Presentation
p. 9-16
Texte intégral
1Cet ouvrage est issu du 6ème colloque du Réseau International de l’Animation (RIA)1 organisé au mois d’octobre 2013 à Paris par l’Association des Départements Carrières Sociales de France (ADCSF). La thématique Animation et intervention sociale : pour quels projets de société ? invitait les communicants à confronter des savoirs théoriques et des savoirs d’action pour proposer des problématiques alimentées par des recherches et des expériences, selon une dimension praxéologique. L’intérêt des colloques du RIA est de croiser des approches diversifiées, des travaux en cours et d’autres plus aboutis, d’évoquer des contextes différents, sans chercher à produire du consensus. Cette deuxième publication issue de ce colloque rassemble sept textes et un huitième que Jean-Claude Gillet a accepté de produire un an après. Les auteurs sont français et suisses, et pour la plupart enseignent et forment de futurs animateurs et intervenants sociaux. Ils nous proposent non seulement de réfléchir à l’articulation de savoirs et de pratiques dans la recherche, dans la formation et dans l’action, mais aussi aux effets de la production et de la mobilisation de ces savoirs sur les acteurs, praticiens et/ou chercheurs, dont nous sommes, et sur leurs engagements.
2Les ressources d’un réseau permettent d’enrichir la compréhension et la pensée critique des situations, d’envisager des coopérations et des résistances. Le premier axe de débat du colloque interrogeait le sens de l’animation et de l’intervention sociale dans des sociétés en mutations. Un deuxième axe explorait les fondements communs et différents du travail social et de l’animation associés à des conditions d’émergence et d’évolution. Un troisième axe questionnait les formes institutionnelles et alternatives de l’intervention sociale et de l’animation. Les acteurs – professionnels, bénévoles, militants et populations – les politiques publiques et leurs dispositifs, les mobilisations citoyennes et les actions collectives, les logiques d’émancipation et celles de domination, la place et les missions octroyées aux acteurs de l’animation et de l’intervention sociale, envisagées comme des processus en construction permanente, ainsi que celles qu’ils revendiquent et s’approprient, ont fait l’objet d’approches pluridisciplinaires pour renouveler les regards et se distancier autant de l’illusion que du désenchantement.
3Ce colloque était assurément marqué par l’actualité des printemps arabes en quête de démocratie et par des signes de danger pour la démocratie dans nombre de pays européens. Il était aussi marqué par des préoccupations concernant les formations et les professions dans les champs de l’action sociale, culturelle et socioculturelle. Le trait commun à ces textes issus de communications, au-delà des contextes locaux ou nationaux différents et des situations singulières qu’ils évoquent, est de questionner les déterminants exogènes et endogènes des carrières des animateurs et des intervenants sociaux qui contribuent à leur professionnalisation ou bien la fragilisent, en amont de leur entrée en formation, pendant celle-ci et durant leur exercice professionnel. Ces textes disent combien les discours, les normes et les techniques du néolibéralisme tendent à devenir prégnants au sein des politiques publiques, dans des organismes de formation et chez des employeurs, au risque que des animateurs et des intervenants sociaux les intériorisent et se mettent au service de l’entrepreneuriat marchand, de la compétitivité, de la normativité.
4Les analyses des auteurs invitent à des prises de conscience et à des initiatives pour que des praticiens, des formateurs et des enseignants chercheurs mais aussi des bénévoles associatifs et des populations concernées explorent ensemble le champ des possibles que Jean-Claude Gillet évoque comme « une utopie réaliste » dans la conclusion2 du colloque du RIA en octobre 2013.
5Francis Lebon s’interesse aux cadres hiérarchiques, directeurs de structures sociales et socioculturelles qui exercent une fonction d’encadrement, avec des salariés sous leurs ordres ou leur autorité. Une enquête menée par entretiens auprès de 56 directeurs de la région parisienne dont 29 travaillent dans l’animation (centres sociaux, MJC, services jeunesse, etc.), 27 « ailleurs » dans l’intervention sociale (action médicosociale, insertion professionnelle, lutte contre les exclusions, etc.) lui permet de prendre la mesure de leurs convergences et de leurs divergences. Il examine leurs diverses trajectoires et leurs conditions d’emploi souvent semblables et cherche à expliquer de quelles façons ils se mobilisent et selon quel management participatif efficace ils mobilisent les salariés et organisent le travail au quotidien. Il écoute leurs convictions professionnelles pour travailler dans l’humain, tous mettant en avant l’aspect humaniste et social de leur activité, et comment ils présentent et représentent leurs organisations dans leurs relations avec leurs partenaires et les pouvoirs publics. Enfin, il recueille les raisons de leur satisfaction au travail, liée notamment aux actions dont ils peuvent s’attribuer la paternité. L’intériorisation d’une croyance en une spécificité de ce secteur paraît expliquer leur retenue sur les contraintes du métier, dont les difficultés désignent généralement une réglementation jugée de plus en plus pesante.
6Joëlle Libois, Ulrike Armbruster-Elatifi, Danièle Warynski et Basile Perret questionnent l'évaluation des activités, des services et des prestations dans l'animation socioculturelle qui s'enracine dans des valeurs démocratiques comme la citoyenneté, la cohésion sociale, la participation, etc. alors que la tendance à appliquer des mesures de performances standardisées avec la mise en place de la Nouvelle Gestion Publique ne peut que se heurter aux caractéristiques des métiers de l’humain. L’intérêt de créer un outil d’évaluation partagé répondrait aux attentes des différentes institutions et acteurs concernés : rendre compte des réalités et problématiques du terrain, attester de la qualité des prestations et fournir des éléments construits quant à la définition des priorités et projets des politiques sociales. Déjà en Suisse alémanique, l’Association faîtière suisse pour l’animation jeunesse en milieu ouvert (AFAJ) a entamé une recherche dans ce sens avec la Haute Ecole de Lucerne (HSLU) pour élaborer des critères de qualité adaptés à son champ. En Romandie, une réflexion est en cours au niveau de la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle (FASe). L’évaluation dans l’animation socioculturelle avait déjà été placée au centre des débats lors d’une journée organisée en 2009 par la Plateforme romande de l’animation socioculturelle et la Haute École de Travail Social Genève. La présente recherche, certes complémentaire, a l’ambition d’ouvrir un nouveau paradigme en matière d’évaluation des pratiques dites « participatives » par une approche transformative, où la participation des acteurs vise le changement social transférant connaissances et pouvoirs aux intéressés. Elle questionne l’évaluation des projets dans la perspective d’une démarche de type empowerment qui en ferait la qualité, car permettant aux participants de co-produire le processus évaluatif de bout en bout et de rendre compte des réalités d’une forme du travail social participatif et démocratique. Ainsi, non seulement l’évaluation de l’action, mais aussi sa co-construction deviennent une plus-value au processus de professionnalisation.
7Magalie Bacou, Christophe Dansac, Patricia Gontier et Cécile Vachée questionnent l’appel à un statut de volontaire qui est avec le bénévole une des figures en opposition desquelles s’est amorcé le processus de professionnalisation dans l’animation. Depuis la substitution du Contrat d’Engagement Éducatif (CEE) à l’annexe II à la Convention collective de l’animation, et sa mise à l’index par la Cour de justice de l’Union européenne pour non respect du repos compensateur, des représentant.e.s des fédérations d’éducation populaire souhaitent maintenir une distinction entre occasionnel.le.s et professionnel.le.s et appellent à un statut de volontaire dans les accueils collectifs à caractère éducatif de mineurs, qui pourrait se développer également dans l’animation. Une étude quantitative sur les motivations à l’engagement des volontaires et des entretiens exploratoires auprès de jeunes en service civique, permettent de montrer l’existence d’un projet des représentant.e.s des fédérations en rupture avec les parcours et les aspirations professionnelles des animateurs/animatrices. L’analyse croisée des discours, des valeurs et des logiques prévalant du côté des fédérations, selon une rhétorique normative proche de celle utilisée pour le dispositif du service civique volontaire, ainsi que des discours, parcours et pratiques des animateurs/animatrices et des jeunes en service civique, permet d’éclairer un aspect des enjeux actuels du marché du travail et de l’évolution des métiers de l’animation. C’est la question d’une déprofessionnalisation du secteur qui est soulevée par le développement du volontariat. Une telle inversion de sens signifierait pour l’animation le passage à un nouveau référentiel économique qui privilégierait le développement du bénévolat et du sous-salariat, dont le volontariat, pour de plus en plus d’activités.
8Marc Carletti s’intéresse à l’usage du terme animation dans les discours à partir d’un corpus constitué de 120 textes publiés majoritairement dans les années 2010-2013. Tout groupe étant en partie socialement institué par le langage, les discours produits ou perçus étant prescripteurs en ce qu’ils participent à la construction du sens et des représentations des identités professionnelles, repérer les catégorisations qui opèrent dans ces discours doit permettre d'éclairer la nature des représentations et des identités prescrites, et de pointer certains des enjeux qui en découlent. L'analyse de l'emploi du terme animation et de certains de ses dérivés et complétifs le conduit à remarquer que plusieurs énonciateurs les placent au cœur du champ social dans une relation sémantique d'hyponymie/hyperonymie, qui reste fragile et variable, non stabilisée, avec les vocables travail social et intervention sociale et éducation. Il cherche à clarifier l’embarras identitaire qu’il pointe, et relève l’émergence d'un champ professionnel des métiers de la relation humaine et du développement individuel et collectif distinct de ceux de l'éducation formelle et du travail social. Ces questions de positionnement sémantique influent directement sur les représentations et catégorisations mentales qui déterminent les attitudes, comportements et pratiques d’un ensemble d’acteurs (usagers, élus, formateurs, praticiens de l’animation…) en articulant différentes visions de la fonction sociale. Le vocable animation dans les discours est important car les fonctions de l’animation ainsi désignées soutiennent différentes visions de la société et des métiers qui la construisent.
9Jean-Luc Richelle cherche à comprendre les ressorts des engagements bénévoles des étudiants, dont certains en formation à l’animation en IUT, comme préparatoires ou constitutifs de leur parcours de formation ou professionnel. Une investigation négociée avec L’AFEV Aquitaine, association qui lutte contre les inégalités scolaires et sociales et qui constitue un terrain d’expérience et de formation, envisage en retour une identification complémentaire et plus précise de ses engagés dans l’accompagnement individualisé d’un enfant scolarisé, parfois nouvellement arrivé depuis moins de deux ans. Des entretiens avec des étudiants engagés au sein de l’AFEV, et l’étude de leurs écrits sur leur bénévolat, permettent d’entrer dans la fabrique du monde de cet engagement, dont il s’agit de caractériser le fonctionnement à partir du sens qu'ils lui donnent. L’auteur questionne la dimension spatiale de l’engagement social de ces étudiants dans ce « travail à côté » de leurs études, et ses porosités avec leur vie privée, leur curriculum, leurs convictions, leurs paris adjacents. Il essaie de cerner la légitimité qu’ils accordent à leur intervention et les limites ou les dépassements de leurs activités par rapport à d’autres acteurs (parents, enseignants, animateurs socioculturels). Il identifie des éléments d’appui ou de rupture dans la mise en œuvre de cet engagement au sein de ce dispositif ainsi que dans la construction empirique des identités de ces nouveaux éducateurs populaires.
10Simon Heichette et Thomas Charlot montrent que l’histoire de l’animation s’inscrit dans un contexte situé temporellement et souhaitent questionner le rôle de la coordination dans le cadre des évolutions du champ social. Les politiques de territorialisation ont été accompagnées par la création d’une culture professionnelle favorable à la maîtrise d’instruments de gestion au niveau des collectivités. L’expansion gestionnaire qui affecte l’action sociale entraîne sa « chalandisation » et positionne le cadre intermédiaire de façon souvent ambigüe entre les « valeurs fondatrices du champ de l’action socioculturelle » et les responsabilités « politico statutaires de la coordination ». Ainsi, l’ingénierie de projet et le management sont des éléments constitutifs qui légitiment l’exercice des coordinateurs dans de telles fonctions dominantes. Les auteurs rapportent une étude documentaire qui leur permet d’analyser la place et l’usage des apprentissages en sciences de gestion et en management dans le cadre d’une formation DEJEPS diplômante en éducation populaire. La plupart des documents étudiés visent à mettre en œuvre une performance des individus au travail, l’opérationnalité et la résolution des problèmes, à défaut de privilégier une attitude compréhensive, une normalisation des comportements du « manager » mais aussi des autres membres de l’équipe et promeuvent les modèles d’organisation de l’entreprise et de l’équipe sportive. Les auteurs mettent en exergue les tensions qui peuvent exister entre la diffusion des modes de gestion dans la formation et les références culturelles de l’éducation populaire et du travail social.
11Ulrike Armbruster-Elatifi, Nicole Fumeaux, Yuri Tironi et Bernard Wandeler présentent et analysent la réalité, l’évolution et les enjeux de la formation en animation socioculturelle en Suisse. Le passage au niveau HES (Haute école spécialisée) en 2002 et le passage au niveau bachelor en 2006 constituent deux étapes fondamentales. Le système bachelor implique un regroupement des trois filières classiques du travail social en une seule. Les étudiants obtiennent ainsi au terme de leurs études un bachelor en travail social avec une mention de l’orientation suivie, soit en animation socioculturelle, en service social ou en éducation sociale. Les réalités francophones et germaniques ne sont pas identiques. Autant un travail commun d’élaboration d’un plan d’études a pu être mené entre les enseignants des quatre sites de la Haute Ecole de Genève, en Suisse Romande, autant cela n’a pu aboutir entre les représentants des cinq Hautes Ecoles en Suisse alémanique qui présentent chacune un contenu de formation. Le défi pour les formations de niveau HES est de se développer en adéquation avec l’évolution des pratiques par des collaborations étroites avec les professionnels. Toutefois, actuellement dans les métiers du social, des formations se créent à des niveaux de certification différenciés. Il s’agit d’une réalité récente, au risque de dumping salarial et de concurrence entre les différents professionnels. Des confusions peuvent s’ensuivre de l’existence des différents cadres de formation ainsi que des multiples niveaux de formation, à l’avantage des finances des employeurs mais au détriment de la reconnaissance des animateurs et des travailleurs sociaux.
12Jean-Claude Gillet explore les mécanismes, et les effets sur les salariés, de « l’introduction du modèle de gouvernance de l’entreprise capitaliste dans le secteur social, culturel ou sportif » correspondant à l’évolution d’une « société dite libérale » mais qu’il désigne comme une « régression collective ». Il analyse l’exercice du pouvoir dans les organisations et les formes de contrôle que les animateurs et les travailleurs sociaux utilisent sur les populations extérieures aux institutions. A cette idéologie de la gestion et de l’évaluation des conduites humaines s’ajoute pour les salariés une idéologie de l’attachement, du conformisme et de la technocratie. Il soutient une théorie du conflit, riche en potentialités nouvelles, qui apporte une dimension éthique et démocratique à l’intervention des professionnels pour lesquels le changement reste toutefois une épreuve. Il affirme la convition que les professionnels de l’animation et du travail social peuvent susciter des prises de conscience des exclus, valoriser l’organisation de groupes intermédiaires, et participer à l’Histoire.
Notes de bas de page
Auteur
Maître de conférences en géographie et en aménagement de l’espace et urbanisme, ADES UMR5185/CNRS, Université Bordeaux Montaigne, Département Carrières Sociales, IUT Bordeaux Montaigne
jean-luc.richelle@iut.u-bordeaux-montaigne.fr
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