté, suivant les cas, entre 10 et 30 % du coût des opérations et permet à ceux, et la quasi totalité des candidats Castors sont dans ce cas, qui n’ont pas les moyens d’effectuer un apport personnel, de prétendre à la propriété de leur logement. Il sert de garantie pour les emprunts contractés auprès des établissements financiers, et permet de bénéficier des aides de l’État et des organismes sociaux comme les Caisses d’Allocations Familiales qui ont joué un rôle déterminant dans la réussite des Castors. Entre 1950 et 1953, il y avait 6 700 Castors, répartis en 160 groupes, associations ou équipes qui avaient entamé la réalisation de 4 450 logements dont 1 400 sont couverts et 500 terminés et habités. De 1948 à 1952, les Castors ont construit 12 108 logements (Attar, Lourier, Vercollier 1998).
La vision « glocale » et les retombées économiques et symboliques de l’autopromotion
12La troisième référence idéologique fait écho à des démarches militantes, qui proposent de rompre avec l’économie de marché et la spéculation immobilière tout en revendiquant un habitat écologique, sain, économe aussi bien dans sa conception que dans sa gestion. Leur action se comprend en questionnant à la fois des logiques économiques et financières (lutte contre la spéculation immobilière par la réduction des intermédiaires), et des modes de vie durables et solidaires (nature en ville, écoconstruction, sobriété énergétique, modes de vie écoresponsables, consommations responsables, buycott, boycott, vaincre la solitude, l’isolement et la dépendance). C’est en quelque sorte une vision « glocale », qui pense global et agit local. En effet, selon la CNAHP (2011, p. 16), « s’engager dans un projet [d’habitat] participatif, c’est aussi assumer la responsabilité d’habitant de notre planète en adaptant son mode de vie pour limiter individuellement et collectivement son impact ».
13Les tenants de l’habitat participatif cherchent à valoriser les ressources territoriales et les acteurs locaux et à développer des circuits courts. Ils se saisissent de la construction de la ville durable pour reconstruire des solidarités, recréer du lien social et produire du bien relationnel, tout en répondant au logement, bien de haute nécessité. Ils tendent à revenir à des formes de mixités sociale, intergénérationnelle et fonctionnelle.
14L’habitat participatif semble trouver aujourd’hui un nouveau souffle dans la dynamique des ÉQ popularisée par les appels à projet du MEDDTL, en application du Plan Ville Durable du Grenelle de l’environnement. D’après « Le livre blanc de l’habitat participatif » de la CNAHP (2011, p. 41), « l’habitat participatif apporte des solutions nouvelles aux quatre dimensions de la grille ÉQ du ministère, à savoir : démarche et processus ; cadre de vie et usages ; développement territorial ; préservation des ressources et adaptation au changement climatique ». Il répond à 5 ambitions : - favoriser la promotion d'une gestion responsable des ressources ; - s'intégrer dans la ville existante et le territoire qui l'entoure ; - créer une dynamique économique ; - développer la mixité sociale ; - offrir des outils de concertation pour une vision partagée aves les habitants dés la conception.
15La mobilisation pour l’accès au logement par des coopératives d’habitation constitue une réponse pragmatique aux difficultés pour se loger. Circonscrites hier aux ménages pauvres, celles-ci se propagent aujourd’hui aux classes moyennes en proie au déclassement. Depuis 2006, la part moyenne des ressources des ménages consacrée au logement est de 25 %, mais elle se situe entre 30 et 50 % des revenus modestes. Entre 1998 et 2010, les loyers ont augmenté en moyenne de 27 % alors que les loyers à la relocation ont enregistré une hausse de 102 %.
16L’autopromotion apparaît comme une solution citoyenne de démocratisation de l’accès au logement. Il existe 3 formes d’autopromotion : autopromotion sans Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMO), autopromotion accompagnée avec AMO et habitat coopératif avec promotion déléguée. L’autopromotion non accompagnée est la forme la plus économique, puisqu’elle s’affranchit de la maîtrise d’ouvrage, des ateliers, de la commercialisation et de la marge bénéficiaire. Elle permet de réduire de près de 18 % les coûts de construction du logement en limitant les intermédiaires. L’autopromotion accompagnée réalise une économie de près de 12 % sur la marge bénéficiaire, la commercialisation, les frais de gestion et le coût de la construction. Enfin, l’habitat participatif avec promotion déléguée opère près de 10 % d’économie sur le coût de la construction, les frais de gestion, la commercialisation et les ateliers de maîtrise d’usage. Si la maîtrise d’ouvrage est confiée à un opérateur, les coûts s’apparentent à une opération conventionnelle, du fait d’une marge bénéficiaire comparable (CNAHP 2011).
L’habitat participatif en France
17L’habitat participatif s’inscrit dans une démarche de densification et de lutte contre l’étalement urbain. Il vise à répondre à la crise écologique et sociale. Les formes de l’habitat diffèrent cependant selon les projets et les acteurs. C’est un mouvement en plein essor dans d’autres pays européens mais encore timide en France. On recensait environ 230 projets en 2011 en France dont 10 % ont été menés à leur terme.
Des projets de taille modeste
18Les opérations sont de petite taille, pas plus de 20 logements en général. Les montages sont difficiles et longs, ayant pour conséquence une réalisation conventionnelle de la plupart des projets. On constate que de nombreux projets sont mis en œuvre à l’intérieur de procédures classiques de production de logement (ZAC ou rénovation urbaine). Cependant des possibilités encore mal connues comme la Vente en État Futur d’Achèvement (VEFA), le Contrat de Promotion Immobilière (CPI) ou la Délégation de Maîtrise d’Ouvrage (DMO) existent. Certains montages s’inspirent d’exemples étrangers suisse ou allemand.
19Divers et non figé dans sa forme, ambitieux en termes d’écologie et de solidarité, l’habitat participatif s’illustre par quatre démarches « types ». On observe cependant des particularités régionales prégnantes. La coopérative d’habitants est plutôt portée par la Région Rhône-Alpes, l’habitat groupé qualifie les dynamiques de l’Ouest, l’autopromotion constitue plutôt un choix alsacien.
Les quatre démarches types
- L’autopromotion est, selon Meyer (2007), « une initiative et un regroupement volontaire de particuliers qui montent et conduisent collectivement pour eux-mêmes, à titre de maître d’ouvrage, une opération immobilière dans une perspective qualitative et non spéculative, ayant pour objet la construction ou la réhabilitation d’un immeuble qui réponde de manière optimale et personnalisée à leurs besoins en logements ou locaux professionnels, cet immeuble étant destiné à être partagé en propriété ou copropriété ». Eco-logis, lauréat de la Ville de Strasbourg comporte 11 logements allant du studio au 6 pièces avec des espaces communs au rez-de-chaussée et un jardin collectif. Son projet de vie, du type des « Baugruppen » allemands, repose sur des espaces de vie collective et de convivialité qui favorisent l’entraide et les relations de bon voisinage en respectant l’autonomie de chacun.
- La coopérative d’habitants associe des personnes qui veulent gérer et améliorer ensemble les logements qu’ils occupent dans un même immeuble ou sur un même terrain selon des valeurs de démocratie et de sortie du système spéculatif. Habicoop promeut ce type de démarche. Le Jardin de Jules, situé dans la ZAC de Maisons Neuves à Villeurbanne, qui compte 38 logements dont 28 en accession sociale (5 en PSLA) et 14 dédiés à l’habitat coopératif porté par l’association « Village Vertical de Villeurbanne », en est un exemple.
- L’habitat groupé ou cohabitat est une petite communauté à l’échelle humaine (du quartier ou du voisinage) où les générations se côtoient et où chaque ménage est propriétaire de son unité d’habitation et partage des biens et des espaces communs avec ses copropriétaires. La Bottière Chênaies près de Nantes en constitue un exemple.
- L’habitat alternatif regroupe des approches collectives spécifiques et innovantes (personnes âgées, personnes handicapées, logement des plus démunis, habitat intergénérationnel, etc.). À Montreuil, dans les Babayagas, des personnes âgées l’expérimentent.
Les acteurs et leurs rôles
20L’habitat participatif met en relation un système d’acteurs qui travaillent ensemble, collaborent et interagissent pour essayer de trouver des solutions facilitant son développement. Les associations, de plus en plus présentes en tant qu’accompagnatrices, pensent que le statut juridique freine les projets et allonge les délais. Elles recommandent d’utiliser le statut de coopérative d’habitant (Société Coopérative par Action Simplifiée) « faute de mieux et même s’il reste imparfait ». Sollicitées par des collectifs de citoyens ou par des collectivités, elles constituent un nouvel acteur de l’animation du projet urbain.
21Les collectivités, conscientes que ces nouvelles formes d’habitat peuvent constituer un moyen innovant de réduction des coûts, de lutte contre la pénurie de logement et d’implication des citoyens, sont de plus en plus nombreuses à les soutenir selon différentes modalités tenant compte des enjeux (inscription dans le PLU, quota dans le PLH, réservation d’espaces fonciers dédiés, appui technique au montage du projet, octroi de baux emphytéotiques pour le terrain ou le bâti à restaurer). Elles proposent des garanties d’emprunt, font la promotion de ce type d’habitat, travaillent avec des bailleurs sociaux, des professionnels et des filières locales. Dans cet élan, les grandes collectivités ont décidé de créer un réseau national dont l’objectif est de capitaliser et d’échanger des expériences. Les collectivités avouent que la tâche est ardue pour les porteurs de projets qui doivent être solides et s’entourer de toutes les compétences nécessaires et affronter les contraintes juridiques, financières et techniques.
22Les porteurs de projet ont des profils variés et souhaitent vivre ensemble dans la mixité sociale et intergénérationnelle : célibataires, jeunes couples avec ou sans enfant, personnes âgées, militants politiques ou associatifs, professionnels du bâtiment ou de domaines connexes. Ils sont soumis à la nécessité de se renseigner en amont afin de prendre conscience des difficultés opérationnelles pour mieux y faire face. Il est souhaitable que le groupe se connaisse en amont afin de partager toutes les étapes du projet en se l’appropriant et en s’accordant sur l’ensemble des enjeux et des objectifs. Les projets sont complexes et beaucoup abandonnent, même s’ils représentent des expériences humaines très enrichissantes.
Les facteurs bloquants
23Les facteurs de blocage identifiés sont surmontables. Il s’agit de l’accès au foncier en milieu urbain ; une législation fiscale peu incitative ; des avantages réduits et des subventions difficiles à obtenir ; l’inadaptation des documents d’urbanisme quant à la réalisation de ce type de projet et leur difficile interprétation par les novices ; le fonctionnement démocratique du groupe (décisions à prendre en commun, gestion des départs, des arrivées et des abandons, responsabilités, locaux mutualisés), les problèmes relationnels et financiers, le manque d’engagement de certaines collectivités lié à leur manque d’expérience.
Place et rôle de l’habitat participatif dans les projets d’ÉQ français
24Parmi les 394 projets ayant répondu à l’appel ÉQ 2011, 42 projets (11 %) envisagent de confier une partie du foncier concerné à des coopératives d’habitants (20 projets) ou en autopromotion (22 projets) pour un habitat participatif. Parmi ceux-ci, 6 associent les deux termes et font référence à des « coopératives d’habitants en autopromotion ». Les items « coopératives d’habitant » et/ou « autopromotion » apparaissent en réponse à des ambitions de la dimension « cadre de vie et usages » de la grille ÉQ, à savoir « Promouvoir le vivre ensemble » (15 occurrences sur un total de 69, soit 19 %) et « Promouvoir des modes de vie solidaires et responsables » (11 soit 16 %). En ce qui concerne le vivre ensemble et les modes de vie solidaires et responsables, l’habitat participatif est perçu comme un facteur positif en termes de gestion solidaire et évolutive des espaces et des équipements communs, qui favorisent des rencontres et des échanges (7 occurrences) via la mutualisation des moyens (4). Parmi les arguments avancés, l’habitat participatif permettrait de favoriser les initiatives citoyennes (2), d’élaborer collectivement un ‘vrai’ projet de vie (2), de prendre en compte les besoins spécifiques des futurs habitants (2), d’impliquer les habitants dans la conception et la construction du quartier (2), de connaître préalablement ses voisins (2), de créer des réseaux de voisinage (1), de responsabiliser les habitants (1), de s’entraider (1) et de réduire les coûts (1). Dans 5 dossiers, l’apport de l’habitat participatif par rapport aux ambitions 6 et 7 n’est pas précisé (5).
25Sur 10 projets, les termes « coopérative d’habitant » et/ou « autopromotion » apparaissent comme argument de réponse à plus d’une ambition. Deux projets se singularisent par l’utilisation de ces montages comme réponse à 7 et 10 ambitions de la grille. Il s’agit du projet « Les Terres blanches » à Pierrevert dans le Lubéron et du projet « Éco-lotissement Les Fages » à Tulle en Corrèze. À Pierrevert, le projet d’habitat groupé bioclimatique et multigénérationnel comprend une douzaine de logements (soit 30 % du futur ÉQ). Le collectif d’habitants est soutenu par la mairie et accompagné par Toit de Choix. À l’image du recours à cette entreprise, on constate le développement d’une expertise professionnelle privée et associative dans le domaine de l’accompagnement des projets d’habitat participatif (UTIPI pour l’ÉQ de la ZAC Biancamaria à Vandœuvre-Lès-Nancy), regroupée au sein du réseau national des acteurs professionnels de l’habitat participatif (RAHP).
26Dans seulement trois projets sur 42, les associations partenaires sont identifiées et nommées. Il s’agit de : « Les Tisserins d’Adèle » pour le l’ÉQ Adelshoffen à Schiltigheim (Bas Rhin), « Escapades » pour l’ÉQ Erdre Porterie à Nantes et « CODHA », une coopérative suisse de l’habitat associatif identifiée pour gérer un immeuble au sein du projet Ecovela de Viry, sur sollicitation de Haute-Savoie Habitat. Pour les autres projets, les collectifs sont à constituer. Cela montre qu’il ne s’agit pas seulement pour les collectivités locales d’intégrer des initiatives citoyennes préexistantes dans leur projet d’ÉQ mais bien de susciter de l’habitat participatif.
27Si des porteurs de projets ont sollicité des professionnels de l’accompagnement de l’habitat participatif, dans la majorité des cas, les projets de coopératives d’habitants et d’autopromotion restent à l’état d’intention voire de premières réflexions. Si 42 projets envisagent de confier du foncier à des coopératives d’habitants ou en autopromotion, les parcelles sont généralement limitées. L’autopromotion apparaît plus comme une démarche d’expérimentation sur quelques lots libres mais plus rarement sur un îlot entier. En dehors du corpus ÉQ, on peut noter le projet « 10 terrains pour 10 immeubles durables » dans les dents creuses de la ville de Strasbourg, exclusivement basé sur l’autopromotion via un appel à candidatures. Dans le même esprit, la Ville de Villeurbanne construit 14 logements en habitat participatif dans la ZAC des « Maisons Neuves-Le jardin de Jules ». Les villes de Paris et de Lille, entre autres collectivités membres du réseau national des collectivités pour l’habitat participatif (RNCHP), se sont récemment engagées par des appels à projets.
Mettre en œuvre de nouvelles dimensions du droit de la propriété
28D’un point de vue juridique, le parti pris de recherche d’une nouvelle approche de l’habitat peut conduire à écarter d’emblée des modalités juridiques d’habitat collectif existantes, telles que l’indivision, alors que celle-ci présente des possibilités d’adaptation susceptibles d’offrir d’intéressantes marges de manœuvre. Ce dogmatisme peut également déboucher sur la préconisation de l’adoption systématique d’un modèle juridique unique, soit, celui actuellement très majoritairement recommandé, de la « coopérative d’habitants », alors qu’il serait préférable de proposer divers modèles tenant compte de la variété des situations rencontrées. La recherche d’efficience impose, en fait, de reprendre la question à la base en effectuant un retour aux sources de la propriété. Une telle démarche conduit à s’interroger à la fois sur le lien existant entre propriété et usage, ainsi que sur le rapport entre appropriation d’un bien et son entretien au fil du temps.
29Le droit français distingue les personnes et les choses. Les choses sont tout ce que la loi ne qualifie pas de personne. Elles peuvent être objet de droits dont les personnes sont titulaires. Du point de vue du droit français, les choses sont supposées avoir été, à l’origine, offertes à l’usage de tous, chacun étant en droit de s’en servir à sa guise. Au fil du temps, l’augmentation progressive de la population ne pouvait déboucher que sur une sur utilisation problématique de certaines choses. Cette absence d’adéquation entre les besoins, ou les désirs, humains et les ressources disponibles a suscité l’envie de se réserver l’usage des choses considérées, c’est-à-dire de se les approprier.
30La propriété est née ainsi, de l’envie de soustraire une chose à l’usage de tous pour la réserver à l’usage d’un seul, voire d’un groupe humain. C’est de cette façon que la chose s’est faite bien. Ce faisant, elle a inclus la possibilité d’utiliser personnellement le bien (usus), mais aussi d’en recueillir les fruits (fructus), ce qui est une autre façon d’en user. Mais l’atteinte portée par la propriété à l’usage de la chose par tous n’en est pas demeurée là. Dans l’absolu, priver les autres de la possibilité d’user d’une chose présentait une limite : celle de la durée de la vie du propriétaire. Celui-ci n’avait, en effet, pas la possibilité de continuer à user du bien après sa mort. Probablement parce que le désir de l’homme est sans limite, est apparue l’idée de rendre définitive la possibilité de priver les autres de l’usage du bien, en transmettant le bien à une personne de son choix. Cela revient à offrir au propriétaire du bien la possibilité de le céder, voire à l’autoriser à priver définitivement toute personne de la possibilité d’en user, en le détruisant (abusus).
31Usus, fructus et abusus sont les attributs qui caractérisent la pleine étendue de la propriété. L’abusus, de par son caractère absolu, en constitue le cœur. La propriété s’est donc construite en opposition à l’usage des choses par tous, ainsi que dans l’inscription dans la durée de cette tension. C’est dans l’une ou l’autre de ces deux dimensions que doivent s’inscrire les approches novatrices de la propriété propres à permettre l’élaboration de montages juridiques adaptés au développement des diverses formes d’habitat participatif. Aux antipodes de la perception militante actuelle d’un carcan juridique fonctionnant comme un frein aux initiatives, l’éventail des possibles est, en la matière, varié et adaptable, ce que ne reflètent pas les solutions actuellement généralement préconisées.
Conclusion
32Après un rappel des idéologies fondatrices de l’habitat participatif, nous avons montré sa place et son rôle tels qu’ils apparaissent dans l’appel à projets ÉQ du MEDDTL en 2011. S’inscrivant dans une optique de densification, contre l’étalement urbain, il propose une solution au droit d’habiter en accord avec la démocratie participative et le vivre ensemble. L’habitat participatif, dans une démarche de transition écologique, fait écho à des démarches militantes, qui prônent de rompre avec l’économie de marché et la spéculation immobilière tout en revendiquant un habitat sain et économe aussi bien dans sa conception que dans sa gestion. L’habitat participatif remet au goût du jour des valeurs fortes de partage et de solidarité quelque peu délaissées dans les méandres des mutations sociétales engendrées par l’industrialisation et la montée de l’individualisme. C’est pourquoi il suscite un intérêt indéniable. Mais la confusion terminologique associée au flou et aux incertitudes sur les montages juridiques et financiers motivent des craintes et des freins1. Encore l’apanage de militants écologistes ou de classes tertiaires éduquées, l’habitat participatif suscite un intérêt grandissant des politiques et des chercheurs, attesté par la multiplication des colloques et manifestations qui lui sont dédiés. Ces repères exposent l’engouement et l’enthousiasme causés par ces initiatives, sa vitalité et la volonté de « vouloir faire soi même ».
33L’habitat participatif apparaît de plus en plus comme le résultat d’une mobilisation conjointe des collectivités locales et des citoyens, dont les objectifs convergent. Ce faisant, un nouvel acteur socioculturel est apparu. Il s’agit d’associations citoyennes comme Habicoop dont l’objet est d’accompagner la création et le développement de l’habitat participatif. C’est la preuve que les dynamiques participatives gagnent le champ de l’habitat, témoignant de la volonté d’investir un terrain jusqu’alors laissé aux mains des professionnels. Ici l’habitant peut prendre en charge la conception de son logement, en étant au centre du processus. C’est donc bien un changement radical dans les modes de production de logement et d’habiter qui est insufflé par l’habitat participatif. Cependant, la faible part de projets d’habitat participatif dans les réponses à l’appel à projets national ÉQ de 2011 (42 sur 394 projets) et la modestie de leur ampleur (20 logements en moyenne) montrent qu’il s’agit d’une dynamique encore balbutiante.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 A noter cependant les avancées crées par la loi ALUR de février 2014 qui offre un cadre légal à l'habitat participatif en reconnaissant son existence aux yeux de la loi, des banques, des notaires et de tous les partenaires.
Auteurs
Économiste, chargé de recherche du programme ANR PAGODE, Université/IUT Bordeaux Montaigne, UMR CNRS ADESS 5185
Maître de conférences en économie, Université/IUT Bordeaux Montaigne, UMR CNRS ADESS 5185
Maître de conférences associé en droit, Université/IUT Bordeaux Montaigne, UMR CNRS ADESS 5185
Pyschosociologue, CETE (CEREMA) du Sud-Ouest
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