Formation en animation socioculturelle à l’ESELx : La création artistique collaborative et ses implications
p. 199-213
Texte intégral
1Le programme de formation de la licence en animation socioculturelle (ASC) de l’Escola Superior de Educação de Lisboa (ESELx), ouverte en 2006, a subi, en 2016, certaines modifications dont une, concernant la deuxième année, particulièrement profonde. Les disciplines artistiques et sportives optionnelles qui étaient enseignées de façon autonome par des professeur.e.s travaillant seul.e.s ont été intégrées dans la discipline d’encadrement du stage d’initiation professionnelle. Cette décision résulte d’une part de l’analyse de données recueillies auprès des étudiante.s, des enseignante.s et des orientateurs/trices de stage, mais surtout, au-delà de la véhémence de la démocratie culturelle, d’un changement paradigmatique du concept d’« art » et de « création artistique » en particulier quant à la relation ou au jeu d’interactions entre l’artiste et son public, plaçant l’art participatif au centre de processus de transformation sociale.
2Dans cette communication, notre objectif sera, donc, de réfléchir à la place de l’art dans un dispositif de formation en animation socioculturelle.
3Dans un premier temps, nous expliciterons les raisons qui ont conduit 1) à l’intégration des arts (théâtre, arts visuels, musique) et des activités sportives dans une unité d’enseignement (UC) d’accompagnement de l’initiation à la pratique professionnelle et 2) à la création d’un Séminaire de Spécialité dynamisé de forme inter/transdisciplinaire par une équipe multidisciplinaire (théâtre, musique, arts visuels et éducation physique).
4Ensuite, nous décrirons le dispositif qui a permis aux étudiantes de se penser comme communauté créatrice de culture et postérieurement comme futures professionnelles qui dynamiseront des processus similaires auprès d’autres communautés et nous présenterons certains des résultats obtenus. Étant donné le caractère innovant de ce séminaire, la dimension d’expérimentation, durant l’année scolaire 2017-2018, a été assumée aussi bien par les enseignante.s que par les étudiantes comme partie intégrante de la formation. De nombreuses données ont été recueillies, sous des formes diversifiées (journal de bord, photographies, films…), tout au long de l’année, et ont servi de base pour la réflexion de tous.tes les participante.s.
5Dans une troisième partie, nous présenterons les résultats d’une recherche développée autour de ce processus de changement de fonctionnement de cette unité d’enseignement, obtenus six mois plus tard, au moyen d’un groupe focal formé par des étudiantes ayant participé au séminaire.
6Le matériel empirique recueilli sera analysé pour dégager les potentialités de ces processus pour le développement personnel et professionnel de fütur.e.s animateur.trice.s socioculturel.le.s. Nous pensons que ces potentialités incident sur la transformation 1) des représentations qu’ont les étudiante.s de l’art et de la culture, de leurs capacités créatives et des créations collectives, 2) de la propre communauté d’étudiante.s et 3) des compétences professionnelles pour une intervention socioculturelle basée sur une création collaborative auprès de communautés.
7Nous espérons que les résultats obtenus seront une contribution pour 1) une discussion autour de la place de l’art dans les dispositifs de formation en animation socioculturelle et 2) une meilleure adéquation des dispositifs de formation au profil professionnel visé.
Pourquoi renforcer la place des arts dans la formation en animation socioculturelle ?
8La licence en animation socioculturelle de l’ESELx a débuté en 2006/07, les premiers diplômés étant sortis sur le marché du travail en 2008/09. Le programme initial a été élaboré dans le cadre du processus de Bologne et a subi quelques modifications ponctuelles au cours des dernières années, la plus récente datant de 2016. Depuis sa création, le programme de formation a subi des modifications en fonction des résultats des processus d’évaluation aussi bien interne qu’externe, suivant des cycles réguliers, pour lesquels les dirigeants institutionnels ont cherché à assurer la participation et l’engagement de tous les acteurs de la formation, étudiants, enseignants, partenaires et spécialistes du domaine de l’ASC (Vohlgemuth, Martins, Dias & Campos, 2016). D’autre part, les travaux de recherche développés par plusieurs équipes d’enseignant.e.s, entre autres certains présentés ou publiés lors des colloques de l’ISIAT, ont contribué à définir les transformations à opérer. Dans le contexte des dernières modifications apportées en 2016 et régies par la décision n° 6265/2016 du 11 mai, bien que les objectifs de formation aient généralement été maintenus, de nouveaux dispositifs de formation ont été introduits à la suite de la définition de nouvelles stratégies.
9Stratégiquement, il a été décidé que l’action à mettre en œuvre pour améliorer le cours devait être un rapprochement, de forme explicite, de toutes les UC, qu’elles soient optionnelles ou facultatives, générales ou approfondies, au but ultime du cours, à savoir la formation d’animateurs socioculturels. Ce rapprochement a été largement assuré par le renforcement du caractère intégrateur des UC d’initiation à la pratique professionnelle, conçues et développées comme axe fondamental de tout le processus de formation au long des trois années du cours. L’accent mis sur la formation en ASC, en grande part basé sur les UC d’initiation à la pratique professionnelle, a impliqué l’augmentation du nombre de crédits de ces UC, en particulier en 2e année de formation. Ainsi, ces UC intitulées Projet d’Intervention en Animation Socioculturelle I, II et III ont maintenu la méthodologie de projet en tant que stratégie générale d’Intervention en ASC, tout en renforçant les composantes des domaines artistiques et d’éducation physique pour l’intervention. L’accroissement de la place donnée à ces domaines de connaissance résulte d’un ensemble de propositions allant en ce sens, recueillies auprès des différents acteurs de l’évaluation du cours, comme nous l’avons dit précédemment. Ces suggestions reposent sur une conviction partagée quant à l’importance de l’expérience, de l’acquisition et de l’approfondissement des connaissances dans ces domaines pour la formation en ASC, quels que soient les contextes, les publics ou les problématiques, que ce soit du point de vue méthodologique, praxéologique, éthico-idéologique ou théorique.
10Cette conviction est basée sur des expériences et des méthodologies développées dans des domaines connexes, dans le domaine de l’éducation artistique, tels que Project Based Learning (PBL) et arts-based research (ABR), qui sont des processus pour le développement de compétences artistiques fonctionnelles, à partir d’un inducteur (question / problème) identifié qui privilégie la production de connaissances par la pratique, centré sur les étudiants. Comme l’ont déclaré B. Dias, T. Fernandez et R. de Castro (2018) : « L’ art est un moyen de construire cette compréhension [du monde]. Le point de départ est l’idée de l’événement artistique en tant que déclencheur d’autres expériences dans un processus d’apprentissage pour la lie. L’événement artistique en tant que pédagogie » p. 27. Et toujours selon les mêmes auteurs : « le tournant éducatif de l’art met en évidence le rôle de l’art en tant que moyen d’explorer le monde, de rechercher de nouvelles façons d’être où l’image joue un rôle aussi important que le mot. » (p. 31)
11Par ailleurs, certaines études soulignent la pertinence des projets de pratiques artistiques visant à lutter contre l’exclusion sociale, renforçant certaines compétences personnelles, expressives et le sentiment d’appartenance au groupe (Fortuna, 2014).
12De nombreux effets énumérés comme résultant de pratiques artistiques sont des objectifs pour une intervention en ASC.
13En ce qui concerne le plan de formation, le dispositif conçu pour opérationnaliser les stratégies définies s’est traduit par un changement de l’UC d’initiation à la pratique professionnelle de 2ème année, avec une augmentation du nombre de crédits. Cette augmentation correspond à l’introduction d’un plus grand nombre de crédits dans les domaines des arts visuels, du théâtre et de la musique, ainsi que dans celui de l’éducation physique. La mobilisation des enseignants de ces disciplines avec un plus grand nombre d’heures d’enseignement a permis la création de ce nouveau dispositif de formation, le Séminaire de Spécialité, intégré à l’UC d’initiation à la pratique professionnelle. Les travaux du Séminaire de Spécialité, basés sur les méthodologies susmentionnées, ont également favorisé le développement tout au long du processus d’une réflexion théoriquement étayée, elle-même élément fondamental, dans la mesure où elle permet une évaluation constante de chaque phase, permettant d’ajuster, si nécessaire, les tâches en cours.
Description du dispositif de formation et évaluation
14Tout au long du séminaire, les étudiantes ont été mises au défi de développer des processus de création artistique et culturelle en communauté, fondés sur la PBL et l’ABR. Sur la base du concept fondateur de la démocratie culturelle (Kelly Owen, Lock John et Merkel Karen, 1986), nous espérions que l’expérience de ce processus, matérialisée dans un espace de création et de communication du savoir, donnerait aux étudiantes l’occasion de se penser d’abord en tant que communauté consommatrice et productrice de culture et, plus tard, comme professionnelles qui dynamiseront des processus similaires dans les communautés avec lesquelles, à l’avenir, elles travailleront. Nous entendons communauté comme un groupe de personnes ne s’étant pas choisies, mais devant se côtoyer, ayant certains objectifs et intérêts communs, partageant une mémoire collective.
15L’ABR, développée surtout depuis les années 1990, par Elliot Eisner et Thomas Barone, place les pratiques artistiques et les processus créatifs au centre de la recherche dans des domaines tels que les sciences sociales, les arts ou l’éducation, car ils permettent la création de différents modes de recueil, d’interprétation des données, de synthèse des résultats et communication des connaissances, démontrant et soulignant la dimension d’investigation des processus créatifs. Comme le souligne Borgdorff (2011), la pratique artistique assume un rôle transversal dans le choix du thème, de la méthodologie, du contexte et de la communication des résultats et constitue le cœur de la production de connaissances. Plus récemment, Chance (2017) renforce spécifiquement l’utilisation de stratégies artistiques en tant que modes de création de connaissances.
16Le groupe d’étudiantes se caractérisait par un grand déficit d’expériences culturelles (tant au niveau de la jouissance / contemplation, de la réflexion / interprétation que de la production / création) individuelles et collectives, se constituant en tant que communauté ayant le besoin et le potentiel de développement de processus culturels démocratiques.
17Il était donc important que les étudiantes puissent réfléchir sur le rôle de l’animateur socioculturel dans les processus de création de culture en communauté (tels que définis dans les objectifs de l’UC), expérimenter les processus collectifs de création de culture, mobilisant des méthodes et des techniques des différents domaines artistiques et de l’activité physique et du sport dans les stratégies et activités à développer.
18Le processus développé peut être divisé en 4 phases distinctes, qui se sont déroulées sur 4 semaines (les 3 dernières occupées par la dernière phase). Pendant ce temps, les étudiantes n’ont eu aucune autre discipline ce qui leur a permis de se consacrer exclusivement aux défis présentés.
Diagnostic
19Lors des premières séances, des méthodologies de diagnostic participatif ont été mobilisées, avec le double objectif de connaître les caractéristiques de la classe et de sensibiliser les étudiantes à l’utilisation de ce type de techniques de collecte de données.
20Il devint bientôt évident que, pour le groupe, ce moment avait acquis une dimension supplémentaire. Les dynamiques de partage personnel se sont immédiatement traduites par un approfondissement des relations interpersonnelles, fondées sur la découverte de l’autre. Cela s’avérera être la pierre angulaire du processus développé ultérieurement.
21Lors des entretiens menés au cours de la phase initiale du processus, les étudiantes ont unanimement évoqué la surprise résultant de la découverte de collègues, des besoins et du potentiel du groupe, comme le montrent les trois extraits suivants :
« C’était bien pour mieux se connaître et mieux connaître le groupe. Il semble que pendant une période, j’étais plus distante, et tout d’un coup, nous avons commencé à travailler plus en groupe et à prendre conscience de l’importance du travail en groupe. » (Étudiante J., février 2018)
« J’ai vu des changements dans notre relation entre le groupe, ce qui est intéressant. Quand nous sommes dans une partie plus théorique, nous sommes plus à nos tables, plus avec les gens dont nous sommes plus proches et ici nous devons faire un travail de groupe même avec des gens que nous ne connaissons pas si bien. Je pense donc que la communication a changé au niveau du groupe-classe. » (Étudiante L, février 2018)
« Nous grandissons beaucoup en tant que classe et nous avons découvert une nouvelle facette de nous toutes et nous avons pris conscience que nous sommes plus tolérantes que nous le pensions. Ça a été un grand développement personnel et aussi en tant que classe. » (Étudiante D., février 2018)
Exploration formelle / création collective de courte durée
22La deuxième phase a impliqué les 4 enseignants des 4 domaines d’intervention (Musique, Théâtre, Arts Visuels et Activité Physique / Sports) dans le développement d’un processus de création collective.
23Le manque d’expériences culturelles déjà mentionné ci-dessus entraîne également un manque de connaissance des processus créatifs et le manque de confiance en leurs propres capacités créatrices. Le développement de courts processus de création, divisés en tâches de réalisation rapide et de faible niveau de difficulté, cherchait à démystifier le processus de création, en renforçant la confiance des étudiantes dans leurs capacités en tant que créatrices.
Communauté et culture
24La troisième phase avait pour objectif de provoquer la discussion sur le concept de culture, en élargissant les perspectives presque toujours confinées à celle consacrée. Les activités réalisées variaient entre les dynamiques participatives avec et dans la communauté et la tenue d’un séminaire sur le concept d’art et de communauté, avec la participation de spécialistes des arts visuels et de l’anthropologie.
25Une des étudiantes interrogées raconte comment cette visite a transformé son regard sur le marché où elle achète régulièrement ses produits :
« Les autres jours, quand je liens au marché, j’achète quelque chose. Ma vision est plus axée sur ce que je veux. Aujourd’hui, comme je suis plus détendue, je vais vraiment le découvrir, j’ai fini par me rendre compte "d’accord, je connais déjà, mais je peux découvrir de nouvelles choses". Je finis par me rendre compte de nouveaux sons, d’une certaine attention, de la circulation des gens, ça finit par être une autre découverte. »
« … Parce que je vais travailler avec des gens. Et cela fait partie de la vie des gens… En les regardant, on se rend compte qu’ils agissent d’une autre manière, qu’ils sont différents… Le travail de l’animateur est un travail avec les gens, nous devons les connaître pour pouvoir travailler avec eux. Et rien de mieux que de connaître leur monde et ce qu’ils font. » (Étudiante G., février 2018)
Création collective
26Enfin, le groupe a été mis au défi de développer un processus créatif pour la réalisation d’un projet artistique et culturel, dans une approche multidisciplinaire, en considérant que : 1) le projet serait développé en communauté, prenant la forme d’un travail artistique collaboratif ; 2) le processus de création aboutirait à un objet culturel ou artistique qui pourrait être matériel, immatériel ou hybride ; 3) l’ensemble du processus d’idéation et de concrétisation du projet devrait être documenté par les moyens les plus appropriés – photographie, vidéo, audio, journal de bord ; 4) le travail devrait être présenté à la communauté environnante.
27Cette phase correspond à une plus grande autonomie du groupe d’étudiantes dans la définition et l’opérationnalisation des objectifs et des processus de création. Au cours des sessions suivantes, le processus s’est déroulé alternativement en petits et grands groupes, avec un accompagnement régulier des enseignants, en particulier lors de moments d’évaluation de procédures, favorisant la réflexion critique sur les contributions du travail collaboratif et des processus de création / construction pour le développement personnel et professionnel.
28Au stade de l’idéation de l’objet culturel final, le groupe a élu la communauté (groupe-classe) comme concept central. Après d’intenses discussions, le groupe a opté pour la construction de plusieurs objets artistiques corrélés, qui constituaient le corps d’une exposition représentant les différentes dimensions de l’identité du groupe (personnelle, groupe et communauté).
29Tout ce processus a confronté les étudiantes à des problèmes liés à la planification (définition d’objectifs et de méthodologies, collecte de ressources), à la gestion des groupes et au manque de compétences techniques qui a contraint à l’expérimentation et la recherche ayant conduit aux apprentissages significatifs. Lors des entretiens finaux, les étudiantes ont mentionné la manière dont les apprentissages réalisés avaient permis de surmonter le manque d’expérience créative et de maîtrise technique :
« Je pense que c’était un processus très difficile, nous avons dû parvenir à un consensus et c’est assez compliqué. Mais malgré les difficultés rencontrées, nous avons réussi à obtenir un bon produit. Même si nous ne connaissions pas les techniques, nous avons fini par profiter de ce que chacun savait, c’est-à-dire que nous avons fini par apprendre les uns des autres et en apprendre un peu plus sur l’autre et je pense que c’était assez important. » (Étudiante A., mars 2018)
30Considérant également que ce séminaire intègre pour la première fois le programme de cette licence, son développement pratique a pris une dimension exploratoire et évaluative des propositions de travail mises en œuvre impliquant enseignants et étudiantes. Tout au long du processus, des entretiens semi-structurés ont été menés avec les étudiantes impliquées. Simultanément, il a été proposé de recueillir régulièrement des données sous forme de "journal de bord" comme outil permettant de soutenir l’élaboration d’une réflexion critique théoriquement étayée, dans laquelle chaque étudiante a été invitée à analyser le potentiel de ces processus pour ses pratiques en tant qu’animatrice socioculturelle, considérant 1) la relation entre les dynamiques collectives et les expériences individuelles de la création ; 2) les apprentissages développés tout au long du processus de création au niveau des différentes littératies impliquées ; 3) l’importance de la créativité dans les différents domaines d’action, à la fois dans leur spécificité et dans une relation d’interdisciplinarité et d’intégration des connaissances ; 4) le potentiel de l’objet d’art en tant qu’inducteur d’activités d’animation socioculturelle.
31L’analyse des données recueillies au cours de ces quatre semaines nous a permis d’identifier une transformation des concepts initiaux des étudiantes concernant : 1) leurs propres capacités créatrices ; 2) les processus de création collective ; 3) l’art et la culture. En outre, la transformation de la propre communauté des étudiantes impliquées à travers l’approfondissement de la connaissance mutuelle et des liens de proximité est devenue très évidente.
32Par ailleurs, au moment de l’évaluation finale du processus, la capacité d’envisager, à partir de ce processus, leur future performance professionnelle semblait encore très embryonnaire. Dès le début, il était évident que le groupe était émerveillé par la découverte des autres et de lui-même en tant que créateur. C’est pourquoi, lorsqu’elles ont été invitées à le faire, les étudiantes ont été très concentrées sur ces découvertes, incapables d’intégrer ces expériences dans leur propre pensée en tant que futures animatrices socioculturelles.
Evaluation différée – Groupe focal
33Afin de mieux comprendre comment les étudiantes avaient vécu cette nouvelle expérience, quels apprentissages elles en avaient retirés et comment elles déclaraient avoir mobilisé ces apprentissages lors de leur stage immédiatement consécutif au séminaire, nous avons réalisé un groupe focal, durant le mois de décembre 2018, soit environ 9 mois après le séminaire et 6 mois après la fin du stage.
34Le groupe de discussion a été formé de 7 étudiantes disponibles et volontaires, en 3ème année du cours de licence en ASC, ayant participé, lors de leur 2ème année de formation, à la première édition du séminaire de spécialités. Techniquement, nous avons défini les questions inductrices suivantes : pouvez-vous décrire l’expérience que vous avez vécue ? Quelles transformations ont été provoquées par cette expérience ? Considérez-vous avoir mobilisé les apprentissages ou d’autres aspects résultant de votre expérience, au cours du stage de 2ème année ?
35L’analyse de contenu du discours recueilli a été réalisée de forme inductive.
36Lorsque l’on demande aux étudiantes de caractériser le dispositif qu’elles ont expérimenté, la qualité qui revient le plus fréquemment est la différence, l’originalité. Le parcours suivi est présenté comme un long cheminement de découverte en direction d’un objectif, d’une production qui se définit au cours du processus. Nous retrouvons ici, l’une des caractéristiques de la praxis créative énoncée par Vázquez, citée par Consuelo Shhchta « indétermination et imprévisibilité du processus et du résultat » (2018, p. 49). Ce cheminement vers quelque chose que l’on ne connaît pas au départ est vécu par certaines comme un espace de liberté, de découverte et de plaisir, mais par d’autres comme un espace de frustration et de souffrance. Cependant, toutes reconnaissent que le défi lancé, qui demande de leur part une grande dose de persévérance, conduit à un résultat final qui est source d’orgueil et gratifiant.
37La qualité de la praxis créative de « L’unité indissoluble, dans le processus pratique, de l’intérieur et de l’extérieur, du subjectif et de l’objectif » (Shhchta, 2018, p. 49) est également mentionnée par les étudiantes pour décrire leur expérience à la fois singulière, extrêmement individualisée et collective.
38Les aspects techniques et le caractère multidisciplinaire de l’expérience ne semblent pas être très importants pour les étudiantes, puisqu’elles ne les mentionnent que très rarement.
39Cette expérience a été vécue comme transformatrice par les étudiantes qui reconnaissent des modifications dans leur manière de percevoir l’art et la culture, dans leur connaissance d’elles-mêmes et dans les relations au sein du groupe.
40En ce qui concerne leur conception de l’art et de la culture, les étudiantes expriment une idée de changement mais associé á une grande résistance pour ce qui est du processus créatif collectif. Pour certaines étudiantes, celles qui ont suivi un cursus artistique au lycée, l’objet artistique se devait d’être créé de façon individuelle. L’expérience menée leur a été « douloureuse » (terme qu’elles ont utilisé) parce qu’elles étaient « formatées » pour une création individuelle à partir d’un concept. Cependant, après le séminaire, elles considèrent que la singularité de chacun peut être révélée et mobilisée dans un travail de création collective, que ce travail collectif peut avoir un pouvoir transformateur sur le groupe et le contexte de production. Nous retrouvons dans le discours des étudiantes l’imprévisibilité, le tâtonnement, la recherche et la construction simultanées, associés à la création artistique, bien que beaucoup d’entre elles considèrent nécessaire de posséder des compétences techniques préalables à la production de l’objet artistique.
41Elles définissent également l’art comme pluriel, permettant à chacun individuellement ou au groupe comme collectif, de révéler son identité, aussi bien au sens de rendre public ce qui n’était connu que de soi-même qu’au sens photographique qui est de transformer une image latente en image visible. Plusieurs étudiantes rapportent que la production de l’objet artistique leur a permis de mieux se connaître elles-mêmes. À leur manière, elles soulignent l’importance du « rôle de l’art comme forme de découvrir le monde, de rechercher de nouvelles façons d’être » (Dias, Fernandez & Castro, 2018, p. 31).
42Les plus grandes transformations ressenties et déclarées par le groupe concernent les relations au sein du groupe. Pour les participantes, la réalisation du séminaire de spécialités a permis de mieux connaître l’autre, d’accepter ses idées et ses points de vue, de révéler les potentialités de chacun et mettre en valeur la complémentarité des éléments du groupe, de favoriser la recherche de consensus et finalement de resserrer les liens au sein du groupe classe, soit de « renforcer le sentiment d’appartenance et l’engagement dans la vie communautaire » (Fortuna, 2014, p. 110).
43En ce qui concerne les compétences professionnelles que les étudiantes déclarent avoir développées et mobilisées lors de leur stage, nous pouvons indiquer des compétences d’ordre technique pour l’utilisation de matériaux et de stratégies propres aux domaines artistiques travaillés, utiles pour dynamiser des activités auprès de publics différenciés.
44Les étudiantes réfèrent également, mais avec peu de fréquence, à des compétences techniques du savoir-faire professionnel telles que la planification de projets et d’activités, la gestion des situations imprévues et la capacité de s’intégrer dans une équipe de travail. Ces compétences seraient nécessaires surtout pour exercer la fonction de production de l’animateur technicien (Dansac & Vachée, 2016) qui vise à opérationnaliser les projets.
45Mais c’est sur les compétences professionnelles pour gérer la relation avec le public que les étudiantes s’étendent davantage. Les étudiantes déclarent avoir appris l’importance du respect de la singularité aussi bien du groupe que de chaque individu. La non-directivité comme trait essentiel de la fonction de l’animateur a été soulignée dans plus de la moitié des interventions ayant trait à la gestion de la relation avec les publics. L’animateur a surtout ce rôle, travailler avec l’autre de façon qu’il puisse décider ce qu’il va faire (Étudiante 7). Selon les déclarations des étudiantes, elles auraient développé des compétences nécessaires surtout à trois des cinq fonctions du modèle élaboré par Christophe Dansac et Cécile Vacher (2016) : des compétences pour l’animateur qui serait à la fois un médiateur qui facilite la rencontre entre les éléments du groupe, un pédagogue cherchant à développer le libre-arbitre des publics et un clinicien à l’écoute de l’individu pour améliorer son bien-être, tous orientés vers l’émancipation des publics et le changement social. Lors du groupe focal, les étudiantes ont renforcé l’importance de la centralité des personnes avec lesquelles doivent travailler les animateurs.trices socioculturelle.s : « essayer de comprendre les individus dans le grand groupe, puis comprendre comment ils travaillent en groupe, et c’est ce que nous avons fait lors du séminaire » (Étudiante 2). Pour beaucoup d’entre elles, l’idée de la perte de la maîtrise du groupe a été une révélation : « Nous ne dirigeons pas le public, nous guidons le public pour arriver quelque part, pour atteindre un changement, une transformation et puis il fait son chemin, il évolue à son rythme et à sa manière et on ne peut pas commander cela, nous ne pouvons même pas le contrôler, et c’est ce dont nous devons être conscientes à l’avenir » (Étudiante 1). Le fait d’avoir vécu l’expérience a permis aux étudiantes de mettre en valeur le bien-être durant la réalisation des activités d’animation socioculturelle : « Je pense que ça doit être un chemin de plaisir pour atteindre le but » (Étudiante 4).
En guise de conclusion
46Il est intéressant de noter que les transformations provoquées par ce nouveau dispositif de formation, déclarées par les étudiantes, se présentent, ici, avec une certaine instabilité dans plusieurs dimensions, mais semblent se consolider dans d’autres.
47Alors que durant le séminaire de spécialités, les transformations mises en évidence par les étudiantes elles-mêmes concernent les représentations de leurs capacités créatives, des processus de création collective et de l’art et de la culture, lors de l’évaluation différée, reviennent l’importance de compétences techniques pour pouvoir produire un objet artistique, le caractère individuel de la création. Il semblerait que les conceptions que les étudiantes avaient avant le séminaire soient revenues et que les transformations constatées durant la formation n’aient pas été consolidées. La fragilité des transformations nous mène à penser qu’il serait important que ces pratiques ne se limitent pas à la durée du séminaire de spécialités.
48La connaissance critique de soi, du groupe et de son mode de fonctionnement est probablement le résultat le plus évident pour les étudiantes aussi bien au moment du projet de création artistique collective que huit mois plus tard. Cette connaissance semble permettre au groupe d’entreprendre, avec confiance, des actions collectives, longues, transformatrices et menant à un résultat gratifiant.
49En ce qui concerne le développement de compétences professionnelles en animation socioculturelle, les étudiantes ne semblent les percevoir qu’après une expérience de pratique professionnelle, d’où, selon nous, l’importance de l’intégration de ce séminaire dans l’UC d’encadrement de stage.
50L’évaluation différée nous montre des animatrices en formation fortement engagées dans une intervention professionnelle visant l’émancipation des publics et la transformation sociale. Il serait cependant intéressant de pouvoir suivre ces animatrices lors de leur parcours professionnel, observer leurs pratiques effectives et les confronter à celles qu’elles déclarent.
51Les résultats semblent montrer que les changements introduits dans l’organisation du programme du cours présentent des résultats positifs, bien que préliminaires, répondant aux intentions énoncées dans la proposition de modification qui a conduit à la dernière version du plan d’étude du cours. Le renforcement de la formation dans les UC d’initiation professionnelle, basé sur les différents domaines de connaissance, des arts et de l’éducation physique, s’est donc avéré une décision appropriée. Ce changement a également permis à l’équipe pluridisciplinaire d’enseignant.e.s en charge de la formation des futurs animateurs socioculturels de disposer de plus de temps pour développer ce type de travail fondamental pour leur processus de formation professionnelle.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références
ACASO Maria et MEGÍAS Clara (2017), Art Thinking. Cómo el arte puede transformar la educaciôn, Barcelona, Paidós Educación, 121 p.
BORGDORFF Henk (2011), « The Production of Knowledge in Artistic Research ». The Routledge Companion to Research in the Arts. BIGGS Michael & KARLSSON Henrik (Eds), London/New York, Routledge, pp. 44-63.
DANSAC Christophe et VACHÉE Cécile (2016), « Les fonctions professionnelles de l’animateur- Un modèle à cinq dimensions comme repère pour analyser le sens de l’action et les compétences ». Les métiers de l’animation et de la médiation et les transformations sociales. KHADRAOUI Mohamed Habib, Tunis.
DIAS Belidson, FERNANDEZ Tatiana et de CASTRO Rosana (2018), « Aguas Turbulentas : el encontro entre el giro educativo en el arte y el giro de la visualidade en la educaciôn. » Or riscos da arte : Formação e Mediação. QUEIROZ, Joào Paulo & OLIVEIRA, Ronaldo (coord.) Lisboa, Centra de Investigaçào e Estudos em Belas-Artes, pp. 23-33.
10.12987/9780300133578 :EISNER Elliot (2002), Arts and the Creation of Mind, New Haven/London, Yale University Press, 273 p.
FORTUNA Carlos (2014), Cultura, formação e cidadania, Lisboa, Secretaria de Estado da Cultura, 300 p.
KELLY Owen, LOCK John et MERKEL Karen (1986). Culture and Democracy – the manifesta. London, Comedia, 61 p.
SCHLICHTA Consuelo (2018), "Professor agora e artista depois, ou melhor, por que não ser na mesma hora os dois ?" Os riscos da arte : Formação e Mediação. QUEIROZ João Paulo & OLIVEIRA Ronaldo (coord.) Lisboa, Centra de Investigação e Estudos em Belas-Artes, pp. 45-54
VOHLGEMUTH Laurence, MARTINS Célia, DIAS Alfredo et CAMPOS Joana (2016), “Avaliação da Licenciatura em Animação Sociocultural (ESELx) – reflexões sobre o compromisso com uma avaliação participativa”. Diversidade e Complexidade da Avaliação em Educação e Formação. Contributos da Investigação. Atas do XXII Colóquio da AFIRSE Portugal.
ESTRELA Teresa (ed.) Lisboa, AFIRSE Portugal, pp. 805-820.
Auteurs
Professera adjunta, Escola Superior de Educação, Instituto Politécnico de Lisboa, STELLAE, Université Saint Jacques de Compostelle, CIED.
Professera adjunta, Escola Superior de Educação, Instituto Politécnico de Lisboa, CIED.
Professor adjunto, Escola Superior de Educação, Instituto Politécnico de Lisboa, CIED.
Assistente convidado, Escola Superior de Educação, Instituto Politécnico de Setúbal.
Assistente convidada, Escola Superior de Educação, Instituto Politécnico de Lisboa.
Professera adjunta, Escola Superior de Educação, Instituto Politécnico de Lisboa, CIED.
Professera adjunta, Escola Superior de Educação, Instituto Politécnico de Lisboa, ICArEHB – Universidade do Algarve ; CHAM – Universidade Nova de Lisboa.
Professora adjunta, Escola Superior de Educação, Instituto Politécnico de Lisboa, CIES-ISCTE.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Villes et quartiers durables : la place des habitants
La participation habitante dans la mise en durabilité urbaine : discours, effets, expérimentations et mises à l'épreuve
Pascal Tozzi (dir.)
2016
Animation et intervention sociale : parcours, formations, enjeux
Actes du colloque RIA 2013
Jean-Luc Richelle (dir.)
2014
Animation, vie associative, des acteurs s'engagent
Ouvertures internationales
Luc Greffier (dir.)
2014
L'animation socioculturelle professionnelle, quels rapports au politique ?
Jean-Luc Richelle, Stéphanie Rubi et Jean-Marc Ziegelmeyer (dir.)
2013
Autour de l'animation sociale et socioculturelle en France et en Espagne / Alrededor de la animación social y socio-cultural en Francia y España
Programme de coopération transfrontalière Aquitaine - Aragon / Programa de cooperación transfronteriza Aquitania - Aragón
Luc Greffier (dir.)
2013
L’animation socioculturelle : quels rapports à la médiation ?
Luc Greffier, Sarah Montero et Pascal Tozzi (dir.)
2018
Les consultations de la jeunesse des années 1960 à nos jours, un outil pour l’action publique ?
Denise Barriolade, Laurent Besse, Philippe Callé et al. (dir.)
2020
Art, Recherche et Animation
Dans l’animation et la recherche : expérimentations artistiques. Quelles interactions pour quelles transformations ?
Cécile Croce et Chantal Crenn (dir.)
2021