Eco-quartiers : vers une nouvelle forme de relation entre l’usager et l’équipement
p. 453-459
Texte intégral
1De plus en plus utilisé aujourd’hui, le terme d’éco-quartier désigne un projet d’aménagement cherchant à répondre à la fois aux enjeux majeurs de la planète tels que le renforcement de l’effet de serre ou l’épuisement des ressources naturelles et aux enjeux locaux de la commune ou de l’agglomération (mixité sociale et fonctionnelle, qualité de vie, etc.) tout en contribuant à sa durabilité (Charlot-Valdieu et Outrequin 2012). Les éco-quartiers devenant des espaces d’expérimentation de nouvelles pratiques, le programme PAGODE1 a souhaité travailler sur la question de la participation des habitants à la gestion de leur cadre de vie, ainsi qu’aux nouvelles formes de gouvernance urbaine.
2La Ville de Bordeaux, partenaire du projet, soutient l’hypothèse que l’éco-quartier est d’abord un modèle de technologies et d’équipements hautement performants et que pour que cet équipement soit totalement efficace, le couple qu’il constitue avec l’habitant se doit aussi d’être performant. Cela suppose, d’une part, que l’outil est effectivement performant et d’autre part qu’il est utilisé de façon optimale. Considérant que dés lors que l’éco-quartier est bâti sur une friche vierge la question de la participation et de la co-construction n’est pas pertinente, la ville s’est approprié le sujet en cherchant à vérifier le postulat précédemment énoncé.
Les éco-quartiers sont ils peuplés d’éco-habitants ?
3Afin de mieux connaître la motivation des arrivants à faire le choix de vivre dans un éco-quartier et de comprendre si l’habitant de l’écoquartier est plus qu’un citoyen ordinaire, une enquête psychosociologique a été mené2. Les valeurs, les comportements, l’optimisme et la clairvoyance normative ont été interrogés auprès de deux échantillons : une population bordelaise hors éco-quartier (Bordeaux n’ayant pas de projet d’éco-quartier suffisamment abouti en 2012) et un échantillon constitué d’habitants de l’éco-quartier La Courrouze à Rennes. Les résultats obtenus montrent que les habitants des éco-quartiers adhèrent plus fortement aux valeurs environnementales que la population hors éco-quartier, et semblent exprimer une sensibilité accrue aux problématiques environnementales. Ils adopteraient plus volontiers des comportements écologiques responsables (C.E.R.), conscients de minimiser ainsi les impacts négatifs qu’ils peuvent avoir sur leur environnement. Ils expriment cependant un plus grand pessimisme concernant l’écologie en générale. Ils jugent néanmoins leur quartier de manière plus optimiste, le considérant comme temporairement « protecteur » face à la dégradation de l’environnement. Les résultats révèlent aussi que les habitants des écoquartiers ont une forte clairvoyance normative, ce qui témoigne d’une connaissance et d’une compréhension de la valorisation sociale du « pro-environnementalisme ». Les conclusions de cette enquête montrent une tendance marquée de l’habitant pour une efficacité et une performance écologique, mais l’équipement mis à sa disposition est-il aussi performant qu’il le prétend et quels sont les outils de suivi et de contrôle de la performance dont il dispose ?
4La pérennisation d’un éco-quartier nécessite de la part des habitants qu’ils mettent en œuvre des comportements spécifiques, car vivre dans un éco-quartier, c’est accepter de s’engager dans un mode de vie « écocitoyen » (Laugaa 2011). L’étude de l’éco-quartier Ginko met en évidence un écart certain entre les principes du développement durable auxquels répond un éco-quartier et la réalité des modes de vie et connaissances des habitants. Une série d’entretiens réalisés avec quelques nouveaux arrivants semble indiquer que la proximité du lac et des transports en commun constituent des éléments de motivation plus affirmés que le sentiment de participer à un projet collectif innovant, et « l’esprit de voisinage » est l’aspect le moins cité3. Sur les réseaux sociaux4, est dénoncé le manque de civisme de la part de certains habitants en matière de tri et de stockage des déchets. Dans cet écoquartier peuplé d’investisseurs et de locataires, l’habitant n’est pas toujours l’éco-habitant espéré.
5Notons qu’un tel écart s’observe également dans l’éco-quartier de Bonne à Grenoble où une dérive des consommations d’énergie associée aux pratiques des usagers a atteint jusqu’à 70 % comparé à l’objectif initial (Peissel 2013). Pour tenter de résoudre le problème, des entreprises spécialisées dans la maîtrise de l’énergie tâtonnent et proposent des formules indiquant que l’humain n’est à l’évidence plus considéré comme un maillon fort du couple utilisateur/équipement, la régulation par un système de contrôle/commande se substituant peu à cet élément peu fiable… Certaines proposent une tarification au forfait avec un surplus dissuasif en cas de dépassements, tandis que d’autres proposent des contrats permettant de couper automatiquement certains appareils électriques pendant les heures de pointe au moyen d’un système de pilotage centralisé.
Les éco-quartiers sont-ils plus performants ?
6Le label EcoQuartier voit le jour en décembre 2012, sous l’impulsion du Ministère du Logement et de l’Egalité des Territoires. Sans vouloir imposer un modèle unique d’éco-quartier, le label a pour vocation d'« encourager, valoriser, garantir » les projets d'aménagements durables et de « distinguer l’exemplarité des démarches » (Faucheux 2012). Il est important de souligner que le label n’est pas une norme, il se veut au contraire accessible afin de favoriser la diversité des réponses aux objectifs nationaux, soutenant l’idée que chaque projet d’éco-quartier répond à un contexte particulier. Le label s’adapte à tous les stades d’avancement et se divise en 3 étapes : la première est la signature des 20 engagements de la « Charte des Eco Quartiers » par la collectivité qui devient alors membre du « Club National EcoQuartiers ». Lors de la deuxième étape, le projet, en phase chantier, est « engagé dans la labellisation », puis finalement la dernière étape délivre le « Label national EcoQuartier » à un projet livré. Lorsque le label est décerné, il reste lié à l’année d’obtention et n’est pas actualisé.
7Pour obtenir le label, l’aménageur doit renseigner une vingtaine d’indicateurs. Les indicateurs permettent d’évaluer des processus complexes de manière simplifiée. Ils sont communément utilisés pour suivre l’évolution d’un système dans la durée et/ou pour le comparer à des systèmes de même nature. Dans le cadre des éco-quartiers, ils doivent permettre d’évaluer les performances réalisées et aider les différents acteurs à en améliorer les performances.
8Dans le cas du label EcoQuartier, les indicateurs définissent les conditions initiales théoriques requises caractéristiques du projet pour l’obtention du label (surface d’espaces verts, nombre de places de stationnement par logement, étalement urbain, etc.). Ils témoignent de l’atteinte de ces conditions au terme de l’aménagement de l’écoquartier. Ces indicateurs que l’ont peut qualifier d’indicateurs d’état se distinguent des indicateurs de suivi des performances réelles de l’écoquartier lorsqu’il est habité (consommation d’énergie, d’eau, qualité de tri des déchets, taux d’occupation des surfaces de bureaux, etc.). La nature, le nombre et le protocole de mesures restent à définir par la collectivité après le départ de l’aménageur.
9A Bordeaux, le nouvel éco-quartier Ginko qui s’inscrit dans un projet de partenariat entre la collectivité et un aménageur privé, s’est distingué sur le plan énergétique par l’obtention en 2009 du Prix de la sobriété énergétique et des énergies renouvelables5. Cependant, les premiers travaux d’aménagement n'ont commencé qu'en 2010. Il s'agit donc bien d’indicateurs qualifiant une performance théorique et non prouvée.
10Suite à ces constats, la Ville de Bordeaux a souhaité élaborer un outil d’évaluation et de suivi des performances réelles, en faisant de Ginko son terrain d’étude. L'outil prend la forme d'une grille constituée d’indicateurs classés par thématiques adaptés au contexte spécifique du quartier auxquels se sont ajoutés les indicateurs proposés par le Ministère. Sa vocation est de vérifier les ambitions de l’éco-quartier dans la durée et d’effectuer d’éventuels ajustements.
11La conception et la réalisation de la grille s’est heurtée à plusieurs difficultés. Tout d’abord un déficit patent d’instrumentation du site pourtant susceptible de fournir des grandeurs physiques objectives. Par exemple, il n’existe pas de compteurs permettant de mesurer la consommation d’eau et d’électricité à l’échelle de l’ensemble du quartier. Cette absence de compteurs y compris dans les appartements s’est révélé délicate dés les premiers dysfonctionnements observés du système de chauffage. En témoigne l’installation tardive par l’aménageur d’appareils de mesure des consommations dans 12 logements volontaires pour évaluer les écarts entre les consommations réelles et théoriques certains appartements accusant des températures trop élevées avec parfois des thermostats bloqués à une température de consigne inférieure à 17° C.
12Les protocoles d’enquêtes (questionnaires et entretiens) visant à identifier et suivre l’évolution des pratiques des usagers n’ont pas non plus été définis ni programmés. Comment dans ces conditions prétendre suivre et partager en toute transparence avec les habitants l’évolution des objectifs poursuivis en matière de performance environnementale ou encore de mixité et d’équité sociale ?
13L’obtention des données est un premier obstacle majeur au suivi de l’éco-quartier et ne favorise ni son acceptabilité ni sa reproductibilité. Il est dû à la multiplicité des acteurs du projet, à une ingénierie territoriale insuffisante mais surtout à un manque de définition de la gouvernance d’un processus d’évaluation inscrit dans la durée entre entités publiques et privées. En France, la « Loi Grenelle 1 » fixe comme objectif la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050. Un des outils promu par le MEDDE pour réaliser cet objectif est le Contrat de Performance Energétique (CPE). Il s’agit d’un contrat conclu entre des opérateurs professionnels du bâtiment et des consommateurs finaux, et dont la principale motivation est la réalisation d’économies d’énergie (DGALN 2012). La garantie de performance énergétique se traduit par le règlement d’une indemnité en cas de non atteinte de l’objectif ou au contraire de l’obtention d’un intéressement si des économies d’énergie supplémentaires sont réalisées. La garantie doit donc porter sur des données mesurables et quantifiables afin que l’écart entre la quantité d’énergie (ou de Puissance énergétique) contractuellement assurée et la quantité d’énergie effectivement consommée puisse être mesuré. Dans le cadre des éco-quartiers, de nouveaux contrats permettront ainsi de poser des limites aux consommations domestiques et de mieux gérer la demande avec la production locale.
14Sous réserve que l’instrumentation de l’équipement soit acquise, sa performance avérée et que l’habitant soit formé et informé du meilleur usage qu’il puisse en faire, la contractualisation directe du fournisseur de service avec l’usager ne peut elle constituer un levier pertinent susceptible d’améliorer l’efficacité globale du système ?
Bibliographie
Références
CHARLOT-VALDIEU C. et OUTREQUIN P., 2012, Concevoir et évaluer un projet d'éco-quartier : Avec le référentiel INDI, Ed. du Moniteur, 472 p.
CHATELLIER T., 2014, « Problème d’énergie », Sud Ouest, 12 février. Direction Générale de l’Aménagement du Logement et de la Nature (DGALN), 2012, Clausier Contrats de Performance Energétique (CPE) « Marchés publics de performance énergétique » - Présentation générale ; URL : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Contrats-de-performance, 28987.html
FAUCHEUX Franck et al., 2012, Dossier de labellisation, [en ligne]. Ministère de l'Égalité des Territoires et du Logement : URL : http://www.territoires.gouv.fr/les-ecoquartiers
LAUGAA D., LEROY-DUTILLEUL I. et GALLARD M.-R., 2011, « Fiche n° 6 Communication et sensibilisation », Fiches pratiques « Gouvernance et dimensions de la participation citoyenne dans les Eco Quartiers », CETE du Sud-ouest.
LE CAMPION G., 2012, Eco quartiers, éco-habitants ? Une interdépendance nécessaire, Mémoire de Master en Psychologie, Université de Bordeaux.
MORIN A., 2013, Elaboration d’une grille d’évaluation et de suivi de performances d’un éco-quartier, Mémoire de Master, Université de Bordeaux.
PEISSEL G., 2013, « Comportement des usagers, le grand décalage », Urbanisme, hors-série n° 45, juin, p. 41-43
Notes de bas de page
1 Projet PAGODE, Participation, Animation, Gouvernance, Durabilité dans les Eco quartiers, (2010-2014) financé par l’Agence Nationale pour la Recherche dans le cadre de l’appel à projet « Ville Durable » (201-2014)
2 Enquête réalisée par Grégoire Le Campion sur un panel de 200 individus : 100 personnes habitant Bordeaux et 100 personnes habitant La Courrouze, Rennes.
3 Issu d’une enquête réalisée en mars/avril 2013 par Coralie Robert dans le cadre d'un stage pour Bouygues Immobilier, portant sur un échantillon non représentatif de 44 habitants du quartier.
4 https ://www.facebook.com/EcoquartierGinkoBordeaux
5 Décerné par le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie (MEDDE) suite à l’analyse des dossiers de l’appel à projets EcoQuartiers de 2009
Auteurs
Directeur de la Délégation au développement durable de la ville de Bordeaux, partenaire du programme ANR PAGODE
Délégation au développement durable de la ville de Bordeaux
Ingénieur d’études, Université Paris Descartes, chercheur du programme ANR PAGODE, UMR ADESS 5185
Délégation au développement durable de la ville de Bordeaux
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