La ville insoutenable
p. 71-92
Texte intégral
城 chéng
1. 城牆 : 万里長~。 2. 城市、 都市: ~郷互助。
(1. Muraille : la Grande ~. 2. Ville : ~ et campagne s’entraident).
Xinhua zidian 新 華字典 (Nouveau dictionnaire des sinogrammes), 1988.
Ville
« C’est une enceinte fermée de murailles qui renferme plusieurs quartiers, des rues, des places publiques et d’autres édifices ».
Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1765.
« Insoutenable », mais encore ?
1Je remercie les organisateurs du colloque ANR PAGODE « Villes et quartiers durables : la place des habitants » de m’avoir confié la première conférence plénière sous le titre « La ville insoutenable ». C’était là certainement rendre hommage au programme de recherche décennal (2001-2010) L’habitat insoutenable / Unsustainability in human settlements, dont la première publication collective portait effectivement ce titre : « La ville insoutenable »1 ; mais je dois immédiatement dissiper un malentendu. Dans l’esprit où ce programme de recherche fut lancé, en 2001, l’« insoutenabilité » en question n’était pas entendue comme étant celle de la ville, mais celle au contraire de ce que, par approximations successives, nous sommes finalement convenus d’appeler « l’urbain diffus » ; c’est-à-dire bien autre chose que la ville dans son acception traditionnelle, cet « assemblage d’un grand nombre de maisons disposées par rues », selon la définition qu’en donnait la première édition du Petit Larousse (1906) ; autre chose, a fortiori, que ce qu’entendait par là l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, et qui correspond plutôt à ce que nous appellerions aujourd’hui une place forte, derrière ses remparts qui l’isolent et la distinguent catégoriquement des campagnes environnantes ; cela exactement pour les mêmes raisons qui ont fait qu’en chinois, c’est le sinogramme chéng 城 (« muraille », comme dans « la Grande Muraille », Cháng Chéng 長城) qui a historiquement signifié la ville. D’un bout à l’autre de l’Ancien Monde, la muraille, c’est ce qui définissait la ville, en opposant catégoriquement l’espace de l’intra muros à celui du hors-les-murs. L’urbain diffus, c’est au contraire l’effacement de cette distinction plurimillénaire ; et c’est justement cette forme d’habitat nouvelle, non pas la ville dans sa définition traditionnelle, dont nous faisions l’hypothèse qu’elle n’est pas soutenable. En somme, cela voulait dire exactement l’inverse de ce que laisse entendre le titre « la ville insoutenable », lequel ne fut rien d’autre qu’un choix imposé par l’éditeur pour d’évidentes raisons commerciales.
2De quoi s’agissait-il donc en réalité ? L’idée de lancer un pareil programme de recherche m’était venue un jour du printemps 2000, époque à laquelle je me trouvais au Japon pour y enseigner le fûdoron 風土論 (la mésologie au sens de Watsuji, qui correspond à la Umweltlehre au sens d’Uexküll)2 à l’Université régionale du Miyagi, sur les franges de l’agglomération de Sendai. Mes étudiants étaient en majorité des architectes. C’était l’époque où les urbanistes, au Japon en général et en particulier pour Sendai, commençaient à mettre sérieusement en question l’étalement urbain et à parler de « ville compacte ». Ce basculement historique était bien entendu l’un des sujets favoris des discussions que j’avais avec les étudiants. Ayant grandi pour la plupart dans les banlieues indéfinies de la mégalopole, ils avaient en général de la peine à concevoir ce que pouvait bien recouvrir le néologisme konpakuto shitî (compact city). Ce dont ils rêvaient, c’était plutôt du retour à la terre de nos soixante-huitards, ou plus directement de l’utopie née dans la contre-culture de la Beat Generation et des communautés hippies de la West Coast dans les années soixante (le lien transpacifique s’étant fait notamment par un Gary Snyder, qui vécut longtemps au Japon, et qui a été un ardent propagateur du zen en Californie). Et comme ce fut le cas pour cette utopie, elle débouchait sur l’idéalisation du cocktail « retour à la nature / technologie numérique ». Ainsi, au lieu de la ville compacte, la majorité de mes étudiants voyaient plutôt l’avenir sur Internet, qui selon eux allait permettre de réaliser la synthèse entre le progrès technique et l’amour de la nature qui marque la tradition japonaise3. On pourrait vivre en pleine nature, en travaillant et magasinant à distance grâce à la Toile ; et comme ça, l’on pourrait enfin être « gentils pour la Planète » (chikyû ni yasashii 地球に優しい).
3Étant d’une autre génération, je ne voyais pas le rapport entre la Planète et l’Humanité sous le même angle. Je concoctai donc pour mes étudiants, comme devoir sur table, la question suivante, que j’ai plus tard appelée « la parabole du livreur de tôfu » (laquelle, en Aquitaine, pourra facilement se traduire en « parabole du livreur de yaourts ») :
« Prenez une ville traditionnelle, où cent acheteurs vont à pied chercher leur tôfu au coin de la rue. Puis prenez l’habitat que vous idéalisez, où ces cent acheteurs habitent chacun une maison isolée dans la nature, au bout de cent routes. Ils commandent sur Internet leurs cent boîtes de tôfu. Pour les leur livrer, il faut cent camions, ou deux cents trajets du même camion sur les cent routes. Maintenant, calculez, dans l’un et l’autre cas, l’empreinte écologique d’une livre de tôfu, et évaluez quel est le type d’habitat qui respecte le mieux la nature ».
4Tel fut, au printemps 2000, le point de départ du projet L’habitat insoutenable. S’agissant d’un projet international4, il y en eut d’abord une version anglaise, Unsustainability in human settlements5. L’anglais « unsustainability » se posait bien entendu par rapport à l’expression « sustainable development », courante internationalement depuis le fameux rapport Brundtland de 1987, Our common future. Or on sait que la langue française – par exemple dans le titre même du présent colloque – emploie plutôt « durable » que « soutenable » dans ce sens-là, où cela consiste essentiellement à ne pas altérer la capacité des écosystèmes à se maintenir sur le long terme. Alors pourquoi la version française du programme parlait-t-elle d’« habitat insoutenable », plutôt que d’« habitat non durable » ? Parce que le français « insoutenable » a des connotations qui ne se réduisent pas à l’écologie. Témoin sa définition par la première édition du Petit Larousse : « Faux, qu’on ne peut pas tenir, défendre : opinion insoutenable. Qu’on ne peut supporter : orgueil insoutenable ». Dans mon esprit, parler d’« habitat insoutenable », cela n’impliquait donc pas seulement une empreinte écologique disproportionnée, c’était clairement se situer par rapport à une certaine idéologie, jugée fausse et insupportable.
5Quelle idéologie ? D’abord, justement, une idéologie, c’est-à-dire une parole mythique et non pas quelque chose de naturel. Or cette idéologie-là, comme naguère l’avait montré Roland Barthes dans ses Mythologies6, consiste essentiellement à exalter « la nature », la nature dans son essence, qui est le naturel en tant qu’inverse de ce qui résulte du travail humain, i.e. l’artificiel, et qui donc éternise les choses en les justifiant par une nécessité naturelle, au lieu de les historiciser, c'est-à-dire d’en reconnaître la contingence. En l’occurrence, cette parole mythique s’exprime dans l’image que nous nous faisons de l’habitat idéal : une maison individuelle au plus près de la nature. Depuis des décennies, avec une stupéfiante régularité, les sondages montrent en effet qu’environ huit Français sur dix opteraient pour cette forme d’habitat s’ils avaient la possibilité de choisir. Cette régularité mène donc à conclure qu’il s’agit là d’un penchant naturel, ce qui entraîne ipso facto la justification du système qui a fini par produire l’urbain diffus.
6Le problème, c’est que cette exaltation de « la nature » (comme représentation) aboutit à détruire son objet même : la nature (comme biosphère), par surconsommation de l’étendue et des ressources terrestres. « La nature » tue la nature. Comment sortir de cette aporie ? Le parti (l’on en verra le détail dans l’annexe ci-après), ce fut de réhistoriciser ce que le mythe avait déshistoricisé ; c'est-à-dire de remonter et définir la généalogie de cette représentation : l’idéal de la maison individuelle au plus près de la nature.
7Le sous-titre de l’argument initial, ce fut effectivement « Recherche sur l’histoire de la désurbanité ». Mais pourquoi donc ce néologisme, « désurbanité » ? Parce que le phénomène en question – l’urbain diffus – n’était, dans mon esprit, pas seulement un problème d’utilisation du sol et d’aménagement du territoire, mais touchait également le lien social, c’est-à-dire la capacité des humains à vivre ensemble. En ce sens, c’était aussi un problème éthique. Ce n’est pas un hasard si le mot « urbanité », qui par son étymologie se rattache directement à l’idée de ville (urbs), a pour sens premier cette définition que donne la première édition du Petit Larousse : « Politesse que donne l’usage du monde : accueillir un visiteur avec urbanité ».
8En outre, du fait même que l’urbanité se définit d’abord comme une capacité de vivre en société, c’est un capital social ; par quoi l’on rejoint aussi le vocabulaire de l’économie. Mais comme je l’écrivais dans mon argument : « J’emploie ici cette locution dans un sens plus étendu que son usage ordinaire en économie. Le capital social de la ville n’est pas seulement constitué de biens matériels collectifs (tels qu’égouts, autobus, etc.), mais des rapports sociaux qui fondent l’urbanité, permettant ainsi aux humains de vivre nombreux dans un espace commun (la ville). Corrélativement, j’entends désurbanité comme la dilapidation de ce capital à la fois physique et moral.
9Ainsi, la question de l’urbain diffus comme désurbanité, c’était bien davantage qu’un problème de soutenabilité au sens écologique, à savoir un problème d’environnement ; c’était un problème de soutenabilité au sens de la mésologie, c'est-à-dire mettant en cause les deux termes de la relation médiale : non seulement l’environnement comme objet, mais l’être pour lequel cette Umgebung (ce donné environnemental universel) devient une Umwelt (le milieu propre à cet être), dans un processus qui transforme aussi cet être même. Et c’est ce processus, qui de ce fait devenait aussi un problème ontologique, dont je faisais l’hypothèse qu’il était insoutenable.
10Il va de soi que la perspective extrêmement complexe que je viens d’évoquer ne pouvait être adoptée dans toutes ses implications par l’ensemble des participants du programme. Celui-ci a fédéré un grand nombre d’approches diverses, rapprochées cependant par l’hypothèse que l’urbain diffus a une empreinte écologique insoutenable sur le long terme. Nos publications collectives ont témoigné de cette diversité des approches, mais la place manque ici pour en faire un tableau général. Je me contenterai d’énoncer quelques uns des principes que j’ai pu définir dans ma propre interprétation, telle qu’elle a pris forme à l’issue du programme7, en l’assortissant aussi de considérations plus récentes.
Principes mésologiques
La contingence de l’histoire et la concrescence de l’écoumène
11Le point de vue général étant celui de la mésologie – l’étude des milieux (Umweltlehre), et plus spécialement l’étude des milieux humains (fûdoron 風土論) –, je partais du principe fondateur de cette perspective tel qu’énoncé par Uexküll8 puis par Watsuji9 : la Umwelt n’est pas la Umgebung, le fûdo 風土 n’est pas le shizen kankyô 自然環境, le milieu n’est pas l’environnement naturel. L’environnement est un objet, abstrait de l’être subjectif par la science (l’écologie au premier chef), tandis que le milieu, c’est la réalité concrètement vécue par un certain sujet, individuel ou collectif, vivant en général ou humain en particulier. La condition fondatrice du milieu, c’est la subjectité (l’être-soi, selfhood) de l’être considéré. Le milieu est donc indissociable de l’être de ce sujet. Le même principe vaut pour l’écoumène, qui est l’ensemble des milieux humains10. Alors qu’il y a arrêt sur objet dans le cas de la science de l’environnement, pour la mésologie il y a concrescence (croître-ensemble, devenir commun)11 entre l’être concerné et le milieu qui lui est propre. La relation médiale (le milieu) est donc nécessairement spatio-temporelle : le milieu donne chair à l’histoire, tandis que l’histoire donne sens au milieu, conditionnant du même coup l’être du sujet lui-même12.
12C’est là dire que l’étude envisagée relevait d’une phénoménologie herméneutique. Elle ne consistait pas en une histoire de l’environnement comme objet de l’écologie, mais en une histoire du sens de la relation médiale, impliquant unitairement les deux pôles abstraits que sont le sujet et l’objet dans une même réalité concrète, éco-techno-symbolique, incarnée en l’occurrence dans les formes de l’habitat et animée par les raisons d’être de ces formes ; raisons d’être qui sont en même temps celles du sujet concerné. De ce fait, échappant au mécanicisme comme au fonctionnalisme de l’objet, les formes qu’elles motivent sont contingentes comme l’histoire : étrangères au hasard (n’importe quoi n’importe quand n’importe où) comme à la nécessité (toujours et partout la même chose), ces formes contingentes pourraient toujours être autrement qu’elles ne sont, mais elles sont ce qu’elles sont en fonction d’une certaine histoire et d’un certain milieu. Autrement dit, ces formes ne sont jamais « naturelles ».
La motivation paysagère
13Il apparaissait d’emblée que le paysage a été l’un des motifs directeurs de la mythologie en question : la forme d’habitat qu’elle a idéalisée, c’est la petite maison dans le paysage. C’est quasi à la lettre que cet idéal s’est illustré, au XXe siècle, dans le succès de la little house on the prairie, dont la longue série a commencé en 1932 dans l’œuvre de Laura Ingalls Wilder avant de régner sur NBC entre 1974 et 1982, puis de là un peu partout sur les chaînes de télévision du monde entier. La couverture du premier tome de la série montrait la chose dans son essence : à savoir la log cabin, la cabane en rondins du pionnier de l’Amérique du nord. Mais s’il doit beaucoup aux États-Unis, ce motif est en réalité bien antérieur. Avant de devenir l’élément par excellence de nos banlieues pavillonnaires, où la maison individuelle s’entoure d’un petit jardin aux dimensions démesurables du paysage13, elle avait eu pour avatar cette « maison délicieuse » dont, au XVIIIe siècle, l’abbé Laugier, dans son Essai sur l’architecture, faisait l’éloge suivant :
« Je voudrais que celui qui nous a donné cette jolie description, nous donnât le plan véritable de cette maison délicieuse. Sans doute que ce plan nous fournirait un bon modèle, et qu’en faisant un ingénieux mélange des idées chinoises avec les nôtres, nous viendrions à bout de faire des jardins où la nature se retrouverait avec toutes ses grâces »14.
14De quoi Laugier parlait-il donc ? De la description que le père Attiret, jésuite employé par l’empereur de Chine à l’aménagement du Yuanmingyuan (le « jardin de la clarté parfaite »), avait faite de l’une des fabriques de ce jardin dans une lettre fameuse (remarquons bien qu’une fabrique n’est pas une vraie maison, comme au contraire le laisse croire l’expression « maison délicieuse » dans le texte de Laugier). La lettre en question fut publiée en France en 1743, et traduite en anglais en 1749. Elle eut de profondes résonances dans une Europe où s’achevait l’âge classique, et où germait la sensibilité romantique. On croirait, en la lisant, découvrir vingt ans à l’avance l’argumentaire du Petit Trianon, en tant que l’opposé de Versailles :
« Tout roule sur ce principe : c’est une campagne rustique et naturelle qu’on veut représenter, une solitude, non pas un palais bien ordonné dans toutes les règles de la symétrie et du rapport. (…) On dirait (…) que tout est posé au hasard et après coup ; qu’un morceau n’a pas été fait pour l’autre »15.
15Ce qu’Attiret résumait là, ce n’était autre que l’idéal paysager du jardin de lettré, cette antithèse de l’ordre cosmologique de la ville, dont la géométrie orthogonale régnait au dehors de son enclos. Cet idéal paysager opposé à la ville, il a une histoire précise. Il est né du mythe de l’ermitage paysager, qu’ont construit les lettrés mandarins de l’époque des Six Dynasties (IIIe-VIe siècle), ces anachorètes auto-proclamés qui du même coup inventèrent la notion de paysage : le shānshŭ 山水..
L’en-tant-que de la réalité
16Le mot shānshŭ est composé des deux éléments shān 山, « montagne », et shŭ 水, « eau », ici au sens de cours d’eau16. Chacun de ces deux éléments a, cela va de soi, une histoire immémoriale dans la langue chinoise. Le composé shānshŭ, toutefois, n’apparaît qu’à l’époque des Royaumes Combattants (Ve-IIIe siècle aC), où il signifie « les eaux de la montagne », autrement dit les torrents, dans le vocabulaire des ingénieurs hydrauliciens qui avaient charge de les contenir ou de les domestiquer pour l’irrigation. Rien à voir avec l’esthétique : ce mot est absent de la poésie pour des siècles encore. Il n’y apparaît que vers 300 pC dans un poème de Zuo Si, toujours au sens de torrent, mais désormais chargé de connotations esthétiquement positives, par exemple dans ce vers : shānshŭ yǒu qīng yīn 山水有清音, « les eaux de la montagne ont un son pur ». Or ce poème eut un tel succès dans les milieux lettrés que, dès le milieu du siècle, la connotation positive du mot shānshŭ s’était propagée du domaine de l’ouïe à celui de la vue. Autrement dit, ce mot ne signifiait plus « les eaux de la montagne », mais « les monts et les eaux » dans le sens de « paysage ». On en a la trace écrite dans les poèmes qui furent écrits à l’occasion d’un banquet fameux au Pavillon des orchidées (Lanting), chez le célèbre calligraphe Wang Xizhi, le 3e jour du 3e mois de 353.
17Désormais, les monts et les eaux s’étaient donc mis à exister en tant que paysage ; et moins d’un siècle plus tard, vers 440, le peintre Zong Bing pouvait effectivement écrire son fameux traité, le premier du genre dans l’histoire de l’humanité, Introduction à la peinture de paysage (Huà shānshŭ xù畫山水序).
18Détailler cette assomption de l’environnement en tant que paysage, c’était, notons-le en passant, confirmer le principe qui animait le DEA « Jardin paysage territoire » depuis sa fondation en 1991 par Bernard Lassus à l’école d’architecture de Paris-La Villette (ENSAPLV). En effet, selon cette « mouvance de La Villette » (comme elle est depuis passée dans l’histoire)17, le paysage n’est pas l’environnement. Il y a partout et toujours environnement, mais le paysage est apparu à un certain moment de l’histoire et dans un certain milieu – cela même que l’on vient d’évoquer. Ce fait incontestable, la mal nommée « écologie du paysage » ne peut en rendre compte, car ce dont elle s’occupe, ce n’est justement pas du paysage mais de l’environnement. Qu’est-ce donc que le paysage ? Un aspect de la relation médiale, comme tel contingent, et comme tel insaisissable par le dualisme sujet-objet. Comme le milieu en effet, le paysage n’est ni proprement objectif, ni proprement subjectif ; il est trajectif.
19Mutatis mutandis, cette trajectivité du paysage avait été pressentie par le premier poète paysagiste, Xie Lingyun (385-433). Le paysage, ce n’est pas l’environnement lui-même, ce n’est pas non plus une simple projection de notre âme sur l’environnement, c’est une certaine relation que l’on a concrètement avec lui. Voilà ce qu’expriment les vers suivants, que je considère pour cette raison comme l’acte de naissance du paysage :
情用賞為美 | Qíng yòng shăng wéi mĕ |
事昧竟誰辨 | Shì mèi jìng shéi biàn |
観此遺物慮 | Guān cĭyí wù lῢ |
一悟得所遣 | Yì wŭdé sŭo qiăn |
20Et désormais, oui, d’avoir saisi l’environnement en tant que paysage, l’on a pu se livrer à la beauté du paysage comme tel19. Or ce « saisir en tant que » n’est autre que le principe de la réalité trajective qui est celle des milieux humains (comme des milieux en général) ; à savoir le fruit d’une trajection, laquelle, par les sens, l’action, la pensée et la parole, assume le donné environnemental (la Umgebung) en tant que quelque chose, chose qui relève de quatre grandes catégories mésologiques : des ressources, des contraintes, des risques et des agréments. Cette trajection est analogue à ce qu’est en logique une prédication : le donné environnemental y est en position de sujet logique (S, ce dont il s’agit), et lesdites catégories y sont en position de prédicat (P, ce qui est dit à propos de S)20. Ces catégories se déclinent en toutes sortes de prises médiales ; le paysage est l’une d’entre elles. Le rapport S/P (S en tant que P), c’est la réalité trajective qui est celle du milieu, c’est-à-dire la réalité tout court. Nécessairement historique et contingente, cette réalité peut se représenter par la formule r = S/P ; ce qui se lit : la réalité, c’est S en tant que P.
21C’est cela – mutatis mutandis, encore une fois – que l’on peut pressentir dans les deux premiers vers susdits. L’environnement (S) n’est pas beau en soi, il ne le devient (il devient paysage, P) que si, par un certain « goût » (shăng 賞), on le « rend beau » (wéi mĕi 為美, P). Et, puisque « ce fait (en lui-même, S) reste obscur » (shì mèi 事昧), il faut que « quelqu’un le dise » (shéi biàn 誰辨), autrement dit le prédique en tant que beau paysage (P).
Le principe de la Grotte de Pan, ou : les ploucs ne connaissent pas « la nature »
22L’histoire des idées21 montre que l’idée de paysage est née dans la mouvance des « études de l’Obscur », Xuánxué 玄学, sous l’influence du taoïsme et bientôt du bouddhisme. Son maître mot était le zìrán 自然, le « de soi-même ainsi » où se rencontraient à la fois le cours naturel des choses et le penchant naturel d’une certaine personne. Ce mot est aujourd’hui synonyme de « nature » dans les langues européennes. Le Daodejing de Laozi (VIe siècle aC) emploie souvent zìrán, mais le chinois ancien ne distinguant pas clairement verbes, noms, adjectifs et adverbes, ce mot n’est pas à proprement parler un substantif ; il désigne plutôt un état naturel, celui de l’inartifice.
23Ce zìrán a été conceptualisé en Chine à peu près au moment où la phusis l’était par nos Présocratiques. C’est dire qu’auparavant, « la nature » n’existait ni en Chine ni en Europe ; et dans les deux cas, c’est dans les classes lettrées, donc urbaines et non point rurales, que ce concept est apparu. Certes, lesdits lettrés étant généralement propriétaires terriens, ils allaient souvent sur leurs terres ; mais pas pour les travailler eux-mêmes, sinon comme loisir. « La nature », ce fut donc l’affaire de la leisure class22, non celle des pâtres ni des laboureurs. C’est ce que l’on peut appeler le principe de la Grotte de Pan, pour la raison qui suit :
24Pan, le dieu aux pieds de chèvre, était d’origine arcadienne23 ; ce que corrobore cet autre nom de l’Arcadie : Pania, « Terre de Pan », comme le fait que ce soit dans cette région reculée du Péloponnèse que l’on a retrouvé les traces les plus anciennes de son culte24. Avant de symboliser la nature pour l’ensemble du monde gréco-romain, il fut ici pendant longtemps un simple dieu des pasteurs, protecteur des troupeaux. Or en 490 avant Jésus-Christ25, quelques jours avant la bataille de Marathon, selon Hérodote, le héraut Philippidès26, au sortir de Tégée (en Arcadie), est hélé par le dieu Pan. Celui-ci lui promet d’assister les Athéniens dans leur lutte contre les Perses. Effectivement, Pan sèmera la panique dans les rangs des Mèdes, assurant la victoire grecque. Sur le champ, Miltiade l’en remerciera par une offrande ; mais surtout, les Athéniens marqueront leur reconnaissance en instituant le culte de Pan dans leur cité même. Ils l’installeront dans une grotte au flanc nord-ouest de l’Acropole, au-dessous des Propylées27. Les autres cités grecques imiteront Athènes ; et assez rapidement, le culte de Pan se répandra dans tout le monde hellène.
25Fait curieux, les Arcadiens quant à eux consacraient à Pan des temples construits, tout comme aux autres dieux. Ce n’est qu’à Athènes, et plus tard à son imitation dans d’autres villes non arcadiennes, que Pan sera logé dans une grotte. Pourquoi cette différence ? Parce qu’à Athènes, la plus raffinée des villes grecques, on savait déjà ce que c’est que « la nature », et qu’une grotte, ça fait plus naturel qu’un temple ; tandis que les pâtres arcadiens, qui pourtant vivaient en plein dedans, étaient bien trop rustauds pour savoir apprécier « la nature » en tant que telle. Le prédicat « nature », ils ne connaissaient pas.
Le principe des Géorgiques, ou la forclusion du travail médial
26Ce que nous appelons « la pastorale », ou encore « le mythe arcadien », ce ne sont donc pas les bergers d’Arcadie qui l’ont construit, ni du reste même les Grecs ; ce sont plutôt les Romains, et en particulier Virgile avec ses Géorgiques, écrites sur commande de Mécène pour inciter les vétérans à se recaser à la campagne après la victoire navale d’Octave et d’Agrippa sur Antoine et Cléopâtre à Actium, en 31 aC. Ainsi les vers célèbres :
O fortunatos nimium, sua si bona norint agricolas ! quibus ipsa, procul discordibus armis, fundit humo facilem victum justissima tellus28.
27laissent-ils croire qu’à la campagne, la nourriture est « facile ». Toutefois, si c’est bien là un mythe élaboré délibérément à Rome pour des raisons politiques, ce mythe a des racines anciennes, et qui derechef nous renvoient en Grèce. En effet, le thème de « la très juste terre qui épand au sol une nourriture facile », et cela « d’elle-même » (ipsa), Virgile le décalque d’Hésiode. Huit siècles plus tôt, dans les Travaux et les jours, celui-ci écrivait déjà :
Chruseon men prôtista genos (…) / D’or fut la race première (…) Karpon d’ephere zeidôros aroura / La terre donneuse d’épeautre portait fruit Automatê pollon te kai aphthonon / d’elle-même, en nombre et à satiété29.
28Nous trouvons là exactement le même motif : « la terre » (tellus : aroura), « d’elle-même » (ipsa : automatê), c’est-à-dire sans travail humain, donne ses fruits aux humains. Cette merveilleuse générosité de la nature, chez Hésiode, est renvoyée au temps de l’Âge d’or, dans la nostalgie d’un passé lointain ; mais huit siècles plus tard, Virgile la situe au présent. Mythiquement, bien sûr ; mais cela dans un but politique précis : cacher aux vétérans la réalité du labeur paysan.
29Certes, c’est exprès que Virgile procède à cette occultation du travail (dont les paysans, à cette époque-là, fournissent l’essentiel) ; mais il ne fait que propager un même mythe, dont la logique le dépasse ; à savoir que pour la classe de loisir, maîtresse des terres, des lettres et donc de l’histoire, le travail de ceux qui la font vivre doit être forclos. Ce travail n’est pas censé exister, il doit se fondre dans la nature. Le rapport réel à la nature – le milieu – est construit par le travail, tissé de travail, mais pour la classe de loisir, il doit être de pure jouissance, purement hédonique. Naturel, non pas artificiel. Ce principe, c’est celui de la forclusion du travail médial. Et du reste, Hésiode lui-même – qui pourtant était paysan… – n’en avait-il pas le pressentiment, lui qui écrivit
Krupsantes gar echousi theoi bion anthrôpoisi / Car les dieux ont caché aux humains ce qui les fait vivre30
Conclusion : l’insoutenabilité du mythe de Cyborg
30Le gros du travail physique, aujourd’hui, ce sont les machines qui le font. Comparées aux paysans et aux ouvriers, elles ont non seulement l’avantage d’être plus fortes, mais d’être toujours dociles. Avec elles, la forclusion du travail médial est donc parfaite, nous donnant l’illusion que la nature nous donnera ses fruits toujours plus naturellement. Zìrán : de soi-même ainsi : de son propre mouvement : automatê : ipsa : d’elle-même, et ce d’autant plus naturellement que nous serons plus mécanisés. Témoin cette pub, qui courut la presse française voici une douzaine d’années :
« VOUS AIMEZ LA NATURE ? PROUVEZ-LE LUI.
NOUVEAU PAJERO 7 PLACES ».
31… Commandement qui figure dans un ciel d’aube, avec aurore boréale et fond de paysage lacustre, sur une image représentant un modèle luxueux de 4x4, le Mitsubishi Pajero 3.5 V6 GDI31. Mais à qui donc ce commandement s’adresse-t-il ? À cet être nommé Cyborg, dont l’existence est indissociable de ses machines. L’idée de rapprocher Cyborg de l’urbain diffus – qu’il nommait du reste « ville territoire » – revient sans doute à Antoine Picon32, mais ce n’était là pour lui qu’une image, soulignant le fait que ce mode de vie nécessite l’usage de nombreuses machines, à commencer par l’automobile. Il en va autrement pour la mésologie, car cette cyborgie, c’est l’insoutenable réalité de ce qu’est devenue notre médiance33 – ce couplage dynamique de notre corps animal et de notre corps médial (notre milieu éco-technosymbolique)34 que Watsuji nomma fûdosei 風土性 et définit comme « le moment structurel de l’existence humaine » (ningen sonzai no kôzô keiki 人間存 在の構造契機). En effet, les systèmes techniques constitutifs de notre corps médial n’ont pas seulement tendance à s’autonomiser (comme l’avait pressenti Leroi-Gourhan)35 ; ils nous mécanisent nous-mêmes, par cette rétroaction du milieu sur l’être qui est au principe même de la relation médiale. Et pour commencer, ils nous dictent notre habitat36 : l’urbain diffus.
32Toutefois, il ne s’agit pas là d’un simple déterminisme technique. Comme on l’a vu, c’est aussi et d’abord une affaire de mythologie, c’est-à-dire d’appareil symbolique. L’histoire que nous venons de survoler commence en Occident avec le mythe de l’Âge d’or, et en Orient avec son homologue, le mythe de la Grande Identité (Dàtόng 大同)37, tous deux exprimant la nostalgie de ce temps matriciel où l’humain et la nature n’avaient pas encore été séparés par le travail. En termes psychanalytiques, ce travail est celui de la femme en couches, qui expulse le petit humain hors du sein maternel ; d’où sa nostalgie de la matrice, dont l’homologue anime Cyborg en son urbain diffus. En vertu du principe de la forclusion du travail médial, la mouvance de ce même mythe a plus tard engendré le paysage, le jardin paysager, la maison délicieuse, le pavillonnaire, l’étalement urbain, et pour finir l’urbain diffus, dont l’empreinte écologique est en train d’altérer l’homéostasie climatique de la Planète38. De simples mots à l’origine, pour en arriver à cet effet tellurique insoutenable ! Comment cela se peut-il donc ?
33À cette question, j’apporterai ici pour conclure deux réponses complémentaires, l’une générale et en termes mésologiques, l’autre particulière et renvoyant aux Mythologies de Roland Barthes :
34– En termes de mésologie, l’histoire ci-dessus – du mythique au tellurique – illustre le processus de la trajection r = S/P, et plus particulièrement celui de la chaîne trajective. La formule r = S/P n’est qu’un instantané, lequel veut simplement dire que les choses sont toujours trajectives ; mais en réalité, la trajection est un processus nécessairement temporel, dans lequel la réalité S/P est indéfiniment reprédiquée par de nouveaux prédicats P’, P’’, P’’’etc., c’est-à-dire par de nouvelles manières de saisir cette réalité. Cette chaîne trajective peut être représentée par la formule suivante : (((S/P)/P’)/P’’)/P’’’… et ainsi de suite. On peut y lire que le S/P initial se trouve placé en position de S’par rapport à P’, (S/P)/P’en position de S’’par rapport à P’’, et ainsi de suite. Autrement dit, les prédicats antérieurs sont en position de sujets par rapport aux prédicats postérieurs. Or comme, dans l’histoire de la pensée européenne, le rapport sujet/prédicat en logique correspond au rapport substance/accident en métaphysique, c’est dire aussi que les prédicats insubstantiels du début sont petit à petit substantialisés. Ils sont hypostasiés. C’est cela, une chaîne trajective : il y a indéfiniment assomption de S en tant que P, hypostase de P en S’, et ainsi de suite.
35N’est-ce là qu’un simple formalisme ? Non. Dans la concrescence des milieux réels, c’est le processus même de l’histoire. Dans l’histoire que l’on vient de voir, le donné initial, c’est la nature ; c’est la Umgebung, qui est en position de S. Ce donné S est interprété en tant qu’une certaine réalité S/P par le mythe, qui est ici en position de P. Puis ce mythe insubstantiel – words, words, words… – va peu à peu se substantialiser (s’hypostasier) en paysage : (S/P)/P’, en jardin paysager : ((S/P)/P’)/P’’, en maison délicieuse : (((S/P)/P’)/P’’)/P’’’, et ainsi de suite, pour en arriver à transformer physiquement la planète, au temps de l’Anthropocène39.
36– Si les chaînes trajectives concernent tous les aspects de la réalité – la saisie de S par les sens, l’action, la pensée, la parole –, s’agissant plus particulièrement des mots, elles étaient anticipées de près d’un demi siècle par ce que Barthes a nommé « chaîne sémiologique » dans ses Mythologies. Ce qu’il montrait là, c’est que le mythe est un système de signes, le signe étant défini comme le rapport « Sã (signifiant) / Sé (signifié) = signe ». Ce rapport ne cesse de se dédoubler, engendrant ainsi le mythe dans une chaîne où le rapport Sã / Sé antérieur se trouve placé en position de signifiant par rapport à un signifié postérieur ; et ainsi de suite.
37On voit l’analogie entre chaîne sémiologique et chaîne trajective. La formule signe = Sã / Sé est homologue à la formule réalité = S/P. Autrement dit, le signifiant se trouve en position de sujet, le signifié en position de prédicat, et le signe en position de réalité. L’on pourrait même résumer le propos de Barthes par la formule suivante : (((Sã /Sé)/Sé’)/Sé’’)/Sé’’’… et ainsi de suite, exactement comme dans une chaîne trajective. Or cette analogie n’est pas seulement formelle. Elle veut dire d’abord que la réalité des milieux est toujours significative ; et qu’effectivement, comme l’avait montré Uexküll – c’est ce qui a fait de lui le précurseur de la biosémiotique –, la mésologie (Umweltlehre) est nécessairement aussi une Bedeutungslehre – une étude de la signification40.
38Cette analogie entre chaîne trajective et chaîne sémiologique veut dire surtout que le temps, aussi bien du point de vue de la mésologie que de celui de la sémiologie barthésienne, tend indéfiniment à naturaliser l’artifice humain. Si l’analyse de Barthes se limitait aux systèmes symboliques, la mésologie en revanche montre qu’en termes de trajection, cette naturalisation – cette forclusion du travail médial – étant éco-techno-symbolique, elle transforme nécessairement aussi l’environnement lui-même. C’est ainsi que, dans l’urbain diffus, « la nature » tue la nature ; et cette contradiction est insoutenable.
Notes de bas de page
1 A. BERQUE, Ph. BONNIN, C. GHORRA-GOBIN (dir.) La Ville insoutenable, Paris, Belin, 2006. Ce premier livre collectif a été suivi de quatre autres : A. BERQUE et S. SUZUKI (dir) Nihon no sumai ni okeru fûdosei to jizokusei 日本の住まいに於ける風土性 と 持続性(Médiance et soutenabilité dans l’habitation japonaise), Kyôto, Nichibunken, 2007 ; A. BERQUE, Ph. BONNIN, A. de BIASE (dir.) L’habiter dans sa poétique première, Paris, Donner lieu, 2008 ; A. BERQUE, N. FROGNEUX, B. STADELMANN, S. SUZUKI (dir.) Être vers la vie. Ontologie, biologie, éthique de l’existence humaine, Tokyo, Maison franco-japonaise (Ebisu n° 40-41), 2009 ; A. BERQUE, Ph. BONNIN, A. de BIASE (dir.) Donner lieu au monde. La poétique de l’habiter, Paris, Donner lieu, 2010.
2 À cette différence près que la mésologie d’Uexküll porte sur le vivant en général, tandis que celle de Watsuji porte sur l’humain en particulier ; mais le principe est le même. V. à ce sujet Augustin BERQUE, La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014.
3 Sur ce thème, v. mes ouvrages Le sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1986 ; et Du geste à la cité. Formes urbaines et lien social au Japon, Paris, Gallimard, 1993.
4 Qui à terme a impliqué une centaine de chercheurs d’une douzaine de pays, soit d’est en ouest : Japon, Corée, Chine, Australie, Italie, Pays-Bas, Suisse, Belgique, France, Brésil, Canada, États-Unis. Ce programme a été matérialisé en France par un séminaire collectif pluriannuel à l’École des hautes études en sciences sociales et par quatre colloques internationaux à Cerisy-la-Salle (en 2004, 2006, 2008, 2009), dont les actes ont été publiés sous les titres signalés ci-dessus en note 1.
5 Laquelle, après avoir circulé sur la Toile à partir de Sendai, fut publiée un peu plus tard en Europe : Augustin BERQUE, “Unsustainability in human settlements. General argument and personal project : Research on the history of disurbanity. Hypotheses and first data”, p. 33-41 dans Gijs WALLIS DE VRIES et Wim NIJENHUIS (dir.) The Global city and the territory, Eindhoven, Eindhoven University of Technology, 2001 ; et “On the Chinese origins of Cyborg's hermitage in the absolute market”, ibid., p. 26-32. La version française est parue sous le titre « L’habitat insoutenable. Recherche sur l’histoire de la désurbanité », L'Espace géographique, XXXI (2002), 3, 241-251.
6 Paris, Seuil, 1957.
7 Dans Augustin BERQUE, Histoire de l’habitat idéal, de l’Orient vers l’Occident, Paris, Le Félin, 2010.
8 Jakob von UEXKÜLL, Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und Menschen (Incursions dans les milieux d’animaux et d’humains), Hambourg, Rowohlt, 1956 (1934). Traductions : Mondes animaux et monde humain, Paris, Denoël, 1965 ; Milieu animal et milieu humain, Paris, Rivages, 2010.
9 WATSUJI Tetsurô, Fûdo. Ningengakuteki kôsatsu (Le milieu. Étude de l’entrelien humain), Tokyo, Iwanami, 1935. Traduction : Fûdo, le milieu humain, Paris, CNRS, 2011.
10 V. Augustin BERQUE, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000.
11 Rappelons que concretus (concret) vient du participe passé de cum crescere, « croître ensemble ».
12 Pour ce qui est du vivant en général, cette perspective mésologique est en pratique assez proche de celle de ce qu’on appelle aujourd’hui l’écologie évolutive. Sur cette dernière, v. Thierry LODÉ, Manifeste pour une écologie évolutive. Darwin et après ?, Paris, Odile Jacob, 2014. Celle-ci postule que l’évolution des uns dépend de celle des autres, et que l’environnement n’a donc pas le rôle passif que lui reconnaît le darwinisme. L’essentielle différence avec la mésologie reste toutefois que cette écologie néglige la subjectité des êtres considérés. Sur ce point, v. Augustin BERQUE, Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2014.
13 V. Bernard LASSUS, Jardins imaginaires. Les Habitants paysagistes, Paris, Weber, collection Les Habitants paysagistes, 1977. De ces « habitants paysagistes », thème dont il fut l’inventeur, Lassus écrit p. 74 : « Mais si la forêt est lotie et les maisons ou les usines construites, les quelques arbres précieusement conservés autour des constructions indiquent qu’ils sont les vestiges d’un bois disparu. Grâce à eux, certains habitants oublient le bâti qui a détruit la forêt et élaborent des progressions du végétal au minéral. Le plus souvent, la forêt a disparu entre les mailles des clôtures qui séparent les habitations, et des habitants suggèrent alors l’incommensurable végétal en posant une biche et quelques nains sur une pelouse. Cet incommensurable suggéré, nous l’avons appelé le “démesurable” ».
14 Abbé Marc-Antoine LAUGIER, Essai sur l’architecture, Paris, Duchesne, 1753, p. 281-282.
15 Cité dans l’anthologie de Jean-Pierre LE DANTEC, Jardins et paysages, Larousse, Textes essentiels, 1996, p. 164.
16 Outre Histoire de l’habitat idéal, op. cit., je détaille et référence ce qui suit dans Thinking through landscape, Abingdon, Routledge, 2013.
17 À la suite de ces publications collectives, notamment les deux dernières : A. BERQUE (dir.) Cinq propositions pour une théorie du paysage, Seyssel, Champ Vallon, 1994 ; Id., La Mouvance. Du jardin au territoire, cinquante mots pour le paysage, Paris, Éditions de la Villette, 1999 ; Id., Mouvance II. Du jardin au territoire, soixante-dix mots pour le paysage, Paris, Éditions de la Villette, 2006. Depuis l’abolition des DEA, la mouvance de la Villette est poursuivie à l’ENSAPLV par le laboratoire AMP (Architecture, milieu, paysage).
18 Ce sont les derniers vers d’un long poème, Par crêtes et vaux à partir de Jinzhujian. Jinzhujian (le gave de Jinzhu) est près de Shaoxing, dans les monts Guiji, où Xie Lingyun s’est retiré dans sa luxueuse villa de Shining. Cité par OBI Kôichi, Sha Reiun, kodoku no sansui shijin (Xie Lingyun, le poète solitaire du paysage), Tokyo, Kyûko shoin, 1983, p. 179. Je commente plus longuement ce poème dans Histoire de l’habitat idéal, op. cit., p. 102 sqq.
19 Je ne reviens pas ici sur les sept critères qui permettent d’assurer que les Romains ne possédaient pas la notion de paysage. Sur ce thème, v. Thinking through landscape, op. cit.
20 Rappelons que le mot katêgoria, chez Aristote, a le sens de prédicat ou d’attribut, i. e. de qualité attribuée à quelque chose, chose qui est là un sujet au sens logique (hupokeimenon). Katêgoria vient de kata (tinos) agoreuô, i. e. affirmer quelque chose à propos de quelque chose ou de quelqu’un en public, sur l’agora. Dans les Catégories, le katêgoroumenon, c’est le prédicat opposé au sujet (le hupokeimenon).
21 Détails et références sur ce thème dans Histoire de l’habitat idéal, op. cit., ainsi que dans Le sauvage et l’artifice, op. cit.
22 Au sens de Thorsten VEBLEN, Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, 1970 (The Theory of the leisure class : an economic study of institutions, 1899).
23 D’après Philippe BORGEAUD, Recherches sur le dieu Pan, Genève, Droz, 1979, p. 73 et p. 15 ; et commentant Borgeaud, Nicole LORAUX, Né de la terre. Mythe et politique à Athènes, Paris, Seuil, 1996, p. 67-68.
24 Borgeaud, op. cit., p. 73 et p. 15.
25 Borgeaud, op. cit., p. 195 sqq.
26 Athènes l’avait envoyé porter un message à Sparte, et il était là sur le chemin du retour. C’est ce même Philippidès (ou Phidippidès) qui, après la victoire de Marathon, courra d’une traite annoncer la nouvelle à Athènes ; exploit que commémore aujourd’hui, depuis la réinstitution des jeux olympiques, la course du marathon.
27 Borgeaud, op. cit., p. 222.
28 « Trop heureux les cultivateurs, s’ils connaissaient leur bonheur ! Pour qui d’elle-même, loin des luttes fratricides, la très juste Terre épand au sol une nourriture facile ». Virgile, Géorgiques, II, 458-460.
29 Les Travaux et les jours, 109-118 (p. 90 dans l’édition établie par Paul Mazon, Paris, les Belles Lettres, 2001. Ma traduction).
30 Les travaux et les jours, 42. Bios (vie), que je traduis ici par « ce qui fait vivre », a en effet parmi ses acceptions celles de « moyens d’existence, ressources ».
31 Cette publicité est parue, entre autres, dans Sciences et avenir, novembre 2003, p. 15.
32 Antoine PICON, La Ville territoire des Cyborgs, Besançon, Les Éditions de l’Imprimeur, 1998.
33 Sur ce thème, v. Écoumène, op. cit.
34 Avec la dimension écologique en plus, ce couplage correspond à ce qui est chez Leroi-Gourhan le couplage corps animal/corps social (techno-symbolique). V. André LEROI-GOURHAN, Le Geste et la parole, Paris, Albin Michel, 1964, 2 vol.
35 Le Geste et la parole, op. cit.
36 On se rappellera ce jugement historique de Georges Pompidou : « Il faut adapter Paris à l’automobile ». Ce n’était là pas seulement de l’urbanisme, mais un principe ontologique : soumettre l’habitat de l’être humain à un système mécanique.
37 Sur ce thème, v. Histoire de l’habitat idéal, op. cit.
38 Ce que je ramasse ici en quelques mots fait l’objet d’Histoire de l’habitat idéal, op. cit.
39 Ce processus est détaillé, et assorti de nombreux exemples concrets, dans Poétique de la Terre, op. cit.
40 L’édition allemande originale de Streifzüge… comporte effectivement un Livre II intitulé Bedeutungslehre, ce que respecte la première traduction française (où ce livre II s’intitule Théorie de la signification), mais malheureusement pas la seconde, où manque le livre II.
Auteur
Directeur d'études émérite à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris, UMR Chine Corée Japon 8173
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