Les éco-quartiers : vers une infrapolitique par les modes de vie et leurs communs ?
p. 331-357
Texte intégral
1Par leur multiplication rapide, les éco-quartiers tendent à être promus comme les prototypes de modèles d’urbanisme, dont la généralisation serait escomptée (PUCA 2008). Or, tout projet d’éco-quartier affirme fortement, au moins dans ses discours de justification, une mixité sociale et fonctionnelle voire une diversité générationnelle. Il propose également de nouveaux services, voire souhaite préfigurer des modes de consommation différents. Enfin, sans clore la liste de ses ambitions, il façonne très souvent des cadres naturels/paysagers d’un urbanisme se voulant non seulement plus respectueux des écosystèmes, mais également plus habitable. Ainsi, le développement rapide des écoquartiers implique-t-il a priori pleinement la question des modes de vie dorénavant qualifiés de durables. Or, les observations sociologiques menées depuis plusieurs décennies (cf. par exemple Espaces et Sociétés, 1994) indiquent que les modes de vie, en général, afficheraient d’ores et déjà quelques transformations fondamentales.
2Tout d’abord, plus qu’une généralisation par la culture de masse, des styles de vie de plus en plus différenciés, voire hétérogènes, sont apparus. Sans pour autant nier le poids des constructions et héritages sociaux, ces styles de vie sont davantage attachés à l’identité des personnes que les modes de vie, quant à eux centrés sur l’identité des pratiques (Juan 1991). En outre, les relations unissant les populations à leurs lieux de vie y contribuent de plus en plus ostensiblement, au point de fonder, pour certains, un « urbanisme des modes de vie » (Thomas 2013, Fondation Braillard), « un urbanisme du quotidien » (Bonnaud, in Traits urbains, 2012). Enfin, troisième évolution, et non la moindre pour le propos qui va suivre, les considérations environnementales participeraient activement de ce mouvement (Damon (coord.) 2011), au point que des auteurs fondent l’hypothèse d’une « réforme écologique » des modes de vie (Dobré et Juan 2009). Le concernement environnemental (Brunet 2008) et les opérations réflexives auxquelles il donne lieu (Abélès, Charles, Jeudy et Kalaora 2000) seraient « une manière de se relier au monde, de s’engager activement pour transformer son environnement plutôt que de rester passif. » (Gauntlett 2011, p. 55).
3D’autres toutefois nuancent grandement cette dernière assertion. Suivant en cela la réalité de « l’évolution des pratiques entourant les systèmes sociotechniques » (Morel-Brochet et Ortar 2014, p. 8), ce changement des modes de vie se ferait d’abord « sous l’effet des systèmes techniques […] en l’absence de prise en considération du pluralisme des modes d’habiter. » (ibid. p.7). Il est vrai que tout projet d’éco-quartier a longtemps privilégié l’entrée technico-écologique (Faburel et Tribout 2011 ; Faburel et Roché 2012), basée sur une gestion raisonnée de tout un ensemble de thématiques sectorielles : transports, énergie, services urbains, gestion du végétal… Le poids du génie technique a alors longtemps orienté la préfiguration des conduites selon les caractéristiques physiques et morphologiques des lieux. D’ores et déjà pointé (cf. « code de compréhension adéquat » in Boissonade 2011), ce conditionnement se lit non seulement dans plusieurs domaines pratiques de la ville durable (par exemple les mobilités in Reigner 2015) mais plus encore dans les éco-quartiers, au risque d’une logique insulaire (Hamman 2012). Ceci par les rapports à la nature notamment, et plus particulièrement les jardins collectifs (D’Andréa et Tozzi 2014) ou quelques réactions par des « luttes potagères » (Doidy, Dumont et Pribetich 2015).
4Or, malgré l’écho croissant donné à de tels questionnements du fait du calendrier des projets, les travaux appréhendant les modes de vie demeurent encore fort rares concernant les éco-quartiers, en France singulièrement. Seuls existaient au moment de notre recherche (2013) :
- Des retours d’expériences étrangères, parfois mis à profit sur des cas français, mais dès lors éclairés par des contextes socio-culturels fort différents (Héland 2008 et 2012 ; Emelianoff et Stegassy 2010 ; Faburel, Manola et Geisler 2011 ; Béal, Charvolin et Morel 2011)1 ;
- Ou des recherches empiriques sur des cas hexagonaux, mais développant, par une entrée spécifique, une lecture logiquement partielle de la question des modes de vie, que cela soit par les pratiques énergétiques (Renauld 2011) ou par les attitudes de consommation (Raineau 2009).
5Il subsisterait en fait dans les discours de l’action des « impasses liées à un oubli chronique de quotidienneté des territoires », « l’épaisseur du local » (Bonard et Matthey 2010). Et pourtant, de tels projets pourrait participer d’une volonté remarquée d’habiter autrement l’espace qui semble se faire jour. Entendu comme réalité conceptuelle large, celle désignant la « manière dont les mortels sont sur la terre » (Heidegger 1958, p. 175), l’habiter est l’expérience la plus fondamentale de notre rapport au monde (Pattaroni, Kaufmann et Rabinovich 2009). Cette expérience se rapporte à la manière dont les humains sont en relation avec les lieux de leur existence, particulièrement comme territoire de leur propre action (Paquot, Lussault et Younes 2007).
6Que l’on juge la troisième vague « néoruraliste » depuis la fin des années 1990 ou la « rurbanité » déployée dans les « tiers espace » ces vingt dernières années en France (Vanier 2000), cette volonté est ample. Elle participe bien plus du fait urbain total (métropolisation), lorsque les premières vagues et les premières grandes expériences d’habitat autogéré manifestaient principalement retraite écologique voire retrait économique des grands complexes urbains (Mendras 1992). Entre gouvernement des corps par un néo-hygiénisme et réforme annoncée comme écologique des modes de vie, il demeurerait à analyser empiriquement les éco-quartiers : les profils sociaux (et ainsi les risques ségrégatifs), les thèmes et sujets structurants (et ainsi le conditionnement en jeu des conduites) dans les choix de consommation, les formes d’usage du logement, les modes de déplacements, les types de pratiques de l’espace public, les comportements vis à vis de la nature...
7Surtout, la participation étant elle-même placée au fronton de toute ambition de projet d’éco-quartier, il convient d’y apprécier l’éventuelle contribution des habitants à la préfiguration puis à la réalisation de tels modes de vie ; les « prendre part », « contribuer directement » et « recevoir une part », analysés par Zask (2011), comme témoins non pas des concertations officielles de projet et de leur pédagogie au « bien habiter », mais de formes bien plus désaffiliées de l’engagement individuel (Ion 2001 et 2012) dans le quotidien et l’ordinaire de l’écoquartier et de son urbanité. Formes accompagnées de leurs légitimités de situation (Hatzfeld 2011).
8Les éco-quartiers peuvent-ils être le siège, voire l’opérateur premier d’un autre habiter ? Et, si oui, quels en sont les sujets structurants et les motivations premières ? De quelle(s) manière(s) précisément les habitants et acteurs y contribuent-ils ? Pour le façonnement de quels « nouveaux » communs et par quelles organisations ?
9Nous rendons compte ici d’une recherche menée en 2013-2014 pour le compte du Ministère du Logement, de l’Egalité des territoires et de la Ruralité (Bureau AD4) dans trois éco-quartiers d’initiative habitante ou d’orientation sociale (Faburel et Vialan (coord.) 2013). Après avoir présenté la démarche méthodologique retenue et les cas étudiés, nous rendons compte dans un deuxième temps de l’analyse des modes de vie, et des motivations qui y apparaissent structurantes, pour ensuite, dans un troisième temps, resituer les expériences dans la construction de normes techniques, sociales et/ou politiques. Le propos s’achève alors sur les conditions de construction de communs dans ces cas singuliers d’éco-quartiers : savoirs techniques, imaginaires sociaux et constructions démocratiques.
Démarche méthodologique, critères de choix et présentation des cas d’études
10Cette démarche a été appliquée à trois éco-quartiers. Ces derniers figuraient parmi les dossiers de l’appel à projet éco-quartiers lancé en 2013 par le ministère du Logement, de l’Egalité des Territoires et de la Ruralité. Trois critères de sélection ont été appliqués. En premier lieu, il nous fallait privilégier des cas de taille assez modeste (principalement en termes de population et nombre de logements), pour sortir des gouvernances métropolitaines de projets vitrines, aux pratiques codifiées et dispositifs très outillés (ex : participation). Cela impliquait, deuxième critère, de nous éloigner des cœurs de grandes agglomérations, accueillant souvent de grands démonstrateurs de l’aménagement dit durable (Faburel et Roché 2015). Enfin, tant que faire se peut, nous avons tenté d’apprécier malgré tout différentes configurations territoriales (périurbaines, semi-rurale et néorurale) et des projets qui, du fait très souvent de telles configurations, développaient des ambitions éloignées (extension résidentielle, réhabilitation post-industrielle…). Tout ceci devant alors aider, toutes proportions gardées, à des remontées en généralité.
11A la croisée de ces différents critères, et sur la base du vivier proposé par l’appel à projet susmentionné, notre choix s’est porté sur : la Résidence du Parc à Graulhet (Tarn), les Courtils à Hédé-Bazouges (Ille-et-Vilaine), l’Ecoquartier du Four à Pain à Faux la Montagne (Creuse). Le tableau qui suit en présente les principales caractéristiques de situation, et de projet.
12Cette démarche empirique a été conduite sur une base pluridisciplinaire (sociologie, psychologie environnementale, géographie sociale et sciences politiques), à partir d’entretiens de 40 minutes à 2 heures 30 chez les habitants (42) ou avec les acteurs (15), et de groupe de discussion (en cumulé 5 heures).
Les modes de vie : vers une reprise par la socialisation de l’écologie ?
13Sur le plan de la consommation, l’élément commun aux trois éco-quartiers est indéniablement la volonté de la réduire, d’abord en redéfinissant ses besoins, puis, de consommer des produits locaux. Si à Graulhet, ce discours demeure émergent et particulièrement relié aux conditions sociales, modestes, des populations résidentes (« Je préfère prendre peu et manger bien. Je préfère une pomme de terre à l’eau que quelque chose je sais pas qui l’a tripoté. »), à Hédé-Bazouges et surtout à Faux-la-Montagne, il est d’ores et déjà existant - voire prédominant – dans les deux autres cas : « Vivre en essayant de pas trop consommer ça me paraît important. » (habitant d’Hédé-Bazouges) ; « C’est une prise de conscience, ne pas consommer pour consommer. On fait davantage attention à notre consommation et à la qualité des produits. » (idem) ; « Il faut plutôt se poser la question à la base : ai-je besoin d’électroménager ? » (habitant de Faux-la-Montagne).
14Ce faisant, le contrôle des sources d’approvisionnement y est déjà une préoccupation, qu’il s’agisse de faire soi-même ou de choisir ses producteurs, en achetant plus localement et en portant attention aux impacts environnementaux des produits : « Pour la consommation alimentaire, on fait en local, avant on connaissait pas les producteurs. Ici c’est une fois par semaine, on achète tout. C’est des producteurs du coin. » (habitant d’Hédé-Bazouges) ; « Je fais mon pain. J’ai un jardin potager collectif. » (habitant de Faux-la-Montagne).
15Dès lors, si, dans les trois éco-quartiers, les habitants ont toutefois également recours aux grandes surfaces pour une partie plus ou moins importante de leurs achats, il apparaît aussi une critique de ce système de consommation (singulièrement à Faux-la-Montagne). Plus largement, à l’échelle des trois cas d’analyse, il semble que l’horizon visé soit celui, à différents degrés, d’une redéfinition de ses besoins, d’une réduction de ses consommations et d’une vigilance quant aux sources d’approvisionnement. A cet égard, le tri des déchets est une pratique d’ores et déjà engagée, voire majoritaire, dans les trois éco-quartiers. Si la pratique du compost est encore en germe à Graulhet, elle est largement répandue à Hédé-Bazouges et Faux-la-Montagne. L’idée de recycler, de réduire les rebus - même si elle s’affirme encore parfois par le tri déléguée à un tiers – y est présente dans les trois cas. De même, on note une densité des pratiques que l’on pourrait qualifier de réutilisation sociale : vides greniers, dons et échanges informels, récupération et remise à neuf d’objets usés (i.e. recycleries)… Sur le plan de l’habitat, à Graulhet, l’attention portée en amont aux matériaux et à la réduction des consommations énergétiques ne trouve pas d’écho chez les habitants du quartier, dont d’ailleurs très peu notent avoir réduit les dépenses énergétiques. Ceci vient conforter plusieurs constats empiriques réalisés ces dernières années, dans les éco-quartiers cependant d’envergure socio-spatiale, d’orientation technologique et de portage bien différents (ZAC de Bonne à Grenoble, Ginko à Bordeaux, in Renauld 2014).
16À l’inverse, à Hédé-Bazouges comme à Faux-la-Montagne, une attention est portée aux matériaux de construction, à l’utilisation de ressources locales, dans l’optique d’économies d’énergies mais également de confort personnel : « nous, c’est des murs en paille et ici même s’il fait moins 3 dehors, mais qu’il fait beau, à midi il fait 22 degrés sans chauffer. Ça devrait être comme ça partout. » (habitant d’Hédé-Bazouges) ; « C’est un matériau qui durera moins que la pierre et qui va demander des renouvellements. Moi je dis tant mieux. Une maison en bois ne durera pas 2000 ans. Ça obligera peut-être à changer d’habitat. » (habitant de Faux-la-Montagne). D’autre part, l’auto-construction, comme, dans un tout autre registre, le bricolage quotidien sont assez répandus dans ces deux éco-quartiers.
17Enfin, l’insertion paysagère de la maison (orientation, visibilité…) est un élément qui est apparu comme essentiel lors de la conception, et ce dans plus de la moitié des entretiens menés à Bazouges et à Faux-la-Montagne. Là encore, la maîtrise (ici des matériaux et de la consommation énergétique) apparaît en filigrane comme unissant les modes de vie. Cette maîtrise se teinte ici de réappropriation technique, par exemple dans la construction du logis et dans le façonnement de son esthétique. Suivant en cela les savoirs dès lors mobilisés, les rapports au travail constituent un questionnement émergeant à Graulhet, là encore suite à des contraintes économiques : les habitants rencontrés souhaiteraient travailler près de chez eux, notamment pour réduire leurs coûts de transports.
18En revanche, à Hédé-Bazouges, plus que par les distances, c’est la conception du travail qui a commencé à changer : d’une part, certains habitants commencent à travailler depuis chez eux et de ce fait l’idée d’avoir un lieu de co-working sur le quartier a commencé à être collectivement débattue ; d’autre part, la venue sur l’éco-quartier a amené certains habitants à interroger leurs activités professionnelles et à effectuer des changements de trajectoire dans ce domaine : « Il pourrait y avoir sur la commune un espace, une sorte de pépinière, pour des gens qui travaillent à distance… ». De la même manière, à Faux-la-Montagne, la question de l’activité économique est jugée cruciale, les habitants s’étant installés sur le plateau le plus souvent en menant une réflexion sur leur propre activité (dans une recherche de sens en rapport au territoire). Par le travail, la recherche de maîtrise touche au système économique et l’horizon visé devient celui d’une certaine relocalisation, en tentant de réconcilier cette fois-ci les besoins des habitants et les ressources « économiques » du territoire local.
19Les transports sont quant à eux un thème sur lequel l’ensemble des habitants rencontrés s’accordent, tout d’abord pour souligner la persistance de difficultés : tous utilisent la voiture, même si la volonté de réduire son usage y est partout ostensiblement présente (pour des raisons économiques et écologiques) : « J’essaie de prendre le moins possible ma voiture » (habitant d’Hédé-Bazouges). Et que, dès lors, des décisions publiques sont attendues : « Il pourrait y avoir sur la commune un espace, une sorte de pépinière, pour des gens qui travaillent à distance. » (idem). Dans ce but, on observe la mise en place de pratiques de covoiturage, bien qu’elles ne soient pas appelées covoiturage à Graulhet, mais relèvent bien plutôt de l’entraide et de son sens commun (« On essaie de faire du covoiturage. J’ai plusieurs voisines qui ne travaillent pas comme moi alors on va ensemble faire des activités ou des courses. », idem). De même, il est à remarquer un recours aux transports publics et aux modes doux/actifs (« J’utilise la marche et le vélo pour aller bosser sauf quand je transporte du matériel. », habitant de Faux-la-Montagne). Enfin, en particulier à Faux-la-Montagne, cette question des transports est abordée sous l’angle de la réduction des motifs de déplacement, notamment par l’intermédiaire des achats groupés et de la réduction de la consommation, donc de la consommation personnelle des produits.
20Enfin, en termes de relations avec la nature, la pratique du jardinage se révèle très courante à Hédé-Bazouges et à Faux-la-Montagne, tandis qu’il ne s’agit encore que d’un souhait exprimé par plusieurs habitants rencontrés à Graulhet : « C’est joli leur truc au milieu, mais on prive les gosses d’un stade pour jouer. On pourrait utiliser le sol autrement. Et moi si on me proposait un lopin de terre, je dirais oui. » ; « Je manque de terre ici. Le quartier ne m’aide pas à jardiner. Ils ne m’aident pas. ». On y assiste par contre à l’installation de végétaux dans les halls d’immeubles ainsi qu’à une revendication forte d’utiliser les espaces verts pour pouvoir y pratiquer du sport. Dans ce registre, Hédé-Bazouges se singularise notamment par la recherche de matériaux naturels, locaux et biodégradables pour la construction de maisons (comme la paille), alors qu’à Faux-la-Montagne l’environnement est, en plus des matériaux utilisés, aussi convié dans l’aménagement, à l’échelle de l’ensemble du quartier (via l’orientation et l’insertion dans l’écosystème) : « Là où je poserai ma chaise dans la cuisine, je verrai le soleil couchant. Dans l’axe où je vais déjeuner, j’aurai le soleil levant. » ; « C’est le bioclimatisme, regarder l’environnement comment il est autour de soi pour sa maison comment tu l’installes. ».
21Il ressort de ce premier temps d’analyse que les modes de vie dans ces éco-quartiers répondent à une volonté de renouveler les rapports à la nature et plus encore à la terre. Que ce soient des habitudes prises (Faux-la-Montagne), des pratiques émergentes (Hédé-Bazouges) ou encore en germe, voire de simples souhaits partagés (Graulhet), justifiant le choix résidentiel ou apparaissant par effet de capillarité sociale (« On cherchait à vivre avec des gens qui soient sensibles aux mêmes choses que nous. », habitant d’Hédé-Bazouges ; « Par rapport aux voisins, on voit qu’ils sont encore plus impliqués que nous dans les gestes écologiques. C’est vraiment à leur contact qu’on apprend. », habitant de Faux-la-Montagne), il s’agit souvent du résultat d’une réflexion portée aux modes de vie en termes : de réduction des consommations énergétiques, d’utilisation de ressources locales notamment comme matériaux de construction (bois, paille…), ou encore d’insertion écologique et paysagère des projets. Et, valeur facilement partageable (« Tout le monde aime la nature, de la moindre petite bête aux plus grosses, de la moindre plante », habitant de Graulhet), la nature est d’autant plus valorisée, que dans les trois éco-quartiers étudiés, les habitants lui confèrent une portée nourricière : « Y’a des petites baies, des amélanches. Y’a des petites pommes, y’a des cerisiers. » (habitant d’Hédé-Bazouges).
22Or, l’idée de sociabilité est rapportée par les habitants comme un élément indispensable pour cheminer vers des modes de vie plus écologiques (« les gens parlent naturellement simplement, y’a de l’accueil, de la gentillesse, de la simplicité dans les rapports », habitant d’Hédé-Bazouges). Il s’agit ainsi, consubstantiellement, d’un renouvellement des rapports à la terre et à autrui. Par exemple, en ce qui concerne les sociabilités locales, les habitants rencontrés à Graulhet souhaitent que le quartier soit plus animé, certains parlant d’ailleurs au moment de notre enquête de se monter en association… environnementale. Cette évolution est peut-être l’une des plus importantes sur le plan des modes de vie dans ce quartier, puisqu’elle prend place dans un lieu longtemps stigmatisé. La rénovation du quartier a pu en changer l’image et en apaiser le cadre de vie (« Sur le balcon, je mets des fleurs, je le faisais jamais, mais ici je trouve ça agréable. »), insufflant une envie de convivialité : « On commence à voir des mamans qui se retrouvent ici [Il montre une placette] pendant que les enfants jouent ». Des souhaits sont clairement énoncés, voire partagés : « Ici, ils font pas de repas de quartier, moi je dis c’est dommage comme ça on se connaîtrait tous ».
23A Hédé-Bazouges comme à Faux-la-Montagne, la richesse de la vie sociale et culturelle est soulignée comme un élément formant déjà la clé de voûte des modes de vie exposés : « y’a des liens très forts qui se sont tissés très vite, nous on est voisins, on se voit tout le temps, on mange ensemble, on fait des trucs, on garde les gamins » (habitant d’Hédé-Bazouges). « Ici tout le monde se connaît il y a de la bienveillance et de la solidarité entre les gens. » (idem). Et, « Ce qu’on attendait, nous, c’était vraiment de faire notre projet de maison écologique et d’être entourés de gens qui ont plutôt les mêmes idéaux de construction, et donc de mode de vie (ça va de pair), et d’envisager tout ce qu’on allait pouvoir mutualiser, partager, de manière informelle, parce qu’on allait vivre à peu près pareil… » (idem). Tout en ayant conscience de la force exclusive de telles pratiques : « C’est pas pour exclure, mais c’est des gens qui ont une approche communes : proches de la nature, échanges entre voisins. ».
L’éco-quartier comme expérience ordinaire de l’engagement pour de nouvelles normes et de « nouveaux » communs
24On observe donc dans les écoquartiers un engagement par et dans l’action ordinaire, qu’elle soit encore limitée à Graulhet avec la prise en main de certains parterres pour le jardinage, ou plus impliquant à Hédé-Bazouges et à Faux-la-Montagne autour de l’auto-construction. Loin d’une nature considérée comme extérieure, simplement à protéger ou à embellir, cet engagement renvoie bien à une co-construction avec un milieu (Berque 2000) : « Visuellement ça me fait du bien, ça me repose, c’est apaisant des maisons comme ça, des matériaux comme ça, pas tous identiques, et la végétation, la façon dont les espaces verts communs sont traités. » ; « Toutes ces couleurs, ces matériaux, bois, paille, je trouve ça très chaleureux. » (habitants d’Hédé-Bazouges).
25L’engagement est ici pragmatique, personnel, mais aussi partagé collectivement. Loin de toute définition d’un idéal lointain donné a priori, l’individu opère « consciemment un choix personnel de changer ses manières de consommer et d’organiser sa vie quotidienne. » (Dobré et Juan 2009, p. 297). Or, cet engagement ne concerne pas uniquement une catégorie sociale spécifique. A Faux-la-Montagne par exemple, les personnes réunies autour du projet viennent d’horizons divers et ne font pas partie a priori de réseaux préconstitués : leur engagement est bien désaffilié. Ce n’est pas la pré-appartenance commune qui fait naître l’engagement, mais l’engagement dans le commun qui le fait advenir. Comme le dit Honneth, « l’individu apprend à s’appréhender lui-même à la fois comme possédant une valeur propre et comme étant un membre particulier de la communauté sociale » (2004, p. 134). Surtout, cet engagement a pour clé de voute le partage d’expériences diverses qui, reprenant la définition donnée par Céfaï (2009), sont à la fois épreuve esthétique, expérimentation pratique et échange interactif (p. 260-261) : « ce qui est intéressant justement c’est de prendre en compte la complexité de la chose, la complexité d’habiter fait référence à plein de choses à la fois : du culturel, de l’économique, du social, du minéral, paysager, tous ces éléments-là. » (habitant de Faux-la-Montagne). Ces expériences font alors des éco-quartiers des opérateurs de communs, et ce d’au moins trois manières, qui renvoient aux trajectoires locales et aux ambitions mêmes des projets.
26A Graulhet par exemple, c’est l’expérience de la norme (technique) de l’aménagement qui constitue une épreuve esthétique créatrice d’un « sens commun ». L’éco-quartier est ici principalement, et assez classiquement, un outil de la puissance publique pour (ré)aménager. Le quartier d’En Gach est rénové, les façades d’un beige immaculé, les espaces libres habillés de végétation, les cheminements piétons doucement courbés. Ce qui se joue à Graulhet, c’est une expérience commune des sens par une architecture et une esthétique de l’espace public dites plus écologiques. Or, loin des seules sensorialités, cet apaisement du cadre de vie dissipe un sentiment d’insécurité dans l’espace, et plus encore redonne à ce quartier un statut premier dans la ville, lui permettant d’effacer les stigmates de son histoire difficile, notamment par sa reconnexion au reste de la commune. Ainsi, la norme technique et architecturale oriente certes les ressentis et conduites (cf. supra), mais pacifie également, refait entrer le quartier dans un régime commun de la reconnaissance sociale. Tout se passe comme si l’aspect visuel formel engendrait une vision symbolique du quartier. C’est ainsi que l’on voit aussi se dessiner le commun par et dans les modes de vie : au-delà de la qualification écologique et pratique qui est le plus souvent subie pour des raisons économiques, la principale dynamique enclenchée à Graulhet tient à la convivialité. Cette dernière augmente l’entraide, les pratiques de covoiturage par exemple, et fait émerger la volonté de plus animer le quartier ou de voir se constituer une association d’habitants pour l’environnement : « Il faudrait qu’il y ait un porte-parole qui puisse parler en notre nom. Il faudrait une association par quartier. Ils demandent rien, ils font les changements tous seuls. ».
27A Hédé-Bazouges, c’est l’expérience pratique de la norme (sociale) de fabrication du lieu qui va créer des biens communs. Il y existe bien entendu une norme technique et architecturale (cahier des charges du quartier et son plan d’aménagement du cabinet d’architectes-urbanistes). Toutefois, ce qui ressort est d’abord l’importance d’une norme sociale, exprimée souvent sous le terme d’une urbanité prenant trois formes : de la simple interconnaissance conviviale… au partage (notamment par d’autres rapports à la propriété foncière, immobilière, d’équipements…), en passant par la sociabilité (en lien avec la vie culturelle et associative sur la commune). Cette urbanité se noue autour de questionnements écologiques, porteurs de réflexivité (« y’a le désir qu’on s’étudie nous-mêmes. Et qu’on en tire nous même des conséquences »). Même si chacun est ensuite libre de son arrangement personnel, des biens se voient alors partagés en son nom, depuis un outillage particulier jusqu’à des espaces gérés en commun, en passant par la gestion solidaire de lieux associatifs. Cette norme sociale connaît aujourd’hui une évolution vers une norme politique, que ce soit par la question du travail et donc du modèle économique dès lors questionné, ou vis à vis des expertises techniques (architecturales, notamment) comportant quelques « erreurs » (ex : conception bioclimatique non respectueuse des rythmes saisonniers). Le mode de généralisation de ces expériences demeure néanmoins celui, social, de la diffusion par des rencontres, des échanges interpersonnels, et des initiatives collectives de publicisation : « ce qui est intéressant, c’est de se poser des questions même si on adhère pas tout de suite, qu’on n’est pas convaincu tout de suite, c’est de se dire, lui pourquoi il fait ça, qu’est ce qu’il cherche, est-ce que j’essaie ou pas. C’est une dynamique de groupe qui nous pousse à faire ou ne pas faire, mais permet de se poser des questions. ». Comme montré par Villalba et Lejeune (2015) pour l’éco-quartier de l’Union (Roubaix), l’écologie devient bien une extension et un complément de la négociation sociale.
28Enfin, à Faux-la-Montagne, c’est l’expérience de la norme (politique) de la transformation attendue qui, s’appuyant sur l’échange interactif, compose en fait un monde commun. Ici, on trouve également des expériences de la norme technique et architecturale (pour l’aménagement technique du quartier, par exemple), de la norme sociale (par des réseaux d’entraide, notamment), mais surtout de la norme politique (« J’ai plus appris en quelques séances que dans plusieurs années de boulot, dans les échanges entre porteurs de projet, élus, des professionnels, des archis, urbanistes, paysagistes, chacun amenant des techniciens »). Cette expérience y repose principalement sur une valeur fondamentale : la responsabilité vis-à-vis de la communauté (« Les élus ici nous conseillent légèrement sur la charte. Rien n’est dur. C’est de notre responsabilité. Ils seront là s’il y a des dérives. ») et vis-à-vis de l’environnement par une écologie… politique (« Moi je crois à une inversion du phénomène liée aux aspects énergétiques, à la re-régionalisation de l’économie et du coup peut-être, en 10 ans ou plus, que de nouveaux modes s’établissent entre la ville et la campagne : sous l’angle de la production autonome d’énergie et d’alimentation à l’échelle des territoires. »).
29Leurs aspirations sont ainsi créatrices d’engagements ostensiblement politiques, tendus vers un horizon commun : « il y a un projet politique sur l ‘ autonomie politique, alimentaire, vestimentaire. Produire soi-même. Se déconnecter des circuits classiques. ». Au point que prendre conscience de ses capacités, de ses marges d’action et de leur implications politiques quotidiennes font ici encore plus visiblement, par maîtrises d’œuvre et d’ouvrage, des modes de vie des « des aménageurs territoriaux » (Viard 2012, p. 191). Les habitants de Faux-la-Montagne ont d’ailleurs constitué une Société Coopérative d’Intérêt Collectif : « La SCIC c’est un partenaire qui nous aide comme un bureau d’étude, mais issu de la population. ».
30Ainsi ces cas d’éco-quartiers apparaîtraient-ils comme des opérateurs pour la construction de nouveaux sens, biens et surtout mondes communs. Loin d’être une universalité a priori donnée (dont la philosophie s’évertuerait à en qualifier l’essence), loin d’être une propriété inhérente à certaines choses (que l’économie politique ou le droit fixeraient comme valeur), voire un bien suprême naturalisé (que la téléologie figerait comme transcendance), le commun est bien, comme développé par Dardot et Laval (2014), une pratique de mise en commun nous liant aux choses et, du même fait, à nous-mêmes comme sujet collectif. Il reposerait donc d’abord, selon ces auteurs, sur un principe, politique, d’auto-gouvernement, et, partant, sur une coconstruction des règles communes et une norme sociale de l’agir... en commun.
31Face au commun donné en héritage par les institutions humaines (Ostrom 2010), où ce qui compte et ceux qui comptent sont définis (Guilbert et Donate Sastre 2013), nous assistons ici par l’expérience de la norme technique, sociale ou politique, à une autre manière de concevoir et de construire l’agir, celle d’une construction de modes coopératifs d’action (Sennett 2012). A la fois réflexifs et acteurs de leurs pratiques, les habitants s’engagent de manière locale, afin de s’affranchir des modèles qui leur sont proposés (« Y’avait un architecte conseil qui nous invitait à prendre rendez-vous avec lui pour un premier entretien qui n’a pas été très concluant, parce que je pense que tout le monde est d’accord pour dire qu’il s’en foutait un peu. », habitant de Faux-la-Montagne). La réflexivité partagée (« Chacun le fait à son degré, mais le point commun c’est que tout le monde a la réflexion. », habitant d’Hédé-Bazouges) construit ici un nouveau répertoire axiologique de l’action, orienté vers une prise d’autonomie des habitants et allant parfois jusqu’à l’affirmation d’une volonté de « toujours avoir maitrise du projet, même s’il y a recours à des experts, à des avis » (habitant de Faux-la-Montagne).
32Ce registre d’actions, plus expérimental et ostensiblement remontant, serait ainsi l’opérateur d’une évolution du commun, car « autant que depuis la sphère politique, c’est depuis la société civile qu’un bien commun devient en mesure d’être pensé. » (Ion 2001, p. 208-209). Et, l’encastrement des enjeux écologiques dans une réalité sociale apparaîtrait comme le seul moyen, pour les protagonistes, de construire autrement ce commun et son infrapolitique par les modes de vie. L’environnement préfigurerait donc bien, dans ces cas très spécifiques, un nouvel âge du politique (Latour 1999).
Conclusion : de l’infrapolitique à une cosmopolitique
33Construire soi-même sa maison selon les règles du bioclimatisme (synchronisation des temps de vie et des temps environnementaux), maîtriser sa consommation alimentaire par la culture de la terre, économiser l’énergie par certaines modalités de déplacement, réinvestir l’espace public par la végétalisation… ainsi que constituer une communauté par de telles pratiques écologiques, tout ceci donne bien selon nous à voir un habiter, soit « être-présent-au-monde-et-à-autrui » et « rendre présent son temps en l’ouvrant aux autres pour faire « monde » » (Heidegger 1958, p. 177). L’environnement transforme ainsi le sujet en habitant (Lolive 2008).
34Mais, par des engagements individuels et collectifs remarqués, l’habiter ne se limiterait effectivement pas à « se fondre dans un creuset spatial et y développer des façons de faire et d’être déterminées par celui-ci. Il est nécessaire de penser l’individu comme l’acteur d’une partie au moins de sa réalité géographique (...) comme l’acteur de sa réalisation en tant qu’être qui fait sens » (Hoyaux 2002). Par un agir impliquant des rapports singuliers à l’environnement comme milieu de vie, et ce en réaction à l’évolution de la société (métropolitaine) contemporaine, les éco-quartiers étudiés, ascendants ou d’orientation sociale, ne seraient donc pas tant des espaces délimités de protection de l’environnement appelés à s’étendre au reste du territoire urbain au nom de la durabilité, que des lieux où se crée un nouvel habiter à partir de communs et de leurs collectifs désaffiliés.
35Les modes et styles de vie décrits participeraient du « réarmement des capacités morales et politiques des habitants » par la reconnaissance de la possibilité des acteurs (Céfaï 2009, p. 261). Nous aurions ainsi affaire à l’émergence d’une cosmopolitique, conduisant en retour alors à requestionner la démocratie telle que « la démocratie est d’abord le droit reconnu à tous de penser les affaires des autres, c’est-à-dire le bien commun. » (Ion 2001, p. 198). « Les cosmopolitiques explorent de nouvelles conditions de possibilité de la politique, mais c’est une politique méconnaissable puisqu’elle est bâtie autour de l’étrangeté (humaine et non humaine) » (Lolive et Soubeyran 2007, p. 11).
36L’attribut premier de cette cosmopolitique serait celui de la communalité, qui, avec la singularité et la réciprocité, fonderait selon Rosanvallon un nouveau modèle d’égalité (2011). La communalité rassemble tout ce qui se construit et s’éprouve en commun : la participation aux évènements qui animent la vie du groupe ; aux processus de création de la connaissance partagée ; à l’avènement d’un territoire à travers des pratiques. Pour ce qui nous concerne, la communalisation des savoirs (ex : de la fabrication) et celle des imaginaires des lieux et territoires de l’habiter (de la ville et de la campagne, de l’environnement et de la nature…) joue ici un rôle essentiel.
37Concernant les savoirs, c’est à une véritable prise d’autonomie vis-à-vis des savoirs techniques de l’expertise officielle à laquelle il est donné d’assister (Vialan 2012 ; Faburel 2013). « Les savoirs spécialisés (...) ne contiennent plus, si complexes et savants qu’ils soient, de ressources culturelles suffisantes pour permettre aux individus de s’orienter dans le monde, de donner sens à ce qu’ils font ou de comprendre le sens de ce à quoi ils concourent. Le système envahit et marginalise le monde vécu, c’est-à-dire le monde accessible à la compréhension intuitive et à la saisie pratico-sensorielle. » (Gorz 2008, p. 50). « Beaucoup de gens sont un peu tout ici. On est plusieurs à avoir des compétences doubles, professionnelles et puis aussi acquisition de compétences sur le terrain. » (habitant d’Hédé-Bazouges). Ces habilités locales, leurs savoir-faire et circulations, renvoient en fait à ce qu’Illich (1973) appelle les savoirs vernaculaires ou conviviaux, formes actives de démocratie technique par l’innovation communautaire (Joly 2013).
38Concernant les imaginaires de la ville, ils sont affectés d’un sentiment post-urbain voire anti-urbain largement partagé (« On ne pense qu’urbain. La folie des TGV, qui ne relie que les métropoles, on métropolise tout. », habitant de Faux-la-Montagne). Ce sentiment concorderait avec le retournement contemporain de l’image positive (positiviste) de la ville, analysée par de très récents écrits (cf. Salomon Cavin et Mathieu 2014), pour partie explicative :
- De l’exode urbain voire de la vague néo-ruraliste rappelée en introduction (« Le mode de vie urbain ne me va pas, c’est trop inhumain pour moi. Dans le rural, c’est plus apaisé, plus en phase avec la réalité (la météo, la nature) pour se nourrir, se déplacer, prendre le temps. En ville, c’est déconnecté. », habitant de Faux-la-Montagne) ;
- Et plus encore de la (péri) urbanité flexible et participative (Bédard, Augustin et Desnoilles 2011), tel à Hédé-Bazouges par exemple où c’est principalement en réaction à l’urbanisation rapide de Rennes et Saint-Malo que l’installation se justifie très majoritairement : « Les maisons des années 80, 90, elles ont pas de charme, elles dégagent rien. Quand on rentrait dans des maisons comme ça, on n’arrivait pas à se projeter dedans. ».
39En fait, nombre des habitants rencontrés s’inquiètent de la densification et de la généralisation du modèle urbain, tout particulièrement de son « côté concentrationnaire », les conduisant à penser un phénomène inversé d’« exode citadin » qu’ils disent déjà observer. « Si les gens quittent les villes, c’est parce qu’ils veulent plus de prise sur leur environnement. » (habitant de Faux-la-Montagne). Nous aurions ainsi, au final, par les valeurs socio-environnementales livrées (sobriété et responsabilité, transition et inclusion…) et leur encastrement dans un habiter (Stock 2004) par une infrapolitique, peut-être matière à « désenchanter » le développement durable, pour ne pas « déchanter » (Puech 2010). Nous suivrons volontiers Roux (2002) lorsqu’il affirme : « On parle beaucoup de développement durable ; et très souvent on associe cette ambition à une multitude de mesures, de règles et de codes. Je ne prétends pas que ces dernières soient inutiles, mais il me semble que cet attachement à un territoire aimé est un moteur plus puissant pour nous conduire sur cette voie qu’une politique basée sur l’adoption de nouvelles normes » (p.106). « Adopter de nouveaux modes de vie, être un peu plus à l’écoute de ce qui nous entoure, sans rejeter ce qui nous entoure. Vivre un peu plus en harmonie avec soi même s’écouter un peu plus, l’eau, la terre, les oiseaux, c’est des valeurs, des trucs qui nous tiennent à cœur » (habitant d’Hédé-Bazouges).
40Car, pour finir, le terme d’éco-quartier est largement méconnu des habitants interviewés ou réunis en groupe de discussion. Au mieux apparaît-il comme un facilitateur de projets de vie, mais jamais comme un initiateur : « C’est pas parce qu’il y a un éco-quartier qu’on va changer de vie. C’est l’inverse. C’est parce qu’il y a des pratiques différentes de consommation, de solidarité qu’il y a ce projet. » (habitant de Faux-la-Montagne). « On faisait déjà attention avant de venir ici. Mais je crois que je fais de plus en plus attention. C’est une prise de conscience, ne pas consommer pour consommer » (habitant d’Hédé-Bazouges). Or, la figure de l’élu demeure prégnante « Quand on fait une maison comme ça isolée dans la cambrousse et que la mairie met 5 ans à vous donner le permis, bah c’est moins... faut tenir le choc. C’est plus facile ici. » (idem).
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Notes de bas de page
1 Wilhelmina Gasthuis Terrein à Amsterdam, de même que, également aux Pays Bas, Arnhem ou Eva-Lanxmeer, quartier de Culemborg ; Tübingen, Hjorshoj ou encore Albertslund au Danemark ; Augustenborg et BO01 à Malmö (Suède) ; Kronsberg à Hanovre ou Vauban à Fribourg (Allemagne).
Auteurs
Professeur en aménagement et urbanisme, Université Lyon 2, UMR Triangle 5206
Doctorante en urbanisme, aménagement et environnement, Université Lyon 2, UMR Triangle 5206
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