Le Centre social et socioculturel activateur de participation dans le projet urbain durable : les conditions d’une intégration opérante
p. 197-214
Texte intégral
1Les centres sociaux et socioculturels entretiennent avec le projet urbain des liens de plus en plus étroits. Leur implication se traduit par la mise en œuvre d’actions et le portage de compétences spécifiques sur un triple registre, au sens où ils semblent capables : de faire exprimer des « paroles sourdes » ; d’accompagner les personnes dans la prise de responsabilité ; de travailler sur un temps long, avant, pendant et après la phase opérationnelle des opérations d’urbanisme (D’Andréa, Greffier et Tozzi 2013 ; Greffier et Tozzi 2014). La reconnaissance croissante de l’animation sociale et socioculturelle se produit ainsi à la faveur d’une inspiration participative de l’urbanisme, portée par la puissance publique, et s’illustrant notamment dans divers projets d’écoquartiers (Greffier et Richelle 2014). Cet article ambitionne d’approfondir la compréhension de cette tendance dans la perspective des centres sociaux et socioculturels (CSC) et de désigner les paramètres de leur inclusion dans les jeux d’acteurs qui redéfinissent la gouvernance du projet urbain.
Développement social local et développement urbain durable : des référentiels d’action compatibles
2La notion de développement social local (DSL) est principalement portée par trois milieux professionnels (Mansanti 2005) : les organismes de protection sociale (Mutualité Sociale Agricole (MSA), Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF), Caisses d’Allocations Familiales (CAF)) ; les mouvements d’Education populaire ou d’animation sociale (particulièrement les centres sociaux) ; les services sociaux départementaux. Sont prônées la coopération horizontale et territoriale, la négociation et la coproduction entre acteurs, l’approche collective et les démarches participatives ou dites « partagées ». L’interprétation et les méthodes varient ensuite selon l’idéologie du réseau et les territoires. La référence à deux documents cadre de l’animation socioculturelle - d’une part, la circulaire CNAF du 20 juin 20121 ; d’autre part, le projet fédéral de la FCSF2 mettant en avant la notion de « pouvoir d’agir » - montre qu’au-delà des modalités de l’action (implication et autonomisation des habitants), la fabrique de la ville en devient potentiellement l’objet et la gouvernance urbaine un enjeu d’exercice du « pouvoir d’influence » visé.
3De fait, le dernier congrès de la FCSF a mis en exergue les « actions logement »3 des CSC, permettant de faire émerger des domaines d’intervention variés, plus ou moins connus et partagés par les membres du réseau :
- L’accompagnement de groupes d’habitants, et la médiation auprès de bailleurs et des pouvoirs publics ;
- La formation au bricolage, l’aide à l’entretien et à l’auto-réhabilitation comme supports de l’esprit d’entraide, outils concret d’amélioration des conditions de logement et facilitateurs d’appropriation ;
- Des actions d’information sur le droit au logement permettant d’orienter les habitants en recherche de logement, de les soutenir en cas de problèmes (prix élevés, vétusté, impayés, expropriations, etc.) ;
- Des actions de promotion de l’écocitoyenneté (travail sur les charges, le tri sélectif, les techniques de construction innovantes et accessibles) ;
- L’animation de proximité en lien avec la transformation du quartier (temps d’accueil et de convivialité, communication pédagogique, information) ;
- La prise en charge de publics spécifiques, comme les gens du voyage (diagnostic des besoins, accompagnement de la sédentarisation, médiation) ;
- Information, réflexion, sensibilisation globales (donner aux habitants la possibilité de rencontrer des professionnels ou des élus qui répondent à leurs questions et inversement).
4Ces objets et ces façons de faire entrent en résonnance avec certaines « ambitions » du développement urbain durable, telles celles prônées par le MEDDE4, au travers de la Charte des EcoQuartiers. Ce référentiel, formulé en 4 axes associés chacun à 5 objectifs, nous permet de relever sept points de rapprochement plus évidents, en particulier autour de l’axe 1 : « Démarche et processus. Faire du projet autrement » (cf. figure n° 1). C’est donc en référence à ce contexte sociotechnique, que les professionnels des CSC peuvent mettre en place des actions de nature collaborative avec les urbanistes, tout en développant dans un cadre concerté leur vocation de renforcement du « Pouvoir d’Agir » des habitants. Notre recherche porte alors sur l’appréciation de cette implication et la construction d’une grille d’analyse traduisant la position du CSC dans le projet urbain et sa contribution aux dynamiques participatives. Elle constitue en ce sens un apport à la réflexion sur les indicateurs de la participation, que la multiplication des pratiques d’évaluation par indicateurs dans les projets de durabilité urbaine (Jegou et al. 2012), ne contribue pas à préciser suffisamment.
Méthode
5Notre démarche est plutôt inductive, en s’inspirant de trois études de cas comparées issues du panel de projets d’écoquartiers sélectionnés dans le cadre du programme de recherche PAGODE - Poitiers (Saint Cyprien), Bordeaux (Ginko), Pessac (Arago)5 - chacun faisant référence à l’implication d’un CSC. Ces trois équipements, tous habilités par leur Caisse d’Allocations Familiales sont, pour celui de Poitiers et de Pessac, adhérents à la Fédération des Centres Sociaux, celui de Bordeaux étant quant à lui partie prenante d’une association locale (l’Association des Centres d’Animation de Quartier de Bordeaux - ACAQB6). Les deux premiers centres sociaux ont une présence ancienne sur le quartier (près de 50 ans à Pessac et Poitiers), l’équipement bordelais est aussi récent que le quartier qui l’a vu construire, tout en bénéficiant de la culture associative d’une organisation implantée sur la ville depuis plus de 50 ans. Dans les trois cas, nous sommes en présence d’acteurs impliqués sur un temps long, qui participent de l’histoire des quartiers et de l’animation socioculturelle locale. Nous avons pu repérer leur implication respective dans le projet d’écoquartier, celle-ci étant principalement mobilisée autour de l’expression des habitants, anciens ou nouveaux.
- A Bordeaux, avec l’arrivée des premiers habitants du quartier Ginko (ZAC des Berges du Lac), la maison polyvalente Sarah Bernhardt est créée fin 2013, accueillant en son sein trois structures, dont un centre d’animation à vocation sociale et culturelle. Ce dernier s’est trouvé dans la situation de devoir œuvrer avec des habitants à peine installés. Un intense travail de mobilisation a ainsi été mené par la directrice de l’équipement et son équipe, aboutissant à la constitution d’un comité d’animation avec des habitants bénévoles et à la mise en œuvre d’un programme d’activités destinées aux enfants, jeunes et adultes.
- A Pessac, le bailleur social Domofrance, la Ville de Pessac et le Centre Social Arago-Chataigneraie collaborent à la démarche de concertation et d’accompagnement de la rénovation du quartier Arago. Le Centre Social l’inscrit dans son projet associatif 2012-2015 et s’implique dans 5 volets : relogement, information-communication, insertion-formation-emploi, vie sociale et culturelle, aménagement des espaces extérieurs. Il fait également de l’Education au Développement Durable (EDD) un des axes majeurs de son action.
- A Poitiers, le CSC des 3 Cités accompagne depuis 2006 la rénovation du quartier Saint-Cyprien conduite par le bailleur SIPEA Habitat. Il intervient notamment pour soutenir l’intégration d’habitants au projet de résidence intergénérationnelle qui constitue le point central de l’opération (requalification d’une barre de 200 logements). La définition des vocations de l’espace collectif réservé par le bailleur débouche sur la co-construction d’un ambitieux projet de pôle de services qui voit le jour en 2015 et s’achèvera avec la mise en place d’un centre de santé en 2016.
6L’observation dont il est fait référence ici, a été conduite de façon continue dans le cadre du programme de recherche PAGODE (2010-2014) et a mobilisé au cours de cette période plusieurs séries de rencontres et d’entretiens avec les responsables des équipement socioculturels, que ce soit du côté de la fonction politique (présidents ou membres du bureau), des fonctions techniques et opérationnelles (directeurs, chargés de missions) ou du côté des habitants (Poitiers). De ce processus de recueil d’informations, émergent trois dimensions descriptives et évaluatives de l’action du CSC dans le projet urbain (cf. figure n° 2). La première interroge sa place dans la gouvernance du projet urbain ; il s’agit ici de réunir un ensemble d’éléments qui révèlent les postures institutionnelles au regard de la participation des habitants. La deuxième interroge le niveau d’implication des habitants dans le projet urbain via les actions conduites par le Centre Social. La troisième, centrée sur les aspects de gestion, fait référence au niveau de mobilisation des moyens de l’organisation. Les paragraphes suivants proposent une réflexion sur les composantes de ces dimensions et comment les traduire en indicateurs.
Autour de l’intégration du CSC dans la gouvernance du projet urbain
7La place du Centre Social dans la gouvernance du projet urbain peut être interrogée à travers 6 composantes : le statut de l’élément de programmation mis en participation ; le niveau de coopération avec la maitrise d’ouvrage ; la formalisation des missions et leur contractualisation ; le rapport à l’autonomie ; le niveau d’extension du champ d’intervention ; et la présence médiatique.
Des objets de la participation et de leur hiérarchie dans le projet urbain
8A l’échelle du projet urbain, quels sont les mobiles concrets de la mise en participation ? Entre la fresque murale réalisée sur le mur anti-bruit de la résidence Arago et le projet de vie de la Résidence intergénérationnelle de Saint-Cyprien avec ses 350 m² d’espace collectif, les enjeux diffèrent. Pour M. M., directeur à l’époque du Centre Social de la Chataigneraie : « On a fait un concours, les habitants ont été concertés, les projets ont été soumis, les thématiques sont venues des habitants, tout cela c’est vrai ». Mais le cas reste anecdotique au regard de l’ampleur du projet de quartier : « Pour moi on était dans la pseudo-participation, au ras des pâquerettes de la concertation ». On peut ainsi faire valoir que la nature de l’objet valorise ou pas le dispositif participatif et qu’il en découle un enjeu à mesurer. Toutefois, cette hiérarchie n’est pas évidente. On conçoit ainsi que pour le résident, ce qui touche à la structuration de son logement aura une valeur supérieure à ce qui affecte l’espace collectif (cages d’escalier, entrées, espaces verts, etc.). Dans une perspective de vie de quartier, le traitement des espaces publics recèle une grande variabilité potentielle d’utilité sociale (ornement, stationnement, rassemblement, agrément, etc.) et de rayonnement (tous publics, mono-générationnel, etc.). L’envergure de l’aménagement (spatiale, financière) peut aussi donner une idée du statut plus ou moins périphérique de l’intervention urbaine. Il conviendrait donc de raisonner, dans un dispositif d’évaluation, aux paramètres désignant le statut de l’objet par rapport à divers gradients : importance pour le confort du logement, l’usage commun de l’immeuble, la vie de quartier, par rapport au nombre de bénéficiaires, aux engagements financiers, etc.
Le niveau de coopération avec la maitrise d’ouvrage
9Le projet général de l’ACAQB, est décliné plus spécifiquement sur le quartier Ginko selon deux axes : il semble évident pour l’ensemble des acteurs qu’il ne peut passer à côté de la dimension environnementale qui est l’image forte du quartier, de même qu’il semble évident de travailler en relation avec le quartier des Aubiers voisin. La nécessité de raisonner « Grand Lac », c’est à dire Ginko-Aubiers, est mise en avant, raisonnement qui revient à articuler sur ce territoire un quartier ancien (années soixante) et un quartier nouveau (livraison en cours), mais aussi, un habitat dégradé avec un habitat HQE, des publics populaires avec nouveaux habitants supposés plus aisés. L’autre vecteur de lien entre ces deux quartiers est la ligne de tram, celle-ci ayant été prolongée des Aubiers jusqu’à Ginko. L’aménageur du quartier, Bouygues, n’a pas de velléité particulière concernant les contenus des programmes d’animation, pas même sur la question de l’éco-citoyenneté alors que l’on pourrait très facilement imaginer qu’il pourrait être intéressé par la mise en œuvre d’actions s’inscrivant dans cette philosophie. Pour la directrice adjointe de CS Ginko, « L’opérateur Bouygues, qui revendique une ingénierie d’animation de quartier s’avère être totalement absent de la chose, autrement que par les mots. Il y a distorsion entre discours et pratique, entre le rêve de quartier vendu et la réalité de celui-ci ». Finalement, la situation est peut-être rassurante, chacun restant sur ses domaines de compétences, ses savoir-faire, mais traduit un niveau de coopération très faible. Nous allons voir à travers d’autres paramètres d’analyse qu’il peut être intermédiaire (cas de Pessac) ou plutôt haut (Poitiers).
Formalisation des missions
10Le Centre Social et Culturel apparaît régulièrement comme partie prenante du projet urbain, en particulier sur les ambitions concernant directement les dynamiques sociales. A Pessac, alors que le projet urbain se décline en 5 volets (relogement, information-communication, vie sociale et culturelle, emploi-formation, aménagement des espaces verts) le directeur du Centre Social pose très rapidement la question de la place du Centre Social dans le projet de requalification du quartier. Pour deux de ces volets (« relogement » et « vie sociale et culturelle du quartier» pendant les travaux) le Centre Social apparaît comme «partenaire naturel ». Cette dimension partenariale est conduite, pour le volet « relogement », par la Conseillère en Economie Sociale et Familiale (CAF), qui est déjà présente au sein du Centre Social. Pour le volet « animation et vie sociale et culturelle », il s’agit de regrouper les acteurs en présence, au sein d’une instance de coordination, qui décide au final de limiter son rôle à accompagner le portage des actions déjà prévues. Quelques expériences ont été originales, telle la réalisation d’un spectacle théâtral ayant pour décors les anciens appartements vidés d’un des immeubles promis à la rénovation. « Le spectacle est alors pensé comme une animation de transition, une animation qui permet de faire un travail de deuil » avant de passer à autre chose. Au final, après plus de deux ans de fonctionnement de cette coordination, le directeur du Centre Social estime que « du point de vue socioculturel on a loupé quelque chose (…) on a fait un mille-feuille de beaucoup d’opérations, de beaucoup d’acteurs mais dont les actions étaient posées les unes à côté des autres, mais sans créer une dynamique collective par rapport au quartier ».
Autonomie et élargissement des champs d’intervention
11Il semble exister une zone de confort pour les CSC, avec des objets de prédilection (animer les relations de voisinage, contribuer à la gestion de l’attente, travailler sur la mémoire du quartier, se positionner en relai d’information, entre autres) et une zone expérimentale, avec des objets de conquête. Au-delà du partenariat contractualisé, la dimension d’autonomie du CSC fait certainement la différence, comme à Poitiers avec le portage d’un projet de centre de santé. La structure a conquis sa marge de manœuvre en multipliant les alliances et en allant chercher des financements extérieurs, le dernier en date (2015) étant la levée de 16.000 euros par un fond participatif pour achever le budget du centre de santé. Ainsi, questionner la capacité du CSC à faire et assumer des choix autonomes et élargir son champ d’intervention dans l’urbain, constitue deux angles d’évaluation connexes ; ils amènent toutefois un éclairage différent sur les mécanismes de gouvernance.
La présence médiatique
12Quelle est la capacité du Centre Social à occuper ou mobiliser l’espace médiatique ? A Pessac, la démarche prend appui sur la création d’un journal de quartier intitulé Habiter au Quotidien Ensemble – HQE, un détournement du label de Haute Qualité Environnementale. L’initiative est à l’origine des habitants qui s’estiment en manque d’éléments concernant le devenir du quartier. Le phénomène déclencheur a été celui d’une réunion d’information organisée par le Bailleur durant laquelle la programmation des travaux a été maladroitement annoncée. La création du journal est venue ainsi apaiser pour une part les tensions résultant de cette réunion. La démarche de mise en œuvre de la publication est concertée par les différents acteurs. Les habitants et le Centre Social en assurent les contenus et pilotent le comité de rédaction, la mairie finance l’édition et valide le « bon à tirer », le bailleur assure de son côté la distribution à l’ensemble des foyers via un dépôt dans les boites aux lettres. Le journal de quartier est ici à la fois un outil de participation, et le symptôme de la place du Centre Social, en interface (ou amortisseur) entre habitants et pouvoirs publics. On peut plus largement s’interroger sur la reconnaissance médiatique de l’action du Centre Social à saisir dans la presse institutionnelle (information municipale, intercommunale, supports du bailleur social) ou d’information locale en lien avec le projet urbain.
Autour de l’implication des populations
13L’intervention effective du Centre Social dans les dynamiques participatives du projet urbain peut être abordée à travers 4 composantes : la construction d’une expertise partagée, la capacité à mobiliser des compétences externes au service de la participation, la promotion des groupes d’habitants, la décentralisation des lieux d’échange et de décision.
Construction d’une expertise partagée
14Sur les terrains observés, le rapport au savoir est un enjeu crucial de la participation car les populations peuvent se sentir a priori exclues. Ce phénomène peut s’accentuer dans les quartiers d’habitat social, où les complexes de classe et le dirigisme ont façonné les esprits. Un autre mécanisme relève des codes de l’expertise : c’est aux habitants de s’adapter au langage de l’expert et pas l’inverse. La question de la participation est donc en partie celle de la reconnaissance de l’expertise des habitants et avant cela, celle des moyens de s’intéresser et d’exprimer un point de vue. La base des habitants peut se voir reconnaître une forme d’expertise mais sur un mode assez limité, comme à Pessac, où par un dispositif de veille d’enquête-satisfaction conduit par le Centre Social, l’expertise des habitants a pu être réintégrée sur des points architecturaux. Par exemple, un choix initial de balcons décalés induisait que certains d’entre eux étaient traversés en plein milieu par le pilier de soutènement, ce qui en limitait de façon conséquente l’usage. Les retours des résidents ont permis de modifier l’implantation des balcons sur les bâtiments suivants. Autre point de vue pris en compte, la généralisation des systèmes de sécurité d’ouverture des fenêtres, obligatoire pour les assistantes maternelles agrées.
15Dans le cas poitevin, cette question de la connaissance et de la reconnaissance est particulièrement éclairante de la dynamique participative. Il y a du ressentiment au début du projet urbain, envers un bailleur social loin des habitants. La première action de mobilisation contre la résidence générationnelle consiste à produire ce que l’on peut désigner comme une contre-expertise, en s’appropriant un symbole des « sachants » : l’enquête par questionnaire. Ce processus est assisté par le CSC et marque l’activation d’une dynamique ascendante, de partage des idées, du sens et du pouvoir. Ultérieurement, le CSC choisit de confier la réalisation d’un diagnostic de santé à des consultants reconnus nationalement mais soucieux d’impliquer les habitants. Ceci lui vaudra la considération de certains acteurs de la santé, et l’aide à bâtir le projet de centre de santé, malgré l’opposition de l’Agence Régionale de la Santé et le scepticisme de la municipalité. L’un des temps forts du processus participatif est la collecte de données du diagnostic santé par une trentaine d’habitants du quartier, souvent âgés, au statut socioéducatif modeste. Cette façon de faire se prolonge avec le référentiel I2HS7 où les habitants sont co-producteurs de l’évaluation de leur cadre de vie.
Mobiliser des compétences externes
16La coordination d’acteurs est un outil habituel de l’animation sociale. A Poitiers, la présentation aux habitants et au bailleur social d’une association gestionnaire de foyers de Jeunes travailleurs, dans la perspective d’ouverture d’un établissement pour la résidence intergénérationnelle, en est un exemple. Autour du centre de santé, la convocation d’experts du champ sanitaire et de la participation (René Amberg, Suzane Rosenberg, Vincent Bodot) traduit une capacité à trouver des appuis nouveaux. A Pessac, le champ culturel est au cœur de l’action. En attestent la fresque murale sur le mur anti-bruit, l’accueil en résidence d’une compagnie de théâtre L’Atelier de Mécanique Générale débouchant sur la création in situ avec les habitants, ou l’intervention de l’association La Ressourcerie, pour la rénovation et le recyclage de vieux meubles avec une artiste plasticienne. Mais le centre est là aussi capable d’innover, en organisant une cuisine collective pour assurer les repas de midi des ouvriers travaillant sur la rénovation, en donnant de l’emploi à des personnes du quartier.
Accompagner la promotion de groupes d’habitants
17L’ambition et la stratégie des centres socioculturels pour affirmer la représentation des habitants dans le projet urbain sont hétérogènes. Dans le cas bordelais, la méthodologie est fondée sur la nécessité d’aller auprès des habitants, en bas des immeubles, à la sortie de l’école, auprès des syndics de propriétaires. Les habitants qui viennent, le font avant tout pour « voir ce qui se passe » dans le centre d’animation, « ils sont souvent motivés par une attente spécifique et ils viennent voir s’il y a un service qui leur correspond ». Il s’agit de faire en sorte qu’ils s’impliquent ensuite dans la vie du Centre Social et du quartier, sans ambition spécifique vis-à-vis des gestionnaires du projet urbain. A Pessac, la question des groupes d’habitants est souvent renvoyée au développement des compétences et des capacités d’action de l’Amicale des Locataires. Celle-ci est notamment investie dans la partie rédactionnelle du journal de quartier HQE, considéré comme un support où l’on peut évoquer les problèmes rencontrés par les habitants pour les porter sur un autre terrain, une façon de « faire entendre la parole des habitants aux architectes, aux politiques, pour dire qu’il y a tel ou tel problème ». Enfin, à Poitiers, la capacitation des habitants et la mise en place d’une association amenée à gérer le futur pôle de services – L’espoir – est l’épine dorsale de l’investissement du CSC. Celui-ci passe par un lourd investissement en formation, soutien méthodologique (enquête, gestion financière), accompagnement de réunions, médiation avec la municipalité et le bailleur social, entre autres.
Décentraliser les lieux d’échange et de décision
18L’idée que les rapports de pouvoir impriment une organisation spatiale des interactions d’acteurs et des lieux décisionnels a des implications méthodologiques pour les pratiques participatives. La décentralisation des espaces de décision peut passer par leur relocalisation dans des lieux facilitant la participation des habitants. La symbolique et les conditions vécues par l’habitant ne sont pas les mêmes selon qu’une réunion publique ou de travail se produit au siège du bailleur social, dans sa permanence de quartier, à la mairie, dans la salle polyvalente... Choisir des tiers lieux comme l’école ou le centre d’animation pour une rencontre est ainsi plus éloigné du pouvoir et potentiellement plus favorable aux habitants (cf. figure n° 3).
19Il ne s’agit pas de prétendre que la qualité participative de l’échange dépend strictement de la spatialité du dispositif mais nous constatons que lorsque l’intensité de la participation est forte, ce mécanisme est manifeste. On pourrait ainsi positionner sur un diagramme les évènements participatifs en fonction d’un axe d’intensité de la participation et d’un axe topologique (proximité/éloignement du pouvoir officiel) (cf. figure n° 4). Cette démarche questionne autant les efforts de proximité réalisés par les acteurs institutionnels que la capacité du CSC à s’y inviter. A Poitiers, le Centre Social est le « bureau » du groupe d’habitants, le directeur de SIPEA y est régulièrement en contact avec ces derniers, ainsi que sa chargée de projet. Un animateur impliqué dans l’accompagnement du groupe d’habitants peut être amené à se réunir chez l’un d’eux pour préparer une réunion officielle.
Conclusion
20Observer et analyser la participation habitante dans la mise en durabilité des espaces urbains reste un exercice complexe et ambitieux, même sous l’angle de la contribution d’un acteur-type. Notre proposition méthodologique relève trois dimensions – intégration de la gouvernance, implication des habitants, moyens consacrés – pour juger de l’apport des CSC à la dynamique participative du projet urbain. Hormis pour le domaine de la gestion, ces dimensions ont été illustrées et décomposées, de façon à fournir des éléments de questionnement et de classification. Ce résultat constitue en soi un outil pour penser la participation dans le projet urbain, en relation avec l’implication d’acteurs socioculturels (figure n° 5). Il ouvre aussi la voie à une traduction sous forme d’indicateurs pour des approches évaluatives de l’action d’un CSC. Le jeu d’indicateurs reste ensuite à bâtir en fonction des objectifs qu’y affecte l’organisation et de ce qui peut être clairement renseigné.
Bibliographie
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Références
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Notes de bas de page
1 «L’animation de la vie sociale repose sur une dynamique de mobilisation des habitants et sur des interventions sociales, elle s’appuie sur des équipements de proximité (centres sociaux, structures d’animation locale). La caractéristique de cette dynamique est de permettre aux habitants de participer à l’amélioration de leurs conditions de vie, au développement de l’éducation et de l’expression culturelle, au renforcement des solidarités et des relations de voisinage, à la prévention et la réduction des exclusions, par une démarche globale adaptée aux problématiques sociales d’un territoire».
2 Fédération des Centres sociaux et Socioculturels de France. «1. Promouvoir des dynamiques de conscientisation, 2. Accompagner des dynamiques d’auto-organisation, 3. Exercer un pouvoir d’influence sur la définition et le pilotage des dispositifs publics».
3 Inventaire non représentatif à partir de l’enquête par questionnaire réalisée par V. Divoux, dans le cadre de l’animation du congrès 2013, «La fabriques des possibles».
4 Ministère de l’Ecologie du Développement Durable et de l’Energie.
5 Un quartier en rénovation urbaine concerné par un programme de 836 logements à Poitiers ; un quartier en construction ex-nihilo sur des friches naturelles marécageuses devant à terme regrouper plus de 2000 logements à Bordeaux ; une ancienne copropriété en rénovation urbaine conduit par un bailleur social sur deux tranches «Arago et Chataigneraie» concernant 588 logements.
6 L’ACAQB gère 12 équipements répartis sur la ville de Bordeaux : 11 Centres d’animation à vocation sociale et culturelle, un mur d’escalade ainsi qu’une auberge de jeunesse. L’association pilote également 6 correspondants de quartiers et médiateurs socioculturels. Le public accueilli régulièrement par l’association représente 15 000 bordelaises et bordelais, dont environ 6 000 adhérents.
7 Construction d’une méthode d’analyse de la capacité d’un territoire à répondre aux attentes des aînés, résultant de l’association de Gérard Gorgette, Directeur Général de SIPEA Habitat, avec Vincent Divoux, Directeur du Centre Socioculturel des Trois Cités et René Amberg, consultant expert.
Auteurs
Maître de conférences en aménagement et urbanisme, chercheur du programme ANR PAGODE, Université/IUT Bordeaux Montaigne, UMR ADESS 5185 - PASSAGES 5319
Maître de conférences en géographie, chercheur du programme ANR PAGODE, Université/IUT Bordeaux Montaigne, UMR ADESS 5185 - PASSAGES 5319
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