… « “sans cause extérieure apparente, ni affluents, ni glaciers, ni orages” »… La construction de l’hétérophonie dans les versets de Rituel*
p. 217-254
Texte intégral
1Les développements par « interruptions alternatives1 » qui caractérisent la première phase de Rituel. In memoriam Bruno Maderna2 (I-XIV) – au sein de laquelle sont distribuées de manière antiphonique ‘séquences’ ‘hétérophoniques’ et ‘homophoniques’ (‘Sorte de versets [Modéré] et répons [Très Lent] pour une cérémonie imaginaire3’) – et leur longue dissolution dans la ‘Coda4’ finale (XV) – jusqu’à l’« absorption du son par le silence5 » – obéissent, les premiers, à un principe d’accumulation (de 1 à 7) auquel se combine un ordre d’agencement interne (< 1 3 4 2 6 7 5 >, dorénavant Θ), la seconde à un principe inverse de réduction (de 7 à 1)6. L’accumulation de 1 à 7 se marque par l’augmentation régulière du nombre des figures – ([note-« anacrouse »] [note-« accent »] [note ou groupe-« désinence »] dans les répons7) ([note ou groupe-anacrouse] [note-accent] dans les versets) –, à la fois dans les séquences impaires – dont les figures/sections sont désignées dans la partition par les lettres majuscules de A à G – et dans chacune des sept sections constitutives (a à g ) des séquences paires, alors que la série numérique qui régit Θ se manifeste par la variation de densité de l’effectif instrumental utilisé dans chaque verset et superposé ensuite à l’octuor de cuivres dans les répons ([hautbois] [hautbois, 2 clarinettes en si bémol, 3 flûtes] [hautbois, 2 clarinettes, 3 flûtes, 4 violons] [hautbois, 2 clarinettes] etc.). La réduction de 7 à 1 se marque, quant à elle, par la diminution linéaire du nombre des sections (7 à 1) et des groupes instrumentaux au sein des sept parties (A à G) de la dernière séquence.
2Bien que les répons et la Coda méritent des commentaires qui aillent au-delà de ceux qu’offrit « en pionnier » Michael Beiche8 (le principe de « réduction progressive » auquel est soumis, au fil des répons, l’accord inaugural de sept notes a, au demeurant, été éclairé dans un article fondateur quatre ans plus tard9), c’est ici aux seules séquences paires que l’on va s’intéresser – et tout spécialement à la séquence VI, qui nous servira d’exemple –, avec pour objectif – en partant du repérage des structures fondamentales de l’hétérophonie telles que les montre la partition imprimée (§ 1), et en s’efforçant, ensuite, de reconstituer grâce aux esquisses les étapes de la production et de l’organisation de ces mêmes structures (§ 2) – d’aboutir à une proposition d’analyse du résultat musical (§ 3).
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3§ 1.1. Tous les versets de Rituel (qui seront désignés à partir d’ici par le chiffre romain correspondant, précédé du sigle séq) combinent, hormis le premier, différentes ‘organisations10’, dont l’une, confiée au groupe instrumental (gr) le plus nombreux, constitue dans chaque cas l’‘antécédent’ (§ 1.2.1) de l’‘hétérophonie11’, celle-ci résultant de la ‘superposition’ audit antécédent d’un nombre donné de ‘structures parallèles’ (variant de 1 à 6), jouées par les autres groupes de la séquence (§ 1.2.2)12. Les instruments d’un même groupe – traités comme une sorte d’‘hyper-instrument13’ – pouvant jouer à l’unisson ou constituer autant de parties distinctes, la densité (de 0 à 7) des ‘mutations14’ au sein d’une même organisation est tantôt fixe – selon des intervalles généralement variables, mais qui peuvent également être constants –, tantôt mobile par augmentation ou réduction progressive des éléments d’un « accord ». Dans chacune des différentes organisations, les mutations résultent de la ‘transformation directe’ ‘sous le rapport de la densité15’, d’une ‘structure monodique16’ (Sm suivi du chiffre arabe noté dans la partition au début de chaque groupe) confiée à un instrument ou répartie (successivement) entre plusieurs instruments du groupe – par exemple, dans le cas des antécédents : (séq IV : gr III [flûte 3]) (séq VI : gr IV [violon 4]) (séq VIII : gr II [clarinette 2 en si bémol]) (séq X : gr VI [violon 6]) (séq XII : gr VII [clarinette piccolo en mi bémol, flûte en sol, hautbois 3, cor anglais]) (séq XIV : gr V [clarinette 3 en si bémol, hautbois 2]). Aux différents groupes – c’est-à-dire aux différentes ‘organisations’ – d’une même séquence est affectée une ‘enveloppe dynamique générale17’, selon le schéma symétrique suivant : séq II p, séq IV f, séq VI mf, séq VIII ff, séq X mp, séq XII f, séq XIV p. Boulez énonce en ces termes, dans les instructions relatives à l’exécution des séquences paires, la règle régissant la disposition des différents groupes entre eux en fonction de leur longueur respective (le ‘groupe le plus long’ constituant toujours l’antécédent) :
Elles [les séquences paires] ne sont pas synchronisées. Le chef d’orchestre donne le départ à chacun des groupes. Ils sont numérotés en ordre décroissant, du plus long (1) au plus court (2 à 7). La différence approximative entre leur durée est indiquée en nombre de croches. Le départ du premier groupe étant donné, le départ des autres groupes devra avoir lieu à l’intérieur de la durée ainsi indiquée. Néanmoins, on n’est pas obligé de suivre cet ordre pour donner les entrées. Le groupe le plus long devra toujours commencer le premier, mais les autres groupes seront disposés dans un ordre choisi par le chef d’orchestre, selon la forme qu’il voudra donner à la séquence : groupes commençant l’un après l’autre, terminant ensemble ; groupes commençant ensemble, terminant l’un après l’autre ; et tous les stades intermédiaires entre ces solutions extrêmes18.
4À chaque groupe est par ailleurs associé un instrument de percussion spécifique, dont le rôle est à la fois de « monnayer » en valeurs égales (la croche dans la première édition, la noire dans la seconde) les durées des notes tenues, et de signaler la fin de chaque structure par un nombre déterminé de coups (de 1 à 7) dont le dernier est joué sf19.
5§ 1.2.1. Il revient à l’antécédent de faire entendre, au sein des différents versets, le nombre maximal de figures par section – (séq II : 1 figure) (séq IV : 2 figures) etc., jusqu’à (séq XIV : 7 figures) –, nombre qui, hormis un cas d’espèce que nous examinerons ultérieurement (§ 2.3.2), reste constant. À l’intérieur de chaque figure, la structure monodique de départ (dans la suite du texte Sm 1) présente elle-même une sélection d’éléments, voire l’ensemble des éléments issus de l’une des sept transpositions (sur mi♭4, fa♮4, do♮4, si♮3, fa♯4, do♯4 et sol♮4, si l’on considère la note la plus grave) d’un unique ‘champ harmonique20’ de sept notes (δ suivi du nom de la note la plus grave : [ séq II : δmi♭4] [séqIV : δmi♭4 δfa♮4] [séqVI : δmi♭4 δfa♮4 δdo♮4] [séqVIII : δmi♭4 δfa♮4 δdo♮4 δsi♮3] etc.) compris dans l’ambitus d’une douzième, et réparti comme suit : (de bas en haut, en nombre de demi-tons) 4 1 1 5 2 6, ces sept transpositions étant appelées à s’accumuler progressivement au fil des séquences21. Dans chaque cas, l’une des notes du groupe-anacrouse (ou la note-anacrouse, si elle est seule) forme avec la note tenue l’une des sept cellules-mères, déployées dès le premier verset par le hautbois – ‘sans respirer jusqu’à la fin de la phrase’ < mi♭4-SOL♮4 > < mi♮5-SI♭5 > < la♮4-RÉ♮5 > < si♭5-LA♮4 > < ré♮5-MI♭4 > < ré♮5-LA♭4 > < sol♮4-MI♮5 > – et que fait réentendre dans le dernier répons, augmentées de groupes-désinences, la première trompette (doublée par d’autres instruments) selon l’ordre de leur accumulation au fil des séquences impaires22. Les notes tenues des différentes sections de chaque verset sont inscrites à l’intérieur d’un ‘champ de durée23’ déterminé, dont l’étendue est égale à la somme de leurs valeurs rythmiques (dans la suite du texte φ).
6§ 1.2.2. Les organisations qui se superposent à l’antécédent font entendre, quant à elles, un nombre réduit de figures, correspondant à une sélection opérée par la monodie originaire de chacune d’entre elles (Sm2, Sm3, Sm4, etc.) parmi les transpositions de δ dans lesquelles s’inscrivent les figures de la Sm124. Cette sélection est fixe : les transpositions propres à chaque structure, ainsi que leur nombre – auquel correspond le nombre de croches joué in fine par l’instrument de percussion associé au groupe concerné –, demeurent identiques dans les sept sections. Pour une transposition donnée de δ, la succession des cellules-mères constitutives des figures des différentes monodies originaires reste invariable, le nombre des petites notes au sein des anacrouses variant, lui, systématiquement. À l’intérieur d’une même section, le champ harmonique résultant de l’ensemble des sélections opérées par Sm2, Sm3, Sm4, etc. parmi les notes des transpositions de δ qu’elles retiennent ne diffère que peu de celui de la Sm1, alors que le champ de durée φ de cette dernière, qu’il soit réduit ou qu’il demeure identique, y est, dans chaque cas, réarticulé. On a ici l’illustration même de la définition donnée par Boulez de l’hétérophonie dans Penser la musique aujourd’hui :
Je définirai, de manière générale, l’hétérophonie comme la superposition à une structure première, de la même structure changée d’aspect25.
7Et plus loin :
J’ajouterai, avant d’entrer dans le détail, que j’entends précisément par hétérophonie : une répartition structurelle de hauteurs identiques, différenciée par des coordonnées temporelles divergentes […]26.
8§ 1.3. Les différentes structures monodiques d’une même séquence font l’objet de ‘multiplications verticales27’ d’où résultent, on l’a vu, des rubans mélodiques d’épaisseur variable. Dans les séquences II à VIII, le choix des intervalles de mutation se fait en fonction de la structure de l’inversion du champ harmonique δ (telle que la présentent les deux accords – anacrouse et désinence puis anacrouse et accent – entendus au début de chacun des répons), dont les composantes vont s’accumuler au fil des versets : + 2de M, + 5te dim/+ 4te aug, - 4te, - 5te ; à partir de la dixième séquence, il devient nécessaire, pour saisir la logique de l’épaississement de la texture, de procéder à la ‘« réduction » à la valeur absolue28’ des hauteurs de l’inversion de δ, et finalement (séq XII : gr VII), de δ lui-même.
9§ 1.4. Dans chaque section de l’antécédent du troisième verset (séq VIa-g) [exemple 1], les quatre violons font entendre trois figures dont le champ de durée ϕ est, respectivement, de 7 (séq VIa) 9 (séq VIb) 4 (séq VIc) 10 (séq VId) 6 (séq VIe) 7 (séq VIf) et 8 (séq VIg) croches. Les hauteurs jouées par le violon 4 (Sm1) appartiennent respectivement aux transpositions δmi♭4, δfa♮4 et δdo♮4, qui apparaissent ici dans l’ordre de leur introduction progressive au sein des versets, seule la section f faisant exception (δfa♮4 δmi♭4 δdo♮4). Dans la plupart des cas, la hauteur qui, au sein des groupes de petites notes – dont le nombre est dépendant de la transposition de δ à laquelle elles se rapportent : (δmi♭4 : 5) (δfa♮4 : 3) (δdo♮4 : 1) –, a le statut de note-anacrouse structurelle (à savoir celle qui, liée à la note-accent, forme la cellule-mère), est entendue en première ou en dernière position. Le hautbois (Sm2) et la flûte 3 (Sm3) d’une part, la clarinette 2 (Sm4) d’autre part, sélectionnent respectivement deux et une des transpositions auxquelles se rapportent les figures du violon 4 : en l’occurrence ([Sm2] δmi♭4 δfa♮4) ([Sm3] δmi♭4 δdo♮4 – retransposé ici sur mi♭29) ([Sm4] δmi♭4) ; le champ de durée φ du modèle – à l’exception de φ7 (séq VII), réduit de deux unités par les gr II et III – est, ce faisant, réparti sur les deux notes tenues (gr I et gr III), ou entièrement occupé par l’unique note tenue (gr II).
10La transformation ‘homophonique’ des monodies originaires au sein des groupes de la séq VI est obtenue par différentes combinaisons des trois premiers intervalles de mutation indiqués plus haut : + 2de M + 5te dim/+ 4te aug - 4te. Dans le gr II, la clarinette 1 transpose la partie de la clarinette 2 (Sm4) à la seconde majeure supérieure. À l’intérieur de chaque section du gr III, les flûtes 2 et 1 doublent la flûte 3 (Sm3), d’abord à la seconde majeure – ou à l’unisson + seconde majeure – (première figure), puis à la seconde majeure et au triton supérieur (seconde figure). Quant au gr IV, il se déploie progressivement, dans chaque section, de l’unisson (première figure) à un complexe de quatre sons (troisième figure), démultipliant la monodie de l’antécédent (Sm1) selon les trois intervalles considérés ; le complexe de trois sons intermédiaire résulte, dans chaque cas, d’une combinaison possible des mêmes intervalles : + 2de M et + 5te dim/+ 4te aug dans les sections a et e ; + 2de M et-4te dans les sections b, d et f ; + 5te dim/+ 4te aug et - 4te dans les sections c et g.
11La réduction analytique de la séq VI [exemple 2] montre les monodies originaires de l’antécédent et des trois structures parallèles (Sm2 Sm3 Sm4) sous la forme de quatre successions de sept champs harmoniques (de a à g). Chacun d’eux présente l’ensemble des hauteurs que sélectionnent, au sein des transpositions de δ combinées dans la monodie, les différentes figures de la section correspondante. Les notes qui composent ces figures, de même que celles des trois cellules-mères notées sur la portée inférieure, ont été reliées par une ligne continue, un trait discontinu et une succession de points, selon qu’elles se rapportent à δmi♭4, δfa♮4, et δdo♮4 ; les têtes blanches indiquent, par ailleurs, les notes tenues, dont un chiffre précise la durée en nombre de croches. Sont signalées au moyen d’une petite tête noire, au sein du champ harmonique de l’antécédent, les notes des structures parallèles qui – du fait des sélections opérées – restent absentes de ce dernier. Enfin, les hauteurs qui, à la faveur d’une combinaison de transpositions donnée, se présentent deux fois dans un même champ harmonique ont été, soit encerclées lorsque ces deux occurrences se produisent dans des registres différents, soit pourvues d’une double hampe – à la rencontre des deux figures – dans le cas contraire.
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La description peut même devenir un élément thématique si elle applique, par exemple, le même modèle de courbe à tous les objets utilisés. On le voit aisément, il ne s’agit pas seulement d’une manipulation superficielle quoique sophistiquée, mais d’un concept qui peut, en effet, se borner à être purement décoratif, qui peut, aussi bien, orienter et même organiser les processus de composition30.
12§ 2.1. Diverses sources conservées à la Fondation Paul Sacher dans le dossier de la Collection Pierre Boulez concernant Rituel31 permettent de reconstituer les étapes du processus d’élaboration des structures monodiques de l’hétérophonie : cinq feuilles d’esquisses32 – dont nous reproduisons ici les quatre premières [fac-similés 1-4] –, suivies d’un manuscrit de six pages (« Entwurf33 ») où est ébauché – à partir du milieu de la première page [fac-similé 5] – le texte de sept séquences hétérophoniques (de a à g), originellement destinées à un effectif de sept instruments (hautbois, clarinette, harpe, piano, cymbalum, violon, flûte). Le texte des parties instrumentales constituant chacune de ces séquences n’est autre, à quelques variantes près34, que celui des monodies originaires des différents groupes combinés au sein des sept versets de Rituel (séq II à séq XIV), avant que le compositeur procède à leur ‘multiplication verticale’. Ces différentes parties instrumentales sont disposées dans l’ordre même où le seront les groupes de la partition pour orchestre, dont l’effectif est déjà indiqué au crayon dans la marge (à gauche du nom des instruments de la formation originelle35) – l’instrument qui dans chaque cas joue l’antécédent (et dont le nom est encadré par le compositeur) venant toujours en dernier :
13a : (Htb) = séq II :[ gr I (hautbois)] ;
14b : (Htb) (Clar) (Hpe) = séq IV :[ gr I (hautbois)] [ gr II (clarinette 2)] [ gr III (flûte 3)] ;
15c : (Htb) (Clar) (Hpe) (Pno) = séq VI :[ gr I (hautbois)] [ gr II (clarinette 2)] [ gr III (flûte)] [ gr IV (violon 4)] ;
16d : (Htb) (Clar) = séq VIII :[ gr I (hautbois)] [ gr II (clarinette 2)] ; etc.36.
17Les points d’orgue placés au début et à la fin de chacune des sept séquences montrent qu’elles étaient destinées à être interpolées entre les ‘(Sept) interjections’ – conçues pour la même formation de chambre – qui figurent en haut de la première page (à gauche), ce que confirme la présence des lettres a à g portées au-dessus des points d’orgue séparant ces dernières37. L’alternance entre ces répons et ces versets « avant la lettre38 » réalisait, selon toute vraisemblance, l’idée première de l’une des sept ‘séquences’ d’un vaste projet intitulé ‘Plan pour Mémoriale’, en l’occurrence la ‘2e séquence’ (désignée ici comme telle en haut de la page à gauche), qui devait se caractériser ainsi : ‘Très calme. Longue mélodie collective/hétérophonies avec mélismes et interruptions résonantes39’.
18§ 2.2. (Des complexes de formes sérielles…). Les quatre premières feuilles d’esquisses marquent les étapes de la production de sept complexes de formes sérielles, que le compositeur désignera par le nom de ‘séquences’. Chaque complexe (de a à g) consiste en une sélection – selon une progression de 1 à7 – de différentes formes de valeurs rythmiques (§ 2.2.4) et de cellules-mères – d’abord inscrites dans δmi♭4 (§ 2.2.5) puis transposées (§ 2.2.6) –, formes obtenues à partir des sept transpositions d’une série numérique originaire < 1 3 5 4 7 6 2 > (§ 2.2.1), modifiées (§ 2.2.2) et agencées selon Θ (§ 2.2.3). Les chiffres de cette série originaire renvoient aux sept ‘notes encadrées’ du ‘texte à faire proliférer’ d’… explosante-fixe…, dans l’ordre ‘Originel’+ ‘Transitoires’ III-V-IV-VII-VI-II40, cet ordre se reflétant dans la série des sept ‘interjections’ jouées par le hautbois :
1 = Originel | MI♭4 | mi♭4 | |
3 = Transitoire III | sol♮4 | MI♮5 | sol♮4-mi♮5-mi♭4 |
5 = Transitoire V | si♭5 | LA♮4 | sol♮4-mi♭4-la♮4-mi♮5-si♭5 |
4 = Transitoire IV | mi♮5 | SI♭5 | sol♮4-mi♮5-mi♭4-si♭5 |
7 = Transitoire VII | ré♮5 | LA♭4 | mi♮5-si♭5-la♮44-ré♮5-la♭4-mi♭4-sol♮4 |
6 = Transitoire VI | la♮4 | RÉ♮4 | si♭5-mi♮5-la♮4-mi♭4-ré♮5-sol♮4 |
2 = Transitoire II | mi♭4 | SOL♮4 | mi♭4-sol♮441. |
19§ 2.2.1. La grille située en haut à gauche de la première page d’esquisses (fac-similé 1) transpose sur elle-même la série numérique ‘I’ (les différentes transpositions seront désignées à partir d’ici par I, II, III, etc. selon l’ordre de cette grille). Chacune des sept transpositions n’est donc qu’une présentation différente des mêmes sept figures (anacrouse-accent-désinence) issues d’… explosante-fixe…, dont ne seront retenues, au cours de l’élaboration des « séquences hétérophoniques », que l’anacrouse et la note-accent, qui vont constituer les sept cellules-mères exposées par le hautbois – selon l’ordre de VII – dans la séquence a de l’Entwurf, qui deviendra le premier verset de Rituel. La symétrie interne qui régit ici la structure de la série <+ 2 + 2-1 + 3-1 + 3 [-1]> – et qui devient apparente dès que l’on déplace le premier intervalle pour en faire le dernier terme de la série – a pour effet qu’une diagonale se forme dans la grille par la simple transposition de cette série sur elle-même : l’inversion d’une forme droite donnée, partant de x (par exemple III < 5 7 2 1 4 3 6 >, où x = 5), se confond en effet avec le rétrograde de la forme x + 3 (si x = 5 : transposition I) partant de sa troisième valeur (< 5 3 1 2 6 7 4 >), d’où il résulte que l’on obtient une diagonale de 5, c’est-à-dire de cellules < si♭5-LA♮4 >, dont la note-accent n’est autre que le triton du mi♭4 initial.
20§ 2.2.2. Dans le schéma porté au centre de la page, la grille de départ (§ 2.2.1) est lue de bas en haut (VII à I), et les chiffres des différentes transpositions, indiquant à présent des valeurs rythmiques structurelles, sont progressivement augmentés d’une unité à partir de la deuxième (VI), d’où résulte une augmentation régulière des durées propres à la diagonale des cellules < si♭5-LA♮4 > : 5 6 7 8 9 10 11, et, plus généralement, du champ de durée global propre à chaque transposition : 28 35 42 49 56 63 70. À droite de cette nouvelle grille est, par ailleurs, dressée la liste des instruments destinés, à ce stade de la conception de l’œuvre, à matérialiser, en s’accumulant au fil des transpositions, l’‘hétérophonie’ formée par la superposition des structures parallèles et de l’antécédent : (VII : Htb) (VI : Htb Clar) (V : Htb Clar Hpe) (IV : Htb Clar Hpe Pno) (III : Htb Clar Hpe Pno Cymb) (II : Htb Clar Hpe Pno Cymb Vln) (I : Htb Clar Hpe Pno Cymb Vln Fl).
21§ 2.2.3. La succession de lettres (de a à g) qui apparaît dans l’esquisse notée au bas de la page sous-entend celle des ‘séquences’, telles qu’elles seront élaborées à partir de l’esquisse suivante (§ 2.2.4), et dans lesquelles les transpositions constitutives de chaque ‘séquence’ vont s’accumuler suivant l’ordre VII-V-IV-VI-II-I-III ; à chacune des transpositions est par ailleurs affecté, de manière distinctive, un nombre précis de notes d’anacrouse, selon la série même de chiffres qui constituait I (§ 2.2.1). L’ordre de succession des sept transpositions – obtenu par l’application de Θ – a pour effet de gauchir la linéarité de la progression qui se dégage du schéma précédent (§ 2.2.2), en ce qui concerne aussi bien l’augmentation des durées structurelles que celle de l’effectif instrumental (de un à sept instruments). La variation s’effectue ainsi, à présent, selon le schéma <+ 2 + 1-2 + 4 + 1-2 >, dans lequel les deux figures isomorphes <+ 1-2 > sont séparées par un intervalle double de l’intervalle de départ – ce qui donne, pour les valeurs des cellules < si♭5-LA♮4 >, la succession 5 7 8 6 10 11 9, et pour les champs de durée la succession 28 42 49 35 63 70 56. Dans le cas de l’effectif instrumental, la série Θ se traduit directement dans le nombre d’instruments propre à chaque séquence : 1 3 4 2 6 7 5. De la même façon, la succession de nombres propre à la série originaire < 1 3 5 4 7 6 2 > va se marquer concrètement dans le profil des figures s’accumulant au fil des séquences :
22a : [VII (1)] pour Htb ;
23b : [VII (1)] [V (3)] pour Htb Clar Hpe ;
24c : [VII (1)] [V (3)] [IV (5)] pour Htb Clar Hpe Pno ;
25d : [VII (1)] [V (3)] [IV (5)] [VI (4)] pour Htb Clar ; etc.
26§ 2.2.4. Une nouvelle opération est effectuée systématiquement sur les différentes transpositions (§ 2.2.2) à mesure qu’elles s’accumulent (§ 2.2.3) d’une séquence à l’autre (fac-similé 2). Les valeurs constitutives de ces dernières (à l’exception du 1) sont diminuées d’une unité, comme le signale l’indication ‘diminution d’1 chaque fois’ portée à droite de VII dans la séquence b, d’où il résulte que la différenciation qui touche les valeurs rythmiques structurelles au sein de chaque séquence, et, du même coup, les champs de durée des différentes transpositions, ne cesse de s’accentuer jusqu’à la séquence g – où l’on aboutit à l’écart le plus grand entre I < 6 8 10 9 12 11 7 > et VII < 1 1 1 1 1 1 1 >, et, pour les champs de durée des transpositions, à l’échelle 7 13 22 17 49 63 5642. L’essentiel, toutefois, est ici que l’on obtienne au sein de chaque séquence, pour les durées structurelles des cellules < si♭5-LA♮4 >, une échelle dans laquelle l’intervalle séparant les valeurs successives cesse d’être constant [tableau 1], comme il l’était au départ (diagonale des 5 = intervalle 0) (§ 2.2.1), mais également au sein de la progression arithmétique résultant de la première opération (intervalle = + 1) (§ 2.2.2), et comme il l’aurait été si l’on avait effectué la nouvelle opération sur les formes accumulées, non pas selon Θ (§ 2.2.3), mais selon l’ordre de VII à I (intervalle : + 2).
27L’alignement des valeurs à l’intérieur de chaque séquence, tel que le montre le tableau 1, est réalisé par Boulez, dans l’esquisse même, au moyen d’une permutation circulaire régie par la série Θ – celle-là même qui avait déterminé l’ordre de succession des transpositions. La logique qui préside au déplacement des chiffres (marqué par le signe ∫) au sein des différentes lignes à permuter – qui, dans l’esquisse, apparaissent entre parenthèses et biffées – découle directement de la structure de Θ <+ 2 + 1-2 + 4 + 1-2 > : dans le cas de VII, par exemple, les chiffres sont tour à tour déplacés, à partir de l’ordre de succession initial (séquence a), de 2 positions (b : rotation + 2), de 3 positions (c : + 2 + 1), de 1 position (d : + 2 + 1-2), de 5 positions (e : + 2 + 1-2 + 4), etc.43. L’effet de cette permutation est de verticaliser la diagonale des cellules < si♭5-LA♮4 > présente dans la grille initiale [§ 2.2.1], le chiffre correspondant à cette cellule dans les transpositions reprises au fil des séquences (par exemple, pour VII, de a à g : < 5 4 3 2 1 1 1 >) s’alignant, chaque fois, sur celui de la transposition nouvellement introduite : [V : (5 + 2 =) 7] [IV : (5 + 3 =) 8] [VI : (5 + 1 =) 6], etc.
28§ 2.2.5. Les formes de cellules structurelles que montre l’esquisse suivante (fac-similé 3) ne sont autres que la traduction sonore des ‘formes numériques’ résultant des opérations qui viennent d’être décrites (§ 2.2.4), dont les chiffres sont maintenant convertis en multiples de doubles croches. Les valeurs rythmiques ainsi obtenues sont affectées aux notes tenues des différentes cellules (§ 2.2.1). Le tableau 2 présente une retranscription des sept formes de cellules structurelles de la séquence g : on y voit apparaître les formes numériques originaires des sept transpositions de I (§ 2.2.1) accumulées dans cette séquence, ainsi qu’une récapitulation des permutations circulaires appliquées aux mêmes transpositions dans les autres séquences (dans la séquence c, par exemple : (VII : < 2 4 6 5∫1 7 3 > = < 1 7 3 2 4 6 5 >) (V : < 7 2 4 6 3 5∫1 > = < 1 7 2 4 6 3 5 >) (IV : < 4 6 1 7 3 2 5 >)44.
29§ 2.2.6. À partir de là est ensuite effectuée une opération qui marque une étape décisive dans la détermination des complexes de sons propres à chaque séquence. Les formes de cellules structurelles constitutives des séquences a à g sont en effet, dans une nouvelle esquisse (fac-similé 4), transposées par l’application d’une série de sept facteurs, qui sont notés (encerclés) à droite de chacune d’elles : (mi♭4) (fa♮4) (do♮4) (si♮3) (fa♯4) (do♯4) (sol♮4). Chaque forme qui apparaît pour la première fois dans la succession des séquences garde sa « transposition » initiale (celle du champ harmonique δmi♭4 = transposition 0) ; lors de ses apparitions ultérieures, elle est ensuite transposée : une seconde majeure plus haut, une tierce mineure plus bas, etc., si bien que dans la première colonne de la séquence g, là où se trouvaient alignés les < si♭5-LA♮4 > (= 5), apparaît maintenant – elle-même transposée au triton – la série des sept facteurs de transposition. Cette série est obtenue à partir des trois dyades symétriques autour de [mi♭/la♮] absentes de δmi♭4, et la symétrie se marque directement dans le choix des hauteurs réelles ([mi♭4] [fa♮4-do♯4] [fa♯4-do♮4] [sol♮4-si♮3]45). À chacune des transpositions est, par ailleurs, associé un nombre précis de petites notes (indiqué en marge, à gauche de chaque forme), conformément au schéma noté au bas de la première page d’esquisses (§ 2.2.3) ; ce nombre déterminera l’extension des groupes-anacrouses contenus dans les différentes figures des ‘antécédents’ (une petite note pour les figures issues de VII, trois pour les figures issues de V, cinq pour les figures issues de IV, etc.).
30§ 2.3. (… aux structures monodiques ‘non synchrones46’ : dispositif/…) L’engendrement des complexes de formes de cellules structurelles – désignés, dans la dernière esquisse, par le terme de ‘séquences transposées’ – marque le terme de la phase de production du matériau (§ 2.2.6). Le compositeur en vient, à partir de là, à l’élaboration des sept « séquences hétérophoniques » – désignées, une nouvelle fois, par les lettres a à g – contenues dans l’Entwurf (le fac-similé 5 montre les quatre premières de ces « séquences », notées sur la première page du manuscrit47). L’ensemble des formes sérielles combinées dans chaque complexe lui fournit la matière des différents antécédents, tandis qu’il opère, pour obtenir les structures parallèles, une sélection de ces mêmes formes – indiquée dans l’Entwurf par les chiffres romains inscrits en marge (à gauche du nom de l’instrument), – sélection pouvant se réduire à la seule forme nouvellement apparue, dont la présence est pour ainsi dire « obligée » [tableau 3]. Une lecture verticale des complexes livre alors au compositeur, pour chacun d’entre eux, sept colonnes de cellules structurelles en fonction desquelles vont être agencées les sept unités constitutives (figures ou ensembles de figures délimitées par un signe de liaison) des différentes ‘organisations’ (antécédents et structures parallèles) combinées au sein des séquences.
31§ 2.3.1. Chacune des sept colonnes des sept ‘séquences transposées’ présente une série de valeurs rythmiques structurelles dont la hiérarchie va permettre de déterminer – à la fois pour l’antécédent et pour les structures parallèles de la ‘séquence hétérophonique’ correspondante – : 1) l’étendue des champs de durée φ des sept unités mélodiques, 2) la répartition de ces champs de durée entre les notes tenues desdites unités, et du même coup 3) l’ordre de succession (horizontal) des cellules génératrices des différentes figures, impliquant lui-même un certain agencement des transpositions du champ harmonique δ dans lesquelles ils vont s’inscrire. Dans chaque unité de Sm1 Sm2 etc., la succession des figures et la durée respective des notes tenues sont en effet établies, l’une, par la durée décroissante des valeurs rythmiques affectées aux différentes cellules structurelles, l’autre par l’opération consistant à soustraire de la durée structurelle la plus longue – déterminant l’étendue du champ de durée φ de l’unité – celle de la valeur suivante, et ainsi de suite48. Le nombre de notes-anacrouses est, dans le cas des figures des antécédents, celui qui a été affecté dès la première esquisse (§ 2.2.3) aux sept formes de cellules structurelles : (VII [1]) (V [3]) (IV [5]) (VI [4]) etc. ; dans le cas des figures des structures parallèles, il est choisi plus librement parmi ceux qui sont associés aux formes combinées dans la ‘séquence transposée’ concernée, l’important étant que le nombre total de petites notes soit toujours plus élevé dans l’antécédent – dont la durée globale doit rester la plus longue – que dans les structures parallèles. (La lecture verticale des colonnes, notons-le, marque un changement de perspective par rapport à l’étape précédente [§ 2.2.2-§ 2.2.4], où étaient considérés les champs de durée des formes sérielles déployées horizontalement : la durée globale de chaque ‘organisation’ est finalement donnée par la somme des champs φ de ses sept unités constitutives augmentée des petites notes.) Dans tous les cas, les groupes-anacrouses vont être obtenus par l’adjonction, à la note-anacrouse structurelle, d’une sélection complémentaire de notes de δ appartenant à la transposition à laquelle se rapporte la cellule-mère elle-même.
32§ 2.3.2. Considérons la séquence c (= Rituel : séq VI) – obtenue à partir de la troisième des ‘séquences transposées’ –, où le piano [Sm1 : gr IV (violon 4)] joue les figures obtenues à partir des cellules des trois formes IV (δmi♭4 [5]), V (δfa♮4 [3]) et VII (δdo♮4 [1]) – IV étant la nouvelle transposition de la séquence –, tandis que le hautbois (Sm2 : gr I [hautbois]), la harpe (Sm 3 : gr III [flûte 3]) et la clarinette (Sm4 : gr II [clarinette 2]) se limitent, respectivement, aux cellules de IV-V, IV-VII, et IV : dans l’avant-dernière unité (= Rituel, séq VIf), par exemple, les unités jouées par le piano et le hautbois d’une part, la harpe et la clarinette d’autre part, articulent, dans chaque cas, la durée structurelle la plus longue de celles que possèdent les cellules sélectionnées – respectivement sept (Sm1 Sm2), données par la cellule de V, et cinq (Sm3 Sm4), données par la cellule de IV – de la manière suivante :
33Pno (< si♮4-MI♮5 > ∈ δfa ♮4 : ♪) (< mi♭4-SOL♮4 > ∈ δmi♭4 : ♪) (< fa♯4-SI♮4 > ∈ δdo♮4 : ♩), résultant de l’ordre V-IV-VII : (7-5 = ♪) (5-4 =♪) (♩) ;
34Htb (< si♮4-MI♮5 > ∈ δfa♮4 : ± ♩ = ) (< mi♭4-SOL♮4 ∈ δmi♭4 : ♪), résultant de IV-V : (7-5 = ƒ) () dans l’ordre inverse ;
35Hpe (< mi♭4-SOL♮4 > ∈ δmi♭4 : ) (< fa♯4-SI♮4 > ∈ δdo♮4 : ♩) (retransposé [< la♮4-RÉ♮5 > ∈ δmi♭4]), résultant de l’ordre IV-VII : (5 -4 = ) (♩) ;
36Clar (< mi♭4-SOL♮4 > ∈δmi♭4 : ), résultant de IV : (). (Il arrive parfois que les valeurs structurelles de deux, voire trois notes-accents soient identiques – c’est le cas, par exemple, à l’intérieur des quatrième, sixième et septième colonnes de la séquence d [voir le fac-similé 4] –, et que le résultat de la soustraction soit alors 0. Le compositeur, dans ce cas, fusionne les deux – ou les trois – cellules en une seule, les notes-accents étant trillées. Par ailleurs, l’ordre de succession des valeurs rythmiques auquel on arrive par les opérations décrites ici est, à maintes reprises, permuté, de manière à différencier la répartition des mêmes hauteurs – dont la succession demeure, quant à elle, inchangée – à l’intérieur d’un champ de durée donné φ49.)
37Le tableau 4 montre le dispositif général de la séquence c (= Rituel, séq VI).
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38§ 3.1. Commence alors, une fois mis en place le dispositif qui vient d’être décrit, le travail d’écriture proprement dit : la formulation musicale des unités mélodiques constitutives des parties instrumentales combinées au sein de chaque séquence. Pour en saisir le principe, il est nécessaire de sonder la structure interne du champ harmonique δ et d’en mesurer les incidences sur le résultat sonore.
39§ 3.1.1. Six des sept notes de la « collection de classes de hauteurs » (Δ) à laquelle peut se réduire le champ harmonique δ – établi sur n’importe quel degré de la gamme chromatique – forment une succession (x) de trois tritons à distance de demi-ton, d’où il résulte que pour toute forme x il existe une transposition (au triton) – et, la structure étant symétrique50, deux inversions (en relation de triton) – composée (s) des mêmes notes. La septième note, quant à elle, complète Δ ou T6IΔ (et, symétriquement, IΔ ou T6Δ)51 selon qu’elle appartient au triton qui précède ou qui suit x à l’intérieur de ce que George Perle décrit comme un « twelve-tone trope » (engendré par deux transpositions successives à la seconde majeure du tétracorde [0,5/6,11])52, c’est-à-dire selon qu’elle se rattache à l’un ou à l’autre des deux segments continus du cycle des quintes contenus dans (x) [exemple 3a]53. Une fois Δ inscrit au sein du « trope », il est aisé de voir quels sont précisément les sous-ensembles d’invariants produits – conformément au vecteur intervallique [532353]54 – par chacune de ses transpositions [exemple 3b] : six notes (on vient de le remarquer) dans le cas de T6, cinq dans le cas de T5/T7 et de T1/T11, trois dans le cas de T4/T8 et de T2/T10, et deux dans le cas de T3/T9, ce qui va se manifester concrètement dans la pièce par l’application de la série des facteurs de transpositions choisie par le compositeur. On notera que, dans le tableau des ‘séquences transposées’, Boulez a signalé au moyen d’un crochet les relations d’octave qui se produisent dans certains cas, du fait du retour des mêmes notes, entre les notes-accents d’une même colonne, toute ‘octave réelle’ devant être évitée dans la réalisation musicale55.
40§ 3.1.2. Considérons à présent l’ensemble des structures d’intervalles du pitch-class set Δ de δmi♭4 : le cycle de tritons C62,3,456 s’y entrecroise avec les deux segments du cycle des quintes 4-C57 et 3-C58 ; en dérivent deux segments chromatiques – 4-C17 et 3-C12 – ainsi qu’un tétracorde et un tricorde appartenant respectivement aux deux gammes par tons entiers C20 et C21 – se confondant, le premier avec C62,4, le second avec un sous-ensemble de C61,3 –, auxquels s’ajoute un unique segment de trois notes de C31 [exemple 4a]. Dans le champ harmonique δmi♭4, les trois tritons sont distribués de sorte à inscrire le tétracorde C62,3 dans le médium sous la forme de deux quartes augmentées à distance de quarte juste (mi♭4-la♮4 et la♭4-ré♮5), la quinte diminuée mi♮5-si♭5 étant, quant à elle, établie dans l’aigu un ton au dessus du ré♮5, ce qui permet au tétracorde appartenant à C20 de se déployer dans la partie supérieure du champ harmonique (alors que le tricorde relevant de C21 est, lui, ramassé à l’intérieur du triton inférieur)57. Cette distribution a également pour effet d’isoler au centre le segment diatonique formé par les quatre notes de C57 (sol♮4-ré♮5-la♮4-mi♮5). À la ligne brisée formée par le segment chromatique ré♮5-mi♭4-mi♮5 s’oppose, par ailleurs, le mouvement conjoint sol♮4-la♭4-la♮4, l’intervalle de neuvième mineure la♮4-si♭5 étant, lui, parallèle au mi♭4-mi♮5 de C12, le mi♭4 et le si♭5 enserrant tout le champ harmonique [exemple 4b].
41§ 3.2 (…/écriture). L’examen détaillé de la quatrième unité de la séquence c, telle qu’elle est composée dans l’Entwurf puis dans les structures monodiques de Rituel (séq VId)58 – avant leur enrichissement au moyen des mutations –, va nous permettre de comprendre comment s’opère l’entrecroisement des structures d’intervalles prélevées sur le champ harmonique δ, tant à l’intérieur des figures que dans le tissu de relations qui s’établissent – horizontalement (au sein d’une structure donnée : [§ 3.2.1-2]), et verticalement et/ou diagonalement (au sein de l’hétérophonie : [§ 3.3]) – entre les figures.
42§ 3.2.1. Dans l’Entwurf, c’est, on l’a vu, au piano qu’il revient de jouer l’antécédent de la séquence, constitué ici de trois figures par unité (voir le dispositif montré dans le tableau 4). Les figures de la quatrième unité sont obtenues à partir des cellules-mères < ré♮5-LA♭4 > < fa♯5-DO♮6 > < do♮4-MI♮4 >, disposées dans ce même ordre, en fonction des valeurs rythmiques propres aux cellules structurelles (< ré♮5-LA♭4 > ∈ δmi♭4 ; ) (< fa♯5-DO♮6 > ∈ δfa♮4 :+ ♩) (< do♮4-MI♮4 > ∈ δdo♮4 : ) (§ 2.2.1). L’exemple 5a montre, en dessous des trois transpositions de δ, le champ harmonique formé par la sélection de notes qu’y opère le piano – tel qu’il apparaît déjà dans l’exemple 2 (δSm1) : mi♭4-MI♮4-fa♮4-sol♮4-LA♭4-la♮4-si♮4-do♯5-ré♮5-fa♯5-si♭5-DO♮6. Pour éviter la relation d’octave entre la note tenue de la deuxième figure et la note anacrouse (isolée) du troisième, Boulez remplace par le do♯5 présent dans δdo♮4 le do♮4 de la cellule-mère originelle – qui se trouve, de ce fait, modifiée –, le choix du do♯ permettant de compléter le champ harmonique initial en sorte d’obtenir le total chromatique. Le phénomène observé au sein de δ concernant la registration des notes de C20 et de C21 se trouve ici amplifié du fait même de l’application du facteur de transposition + 2 (δmi♭4 δfa♮4), à quoi s’ajoute la substitution du do♯5 au do♮4 : c’est la gamme C21 tout entière qui est maintenant ramassée dans la partie grave du registre (du mi♭4 au do♯5), alors que C20 se déploie dans toute l’étendue du champ harmonique (du mi♮4 au do♮6), « analysé » sous la forme de ses deux C4 constitutifs, C42 – en position serrée – étant nettement isolé dans le médium aigu, tandis que C40 (mis en relief par les trois notes tenues) s’épanouit dans l’intervalle d’octave + sixte formé par le MI♮4 et le DO♮6.
43Si l’on considère la succession des dessins mélodiques eux-mêmes, on voit apparaître un certain nombre de configurations d’intervalles remarquables [exemple 5b]. Quatre structures de tritons ressortent au centre de la section : deux d’entre elles, isomorphes (respectivement C62,3 et C65,6 : en relation de tierce mineure), se forment au sein même des deux premières figures (la seconde est, en vérité, coextensive à C65,6), s’y déployant de façon différente – sous une forme d’abord symétrique (la♮4-mi♭4-ré♮5-LA♭4), puis fortement asymétrique (fa♯5-si♮4-fa♮4-DO♮6) ; les deux autres s’inscrivent dans le réseau de relations qui se tisse entre les deux figures : à savoir la structure de tons entiers C60,2 et la structure de tierces mineures C62,5 = C32 – déployées toutes deux, cette fois, symétriquement, mais selon une disposition d’abord resserrée (ré♮5-LA♭4-si♮4-fa♮4), puis espacée (ré♮5-LA♭4-fa♯5-DO♮6). Avec C60,2, c’est, du même coup, la collection C20 qui se trouve fortement mise en relief (ce que confirme in fine l’arrivée sur mi♮), la « modulation » de C21 à C20 s’effectuant à l’intérieur de C62,3 via la septième majeure mi♭4-ré♮5. Dans la première figure s’entrecroisent, par ailleurs, – combinés au chromatisme sol♮4-la♮4-la♭4 – deux segments de C5 (sol♮4-la♮4-ré♮5 et si♭5-mi♭4-LA♭4) –, dans lesquels C62,3 s’inscrit sous la forme de deux quartes parallèles à distance de triton, la quinte redoublée fa♮4-DO♮6 de la deuxième figure venant, quant à elle, porter à cinq notes l’étendue du segment C58 (= 5-C58). La troisième figure, enfin, – outre que sa note-accent complète C40 (et du même coup C20), l’anacrouse dessinant, de son côté, un segment chromatique de trois notes avec le si♮-do♮ qui précède – forme à distance avec les deux notes initiales de la première figure un nouveau cycle de tierces mineures (C31), faisant directement écho, ce faisant, à la fin de l’unité précédente.
44Dans la séq VId de Rituel, le fait que l’antécédent soit affecté au violon 4 a entraîné une réécriture du passage : le profil mélodique des figures s’y conforme aux exigences du jeu instrumental [exemple 5c]. Si la prégnance des configurations relevant de C20 n’est nullement remise en cause, la relation étroite qui s’établissait entre les tétracordes C62,3 et C65,6 disparaît : les deux tritons de C65,6, enchaînés à distance de quinte, dessinent ici une montée continue du fa♮4 au do♮6, alors que dans la première figure la structure de tons entiers la♮4-sol♮4-mi♭4 (C21) s’insère entre le ré♮5 et le LA♭4, formant une sorte d’anacrouse dans l’anacrouse.
45§ 3.2.2. Dans les champs harmoniques des trois structures parallèles (Sm2 Sm3 Sm4) demeurent ici, respectivement, huit, quatre et cinq notes de δSm1, cependant que dans Sm2 et Sm4 s’ajoute le mi♮5 (voir l’exemple 2). La présentation des structures d’intervalles formées par ces pitch sets est, partant de là, constamment variée. Dans la partie de hautbois (Sm2 : δmi♭4 δfa♮4) – limitée à deux figures – [exemple 6], la « modulation » de C21 à C20 s’effectue, à deux reprises, à partir d’une même configuration de trois notes (sol♮4-la♮4-mi♭4 et fa♮4-si♮4-la♮4) : la première se conjugue, au sein de la première figure, au mouvement chromatique sol♮4-la♮4-LA♭4 – si bien qu’apparaît, au centre de l’unité, un segment de C32 (LA♭4-fa♮4-si♮4) –, alors qu’un segment de C20 (mi♮5-fa♯5-DO♮6), constitué également de trois notes, s’enchaîne à la seconde (fa♮4-si♮4-la♮4) pour former la figure suivante. À l’intérieur de cette dernière, la quinte la♮4-mi♮5 séparant les deux configurations de tons entiers compose avec les deux notes voisines si♮4-fa♯5 – appartenant, quant à elles, à la structure de tritons C65,6 (à savoir le tétracorde constitutif de la deuxième figure de l’antécédent) – le segment du cycle des quintes 4-C59, établi au centre de la figure selon une disposition symétrique (si♮4-la♮4/mi♮5-fa♯5). Quant à l’unité jouée par la harpe (δSm3 : δmi♭4 δdo♮4 retransposé sur mi♭), elle fait entendre à ses extrémités la même tierce majeure (sol♮4-mi♭4 et mi♭4-SOL♮4), qui enserre le triton ré♮5-LA♭4, déjà présent dans l’unité précédente en tant qu’élément de C62,4 (= C20). La figure initiale de cette unité et la figure isolée de la clarinette (δSm4 : δmi♭4) ont en commun d’entrelacer l’un à l’autre deux mouvements chromatiques à distance de quarte (Δ), l’un disjoint, l’autre conjoint, constitués respectivement de deux (Sm3) et de trois notes (Sm4) : dans le premier cas, la seconde mineure sol♮4-LA♭4 embrasse la septième majeure ré♮5-mi♭4 ; dans le second cas, la ligne brisée ré♮5-mi♭4-mi♮5 et le dessin symétrique la♮4-sol♮4-la♭4 s’imbriquent l’un (e) dans l’autre.
46§ 3.3. Il convient, à présent, d’étudier la texture hétérophonique formée par l’enchaînement des figures tel qu’il résulte de la combinaison, au sein de la séquence, de la structure première et des structures parallèles, dans l’Entwurf d’abord (§ 3.3.1), puis dans la partition éditée de la version pour orchestre (§ 3.3.2). L’exemple 7 montre un échantillon obtenu en adoptant l’une des deux ‘solutions extrêmes’ indiquées par le compositeur pour la coordination des groupes dans les versets de Rituel (‘selon la forme que [le chef d’orchestre] voudra donner à la séquence’) : les quatre entrées ont ici été espacées en fonction de la longueur respective des structures (de la plus longue à la plus courte), l’intervalle séparant l’entrée de chacune des structures parallèles (Sm2, Sm3, Sm4) de celle de l’antécédent (respectivement :-5♪/-7♪/-12♪) étant défini de telle sorte que les quatre groupes terminent ensemble.
47§ 3.3.1. Les traits soulignant la durée des notes tenues59 font clairement ressortir l’opposition, dans la texture, de la « nappe » formée par ces tenues et des arabesques qu’y dessinent les ‘groupes-fusées60’. Dans le jeu hétérophonique, les configurations d’intervalles déjà observées à l’intérieur des parties individuelles prennent un relief nouveau : la structure de tritons mi♭4-la♭4-la♮4-ré♮5 (= C62,3), inscrite dans la transposition obligée δmi♭4 (bien que le la♮4 du hautbois relève de δfa♮4), se détache ici à l’intérieur de la septième mineure qu’installent harmoniquement la clarinette et la harpe, en même temps que se confirme dans le grave du registre la prégnance de C21, sous la forme du tétracorde mi♭4-fa♮4-sol♮4-la♮4 – présent mélodiquement au sein même de la partie de hautbois – auquel s’ajoute le do♯5 du piano. Trois autres structures de tritons (s’annonçant dès la première figure du piano) se mettent en place à partir du moment où la harpe joue la dernière figure de la troisième unité : l’une (fa♮4-la♭4-si♮4-ré♮5 = C32) à l’intersection des deux gammes par tons, les deux autres (la♭4-ré♮5-fa♭5-si♭5 = C62,4 et la♭4-ré♮5-fa♯5-do♮6 = C60,2) inscrites, elles, dans C20, qui commence alors de s’établir distinctement dans la partie supérieure du registre. C21 reste néanmoins bien présent dans cette zone de « tuilage », sous la forme resserrée du pentacorde mi♭4-fa♮4-sol♮4-la♮4-si♮4, dans lequel s’inscrit C63,5. En même temps, du fait des longues tenues du mi♭4 (clarinette), du la♭4 (piano, hautbois, puis harpe) et finalement du do♮6 (piano puis hautbois), d’où résulte une focalisation sur la♭, C20 tend à se donner à percevoir – dès le centre du fragment – comme la composante d’un mode diatonique. Avec la disparition du mi♭4 et l’entrée du mi♮4 (troisième figure du piano), c’est au contraire C40 qui, finalement, ressort.
48§ 3.3.2. Dans le passage correspondant de Rituel (séq VId), les nappes formées par les notes tenues sont à la fois épaissies par les mutations, et rendues plus homogènes du fait qu’elles sont jouées par des instruments qui tous entretiennent le son (bois et cordes) – alors que, dans la version pour effectif de chambre de l’Entwurf, deux instruments résonants (piano, harpe) étaient opposés à deux instruments à sons tenus (hautbois, clarinette). La répartition des groupes dans l’espace (surtout dans le cas de la disposition « idéale » où le chef est au centre d’une ellipse, le public étant placé autour de lui61) a en outre pour conséquence de donner à chacun de ces groupes une relative indépendance au sein de la texture globale62. L’omniprésence de la seconde majeure comme intervalle de mutation, à quoi s’ajoute le triton dans le groupe des flûtes et celui des violons, a pour effet d’accentuer le phénomène décrit plus haut concernant la mise en évidence des configurations de tons entiers. Ce phénomène se marque dans la sonorité globale : C21 se trouve ainsi fortement représenté au début du fragment (mi♭4-fa♮4-la♮4 aux flûtes et do♯5-mi♭5-sol♮5 aux violons), C20 – dans l’aigu – à la fin (la♭4-si♭4 aux flûtes et aux clarinettes, do♮6 au hautbois, do♮6-ré♮6 aux violons) [exemple 8].
49Si l’on se réfère à la version enregistrée à Londres en novembre 1976 par le BBC Symphony Orchestra sous la direction de Boulez63, l’enchaînement des figures dans le fragment s’effectue suivant l’ordre indiqué dans l’exemple 8 par les symboles alphanumériques notés au-dessus des portées (le chiffre signalant l’ordre de succession des événements, les deux lettres, respectivement, le départ de l’anacrouse et l’arrivée sur la note tenue). L’exemple 9 montre les six agrégats successifs formés par les notes tenues au sein de chaque événement, et analyse leurs structures d’intervalles caractéristiques64. Dans l’entrecroisement de structures complexe du premier agrégat ressortent distinctement – si rapide que soit l’enchaînement – C61,3 (= C21) et, de façon plus transversale (avec le si♭5 par lequel commence l’anacrouse de l’événement 1), C31 (mi♮4-si♭4-do♯5-mi♮5-sol♮5-si♭5). L’entrée du la♭4 aux quatre violons à l’unisson et au hautbois, au début de la quatrième section, entraîne une nette focalisation sur cette hauteur, à la base ici du tricorde de C20 la♭4-ré♮4-mi♮5 (cette dernière note changeant, par là même, de fonction65). Le triton mi♮-si♭ se rétablit dès l’entrée des flûtes au sein de l’événement 2, inscrit, cette fois, dans C20. Au même moment, le mi♭4-fa♮4, présent depuis le début dans le grave du registre, passe aux clarinettes, et l’événement 3 donne clairement à entendre le tétracorde diatonique mi♭4-fa♮4-la♭4-si♭4 (= 4-C5, sous la forme de deux quartes justes à distance de seconde majeure), dans lequel le la♭4 garde sa fonction de note-pôle (le si♭ se maintenant au sommet de l’accord, une octave plus bas que précédemment). Dans l’événement 4 se déploie, à partir de cette configuration diatonique, la collection heptatonique complète correspondant au segment du cycle des quintes partant de la♭ (C58), dans laquelle le la♭4 reste très présent : la structure de tritons C60,2 qui se détache au sommet de la figure des violons à l’arrivée sur l’accord tenu (avec le fa♯5-sol♯5 de l’anacrouse) tend à orienter la perception vers un mode acoustique sur la♭ (malgré le sol♮5 du violon 4, en retrait), alors que la conjonction du ré♮6 (au sommet de l’agrégat, violon 1) et de la quarte fa♮4-si♭4, dans le grave, laisse transparaître – fugitivement – un mode de sol sur si♭ : exemple de cette « incertitude de la tonique » dont parle Constantin Brailoiu à propos du pentatonisme (5-C5), et qui vaut également, en maintes occasions, chez Debussy ou chez Stravinsky pour la collection 7-C566. La disparition du mi♭4-fa♮4, au moment où les deux clarinettes entonnent elles-mêmes la dyade la♭4-si♭4 (événement 5), provoque un « filtrage » de la collection heptatonique, à la faveur duquel – le la♭4 ayant lui-même perdu de son relief – le si♭4 s’affirme, l’espace d’un instant, comme note-pôle67…
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50Boulez commente en ces termes le rôle de la percussion dans les versets de Rituel :
Nombreux sont les exemples de l’« explication » d’une catégorie complexe par une catégorie plus simple à laquelle on peut se référer dans l’instant, et qui nous donne les informations utiles pour pouvoir nous diriger dans l’évolution de la texture, de la densité ou de la complexité de l’œuvre. Je voudrais citer l’exemple de mon propre Rituel basé sur une superposition de plus en plus dense de groupes non synchrones. Chacun de ces groupes est dirigé « au son » par un percussionniste donnant une pulsation régulière. Lorsque, au début de la pièce, le hautbois se fait entendre seul, on ne prête que peu d’attention à la percussion, pour s’attacher à la ligne mélodique du hautbois. Lorsque deux ou trois groupes jouent ensemble, on perçoit, bien sûr, les interférences des différentes percussions, d’autant plus qu’elles utilisent chacune un timbre différent, mais leur rôle reste encore à l’arrière plan puisqu’on sera en mesure de percevoir l’identité mélodique des différents groupes et de suivre le jeu hétérophonique grâce auquel ils correspondent. Au fur et à mesure que le nombre des groupes augmente, la densité ne peut plus être perçue analytiquement et l’on s’accroche aux interférences rythmiques des percussions68.
51À mesure, en effet, que s’accumulent au long des sept complexes sériels les formes de cellules structurelles (et avec elles les transpositions de δ ainsi que les groupes-anacrouses) (§ 2.2.1-6), à mesure, d’autre part, qu’augmentent, dans le dispositif mis en place, le nombre et la densité des sélections opérées à l’intérieur de ces sept complexes, et donc le nombre et la densité des structures monodiques combinées dans les séquences de l’Entwurf (§ 2.2.7), – à quoi vient encore s’ajouter, dans la version pour orchestre, l’épaississement progressif de ces structures monodiques par le moyen des mutations69, la texture harmonique va en se densifiant au fil des versets, alors que la texture rythmique évolue, quant à elle, dans le sens de la simplification : la diminution progressive de l’écart séparant les valeurs des notes-accents dans le schéma (§ 2.2.4), conjuguée à la subdivision des champs φ selon un indice croissant (§ 2.3), entraîne dans les derniers versets un rétrécissement marqué de la durée des tenues, qui tend à se réduire à la simple croche. Les valeurs monnayées par les percussions cèdent alors le pas à la profusion des arabesques. La raréfaction des coups secs ou étouffés dans un espace de plus en plus saturé d’harmonies conduit finalement à un renversement de perspective.
52Liste des fac-similés
53Fac-similé 1
54Rituel, page d’esquisses. Grille en haut à gauche : transpositions (de I à VII) de la série numérique I sur elle-même (§ 2.1.1) ; schéma au centre : (à gauche) formes numériques de durées structurelles selon l’ordre inverse de VII à I | (à droite) accumulation des instruments en parallèle (§ 2.1.2) ; schéma en bas : ordre d’agencement des formes au sein des sept complexes de a à g + nombre de petites notes d’anacrouse affecté à chaque forme (§ 2.1.3).
55Fac-similé 2
56Rituel, esquisse : ‘Valeurs rythmiques (Durées)’ (§ 2.1.4).
57Fac-similé 3
58Rituel, esquisse : ‘Séquences non transposées’ (§ 2.1.5).
59Fac-similé 4
60Rituel, esquisse : ‘Séquences transposées’ (§ 2.1.6).
61Fac-similé 5
62Rituel, « Entwurf ». Partie supérieure : ‘(Sept) interjections’[‘Espace’ / ‘2e Séquence (B)’] (§ 2.2) | (à droite) esquisse relative à la série de facteurs de transposition (§ 2.1.6) (dans la marge, en haut, liste des instruments auxquels sont confiés les antécédents des sept séquences [a à g], et à droite liste des sept groupes d’instruments utilisés dans la version pour orchestre). Partie inférieure : épure des séquences hétérophoniques (§ 2 et 2.2).
Notes de bas de page
1 Cette expression a été utilisée à maintes reprises par Robert Piencikowski. À propos de la forme d’… explosante-fixe…, Boulez a déclaré : « Cette idée [des ‘rappels constants’] a été influencée par les Symphonies d’instruments à vent de Stravinsky, dans lesquelles les développements s’interrompent les uns les autres, et dont l’ordre de succession est imprévisible. À l’exception du Choral, qui est le seul moment directionnel. Il y a là quelque chose de très satisfaisant, qui m’a servi d’exemple » (« Le texte et son pré-texte. Entretien avec Peter Szendy », Genesis. Revue internationale de critique génétique, 4, 1993, p. 145).
2 La création de Rituel eut lieu le 2 avril 1975 au Royal Festival Hall de Londres ; le BBC Symphony Orchestra était dirigé par le compositeur. Pour des raisons qui apparaîtront plus loin, je ferai référence ici, sauf indication contraire, à la première édition de l’œuvre, reproduisant un manuscrit allographe de la partition (London, Universal Edition, UE 15941 LW, © 1975, H X/1976). À propos de la dédicace à Maderna, voir « Pierre Boulez. Rituel in memoriam Bruno Maderna. Intervista di Rossana Dalmonte », dans : Bruno Maderna. Studi e testimonianze, Dalmonte, Rossana (éd.), Lucca, LIM, 2004, p. 391-405. Une réflexion basée sur la dimension rituelle (funèbre) et thanatologique – au sens large – de l’œuvre a été menée par Martin Zenck dans une publication récente (Zenck, Martin : « Transgressionen von Lebenszyklus und Lebenswerk : Pierre Boulez’Rituel in memoriam Bruno Maderna (1974-1975) », dans : Ritualität und Grenze, Fischer-Lichte, Erika et al. (éds), Tübingen, A. Francke Verlag, 2003, p. 45-58).
3 Texte de présentation figurant dans le programme de la création mondiale de l’œuvre, puis ajouté dans la seconde édition de la partition (p. [II]) en guise de préface. Le terme ‘séquence’ apparaît, notamment, dans la page d’instructions de la partition, p. [III]. On trouve une définition de l’‘antiphonie’ dans « Sonate “que me veux-tu” » [1960], Points de repère I, p. 157 sq. /Points de repère II, p. 169 sq. /Imaginer, p. 437 sq. et dans Penser la musique aujourd’hui, p. 138. Sur les notions d’‘homophonie’ et d’‘hétérophonie’ voir ibid., p. 134 sqq.
4 Le terme ‘Coda’ figure sur la dernière page (f. 3v) de l’Entwurf dont il sera question plus loin [§ 2.1], en tête des esquisses relatives à cette séquence finale.
5 L’expression a été employée par Boulez dans son hommage au chef d’orchestre Roger Désormière pour caractériser la fin des Noces d’Igor Stravinsky (« J’ai horreur du souvenir » [1966], Points de repère I, p. 402/Points de repère II, p. 416/Imaginer, p. 437 sq.). Voir à ce propos Piencikowski, Robert : « “Tombeau”, extrait de Pli selon pli de Pierre Boulez », dans : Pli selon pli de Pierre Boulez. Entretien et études, Genève, Contrechamps, 2003, p. 47 (note 5).
6 On notera entre crochets pointus, à partir d’ici, tantôt les séries numériques (par exemple < 1 3 4 2 6 7 5 >) et leur structure interne (<+ 2 + 1-2 + 4 + 1-2 >), tantôt un type particulier d’ordered set of pitches (composé de deux notes) assumant dès le départ une fonction structurelle, que j’appellerai cellule mère (par exemple < si♭5-LA♮4 > ; voir infra). Seront en outre indiquées au moyen de petites majuscules (sauf indication contraire), à l’intérieur des différents ensembles ou segments de notes, les notes tenues.
7 L’expression « schéma anacrouse-accent-désinence » a été adoptée par Robert Piencikowski ; voir « Nature morte avec guitare », dans : Pierre Boulez. Ein Festschrift zum 60. Geburtstag am 26 März 1985, Häusler, Josef (éd.), Wien, Universal Edition, 1985, p. 67. À propos de la « combinaison » « anacrouse-accent-désinence », voir Messiaen, Olivier : Technique de mon langage musical, vol. 1, Paris, Leduc, 1944, p. 48-50 (ces termes sont fort probablement empruntés par Messiaen lui-même à Vincent d’Indy – voir le chapitre « La Mélodie » dans D’Indy, Vincent : Cours de composition musicale, rédigé avec la collaboration de Auguste Sérieyx, livre I, Paris, Durand,4 1912, p. 29-46). Boulez a indirectement fait référence à la combinaison anacrouse-accent en maintes occasions, parlant, par exemple, de ‘groupe de petites notes aboutissant à une note principale’ (Jalons, p. 266/Leçons de musique, p. 311), ou encore de ‘groupe-fusée’ et de ‘note-pôle’ : « J’ai faculté en effet de choisir dans cet objet une note principale, et d’y subordonner les autres, et de manifester cette relation par une construction rythmique appropriée : la note-pôle étant affectée d’une durée nettement plus longue, toutes les autres étant énoncées très rapidement au moyen de durées excessivement brèves, en groupe-fusée » (« Le système et l’idée », inHarmoniques, 1, 1986, p. 98/Jalons, p. 383/Leçons de musique, p. 412).
8 Beiche, Michael : « Serielles Denken in Rituel von Pierre Boulez », Archiv für Musikwissenschaft, 38/1, 1981, p. 24-56. Voir également Marcelino, Emanuel : Analyse de Rituel in memoriam Bruno Maderna, de Pierre Boulez. – Démonter une cérémonie, Mémoire de Maîtrise, Université de Paris VIII, 1999.
9 Voir Piencikowski :« Nature morte avec guitare », p. 68.
10 Penser la musique aujourd’hui, p. 148.
11 Ibid., p. 140-149. Dans une première définition générale (p. 135 sq.), Boulez parle également, pour désigner l’antécédent, de ‘structure première’ (p. 135), de ‘formulation fondamentale’ et de ‘modèle’ (p. 136). L’explicitation des ‘deux ordres de qualités’ relatifs à l’‘engendrement’ ou à la ‘détermination’ de l’hétérophonie (‘Je distinguerai, pour l’engendrement d’une hétérophonie, deux ordres de qualités : qualités générales qui indiquent la mise en place, qualités spécifiques dont résulte la production’, ibid., p. 140) remonte aux esquisses de la première version de l’« Improvisation III sur Mallarmé », et plus précisément à un schéma concernant la partie IV – intitulée justement ‘Hétérophonies’ (Fondation Paul Sacher, Collection Pierre Boulez, Mappe G, Dossier 3a 51) –, dont dérive le texte des chiffres 15-19 de la partition éditée (Universal Edition © 1982, UE 19521).
12 Si l’on se réfère au développement de Penser la musique aujourd’hui où Boulez énumère les quatre ‘qualités générales’ de l’hétérophonie (p. 140 sq.), il s’agit donc ici d’une hétérophonie ‘structurelle’ (‘1. La Nature’), ‘obligée’ (‘2. L’Existence’), ‘double’ dans la séq IV, ‘triple’ dans la séq VI, ‘simple’ dans la séq VIII, etc. (‘3. Le Nombre’), et ‘flottante’ (‘4. La Dépendance’).
13 « … auprès et au loin. » [1954], Relevés d’apprenti, p. 197/Imaginer, p. 309.
14 Penser la musique aujourd’hui, p. 148, ainsi que Piencikowski :« Nature morte avec guitare », p. 66, où est cité le passage de la notice « Arnold Schönberg » (écrite par Boulez pour l’Encyclopédie de la musique publiée chez Fasquelle) relatif aux Lieder opus 22 ; voir également p. 76 sq.
15 Penser la musique aujourd’hui, p. 134.
16 Ibid., p. 135.
17 Ibid., p. 67.
18 Partition, p. [v]. Dans la seconde édition, l’unité de mesure des notes-accents est passée de la croche à la noire. Les notes-anacrouses continuant d’être notées, elles, en triples croches, les écarts séparant la durée des différentes organisations auraient dû être recalculés, ce que le compositeur n’a pas fait (dans la page d’instructions de la nouvelle partition, il a simplement remplacé le mot ‘croches’ par le mot ‘noires’). S’agissant de la séq VI, par exemple, les espacements indiqués – [5♩, 2♩, 5♩] –, directement repris de ceux de la première édition – [-5♪,-7♪,-12♪] –, n’équivalent plus à la ‘différence approximative’ entre la durée des groupes.
19 Voir à ce propos « Pierre Boulez. Rituel in memoriam Bruno Maderna », p. 396 sq. et 401.
20 Sur la notion de ‘champ’ et de ‘champ sonore’ chez Boulez, voir Pereira de Tugny, Rosângela : Le piano et les dés. Étude sur Music of Changes, Klavierstück XI et Constellation-Miroir, Thèse de Doctorat, Université de Tours, 1996, p. 81-87 et 212-216.
21 Le champ harmonique δmi♭4 n’est autre que la forme droite de l’accord du premier répons.
22 Il arrive, dans de rares cas, que la note-anacrouse ait été remplacée, dans la phase d’écriture, par une autre note (dans la quatrième unité de la séq VI, par exemple, un mi♭4 a été substitué au ré♮5 structurel au sein de la première figure jouée par le hautbois).
23 Penser la musique aujourd’hui, p. 59.
24 Font exception à cette règle, dans la séq IV, la structure monodique du gr II, et dans la séq VIII celle que joue le hautbois.
25 Ibid., p. 135 sq.
26 Ibid., p. 140.
27 L’expression de ‘multiplication verticale’ est entendue ici au sens où Boulez l’emploie dans le passage de Penser la musique aujourd’hui consacré à l’homophonie (p. 135).
28 Penser la musique aujourd’hui, p. 40.
29 Voir les séq IV et VI, gr III, flûte 3, où la seconde figure de chaque section s’inscrit dans δmi♭4 au lieu de δfa♮4 (séq IV) et δdo♮4 (séq VI) ; dans la section b de la séq VI, la seconde figure échappe elle-même à cette règle : la transposition sur δmi♭4 devrait donner, à la flûte 3 < ré♮5-LA♭4 >.
30 « Le système et l’idée », p. 99/Jalons, p. 384/Leçons de musique, p. 412.
31 Bâle, Fondation Paul Sacher, Collection Pierre Boulez, Mappe J, Dossier 2a-e (1971-1975).
32 Voir Dossier 2a1 (1971-1972).
33 Voir Dossier 2a2 (1971-1972). L’Entwurf est le seul témoignage aujourd’hui connu de la phase rédactionnelle qui a précédé la mise au net de ‘Rituel (avant la percussion)’. Ce dernier titre a été noté par Boulez lui-même, sans doute a posteriori, sur une chemise conservée dans le Dossier 2b. Dans la marge en haut à gauche de la première page de l’Entwurf apparaît le titre ( ?) énigmatique d’‘Espace’, qui a été adopté provisoirement, dans le catalogue de la Collection Pierre Boulez, pour désigner le Dossier 2a.
34 Ces variantes concernent notamment l’ordre des petites notes à l’intérieur des groupes-anacrouses – qui, dans la version pour orchestre et percussions, seront par ailleurs mesurées –, ainsi que le profil de certaines figures (anacrouse-accent-désinence au lieu du trille). On considère ici le texte tel qu’il est établi au terme de la dernière campagne d’écriture.
35 Dans la marge à droite de la première page de l’Entwurf [fac-similé 5], Boulez a dressé la liste des groupes d’instruments qui vont se substituer à ceux qui étaient initialement affectés aux séquences mélodiques.
36 Conformément à l’indication portée par Boulez en haut de la page, les valeurs des notes tenues des séquences mélodiques, telles qu’elles sont notées dans l’épure, seront doublées à partir de la mise au net de la version pour orchestre (sans percussion), et finalement quadruplées dans la seconde édition de la version définitive de l’œuvre.
37 Une mise au net de ces ‘interjections’, datée par le compositeur : ‘Paris, le 19 octobre 1972’, est conservée à Paris, Bibliothèque Nationale de France, Département de la musique, Ms. 21611, sous le titre : ‘ sept interjections pour pierre souvtchinsky/de pierre boulez’ ; y est jointe une lettre dont le texte de sept lignes est écrit, pour moitié, sur une feuille à en-tête de la BBC, pour moitié sur une feuille à en-tête du New York Philharmonic. Certains matériaux de l’« Entwurf » – ‘interjections’ et « séquences » (a à g) – ont été exploités par Boulez pour la composition de la musique de scène d’Ainsi parlait Zarathoustra (voir Mappe J, Dossier 3), adaptation théâtrale par Jean-Louis Barrault du texte de Nietzsche, créée à Paris le 6 novembre 1974 ; voir à ce propos Zenck, Martin : « Die unveröffentlichte Bühnenmusik von Pierre Boulez zu Nietzsches/Barraults philosophischer Prosa-Dichtung “Ainsi parlait Zarathoustra” (1974) », Die Musikforschung, 57/3, 2004, p. 234-248.
38 Sur les deux portées séparant les ‘interjections’ et la séquence a est mis au point le principe de « réduction progressive » de l’accord formé par les sept notes de l’inversion de δ – transposé sur les différentes notes-anacrouses et notes-accents des ‘interjections’ : MI♭4 < sol♮4-MI♮5 > < si♭5-LA♮4 > etc. –, tel qu’il sera mis en œuvre au fil des répons.
39 Dossier 2a1, esquisse (Micr. 140-704).
40 Le ‘texte à faire proliférer’ (selon l’expression employée par Boulez dans Par volonté et par hasard, p. 136) d’… explosante-fixe… parut dans le second recueil de « Canons & Epitaphs » en hommage à Igor Stravinsky, supplément au numéro 98 de la revue Tempo, publié en 1972 avant le premier anniversaire de la mort du compositeur.
41 Soit la forme < mi♭4-sol♮4-mi♮5-si♭5-la♮4-ré♮4-la♭4 >. La règle adoptée par le compositeur pour obtenir les ‘notes encadrées’, par exemple, du Transitoire V est de reprendre la note qui précède la note-accent LA♮4 (à savoir si♭5), et l’ensemble des cinq premières notes, respectivement comme note-anacrouse et comme notes du groupe-désinence (l’Originel lui-même ne comportant, de ce fait, aucune anacrouse).
42 Une erreur s’est glissée dans la forme de la transposition III (4 au lieu de 5), que Boulez avait déjà commise, mais corrigée sur la page d’esquisse précédente (§ 2.2.2), et qui ne se retrouvera pas dans les documents de travail ultérieurs.
43 Dans la transposition VII de e, Boulez a, par erreur, opéré la ‘diminution d’1’ à partir, non de la première ligne (biffée) de d (VII), mais de la seconde (résultant de la permutation circulaire qui lui est appliquée), d’où il résulte que dans les séquences e et f le chiffre de VII obtenu au terme des opérations de diminution n’est pas dans tous les cas le plus petit de la colonne [(séquence e, colonne 5 : 7 6 2 1 3) et (séquence f, colonne 6 : 12 6 5 1 1 2)].
44 On notera que, en dehors de la colonne des 5, les alignements verticaux résultant de la permutation mettent toujours en jeu soit trois, soit quatre chiffres distincts, ce qui découle de la présence au sein de la série numérique ‘I’ de figures isomorphes dues à sa symétrie interne : < 5 4 7 6 > et < 7 6 2 1 >. Cette dernière a pour effet de créer une relation étroite entre chaque forme et sa transposition à l’intervalle (± 2) – par exemple entre I < 1 3 5 4 7 6 2 > et II < 3 5 7 6 2 1 4 > d’une part, et entre I < 1 3 5 4 7 6 2 > et VI < 6 1 3 2 5 4 7 > d’autre part –, si bien que VII et V ont en commun les successions < 2 4 > et < 6 5 1 7 >, VI et IV les successions < 6 1 > et < 3 2 5 4 >, l’important étant ici que les successions de quatre éléments se correspondent, dans les deux cas, terme à terme.
45 Voir l’esquisse notée sur la première page de l’Entwurf (en haut à droite, entre parenthèses), où Boulez s’attache à obtenir, à partir du complémentaire des sept hauteurs réelles des ‘interjections’ (= δmi♭4), la nouvelle succession de sept notes qu’il utilisera comme série de facteurs de transposition.
46 L’expression apparaît, à la première page de l’Entwurf, entre les deux portées supérieures de la séquence b (hautbois et clarinette).
47 La fin de la séquence d se trouve à la page suivante.
48 Cette façon de procéder est, à peu de choses près, celle que montre l’exemple 17c de Penser la musique aujourd’hui (p. 59-61). Si l’on se conformait au schéma de ‘Valeurs rythmiques (durées)’ – comme le fait encore le tableau des ‘séquences non transposées’ –, le champ de durée φ de la dernière unité de l’antécédent et de la Sm1 (jouée par la clarinette) de la séquence b devrait être de 3, et non de 4 . En passant du tableau des ‘séquences non transposées’ à celui des ‘séquences transposées’, Boulez a toutefois remplacé la de la dernière note-accent de VII par une noire (cette dernière devenant la durée structurelle la plus longue de l’unité).
49 Ce cas de figure se rencontre dès la séquence b (Rituel, séq IV) : alors que dans la partie de clarinette (Rituel, séq IV : gr II) la succession des valeurs rythmiques s’effectue selon l’ordre prévu par le schéma [(3-6) (2-2) (5-1) etc.], cet ordre est systématiquement interverti [(6-3) (2-2) (1-5) etc.] dans la partie de la harpe (gr III).
50 Cette structure symétrique est celle que George Perle note dans son catalogue des pitchclass collections sous la forme [0,1,5,6/6,7,11,12] (= Perle 6-3 ; Forte 6-7) – voir Perle, George : Serial Composition and Atonality. An Introduction to the Music of Schoenberg, Berg, and Webern, sixième édition révisée, Berkeley/Los Angeles/Oxford, University of California Press, 1991, p. 154. Elle figure également dans la liste des « modes à transpositions limitées » de Messiaen sous la forme DO♮-ré♭-fa♮-FA♯-sol♯-si♯-DO♯ (= mode 5) – voir Technique de mon langage musical, vol. 2, p. 53 (ex. 347) –, les notes en petites majuscules (DO♯ et FA♯) indiquant ici les extrêmes des « deux groupes symétriques » constitutifs (ibid., vol. 1, p. 54). Ramenée à la forme [0,1,2,6,7,8], elle n’est autre que le quatrième des six « “all-combinatorial” source sets » inventoriés par Milton Babbitt – voir Babbitt, Milton : « Some Aspects of Twelve-Tone Composition », The Score and IMA. Magazine, 12, 1955, p. 57, repris dans The Collected Essays of Milton Babbitt, Peles, Stephen et al. (éds.), Princeton-Oxford, Princeton University Press, 2003, p. 42 –, puis par Donald Martino, au chiffre D33 de sa liste de « source hexachords » (voir Martino, Donald, « The Source Set and Its Aggregate Formations », The Journal of Music Theory, 5/2, 1961, p. 229). Le statut de centre de symétrie, dans la réduction aux valeurs absolues de la transposition originelle δmi♭4, revient au mi♭ [= la♮]. Que Boulez ait eu à l’esprit, dans l’élaboration de Rituel, ce type d’agencement symétrique, en témoigne l’esquisse notée sur la première page de l’Entwurf (§ 2.2.6) où les trois dyades complémentaires ([do♯-fa♮] [do♮-fa♯] [si♮-sol♮]) sont disposées symétriquement autour du mi♭4. – Deux autres sélections de six notes donnent des structures symétriques : elles sont constituées, l’une de deux segments chromatiques de trois notes, l’autre de deux segments chromatiques de deux et quatre notes (complémentaires des précédents) – respectivement [1,2,3/8,9,10] (= Perle 6-8B ; Forte 6-Z6) et [0,4,5/6,7,11] (= Perle 6-8A ; Forte 6-Z38) –, symétriques, cette fois, autour d’une dyade axiale [11,0/5,6], d’où il résulte qu’à toute forme donnée de ces deux pitch-class collections correspond ici une unique inversion composée des mêmes notes, à savoir, respectivement T5I et T11I. Les trois collections symétriques ont en commun un tétracorde formé de deux tritons à distance de quarte (= Perle 4-2 ; Forte 4-9).
51 T1, T2, etc. désignent la transposition au demi-ton, à la seconde majeure, etc.
52 Voir Perle, George : The Operas of Alban Berg, vol. 2 – Lulu, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1985, p. 88 sq. et notes. Sur la notion de « trope », empruntée à Josef Matthias Hauer, voir en particulier Perle : Serial Composition and Atonality, p. 5 sq. et Twelve-Tone Tonality, Berkeley/Los Angeles/London, University of California Press, 1977, p. 1-4. Dans ce cas précis, le tétracorde [0,5/6,11] est donné sous la forme de deux tritons à distance de demi-ton.
53 On notera que l’on a affaire ici à une forme défective du quatrième des « modes à transpositions limitées » de Messiaen – voir Technique de mon langage musical, vol. 2, p. 53 (ex. 345) – : DO♮-ré♭-ré♮-fa♯-FA♯-sol♮-la♭ si♮-DO♮ (mode 4).
54 Voir à ce propos Forte, Allen : The Structure of Atonal Music, New Haven/London, Yale University Press, p. 29-38.
55 Sur les relations d’octave, et la distinction ‘octave réelle’ / ‘octave virtuelle’, voir Penser la musique aujourd’hui, p. 48 sqq. Dans la séq XIId, par exemple, Boulez a retransposé sur δmi♭4 la figure issue de la forme II, afin d’éviter le rapport d’octave entre les notes des cellules-mères successives < mi♮5-SI♭5 > et < mi♮5-SI♭4 >, appartenant respectivement aux formes I (δmi♭4) et II (δfa♮4) – voir, dans le tableau des ‘séquences transposées’ (fac-similé 4), la quatrième colonne de la séquence f.
56 Les cycles d’intervalles sont, à partir d’ici, désignés conformément à l’usage adopté par George Perle (voir en particulier Perle : The Operas of Alban Berg. Lulu, p. 199) : C20 et C21 pour les deux gammes par tons entiers (2 indiquant l’intervalle, 0 et 1 la transposition : respectivement do♮ et do♯), C31 pour le cycle de tierces mineures comprenant la note do♯, etc. C1 et C5 désignent respectivement le cycle des demi-tons et le cycle des quintes ; le chiffre placé en indice indique ici, non une transposition donnée (les deux cycles complétant le total chromatique), mais la note de départ du segment dans le cycle. Le chiffre arabe initial indique le nombre de notes de la sélection de C5 rencontrée.
57 Le tétracorde C63,4 s’établit, du même coup, aux extrémités du champ harmonique.
58 Sont prises ici en considération les leçons de la dernière strate, c’est-à-dire celles qui seront retenues dans la mise au net de la version pour orchestre (l’ordre des petites notes étant éventuellement modifié). Pour les secondes figures (soulignées) des unités de la harpe, Boulez avait noté au crayon rouge une variante possible, consistant à transposer la figure dans δdo♮4 (‘éventuellement 2de note transposée’). À la fin de la deuxième unité de cette même partie, Boulez a, par ailleurs, rétabli dès la première mise au net le mi♭4 qu’il avait auparavant biffé et remplacé par un la♭4.
59 On a adopté ici les mêmes conventions que dans l’exemple 2 : aux notes tenues appartenant à δmi4, δfa♮4 et δdo♮4 correspondent, respectivement, la ligne continue, le trait discontinu et la succession de points.
60 Voir « Le système et l’idée », p. 98/Jalons, p. 383/Leçons de musique, p. 412.
61 Voir le schéma noté par le compositeur dans : « Pierre Boulez. Rituel in memoriam Bruno Maderna », p. 396.
62 Boulez souligne, à ce propos, l’importance qu’il y a à éviter la confusion résultant de la proximité des groupes placés sur une simple scène (ibid., p. 392 sq.), ainsi que l’incidence de la position même de l’auditeur, selon qu’il est proche de tel groupe ou de tel autre (p. 404) ; à quoi vient encore s’ajouter la caractérisation des groupes par le type de percussion (p. 396). Voir également l’interview du compositeur réalisée par Jean-Pierre Derrien en novembre 2002 et publiée dans le livret du CD naïve MO 782163 (2003) : « Les groupes étant éloignés les uns des autres, et leur allure propre étant très différente, ils ne peuvent pas coïncider. C’est ma pratique de chef d’orchestre qui m’a amené à trouver cette solution : c’est une œuvre où des groupes indépendants reçoivent l’impulsion initiale du chef mais, une fois les départs donnés, chaque groupe est indépendant sous la houlette de son percussionniste ; les séquences sont indépendantes… […] s’ils sont très éloignés l’un de l’autre, un groupe donné ne peut évidemment pas même écouter le voisin. L’indépendance d’écoute devient naturelle. Pour le public aussi d’ailleurs : j’ai essayé toutes les configurations, et la seule satisfaisante est celle d’un public au milieu des groupes. Bien sûr, où que l’on soit, on entend davantage le groupe le plus proche mais les autres forment un fond sonore, une sorte de perspective changeante ».
63 Disque CBS Masterworks D 74109, M 37850 (1982), réédité par Sony SMK 45 839, 1990.
64 On a indiqué dans l’exemple le minutage exact selon lequel se succèdent, dans l’enregistrement, les six événements.
65 Le la♭4 est ici la note de la forme sérielle (IV) qui constitue dans cette séquence la transposition « obligée » δmi♭4 (voir § 2.3) :
66 Voir à ce sujet Leleu, Jean-Louis : « Structures d’intervalles et organisation formelle chez Debussy : une lecture de “Sirènes” », dans : Claude Debussy. Jeux de formes, Joos, Maxime (éd.), Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2004, p. 289 (note 15).
67 Des configurations de ce type se recomposent de manière différente à chaque exécution de l’œuvre, en fonction de la coordination changeante des différents groupes. Voir par exemple l’enregistrement de l’exécution donnée à Metz le 26 février 1976 sous la direction de Boulez à la tête du Radio-Sinfonieorchester Stuttgart (Vingt ans de musique contemporaine à Metz, col legno, AU 31832, 1991), ou encore la version dirigée par Michael Gielen à la tête du SWR Sinfonieorchester (hänssler CLASSIC, CD 93.098, 2005 [enregistrement de 1990]).
68 « L’écriture du musicien : le regard du sourd ? » [1981], Jalons, p. 311/Regards sur autrui, p. 288 sq. Une première tentative de réflexion sur cet enjeu de la pièce, bien que limitée au « contraste » entre les répons et les versets, est apparue très tôt dans l’article d’Ivanka Stoïanova intitulé « Narrativisme, téléologie et invariance dans l’œuvre musicale. À propos de Rituel de Pierre Boulez », Musique en jeu, 25, 1976, p. 14-42 (repris dans : Stoïanova, Geste-Texte-Musique, Paris, Union Générale d’Éditions, 1978, p. 219-236), qui se réfère (note 10) à trois passages de Par volonté et par hasard, dont l’un a trait aux implications du principe d’accumulation (p. 65) : « Cela constitue une démarche très particulière pour moi, cette accumulation qui part d’un principe très simple et qui arrive à une situation chaotique parce qu’elle est engendrée par un matériel qui tourne sur lui-même et qui devient tellement complexe qu’il perd toute physionomie individuelle et arrive à faire partie d’un immense chaos. C’est aussi un contraste que je pratique entre des structures très claires et des structures où la surcharge implique fatalement la non-absorption. Dans un passage évident, clair, simple, on absorbe à 100 % ce qui est dit parce qu’on en distingue très bien toutes les articulations : le cheminement, la forme générale, etc. Au contraire, dans un passage très complexe, les superpositions sont tellement denses à certains moments qu’elles s’annihilent entre elles et, finalement, il en résulte une impression globale. Ce contraste entre la perception vraiment totale et la perception globale qui ne peut plus saisir aucun détail, est une des choses qui me tiennent le plus à cœur. Pour moi, cela a également rapport avec une conception du temps en général : le temps, dans une structure très claire, est un temps très relâché, un temps lent de perception ; tandis qu’au contraire, dans une accumulation, le temps global ne peut plus se décomposer » (c’est nous qui soulignons).
69 Dans les trois derniers versets, l’homophonie atteint, du fait de l’accumulation des intervalles de mutation, une densité 5 (séq XIV), 6 (séq X) et 7 (séq XII). L’élargissement de l’ambitus qui se produit avec l’entrée en jeu des nouveaux groupes (quintette à vent, sextuor à cordes, septuor à vent) conduit alors le compositeur à redistribuer dans le registre les notes de Iδ. Dans la séq X, les accords de six notes du sextuor à cordes (gr VI) présentent un sous-ensemble de IΔ (6-IΔ = 6-T7Δ : Perle 6-8B/Forte 6-Z6), selon deux dispositions différentes – à savoir mi♭2-si♮2-mi♮3-do♮4-FA♮4-si♭4 (6-IΔmi♮= 6-Δsi♮) dans la section f et la♮3-mi♭4-la♭4-mi♮5-SI♭5-fa♮6 (6-IΔla♮= 6-Δ mi♮) dans la première figure de la section g –, alors que tous les accords tenus du quintette à vent (gr V) font entendre une sélection de cinq notes de IΔ (5-IΔ : Perle 5-34/Forte 5-28) selon une disposition qui change dans chaque section : si♮2-la♭3-ré♮4-si♭4-MI♮5 (5-IΔmi♭) dans la première, do♯3-si♭3-mi♭4-sol♮4-LA♮4 (5-IΔré♮) dans la deuxième, etc. On notera la manière (toujours différente) dont s’entrecroisent, dans ce dernier cas, la structure de tritons [C60,2] et le segment de trois notes de C3 (respectivement C62,4, C61,3,…, et C32, C31,…). – Dans la séq XII, le premier accord tenu du sextuor à cordes et celui du septuor à vent font entendre, respectivement, 6-IΔfa♮= 6-Δdo♮ et Δdo♮ ; la registration est ici particulièrement remarquable, avec l’étagement – pour les cordes – de deux structures de quartes justes (4-C54 et deux notes du 3-C510 de IΔfa♮= 3-C55 de Δdo♮), et – pour les vents – de deux structures de tons entiers [3-C21 et 4-C20 = (C60,2)] :
Notes de fin
* La présente étude s’inscrit dans le cadre d’une recherche doctorale en cours à l’Université de Nice – Sophia Antipolis sous la direction de Jean-Louis Leleu et prolonge une série de notes que j’ai publiées sous le titre : « À propos des versets de Rituel in memoriam Bruno Maderna », Mitteilungen der Paul Sacher Stiftung, 17, 2004, p. 29-34. Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à Jean-Louis Leleu pour sa contribution déterminante à la conception de cet article et pour le soin qu’il a apporté à sa rédaction (« Sí mi spronaron le parole sue, ch’i’mi sforzai carpando appresso lui, tanto che’l cinghio sotto i piè mi fue »). Mes remerciements s’adressent aussi à Pascal Decroupet pour son aide lors de la réalisation des exemples musicaux.
Auteur
Université de Nice – Sophia Antipolis
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