Hommage à Bach au xxe siècle
p. 73-80
Texte intégral
1Quand je me demande ce qui incite certains compositeurs du XXe siècle à s’engager dans une confrontation créatrice avec le grand Bach, je ne parviens pas à écarter le soupçon que cela ne tient pas uniquement à la portée incontestée de sa création, c’est-à-dire à sa grandeur de compositeur, mais aussi, et peut-être plus encore, aux contradictions inhérentes à l’image de Bach telle que nous l’avons reçue dans notre jeunesse.
2D’une part, l’art de Bach est un patrimoine culturel commun par excellence. Cela le rend pour ainsi dire omniprésent pour tout futur musicien. D’autre part, la musique de Bach engendre immédiatement les conceptions et les croyances les plus éloignées les unes des autres ; les images de Bach vont de la clarté littéralement péremptoire d’un dogme fervent et orthodoxe jusqu’aux zones d’ombres et, pour finir, aux obscurités de beaucoup d’« hérétiques » et d’innombrables « sectateurs de Bach » perdus dans leurs rêves, en passant par toutes les nuances des conceptions plus ou moins « scientifiques ».
3Dès lors, qu’y a-t-il de plus tentant, pour un compositeur contemporain, que le désir de s’engager de manière créative dans ce que l’on a découvert, dans ce que l’on a ressenti comme contradictoire au fil de ses propres études ?
4En ce qui me concerne, j’ai été pratiquement poussé vers Bach par mon père, qui était en premier lieu musicien d’église mais qui avait su reconnaître les racines de Bach au fil des recherches qu’il mena sur Schütz. Mon professeur, Willy Burkhard, m’a communiqué une image de Bach très contrastée, qui ne s’harmonisait nullement avec l’image d’un Bach néobaroque. Dès lors, il n’y avait rien d’étonnant à ce que mes premières tentatives de composition relativement sérieuses se réfèrent justement à l’œuvre de ce maître – ce que je fis, par exemple, dans mon Abendkantate [Cantate du soir] pour basse, deux flûtes, alto et violoncelle, sans oublier le clavecin – sur un sonnet de Gryphius, plus ou moins inspirée de l’« Actus tragicus », ou encore dans la Sonata da Chiesa pour violon et orgue que j’ai, depuis, retirée. Si je me suis aussi torturé volontairement et jusqu’au sang, pendant mes études, avec les chorals à quatre voix de Bach – et j’affirme qu’après d’innombrables tentatives, j’en ai réussi quelques-uns qui n’étaient pas moins bons que ceux du maître –, ce n’était pas pour résoudre l’énigme de cette écriture, mais, si j’ose m’exprimer ainsi, pour la reconstruire…
5À travers le maquis des images extrêmement contradictoires de Bach, celui-ci m’apparaît comme le « tout autre », aussi et justement là où l’on croit avoir découvert et déchiffré « l’autre Bach ».
6Bach n’apparaît pas seulement comme le « tout autre », mais aussi comme le plus contradictoire, celui qui représente peut-être de la manière la plus universelle l’énigme de ce qu’est la musique en tant qu’art. Son universalité, sa manière d’embrasser les choses, de les saisir dans leur totalité, et non seulement la quasi-toute-puissance de son art, mais aussi son omniprésence, s’accumulent pour devenir un véritable défi ; celui-ci n’est que plus gigantesque lorsqu’il prend l’aspect d’une force de survie littéralement illimitée, d’une musique infiniment résistante dans un sens utopique. Qu’on y songe : à l’époque de Bach, sa propre paroisse était décontenancée devant ses mouvements chorals (avec ou sans points d’orgue), chromatiques à l’extrême… Comment ces braves gens pouvaient-ils ne fût-ce qu’admettre quelque chose de ce genre ? Ne s’agissait-il pas d’un gigantesque malentendu – d’un faste maniéré, camouflé sous le manteau de la piété ? Et aujourd’hui, la musique de Bach est tellement résistante qu’au moment où elle devrait paraître usée, délavée, tant on en a joui, tant on l’a soumise à une pratique d’exécution répétitive et à des interprétations extrêmement nombreuses, elle paraît au contraire encore et toujours fraîche…
7Que signifie la fraîcheur d’une œuvre d’art ? Ne dois-je donc pas commencer par balayer la poussière des siècles ? Voilà revenue notre tendance à la restauration – parce que nous savons, scientifiquement, « comment c’était ». Je pense à la Cène peinte par Léonard de Vinci à Milan, que l’on a déformée jusqu’à frôler l’absence de signification – un déclin dont l’artiste lui-même partage toutefois la responsabilité, les moyens picturaux qu’il avait choisis ayant imposé une restauration de l’œuvre déjà quatre-vingts années après sa création. Je pense aussi à certaines fresques de Giotto à Assise, des œuvres auxquelles je vouais un ardent amour avant leur restauration. Je les compare à la fraîcheur presque illimitée de fresques moins connues exécutées par Le Pérugin dans les petites villes d’Ombrie et qu’aucun pinceau étranger n’a encore jamais touchées… Mais n’est-ce pas ici la patine du temps qui me séduit, qui a transformé les couleurs depuis longtemps – c’est-à-dire, tout de même, la poussière des siècles ? J’en débattrais volontiers. D’où vient alors cette résistance littéralement illimitée de la musique de Bach ?
8Ce qui est frappant, ce n’est pas seulement l’universalité de ce travail de composition : c’est tout autant son versant spéculatif. Je pense notamment à ce conflit apparemment inconciliable entre l’imperméabilité du grand croyant à toute espèce de doute, d’une part, et la spéculation méditative et permanente sur la création de ses artefacts, d’autre part.
9Prenons simplement comme exemple l’élaboration du choral Vor Deinen Thron tret’ich hiermit, qui date de la dernière période de sa vie. Une musique très recherchée, très construite, extrêmement ingénieuse, et adressée au Dieu miséricordieux auquel il fera bientôt face. Mais pourquoi l’assemblage d’une telle énigme serait-il une action particulièrement agréable à Dieu ? Dans ce sens, le Dieu de Bach, en tant que Dieu religieux, peut n’avoir nullement été intéressé par l’habileté artistique de son travail de composition. Mais il est possible que le Dieu tout-puissant se soit présenté d’une manière infiniment plus énigmatique dans la foi individuelle du maître que sa propre musique…
10Sur un autre versant, on trouve l’amour piétiste de Bach pour Jésus (Jesu, meine Freude). Il s’agit pour l’essentiel, je suppose, du patrimoine commun d’une mystique baroque vulgarisée que l’on trouvait chez ses contemporains, un élément de la foi pour ainsi dire à la mode, lié à son époque. C’est peut-être précisément pour cela qu’il est presque totalement esthétisé chez Bach, et donc un objet de son esthétique. On ne pourrait pas expliquer autrement pourquoi Bach prit sur lui d’« harmoniser » dans sa musique de tels textes piétistes extrêmement ampoulés qui paraissent aujourd’hui fondamentalement inauthentiques, tout comme les textes de cantate d’un certain Neumeister.
11Mais avec de telles questions, on ne fait que se heurter de nouveau à la grande énigme que nous pose aujourd’hui encore la musique en tant qu’art, dans la mesure où tous ses éléments – hauteur, timbre, durée, volume, articulation, forme, etc. – sont inclus dans le phénomène du temps et dans la mesure où nous ne savons pas à ce jour ce qu’est réellement le temps, pour peu qu’il soit autre chose qu’une fiction humaine. La musique comme art du temps par excellence, la grande énigme, ouverte à nous pour éclairer, à défaut de la supprimer, l’impénétrabilité de ce qu’elle protège.
12Bach était, on le sait, à la fois un innovateur et un rassembleur d’éléments existants. En tant qu’innovateur, il anticipe dans un certain sens l’avenir le plus lointain quand il n’utilise pas d’une manière inconditionnelle le tempérament égal. La tendance à la panchromatisation, que l’on peut suivre comme une ligne centrale de l’histoire européenne de la musique, n’est sans doute pas directement son œuvre, mais il y a apporté une contribution essentielle. Il est parfaitement instructif qu’Anton Webern se réfère précisément à lui quand il tire méthodiquement une de ses séries « les plus spéculatives » du motif B-A-C-H (si bémol, la, do, si). C’est peut-être la référence à Bach la plus pure que nous puissions trouver au XXe siècle.
13Me voici donc arrivé, même si c’est par un coq-à-l’âne, à la confrontation des compositeurs de notre siècle avec les compositions de Bach. Je n’estime guère cette idolâtrie, dont les adeptes aimeraient faire un dogme garanti… « Retour à Bach », « la seule véritable manière de jouer Le Clavier bien tempéré », et ce genre de choses… Ce que je viens de dire explique sans doute pourquoi. Comment pourrait-on progresser si l’« ultime vérité sur Bach » avait déjà été révélée par les organistes, les anthroposophes, les pianistes, les clavecinistes, les compositeurs qui écrivent, les écrivains qui composent, les chefs d’orchestre, etc. ? On se rappelle tristement l’évangile d’un Johann Nepomuk David, d’un Münchinger, d’une Anna Gertrud Huber, d’un Walter Reinhardt, en privilégiant pour une fois dans mon énumération des personnalités du temps passé – sans oublier Adolf Busch. Des efforts inlassables et toujours vains pour « s’approprier » définitivement et une fois pour toutes l’art de Bach.
14Chaque renaissance de Bach a, dans ce sens, ses tendances à la restauration – quand la restauration ne constitue pas la totalité de son objectif. (Le résultat se vend naturellement fort bien.) Dans cette mesure, tout courant néobaroque me paraît suspect, et même l’approche qu’en fait Reger ne m’inspire pas totalement confiance, pas plus que la tentative largement didactique d’une œuvre comme Ludus Tonalis de Hindemith. Mendelssohn, et surtout Mozart, avaient déjà une attitude pour ainsi dire de surprise devant le phénomène Bach. De Mozart, on dit, il est vrai, qu’il aurait imaginé la musique des motets à deux chœurs de Bach en lisant l’une après l’autre les différentes parties, et qu’il aurait lui-même interprété des œuvres contrapuntiques chez un amateur et semble-t-il un collectionneur de Bach (van Swieten), improvisant des fugues « in stile antico ». Et si l’on en croit les lettres du compositeur, Constance estima ensuite qu’il vaudrait la peine de les développer et de les écrire…
15Mais revenons à ces compositeurs du courant qu’on appelle néobaroque dans notre siècle : ils se rattachent généralement moins à Bach qu’à des maîtres de moindre importance, comme Vivaldi ou Pergolèse. Un grand maître comme Stravinski m’apparaît plus crédible, plus essentiel à l’époque de L’Histoire du soldat quand j’apprends (c’est ce que me raconta Willy Burkhard) qu’il avait sur son piano les chorals de Bach ; le résultat de cette distillation fut du reste un « mouvement choral » d’une nouveauté renversante. Le maître me paraît ici plus convaincant que dans les œuvres où ses tendances néobaroques sont plus affirmées.
16Mais au fond, tout cela ne renvoie qu’à la résistance littéralement étonnante de l’art de Bach. En termes un peu désinvoltes : on ne peut pas assassiner Bach. Attribut d’un dieu, ou plutôt d’un fils des dieux ? L’image romantique de Bach agit manifestement ici ; mais cela tient aussi au culte des titans pratiqué par les Lumières. En d’autres termes : le génie, le guide de l’humanité, celui que souhaitait la société postrévolutionnaire et pré-bourgeoise. Ce n’est pas un hasard si l’art de Bach devait ainsi devenir une sorte de succédané de la religion, tel qu’il l’est resté jusqu’à nos jours pour certains citoyens. Dans ce contexte, il me paraît presque superflu de poser la question d’un lien entre la musique de Bach et le pop ou le jazz, par exemple, ou de se demander dans quelle mesure les citations de Bach sont légitimes ou devraient être légitimes (on ne tue pas Bach).
17Je ne crois pas que la musique de Bach constitue une sorte de contre-image à la musique de notre siècle. Je pense plutôt pouvoir la concevoir comme un point de fuite. Vu dialectiquement, un lieu de fuite, un abri privilégié pour une culture transmise essentiellement par le christianisme ; mais un lieu qui, en tant que tel, doit rester pour une grande part fictif, puisqu’en tant que point de fuite dans un sens géométrique et perspectiviste, il passe au-dessus de tout, s’échappe et ouvre ainsi de nouvelles perspectives.
18Les compositeurs contemporains contribuent ainsi, selon moi, à ouvrir les consciences, quand, dans leur confrontation créative – c’est-à-dire d’apparence plutôt illégale – avec l’œuvre de Bach, ils lancent de nouvelles questions, font perdre leur aplomb aux dogmes qui menacent de s’en emparer ; quand, en présentant l’art de Bach dans un contexte nouveau et inattendu, ils sont en mesure d’attirer une fois de plus l’attention sur le fait que si Bach paraît résistant, cela lui vaut aussi d’être constamment récupéré, d’être sans cesse remis sur le marché, de la manière la plus violente et la plus impudente qui soit… (la moustache de Dali sur le visage de Mona Lisa).
19J’ai parlé de la musique de Bach comme d’un point de fuite possible. Cela pourrait aussi signifier que le compositeur, dans un temps présent totalement calamiteux, une culture musicale calamiteuse par excellence, songe à s’échapper dans une sorte d’acte de désespoir. Une fuite vers un point de fuite… Mais dans le point de départ d’un tel mouvement, ne suppose-t-on pas déjà quelque chose comme une remise en question de sa propre position artistique – ou plus précisément : esthétique ? (Je pense ici à Bernd Alois Zimmermann.) Quand on est artiste, on ne veut pas qu’une remise en question, du reste devenue littéralement inévitable aujourd’hui, débouche sur une représentation permanente de soi-même…
20L’apparence d’une musique savante infiniment résistante d’un point de vue utopique, pour reprendre les qualificatifs que j’ai moi-même employés, a quelque chose d’attirant, qui promet peut-être une rédemption. Il est possible que dans l’inconscient du compositeur, quelque chose comme un désir de participer à la survie, au prolongement de la vie, s’exprime dans le fait qu’il se réfère à Bach. Mais c’est précisément cela que je préférerais expliquer en faisant appel au concept d’une musique paraissant infiniment résistante, qui célèbre toujours très concrètement sa résurrection – elle le fait en survivant. Il est possible que le compositeur ait à l’esprit une allusion à l’universalité du propos visé, à quelque chose comme l’intemporalité, au sens d’un « refuge dans le mystère du temps ».
21Il est sans aucun doute frappant que, dans tous les exemples mentionnés, chez Alban Berg, Bernd Alois Zimmermann, et dans ma propre musique, Bach apparaisse sous forme de citation quand on aborde la problématique de la mort – ou plus précisément de la proximité de la mort. Cela vaut pour le Concerto pour violon « À la mémoire d’un Ange » de Berg, sans doute, là encore, comme un pressentiment silencieux de la proximité de sa propre mort.
22Il est d’ailleurs ahurissant de voir comment Berg parvient à se rapprocher de Bach en empruntant exactement le chemin inverse de celui de Webern, c’est-à-dire non point en complétant sériellement le B-A-C-H (si bémol, la, do, si) pour en faire un total chromatique, mais en utilisant les trois intervalles de tons entiers complétant une série commencée presque naïvement par des accords parfaits (mineur-majeur-mineur-majeur), ce qui le conduit, à l’improviste, vers la montée par trois tons entiers du commencement du choral, qui est énigmatique même chez Bach. Qui pourrait dire si, chez Berg, c’est la conscience de la citation de Bach qui a d’abord surgi, ou si ce choral, précisément, n’est apparu qu’au moment où la série, conséquence de son dodécaphonisme, laissait ouvertes ces trois secondes majeures-là ?
23Cela vaut aussi pour l’Ekklesiastische Aktion de Bernd Alois Zimmermann. Ici, il s’agit de la citation d’une citation ; elle anticipe sa propre mort…
24Et cela vaut enfin pour le dépassement de la proximité de la mort, dans l’utopie d’un royaume de Dieu sur la terre, considéré comme une promesse de paix, dans mon Senfkorn (« Grain de sénevé ») fondé sur des textes tirés des Salmos d’Ernesto Cardenal et sur des textes d’Isaïe, avec lesquels je me permets de transformer en trope les premières mesures de l’air pour basse et hautbois obligé, « Es ist vollbracht », tiré de la cantate Sehet wir geh’n hinauf gen Jerusalem. J’ai inséré ce petit Senfkorn, par la suite, dans le cadre plus vaste de mon oratorio Erniedrigt – Geknechtet – Verlassen – Verachtet [Humiliés – Asservis – Abandonnés – Méprisés…], une sorte de passion de l’homme écorché de notre temps, et je lui ai donné, dans cette œuvre, le nom de « Fenster einer Hoffnung » [Fenêtre d’un espoir]. Elle apparaît en cinquième place, cantate-miniature pour petit ensemble, entourée de mouvements très animés, faisant appel à de larges forces instrumentales et chorales. Le chant solo est assuré par une voix d’enfant, qui suit le hautbois obligato ; la voix de basse a donc disparu. (Je n’utilise que l’introduction instrumentale.) L’enfant récite les textes de Cardenal dans sa propre langue – y compris, éventuellement, en dialecte –, et chante sur la musique de Bach l’utopie du Royaume de la Paix en phrases latines qu’il ne comprend pas. Cela crée une forte tension entre la musique et la citation, tout comme entre les textes de Cardenal et ceux d’Isaïe. Il est vrai que Cardenal se référait tout à fait clairement (en faisant des tropes, si je peux m’exprimer ainsi) aux psaumes de l’Ancien Testament, quand il écrivit ses nouveaux Salmos. Pour ma part, j’ai consacré tous mes efforts à préparer l’arrivée de la citation de Bach d’une manière subtile, pour ainsi dire sous-cutanée, en instillant au goutte-à-goutte les éléments essentiels de la citation – les intervalles caractéristiques et les cellules rythmiques du thème principal – dans un mouvement pointilliste fortement chromatisé. Cette étonnante formulation de Bach symbolise sans aucun doute la croix, dans ses deux moitiés en miroir – il s’agit d’un renversement strict des intervalles, ce qui apparaît rarement chez lui. (« Es ist vollbracht. ») On pourrait s’attendre à ce que l’auditeur soit préparé à cette citation, qu’il l’accepte comme si elle allait de soi ; mais cet effet ne se produit absolument pas. C’est précisément par sa préparation minutieuse, mais cachée, que la citation a un effet terrassant. J’ai tenté de saisir le processus décrit à partir d’une sémantique structurelle, de l’interpréter en quelque sorte comme une parabole sur le royaume de Dieu sur la terre (d’où le titre Senfkorn, Grain de sénevé).
25Dans la septième et dernière partie de ce même oratorio, Erniedrigt…, qui met encore une fois en jeu toutes les forces instrumentales et chorales, je modifie et je cite l’un des deux chorals que Bach a composés sur le thème de la résurrection, Christ lag in Todesbanden. Tout le matériau sonore de ce mouvement final est exclusivement tiré du choral, selon plusieurs techniques dont la première consiste à utiliser la somme chromatique de chaque phrase pour aboutir à des champs de densités diverses aussi bien horizontalement que verticalement. J’ai ainsi pu faire en sorte que l’espace sonore de ma musique se tienne à une distance considérable de celle de Bach. Les quatre phrases du choral de Bach, inchangées, sont encore superposées à l’espace sonore dans leur propre tempo.
26Mon point de départ, pour ce qui concerne le texte, était un ensemble de fragments d’œuvres de Cardenal – empruntés à divers poèmes – qui apparaissent dans le chœur, les deux groupes de chanteurs séparés et dans les trois voix solos, et sont chantés simultanément dans les quatre langues de l’œuvre, en espagnol, en allemand, en anglais et en portugais. Ces textes brefs disent : « Le peuple ne meurt jamais. Je chante un pays qui naîtra bientôt. Le lac, bleu par endroits, d’argent et d’or ailleurs. Au ciel volent les hérons. ». Avec cette musique parfaitement hymnique, je me suis donc lancé dans la tentative de reprendre sous une forme nouvelle, totalement sécularisée, le choral de Bach sur la résurrection. L’énigme des chorals de Bach devient ici un chemin de la liberté, y compris à travers la mort.
27« Hommage à Bach au XXe siècle », conférence publiée dans Bericht über das Symposion « Bach im 20. Jahrhunderte », éd. par Kurt von Fischer, Kasseler Musiktage 1984, Kassel, 1985.
Auteur
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