Temps
p. 211-273
Texte intégral
Introduction
1Ainsi que nous l’avons déjà dit, l’espace et le temps bien que foncièrement différents sont indivisibles. Il n’y a pas de manifestation de vie dans l’espace seul, sans la participation du facteur temps. De même, il n’y a pas de manifestation de vie dans le temps seul, sans participation du facteur espace. Cela est vrai par rapport à la vie, ainsi que par rapport à la musique dont les éléments constitutifs sont le rythme (temps) et l’harmonie (espace) ; la mélodie étant un produit mixte participant et de l’espace et du temps, la synthèse la plus primitive de ces deux facteurs (mouvement du son dans le temps et dans l’espace).
2Nous avons parlé de La loi de la pansonorité. En elle s’accomplit la possession créatrice absolue de l’espace musical, dont les manifestations visibles sont l’ultrachromatisme et les [continuums] masses sonores. Cela veut dire qu’une conscience créatrice qui atteint un degré de maturité pansonore parfait, acquiert le pouvoir suprême sur l’espace musical. Mais du fait de l’unité du temps et de l’espace, ce pouvoir s’étend également sur le temps et se manifeste comme une possession créatrice absolue du temps musical. Ainsi, le temps musical, c’est-à-dire le rythme, sans être une émanation directe de la pansonorité, comme c’est le cas de l’harmonie, s’y trouve néanmoins indirectement attaché. Il s’ensuit une révolution libératrice rythmique, analogue à celle qui s’est accomplie dans le domaine de l’harmonie, toutes les deux étant deux aspects de la même révolution pansonore dans laquelle la musique se trouve engagée, voilà près de mille ans déjà. La voie de la réalisation suprême de l’une et de l’autre est la même et s’accomplit par la mécanisation de l’émission sonore. Il convient de se rappeler ce que nous avons dit à ce sujet dans le chapitre sur l’instrument mécanique. L’espace et le temps étant indivisibles, la révolution pansonore, tout en transformant l’espace musical, c’est-à-dire l’harmonie, transforme également le temps, c’est-à-dire le rythme, en l’assouplissant et en le faisant en quelque sorte « ultrachromatique ». Et plus loin : « la révolution rythmique consiste en l’introduction systématique dans le rythme de rapports numériques plus complexes que les rapports grossiers, binaires et ternaires, considérés généralement comme normaux. Il en résulte un rythme plus complexe et plus naturel en même temps, mais qui soulève des difficultés d’exécution qui deviennent insurmontables dès qu’on avance plus profondément dans ce domaine de l’ultrachromatisme rythmique ».
3Ainsi l’analogie entre l’espace et le temps, entre l’harmonie et le rythme est complète. De même que nous plaçons la pansonorité, c’est-à-dire le continuum harmonique à la base de notre conception spatiale, nous plaçons le continuum rythmique, c’est-à-dire la plénitude absolue d’un temps continu, non divisé en atomes temporels, à la base de notre conception temporelle et rythmique. Il s’ensuit une liberté totale dans le domaine du rythme, dont les possibilités sont tout aussi illimitées que les possibilités de l’ultrachromatisme harmonique. Mais de même que nous avions limité ces possibilités par l’adoption d’un milieu sonore basé sur la division de l’octave en soixante-douze parties égales (système à 1/12e de ton), nous devons limiter nos possibilités rythmiques par l’adoption d’un genre de tempérament égal rythmique, avec cette différence toutefois qu’ici nous ne sommes pas liés à l’inertie des objets matériels (instruments de musique) ainsi que nous le sommes dans le tempérament harmonique qui est fixé une fois pour toutes par un système d’émetteurs sonores, accordés à une certaine hauteur, en principe immuable (je parle en l’occurrence d’instruments harmoniques : piano, orgue, etc., et, en définitive, de l’instrument semi-mécanique parfait et non des instruments mélodiques). Ainsi, la limitation rythmique est une limitation librement consentie, tandis que la limitation harmonique nous est imposée, du dehors, par le milieu matériel. Pourquoi donc avons-nous recours à cette limite, si rien ne nous y force ? Nous le faisons en raison de cette unité du temps et de l’espace. Un espace sonore tempéré avec un temps libre et non tempéré aurait été une forme de déséquilibre et par conséquent, puisque nous sommes obligés d’adopter un tempérament pour l’espace, nous devons également adopter un tempérament pour le temps. En d’autres termes, nous aurions pu adopter le principe de la liberté totale dans le temps si nous avions adopté le même principe pour l’espace.
4Mais, il existe une raison plus profonde pour laquelle nous adoptons le tempérament égal rythmique et qui est au fond la même que celle qui nous a fait rejeter la liberté totale dans le choix des intervalles (voir l’introduction générale du « Fondement théorique ») qui, bien que très difficilement réalisable, n’est néanmoins pas impossible, car la liberté totale ne nous est pas nécessaire, ni dans le cas de l’harmonie, ni dans le cas du rythme. Avec 505 sons dans l’espace total de sept octaves, nous possédons approximativement tous les rapports sonores possibles, de même qu’avec un certain nombre de rapports rythmiques infiniment plus nuancés et plus complexes que les rapports grossiers que nous considérons généralement comme normaux, nous possédons approximativement tous les rapports rythmiques possibles. Et cette approximation est si petite que nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que dans l’ultrachromatisme harmonique à douzièmes de ton, nous atteignons pratiquement le continuum spatial [harmonique], tandis que dans l’ultrachromatisme rythmique, nous atteignons pratiquement le continuum temporel.
5Il convient toutefois de faire une remarque. Étant donné la différence qui existe entre la nature de l’espace musical et celle du temps musical, le tempérament égal rythmique ne peut pas être une application exacte du principe du tempérament égal harmonique au domaine du rythme. Une telle application aurait été l’adoption d’une certaine unité de temps [absolue] indivisible et inchangeable – un atome temporel, tout aussi infinitésimal pour notre perception du temps que l’est le 1/12e de ton pour notre perception auditive de l’espace musical – par exemple 1/15e de seconde, toute autre valeur rythmique étant la somme d’un certain nombre de 1/15e de seconde. Mais agir de la sorte serait artificiellement limiter les possibilités du temps, ce serait ignorer sa nature adaptable et la souplesse de son articulation. Pour nous, le tempérament égal rythmique est le principe d’une série de sons de durée égale, indépendamment de leur durée absolue. Ce n’est que pour des buts d’orientation que nous adoptons une certaine mesure de temps comme unité, mais nous ne sommes pas liés à elle comme nous le sommes avec le 1/12e de ton. Ce n’est pas un atome temporel et nous pouvons nous éloigner de cette mesure comme nous le voulons. Ainsi, en prenant un mouvement de croches où la durée de chaque croche est de 1/3 de seconde, nous pouvons passer à un autre mouvement plus rapide, en partant d’un quintolet sur trois de ces croches (rapport de durée : de la croche de l’ancien rythme à la durée de la croche du nouveau rythme, 5/3, chaque croche de ce dernier dure 1/5e de seconde) ; de ce mouvement nous pouvons passer à un autre plus lent en partant par exemple d’un quintolet sur sept croches (rapport de durée de la croche du rythme précédent à la croche du nouveau rythme, chaque croche du nouveau rythme dure 27/7e de seconde), puis nous pouvons passer à un quatrième, etc. Mais aussi loin que nous allons dans cette direction, cela doit être toujours sur la base de rapports numériques exacts. En appliquant ce principe à l’espace musical, cela nous aurait donné la possibilité de passage d’un milieu sonore à n’importe quel autre, y compris les milieux non multiples de douze, les milieux n’ayant pas de commun diviseur avec douze et même toute sorte de milieux non octaviants.
6Cela peut paraître en contradiction avec ce que nous avons dit sur le rejet de la liberté totale dans le domaine du rythme ainsi que dans le domaine de l’harmonie. Mais il faut tenir compte de ce que la liberté de passage d’un tempérament à un autre, qu’il s’agisse d’un tempérament rythmique ou harmonique, est loin encore de la liberté absolue, car elle exclut dans le domaine de l’harmonie tous les rapports non tempérés. Dans le domaine du rythme, [tous] les rapports peuvent s’exprimer par un rapport mathématique irrationnel. L’unité de l’espace et du temps s’exprime dans les deux cas par l’adoption d’un même principe d’égalité de distance (espace) ou de durée (temps). Mais la différence de leur nature fait que ce principe se manifeste dans les deux cas d’une façon différente : tandis que dans l’harmonie nous adoptons un tempérament égal unique qui englobe dans une synthèse suprême tous les tempéraments égaux partiels dont il est le plus petit commun multiple, dans le rythme nous avons la possibilité de passer d’un tempérament rythmique à n’importe quel autre. Voyons maintenant en quoi consiste l’ultrachromatisme rythmique.
Bases de l’ultrachromatisme rythmique
7Le principe fondamental de la révolution rythmique peut être sommairement défini ainsi : n’importe quel nombre de sons de durée égale peut être divisé en n’importe quel nombre de parties égales. Cette formule apparemment si simple contient toute une révolution dont l’ampleur nous deviendra évidente si nous tenons compte du fait que les possibilités rythmiques de l’époque classique se limitaient aux rapports de 2, 3 et à leurs multiples (non que les rapports de 5, 7 et d’autres nombres étaient défendus a priori – la règle classique n’était rigide que par rapport à l’harmonie – simplement, ils ne venaient à l’esprit de personne et ne correspondaient pas aux besoins expressifs de l’époque). La présence dans le rythme de nombres premiers autres que 2 et 3 (5, 7, 11, etc.), et même leur emploi systématique n’est que l’aspect superficiel de la révolution rythmique, de même que la présence d’intervalles ultrachromatiques dans l’harmonie n’est que l’aspect superficiel de la révolution harmonique pansonore.
8Déjà au XIXe siècle, avec Chopin, puis avec les compositeurs de la nouvelle école russe (Glinka, Borodine, Moussorgski, Tchaïkovski, Rimski-Korsakov), les rapports de 5 et de 7 s’introduisent en musique sous un double aspect – d’une part, de groupement, c’est-à-dire des mesures à cinq et sept temps (chez Rimski-Korsakov, même des mesures à onze temps) et d’autre part, des divisions, c’est-à-dire de quintolets et de septolets (Scriabine emploie même de curieuses formes de quintolets à deux étages, par exemple dans la 7e sonate, un quintolet greffé sur les trois dernières notes d’un autre quintolet). Au XXe siècle, on peut parler d’emploi systématique de ces procédés. De même que la révolution harmonique consiste avant tout à penser autrement, à s’émanciper de la conception naturelle [hiérarchique] pour se retrouver dans un univers uniforme de plénitude pansonore, de même la révolution rythmique consiste à penser autrement, à s’émanciper de la conception classique, et en particulier, de la conception de la mesure comme entité rigide en principe inchangeable pendant la durée d’un morceau de musique.
9La révolution libératrice rythmique du XXe siècle consiste à s’émanciper de l’emprise de ces formes rigides, et en premier lieu de celle de la mesure. L’ancien univers rythmique se trouve décomposé en ses éléments constitutifs premiers (unités rythmiques en principe irréductibles) et de ces éléments premiers un nouveau monde rythmique, plus riche et plus [souple] vrai se trouve reconstitué (Stravinski fut l’artisan le plus important de cette révolution rythmique ; quant à Schoenberg, si révolutionnaire dans l’harmonie, il est étrangement conservateur dans le domaine du rythme). Le rythme se trouve donc réduit à une sorte de pulsation primaire qui est justement cette suite de sons de durée égale que nous avons appelée « tempérament égal rythmique ». De même que la révolution harmonique place l’uniformité de l’espace musical régulièrement divisé, c’est-à-dire inorganisé et inarticulé, à la place de l’organisation tonale de cet espace, et en partant de cette uniformité reconstruit un monde nouveau, de même la révolution rythmique place le mouvement régulier, inorganisé et inarticulé, à la place de cette organisation complexe qu’est la mesure inchangeable et le groupement des mesures, et, en partant de cette uniformité, reconstruit un monde nouveau.
10Cette unité rythmique de base peut être exprimée de différentes façons : soit par la noire, soit par la croche, soit par la double croche, etc. Nous convenons de l’exprimer par la croche et nous allons dans le cadre de la présente étude, nous tenir à cette convention. Le mouvement uniforme et régulier sera donc un mouvement de croches. Le monde rythmique nouveau dont nous venons de parler consiste justement en ce que les croches se groupent en des organismes complexes (mesures) sans jamais former d’entités rythmiques rigides, sans jamais tomber dans l’inertie qui veut qu’une certaine forme de groupement se répète invariablement jusqu’au bout du morceau de musique. À chaque moment, l’inertie peut être brisée, chaque nouveau groupement, c’est-à-dire chaque nouvelle mesure, peut être différente (c’est-à-dire de 3, 4, 5, 6, 7 croches, etc.) et le type de changement lui-même peut varier constamment (un mouvement qui répéterait tout le temps le même changement, par exemple, une suite de mesures à 7/4, 9/4, 11/4 qui se reproduirait indéfiniment, serait également une forme d’inertie). C’est justement ces possibilités illimitées, cette liberté souveraine qui distingue le monde rythmique nouveau de l’ancien. D’autre part, une croche ou un groupe de croches peut être divisé en n’importe quel nombre de sons mais de telles divisions ne constituent nullement une décomposition du rythme en ses éléments constitutifs, comme c’est le cas lorsque nous décomposons la mesure classique, mais la création de superstructures rythmiques plus complexes au-dessus de cette pulsation uniforme primaire.
11L’ultrachromatisme rythmique proprement dit consiste justement dans l’introduction des nombres premiers supérieurs (5, 7, 11, 13, etc.) ; la richesse des rapports rythmiques qui s’ensuit est l’équivalent rythmique de la richesse harmonique qui résulte de l’introduction dans la musique de 1/4, de 1/6e et de 1/12e de ton. Naturellement, cette introduction seule, sans l’émancipation des formes temporelles rigides et la décomposition du rythme en ses éléments premiers ne ferait que remplacer une inertie par une nouvelle, bien que plus souple (des morceaux de musique entièrement basés sur la mesure 5/4 se trouvent chez Chopin, Glinka, Borodine, Tchaïkovski et d’autres). De même que l’ultrachromatisme harmonique n’a de sens que s’il est la manifestation d’un esprit spatial, c’est-à-dire d’une intuition du continuum sonore, l’ultrachromatisme rythmique n’a de sens que s’il est la manifestation d’une libération rythmique de l’intuition du continuum temporel.
12On doit remarquer que, dans le cas où la vitesse du mouvement est suffisamment grande, les groupements par cinq, par sept, et même par onze et par treize, peuvent être perçus spontanément comme simples et indivisibles, contrairement à la conception traditionnelle, profondément enracinée dans le binaire et le ternaire et pour laquelle un 5 ou un 7 ne peuvent jamais être des nombres simples. Conformément, elle tend à interpréter la mesure à cinq temps comme 2+3 ou 3+2 et la mesure à sept temps comme 4+3 ou 3+4 ou bien même comme 2+3+2. Un son tenu pendant cinq temps sera par conséquent noté quq. oι q .uq Il n’existe pas de moyen de le noter comme une entité simple, étant donné que notre notation est entièrement basée sur le rapport binaire, il faut par conséquent recourir à un compromis en le notant hue (le 7/8 peut se noter h..). Pour le rapport ternaire, il faut recourir à un moyen artificiel, notamment ajouter un point après la note ce qui l’augmente de la moitié de sa valeur (l’ajout d’un deuxième point l’augmente d’un quart de sa valeur, de sorte qu’une note doublement pointée contient 7/4 de sa valeur ; c’est la raison pour laquelle 7/8 peut se noter h..). Il est curieux d’observer qu’au XIVe siècle, dans la notation de l’Ars nova, la division ternaire était considérée comme principale (tempus perfectum) et la division binaire comme secondaire (tempus imperfectum). Ceci d’ailleurs pour des raisons théologiques, ayant trait au dogme de la Trinité.
13L’inadaptabilité de notre notation aux rapports non binaires (excepté les rapports ternaires) mène parfois à des paradoxes comme par exemple, le cas de blanches plus rapides que des noires pointées ou des noires plus rapides que des croches pointées. La division d’une mesure à 12/16 en quatre parties donne une suite de quatre croches pointées, mais sa division en cinq parties s’écrit en quintolets avec des noires ; la division de la mesure à 5/8 s’écrit comme un duolet de deux blanches, alors que la division d’une mesure à 6/8 en deux s’écrit au moyen de deux noires pointées.
14Cette rigidité de notre système de notation et le fait qu’il soit étranger aux rapports non binaires et non ternaires, à une époque où ces rapports sont choses courantes, a donné naissance à des projets d’assouplissement de ce système par l’introduction de nouveaux signes rythmiques correspondant aux groupements par 3, 5, 7, etc. C’est ainsi que le compositeur américain Henry Cowell avait proposé l’emploi, à côté des notes rondes ordinaires, de notes carrées et losangées. J’estime qu’une telle réforme n’est nullement nécessaire. Jusqu’au jour où le compositeur arrivera à noter sa pensée musicale directement sur le rouleau perforé de l’instrument mécanique (ce qui constitue la réforme idéale, assouplissant au maximum la notation et excluant tout élément conventionnel), j’estime qu’on peut, tant bien que mal, se tirer d’affaire avec la notation traditionnelle en établissant très exactement, dans les cas équivoques, les distances entre les notes proportionnellement à la durée de ces notes et dans certains cas, en ayant recours à des inscriptions littéraires (par exemple, dans le cas des septolets sur quatre, cinq ou six croches qui tous s’écrivent de la même manière, c’est-à-dire en croches, et si une équivoque existe, il est bon de préciser la nature du septolet en ajoutant au-dessus ou en dessous de celui-ci : sur quatre croches, sur cinq croches ou sur six croches, selon le cas).
15Quand nous disons que n’importe quel nombre de sons peut être divisé en n’importe quel nombre de parties égales, nous ne posons en principe aucune limite numérique à ces possibilités. Mais pour des raisons méthodologiques, nous limiterons les rapports numériques aux treize premiers nombres. Ce qui veut dire que ces rapports comprendront toutes les combinaisons possibles entre les treize premiers nombres et seulement celles-ci car on ne peut faire d’analyse numérique sans se limiter. L’ensemble des rapports, que ce soit des treize premiers ou des sept premiers ou encore des neuf premiers nombres forment un genre de système numérique clos (un espace numérique ou encore un cycle numérique). Cela ne veut nullement dire que nous avons l’intention de nous y enfermer en excluant les cycles numériques plus larges ou plus étroits. D’ailleurs quelque soit le système rythmique que nous adoptons, nous sortons immédiatement de son cadre, dès que nous confrontons entre eux non pas deux mais trois rythmes. Nous avons donné l’exemple de trois mouvements dans lesquels le rapport des mouvements I et II est 5/3 et celui des mouvements II et III est 5/7, par conséquent le rapport des mouvements I et III sera (5 x 5)/(3 x 7) = 25/21.
Système numérique des treize premiers nombres
16Limitée aux treize premiers nombres, la formule de la libération rythmique se présentera ainsi : n’importe quel nombre d’unités rythmiques (croches) compris entre 1 et 13 peut être divisé en n’importe quel nombre de parties égales compris entre 1 et 13. Ainsi une unité rythmique peut se diviser en 1, 2, 3, ..., 13 parties égales en donnant naissance à de nouveaux mouvements 2, 3, 4, ..., etc., fois plus rapides, qui s’expriment par les fractions 1, 1/2, 1/3, 1/4, ..., 1/13.
17Ces fractions expriment en même temps le rapport de durée de l’unité rythmique du nouveau mouvement à l’unité rythmique du mouvement initial ; la nouvelle unité présente la moitié, le tiers, le quart, ... de l’unité initiale83. De même, les fractions 2/1, 3/1, 4/1, ... représentent des mouvements 2, 3, 4, etc., fois plus lents que celui de l’unité rythmique). Deux unités se divisent en 1, 2, 3, etc..., jusqu’à treize parties égales : il y a treize divisions (2/1, 2/2, 2/3, ..., 2/13). Mais dans cette suite, il faut exclure toutes les fractions ayant un dénominateur pair, car elles ne font que répéter les divisions précédentes (la fraction 2/2 est égale à 1, soit une unité rythmique, la fraction 2/4 est égale à 1/2, 4/6 est égale à 1/3, etc.) En prenant successivement 3, 4, 5, ... jusqu’à treize unités rythmiques et en les divisant de la même manière (3/1, 3/2, 3/3, etc. ; 4/1, 4/2, 4/3, 4/4, etc., 5/1, 5/2, 5/3, 5/4, etc., jusqu’à 13/1, 13/2, 13/3, 13/4, etc.) et en excluant les répétitions (par exemple 3/3 = 1, 3/6 = 2, 4/2 = 2, 4/4 = 1, etc.), nous obtenons cent quinze fractions dont cinquante-sept inférieures à 1, cinquante-sept supérieures à 1 et une égale à 1.
18Si on dispose maintenant ces fractions par ordre de grandeur en partant de la plus petite (1/13) et, en passant par 1, jusqu’à la plus grande (13/1), nous obtenons une suite de fractions dont la première moitié (les cinquante-sept fractions allant de 1/13 à 12/13) est exactement celle que nous avons obtenue quand nous avons disposé les masses sonores de densités diverses dans l’ordre croissant des densités. Nous voyons donc que ce qui est densité dans le domaine de l’espace est vitesse dans le domaine du temps, la vitesse étant en quelque sorte la densité du temps. Dans les deux cas, les rapports sont limités aux treize premiers nombres, ce qui constitue une justification de notre choix des treize premiers nombres pour la constitution des rapports numériques.
19Dans le chapitre « Continuums de densités différentes », nous avons dit que la limitation aux treize premiers nombres correspond à la limite que nous avons tracée entre les continuums et les non-continuums qui est celle de 13/12e de ton. Écrivons maintenant les cent quinze fractions par ordre de grandeur croissant, en allant de la plus petite à la plus grande :
20Ce sont ces cent quinze fractions qui constituent le système des rapports numériques des treize premiers nombres. En l’examinant de près, on arrive à plusieurs constatations. D’abord, on voit qu’à chacune des cinquante-sept fractions plus petites que 1, correspond une des cinquante-sept fractions plus grandes que 1 qui est son exact renversement (ce qui est numérateur de l’une devient dénominateur de l’autre et vice versa). Ensuite, on constate que ces renversements se disposent de façon symétrique autour de la fraction 1/1 comme autour d’un axe. La fraction voisine de cet axe, mais plus petite qu’elle est 12/13, tandis que la fraction voisine plus grande est 13/12, renversement de la précédente. En allant plus loin vers la gauche (vers la diminution) on trouve les fractions 11/12, 10/11, 9/10 etc., et en allant vers la droite (vers l’augmentation), on trouve 12/11, 11/10, 10/9, etc., qui sont les renversements des précédentes, et ainsi de suite.
21La suite des cent quinze fractions est une suite irrégulière dans laquelle certaines fractions voisines se distinguent très peu l’une de l’autre, tandis que d’autres se distinguent bien davantage. Ainsi les fractions 5/11, 6/13 et 1/2 sont voisines. Or la différence entre les deux premières est bien plus petite que la différence entre les deux dernières (5/11 et 6/13 sont égales à 65/143 et 66/143 et leur différence est de 1/143 ; les fractions 6/13 et 1/2 sont égales à 12/26 et 13/26 et leur différence est de 1/26). Voici un tableau comparatif des treize façons de diviser l’unité. Les cinquante-sept fractions qui en résultent sont reportées sur la ligne du bas où leurs grandeurs et leurs rapports mutuels peuvent facilement être comparés.
Exemple n° 44
Vitesse absolue ; analogies entre l’espace et le temps
22Nous nous sommes occupés des rapports entre les différents mouvements sans étudier la question de leur vitesse absolue. À ce propos, on pourrait faire une analogie avec l’espace sonore en disant qu’il existe une sorte d’espace temporel qui comprend tous les mouvements dans l’ordre de leur rapidité et qui est limité, d’une part par les mouvements les plus lents, et d’autre part par les mouvements les plus rapides que puisse percevoir la sensibilité humaine (dans notre système rythmique de treize nombres, le rapport le plus rapide 1/13 au plus lent de fraction 13/1 est de 132 ou 169 ce qui veut dire que le mouvement le plus rapide est 169 fois plus rapide que le mouvement le plus lent, ce qui représente une amplitude considérable et place ces deux mouvements aux deux extrémités de l’espace temporel).
23Notre perception des rapports temporels est tout aussi limitée que notre perception de la hauteur des sons. Il existe des mouvements si rapides que nous ne sommes pas capables de percevoir les sons séparés, de même qu’il existe des sons suraigus dont les vibrations sont si rapides que nous cessons de les percevoir comme des sons musicaux. D’autre part, il existe des mouvements si lents que nous sommes incapables de percevoir leurs rapports de durée. Par exemple, la succession de deux sons dont l’un dure une minute et l’autre quarante secondes ; non seulement nous ne pouvons les percevoir comme un rapport de 3 à 2, mais nous ne pouvons même pas percevoir qu’ils sont de durées inégales. De même, il existe des sons dont les vibrations sont si lentes que nous cessons de les percevoir comme des sons musicaux. Les mouvements rapides sont par conséquent l’équivalent rythmique des sons aigus et les mouvements lents, l’équivalent des sons graves. En fait, si l’on considère le son musical du point de vue acoustique, c’est-à-dire du point de vue de la fréquence des vibrations sonores, on constate que le son musical est au fond un phénomène rythmique et que le rapport de deux sons de différentes hauteurs est en réalité un rapport de deux rythmes, c’est-à-dire de deux vitesses différentes. En effet, si nous ralentissons les fréquences de deux sons de différentes hauteurs suffisamment pour les percevoir, nous entendons deux rythmes simultanés au lieu de deux sons musicaux. Si les deux sons forment l’intervalle d’une octave, le rapport des deux rythmes sera de 2 à 1, s’ils forment l’intervalle d’une quinte leur rapport sera de 3 à 2, etc. Le tableau suivant montre l’analogie qui existe entre certains intervalles et certains rythmes simultanés.
Exemple n° 45
24Dans les cas 3 et 4, on peut simplifier les rapports numériques afin d’obtenir des rencontres simultanées plus fréquentes des quatre rythmes ; ces rencontres ne s’effectuent qu’à chaque vingt-huitième son du mouvement le plus lent du cas 3, et à chaque soixante-cinquième son du mouvement le plus lent du cas 4. Ainsi on peut remplacer les rapports 27-45-75-125 par les rapports 3-5-8-14 et les rapports 64-80-100-125 par les rapports 8-10-13-16, ce qui donne des points de repère communs des quatre rythmes plus fréquents : pour le mouvement le plus lent des cas 3 et 4, ce sera chaque quatrième son au lieu de chaque vingt-huitième et chaque neuvième au lieu de chaque soixante-cinquième.
25Dans cet espace temporel limité par les mouvements les plus lents et les plus rapides, nous pouvons, ainsi que nous l’avons fait pour l’espace sonore, déterminer un centre, c’est-à-dire une vitesse en quelque sorte centrale, normale, un « tempo giusto », temps juste qui est l’équivalent temporel de ce mi bémol central qui se trouve à distance égale entre le son le plus grave et le son le plus aigu et qui trouvent leurs équivalents temporels dans le mouvement le plus rapide et le mouvement le plus lent.
26Le temps et l’espace étant de nature différente, aucune analogie ne peut être complète. Et ceci est vrai aussi par rapport à l’analogie entre la vitesse du mouvement et la hauteur du son, que nous venons de développer et qui dépend du point de vue sur lequel on se place. Plus haut, nous avons dit : « si l’on considère le son musical du point de vue acoustique, c’est-à-dire de la fréquence des vibrations sonores... ». Notre point de vue a été celui de l’acoustique, autrement dit le point de vue naturel. Mais il existe, comme nous le savons, une dualité de points de vue et le son peut être considéré non seulement comme phénomène acoustique, mais aussi sous l’angle spatial, comme un point de l’espace musical. D’ailleurs, une allusion à ce deuxième point de vue a été faite quand nous avons dit : « nous voyons ainsi que ce qui est densité dans le domaine de l’espace est vitesse dans le domaine temporel, la vitesse étant en quelque sorte la densité du temps ». Ceci est le point de vue spatial, celui qui compare la vitesse du mouvement non pas avec la hauteur du son, mais avec la densité de l’espace. Les mouvements rapides sont par conséquent les équivalents temporels des grandes densités spatiales et non des sons aigus, et les mouvements lents sont les équivalents des petites densités spatiales et non des sons graves. Le mouvement moyen, le « tempo giusto » serait dans ce cas l’équivalent rythmique d’une certaine densité spatiale moyenne qu’on pourrait situer près de la densité 6 qui est celle qui sépare les continuums des non-continuums. C’est en se plaçant de ce point de vue que nous découvrons l’identité des rapports numériques dans l’espace et dans le temps qui est un des aspects essentiels de La loi de la pansonorité84.
27Encore quelques mots sur la vitesse absolue. Dans notre notation, tous ces mouvements différents (qu’on appelle aussi tempos), se désignent ordinairement par des termes italiens, presto, vivo, allegro, andante, etc., auxquels on adjoint parfois des caractéristiques verbales comme allegro con fuoco, andante maestoso, etc. Une telle manière de noter le tempo est évidemment très approximative et permet des variations considérables selon le goût et le caprice de l’exécutant. L’invention du métronome au XIXe siècle (de même que l’établissement d’un diapason standard à la même époque dans le domaine de la hauteur du son), change radicalement la situation car, avec lui, fut acquise la possibilité de déterminer la vitesse absolue du mouvement. Mais le métronome ne peut garantir, ni contre les fautes involontaires, ni contre les abus volontaires des exécutants, de sorte que dans la pratique, les indications métronomiques sont plus des indications moyennes vers lesquelles s’oriente l’exécution, qu’une règle strictement observée. Seule, évidemment, la mécanisation de l’émission sonore serait à même de garantir la vitesse absolue du mouvement avec une exactitude semblable à celle des instruments de musique au regard de la hauteur exacte du son musical.
Modulation rythmique et contrepoint rythmique
28Deux mouvements différents peuvent se trouver soit en rapport de succession, soit en rapport de simultanéité. En ayant recours à l’analogie entre l’espace et le temps, nous appellerons le premier cas, celui de la succession, modulation rythmique et le deuxième cas, celui de la simultanéité, contrepoint rythmique. Nous attribuons dans ce cas au terme de modulation non pas ce sens traditionnel de passage d’une tonalité à une autre, mais le nouveau sens de passage d’un espace régulier dans un autre. Le passage d’un mouvement à un autre, d’un mouvement plus rapide à un mouvement moins rapide, par exemple, est l’équivalent rythmique du passage d’un espace régulier plus dense à un espace moins dense.
29Dans les analyses qui vont suivre, nous allons travailler avec les notions de coefficient d’accélération ou de ralentissement. Dans une modulation rythmique, nous appelons coefficient d’accélération ou de ralentissement, le nombre par lequel il faut multiplier la durée de l’unité rythmique du mouvement initial pour obtenir la durée du son dans le second mouvement. Un coefficient d’accélération sera donc toujours un nombre [fraction] inférieur à 1 et un coefficient de ralentissement sera toujours un nombre supérieur à 1. Modulons par exemple dans un mouvement plus rapide, soit un mouvement de quintolets sur trois croches du mouvement précédent. Dans ce cas le coefficient d’accélération sera de 3/5, ce qui signifie que si la durée de l’unité rythmique du premier mouvement est exprimée par 1, celle du deuxième mouvement sera exprimé par 3/5 (le deuxième mouvement s’obtient par la multiplication du premier mouvement avec le coefficient 3/5). Prenons maintenant un exemple de ralentissement. Par exemple, une modulation dans un mouvement plus lent, soit un mouvement de triolets sur cinq croches du mouvement précédent (l’inverse de l’exemple précédent). Le coefficient de ralentissement sera 5/3, l’inverse du coefficient précédent, ce qui signifie que si la durée du mouvement initial est exprimée par 1, celle du deuxième mouvement sera exprimée par 5/3.
30Le coefficient de ralentissement ne s’exprime pas toujours par un nombre fractionnaire. Si on module dans un mouvement deux, trois, quatre fois plus lent, le coefficient est un nombre entier de forme fractionnaire 2/1, 3/1, 4/1, etc85.
31La pulsation rythmique qui est à la base du mouvement ne doit pas être nécessairement explicite. Elle peut être sous-entendue en formant des successions de groupes contenant deux, trois, quatre unités rythmiques ou plus. Toutefois, pour qu’on puisse dire que l’unité rythmique est plus brève, il faut qu’elle soit nettement sentie et indiquée, ne fût-ce que par son rappel de temps en temps, sans quoi nous aurions un mouvement deux, trois ou quatre fois plus lent. Par exemple, un long morceau où chaque note ou accord serait d’une durée de cinq croches constituerait un mouvement cinq fois plus lent dans lequel l’unité rythmique serait de cinq croches. Une autre indication est la succession de groupements n’ayant pas de diviseur commun ; par exemple, la succession de groupements de deux et trois ou de deux et cinq ou de deux, trois, cinq unités rythmiques, etc. Ces groupements inégaux sous-entendent la présence d’une unité rythmique plus brève qui constitue le diviseur commun de ces groupements inégaux.
32Regardée du point de vue de la précision d’écriture, la définition exacte de la modulation rythmique au moyen de rapports mathématiques représente un progrès indéniable si on la compare à la méthode habituelle qui consiste à définir la modulation exclusivement au moyen de termes verbaux : lento, andante, allegro, etc. Les indications métronomiques apportent évidemment la précision nécessaire, sans indiquer le rapport exact entre deux mouvements, ce que font les coefficients d’accélération et de ralentissement.
33La modulation rythmique peut s’effectuer de façon progressive. La méthode habituelle consiste, dans ce cas, à inscrire au dessus du texte musical les termes conventionnels accelerando, rallentando, ou ritenuto. Cela signifie en fait l’introduction du continu dans les rapports rythmiques, étant donné que cette accélération ou ce ralentissement s’effectue non par saccades, mais par une sorte de glissando rythmique. Exprimés en une image spatiale, ces accélérations ou ralentissements s’exprimeraient par une ligne courbe et non par une ligne en escalier. Si on les examine exclusivement du point de vue de l’écriture, il faut reconnaître que le continu en est absent et ne peut pas y être, puisque le mouvement n’est pas le temps continu ou le temps « pansonore », mais le temps divisé, en l’occurrence en croches. Or la durée d’une croche peut toujours être mesurée exactement, que ce soit dans un mouvement régulier ou dans un mouvement progressivement accélérant ou ralentissant. Les rapports mathématiques qui résultent de cette mesure peuvent être extrêmement complexes, mais en les simplifiant, on peut toujours les réduire à des rapports plus simples, en les faisant éventuellement tenir dans le cadre du « système des treize premiers nombres » ; ou bien, on peut avoir recours, spécialement pour les mouvements d’accélération ou de ralentissement, à des subdivisions plus fines (doubles-croches ou triolets de doubles-croches). Cela concerne naturellement l’exécution non mécanisée. Dans l’exécution mécanisée où les considérations de facilité d’exécution ne comptent pas, les possibilités sont bien plus grandes. Nous étudierons par la suite ces formules accélérantes ou ralentissantes.
34Supposons que le retour au mouvement initial, après modulation, s’effectue par une deuxième modulation avec le coefficient inverse. Ce qui est accélération devient ralentissement et vice versa. Dans l’exemple que nous avons donné, nous avons une modulation accélérante avec un coefficient 3/5 et une modulation ralentissante avec un coefficient 5/3, qui est le renversement du précédent. En faisant suivre ces deux modulations, on revient au mouvement initial. En règle générale, on peut dire que, quand on a plusieurs modulations de suite, pour obtenir le rapport du mouvement initial au dernier mouvement, il faut multiplier les coefficients des modulations successives. Quand cette multiplication donne 1, comme dans le cas précédent (3/5 x 5/3 = 1), nous avons un retour au mouvement initial. Si, après avoir opéré une série de modulations, nous voulons brusquement retourner au mouvement initial, il suffit d’opérer une nouvelle modulation, dont le coefficient d’accélération ou de ralentissement serait le renversement du produit de la multiplication des coefficients précédents. Prenons par exemple, une série de trois modulations dont les coefficients successifs sont : 3/5 (accél.), 3/2 (ralent.) et 7/4 (ralent.). Nous avons un mouvement lent dont le coefficient de ralentissement par rapport au mouvement initial est 3/5 x 3/2 x 7/4 = 63/40. Pour revenir au mouvement initial, il suffit d’opérer une modulation accélérante dont le coefficient est le renversement du précédent, c’est-à-dire 40/63. Toutefois, si on veut éviter une modulation aussi brusque et « peu exécutable » (dans le cas d’une exécution non mécanisée), on peut la décomposer en deux modulations accélérantes successives dont les coefficients seraient : 8/9 et 6/7. La chaîne des modulations se présentera ainsi : 3/5, 3/2, 7/4, 8/9 et 5/7. Multipliées entre elles, ces cinq fractions donnent 1.
35Il est évident que, puisque nous limitons volontairement cette analyse aux treize premiers nombres, les coefficients doivent nécessairement appartenir au tableau des 115 fractions que nous connaissons et ne peuvent le transgresser. Ce tableau est le tableau de tous les coefficients possibles dans le cadre des treize premiers nombres – cent quatorze en tout (la fraction 1/1 incluse dans ce tableau en qualité de centre et de pivot en l’occurrence ne compte pas), dont cinquante-sept coefficients d’accélération et cinquante-sept coefficients de ralentissement. Cela ne concerne que les mouvements immédiatement voisins [ou conjoints]. Pour les mouvements séparés par un ou plusieurs autres mouvements, leur rapport peut être plus complexe. Nous venons de voir un coefficient de ralentissement 63/40, qui résulte de trois modulations successives différentes et exprime le rapport du premier mouvement au quatrième, c’est-à-dire de deux mouvements séparés par deux autres. Toutefois, il faut remarquer que les nombres supérieurs à treize, survenus ainsi, ne peuvent être que des multiples des treize premiers nombres et jamais des nombres premiers supérieurs (17, 19, 23, etc.).
36Les rapports numériques qui régissent les mouvements successifs, régissent également les mouvements simultanés, c’est-à-dire le contrepoint rythmique. Il peut y avoir des contrepoints de deux, trois, quatre mouvements et plus. Comme dans les modulations rythmiques, des rapports simples, si on les considère séparément, engendrent des rapports complexes. Toutefois dans les rapports simultanés, il faut être plus strict que dans les rapports successifs. Un des principes essentiels de l’art est l’équilibre, l’unité et la diversité. On peut moduler successivement et s’éloigner tant qu’on veut du mouvement initial sans pour autant que l’unité soit sacrifiée. Mais réunir simultanément tous les rapports est une chose toute différente. Un amoncellement simultané de mouvements différents, où les rencontres de notes communes à tous les mouvements ne se produiraient que très rarement, risquerait de rompre l’équilibre en faveur de la diversité et au détriment de l’unité. Si complexe que soit l’ensemble des éléments simultanés, la sensibilité humaine opère toujours et doit opérer la synthèse, sans laquelle il n’y a pas de phénomène artistique. C’est pourquoi les quatre mouvements obtenus au moyen de trois modulations rythmiques successives et dont les coefficients, en prenant 1 comme mouvement de départ, étaient 3/5, 3/2 et 7/4, ne peuvent s’unir en un contrepoint rythmique. En effet, par rapport au premier mouvement pris comme unité, le deuxième mouvement vaut 3/5, le troisième 9/10 et le quatrième 63/40. Dans un tel contrepoint, les points de ralliement, c’est-à-dire les rencontres simultanées de notes communes des quatre mouvements ne se produiraient que sur chaque 64e note du premier mouvement. La sensibilité humaine est incapable d’opérer une telle synthèse.
37Il faut ajouter à tout ceci que les mouvements deux, trois, quatre, ... fois plus rapides ou plus lents, tout en étant des mouvements différents (parce que plus rapides ou plus lents), sont en quelque sorte des répliques du même mouvement mais en plus grand ou en plus petit. Elles peuvent être dans un certain sens comparées à des redoublements par octave (en ayant recours à l’analogie non spatiale, qui compare la vitesse d’un mouvement à la vitesse des vibrations d’un émetteur sonore). Ainsi, la modulation dans un mouvement deux fois plus rapide (de coefficient 1/2), pourrait être nommée transposition dans une « octave rythmique » supérieure, et un contrepoint de deux mouvements, dont un est deux fois plus rapide que l’autre, pourrait être nommé redoublement à une « octave rythmique ».
Modulations rythmiques définitives et passagères
38Une modulation rythmique peut être définitive, c’est-à-dire être le passage dans un autre mouvement, tout aussi stable que le mouvement précédent, ou bien passagère, c’est-à-dire être une déviation provisoire, avec retour au mouvement initial. Elle peut aussi être une déviation provisoire sans retour au mouvement initial, mais avec passage à un autre mouvement définitif, c’est-à-dire être une modulation passagère précédant une deuxième modulation qui, elle, est définitive. Il peut y avoir plusieurs modulations passagères successives s’insérant entre deux mouvements stables. Quelquefois il est difficile de dire si nous avons affaire à une modulation de type transitoire ou de type définitif. Il existe deux méthodes différentes pour effectuer les modulations successives correspondant à l’esprit de la modulation définitive et à celui de la modulation passagère. L’une d’elles est celle que nous avons vue, et qui consiste à moduler en partant chaque fois du nouveau mouvement et non du mouvement initial, c’est-à-dire en prenant chaque fois le nouveau mouvement comme unité et en établissant le coefficient par rapport à cette nouvelle unité. Cette méthode correspond à l’esprit de la modulation définitive, car elle est basée sur l’abandon à chaque modulation du mouvement précédent. L’autre méthode consiste à moduler en partant chaque fois du mouvement initial et non du mouvement précédent, c’est-à-dire de ne jamais abandonner le mouvement initial et de ne jamais prendre le mouvement précédent comme unité de départ. Les coefficients s’établissent alors par rapport à l’unité initiale. Cette méthode convient davantage aux modulations passagères puisqu’elle ne rompt jamais le lien avec le mouvement initial.
39Conformément à cette différence, les coefficients des mouvements voisins seront dans la première méthode, en règle générale, plus simples que les coefficients se rapportant au mouvement initial (ces derniers résultant de la multiplication des premiers) et dans la deuxième méthode, les coefficients se rapportant au mouvement initial seront plus simples que les coefficients des mouvements voisins (ces derniers résultant de la division des premiers, notamment de la division du coefficient formé par le rapport du dernier mouvement initial par le coefficient des deux derniers mouvements voisins). Nous appellerons les coefficients se rapportant au même mouvement initial coefficients absolus et ceux qui se rapportent au mouvement précédent coefficients relatifs. Le coefficient absolu s’obtient par multiplication des coefficients relatifs ; le coefficient relatif s’obtient par division du coefficient absolu par le produit des autres coefficients relatifs. Il s’ensuit que la première modulation d’une suite modulante a des coefficients absolu et relatif identiques. Dans une suite de plus de deux modulations, nous appellerons les coefficients formés par le rapport du dernier mouvement aux mouvements précédents, excepté le mouvement initial, (au deuxième mouvement dans le cas de trois modulations, au deuxième et au troisième dans le cas de quatre modulations, etc.) coefficients relatifs au deuxième mouvement, relatifs au troisième mouvement, etc.
40Examinons maintenant les deux méthodes. Prenons un exemple. Voici d’abord une série de modulations selon la première méthode : la première modulation a comme coefficient 3/5, la deuxième a pour coefficient relatif 4/7, la troisième de nouveau 3/5 (coefficient relatif). Il s’ensuit que la deuxième modulation aura comme coefficient absolu 3/5 x 4/7 = 12/35 ; la troisième aura comme coefficient relatif au deuxième mouvement 4/7 x 3/5 = 12/35 et comme coefficient absolu 3/5 x 4/7 x 3/5 = 36/175. Le tableau suivant montre le rapport entre tous ces coefficients :
Coefficients absolus |
Coefficients relatifs au deuxième mouvement |
Coefficients relatifs au troisième mouvement |
|
Première modulation (2e mouvement) |
3/5 |
||
Deuxième modulation (3e mouvement) |
12/35 |
4/7 |
|
Troisième modulation (4e mouvement) |
36/175 |
12/35 |
3/5 |
41Prenons maintenant une série de modulations selon la deuxième méthode : la première modulation a comme coefficient 5/7, la deuxième a pour coefficient absolu 2/3, la troisième a aussi un coefficient absolu de 3/5. Voici un tableau analogue au précédent :
Coefficients absolus |
Coefficients relatifs au deuxième mouvement |
Coefficients relatifs au troisième mouvement |
|
Première modulation (2e mouvement) |
5/7 |
||
Deuxième modulation (3e mouvement) |
2/3 |
14/15 |
|
Troisième modulation (4e mouvement) |
3/5 |
9/10 |
27/28 |
42Les fractions de la deuxième et de la troisième colonne s’obtiennent ainsi : 14/15 en divisant 2/3 par 5/7 (2/3 x 7/5 = 14/15), 9/10 en divisant 3/5 par 2/3 (3/5 x 3/2 = 9/10), 27/28 en divisant 9/10 par 14/15 (9/10 x 15/14 = 27/28). Cette suite modulante est l’exemple d’une accélération excessivement douce, presque imperceptible et typique de ce que nous avons appelé ultrachromatisme rythmique. Si l’on compare les coefficients absolus d’accélération au tableau des 115 fractions formées par les treize premiers nombres, nous voyons que ces coefficients sont très proches les uns des autres : 5/7 est séparé de 2/3 par 7/10 et 9/13 ; 2/3 est séparé de 3/5 par 7/11, 5/8 et 8/13 (dans un système numérique limité aux sept premiers nombres, seules ces trois fractions seraient voisines). Les accélérations et les ralentissements les plus imperceptibles, les plus « ultrachromatiques » sont évidemment ceux dont les coefficients absolus se suivent directement, c’est-à-dire restent voisins dans le tableau des cent quinze fractions. Il faut en conclure que la manière la plus imperceptible de passer graduellement d’un mouvement à un autre, par exemple deux fois plus rapide ou deux fois plus lent, est d’accomplir vingt-neuf modulations successives dont les coefficients absolus sont les vingt-neuf fractions qui dans le tableau des cent quinze fractions, se trouvent entre 1 et 1/2 (pour l’accélération, on aura en partant de 1 : 12/13, 11/12, 10/11, 9/10... 5/9, 6/11, 7/13 et 1/2 ; pour le ralentissement on aura la même chose en ordre inverse, soit en partant de 1/2 : 1/2, 7/13, 6/11, 5/9... 9/10, 10/11, 11/12, 12/13 et 1) ou entre 1 et 2 (pour l’accélération on aura : 1, 13/12, 12/11, 11/10... 7/13, 11/6, 9/5, 2 et pour le ralentissement, la même chose en sens inverse).
43Mais, comme nous le savons, la suite de ces fractions est une suite inégale. Certaines fractions voisines se distinguent davantage l’une de l’autre, d’autres se distinguent moins. Pour définir exactement ces distinctions, c’est-à-dire le degré de perceptibilité de chaque modulation successive, il faut définir leurs coefficients relatifs. En effet, le numérateur et le dénominateur de ces coefficients expriment numériquement la différence entre les deux mouvements de la modulation rythmique. Les deux mouvements se distinguent d’autant moins que la différence entre le numérateur et le dénominateur est moindre. Reprenons la suite des coefficients absolus dans un mouvement modulant accélérant allant de 1 à 1/2 et passant par toutes les fractions de notre tableau qui sont : 1, 12/13, 11/12, 10/11, etc.
44La première modulation, partant d’un mouvement initial qui se définit comme 1/1, a comme coefficient absolu 12/13 ; son coefficient relatif sera également 12/13.
45La deuxième modulation a comme coefficient absolu 11/12 ; son coefficient relatif (rapport de ce mouvement au mouvement précédent) sera 11/12 divisé par 12/13, c’est-à-dire 11/12 x 13/12 = 143/144. En comparant les coefficients 12/13 et 143/144, on voit que le deuxième est bien plus près de 1 que le premier, d’où il faut conclure que la deuxième modulation est bien plus subtile et imperceptible que la première.
46La troisième modulation a comme coefficient absolu 10/11 et comme coefficient relatif 10/11 x 12/11 = 120/121, ce qui constitue une modulation moins subtile que la précédente.
47La quatrième modulation a comme coefficient absolu 9/10 et comme coefficient relatif 9/10 x 11/10 = 99/100 ; elle est encore moins subtile (bien que pratiquement la modulation soit toujours à peine perceptible). Les modulations qui suivent ont des coefficients absolus 8/9, 7/8, 6/7 et leurs coefficients relatifs sont de moins en moins proches de 1 : 80/81, 63/64, 48/49. Après la fraction 6/7 vient dans le tableau des 115 fractions non pas la fraction 5/6, mais 11/13. Le coefficient absolu de la huitième modulation est par conséquent 11/13 et son coefficient relatif est 11/13 divisé par 6/7, c’est-à-dire 11/13 x 7/6 = 77/78. L’imperceptibilité de la modulation qui allait en diminuant fait ici un bond en avant car 77/78 est plus près de 1 que le coefficient relatif précédent 48/49. La suite des cent quinze fractions est pleine de ces inégalités qui s’expriment par les coefficients relatifs. Voici un tableau comparatif des treize premières modulations (en répétant les huit premières), en partant de 1 et en allant vers 1/2.
Modulations |
Coefficients absolus |
Coefficients relatifs |
1re modulation |
12/13 |
12/13 |
2e modulation |
11/12 |
143/144 |
3e modulation |
10/11 |
120/121 |
4e modulation |
9/10 |
99/100 |
5e modulation |
8/9 |
80/81 |
6e modulation |
7/8 |
63/64 |
7e modulation |
6/7 |
48/49 |
8e modulation |
11/13 |
77/78 |
9e modulation |
5/6 |
65/66 |
10e modulation |
9/11 |
54/55 |
11e modulation |
4/5 |
44/45 |
12e modulation |
7/6 |
35/36 |
13e modulation |
10/13 |
90/91 |
48Une autre façon de comparer les degrés d’imperceptibilité de la modulation est de se référer au tableau comparatif des treize façons de diviser une unité (voir le chapitre Système numérique des treize premiers nombres), dans lequel les différences entre les fractions se trouvent géométriquement exprimées par les différentes distances entre les lignes. En effet, en consultant ce tableau, on voit que plus les coefficients relatifs sont voisins de 1, plus la distance entre les lignes est petite.
49Si nous modulons plusieurs fois en partant chaque fois du mouvement précédent (première méthode), nous sommes évidemment libres de grouper à chaque modulation les unités rythmiques du nouveau mouvement comme nous le désirons. Mais si nous modulons en partant chaque fois du mouvement initial sans jamais rompre avec lui (deuxième méthode), nous sommes forcé de grouper les unités rythmiques du nouveau mouvement conformément au coefficient d’accélération ou de ralentissement. Si par exemple le coefficient de la première modulation est 3/5, ce qui veut dire que la rapidité du nouveau mouvement est celle d’un quintolet sur trois croches du mouvement précédent, alors, selon la deuxième méthode c’est effectivement un quintolet qui doit suivre la modulation (cela peut être aussi une suite de deux ou trois quintolets – l’essentiel est que les groupements soient par cinq) et non un groupement par quatre ou par sept ou n’importe quel autre, car dans ce dernier cas, le lien avec le mouvement initial se trouverait rompu. Par contre, si nous agissons selon la première méthode sans s’occuper du lien avec le mouvement initial, le groupement peut se faire non seulement par cinq mais aussi par quatre, par six, par sept, etc. En fait, dans une modulation passagère, il n’y a pas de vrai nouveau mouvement, mais une suite de triolets, de quartolets, de quintolets, etc., qui viennent se greffer sur le mouvement initial qui reste « invisiblement » toujours présent. Voici un exemple de suite modulante avec retour au mouvement initial : quatre modulations dont les trois premières accélérantes et la quatrième ralentissante ramènent en annulant l’effet des trois premières le mouvement à l’état initial. Nous indiquons tous les coefficients résultant des rapports de ces quatre vitesses (coefficients absolus que nous entourons d’un cercle) : la vitesse initiale à la deuxième, troisième et quatrième ; la deuxième à la troisième et à la quatrième ; la troisième à la quatrième (coefficients relatifs).
Exemple n° 46
50La quatrième modulation, au lieu de retourner au mouvement initial, peut mener à un cinquième mouvement, par exemple deux fois plus rapide que le mouvement initial. Dans ce cas, la quatrième modulation sera une modulation accélérante et les cinq coefficients désignant le rapport du cinquième mouvement aux mouvements 1, 2, 3 et 4 seront deux fois plus petits : au lieu de 1, 4/3, 3/2, 5/3, ils seront 1/2, 2/3, 3/4, 5/6.
51La formation des mesures dans l’exemple précédent, c’est-à-dire la manière de grouper le quartolet, le triolet, le quintolet et les unités rythmiques du mouvement initial et du mouvement final, peut être différente et dépend de la structure générale de l’œuvre, c’est-à-dire de ce qui précède, de ce qui suit et de ce qui est simultané. Voici quelques exemples de différents groupements (le cinquième mouvement est deux fois plus rapide que le mouvement initial) :
Exemple n° 47
52Pendant que durent les modulations passagères, le mouvement initial peut être présent non seulement « invisiblement », mais aussi réellement. On a un contrepoint rythmique de deux mouvements, dont l’un est modulant (avec triolets, quartolets, etc.), et l’autre régulier. Passons maintenant à l’étude de ces contrepoints.
Étude des mouvements modulants et de leurs coefficients (1)
53Dans les suites modulantes, accélérantes ou ralentissantes, les coefficients absolus peuvent se suivre de manières différentes. Ou bien, ils présentent la même suite que celle du tableau des cent quinze fractions (cas dans lequel les accélérations et les ralentissements sont les plus subtils), ou bien nous opérons dans cette suite un certain choix en éliminant certaines fractions. Ce choix peut être déterminé par un certain principe et incarner un certain ordre. Dans la suite des coefficients absolus, les nombres exprimant les numérateurs et les dénominateurs peuvent se suivre d’une certaine manière – par exemple d’une manière consécutive (1, 2, 3, 4, etc.), ou bien en alternant chaque deuxième nombre (suite paire : 2, 4, 6, etc., ou suite impaire : 1, 3, 5, etc.), ou chaque troisième nombre (1, 4, 7, etc., ou 2, 5, 8, etc., ou 3, 6, 9, etc.). Les combinaisons peuvent être toutes différentes. Selon la combinaison, la suite modulante est accélérante ou ralentissante, l’accélération ou le ralentissement est plus ou moins précipité. Un tel ordre a, devant la suite totale des cent quinze fractions, l’avantage d’être plus uniforme. Y sont exclues toutes les irrégularités que nous avons constatées et qui sont évidentes dans le tableau comparatif des treize manières de diviser une unité rythmique (voir le chapitre Système numérique des treize premiers nombres), et dont nous avons vu un exemple dans la suite des fractions 5/11, 6/13 et 1/2.
54Examinons d’abord le cas où les numérateurs et les dénominateurs se suivent d’une façon consécutive. Pour obtenir une telle suite, il faut évidemment, à chaque modulation rythmique, additionner une unité au numérateur et au dénominateur. En commençant par 1/2, nous aurons la suite : 1/2, 2/3, 3/4, 4/5, 5/6, 6/7, 7/8, 8/9, 9/10, 10/11, 11/12, 12/13,. Si nous la commençons par 1/3, nous aurons : 1/3, 2/4 (1/2), 3/5, 4/6 (2/3), 5/7, 6/8 (3/4), 7/9, 8/10 (4/5), 9/11, 10/12 (5/6), 11/13. En comparant ces deux suites, nous voyons que la deuxième est plus subtile car elle comprend toutes les fractions de la précédente entre lesquelles s’intercalent des fractions supplémentaires (3/5, 5/7, 7/9, etc.). Le rapport de cette suite à la précédente est le même que celui d’un espace à demi-tons envers un espace à tons entiers. Encore plus subtile est la suite qui commence par 1/4. Elle se présente ainsi : 1/4, 2/5, 3/6 (1/2), 4/7, 5/8, 6/9 (2/3), 7/10, 8/11, 9/12 (3/4), 10/13. Nous voyons que dans cette suite les fractions intermédiaires sont plus nombreuses que dans la suite précédente ; notamment il y en a deux entre les fractions voisines de la première suite, là où dans la deuxième suite il n’y en avait qu’une. Le rapport de cette suite à la première peut être comparé à celui qui existe entre un espace à 1/3 de ton et un espace à tons entiers (ou un espace à 1/6e de ton à un espace à demi-tons). Plus subtile encore est la suite qui commence par 1/5 : 1/5, 2/6 (1/3), 3/7, 4/8 (1/2), 5/9, 6/10 (3/5), 7/11, 8/12 (2/3), 9/13. Là où dans la deuxième suite, il y avait une fraction intermédiaire, dans la troisième deux fractions intermédiaires, il y en a ici trois. Cette suite se rapporte donc à la première comme un espace à 1/4 de ton à un espace à tons entiers (ou comme un espace à huitièmes de ton à un espace à demi-tons). En même temps, elle se rapporte à la deuxième suite comme un espace à quarts de tons se rapporte à un espace à demi-tons. En effet, toutes les fractions de la deuxième suite y sont présentes (1/3, 1/2, 3/5, 2/3). Voici un tableau comparatif de ces quatre suites. Chaque suite est plus courte que la précédente à cause de notre limitation volontaire aux treize premiers nombresx.
55On peut continuer ainsi le tableau en partant de 1/6, 1/7, etc. On obtiendra des suites de plus en plus denses, mais en même temps de plus en plus brèves si l’on veut se limiter aux treize premiers nombres.
56En examinant de près ces suites on constate que malgré la présence des coefficients d’accélérations (fractions moindres que 1) toutes ces suites sont ralentissantes car les coefficients en question sont des coefficients absolus qui ne contiennent aucune indication quant aux rapports des mouvements entre eux. Seuls les coefficients relatifs indiquent ces rapports et permettent de déterminer dans quel cas il y a accélération du mouvement et dans quel cas il y a ralentissement. Pour obtenir le coefficient relatif d’une modulation on doit, comme on le sait, diviser le coefficient absolu de cette modulation par le coefficient absolu de la modulation précédente. Si l’on prend par exemple dans la suite 1, le coefficient absolu du troisième mouvement, soit 3/4 et qu’on le divise par le coefficient précédent 2/3, on obtient le coefficient relatif 9/8 qui exprime le rapport du deuxième au troisième mouvement. Dans la suite 2, le coefficient absolu du troisième mouvement 3/5, divisé par le coefficient absolu du deuxième mouvement 1/2, donne le coefficient relatif 6/5. Le premier coefficient absolu coïncide évidemment avec le premier coefficient relatif. Dans ces suites, le premier coefficient absolu exprime d’ailleurs non pas une modulation mais le rapport de ce mouvement à un autre, qui dans les contrepoints rythmiques que nous allons étudier jouera le rôle de mouvement régulier. La même chose peut se dire de tous les coefficients absolus – seuls, les coefficients relatifs expriment les modulations.
57Constatons encore que tous ces ralentissements successifs sont des ralentissements inégaux (deux ralentissements sont égaux s’ils ont le même coefficient relatif). Mais leur suite ne présente pas ces irrégularités que nous avons observées dans la suite des 115 fractions. Les changements dans les ralentissements s’effectuent selon un certain ordre, notamment, chaque ralentissement suivant est moins marqué que le ralentissement précédent et les mouvements se distinguent de moins en moins les uns des autres. Cela s’exprime par le fait que les coefficients relatifs se distinguent de moins en moins les uns des autres (dans la suite 1, nous avons 4/3, 9/8, 16/15, 25/24, 36/35, 49/48, etc. ; et dans la suite 2 : 3/2, 6/5, 10/9, 15/64, 21/20, 28/27, 36/35, etc.). Leur marche se rapproche de plus en plus de 1 comme de sa limite inférieure sans jamais pouvoir l’atteindre. Quant à la marche des coefficients absolus, elle s’approche également de 1 sans jamais l’atteindre, mais comme de sa limite supérieure et non inférieure. Par la suite nous verrons que les coefficients relatifs s’approchent toujours de 1 qui est leur limite supérieure ou inférieure. Par contre, la limite supérieure ou inférieure des coefficients absolus peut être 1, 2, 3, etc., ou 1/2, 1/3, 1/4, etc. Nous allons adopter une abréviation pour désigner le genre du mouvement. Ainsi, le mouvement dans lequel les numérateurs et les dénominateurs des coefficients absolus se suivent de façon consécutive en partant de 1/2 et en ayant 1 comme limite supérieure sera désigné par 1/2 < limite 1, le mouvement qui part de 1 en ayant 1/2 comme limite inférieure sera désigné par 1 > limite 1/2, etc.
58En règle générale, on peut dire qu’un mouvement modulant dont les coefficients absolus s’approchent d’une limite supérieure doit nécessairement être un mouvement ralentissant et un mouvement dont les coefficients absolus s’approchent d’une limite inférieure doit nécessairement être un mouvement accélérant. De même, en règle générale, un mouvement modulant dont les coefficients relatifs sont plus grands que 1, est un mouvement ralentissant (coefficient de ralentissement) et un mouvement modulant dont les coefficients relatifs sont plus petit que 1, est un mouvement accélérant. On peut en conclure que quand les coefficients absolus s’approchent d’une limite supérieure, les coefficients relatifs sont plus grands que 1, et quand les coefficients absolus s’approchent d’une limite supérieure, les coefficients relatifs sont plus petits que 1.
Mouvement modulant ralentissant |
Mouvement modulant accélérant |
Coefficients absolus approchant une limite supérieure |
Coefficients absolus approchant une limite inférieure |
Coefficients relatifs plus grands que 1 |
Coefficients relatifs plus petits que 1 |
59Si l’on renverse les fractions des quatre suites que nous venons d’examiner en intervertissant les numérateurs et les dénominateurs, nous aurons des mouvements modulants accélérants. Le point de départ de la première sera non pas 1/2, mais 2 ou plus exactement 2/1 (renversement de la fraction précédente) et sera suivi de 3/2, 4/3, 5/4, etc., jusqu’à 13/12 ; le point de départ de la deuxième sera 3/1 au lieu de 1/3 et sera suivi de 4/2 (2), 5/3, 6/4 (3/2), etc., jusqu’à 13/11 ; celui de la troisième sera 4/1 et sera suivi de 5/2, 6/3 (2), 7/5, etc., jusqu’à 13/10 ; celui de la quatrième sera 5/1 et sera suivi de 6/2 (3), 7/3, 8/4 (2), etc., jusqu’à 13/9, etc. Toutes ces suites ont une limite commune vers laquelle elles s’approchent sans jamais pouvoir l’atteindre, qui est également 1, mais cette fois-ci limite inférieure et non supérieure (puisque les fractions sont renversées et par conséquent plus grandes que 1, (c’est en diminuant qu’elles s’approchent de 1). Il ne faut pas oublier qu’il s’agit en l’occurrence de coefficients absolus, les coefficients relatifs étant, au contraire, plus petits que 1, puisque les mouvements modulants sont accélérants. Il est nécessaire de préciser que les rapports du mouvement fondamental et du renversement sont des rapports réciproquement relatifs. Cela veut dire que n’importe quel des deux mouvements peut être considéré comme fondamental, l’autre étant son renversement. Dans notre cas, nous avons pris le mouvement ralentissant allant de 1/2 (1/3, 1/4, etc.) vers sa limite supérieure 1, comme fondamental, et le mouvement accélérant allant de 2 (3, 4, etc.) vers sa limite inférieure 1, comme renversement. Nous aurions pu tout aussi bien procéder inversement et considérer le deuxième mouvement comme fondamental et le premier comme renversement.
60De même, on aura des mouvements modulants accélérants si, au lieu du renversement, on choisit la récurrence, en faisant marcher les modulations en sens inverse. Les coefficients absolus restent les mêmes, mais évoluent en sens inverse : dans la suite 1 : 12/13, 11/12, 11/10, 9/10, etc., dans la suite 2 : 11/13, 10/12 (5/6), 9/11, etc., dans la suite 3 : 10/13, 9/12 (3/4), 8/11, 7/10, etc., dans la suite 4 : 9/13, 8/12 (2/3), 7/11, 6/10 (2/5), etc. Quant aux coefficients relatifs plus grands que 1, ils deviendront plus petits. Ce sont en fait les renversements des coefficients relatifs du même mouvement : 48/49, 35/36, 24/25, 15/16, 9/8 et 3/4 dans la suite 1 ; 35/36, 27/28, 20/21, 14/15, 9/10, 5/6, 2/3 dans la suite 2, etc. La particularité de la récurrence consiste en ceci que la limite de la marche des coefficients (absolus ou relatifs) se trouve non pas à l’avant mais à l’arrière de la suite. La limite en l’occurrence, est le nombre à partir duquel s’éloigne la suite et non vers lequel elle s’approche. Nous avons dit de la limite que la suite des nombres s’approche d’elle sans jamais pouvoir l’atteindre ; maintenant nous dirons que la suite des nombres s’éloignent d’elle sans jamais l’avoir eue. Le début se trouve reporté à l’infini. Mais comme une suite doit débuter par un nombre quelconque, nous dirons que dans la récurrence, un mouvement modulant peut débuter par n’importe quelle fraction propre à ce mouvement. Dans le cadre des treize premiers nombres, ce seront les fractions : 12/13, 11/13, 10/13 et 9/13 pour les suites 1, 2, 3 et 4. Elles marcheront comme nous l’avons vu et se termineront soit par 1/2, soit par 1/4, soit par 1/5, etc. Mais ces fractions terminales ne peuvent nullement être considérées comme des limites de ces quatre suites. La particularité de la limite est qu’elle ne peut jamais être atteinte ; or toutes ces fractions sont atteintes après un certain nombre de modulations (ainsi la suite complète des coefficients absolus de la suite 4 est la suivante : 9/13, 8/12, 7/11, 6/10, 5/9, 4/8, 3/7, 2/6, 1/5). Il est évidemment impossible de moduler plus loin en se basant sur le même principe qui consiste à extraire à chaque modulation une unité du numérateur et du dénominateur. Ce principe appliqué aux fractions terminales donnerait des fractions : 0/1 pour la suite 1 ; 0/2 pour la suite 2 ; 0/3 pour la suite 3 ; 0/4 pour la suite 4.
61On peut enfin recourir au renversement de la récurrence (ou à la récurrence du renversement, ce qui est la même chose). Dans ce cas, nous avons des mouvements ralentissants et les coefficients relatifs sont plus grands que 1. Ce sont en fait exactement les mêmes que dans le mouvement fondamental (non renversé et non récurrent), mais dans l’ordre inverse : 49/48, 36/35, 25/, 24 ... 4/3 pour la suite 1 ; 21/20, 15/14, ... 4/3 pour la suite 2, etc. De même, les coefficients relatifs du renversement et de la récurrence sont les mêmes mais évoluent en sens inverse (dans les renversements, les coefficients relatifs sont renversés par rapport à l’état fondamental, mais leur ordre ne change pas ; dans la récurrence, les coefficients relatifs sont également renversés et leur ordre est inverse). Les coefficients absolus sont les mêmes que ceux du renversement, mais ils évolueront en ordre inverse : 13/12, 12/11, 11/10, etc. Par rapport à ceux de la récurrence, ils sont leur renversement (inversion du numérateur et du dénominateur), mais évoluent dans le même sens. La limite à partir de laquelle s’éloigne la suite des coefficients absolus est de nouveau 1, mais cette fois-ci, c’est une limite inférieure. Les fractions terminales de ces suites sont : 2 (2/1) pour la suite 1 ; 3 pour la suite 2, 4 pour la suite 3, 5 pour la suite 4, etc.
62Encore une remarque. Les rapports du mouvement fondamental à la récurrence et au renversement de la récurrence ne sont nullement réciproquement relatifs comme l’est le rapport du mouvement fondamental au renversement. On ne peut pas considérer la récurrence ou le renversement de la récurrence comme fondamental et vice versa, car la structure de ces mouvements est différente. Le mouvement fondamental et le renversement sont des mouvements naturels qui progressent vers un état-limite, tandis que la récurrence et le renversement de la récurrence sont des constructions artificielles qui font régresser le mouvement de cet état-limite. Musicalement, ils n’en sont pas moins utilisables.
63Voici un tableau comparatif de l’état et du sens de la marche des coefficients absolus et relatifs dans les quatre formes de mouvement. Le signe positif + signifie l’état fondamental (non renversé) des coefficients et leur marche dans le sens fondamental, le signe négatif – signifie l’état renversé des coefficients et leur marche en sens inverse.
Coefficients |
État (renversé ou non) |
Sens de la marche |
|
Mouvement fondamental |
absolus |
+ |
+ |
relatifs |
+ |
+ |
|
Renversement relatifs |
absolus |
- |
+ |
- |
+ |
||
Récurrence relatifs |
absolus |
+ |
- |
- |
- |
||
Renversement de la récurrence |
absolus |
- |
- |
relatifs |
+ |
- |
Étude des mouvements modulants et de leurs coefficients (2)
64Passons maintenant aux mouvements modulants dans lesquels soit les numérateurs, soit les dénominateurs des coefficients absolus présentent une suite alternante (nombres pairs ou nombres impairs), tandis que l’autre membre de la fraction forme des suites consécutives. Dans le cas des fractions inférieures à 1, les numérateurs se suivent de façon consécutive et les dénominateurs se suivent de façon alternante. Il faudra par conséquent, à chaque modulation, additionner 1 au numérateur et 2 au dénominateur. Dans le cas de fractions supérieures à 1, ce sera l’inverse, on ajoutera 1 au dénominateur et 2 au numérateur. De même que les suites précédentes ne pouvaient débuter par 1, car dans ce cas il y aurait une suite uniforme 1/1, 2/2, 3/3, 4/4, etc., c’est-à-dire la suite 1, 1, 1, ... (ceci est naturel puisque 1 est la limite de ces suites), les suites que nous examinons maintenant ne peuvent débuter par 1/2, car dans ce cas, il se produirait également une suite uniforme : 1/2, 2/4, 3/6, etc., c’est-à-dire 1/2, 1/2, 1/2, etc., 1/2 est la limite supérieure ou inférieure de toutes ces suites. En revanche, les suites des coefficients relatifs auront [toujours] 1 comme limite. Ces suites débutent soit par 1, soit par 1/3, 1/4, etc. Le début par 1 se présente sous la forme 1/1 ou 2/2 ou 3/3, etc. : dans chaque cas, la suite sera différente.
65Les suites débutant par 1/1, 2/2 etc., sont des suites accélérantes car elles se rapprochent de 1/2 comme de leur limite inférieure (les coefficients relatifs s’approchent de 1 comme de leur limite supérieure). Par contre, les suites débutant par 1/3, 1/4, etc., sont des suites ralentissantes puisqu’elles s’approchent de 1/2 comme de leur limite supérieure (les coefficients relatifs s’approchent de 1 comme de leur limite inférieure). Voici le tableau comparatif de quelques suites débutant par 1/1, 2/2, etc., c’est-à-dire accélérantes. Aux coefficients absolus, je joins les coefficients relatifs qui sont tous, comme nous le voyons, plus petits que 1. Afin d’avoir des suites complètes, il a été nécessaire parfois de franchir la limite des treize premiers nombres.
66En renversant les fractions des coefficients absolus, nous avons des suites ralentissantes qui débutent par 1/1, 2/2, 3/3, 4/4, etc., s’approchent de 2 (ce nombre étant le renversement de la fraction 1/2) comme de leur limite supérieure. Tous les coefficients (absolus et relatifs) sont plus grands que 1. Les coefficients absolus sont dans la première suite : 3/2, 5/3, 7/4, 9/5, 11/6, 13/7, etc., dans la deuxième suite : 4/3, 6/4 (3/2), 8/5, 10/6 (5/3), 12/7, etc., dans la troisième suite : 5/4, 7/5, 9/6 (3/2), 11/7, 13/8, etc., dans la quatrième suite 6/5, 8/6 (4/3), 10/7, 12/8 (3/2), etc. Les coefficients relatifs sont dans la première suite : 10/9, 21/20, 36/35, 55/54, 78/74, etc., dans la deuxième suite : 9/8, 16/15, 25/24, 36/35, etc. Leur marche s’approche de 1 comme de leur limite inférieure. Si l’on passe maintenant du renversement à la récurrence, on constate que ses coefficients absolus s’éloignent de 1/2 qui est sa limite inférieure. Ces suites sont accélérantes et débutent soit par 7/13, soit par 7/12, soit par 8/13, soit par 8/12 (2/3) et marchent vers 1, c’est-à-dire vers 1/1, 2/2, 3/3, 4/4 qui sont les nombres terminaux de ces suites. Les coefficients relatifs s’éloignent de 1 comme de leur limite supérieure. Quant au renversement de la récurrence, il a comme limite supérieure le nombre 2 ; les coefficients absolus s’éloignent de ce nombre. Ces suites sont ralentissantes et débutent par 13/7, par 12/7, par 13/8, par 12/8 (3/2) et descendent vers 1, c’est-à-dire vers 1/1, 2/2, 3/3, 4/4. Les coefficients relatifs s’éloignent de 1 comme de leur limite inférieure. Voici maintenant le tableau de quelques suites ralentissantes débutant par 1/3, 1/4, etc. Tous les coefficients relatifs sont plus grands que 1.
67En renversant ces suites, nous obtenons des suites accélérantes débutants par 3, 4, 5, etc. et s’approchant de 2 comme de leur limite inférieure. Tous les coefficients absolus sont plus grands que 1, et tous les coefficients relatifs sont plus petits que 1. Les coefficients absolus sont : dans la première suite 3/1, 5/2, 7/3, 9/4, 11/5, 13/6, etc., dans la deuxième suite 4/1, 6/2 (3/1), 8/3, 10/4 (5/2), 12/5, etc., dans la troisième suite 5/1, 7/2, 9/3 (3/1), 11/4, 13/5, etc., dans la quatrième suite 6/1, 8/2 (4/1), 10/3, 12/4 (3/1), etc. Les coefficients relatifs sont : dans la première suite 5/6, 14/15, 27/28, 44/45, 65/66, etc., dans la deuxième suite 3/4, 8/9, 15/16, 24/25, etc. Leur marche s’approche de 1 comme de leur limite supérieure. Dans la récurrence, la limite supérieure à partir de laquelle s’éloignent les coefficients absolus est le nombre 1/2. Ces suites sont accélérantes et débutent par 6/13, 5/12, 5/13, 4/12 (1/3) et descendent vers 1/3, 1/4, 1/5, 1/6. Les coefficients relatifs s’éloignent de 1 comme de leur limite supérieure. Dans le renversement de la récurrence, la limite inférieure à partir de laquelle s’éloignent les coefficients absolus est le nombre 2. Les suites sont ralentissantes et débutent par 13/6, 12/5, 13/5, 12/4 (3/1) et montent vers 3, 4, 5, 6. Les coefficients relatifs s’éloignent de 1 comme de leur limite supérieure.
68La marche des numérateurs et des dénominateurs réalise encore d’autres combinaisons : 1°) les numérateurs se suivent dans l’ordre consécutif, les dénominateurs alternent chaque troisième nombre et vice versa, 2°) les numérateurs se suivent, les dénominateurs alternent chaque quatrième nombre et vice versa, 3°) les numérateurs alternent chaque deuxième nombre, les dénominateurs chaque troisième nombre et vice versa, 4°) les numérateurs alternent chaque troisième nombre et les dénominateurs chaque quatrième nombre et vice versa. En principe, il n’existe pas de limite à ces combinaisons. Plus les alternances sont espacées (chaque troisième nombre, chaque quatrième nombre, chaque cinquième nombre, etc.), plus brèves sont les suites (si on se borne aux treize premiers sons : en alternant chaque treizième nombre, on ne peut plus avoir de suite). Il faut aussi remarquer que plus la différence entre l’alternance des numérateurs et des dénominateurs est grande, d’autant plus brusques et marquants sont les ralentissements et les accélérations. Jetons un bref coup d’œil sur les possibilités énumérées, en laissant les autres de côté.
69En règle générale on peut dire que : 1°) le nombre exprimant la limite vers laquelle s’approche la suite des coefficients absolus est déterminé par la marche des numérateurs et des dénominateurs de ces coefficients. Si les numérateurs ou les dénominateurs se suivent dans l’ordre consécutif, le numérateur ou le dénominateur de la limite sera le nombre 1, s’ils alternent chaque deuxième nombre, le nombre sera 2, s’ils alternent chaque troisième nombre, le nombre sera 3, etc. (ainsi, quand les numérateurs et les dénominateurs se suivent dans l’ordre consécutif, la limite est 1 ; quand les numérateurs se suivent et les dénominateurs alternent chaque deuxième son, la limite est 1/2, quand c’est l’inverse la limite est 2, etc.) 2°) On ne peut faire débuter une suite par le nombre de sa limite, car dans ce cas la suite sera la répétition du même nombre (1/1, 2/2, 3/3... ou 1/2, 2/4, 3/6...).
70Examinons maintenant quelques cas particuliers. Dans les suites, nous ne donnons que les coefficients absolus.
71A – Les numérateurs se suivent, les dénominateurs alternent chaque troisième nombre. La limite est 1/3.
721) Début 1 : Limite inférieure : 1/3. Suite accélérante
731/1, 2/4 (1/2), 2/7, 4/10 (2/5), 2/13, ...
742/2, 3/5, 4/8 (1/2), 5/11, ...
753/3, 4/6 (2/3), 5/9, 6/12 (1/2), ...
76etc.
772) Début 1/2 : Limite inférieure : 1/3. Suite accélérante
781/2, 2/5, 3/8, 4/11, ...
793) Début 2/3. Limite inférieure : 1/3. Suite accélérante.
802/3, 3/6 (1/2), 4/9, 5/12, ....
814) Début 1/4. Limite supérieure : 1/3. Suite ralentissante.
821/4, 2/7, 3/10, 4/13, ...
83etc.
84A’ – Renversement du précédent : Les numérateurs alternent chaque troisième nombre, les dénominateurs se suivent. La limite est 3.
851) Début 1 : Limite supérieure : 3. Suite ralentissante
861/1, 4/2 (2), 7/3, 10/7 (5/2), 13/5, ...
872/2, 5/3, 8/4 (2), 11/5, ...
883/3, 6/4 (3/2), 9/5, 12/6 (2), ...
89etc.
902) Début 2 : Limite supérieure : 3. Suite ralentissante
912/1, 5/2, 8/3, 11/4, ...
923) Début 3/2. Limite supérieure : 3. Suite ralentissante.
933/2, 6/3 (2), 9/4, 12/5, ....
944) Début 1/4. Limite inférieure : 1/3. Suite accélérante.
954/1, 7/2, 10/3, 13/4, ...
96etc.
97B – Les numérateurs alternent chaque deuxième nombre, les dénominateurs chaque troisième nombre. La limite est 2/3.
981) Début 1 : Limite inférieure : 2/3. Suite accélérante
991/1, 3/4, 5/7, 7/10, 9/13, ...
1002/2, 4/5, 6/8 (3/4), 8/11, ...
1013/3, 5/6, 7/9, 9/12 (3/4), ...
102etc.
1032) Début 1/2 : Limite supérieure : 2/3. Suite ralentissante
1041/2, 3/5, 5/8, 7/11, ...
1053) Début 1/3. Limite supérieure : 2/3. Suite ralentissante.
1061/3, 3/6 (1/2), 5/9, 7/12, ....
1074) Début 1/4. Limite supérieure : 2/3. Suite ralentissante.
1081/4, 3/7, 5/10 (1/2), 7/13, ...
109etc.
110B’ – Renversement du précédent. Les numérateurs alternent chaque troisième nombre, les dénominateurs chaque deuxième nombre. La limite est 3/2.
1111) Début 1 : Limite supérieure : 3/2. Suite ralentissante
1121/1, 4/3, 7/5, 10/7, 13/9, ...
1132/2, 5/4, 8/6 (4/3), 11/8, ...
1143/3, 6/5, 9/7, 12/9 (4/3), ...
115etc.
1162) Début 2 : Limite inférieure : 2/3. Suite accélérante
1172, 5/3, 8/5, 11/7, ...
1183) Début 3. Limite inférieure : 3/2. Suite accélérante.
1193, 6/3 (2), 9/5, 12/7, ....
1204) Début 4. Limite inférieure : 3/2. Suite accélérante.
1214/1, 7/3, 10/5 (2), 13/7, ...
122etc.
123Pour les récurrences, lire l’état fondamental (A et B) de droite à gauche ; pour les renversements de la récurrence, lire les renversements (A’ et B’) de droite à gauche.
Contrepoint de mouvements modulants et de mouvements réguliers
124Cette étude des contrepoints rythmiques de mouvements modulants et réguliers résume l’essentiel. Commençons par le cas le plus simple : contrepoint de deux mouvements dont un est régulier et l’autre modulant. Ce dernier sera déterminé par les principes que nous venons d’exposer. Naturellement toute sorte d’irrégularités et de déviations sont possibles : alternances d’accélérations et de ralentissements, passage de modulations d’un mouvement à un autre (le mouvement régulier devient modulant, le mouvement modulant devient régulier), mais nous n’allons examiner que les formes simples.
125Dans tous les exemples qui vont suivre, les coefficients absolus seront l’expression des rapports entre les diverses vitesses du mouvement modulant et le mouvement régulier (le mouvement régulier considéré en l’occurrence comme mouvement initial) et les coefficients relatifs exprimeront par leur numérateur le nombre d’unités rythmiques du mouvement régulier qu’on prend comme base de division et, par leur dénominateur, le nombre par lequel ce groupe d’unités rythmiques doit être divisé.
126Quatre cas se présentent et forment quatre catégories de contrepoint rythmique.
127Catégorie I : le mouvement modulant est plus rapide que le mouvement régulier et se ralentit progressivement en s’approchant du mouvement régulier.
128Catégorie II : le mouvement modulant est plus lent que le mouvement régulier et s’accélère progressivement en s’approchant du mouvement régulier.
129Catégorie III : le mouvement modulant est plus rapide que le mouvement régulier et s’accélère progressivement encore davantage en s’éloignant du mouvement régulier et en s’approchant d’un mouvement deux, trois, quatre, etc., ou bien 3/2, 4/3, etc., de fois plus rapide que le mouvement régulier.
130Catégorie IV : le mouvement modulant est plus lent que le mouvement régulier et se ralentit progressivement encore davantage en s’éloignant du mouvement régulier et en s’approchant d’un mouvement deux, trois, quatre, etc., ou bien 3/2, 4/3, etc., fois plus lent que le mouvement régulier.
131Ces quatre catégories de contrepoint rythmique coïncident avec les quatre formes de mouvement que nous avons étudiées dans le chapitre précédent, notamment : si un mouvement modulant quelconque appartient à la catégorie I de contrepoint, le renversement appartiendra à la catégorie II, la récurrence à la catégorie III, le renversement de la récurrence à la catégorie IV ; si un mouvement appartient à la catégorie II, le renversement appartiendra à la catégorie I, la récurrence à la catégorie IV, le renversement de la récurrence à la catégorie III. Le tableau suivant montre les rapports complets qui existent entre les quatre formes de mouvements et les quatre catégories de contrepoint rythmique. Il en résulte quatre combinaisons :
Combinaisons |
A |
B |
C |
D |
Mouvement fondamental |
I |
II |
III |
IV |
Renversement |
II |
I |
IV |
III |
Récurrence |
III |
IV |
I |
II |
Renversement de la récurrence |
IV |
III |
II |
I |
132Le mouvement qui, partant de 1/2, 1/3, etc., a comme limite 1 (les numérateurs et les dénominateurs se suivent dans un ordre consécutif), appartient justement à la catégorie I (combinaison A). Prenons un de ces mouvements, par exemple celui qui part de 1/2 et voyons comment les quatre formes de mouvement modulant correspondent aux quatre catégories de contrepoint rythmique (nous donnons le mouvement sous une forme abrégée).
Exemple n° 48
133Le mouvement modulant est plus rapide que le mouvement régulier (les coefficients absolus étant plus petits que 1) et se ralentit (les coefficients relatifs étant plus grands que 1) en s’approchant du mouvement régulier. C’est la catégorie I. Prenons maintenant son renversement.
Exemple n° 49
134Ici, le mouvement modulant est plus lent que le mouvement régulier (les coefficients absolus étant plus grands que 1) et s’accélère (les coefficients relatifs étant plus petits que 1) en s’approchant du mouvement régulier. C’est la catégorie II. Prenons maintenant la récurrence.
Exemple n° 50
135Le mouvement modulant est plus rapide que le mouvement régulier et s’accélère davantage. C’est la catégorie III. Prenons enfin, le renversement de la récurrence.
Exemple n° 51
136Le mouvement modulant est plus lent que le mouvement régulier et se ralentit davantage. C’est la catégorie IV86.
137Si dans le mouvement, au lieu de partir de 1/2, nous partons de 1/3 avec encore comme limite 1, nous obtenons un mouvement appartenant aussi à la catégorie I et formant la combinaison A.
Exemple n° 52
138La deuxième, la quatrième et la sixième mesures peuvent être abrégées et être écrites ainsi :
Exemple n° 53
139Nous n’allons pas examiner le renversement de ce mouvement, ni sa récurrence, ni le renversement de sa récurrence qui sont faciles à trouver. Nous n’examinerons pas non plus les autres mouvements du même genre (1/4 < limite 1, 1/5 < limite 1, etc.).
140Voilà pour la combinaison A. Pour la combinaison B, il suffit de prendre le mouvement fondamental pour renversement et le renversement pour mouvement fondamental. La récurrence deviendra renversement de la récurrence et le renversement de la récurrence deviendra récurrence. Nous ne nous arrêterons pas sur ce cas et passerons directement à la catégorie C.
141Le mouvement, qui partant de 1 (1/1, 2/2, 3/3, etc.) et avec comme limite 1/2 (les numérateurs se suivent dans l’ordre consécutif, les dénominateurs alternent chaque deuxième son) appartient à la catégorie III (combinaison C). Prenons comme exemple le mouvement partant de 1/1.
Exemple n° 54
142Le mouvement modulant est plus rapide que le mouvement régulier et s’accélère davantage. C’est la catégorie III.
Exemple n° 55
143Le mouvement modulant est plus lent que le mouvement régulier et ralentit davantage. C’est la catégorie IV.
Exemple n° 56
144Le mouvement modulant est plus rapide que le mouvement régulier et ralentit. C’est la catégorie I.
Exemple n° 57
145Le mouvement modulant est plus lent que le mouvement régulier et s’accélère. C’est la catégorie II.
146Nous n’examinerons pas les mouvements du même genre (2/2 > limite 1/2 ; 3/3 > limite 1/2 ; 4/4 > limite 1/2, etc.). Il reste toutefois à examiner la combinaison D. Or cette combinaison s’obtient si dans la combinaison C, le mouvement fondamental est considéré comme renversement et le renversement comme mouvement fondamental. La récurrence devient renversement de la récurrence et le renversement de la récurrence devient récurrence.
147Nous venons d’examiner deux genres de mouvement, le mouvement 1/2 < 1 et le mouvement 1 > 1/2 avec leurs renversements, récurrences et renversements de la récurrence respectifs. Nous n’allons pas examiner individuellement chaque genre dont le nombre est très grand. Il suffit de dire globalement que les mouvements allant vers une limite supérieure dont les fractions sont moindres que 1 appartiennent à la catégorie I et, pris comme mouvements fondamentaux forment des combinaisons A. Les mouvements allant vers une limite inférieure et dont les fractions sont également moindres que 1, appartiennent à la catégorie III et forment la combinaison C. Par exemple :
148En renversant les fractions on obtient les catégories II et IV. En renversant ceux de la catégorie I on obtient des mouvements allant vers une limite inférieure et ayant des fractions plus grandes que 1 qui appartiennent à la catégorie II. En renversant ceux de la catégorie III, on obtient des mouvements allant vers une limite supérieure, et ayant des fractions plus grandes que 1, qui appartiennent à la catégorie IV.
Accelerandos et rallentandos discontinus. Contrepoint rythmique à plus de deux parties
149Cette analyse quelque peu compliquée des mouvements réguliers accélérants et ralentissants a été nécessaire pour mettre de l’ordre dans l’univers des nouveaux rapports rythmiques issus des treize premiers nombres. Particulièrement, cette étude est intéressante du point de vue des rapports qui existent entre ces mouvements et le procédé bien connu de l’accelerando poco a poco et du rallentando poco a poco. C’est de nouveau le problème du rapport entre le continu dans le temps et le discontinu assoupli et différencié, et par cela mathématiquement complexe, qui approche le plus possible la condition du continu – problème que nous avons déjà vu dans le domaine de la hauteur et de l’intensité. L’ultrachromatisme mélodique est le discontinu différencié par rapport au continu du glissando, comme l’échelle dynamique de 31 degrés que nous avons établie pour le futur instrument mécanique est le discontinu différencié par rapport au continu du crescendo et du decrescendo poco a poco. Le même rapport existe dans le domaine de la durée entre le discontinu différencié des mouvements régulièrement accélérants et ralentissants, et le continu de l’accelerando et du rallentando poco a poco. L’étude de tous ces rapports nous révèle l’existence d’une tendance historique vers le remplacement du continu incontrôlable et non mesurable par un discontinu le plus différencié possible dans les conditions actuelles de reproduction sonore.
150Cette tendance est parfaitement conforme avec ce que nous avons dit de la pansonorité. Elle est le dernier membre dialectique du processus dialectique venant couronner et clore ce processus. C’est en réalité la synthèse du continu (premier membre dialectique, le continuum primitif comme thèse) et du discontinu (deuxième membre dialectique, le son musical comme antithèse), c’est le continuum rendu conscient, intelligible, contrôlable, articulé par le son musical, c’est le continuum transformé en matière sonore et devenu objet de possession créatrice. En remplaçant les phénomènes continus par des discontinus différenciés nous les rendons contrôlables, mesurables et par conséquent gouvernables.
151En revenant à notre sujet, nous pouvons dire qu’en l’état actuel des choses, nous n’avons le choix qu’entre le continu et le discontinu grossier et non différencié. Ce discontinu grossier, c’est le demi-ton dans le domaine des hauteurs et c’est la succession pp-p-mp-mf-f-ff dans le domaine de l’intensité. Dans le domaine de la durée, c’est le passage d’un mouvement à un autre, deux fois plus rapide ou plus lent soit d’une façon immédiate soit d’une façon progressive en intercalant entre les deux mouvements un triolet intermédiaire.
Exemple n° 58
152Notre analyse nous démontre qu’il y a des moyens plus souples de passer d’un mouvement à un autre deux fois plus rapide et notamment d’une façon parfaitement régulière, sans avoir recours aux mouvements continus accelerando et rallentando. Pour effectuer ce passage nous n’avons qu’à nous adresser aux mouvements 1/2 < limite 1 ou 1 < limite 2 pour un ralentissement et aux mouvements 2 > limite 1 ou 1 > limite 1/2 pour une accélération. Prenons d’abord le mouvement accélérant 2 > limite 1 :
Exemple n° 59
153Entre le mouvement A, le triolet intermédiaire et le mouvement B se trouvent intercalées d’autres subdivisions rythmiques plus subtiles, notamment le duolet sur trois croches et le quartolet sur cinq croches. En analysant ce mouvement, nous constatons que la limite 1, celle qui ne peut jamais être atteinte si l’on veut conserver intact le principe de la progression (addition à chaque modulation de 1 au numérateur et au dénominateur des coefficients absolus) se trouve ici brusquement atteinte par la rupture de cette progression, en principe infinie. En effectuant cette rupture à tel ou tel endroit, on peut raccourcir ou prolonger le mouvement accélérant (dans notre exemple, l’endroit de la rupture est marquée par la lettre R). Ainsi, on peut prolonger indéfiniment le mouvement précédent en introduisant entre le quintolet sur cinq croches et le mouvement B les subdivisions suivantes : quintolet sur six croches, puis sextolets sur sept croches, puis septolets sur huit croches, etc.
154Nous obtenons une progression plus subtile encore si nous prenons le mouvement 3 > limite 1 et partons de la première modulation (ceci est un exemple d’un mouvement tronqué, c’est-à-dire débutant non pas par le mouvement initial mais par le deuxième, le troisième, etc.)
Exemple n° 60
155Nous voyons qu’entre les chaînons du mouvement précédent se trouvent introduites de nouvelles subdivisions : entre le mouvement A et le duolet sur trois croches, c’est le triolet sur cinq croches, entre le duolet sur trois croches et le triolet sur quatre croches, c’est le quintolet sur sept croches, enfin entre le triolet sur quatre croches et le quintolet sur cinq croches, c’est le septolet sur neuf croches.
156Par contre, on obtient une progression moins subtile que celle du mouvement 2 > limite 1 si on prend le mouvement 1 > limite 1/2 (nous écrivons ce mouvement en noires et non en croches afin de pouvoir le confronter avec les autres mouvements). Nous écrirons les coefficients absolus en partant de la noire, en plaçant entre parenthèses les mêmes coefficients calculés en partant de la croche comme unité).
Exemple n° 61
157En comparant ce mouvement avec le mouvement 2 > 1, on voit qu’une série de subdivisions rythmiques ont disparues, notamment le duolet sur trois croches, le quartolet sur cinq croches et le sextolet sur sept croches. En prenant le renversement de la récurrence, on obtient d’autres formes d’accélérations progressives.
Exemple n° 62
158On voit que dans ce mouvement, la rupture R se trouve au début du mouvement et non à la fin.
Exemple n° 63
159En comparant ces suites modulantes, on constate que certaines ont des subdivisions rythmiques communes. Ainsi le triolet sur cinq et le triolet sur trois se trouvent dans les suites Ia et IV, le triolet sur quatre se trouve dans les suites Ia (et I), II et III. Il est intéressant de constater que le triolet sur cinq suivi du duolet sur trois se trouvent au début de la suite Ia, tandis que dans la suite IV, ils se trouvent à la fin. De même, le triolet sur quatre se trouve au début de la suite II et à la fin de la suite III. Il s’ensuit la possibilité de faire suivre les suites IV et Ia ainsi que III et II en les joignant aux subdivisions communes. On obtient ainsi deux suites plus longues mais tout aussi subtiles. Naturellement, elles n’auront pas la même régularité, car elles auront deux ruptures au début et à la fin de la suite, et de plus, il y aura, au milieu, passage d’un genre de mouvement à un autre. Ces irrégularités trouveront leur expression dans la marche des coefficients.
Exemple n° 64
160Il est curieux d’observer que les coefficients relatifs sont dans ces deux suites exactement les mêmes mais en sens inverse. Mais cela ne concerne que les suites accélérantes ; en renversant ces mouvements, on obtient des suites ralentissantes87.
Exemple n° 65
161De la même manière, on forme des progressions régulièrement accélérantes et ralentissantes entre des mouvements trois fois plus rapides ou plus lents, quatre fois plus rapides ou plus lents, ou 3/2 de fois plus rapides ou plus lents, 4/3 de fois plus rapides ou plus lents, etc. Entre deux mouvements de vitesse différente, il est toujours possible d’introduire de brefs mouvements de vitesses intermédiaires en créant un passage progressif.
162Il reste à dire quelques mots sur les contrepoints rythmiques à plus de deux parties. Considérons d’abord les contrepoints à trois parties. Deux possibilités se présentent : des trois mouvements qui composent ce contrepoint 1°) deux sont réguliers et un est modulant, 2°) un est régulier, deux sont modulants. Dans la dernière éventualité, on distingue le cas où les deux mouvements modulants vont dans la même direction, soit accélérante, soit ralentissante et le cas où ces mouvements vont dans des directions opposées (un mouvement accélérant, l’autre ralentissant). Enfin, chaque mouvement modulant peut dans ses rapports au mouvement régulier réaliser les catégories I, II, III ou IV de contrepoint rythmique. Ainsi, dans le cas de deux mouvements accélérants l’un peut être plus rapide que le mouvement régulier (catégorie III) et l’autre plus lent (catégorie I), ou bien les deux peuvent être plus rapides ou plus lents que le mouvement régulier. Nous n’examinerons pas ces possibilités. Il suffira de donner quelques exemples de contrepoint rythmique à trois parties.
Exemple n° 66
163Il peut arriver que chacun des deux mouvements modulants groupe les unités du mouvement régulier de façon différente. Voici un exemple où un des mouvements modulants est la récurrence de l’autre (nous ne subdivisons pas les mouvements en mesures, non parce que leurs mesures ne sont pas communes, mais pour rendre le plus clairement possible au moyen d’une image visuelle, le rapport des trois rythmes).
Exemple n° 67
164En ôtant dans le contrepoint à trois parties le mouvement régulier, on obtient un contrepoint à deux parties dans lequel chaque mouvement est modulant. Ce contrepoint à trois parties avec groupements différents dans les deux parties modulantes, déjà extrêmement difficile à exécuter (j’estime qu’il ne peut être correctement exécuté que par deux interprètes), devient quasi-inexécutable dès qu’on lui ôte le mouvement régulier en le transformant en un contrepoint de deux mouvements modulants.
165Si l’on considère que les contrepoints rythmiques peuvent être à plus de trois parties, qu’ils peuvent présenter toutes sortes de combinaisons simultanées de mouvements accélérants, ralentissants, réguliers et mixtes, que le groupement d’unités rythmiques peut être différent selon les mouvements modulants, qu’on peut passer d’un mouvement plus lent que celui de l’unité rythmique fondamentale à un mouvement plus rapide que lui et vice versa, que le même mouvement peut alterner accélérations, ralentissements et mouvements réguliers (mouvements mixtes), ces derniers pouvant être plus lents ou plus rapides que le mouvement fondamental, on se rend compte de la richesse quasi-illimitée des possibilités que présentent les modulations rythmiques combinées aux contrepoints rythmiques88.
Formules accélérantes et ralentissantes : Généralités. Le cas normal
166Jusqu’à présent nous avons étudié les suites de modulations rythmiques passagères dont le facteur déterminant était l’ordre des coefficients absolus. Cet ordre, avons-nous dit, convient aux modulations passagères, tandis que l’ordre des coefficients relatifs convient à des suites de modulations définitives. Il est parfois difficile de tracer une limite exacte entre les modulations rythmiques définitives et passagères. Il suffit que dans ces dernières le triolet ou le quartolet, ou une autre formation se répète un nombre suffisant de fois pour que le sens du mouvement initial soit perdu. Si aucun contrepoint de mouvement régulier ne vient rappeler ce mouvement initial, nous avons une modulation rythmique de type définitif. D’autre part, si dans une suite de modulations définitives, chaque mouvement est suffisamment court pour ne pas effacer le sens du mouvement initial, nous nous approchons du type de modulation rythmique passagère. En somme, il existe un groupe [une région] de formes intermédiaires entre le type définitif et le type passager. Il n’en reste pas moins vrai que la distinction entre les deux principes de formation de chaînes modulantes – celui qui est déterminé par les coefficients absolus et celui qui est déterminé par les coefficients relatifs – est très nette.
167Passons maintenant à une catégorie de modulations passagères qui paradoxalement se détermine par les coefficients relatifs et non par les coefficients absolus. Leur caractéristique par rapport aux suites modulantes que nous venons d’examiner, est leur brièveté et le fait qu’elles forment des unités compactes sans aucune équivoque quant à leur nature passagère. Ce sont des formules qu’on peut à volonté écourter ou allonger, mais qu’on ne peut décomposer et à l’intérieur desquelles l’ordre des modulations ne peut être interverti, comme il le peut dans les suites modulantes. Nous les appellerons formules accélérantes ou ralentissantes.
168Une des particularités des suites modulantes est l’indivisibilité des triolets, quartolets et autres formations qui les composent. Les formules accélérantes et ralentissantes sont par contre basées sur la division de ces formations, division qui n’est soumise à aucune règle précise a priori. Les triolets, quartolets et autres formations ne se présentent dans ces formules que sous une forme tronquée (excepté la dernière dans le rang) et sont en quelque sorte greffées les unes sur les autres (nous avons déjà parlé des quintolets greffés sur des quintolets à propos de la musique de Scriabine), formant comme des étages superposés. Que ce soit des quartolets, des quintolets, des sextolets, des septolets, etc., chaque modulation rythmique (chaque étage) n’est composée que d’un nombre restreint de notes – deux, trois, quatre ou même une seule, ce qui leur confère une concision et un élan [dynamique] dont sont dénuées les suites modulantes.
169Les formules accélérantes et ralentissantes se distinguent par le nombre d’étages, c’est-à-dire de modulations rythmiques, ainsi que par le nombre de sons que chaque étage contient. Ce nombre peut être ou non le même pour chaque étage. Le cas normal est le cas de mouvements rapides ayant plus de sons que les mouvements lents. Dans une formule accélérante, ce sera les dernières – ou la dernière – modulations rythmiques, dans une formule ralentissante, ce sera les premières – ou la première. Plus le nombre de sons est petit, plus la formule possède de concision et d’élan. En général, on peut dire que dans une formule suffisamment longue, il est naturel qu’au début, dans les mouvements les plus lents, il n’y ait qu’un seul son par modulation rythmique, qu’au milieu il n’y ait, que deux sons par modulation et que la dernière, ou les deux dernières modulations rythmiques, aient trois sons. La formule naturelle est la forme accélérante tandis que la forme ralentissante est une formation artificielle, issue du renversement de la forme accélérante.
170Prenons comme point de départ une modulation rythmique composée de deux mouvements de durée égale dont le premier, le plus lent est de deux sons et le deuxième, le plus rapide est de trois sons. Nous avons là une sorte de cellule accélérante primitive, un germe de formule accélérante qu’on peut noter de deux façons différentes : soit comme une mesure à quatre temps avec triolet
Exemple n° 68
171soit comme une mesure à six temps avec duolet
Exemple n° 69
172Pour notre analyse, nous adopterons la première façon. Supposons maintenant que les quatre croches de cette mesure à quatre temps représentent un quartolet établi sur trois croches d’un mouvement plus lent (coefficient d’accélération 3/4) et que ces trois croches plus lentes sont elles-mêmes les trois dernières croches d’une mesure à cinq temps. Nous faisons ainsi précéder notre cellule à 4/8 de deux sons plus lents et obtenons une formule accélérante à deux étages :
Exemple n° 70
173Le premier étage (les deux premiers sons ne sont pas considérés comme un étage, mais comme le corps de la formule sur lequel se superposent les étages) correspond à la première modulation : c’est un quartolet avec un coefficient d’accélération de 3/4, le deuxième correspond à la deuxième modulation avec un coefficient 2/3. Ce deuxième coefficient est un coefficient relatif. Il exprime le rapport du dernier mouvement au mouvement précédent et non pas au mouvement initial. Pour obtenir le coefficient absolu, il faut multiplier les deux coefficients entre eux ce qui donne 3/4 x 2/3 = 1/2. Cela signifie que le dernier mouvement est deux fois plus lent que le premier. Cette formule peut aussi s’écrire sans triolets ni quartolets :
Exemple n° 71
174Écrite de cette façon, elle acquiert un caractère nerveux et perd son élan et sa précipitation. Il n’y a plus de modulation rythmique, mais seulement des syncopes sur le même rythme. Continuons d’élargir la formule. Considérons les cinq noires de la mesure à cinq temps comme un quintolet sur quatre noires d’un mouvement plus lent (coefficient d’accélération 4/5) et que ces quatre noires plus lentes sont elles-mêmes les quatre dernières noires d’une mesure à six temps. Nous avons donc une formule à trois étages.
Exemple n° 72
175Ces quelques exemples suffisent à faire comprendre le mécanisme des formules accélérantes et à prévoir quelles seront les formules à quatre, cinq, etc., étages. Dans une formule à quatre étages, la mesure sera de sept noires (7/4) et présentera une amplification de la formule précédente par la superposition d’un sextolet. Dans une formule à cinq étages, la mesure sera de huit noires et au sextolet s’ajoutera un septolet, etc. Dans une formule à six étages, la mesure sera non de neuf noires mais de neuf blanches – 9/2 et non 9/4 – car le mouvement initial y est deux fois plus lent que le dernier mouvement des noires. Le coefficient absolu de ce dernier mouvement dans une formule à neuf étages est 7/8 x 6/7 x 5/6 x 4/5 = 1/2. Quant aux coefficients relatifs et absolus – les premiers continueront à se superposer dans le même ordre numérique : le premier coefficient relatif (en allant de droite à gauche) est 2/3, le deuxième 3/4, le troisième 4/5, on en conclut que le quatrième sera 5/6, le cinquième 6/7, le sixième 7/8, etc. Quant aux coefficients absolus, dans une formule à deux étages ils valent (en allant de gauche à droite) 3/4 et 2/4 (1/2) et dans une formule à trois étages : 4/5, 3/5 et 2/5, on en conclut que dans une formule à quatre étages, ils vaudront : 5/6, 4/6 (2/3), 3/6 (1/2) et 2/6 (1/3), dans une formule à cinq étages : 6/7, 5/7, 4/7, 3/7 et 2/7, et dans une formule à six étages : 7/8, 6/8 (3/4), 5/8, 4/8 (1/2), 3/8 et 2/8 (1/4), etc.
176Une formule accélérante, malgré son unité, n’est pas une formation close et refermée sur elle-même. Dans le dernier tronçon de la formule, le triolet final n’est pas un aboutissement mais, étant placé sur un temps faible, il se trouve orienté vers un aboutissement qui peut être soit un mouvement plus rapide encore que le triolet, soit la continuation du mouvement lui-même, soit un mouvement plus lent, soit même un arrêt de tout mouvement, c’est-à-dire une note ou un accord tenu indéfiniment. Il y a une analogie entre un tel mouvement et celui de la chute d’un corps. L’aboutissement de la formule et l’arrêt du mouvement est le moment du contact avec le sol. Mais dans notre analyse, ce moment d’aboutissement ne nous intéresse pas car il est en dehors de la formule et ce qui nous occupe c’est la formule elle-même et sa structure.
177En appliquant aux formules accélérantes le procédé de récurrence, on obtient des formules ralentissantes. La formule à deux étages se présentera ainsi :
Exemple n° 73
178Une formule à trois étages se présentera ainsi :
Exemple n° 74
179Pour les coefficients absolus, il faut tenir compte du fait que le mouvement fondamental désigné par le coefficient 1/1 se trouve à la fin et non au début de la formule.
180Leur exécution est très difficile et exige un sens très aigu du rythme. Dans les formules accélérantes, qui sont déjà très difficiles, on débute par le mouvement fondamental et les subdivisions rythmiques se superposent progressivement pour aboutir à des rapports rythmiques complexes, dans les formules ralentissantes, on débute par des rapports complexes desquels se dégage progressivement le mouvement fondamental. Pour rendre ces formules exécutables, on peut recourir à la notation de compromis avec syncopes. Voici comment sera notée une formule ralentissante à quatre étages :
Exemple n° 75
Exemple n° 76
181On peut également construire des formules ralentissantes en partant de la cellule ralentissante (le duolet est établi sur trois croches) :
Exemple n° 77
182En considérant les cinq croches de cette mesure à cinq temps comme un quintolet sur les six dernières croches d’une mesure de huit croches, nous obtenons une formule ralentissante à deux étages :
Exemple n° 78
183En considérant à leur tour, ces huit croches comme octolet sur les neuf dernières croches d’une mesure de onze croches, nous obtenons une formule ralentissante à trois étages.
Exemple n° 79
184Ces formules sont loin de posséder le naturel des formules accélérantes que nous venons d’examiner. Leurs coefficients absolus sont très complexes et les formules elles-mêmes ne peuvent être transcrites au moyen de syncopes.
185La dernière formule accélérante que nous avons examinée était une formule à trois étages dont les deux premiers étaient de deux sons chacun et le dernier de trois sons. Considérant qu’il est naturel que les étages les plus lents ne possèdent qu’un seul son, faisons précéder cette formule à trois étages d’un mouvement plus lent mais représenté par un seul son au lieu de deux. Pour cela, considérons les six noires de la mesure comme un sextolet sur cinq noires d’un mouvement plus lent. Ces cinq noires feront partie d’une mesure à six et non à sept temps. Nous obtenons une formule à quatre étages :
Exemple n° 80
186L’ajout d’un nouvel étage à un son tout en modifiant la formule n’a pas modifié la structure de la mesure qui reste toujours une mesure à six temps. Il en sera de même avec l’ajout d’un cinquième ou d’un sixième étage, etc. La mesure restera toujours à six temps, mais, à un certain moment, au lieu d’être à 6/4 (six noires) elle sera à 6/2 (six blanches), notamment quand le premier mouvement deviendra suffisamment lent au point d’être quatre fois plus lent que le mouvement des premières croches (mouvement du quartolet). Ajoutons maintenant à la formule précédente un étage à un son. Pour cela, considérons les six noires de la mesure comme un sextolet sur les cinq dernières noires d’une mesure de six noires. Nous obtenons une formule à cinq étages :
Exemple n° 81
187Nous voyons qu’avec l’ajout d’un deuxième étage à un son ce n’est pas seulement la mesure qui reste inchangée mais aussi le coefficient d’accélération, de même que la nature de la subdivision. On pourra ajouter un sixième, un septième étage à un son, etc., le coefficient d’accélération restera toujours le même et la subdivision sera toujours un sextolet. Voici la formule précédente retournée, c’est-à-dire transformée en formule ralentissante :
Exemple n° 82
188Si comme point de départ nous prenons non pas une formule à trois étages (deux fois deux sons et une fois trois sons) ainsi que nous l’avons fait, mais une formule à deux étages (une fois deux sons et une fois trois sons) ou à quatre étages (trois fois deux sons et une fois trois sons) et y ajoutons des étages supplémentaires à un son, le tableau sera le même, mais la mesure, le coefficient et la subdivision changeront. Dans le cas d’une formule à deux étages, la mesure sera 5/4, le coefficient 3/4 et la subdivision un quintolet. Dans le cas d’une formule à quatre étages, la mesure sera 7/4, le coefficient 6/7 et la subdivision un septolety.
189Voici quelques exemples :
Exemple n° 83
Exemple n° 84
Formules accélérantes. Autres cas
190Dans les exemples que nous venons de citer, les formules se terminaient invariablement par un groupement de trois sons. Elles peuvent aussi se terminer par un groupement de deux sons ou de quatre sons, etc. Examinons d’abord le premier cas. Il suffit de subdiviser la dernière note du triolet final en deux doubles-croches dans toutes les formules précédentes (ou la première note du triolet initial dans les formules ralentissantes formées par la récurrence des formules accélérantes), en ajoutant un étage pour avoir une formule se terminant par un étage de deux sons. Toutes les formules que nous venons d’examiner restent valables avec leurs règles, mais acquièrent un étage de plus. Voici l’exemple d’une formule à deux étages transformée en une formule à trois étages :
Exemple n° 85
191Mentionnons aussi le cas le plus primitif où chaque étage est deux fois plus rapide que le précédent. Le coefficient relatif dans ce cas est toujours 1/2. Chaque étage peut être de un, deux, trois sons ou plus. De telles formules basées sur l’accélération binaire se rencontrent chez les compositeurs du XIXe siècle (leur écriture ne nécessite évidemment aucune subdivision puisque notre notation est basée sur la division binaire). Pour donner un exemple d’une telle formule, il suffit de citer l’exclamation de Tannhaüser « Oh, weh mir unglück-sel-ger » dans le deuxième acte de l’opéra du même nom de Richard Wagner.
Exemple n° 86
192Le thème principal du final de la symphonie « Manfred » de Tchaïkovski donne une formule à deux étages :
Exemple n° 87
193Voyons maintenant le cas où une formule se termine par un groupement de quatre notes. Ici également, toutes les formules que nous venons d’examiner restent valables avec toutes leurs règles, mais cette fois au lieu d’acquérir un étage de plus, elles en perdent un. Cela se produit par la suppression dans les formules précédentes du dernier triolet, bâti sur les deux dernières notes, laissant apparaître le quartolet sous sa forme entière et non tronquée, devenu le membre final de la formule. Voici l’exemple d’une formule à trois étages avec triolet final, transformée en une formule à deux étages avec quartolet final.
Exemple n° 88
194Si, dans la formule transformée, nous voulons intercaler entre les groupes de deux et quatre sons, un ou plusieurs groupes de trois sons, nous pouvons le faire par le procédé suivant : considérons la quartolet final comme subdivisant les trois derniers temps d’une mesure, non pas à cinq mais à six temps (c’est-à-dire additionnant aux trois derniers temps, non pas deux mais trois temps) ; considérons à leur tour les six temps de la mesure comme un sextolet sur les cinq derniers temps d’une mesure non pas à sept temps, mais à huit temps. Voilà formés deux étages de trois sons. Si nous voulons revenir maintenant aux étages de deux sons, nous considérons les huit temps de la mesure comme un octolet sur les sept derniers temps d’une mesure à neuf temps (additionnant aux sept derniers temps deux temps supplémentaires et non pas trois). Voici la formule
Exemple n° 89
195Nous voyons que les étages de trois sons engendrent une suite de coefficients relatifs qui est différente de celle qui se forme quand les étages se composent de deux sons ou de un son. De même sont différentes les successions des indicateurs des mesures et des subdivisions. Si on compare entre elles ces trois genres de suites, on constate qu’elles obéissent aux règles suivantes :
- Quand les étages ne comportent qu’un seul son, les nombres composant les coefficients relatifs restent les mêmes (les coefficients se répètent 1/2, 1/2, 1/2 ... ou 2/3, 2/3, 2/3, etc.), de même que l’indicateur des mesures et des subdivisions.
- Quand les étages comportent deux sons, les nombres composant les coefficients relatifs se répètent deux fois chacun (le dénominateur d’un coefficient est égal au numérateur du coefficient précédent : ... 5/6, 4/5, 3/4, 2/3, 1/2) ; les indicateurs des mesures et des subdivisions, de même que les numérateurs et les dénominateurs des coefficients pris séparément les uns des autres, forment une suite continue de nombres sans omission ni répétition (succession des mesures au fur et à mesure de l’augmentation du nombre des étages : deux étages : 4/8, trois étages : 5/8, quatre étages : 6/8, etc., succession des subdivisions : 2, 3, 4, 5, etc. ; numérateur des coefficients : ... 5, 4, 3, 2, 1 ; dénominateur des coefficients :... 6, 5, 4, 3, 2).
- Quand les étages comportent trois sons, les nombres composant les coefficients relatifs forment une suite continue débutant par deux : deux, trois, quatre, etc. (la suite des coefficients est : ... 8/9, 6/7, 4/5, 2/3, etc.), les indicateurs des mesures et des subdivisions ainsi que les numérateurs et les dénominateurs des coefficients forment une suite de nombres dans laquelle un nombre sur deux est omis (succession des mesures : deux étages : 7/8, trois étages : 9/8, quatre étages : 11/8, etc., succession des subdivisions 3, 5, 7, 9, etc., numérateurs des coefficients : ... 8, 6, 4, 2, dénominateurs des coefficients : ... 9, 7, 5, 3).
- Quand les étages comportent quatre sons, les nombres composant les coefficients relatifs forment une suite dans laquelle un nombre sur trois est omis et débute par trois : 3, 4, (5), 6, 7, (8), 9, 10, etc. (la suite des coefficients est : ... 9/10, 6/7, 3/4), les indicateurs des mesures et des subdivisions ainsi que les numérateurs et dénominateurs des coefficients forment une suite de nombre dans laquelle deux nombres sur trois sont omis (succession des mesures : deux étages : 10/8, trois étages : 13/8, quatre étages : 16/8, etc., succession des subdivisions : 4, 7, 10, 13, etc., succession des numérateurs : ... 9, 6, 3 ; succession des dénominateurs : ... 10, 7, 4).
- Quand les étages comportent cinq sons, les nombres composant les coefficients relatifs forment une suite dans laquelle deux nombres sur quatre sont omis et débute par quatre : 4, 5, (6, 7), 8, 9, (10, 11), 12, 13 etc., (la suite des coefficients est : .... 12/13, 8/9, 4/5 ; les indicateurs des mesures et des subdivisions forment une suite dans laquelle trois nombres sur quatre sont omis (succession des mesures : deux étages : 13/8, trois étages : 17/8, etc., succession des subdivisions : 5, 9, 13, etc., numérateurs : .... 12, 8, 4; dénominateurs : 13, 9, 5).
196Le cas 2 (étages composés de deux sons) se distingue des autres cas par la simplicité des coefficients absolus. Cela résulte du fait que les produits de la multiplication des coefficients relatifs peuvent toujours être simplifiés. Les coefficients absolus sont aussi simples que les coefficients relatifs (comparer les suites des coefficients relatifs dans une formule à sept étages de deux sons chacun sans triolet final 7/8, 6/7, 5/6, 4/5, 3/4, 2/3, 1/2 avec la suite des coefficients absolus : 7/8, 3/4, 5/8, 1/2, 3/8, 1/4, 1/8). Parfois les fractions résultant de la multiplication des coefficients relatifs peuvent être simplifiées, mais les coefficients absolus contiennent toujours des nombres supérieurs à ceux des coefficients relatifs. Ceci nous permet de considérer le cas de deux sons par étage (par modulation) comme un cas privilégié et en quelque sorte central. Il convient aux vitesses moyennes, celles que nous avons appelées centrales et qui se groupent autour du tempo giusto central tandis que les étages de un son conviennent aux mouvements lents et que les étages de trois, quatre sons ou plus conviennent à des mouvements de plus en plus rapides.
197Toutes les formules que nous venons d’examiner avec les règles qu’elles comportent constituent un cas particulier dans lequel le numérateur et le dénominateur du coefficient relatif ne différent que d’une unité. Or, ils peuvent différer aussi de deux ou trois unités et davantage. Dans de tels cas, nous avons en moyenne des modulations plus précipitées. Ces cas présentent un intérêt relativement moins important puisqu’ils ne permettent qu’un nombre restreint d’étages. Nous ne nous arrêterons pas sur ces cas que chacun peut reproduire. Tout ce que nous allons faire est de formuler la règle générale concernant le rapport entre le nombre de sons des étages et les éléments essentiels de la formule : coefficients relatifs et indicateurs des mesures et des subdivisions – règle dont nous avons déjà examiné un cas particulier. Le fait est que ce rapport lui-même dépend du rapport entre le numérateur et le dénominateur du coefficient relatif. Sous sa forme la plus générale, cette règle peut être formulée ainsi : si le nombre de sons des étages est égal au nombre exprimant la différence entre le numérateur et le dénominateur du coefficient relatif, nous avons un état stationnaire de tous les éléments de la formule – les coefficients relatifs se reproduisent, les subdivisions en se superposant ont toutes le même indicateur, les mesures, qu’elles soient à deux, trois, quatre étages ou plus ont également le même indicateur. En effet, dans les exemples précédents, la différence entre le numérateur et le dénominateur des coefficients était égale à un et c’était justement la succession d’étages de un son qui donnait un état stationnaire des éléments de la formule. Mais si la différence entre le numérateur et le dénominateur est égale à deux, ce sont les étages de deux sons qui provoquent l’état stationnaire, si la différence est égale à trois, ce sont les étages de trois sons qui provoquent cet état stationnaire, etc. Nous n’allons pas en faire la démonstration, celui qui le désire peut faire le calcul lui-même. La règle générale dit plus loin : si le nombre de sons des étages est d’une unité plus grande que le nombre exprimant la différence entre le numérateur et le dénominateur du coefficient relatif, les éléments de la formule sont changeant, notamment : les numérateurs et les dénominateurs des coefficients relatifs ainsi que les indicateurs des mesures et des subdivisions forment des suites continues de nombres sans omission et sans répétition. Tel a été le cas des étages de deux sons dans nos exemples qui tous ont des coefficients relatifs dont les numérateurs et les dénominateurs ne diffèrent que d’un seul son. Et tel est aussi le cas des étages de trois sons, quand les numérateurs et les dénominateurs diffèrent de deux sons. La règle générale dit encore : si le nombre de sons des étages est de deux unités plus grand que le nombre exprimant la différence entre le numérateur et le dénominateur du coefficient relatif, les éléments de la formule sont changeants, notamment : les numérateurs et les dénominateurs des coefficients relatifs ainsi que les indicateurs des mesures et des subdivisions forment des suites de nombres dans lesquelles un nombre sur deux est omis. Nous l’avons vu également dans le cas des étages de trois sons et on peut le voir aussi dans le cas des étages de quatre sons si la différence entre le numérateur et le dénominateur du coefficient relatif est de deux sons.
198On peut prévoir la suite de la règle générale : quand le nombre de sons des étages est de trois, quatre, cinq, etc., unités plus grand que la différence entre le numérateur et le dénominateur du coefficient relatif, les éléments de la formule forment des suites de nombres dans lesquelles sont omis deux nombres sur trois, trois nombres sur quatre, quatre nombres sur cinq, etc.
199Avant de terminer ce chapitre, je veux parler de certains cas spéciaux lorsque ce ne sont pas des sons isolés mais des formations rythmiques entières (contrepoint de plusieurs mouvements, formules accélérantes ou ralentissantes), qui en se répétant, subissent des changements accélérants ou ralentissants. Voici l’exemple d’un contrepoint rythmique de trois mouvements réguliers qui à un moment donné ralentissent parallèlement :
Exemple n° 90
200Nous voyons que, malgré les ralentissements, les rapports internes entre les trois mouvements restent les mêmes (ce qui n’est pas nécessairement le cas des ralentissements ou des accélérations simultanées, ainsi que nous l’avons vu dans le chapitre sur les unités modulantes) de sorte que chaque coefficient de ralentissement est valable pour chacun des trois mouvements ralentissants. Voici maintenant une formule accélérante à deux étages qui se répète plusieurs fois, deux fois avec accélération et une fois avec ralentissement et ramène le mouvement à sa vitesse initiale. Il faut dire que l’exécution exacte d’un tel mouvement est quasi-impossible par des moyens non mécaniques.
Exemple n° 91
201On peut écrire le même exemple sans modulations rythmiques proprement dites, mais en changeant l’indication de rythme. Dans ce cas, les coefficients absolus montrent les rapports entre les neuf vitesses différentes que comprend cet exemple (trois vitesses dans chacune des trois formules). La cinquième et la septième vitesses, (le quartolet de la deuxième formule et le mouvement initial de la troisième) ayant toutes les deux le même coefficient absolu 3/5, sont égales. En règle générale, nous savons qu’à l’intérieur de ces formules le triolet final est deux fois plus rapide que le mouvement initial. Par conséquent, les vitesses un et trois, quatre et six, sept et neuf sont dans un rapport de un à deux. Il s’ensuit que puisque la vitesse cinq est égale à la vitesse sept, elle est en même temps en rapport de un à deux avec la vitesse neuf89.
Exemple n° 92
Notes de bas de page
83 Ce passage est barré : [La présence de la fraction 1/1 peut quelque peu déconcerter, mais cette présence est indispensable dans le système car elle exprime un certain rapport de deux rythmes, notamment le rapport d’égalité et doit par conséquent être prise en considération.]. (ms p. 306)
84 La note en marge, écrite au crayon, est difficilement lisible : « En poussant l’analogie, on pourrait dire que le mouvement rythmique régulier est l’équivalent d’un espace régulier. Mais un espace irrégulier, périodique par exemple, aurait comme équivalent rythmique un mouvement irrégulier. Par exemple, l’espace périodique dont la période s’exprime par 2/1 aurait comme rythme : noire-croche, noire-croche, noire-croche, etc., la durée étant l’équivalent exact de l’étendue. Dans le domaine des hauteurs, les espaces périodiques sont considérés comme des déviations de la norme. De la même façon, dans le domaine du rythme, les mouvements périodiques sont considérés également comme des déviations de la norme qui est le mouvement régulier. » (ms p. 318)
85 Ce passage est rayé : [Il est bon à mon avis dans une répétition (je suppose une exécution non mécanique) d’indiquer chaque modulation rythmique en inscrivant au-dessus de la portée le coefficient (par exemple piu animato co 3/5 ou meno animato co 5/3). Il n’est pas nécessaire de spécifier qu’il s’agit d’une accélération ou d’un ralentissement, car le caractère de la fraction - plus petit ou plus grand que 1 - l’indique suffisamment). On peut aussi indiquer le nouveau mouvement en le caractérisant : mouvement de 5 sur 3 croches ou : mouvement de 3 sur 5 croches, etc.]. Dans la marge, le début du passage a été réécrit : « Une répétition gagnerait beaucoup en précision si à chaque changement de mouvement était indiqué le coefficient. » (ms pp. 321-322)
86 Ce passage est rayé : [Tout ceci, c’était pour la combinaison A. Pour avoir la combinaison B, on n’a qu’à prendre le renversement pour mouvement fondamental et le mouvement fondamental pour renversement. Automatiquement, la récurrence deviendra renversement de la récurrence et le renversement de la récurrence deviendra récurrence. Nous n’allons donc pas nous arrêter sur ce cas et passerons directement à la combinaison C.]. Ce texte est repris, formulé différemment, un peu plus bas. (ms p. 363)
87 L’exemple donné par Wyschnegradsky n’est pas complètement écrit (ms pp. 375-376).
88 Note en marge : « Coefficients réciproquement réversibles ». Une feuille libre, placée à la fin du cahier, donne la liste de quelques coefficients :
Le tableau est incomplet.
89 L’ouvrage se termine sur cet exemple. Deux feuilles libres esquissent les recherches de Wyschnegradsky. Elles ont pour titre : « Superposition de trois mouvements de vitesse différente modulant à une unité de plus».
Notes de fin
x Pour pouvoir aligner les quatre suites en dessous les unes des autres il a fallu franchir la limite des treize premiers nombres notamment dans les suites 3 et 4 qui s’étendent au delà de 13 jusqu’au nombre 20. Nous avons séparés ces fractions des autres nombres fractionnaires par une parenthèse. La même nécessité d’aligner les quatre suites n’a pas permis dans les suites 1 et 2, d’aller jusqu’au nombre 13.
y En partant d’une formule à 2 étages (respectivement à 3, 4, 5, 6, 7 étages) (1 fois 2 sons et une fois 3 sons) (resp. (2, 3, 4, 5, 6 fois deux sons) et en ajoutant successivement des étages à un son, nous aurons la répétition de la mesure 5/4 (resp. 6/4, 7/4, 8/4, 9/4, 10/4, etc.), du coefficient 4/5 (resp. 5/6, 6/7, 7/8, 8/9, 9/10, etc.) et de la subdivision 5, quintolet (resp. 6, 7, 8, 9, 10, etc.).
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