Table ronde sur la consultation Balladur de 1994
p. 67-82
Texte intégral
1 Étienne MADRANGES
2Le comité mis en place pour la consultation BALLADUR était constitué de Roger BURNEL suite à une demande personnelle du Premier ministre, sollicité en tant que président de l’Union nationale des associations familiales ; un sportif, Khalid El QUANDILI, ancien champion du monde de kick-boxing membre d’une association de sport à Meaux ; Michel FIZE, un sociologue ; Dominique ARNOUX, juge aux affaires familiales, une professionnelle par conséquent ; Rachel BRAYER lauréate du Défi-Jeune qui avait créé une association à Nancy ; Mireille DUMAS, bien connue sur France 3, et enfin une principale du collège Garcia LORCA à Saint-Denis, Marie-Danielle PIERRELEE qui a d’ailleurs beaucoup travaillé à cette affaire et a été très utile au comité.
3Après avoir constitué le comité, il a fallu s’attacher à rédiger un questionnaire. Au total, le comité a connu vingt-deux réunions dont trois séminaires de plusieurs jours, mais le questionnaire, pour ne rien vous cacher, a été essentiellement conçu au ministère Jeunesse et Sports. J’étais alors membre du cabinet de Michèle ALLIOT-MARIE -entre 1993 et 1995- et le cabinet s’appuyait sur la DJEPVA50 dirigée par Joël BALAVOINE. Nous partions d’une situation qui n’était pas très compliquée parce que, dans les années 1990, nous connaissions beaucoup de choses sur les attentes des jeunes grâce aux instituts : l’INJEP bien sûr, l’INED pour tout ce qui touche à la démographie. Le ministère de l’Éducation disposait de ses propres outils d’évaluation etc... Nous avions donc des données assez multiformes et il fallait trouver autre chose.
4L’idée était de ne pas passer cette fois-ci par le réseau associatif, contrairement aux précédentes tentatives où il avait fallu finalement s’appuyer notamment sur les grandes fédérations d’éducation populaire. Cette fois : nous voulions faire du direct, être en direct-lire avec les jeunes.
5Pour établir le questionnaire le cabinet fait travailler la DJEPVA, Joël BALAVOINE et son équipe, je fais venir des DDJS51 -mon ami Robert d’ARTOIS notamment, qui était à l’époque dans le Tarn-et-Garonne- et quelques CEPJ52. Nous nous réunissons, en fonction des préconisations des membres du comité ad hoc, pour constituer ce questionnaire.
6Après ça, l’impression a été lancée à un nombre d’exemplaires énorme : 32 millions d’exemplaires imprimés qui vont être distribués dans des lieux publics, des mairies..., parmi eux, 25 millions sont envoyés par la Poste. Une telle opération a engagé des moyens considérables ; j’ai retrouvé l’autre jour dans mes archives des documents qui indiquent que le coût le total de la fabrication des questionnaires, s’est établi à 9 millions de francs53 ! La communication avait été confiée à Euro RSCG (comme souvent, j’ignore pourquoi). Il faut aussi compter les frais d’affranchissement (18 millions de francs) ; total de l’opération 27 millions de francs. C’était une époque faste, nous avions des moyens et donc nous dépensions allègrement.
7Chaque foyer français a reçu ce document. Il faut savoir qu’à l’époque la tranche visée, les 15-25 ans, représentait je crois 7 ou 9 millions. Tout le monde doit être touché et tous les questionnaires non envoyés par la Poste vont être distribués en direct par les villes de plus de 100 000 habitants, par les maisons de jeunes, par les DDJS, sur le terrain.
8Ensuite il a fallu organiser cette consultation. Les questions (et j’y reviendrai), concernaient la famille, l’emploi, etc... Les jeunes vont bien répondre et nous allons recevoir, 1 546 000 réponses qui ont été stockées dans les rayonnages de l’INJEP et nous nous sommes demandé : mais qu’allons-nous faire ? Des sacs postaux, des sacs postaux en quantité, 6000 lettres envoyées en direct au Premier ministre ou au ministère Jeunesse et sports. Et sur ces 6000 lettres : 5 % étaient des appels de secours, des SOS du style : « Vraiment aidez-moi, au secours, je n’en peux plus », et des demandes d’interventions diverses ; 7 % étaient des critiques : « Vous êtes des enfoirés, vous dépensez l’argent, vous ne faites rien pour les jeunes » enfin bref, 7 % de critiques directes.
9Il y a eu aussi 1600 rencontres locales, la plupart du temps sous la houlette de nos DDJS, avec l’appui des CEPJ locaux, parfois à l’initiative des préfectures et aussi, évidemment, en lien avec les MJC et autres associations. 1600 rencontres : au total, ce sont environ 100 000 jeunes qui ont activement participé à cette consultation. Il y a eu également 47 rencontres entre des jeunes et les membres du comité.
10Je reviens sur les 3 séminaires, que j’ai mentionnés, au cours desquels seuls six ministres ont accepté de recevoir les membres du comité. Et je donne les noms ! François LEOTARD pour la Défense, Michèle ALLIOT-MARIE ça va de soi, elle était le pilote, Philippe DOUSTE-BLAZY pour la Santé, Michel GIRAUD pour le Travail, François FILLON pour l’Enseignement supérieur, et François BAYROU pour l’Éducation nationale. Ainsi vous voyez que ne figurent pas ni le ministre de la Culture ni celui de l’Intérieur alors que les débats autour des adjoints de sécurité, des rapports des jeunes et de la police posaient de vraies questions, et alors même aussi que siégeait au comité le commissaire Gérard d’ANDREA, commissaire divisionnaire de police. Seuls six ministres ont pu être consultés et ont accepté de recevoir les membres du comité.
11Mais ensuite, il ne suffit pas d’avoir des idées, de demander aux jeunes ce qu’ils pensent de l’emploi, de l’avenir, de la famille sachant que ce qui est intéressant globalement, ce qu’on apprendra, c’est qu’ils sont tous contents de leur famille à 90 %. C’est-à-dire qu’ils font confiance à leurs parents et sont contents de leur milieu familial ; ce qui est assez intéressant, et figure dans le rapport d’analyse que j’ai apporté. J’espère que les chercheurs en trouveront d’autres exemplaires car celui-ci est le mien que je veux bien prêter à l’occasion.
12Le dépouillement a débuté en avril 1994. La conférence de presse du ministre, elle, s’est tenue en juin et il existe une certaine gêne car nous sommes en période électorale, les cantonales54 ou quelque chose dans ce goût-là, qui contraint à la réserve républicaine. Euro RSCG s’était vu confier le soin de produire des spots sur TF1 intitulés « Laissez agir vos idées ». Il y avait de nombreux de slogans de ce type....
13Pour dépouiller les questionnaires il est fait appel à une agence spéciale qui s’appuie sur 110 étudiants pendant 40 jours. Plus de 180 000 questionnaires, je crois, sont exploités et analysés (les autres ne le seront jamais) avec une indexation séquentielle ce qui permet de déterminer les principaux groupes.
14Cinq groupes de jeunes sont déterminés : les jeunes contents d’eux, pour qui tout va (le boulot et le reste), les jeunes très inquiets pour leur avenir (« Je n’aurai pas de boulot, etc... »), un groupe très féminin, plutôt inquiet. À noter que 60 % des questionnaires émanent des filles. Qu’est-ce qui ressort de ces analyses ? Elles aboutissent à la rédaction de 57 propositions du comité dont certaines auront un écho favorable.
15Je dispose de la liste des propositions du comité qui n’ont jamais été retenues ; par exemple : exonérer de charges sociales tous les entrepreneurs pendant deux ans pour le premier emploi jeune. Impossible évidemment : l’URSSAF dit non, le ministère des Affaires sociales dit non etc... De nombreuses propositions ne sont pas retenues parce qu’elles ne sont pas, juridiquement ou économiquement, tenables. D’autres notamment le sont : ceux qui me connaissent savent que j’ai mis en place la Carte jeune à puce à l’époque dont BALLADUR accepte le principe. S’agissant du dispositif Défi-Jeune, j’obtiens de lui en tête-à-tête dans son bureau, le doublement du budget Défi-Jeune, non sans mal, mais il accepte. Il y a eu aussi des mesures pour préconiser de baisser l’âge électoral à 16 ans ; pour créer des sous-préfets chargés de la jeunesse... Certaines ont été suivies d’effets, d’autres non : au total 57 propositions.
16Ce fut une grosse opération, très lourde, très chère, qui à mon avis aurait pu être mieux exploitée. Cette consultation donne une image à un instant T, en 1994, dans un pays ; avec 1 500 000 réponses, on dispose vraiment d’un état assez fidèle de ce que pensent les jeunes de la famille, de l’emploi, de l’avenir, de la scolarité, du sport, des valeurs auxquelles ils tiennent et, par exemple, on constate que la lutte contre le racisme, à l’époque, n’est pas vraiment un souci. Cela représente 0,2 % dans certaines thématiques à propos du racisme parce que le problème se pose sans doute beaucoup moins qu’actuellement. Sur le plan historique c’est également très intéressant.
17Alain GOZE
18Pour évoquer la période BALLADUR, le fameux comité BALLADUR et de la consultation des jeunes, il faut que j’apporte quelques repères afin que vous appréhendiez d’où nous venions, nous, mouvements associatifs : quel était notre environnement, à l’époque permettant de comprendre éventuellement des comportements ou des réactions. J’ai vu dans les petits documents qui ont été distribués en début de séance qu’on avait oublié d’évoquer le fait que si, à une période, les mouvements de jeunesse se déstructuraient, notamment au niveau des jeunesses politiques et syndicales, c’est pourtant en 1968 que le CNAJEP s’est créé à l’initiative de mouvements de jeunesse politiques et des mouvements d’éducation populaire, rue Cabanis55.
19Pour avoir parfois consulté les documents d’archives, je sais que les associations de jeunesse ont participé assez activement à la fameuse consultation DIJOUD. Cela a été évoqué, notamment en relation avec les conseillers techniques Jeunesse et sports sur le terrain. En revanche, ce qu’il faut aussi préciser, c’est qu’au début des années 1980, quand la Gauche va arriver au pouvoir les mouvements d’éducation populaire peuvent s’estimer satisfaits en pensant qu’ils vont avoir là en face d’eux un partenaire politique avec qui ils peuvent travailler, puisque un certain nombre d’organisations sont par ailleurs engagées dans différents réseaux citoyens au plan local qui ont contribué à l’arrivée de la Gauche au pouvoir ; mais très vite les relations vont être difficiles et compliquées. Elles vont être difficiles et compliquées pourquoi ? Parce que je pense que de génération en génération, depuis la période révolutionnaire, nous nous transmettons, quels que soient les régimes politiques, un certain nombre de gènes qui font que les mouvements organisés, (rappelez-vous Napoléon : plus de vingt personnes ensemble, c’était interdit), sont des contrepouvoirs et sont perçus par le pouvoir politique comme des contrepouvoirs. Si bien que quand la Gauche arrivera au pouvoir, le mouvement associatif de jeunesse et d’éducation populaire est gentil, agréable, on a besoin de lui mais il est quand même perçu comme un contrepouvoir qu’il faut essayer de canaliser.
20Et je vous renvoie à ce qui s’est passé à partir de 1978, après les municipales de 1977 : la mise en place des réseaux GAM56 à la suite de DUBEDOUT et tout le débat qui a suivi sur la municipalisation des associations au plan local.
21Donc, nous avons déjà en germe une première crispation et cette crispation, elle va se manifester, je crois en 1984, puisque le CNAJEP fera toute une campagne, notamment auprès des élus de la nation, sur les tables de l’Assemblée Nationale avec le slogan : « Ne brûlez pas la jeunesse » sur des petites pochettes de cigarettes. Vous voyez donc qu’il y avait déjà un climat et une certaine ambiance dans la relation aux politiques. J’arrive très vite à la période 1986, parce que c’est une période grave pour le CNAJEP ; c’est la période où il a failli disparaître et là je sais que dans la salle je dois avoir un témoin qui doit se rappeler cette période, c’était Monsieur Georges VANDERCHMITT57 qui, à ce moment-là, ne voulait plus entendre parler du CNAJEP : il ne fallait plus qu’on fasse de bruit sinon il nous tuerait (sic).
22Nous avions eu à ce moment-là de gros problèmes financiers et par conséquent des problèmes politiques. Si je précise ce point, c’est parce que le CNAJEP ne s’est remis en place qu’en 1989, alors que Roger BAMBUCK est ministre. Et c’est une période où nous avons commencé à travailler en partenariat et où le pouvoir politique de l’époque était ouvert et favorable aux mouvements d’éducation populaire et aux mouvements de jeunesse.
23 Je ne parlerai pas de cogestion à ce propos, mais il y avait un partenariat assez étroit. C’est une période aussi où le CNAJEP a repris pied, et il y a là quelque chose d’assez paradoxal pour nous à l’époque ; en effet au plan international et européen, nous construisions progressivement notre expertise jeunesse, nous étions le comité français, nous représentions la France à Bruxelles et puis à Strasbourg et nous étions en contact permanent avec l’ensemble des conseils de jeunesse de la grande Europe et de la petite Europe. A la différence de notre socle, car le socle du CNAJEP a toujours eu un socle faible au niveau des mouvements de jeunesse et j’aurais tendance à dire que dans notre pays, la particularité c’est que nous n’avons pratiquement, après-guerre tout du moins, jamais eu réellement de mouvements de jeunesse. Je dois néanmoins citer le MRJC qui a certainement eu un fonctionnement du type mouvement de jeunesse, la JOC aussi, peut-être, à un moment donné, mais pour le reste nous avons affaire à des mouvements pour la jeunesse, des mouvements éducatifs encadrés par des adultes très souvent, comme dans le scoutisme. C’était notre particularité par rapport à nos partenaires européens.
24Par conséquent, le socle de la dynamique du CNAJEP était relativement faible par rapport aux mouvements de jeunesse. Si 1989 se déroule assez bien, nous commençons à éprouver de grosses difficultés relationnelles à partir de 1991 avec Frédérique BREDIN. Et si j’évoque le parcours de cette période c’est parce que nous allons retrouver des tendances semblables à celle de l’époque de BALLADUR et d’ALLIOT-MARIE, à propos du grand débat qui a agité le pouvoir politique à ce moment-là. La question était effectivement de savoir « comment peut-on avoir le lien ou le contact avec les inorganisés, les jeunes inorganisés ? ». Rappelez-vous la période Frédérique BREDIN avec les micros-trottoirs, le programme Projet J où les jeunes en l’espace de quelques semaines pouvaient obtenir une subvention et toucher sur leur compte en banque le montant alloué pour la réalisation d’un projet, alors que les associations de jeunesse et d’éducation populaire devaient attendre neuf mois ou un an avant de percevoir leur subvention. Vous imaginez les crispations que cela pouvait engendrer...
25 À l’époque c’était un vrai débat de fond, parce que certains, dont le « triumvirat »« Frédérique BREDIN, Laurence ROSSIGNOL, Sophie BOUCHET » étaient enclins à jouer la démocratie directe. Il s’agissait bien là d’une question de fond au regard de la démocratie dite représentative, celle notamment des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire. Dans la période où Roger BAMBUCK était ministre, nous avions repris pied sur la question de l’éducation populaire avec un colloque important tenu au FONJEP58 intitulé « L’éducation populaire, nostalgie ou réalité ». Si bien qu’à la suite, nous avions mis au défi la ministre, Mme BREDIN, sur la capacité des associations de jeunesse éducation populaire à avoir le contact, la relation avec les jeunes. Si bien que nous avons organisé en 1992, et deux années de suite, au Cirque d’Hiver, les assises de la jeunesse. Le regard du politique a alors un peu évolué vis-à-vis des mouvements comme les nôtres sur le constat qu’en fin de compte nous avions bien une proximité avec les jeunes, un contact, une expérience et une expertise.
26Quand est arrivée Michèle ALLIOT-MARIE et la consultation BALLADUR, je voudrais rappeler des éléments importants. Nous étions alors préoccupés par d’autres affaires. En effet au mois de janvier 1994, il y avait eu les grandes manifestations du mouvement laïque en France59. Dans toutes nos organisations, les 3/4 étaient fortement impliquées et avaient été dans la rue. Et puis est arrivée l’affaire du CIP (le contrat d’insertion professionnelle) qui en mars 1994, a engendré une contestation considérable.
27Le lancement du comité pour la consultation des jeunes est lancé peu de temps après.
28 Étienne MADRANGES
29Il est clair que la consultation jeunes c’est en réaction à ça, bien sûr. BALLADUR a calmé le jeu avec ça.
30Alain GOZE
31S’agissant de ce qui a été évoqué à propos des consultations de MISSOFFE et DIJOUD je souhaite dire que les caractéristiques de la consultation BALLADUR sont tout autres : il s’agit d’une réaction par rapport à un mouvement social important, une réaction importante. Il faut essayer de décentrer le « tir », surtout lorsqu’il y a des élections qui se profilent, ce qui permet de comprendre, et ça me semble important, pourquoi les mouvements ont été complètement été mis de côté et pas seulement eux.
32Monsieur MADRANGES ne sera peut-être pas d’accord avec moi mais le ministère de la Jeunesse et des Sports a été mis de côté aussi : cette affaire-là a été traitée en direct par le Premier ministre, Matignon. D’ailleurs, il me semble, si ma mémoire est bonne, il était prévu que les questionnaires devaient être retournés à une boîte postale rue Saint-Lazare, et ce n’était certainement pas rue Olivier de Serres60. Nous pourrions le vérifier sur les beaux documents que vous avez présentés. Il devait y avoir, me semble-t-il en plus de ça, pour les réponses et les commentaires, une adresse rue de Babylone61, je ne sais plus le numéro exact.
33Nous avons donc été exclus à ce moment-là, complètement, de la consultation et dans une période où les relations avec le ministère de la Jeunesse et des Sports étaient compliquées et tendues ; c’était, en effet, la phase de renouvellement des conventions pluriannuelles. Et Monsieur MADRANGES doit se souvenir des réunions épiques que nous avons pu avoir à cette époque. Je crois même que le ministère de la Jeunesse et des Sports a trouvé le moyen, à la différence de ses prédécesseurs, de se mettre à dos, lors du renouvellement des conventions pluriannuelles, le mouvement du scoutisme. Ce qui n’était quand même pas une mince affaire compte tenu des relations habituellement sereines avec le scoutisme.
34Alors baisse des crédits, d’une part, mais aussi perception d’une posture politique vis-à-vis des mouvements comme les nôtres qui étaient ressentis véritablement comme des contrepouvoirs, d’autre part.
35On peut dire que cette consultation nous y avons participé quand on nous a invités à la remise du rapport, avec les grandes messes habituelles. Et nous avons pu y rencontrer les représentants du comité. Je dois dire qu’à cette période -et s’il était là je le lui dirai aussi- nous avons eu un adversaire redoutable dont la démarche était un peu nocive et pas très saine : c’est Michel FIZE qui était devenu l’adepte, l’illuminé de la démocratie directe. Nous avons eu de sérieux échanges et de sérieux débats avec lui. Malheureusement, nous l’avons retrouvé quelques temps après dans un autre cabinet, de gauche, celui de Marie-George BUFFET et rien n’a été simple à nouveau. Je tiens à signaler cela parce qu’il a fait partie de ces gens qui ont alimenté cette démarche de la relation directe, du micro trottoir, de la démocratie directe.
36Pour terminer je veux mentionner que le CNAJEP s’était acheté une page dans Le Monde que je vais vous lire très vite : « Pour une veritable politique de la jeunesse et de l’éducation populaire, acteurs et médiateurs de la vie sociale par leurs actions éducatives, culturelles, de formation, d’insertion et de prévention, acteurs économiques » etc... c’est la présentation du CNAJEP, « les associations de jeunesse, éducation populaire, membres du CNAJEP s’inquiètent de l’élaboration d’une politique jeunesse à partir exclusivement d’une consultation directe des jeunes, questionnaires aux 15-25 ans. Elles s’étonnent d’un financement immédiat de 30 à 40 millions de francs pour le questionnaire à la jeunesse et seulement 48 millions de francs affectés aux actions quotidiennes d’utilité sociale conventionnées des associations de jeunesse et d’éducation populaire. Elle refuse de cautionner… ». À l’époque il existait un trou financier extraordinaire : celui lié à l’objection de conscience : 93 millions de francs d’endettement, « … les réductions budgétaires et le désengagement de l’État, l’avenir d’un pays se mesure dans sa capacité à investir dans sa jeunesse et ses citoyens, à reconnaître et soutenir la légitimité sociale associative. »
37Nous proposions alors la réactualisation des moyens budgétaires, la révision de la lettre de cadrage du Premier ministre qui était sévère quant aux diminutions de crédits, l’organisation de réels débats nationaux et locaux associant les jeunes, les associations, les mouvements de jeunesse et la représentation nationale, et nous demandions une véritable loi de programmation en direction de la jeunesse et de la promotion de l’éducation populaire.
38 Étienne MADRANGES
39La vérité historique m’oblige à dire, Monsieur GOZE, qu’à l’époque on disait que c’était plus du GOZE que du CNAJEP quand même ce que vous venez de dire.
40 Alain GOZE
41Je vous laisse la responsabilité de vos propres propos !
42 Étienne MADRANGES
43Je vous rappelle une chose : c’est que nous ne fonctionnions que sur la base du consensus, donc que ce soit organisation ou consensus de tout bord politique, il faut quand même qu’il y ait une adhésion forte et pas uniquement celle d’un individu.
44Claire JODRY
45Je vais, pour ma part, évoquer la réaction d’une association qui s’appelle l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes, l’ANACEJ, dont j’ai été directrice de 1991 à 2001. En 1994, l’association regroupait 270 collectivités territoriales qui animaient des conseils d’enfants et de jeunes souvent pour la tranche d’âge 10- 13 ans ou 13-18 ans et regroupait également des fédérations d’éducation populaire.
46La réaction de l’ANACEJ à la consultation BALLADUR s’enracine évidemment dans le contexte de l’association à l’époque. Et notre contexte, c’était celui d’une association qui, malgré une certaine reconnaissance, peinait à lutter contre le scepticisme ambiant qui entourait en France la participation des enfants et des jeunes, voire toute forme de démocratie directe. Et à l’ANACEJ, nous passions notre temps à répondre à des questions du style : « Mais qu’est-ce que ça produit ? », « Est-ce que ce n’est pas de la démagogie ? », ou « Est-ce que ce n’est pas de la manipulation ? ». Et quand à la télévision, il y avait des images de conseils d’enfants et de jeunes, qui ont quand même été très médiatisés à ce moment-là, on entendait des remarques comme : « Ah, mais vous avez vu dans le conseil de la ville d’untel, il n’y a que des petits maghrébins » ou bien à l’inverse « Dans le conseil de la ville X, il n’y a que des petits blancs. »
47Alors en fait, ce n’était jamais bien et on nous demandait d’être absolument parfaits. Et même au sein du ministère Jeunesse et Sports, qui a beaucoup soutenu notre association, nous rencontrions néanmoins de la part des fonctionnaires avec lesquels nous étions tout le temps en contact, un certain scepticisme. Et ces fonctionnaires-là, qui pourtant, je le redis, nous soutenaient vraiment, nous demandaient à aller voir sur place, à participer à nos congrès... bref, ils essayaient, ils cherchaient à se convaincre avec, reconnaissons-le, beaucoup d’honnêteté.
48 C’est dans ce contexte qu’interviennent les grandes manifestations pour le CIP, et à la suite la consultation BALLADUR puis enfin les mesures retenues. Et nous nous rendons compte évidemment très vite, à l’ANACEJ, que dans tout ce que disent les jeunes dans la consultation, il y a une revendication à être entendu, à avoir son avis pris en compte, revendication qui évidemment, dans notre association, n’était pas nouvelle puisque c’était en fait l’objet de notre travail.
49Pour l’ANACEJ, cela a été important parce qu’en fait, nous nous sommes sentis confortés dans notre action comme dans notre position. Et dans les colloques dans lesquels nous allions intervenir à cette époque, ou auprès d’élus qui nous interrogeaient sur l’intérêt de mettre en place ou non des conseils d’enfants et de jeunes, nous nous appuyions bien évidemment sur les résultats de la consultation BALLADUR. Donc, on voit bien aussi comment une association peut, à un moment donné, s’appuyer sur une consultation ou sur des politiques publiques.
50Mais interaction de la part des pouvoirs publics et appuis ne veulent pas dire co-construction parce qu’en fait arrivent les 29 mesures du rapport BALLADUR. Une des mesures est portée par Michèle ALLIOT-MARIE et concerne directement l’action de notre association. Et on aurait pu imaginer qu’à ce moment-là nous allions être consultés sur cette mesure, alors même, je le rappelle, que nous fréquentions toutes les semaines la rue Olivier de Serres. Mais en fait, pas du tout !
51Donc, arrive la mesure annoncée par Michèle ALLIOT-MARIE devant l’Assemblée Nationale le 24 novembre 1994 ; et cette mesure, proposée au niveau local, dit : « Prendre en considération l’avis des jeunes », « Création d’un conseil communal de la jeunesse dans les villes de plus de 3500 habitants » !
52Nous aurions pu nous réjouir, mais en fait cette mesure a fait grand débat au sein de l’ANACEJ. Grand débat surtout du côté des adultes tout d’abord et je vous parlerai de la position des jeunes plus loin. Elle a fait débat parce que dans la forme où elle était énoncée, nous l’avons entendue comme une obligation faite aux collectivités territoriales de mettre en place un conseil d’enfants et de jeunes. Or, notre expérience nous avait bien montré qu’un conseil d’enfants et de jeunes n’avait aucun intérêt s’il n’était pas porté par une volonté politique forte, par une véritable conviction, voire même, enfin surtout d’ailleurs, par une véritable envie de débattre avec les enfants et les jeunes, débattre sur des questions de fond et pas seulement sur le bac à sable ou le bac à fleurs à installer devant l’école.
53C’est la raison pour laquelle nous avons pris cette mesure avec un enthousiasme plus modéré qu’on aurait pu l’imaginer. Et il y en avait une autre. En fait, l’ANACEJ ne s’était jamais pensée, et je crois que l’ANACEJ, aujourd’hui, ne se pense d’ailleurs toujours pas comme hégémonique. Nous nous disions en fait que nous n’étions pas la seule forme de participation des jeunes, qu’il en existait d’autres et que chaque collectivité pouvait aussi inventer sa propre forme. C’était donc notre position propre. Les jeunes et les enfants qui participaient aux conseils d’enfants et de jeunes n’auraient pas été gênés par cette obligation, parce qu’eux croyaient tellement, de toute façon, à ce qu’ils étaient en train de faire, qu’ils ne comprenaient justement pas qu’il n’y ait pas des conseils d’enfants et de jeunes dans toutes les collectivités territoriales.
54Alors, en guise de conclusion, et pour reprendre une interrogation du comité histoire qui figure dans le petit fascicule qui nous a été donné, pour ma part, je ne crois pas du tout qu’il existe une imperméabilité des jeunes aux mesures qui leur sont destinées. J’en prends pour preuve, (alors évidemment il y a aussi des preuves contraires), ce que je constate maintenant, à la mairie de Paris où je travaille, et où il existe un conseil parisien de la jeunesse qui vient d’être mis en place pour les 16-30 ans : eh bien il n’y a jamais eu autant de candidats, c’est-à-dire beaucoup plus de candidats que de places.
55Mais en revanche, je trouve que là où il y a deux vraies difficultés, c’est que les politiques publiques en France, elles fonctionnent quand même énormément par à-coups, hier comme aujourd’hui, et ça ne vous a pas échappé qu’après les attentats de janvier 2015, dans la série des onze mesures présentées par Najat VALLAUD-BELKACEM, il y a une mesure qui dit (c’est la proposition numéro trois) : « Créer un nouveau parcours éducatif de l’école élémentaire à la terminale, le parcours citoyen ». Et dans son intervention à l’Assemblée, elle a parlé des conseils d’enfants à l’école et je me suis dit « Tiens donc ! ». Et effectivement le soutien à la participation des enfants et des jeunes ressurgit chaque fois qu’il se passe, à un moment donné, quelque chose de grave dans notre pays.
56Je crois donc à la fois que cette politique par à-coups a des effets négatifs, y compris auprès des jeunes qui participent parce qu’ils perçoivent très bien qu’on s’intéresse à eux quand il y a un problème, à un moment donné et quelque part, ou même quand ils participent, ils rencontrent souvent un assez grand nombre d’obstacles. Et je crois qu’il y a une vraie difficulté des pouvoirs publics à faire vivre les mesures qu’ils mettent en place dans la durée, à valoriser les pratiques et les effets de ces mesures, à avoir une relation régulière avec les jeunes et à entretenir sur la durée un climat favorable à la participation des jeunes.
Notes de bas de page
50 DJEPVA : direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative.
51 DDJS : directions départementales de la Jeunesse et des Sports.
52 CEPJ : conseiller d’éducation populaire et de jeunesse.
53 9MF = 1371 600€ – 18 MF : 2, 743 200 € (environ) – 27MF = 4 114 800€ (environ)
54 Les élections européennes se tiendront les 9 et 12 juin (note de la relectrice), les cantonales avaient eu lieu les 20 et 27 mais 1994.
55 Rue Cabanis : où se trouve le FIAP (foyer international d’accueil de Paris) fondé par Paul Delouvrier qui connut une grande effervescence en 1968.
56 GAM : groupe d’action municipale. Le premier GAM à voir le jour est celui de Grenoble en 1963.
57 Georges Vanderchmitt a été directeur de la Jeunesse et de la vie associative du 24 juillet 1986 au 1er février 1990.
58 FONJEP : Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire.
59 Manifestation à Paris pour défendre l’École publique organisée par le CNAL contre la loi Bourg Broc qui levait toute limitation au financement public des investissements dans les écoles privées.
60 78 rue Olivier de Serres : adresse du ministère de la Jeunesse et des Sports à cette époque.
61 Annexe de Matignon.
Auteurs
Membre du cabinet de la ministre de la Jeunesse et des sports impliqué dans la consultation de 1994
Les associations membres s’estimaient alors mises en cause par la logique de la consultation
Président du CNAJEP (Comité National des Associations de Jeunesse et d’Education Populaire)
Directrice de l’ANACEJ (Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes) de 1991 à 2001
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